D
O
N N E E S Á
INTEGRER
Je propose aux lecteurs
d’intégrer les données suivantes à l’exposé effectué dans les huit
numéros
d’Invariance, série IV (jusqu’au
chapitre relatif au surgissement de l’aire musulmane et l’œuvre de
Mahomet),
afin qu’il soit plus complet, et plus cohérent avec ce qui a été mis en
évidence dans les numéros de la série V, particulièrement en ce qui
concerne la
spéciose-ontose, de telle sorte qu’Emergence
de Homo Gemeinwesen puisse opérer en tant que phénoménologie de la spéciose
pour tout ce qui concerne le devenir de Homo sapiens. J’en profite
également
pour intégrer des connaissances acquises depuis les années quatre vingt
du
siècle dernier, parfois liées à des découvertes ayant eu lieu depuis
lors.
A -
Continuité, discontinuité, catastrophe
Les ruptures de
continuité apparaissent comme des catastrophes et réciproquement. Elles
viennent, en quelque sorte, confirmer l’interdit de continuité, et que
le
devenir de l’espèce ne peut-être que dans le séparé.
Les catastrophes ont joué
un rôle essentiel dans la mise en place de l’empreinte
fondamentale : la
menace d’un risque d’extinction. Cette empreinte a également été
constituée par
les menaces causées par divers prédateurs :
mammifères carnivores, reptiles divers, rapaces, etc. Et ceci ne
concerne pas seulement l’espèce Homo sapiens mais tout le phylum Homo.
La menace du risque
d’extinction a été exprimée dans divers récits mythiques et elle est
également
signalée dans le récit scientifique. « Il semble que notre espèce
soit
passée par une phase de sélection drastique, un goulot d’étranglement
avec une
population réduite à quelques 60 000 individus, il y a entre 100 000 et
50 000
ans ». Pascal Picq, Une
évolution buissonnante1 .
Dans les divers récits, l’origine comme la fin, sont posées en
relation
avec une catastrophe. Tout d’abord cela fut envisagé dans le domaine
mythique,
puis dans celui historique (par exemple : investigation sur les
causes de la
naissance et de la disparition des empires), ultérieurement dans celui
géologique, actuellement dans celui cosmogonique.
La géologie et la
paléontologie donnent beaucoup d’éléments pour revivre la menace.
Toutefois, en
Occident, celle-ci est plus ou moins présentifiée à certains moments
historiques. En cette aire géosociale, il
semble que
l’espèce tende à conjurer la catastrophe pour protéger une continuité
se
déroulant à partir d’une mise en discontinuité avec le reste de la
nature.
Donc ce qui apparaît
comme essentiel c’est le comportement par rapport à ces catastrophes
ainsi qu’à
l’éternité, avec la difficulté de vivre en fonction de celle-ci. Ceci
apparaît
bien avec la géologie où, initialement, le principe de continuité (dans
l’espace et le temps) eut une importance considérable, fondatrice,
tandis que
les ruptures de continuité, manifestées par les discordances, permirent
de
fonder une chronologie.
La géologie ne put se
développer pleinement qu’à partir du moment où l’on abandonna le
catastrophisme
et, surtout, l’idée que des phénomènes inconnus de nos jours (de
mémoire
d’homme, en fait) aient pu opérer, de telle sorte qu’il nous est
possible à
partir du vécu « actuel » de comprendre ce qui fut, et de
prévoir ce
qui adviendra. Autrement dit, sous une autre forme, on a une
perspective laplacienne.
Or, ce qui est fort
intéressant dans l’étude de l’approche
géologique des phénomènes, c’est de relever le rapport avec le
pessimisme
régnant dans diverses périodes et l’optimisme se déployant en d’autres.
C’est
de comprendre comment à certaines époques, l’espèce sous l’emprise de
la menace
ne parvient pas à sortir d’un pessimisme où dominent les idées de
décadence et
de chute, tandis qu’à d’autres elle parvient à recouvrir et à affirmer
un
optimisme s’exprimant en partie dans l’idée de progrès.
Á propos de pessimisme il
semblerait que « l’antiquité » et le « moyen-âge »
(je mets des guillemets pour signaler que j’utilise ces termes par
approximation) furent des périodes pessimistes. En revanche avec la
Renaissance
et plus particulièrement avec la seconde partie du XVIII° siècle, on a
l’optimisme et le progrès. Maintenant nous entrons dans une phase (en
fait
commencée au milieu du siècle dernier) où la menace redevient
effective. Notre
époque se caractérise par l’effectuation d’une catastrophe et par ce
que j’ai
appelé un jugement dernier où tout ce qui fut se réimpose à travers une
combinatoire.
Voici un long extrait d’un
article
tiré de l’Encyclopœdia
Universalis
(édition de 1968) de F. Ellenberger au
sujet de James
Hutton (1726-1797) géologue écossais, qui illustre ce qui vient d’être
exposé.
Pour mieux présenter celui-ci, l’auteur expose d’abord la conception
d’un
géologue allemand A. G. Werner.
« Ce dogmatisme, non
dénué, dans
sa robuste simplicité, de quelque efficacité pratique à court terme,
perpétuait
un corps de pensées archaïques, parfois en retrait sur Buffon. En plein
siècle
des Lumières, l’histoire du monde continue à être imaginée comme une
sorte de
tragédie, un déroulement bref, irréversible, hostile déchiré de
cataclysmes
(dont le déluge biblique n’est que le dernier en date). Ce pessimisme,
sans
doute enraciné dans les doctrines antiques et dans les angoisses du
subconscient collectif, devait survivre à Werner, renaissant sous
d’autres
formes, telles que les créations successives de Cuvier et les
catastrophes
orogéniques d’Elie de Beaumont. C’est avant tout contre cette
cosmogonie
implacable, contre ce défaitisme, cette finalité cruelle, cette
absurdité, que
Hutton s’est insurgé. (…)
« On peut être
surpris du point
de départ explicité sans ambiguïté, de toute la démarche de pensée de
James
Hutton. Il s’agit d’un postulat téléologique, d’un véritable acte de
foi,
plutôt que d’un pari, et dont le finalisme, naïf à première vue,
contenait une
intuition autrement lucide et féconde que le prétendu positivisme wernérien : une sagesse est à l’œuvre dans
l’économie
du monde, un ordre dirige la puissance qui se manifeste dans la nature,
son but
est de maintenir la Terre habitable, sans limitation de durée.
Or, dit Hutton, les
plaines fertiles
sont formées par la ruine de nos montagnes ; leurs sols s’érodent
à leur
tour, entraînés inexorablement dans les fleuves, vers les plages et les
abîmes
marins. Si les choses continuaient ainsi, toute terre émergée finirait
par être
détruite durant l’immensité de la durée. Il faut donc qu’un mécanisme
de
réparation existe pour maintenir perpétuellement en fonction cette
merveilleuse
machine.
C’est à la Terre elle-même
de dire
comment, et de dévoiler son histoire. Ses roches en effet sont très
souvent
d’anciens sédiments, dont la grande variété s’éclaire d’elle-même à la
lumière
de phénomènes si divers qui peuvent être étudiés de nos jours. Il
n’existe donc
aucune corrélation entre la nature d’une roche et son âge. Le monde
contemporain
et ses scènes ne sont qu'un instant dans une longue suite de paysages
passés et
futurs, dont la continuité naturelle n’est brisée par aucun cataclysme,
aucune
catastrophe dont l’essence serait étrangère au monde actuel ».
En ce qui concerne le
devenir
orogénique (formation des chaînes de montagnes) et sédimentaire, les
géologues
n’évoquent plus des catastrophes. En effet la théorie des plaques n’en
fait pas
état, même s’il est postulé des phénomènes qui peuvent atteindre une
très
grande violence à de certaines périodes. En revanche il est question de
cinq
extinctions majeures qui peuvent être considérées comme des
catastrophes au
sens où l’entendait G.Cuvier. D’autre part
la théorie
de J.Gould, des équilibres ponctués
implique des
phases de calme (compatibles avec la théorie de C.Lyell)
et des phases catastrophiques entraînant des discontinuités. J’ajoute
d’autre
part que, à partir du moment où certains phénomènes qui provoquèrent
d’intenses
discontinuités sont expliqués, ils tendent à perdre le caractère de
catastrophe, comme s’ils échappaient à l’effectuation d’une menace. Je
module
tout de même en ajoutant que la chute de météorites sur la terre, comme
celle
qui provoqua la cinquième extinction, à la limite du crétacé et du
tertiaire,
reste perçue comme catastrophe. Ce que je veux signifier c’est
qu’apparaît en
tant que catastrophe surtout ce qui n’a pas été prévu; ce qui met en
échec tout
notre procès de connaissance.
Selon ce qu’expose F. Ellenberger, James Hutton aurait eu une
conception proche
de celle de J. Lovelock, particulièrement
lorsqu’il
parle « d’une sagesse…un ordre qui dirige la puissance qui se
manifeste,
etc. ».
Pour en revenir à l’histoire
de la géologie j’ai le sentiment que celle-ci s’instaure en tant que
science
quand la menace n’est pas opérante pour l’espèce, du moins dans l’aire
occidentale. En effet, C. Lyell contemporain de C. Darwin, opère vers
le milieu
du XIX° siècle, en plein essor du mode de production capitaliste;
quand
non seulement théoriquement – avec la théorie de I. Newton – mais
pratiquement
– avec l’essor des forces productives permettant l’affirmation d’une
confiance
et l’idée de progrès – l’espèce acquiert une certaine assurance. Cela
me
renvoie, en premier lieu, à l’œuvre d’I. Newton. La mise au point
de la
théorie de la gravitation universelle lui fournit une loi explicative
qui le
met à l’abri de la menace. Il a pu en quelque sorte percer la pensée de
Dieu,
comme veut le faire Stephen Hawking (le
cosmologue).
Ainsi il n’a plus besoin de poursuivre ses œuvres alchimiques, tandis
que son
étude historique justifie le moment présent, le moment où lui-même va
sortir de la non manifestation exotérique
(le moment n’était pas
encore venu). Il va devenir directeur de la monnaie, et un personnage
officiel.
Au fond, il est totalement rassuré. Pour lui aussi une certaine sagesse
est à
l’œuvre dans le cosmos, et dans la société humaine.
Les travaux de Clerk
Maxwell et ceux de A. Einstein couronnent et achèvent l’œuvre
newtonienne. La
phrase d’Einstein tant de fois répétée: dieu ne joue pas aux dés,
indique
bien la continuité entre celui-ci et I. Newton. La véritable
discontinuité
s’opère avec la théorie des quanta de M. Plank et surtout avec l’œuvre de N Bohr. D’une
certaine
façon, la menace refait son apparition avec celui-ci et ses
continuateurs, etc.
Le recouvrement n’est plus efficace. Le monde scientifique semble ne
pas
vouloir accepter cela. On nous promet une grande célébration du centenaire, l’an prochain, des publications
d’A. Einstein, en occultant, selon moi, le déchirement engendré par la
mise en
évidence des quanta par M. Plank.
Au cours du XXe siècle, la
menace
d’extinction s’est fortement réaffirmée et manifestée à travers divers
carnages
et, dans les années 1950, les œuvres de I. Vélikovsky
représentèrent un retour retentissant de la théorie catastrophiste tant
sur le
plan historique que géologique ou cosmique2.
Toutefois le fort développement du capital opéré sans crise favorisa en
définitive une dynamique optimiste qui fut remise en cause à partir de
la fin
des années soixante et dix. Les théorie des équilibres ponctués, du
chaos, des
catastrophes témoignent de la réactivation de la menace qui s’épanouit
actuellement avec la mise en évidence de la VI° extinction3,
et la nouvelle vogue des livres de I. Velikovsky,
etc.
En conclusion, des
catastrophes
adviennent bien dans le cosmos, dans la nature. Mais en définitive la
catastrophe la plus grave n’est pas celle naturelle mais celle pouvant
découler
des heurts entre groupements humano-féminins
liés à
d’immenses troubles psychiques accumulés depuis des millénaires
Le caractère absolument
traumatisant
des premières est lié au fait que l’humanité en situation de
catastrophe
psychique ne peut pas les affronter correctement. En outre ce qui
accentue ce
caractère c’est qu’elles sont des supports pour revivre une catastrophe
diluée
dans le temps, et donc difficilement perceptible: la rupture de
continuité
d’avec le reste de la nature afin de se mettre en sécurité, fuir un
monde vécu
comme trop menaçant, trop hérissé de catastrophes. Pour désactiver
l’empreinte
du risque d’extinction qui lui est liée, l’espèce doit abandonner une
conduite discontinuiste qui se manifeste
particulièrement dans les
guerres et les révolutions. Pour accéder à la communauté humano-féminine
où l’individualité pourra se manifester, on ne doit pas prôner une
discontinuité brutale et immédiate, une rupture totale avec le passé,
avec un
rejet pouvant s’actualiser en répression de tout ce qui relève de la
dynamique
millénaire de la répression, surtout si on persiste à raisonner en
termes
d’amis et d’ennemis, mais en vivant le procès de dissolution de ce
qu’est ce
monde, qui débute avec son abandon . Le
devenir de
Homo sapiens a été un devenir dans la séparation, dans la
discontinuité, même
lorsqu’il voulait la continuité ; le devenir à Homo Gemeinwesen
implique d’opérer constamment dans la continuité, grâce à une
affirmation
réitérée de la naturalité et de tout l’acquis résultant de sa recherche
au
cours de millénaires.
La menace est vécue
inconsciemment et
sa puissance est réactivée lors d’événements importants, tant dans la
nature
que dans le monde humain, tendant à mettre Homo sapiens dans la
dépendance.
Cela implique qu’il ne vit pas écrasé sous la peur de la menace,
fondant son
devenir spéciosique ; sa naturalité
se manifeste
aussi pleinement comme on peut le voir sur les parois des grottes
ornées en
différentes régions du globe.
B
- Naturoévolution
et haptoévolution.
Avec l’acquisition de la
station verticale, l’hominisation s’achève et c’est la fin de la naturoévolution. L’anthropogenèse se réalise
grâce à l’haptoévolution qui nécessite la
formation d’un milieu
humain, d’un monde humain compatible avec elle. En effet
du fait que l’enfant naît non pleinement
achevé, qu’il y a juvénilisation (pædomorphose),
il
s’impose à l’échelle de l’espèce une haptoévolution
-
une évolution grâce aux contacts entre les membres de l’espèce - qui
permet
l’achèvement du procès de formation. Cette haptoévolution
implique qu’une forme communautaire se développe parce que le jeune
enfant
nécessite des soins constants, une présence permanente sans laquelle
son
développement psychique et somatique ne peut pas se réaliser. Non
seulement il
a besoin de son père et de sa mère biologiques (ce qu’on considère
comme le
noyau de la famille) mais également des adultes hommes et femmes qui
sont
également ses parents, et des enfants. La famille ne se distingue pas
de la
communauté. Le rapport aux enfants détermine la forme de communauté, de
société, de même que le type de communauté va déterminer un type
d’enfants,
puis d’adultes.
Á partir de ce constat on
ne peut plus étudier l’évolution de l’espèce en se référant uniquement
au mâle,
comme ce fut le cas pendant longtemps, ni même en tenant compte
également de la
femelle, il faut opérer l’investigation
en intégrant l’enfant, et donc s’interroger sur comment les hommes et
les
femmes ont évolué pour arriver à permettre le développement complet de
l’enfant, et comment les enfants ont opéré afin d’être
mieux acceptés.
Ce sont surtout les
féministes et, à ma connaissance, particulièrement Nancy Makepeace
Tanner, qui ont apporté de grandes clarifications. Elles confirment
notre
investigation au sujet du devenir de l’espèce, en fonction de la
communauté,
ayant toujours pensé qu’on ne pouvait pas étudier l’évolution des
hommes et des
femmes individuellement, mais à partir des communautés où justement
l’enfant a
une importance primordiale.
N.M. Tanner insiste sur
le rôle déterminant des femmes dans la fabrication des outils et met en
évidence que les choppers ne sont pas de simples outils mais des outils
pour
faire des outils (un bâton à fouir par exemple). Et elle pense qu’elles
ont
inventé « La cueillette, comme nouveau mode d’utilisation des
ressources
végétales moyennant l’usage d’outils ». Et elle ajoute « (…)
la
cueillette implique qu’on se procure et qu’on transporte une grande
quantité de
nourriture, en vue d’une consommation différée dans le temps, de la part de plusieurs individus ; elle rend
possible, de ce fait, une période plus prolongée de dépendance de
l’enfant».
« Tous ces aspects
doivent être mis en relation avec la cueillette de nourriture végétale
dans la
savane, qui constitue la modalité adaptative de base. Ce furent les
femmes qui
créèrent l’invention de la cueillette car, étant donné leurs besoins
nutritifs
plus importants durant la gestation et l’allaitement, et les demandes
pressantes de nourriture de la part de leurs enfants, elles étaient
beaucoup plus
motivées en ce qui concerne l’invention technologique »4.
Une autre femme, elle
aussi anthropologue et paléontologue, Sarha
Blaffer Hrdy,
affirme que pour le
bon développement de l’enfant plusieurs mères, qu’elle nomme allo-mères, sont nécessaires en plus de la mère
naturelle.
C’est dans son livre Mother
Nature, 1999, (Mère nature) qui a été traduit en italien avec un titre qui explicite les intentions de
l’auteur : L’instinct maternel –
entre nature et culture, l’ambivalence du rôle féminin dans la
reproduction de
l’espèce, qu’elle développe sa thèse de façon détaillée5.
Elle a montré que tout ce qui accentue les caractères
« juvéniles »
est favorisant pour l’enfant qui est mieux accepté et elle affirme, ce
qui me
semble évident, que l’enfant a inventé le sourire. En poussant à bout
son
raisonnement on peut dire que l’enfant a produit la séduction afin que
l’adulte
ne se détache pas de la relation à lui. S’il le fait, le sourire le
ramène dans
la dynamique d’acceptation qui n’est pas une simple dynamique de soins.
C’est
comme si l’enfant avait accentué sa dépendance et la manifestait afin
d’être
mieux en continuité et intégré. Ce qui permet une transmission active
de tout
ce qui est nécessaire pour son devenir.
Ainsi l’haptoévolution requiert la communauté pour se réaliser. Les
travaux de F. Renggli 6
confirment cette affirmation qui est une évidence.
« L’être humain a
perdu sa fourrure il y a 4-5 millions d’années, lorsqu’il a quitté la
forêt
vierge, et qu’il s’est installé dans les savanes sèches et les steppes
d’Afrique. Et malgré le temps passé depuis lors, les bébés humains
naissent
encore et toujours avec les mains et les pieds fermés, comme s’ils
allaient
s’agripper “à la fourrure” de leur mère. Les civilisations dites
“primitives” ont
cette connaissance et cette intuition de la vie, et c’est la raison
pour
laquelle les petits sont constamment portés, et dorment contre le corps
nu de
leur mère pendant la nuit. Toutes les personnes ayant eu l’occasion
d’observer
ces peuples en sont revenues surprises de la tranquillité des bébés,
visiblement calmés par le fait d’être en contact corporel constant avec
leur
mère ou une autre personne de référence. Mais il faut toutefois
souligner que
dans ces cultures, il y a toujours 10 à 20 personnes qui s’impliquent à
s’occuper d’un bébé. On constate chez un petit enfant un besoin
archaïque de
contact corporel, ou autrement dit, une peur archaïque lorsqu’il perd
ce
contact physique7».
Grâce à la communauté l’haptogestation, prolongement de la naturoévolution , les
enfants peuvent avoir un développement optimum. Elle doit être telle
qu’elle
permette simultanément des relations sexuelles harmonieuses entre les
hommes et
les femmes qui peuvent vivre soit de multiples relations, soit des
relations de
type monogame, en fonction de leurs désirs (qui peuvent évoluer dans le
temps),
car il est évident que seuls des adultes épanouis peuvent assurer une haptogestation effective.
Une remise en cause de l’haptogestation, en relation avec une séparation
toujours
plus complète entre la mère et son enfant (répétée ensuite avec le
père), qui
constitue la tendance actuellement la plus forte au sein de l’espèce,
peut
conduire à un dérèglement total, à un déséquilibre, à une forme de
folie qui
pourrait conduire à son extinction. Par là, elle rejoue encore la
menace.
C
- Sortie de la nature
La dynamique de sortie de
la nature est une dynamique de séparation qui implique le refus d’un
devenir en
vue d’assurer une protection ; c’est une rupture de continuité
afin de ne
pas subir, et fuir une dépendance, ce qui dénote une démesure du fait
de la
disproportion entre l’agent qui se sépare et ce dont il se sépare. Elle
vise
fondamentalement, il faut y insister, à assurer la protection de
l’espèce, sa
mise en sécurité. Un tel procès n’a pu être que long, souvent
contradictoire,
insidieux, et non linéaire, en connexion avec la maturation au sein du
phylum
Homo des éléments pouvant permettre de l’actualiser, principalement, la
pensée
(l’imagination) et l’activité technique.
Le possible de se
représenter comment à pu s’opérer la séparation d’avec le reste de la
nature
dérive du fait que nous sommes parvenus non seulement à la fin de ce
procès de
sortie, mais à son échec. Nous connaissons ce qui a été mis en place
pour le
réaliser et le point final de cette réalisation. A partir de là nous
pouvons,
grâce à l’analyse des rejouements de l’acte initial, en procédant à rebours
depuis le présent vers l’origine il y a des milliers d’années, nous
représenter
ce qu’il fut.
Le point de départ est la
mise en place de la menace, synthèse en quelque sorte des effets opérés
par
tous les traumatismes subis au cours de l’évolution du phylum homo, ce
qui
implique le développement d’une capacité importante de représentation
permettant de connecter divers souvenirs et de leur donner une
consistance dans
l’ici et maintenant. Cette capacité fut également nécessaire pour
donner une
assise à la volonté d’échapper à la menace.
On peut penser que pour
sortir de la nature, pour la quitter, nos très lointains ancêtres
furent amenés
à postuler l’existence d’un monde hors-nature,
surnaturel, virtuel, où ils purent placer un point d’appui, de
repérage, à
partir duquel ils ont pu se constituer en êtres échappant à l’immédiat,
en même
temps qu’au trouble induit par les traumatismes, rejoué dans une
dimension
accrue, sous forme de confusion. Une telle entreprise ne pouvait être
mise en
branle sans le développement de l’imagination, permettant de donner
consistance
à une non-existence, à une immatérialité, et celui du langage verbal
afin de
pouvoir transmettre, communiquer des éléments ne relevant pas du réel
immédiat,
en discontinuité avec lui, et donc non susceptibles d’une transmission
télépathique qui implique la continuité. Elle nécessita un
développement
toujours plus intense de la technique en vue de pouvoir rendre tangible
ce
monde virtuel ou, tout au moins, le simuler.
Dans l’immédiat de sa
réalisation, un tel procès implique, outre la démesure à partir de
laquelle la
folie pourra s’épanouir, et le refus d’un devenir, l’affirmation d’un
interdit
de la continuité et fondation de ce qui apparaîtra en tant que
culpabilité avec
son corollaire la dynamique de justification complétée par celle de la
confirmation. Cette rupture de continuité avec le reste de la nature,
correspond
à la rupture d’un procès, et donc à un acte de violence, accompagné de
l’installation de la confusion.
Ceci ne s’est pas effectué
individuellement mais au niveau de la communauté en faisant appel à des forces surnaturelles ou hors
naturelles. Or la validité de la démarche entreprise se vérifiait dans
la
mesure où effectivement le monde immédiat est déterminé par des
phénomènes qui
échappent à toute perception sensible. L’invisible a dés le début
revêtu une
grand importance et cela se révélait déjà au niveau de phénomènes
perceptibles
comme le vent si puissant et si invisible. Il est évident que pour cela
les
capacités intellectuelles, la pensée, étaient déterminantes. Mais ce
n’est pas
quelque chose qui relève de l’esprit, et je n’affirme pas que les
hommes et les
femmes étaient uniquement préoccupés de
questions
« spirituelles ». Non ils firent appel à la pensée pour
résoudre un
problème bien concret : trouver une protection contre les menaces
opérantes dans la nature, à laquelle ils ne pouvaient pas simplement se
fier,
se confier.
La sortie de la nature
implique la mise en place d’une dynamique visant à trouver une conduite
de
salut, de sauvetage qui recèle une dimension cognitive permettant de
poser ce
dont on veut se sauver et ce à quoi on veut accéder, une dimension
pratique.
C’est ainsi que s’imposèrent par exemple, la magie, le mythe, la
religion, la
philosophie, la science, la révolution (celle-ci n’étant pas seulement
un
procès de transformation du monde, mais également une conduite pour
ceux qui désirent
effectuer ce procès). Ce qui est en continuité avec la dialectique du
geste et
de la parole. Cependant la pensée présente et active au sein de l’un et
de
l’autre, s’autonomise à cause de la recherche du monde surnaturel
fondateur et
sécurisant. Dés lors l’effort de la pensée n’est pas seulement celui de
penser
ce qui existe, mais ce qui n’existe pas8.
Le refus de l’advenant, la négation, et la pensée de ce qui n’existe
pas,
impliquent par compensation une immense création où l’imagination opère
de façon
essentielle. Toutefois en même temps qu’elle vise ce qui n’existe pas,
la
pensée exprime ce qui existe et tenaille hommes et femmes : les
désirs de
sécurité, de sortir de la confusion en fuyant l’altérité, de
reconnaissance,
ainsi que leur tenace insatisfaction.
L’importance considérable de
la surnature dérive du fait qu’elle opère inconsciemment en tant que
compensation à ce qui a été perdu en se séparant du reste de la nature.
Elle
vient pour ainsi dire colmater la béance opérée par la coupure et se
substituer
au manque que celle-ci implique, mais elle ne peut en aucune façon
désactiver
l’empreinte d’incomplétude, dont elle
est la conséquence.
Le monde surnaturel est
créé en même
temps qu’il est exploré, ce qui permet de bien le connaître. Il est
évident que
très tôt les drogues faisant accéder à des états paranormaux où ceux
qui s’y
adonnent parviennent à saisir des données normalement insaisissables,
jouèrent
un grand rôle. Ce monde c’est celui qui « assure » l’espèce,
l’empêche de sombrer dans la « dépression ». Cela ne veut pas
dire
qu’il détermine le monde immédiat, car il est en quelque sorte
parallèle, le
monde de l’appui et de ce qui peut fonder la certitude. Dans cette
exploration
intervient également ce qui est nommé
art.
Le monde surnaturel peut
devenir
tellement foisonnant qu’il envahit celui naturel et, finalement, empêche le déroulement normal du procès de vie
naturel, mondain, profane. Alors s’impose un processus d’élimination,
de
« désenchantement » du monde, qui peut prendre des formes de
rationalisation, d’humanisation, comme cela s’est vérifié avec le
surgissement
du mode production capitaliste et de la science (la science
expérimentale).
Mais comme la connaissance, même scientifique, ne peut désactiver
l’empreinte
du manque et celle de la menace, la dimension mystique se réimpose
ainsi que la
nécessité d’un monde surnaturel qui retrouve sa population qui avait
été niée,
occultée, comme on le constate de nos jours. Cette
« réimposition »
s’effectue en même temps qu’opère le phénomène d’extractance
qui permet de compenser la faiblesse de dieu (expression de
l’évanescence de la
surnature).
Mais il y a une autre
solution qui semble échapper au rejouement:
parachever totalement la sortie de la nature et accéder à la noosphère.
Vivre
dans la naturalité, c’est trop douloureux, trop rempli de
souffrances :
quittons le corps, ne soyons plus qu’esprits et devenons, en fait, des
êtres
virtuels, d’un monde virtuel. Pour réaliser cela il faudra une activité
constante, apte à défaire les liens avec la concrétude, avec
l’immédiateté, et
nous poser dans l’altérité spirituelle. Ce sera la poursuite du travail
commencé lors de la mise en esclavage de
notre naturalité, et celle de l’illusion de pouvoir un jour
l’éliminer
en correspondant à « l’image » qui s’est créée au cours des
siècles
d’affirmation de la répression et de l’essai d’y échapper finalement
dans le
monde imaginaire, invisible, justifiant cette même répression.
Je ne traiterai pas, de
façon plus ou
moins exhaustive, le phénomène de sortie de la nature car il faudrait
exposer
tout le procès de surgissement de la spéciose. J’indiquerai seulement
trois
conséquences en vue de bien en faire
ressortir l’importance.
L’existence d’un monde
surnaturel qui
se complexifie, comme on peut le voir dans les conceptions gnostiques,
nécessite le développement d’une épistémé
de
l’interprétation, l’herméneutique, c’est-à-dire d’une discipline
cognitive apte
à déceler ce qu’il y a sous l’apparence à partir du réel immédiat, et
donc à
faire accéder au monde caché, ésotérique
qui, à son tour, se pose en tant qu’immédiat par suite de l’opération
herméneutique, et donc réclame de ce fait une autre interprétation et
ainsi de
suite. Une telle démarche semble s’imposer également dans le domaine
scientifique où les savants sont à la recherche
d’un réel qui est inaccessible (voilé). Mais cela opère également en ce qui concerne l’étude du monde social
où, du fait qu’il est dominé par la mystification, une sorte
d’herméneutique
sociale est nécessaire pour le comprendre.
La sortie de la nature
pose l’espèce
sur le mode de l’exil. De façon isomorphe, sur le plan individuel, pour
les
gnostiques perses, chrétiens, musulmans, ce mode d’être sera assumé,
avec pour
ainsi dire un dédoublement de la surnature, l’une en rapport à un dieu
mauvais,
l’autre à un dieu bon mais caché.
La coupure fonde la
formation,
nécessitant des millénaires, des concepts d’être, d’existence,
d’essence, de nature-substance. Exister
c’est sortir de l’immédiat, de la
continuité, pour se manifester.
Synthétiquement, sortir de
la nature
consista à quitter l’éternité pour se livrer au temps. Et, avec le
temps,
l’espèce s’adonna au travail.
D
- Répression, thérapie, pouvoir
La répression consiste en
l’inhibition de la naturalité et en l’interdiction de la continuité. Sa
forme
négative, qui peut apparaÎtre comme son
complémentaire, est la permissivité qui aboutit au même résultat. En
effet
celle-ci se caractérise par une absence d’affirmation des parents ce
qui inhibe
la continuité dans son effectuation immédiate ainsi que dans sa
réflexivité du
fait de l’absence de confirmation, de reconnaissance, et de la mise en
indifférenciation. La possibilité de la rétroaction a tendance à se
perdre,
d’où un déboussolement, pouvant être
accompagné de
manifestations violentes. Sous ses deux formes la répression est une
dynamique
de violence. Elle fonde son empreinte et donc tout le devenir de son rejouement ; comme celui de la séparation
ne serait-ce
que parce qu’une répression trop intense peut causer une séparation
La répression est la
thérapie fondamentale ; celle qui induit toutes les autres. C’est
la
dynamique par laquelle les parents visent à guérir l’enfant de sa
naturalité, à
le libérer de ce mal; elle tend à le faire accéder à un niveau
supérieur,
à le perfectionner, à le sauver. Elle permet la domestication
(l’intégration dans le domus) et de
mettre, ou de
remettre, l’enfant dans l’artificialisation.
Elle coupe les élans vers la naturalité qui sont considérés
comme des
moments d’errance, moments où s’imposent les défauts, les erreurs, les
aberrations. En même temps elle est curative pour les parents :
elle les
guérit du manque de pouvoir qu’ils ont connu au stade enfant ainsi que
du
manque que leur impose la société. La répression est la conduite humano-féminine où le pouvoir prend une forme
qui le rend
visible, perceptible, et sert à donner forme, à produire comme
l’affirma M.
Foucault et, j’ajoute, à produire des formes.
La répression est à
l’origine de la mise en place de la spéciose et de l’ontose ainsi qu’à
des manifestations
pathologiques plus ou moins intenses qui nécessitent à leur tour
diverses
thérapies, visant à corriger les effets négatifs de la répression, ce
qui lance
l’espèce dans un continuel rejouement.
Toutefois la
répression ne peut se maintenir que si elle est réactualisée par la
réactivation de l‘empreinte de la menace ; d’où là encore un rejouement fondamental, celui du risque
d’extinction. Elle
est une dynamique de transcendance, faire accéder à un au-delà où la
sécurité
est possible, au bien suprême (sommet de l’échelle axiologique), autre
source
du numen et donc de l’autorité qui est une
participation à cette entité.
La répression vise à
échapper à une menace qui cause des peurs ; et c’est là que
s’impose
pleinement la dynamique de « c’est pour ton bien ». On
réprime afin
d’éliminer une menace que l’autre ne voit pas, qui en est inconscient.
Et pour
la justifier on recourt à des données supérieures, à des entités, on se
lance
dans la transcendance et dans l’affirmation de la conscience de la
nécessité
d’en passer par là pour sauver l’autre d’une existence purement,
simplement,
naturelle. Chaque fois qu’on réprime on refoule une peur, et on
escamote un
devenir, celui qui a conduit à son affirmation inconsciente, et dont,
de ce
fait, l’individu ne soupçonne pas l’existence. On réprime souvent parce
qu’on
s’identifie. Ce faisant, on pense, inconsciemment, qu’on se sauve d’un
danger,
d’une menace.
Pour s’effectuer, et par là
réaliser le devenir hors nature, hors menace, la répression nécessite
un agent,
un opérateur : le pouvoir qui s’exerce au sein d’une dynamique où
la
dépendance est constamment recréée. D’où la nécessité de poser des
interdits
dont le plus fondamental est celui de rétablir la continuité.
Symétriquement en
quelque sorte la violation des interdits engendre du pouvoir.
Tout homme, toute femme a
du pouvoir.
Comment se fait-il que celui-ci soit concentré, condensé et se
manifeste en
tant que Pouvoir, et que ceux-là y soient soumis, volontaires ou non,
comme
s’ils avaient perdu leur pouvoir qui, dans certains circonstances,
peut-être
réactualisé. Comment se concentre et
s’autonomise le pouvoir ? A travers un mouvement de dépossession
concentration et d’exclusion isomorphe à celui de la formation de la
valeur.
« Pour qu’il y ait valeur il faut
qu’il y ait dépendance et que c’est une de ses présuppositions
essentielles ». Invariance,
série IV, n°5, p. 11.
Mais qu’est-ce que le
pouvoir, comme s’il s’agissait d’un être effectif, ou d'un objet
hautement
discernable. Exprimé ainsi, cela m’apparaît comme une chimère. En fait
derrière
le mot pouvoir, agissent une cascade, une chaîne, une concaténation,
une
kyrielle, une suite d’hommes, de femmes exerçant une pression
constante, nous
obligeant à aller dans une direction donnée ; agissant pour que
nous ne
perdions pas le sens qu’ils veulent nous imprimer. L’implacabilité du
pouvoir,
actualisé par des hommes et des femmes divers et diverses (c’est la sommation de
leurs
actes de pouvoir qui donne corps au pouvoir ; sans eux, sans
elles, il ne
peut pas exister), découle du mécanisme infernal mis en place
inconsciemment à
partir de la séparation d’avec le reste de la nature, mécanisme nous
obligeant
à nous mouvoir dans la séparation, dans la pression de répression de la
naturalité de tout un chacun.
La répression ainsi que
les
traumatismes (qui peuvent lui être liés) provoque une régression. Je me
demande
si justement le devenir de l’espèce n’a pas été bloqué, et
si elle n’essaie pas de sortir de l’enfermement-blocage.
Les rejouements,
jusqu’à présent, n’ont fait que renforcer la régression, et ceci peut
être le
fondement à la théorie disant que l’évolution n’est pas une progression
mais
une régression.
La permissivité est une
forme de répression qui est une inhibition de la continuité. Or, dans
la
permissivité il n’y a pas continuité mais acceptation de ce qu’induit
la
dynamique ontosique. Il y a refus de mise
en
continuité de peur d’être remis en cause. La non utilisation des
pratiques
immédiates de la répression met l’enfant dans une contradiction et lui
fait
revivre avec force l’ambiguïté, le double-bind.
Il
peut avoir le sentiment d’être floué, mystifié et de ne pas pouvoir
réagir ; ce qui bloque momentanément le déchaînement de violence,
qui est
reporté dans le temps. Ou bien l’enfant deviendra amorphe, comme
anesthésié.
La personne qui réprime
opère à travers une action, même si elle est inconsciente ; elle
apparaît
dominante, autonome. Elle rejoue la répression qu’elle a subie. En
revanche, la
personne permissive opère par réaction : elle apparaît dépendante
de
l’enfant. Elle rejoue la dépendance où elle fut mise.
La répression conduit à la
production
de fixations, de blocages. C’est donc normal qu’hommes et femmes
désirant se
libérer aspirent à une fluidification. Le fait que le capital se trouve
dans
une telle dynamique met bien en évidence sa dimension de recouvrement,
et qu’à
travers lui l’espèce a cherché à se libérer, et qu’elle se présentifie
grâce à
lui, et se représente ainsi, peut-être pour pouvoir justement se
libérer d’une
aporie. Le fait que cette dynamique de fluidification aboutisse à
l’autonomisation du capital met en évidence qu’il ne s’agit pas
seulement de
pouvoir vivre le devenir, le flux de vie, mais d’accéder au mode
« d’être » de l’espèce, à son comportement réel, donc à son
positionnement dans le cosmos. Sinon, également, cela aboutit à exalter
le
mouvement pour le mouvement. L’éternité est mouvement et le désir du
mouvement
pour le mouvement trahit le désir, sous forme ontosée,
d’éternité. Mais celle-ci ne se réduit pas au mouvement. Le désir du
mouvement
en tant que moyen et but enferme ceux qui en sont affectés dans une
modalité de
manifestation, avec perte de toutes les rayonnances.
Ce que l’on appelle
pouvoir, qui est
un pouvoir sur, en tant qu’expression d’une domination donnée et qui
peut se
définir comme l’aptitude à imposer et à contraindre à un mode de vie,
d’être, à
un comportement, dérive en fait du pouvoir en tant qu’aptitude à se
développer,
à s’épanouir dans le monde humano-féminin,
dans la
nature. Et celui-ci est normalement inclus dans la manifestation de la
continuité entre les individualités et
entre celles-ci et la nature. Car cette continuité implique l’empathie,
l’amour. Autrement dit c’est à partir du moment où advient la coupure
de
continuité que s’imposent pouvoir et amour qui, dés lors, peuvent subir
un
mouvement d’autonomisation et un détournement qui, en ce qui concerne
le
pouvoir, s’exprime dans le passage à la forme dérivée que nous avons
mentionnée. La coupure de continuité dérivant de la séparation de
l’espèce
d’avec la nature n’est pas un phénomène brusque, réalisé une fois pour
toutes,
mais un processus insidieux qui se poursuit constamment même si, à de
certaines
époques, il se caractérise par une forte intensité et même si, à notre
époque,
cette séparation apparaît comme réalisée. En conséquence le
détournement du
pouvoir s’est opéré également de façon insidieuse et se trouve
constamment
réactualisé. Il s’est imposé du fait que l’espèce abandonnant un
développement
intégralement naturel, femmes et hommes durent élever leurs enfants,
c’est-à-dire les faire accéder à un mode de vie devenant artificiel par
rapport
à celui en continuité avec le reste de la nature. Autrement dit,
l’espèce dut
produire un autre comportement. Mais pour que cet acte de production
puisse
effectivement se réaliser, il fallut simultanément opérer une
contrainte afin
de faire abandonner la voie de la naturalité et simultanément réprimer
cette
dernière pour qu’elle ne fasse pas obstacle à ce qui peut se percevoir
comme un
détournement ou une greffe, pour éviter qu’il n’y ait de rejet.
À partir de là, je puis
signaler mon
accord avec la théorisation de M. Foucauld : « Il faut cesser
de
toujours décrire les effets du pouvoir en termes négatifs ; il
“exclut”,
il “réprime”, il “refoule” ;, il “censure”, il “abstrait”, il
“masque”, il
“cache”. En fait le pouvoir produit ; il produit du réel, il
produit des
domaines d’objets et des rituels de vérité. L’individu et la
connaissance qu’on
peut en prendre relèvent de cette production9».
À mon avis en même temps
qu’il
produit, le pouvoir réprime parce qu’il ne produit pas à partir de
rien. La
création ex-nihilo est impossible. La
production ne
peut s’effectuer que s’il y a inhibition de ce qui normalement,
spontanément,
tend à se développer ; c’est pourquoi la métaphore
de la greffe peut s’imposer : le pouvoir
se sert du porte-greffe, l’être naturel, pour engendrer un être
domestiqué10, apte à vivre dans une
dynamique hors
nature, dans l’artificiel qui est constamment produit11. La sortie de la nature est
en même
temps une ouverture de possibles pour l’activité créatrice,
productrice,
technique de l’espèce. Mais là aussi cette ouverture ne s’impose pas
d’un seul
coup en se révélant comme telle une fois pour toutes. La révélation se
fait
lentement au cours du devenir de Homo sapiens dans les différentes
aires où il
s’est implanté et a connu des devenirs divers. Des moments particuliers
s’imposèrent où le tout est possible sembla s’imposer et où l’espèce
put croire
qu’elle avait réalisé pleinement sa sortie de la nature et acquis la
sécurité.
Le pouvoir même s’il
s’autonomise ne
peut jamais se séparer de l’élément avec lequel il était intimement uni
lorsque
prévalait la continuité: l’amour. Celui-ci se présente comme l’élément
de
causation qui permet l’effectuation du pouvoir, son exercice. Le
pouvoir exercé
par les parents, et par tous ceux qui en définitive d’une manière ou
d’une
autre rejouent l’acte parental, se fait par amour pour les enfants.
C’est pour
leur bien qu’on leur impose un devenir hors nature, qu’on les
contraint, les
réprime. Négativité et positivité du pouvoir ne sont qu’apparences.
L’advenu
de l’exercice du pouvoir s’impose en même temps que la production et la
répression. La pérennisation de la production est nécessaire en vue de
perfectionner hommes et femmes et les faire accéder à un stade
supérieur
(dynamique de la transcendance et de la verticalité). L’infinité de la
répression, et l’impossibilité de son achèvement, sont les corollaires
de
l’impossibilité d’atteindre la perfection.
Précisons le
phénomène: pour que le pouvoir des parents produise un enfant
domestiqué,
intégrable dans le devenir artificiel, hors nature, il faut donc créer
d’autres
relations, parents-enfants, enfants-enfants,
enfants-nature, ce qui constitue un
détournement de
l’hapto-évolution. Elles ne peuvent devenir
effectives que s’il y a répression de la naturalité de l’enfant, ce qui
lui
cause de grandes souffrances et engendre en lui la dynamique du
refoulement qui
va créer ce qu’on appelle l’inconscient (par transitivité ou pourrait
dire que
le pouvoir crée l’inconscient). Son contenu ne se limite pas au refoulé
mais,
entre autres, de tous les possibles de la naturalité réprimée qui
hantent de
façon plus ou moins continue, de façon plus ou moins obsessive,
l’individu tout
le long de sa vie. La naturalité perdue hante donc et se manifeste dans
un
indéfini troublant, dans la nostalgie et la mélancolie.
L’acte de pouvoir réitéré
produit
également la conscience. Déjà l’affirmation de la dynamique
« c’est pour
ton bien » implique que les parents sont conscients de ce qui est
nécessaire à l’enfant qui, lui, en est absolument inconscient. Pour
pouvoir
exercer au mieux ce pouvoir, la nécessité s’impose donc d’affiner cette
conscience pour être, en quelque sorte, plus performants et causer le
moins de
souffrance possible à l’enfant.
Le pouvoir des parents,
des
dominants, etc., produit, pour que ceux-ci puissent donner aux enfants,
aux
dominés. Dans le premier cas, il s’agit d’amour, de sollicitude, de
soins, de
nourriture. Là s’origine le caractère maléfique du don. L’enfant sent
bien que
ce qui lui est donné est chargé d’une intentionnalité qui n’est pas
dévoilée,
ne serait-ce que parce qu’elle est très souvent inconsciente. Il
perçoit que ce
don opère comme un lien qui va l’attacher à un devenir dont il ne veut
pas,
sans être à même souvent de pouvoir le refuser.
Cette complémentarité
s’impose
également quand nous envisageons les relations humano-féminines
du pôle amour. Le pouvoir s’avère opérer lui aussi dans la relation
amoureuse
ne serait-ce que, dans un premier temps, en tant qu’affirmation de
chaque
élément du couple, dans les particularités de leur individualité,
affirmation
nécessaire pour que la pleine jouissance amoureuse puisse advenir. Mais
ultérieurement, par suite des rejouements,
ce pouvoir
dévie en pouvoir plus ou moins contraignant et l’amour ne se déploie
plus en
tant qu’affirmation d’une continuité momentanément trouvée, mais en
tant que
don afin que l’autre soit en « relation avec ».
L’invisible c’est ce qui
fonde le
devenir de l’espèce depuis qu’elle sort activement du reste de la
nature.
L’invisible c‘est l’insaisissable, l’indiscernable, l’indéfinissable,
c’est la
répression.
La répression a été
d’abord
exercée par la communauté car c’est elle
et non l’individu qui se séparait du reste de la nature. Le sacrifice
d’un
membre de la communauté pour le bien de celle-ci est un acte relevant
de la
répression, qui le plus souvent est une dynamique d’apaisement pour ne
pas être
menacé. C’est une dynamique de purification, opérant par délestage, en
brisant
un attachement, en créant un vide. La répression communautaire a pu
susciter
une opposition de certains membres de la communauté, point de départ
d’un
phénomène de fragilisation de sa cohésion, qui favorisera sa
fragmentation
ultérieure et le surgissement des individus.
Elle s’effectue ensuite,
également,
par l’entremise d’une communauté sur une autre; puis par celle de la
première
forme d’État suivie par la deuxième. Tout ceci relève du devenir de la
spéciose
que nous développerons ailleurs, ainsi
que ses conséquences. Signalons que le moment d’articulation
fondamental est
celui où l’enfant donne le pouvoir (quand il n’est plus du
topos, de la communauté, quand il y a lutte entre les sexes).
E
- La dimension psychique : ontose et
spéciose
Nous devons tenir compte de
l’importance de la répression et du refoulement des émotions dans le
devenir de
l’espèce. Nous avons déjà fait état dans
les sous chapitres précédents de la spéciose-ontose,
nous y revenons pour bien signaler son importance dans le devenir de
Homo
sapiens, ainsi que sur la nécessité de sa dissolution pour accéder à
Homo Gemeinwesen. Je rappelle que ce n’est
pas un phénomène
défini, délimité, s’imposant à un moment donné mais un procès au cours
duquel
elle se constitue ; c’est un phénomène qui est réactivé, et même
amplifié,
à chaque génération, comme cela s’opère de façon isomorphe avec
l’ontose. Ceci
est dû au fait qu’elle est liée à, déterminée par, la sortie du reste
de la nature
qui s’effectue aussi au travers d’un procès. Toutefois elle présente
des
moments de forte saillance, ce qui permet de la repérer.
Tout traumatisme a un effet
à la fois sur ce qui est nommé psyché (psychisme) et sur ce qui est
appelé
corps (somatisme). Il conditionne la spéciose-ontose. Nous ne pouvons pas dire qu’il
faille
faire intervenir la dimension psychique de l’espèce, car ce serait
réducteur; psychisme et somatisme
sont
indissolublement liés.
On peut dire qu’il y a
traumatisme pour l’espèce ou pour l’individu dés que celui-ci ou
celle-là n’est
pas à même d’intégrer l’événement perturbateur, qui va la, le, hanter
pendant
des siècles, pendant des années. Le traumatisme se décèle par le fait
que
l’événement traumatisant n’entraîne pas la mise en place d’un phénomène
de
compensation, ou bien, dans le cas contraire, ce phénomène est
insuffisant. Cet
événement ne relève pas obligatoirement de l’ordre du négatif, de la
destruction, mais également de l’ordre positif par exemple une
découverte, une
invention.
Une invention est parfois le
résultat d’un long procès au cours duquel d’autres inventions furent
réalisées.
Chaque invention ayant pu être l’occasion d’un traumatisme plus ou
moins
important, l’invention finale est porteuse alors d’un traumatisme
important.
C’est le cas de l’invention du zéro tel que cela se présente en
Occident. À mon
avis le début du procès qui aboutit à son individualisation commence
avec la
production du « trou en tant qu’objet technique »12 qui se réalise avec le chas
de l’aiguille
il y a dix sept mille ans. Je dois ajouter qu’il est possible que ce
soit
encore plus ancien parce que les trous effectués dans des coquilles de
mollusques en vue d’y glisser un cordon pour réaliser un collier ou un
bracelet, sont déjà des « trous en tant qu’objets
techniques » dont
certains dateraient de prés de soixante et dix mille ans.
Mais le trou avec ce
qui le délimite peut être abstraïsé,
c’est-à-dire pensé en tant que tel et placé dans
un autre cadre, ce qui explique la formation des couples, chas-aiguille,
mortaise-tenon. Une autre abstraïsation
impliquant une autre dynamique technique aboutit à la roue avec le
couple moyeu-axe. Dés lors on ne peut pas
ne pas supposer, du fait
de la généralité de la relation trou-objet
entrant
(ou sortant) qu’hommes et femmes aient pu poser une analogie avec la
vulve et
la tête émergeante de l’enfant.
Selon moi, par suite d’une
autre série d’abstraïsations on est parvenu
au zéro,
en passant par la roue. Il s’agit au moins de sa représentation, de son
image.
En effet les Mayas qui n’ont pas produit la roue, mais ont inventé le
zéro, ont
paraît-il représenté des dessins de roue.
Le zéro c’est un vide
extrait d’un plein. Il n’est donc pas étonnant que la racine du mot
zéro soit
en sanscrit un mot signifiant à la fois vide et plein et que dans les
mathématiques plus récentes zéro puisse désigner un ensemble vide
lequel peut
se présenter en tant qu’objet mathématique. Le zéro c’est ce qui permet
d’effectuer une multitude d’opérations, en devenant l’opérateur
fondamental
avec l’un, le plein, nombres actualisant tous les nombres.
La dynamique du plein et du
vide où zéro et nul se révèlent avoir une grande opérationnalité en tant que supports importants pour le
déploiement de la spéciose qu’il nous faudra exposer particulièrement
avec Emergence de Homo Gemeinwesen.
J’indique seulement la puissance de
zéro et de nul en tant qu’opérateurs de réduction de la réalité des
hommes et
des femmes13 et donc son intervention
dans le phénomène de répression, dans l’effectuation du pouvoir.
N’oublions pas
que la répression présuppose une culpabilité attribuée à l’enfant ainsi
qu’une
axiologie point de départ du mouvement de la valeur, des valeurs.
L’importance de la spéciose-ontose se manifeste fortement lorsqu’il
est
question des rapports femme, homme, enfant, cette trilogie (fondement
de la
trinité) qui implique, rappelons-le, la communauté. Dans l’introduction
de son
livre L’instinct maternel (p. XIX), que
nous avons précédemment cité, S.B. Hrdy
énonce des questions fondamentales auxquelles on ne
peut répondre que si l’on fait intervenir la spéciose déterminée par la
dynamique de sortie de la nature
1. «Qu’entendons-nous par
“instinct maternel” ? Les femmes l’ont-elles perdu ?
2.
«Si les femmes
aiment
instinctivement leurs propres enfants, comment se fait-il que plusieurs
d’entre
elles dans de nombreuses cultures et au cours de toute l’histoire aient
contribué directement ou indirectement à leur mort, par exemple en
nourrissant
un fils et en laissant une fille souffrir de la faim ? »
3.
«Á la
différence des autres
grands singes, les humains ont été sélectionnés pour produire des
descendants
inermes et dépendants, à un point tel qu’aucune femme cueilleuse –
comme
l’étaient nos ancêtres femmes – ne pouvait espérer l’élever toute
seule. Et
pourtant, alors comme aujourd’hui, l’assistance paternelle était tout
autre que
certaine. Comment une sélection sur les mères afin
qu’elles élèvent des enfants a pu
être fortement au-dessus des
moyens dont elles disposaient ? »
4.
«Étant donné
que
pères et mères partagent avec les enfants la même proportion de gènes,
pourquoi
les pères n’ont-ils pas évolué de façon à être plus attentifs aux
besoins de
leurs propres enfants. Existe-t-il chez les mâles (comme se l’est posé
Darwin)
un “instinct latent” de soin ? Si oui, quand
s’exprime-t-il ? »
5.
«Vis-à-vis du
nouveau-né, les
réactions paternelles vont du soin à l’indifférence. Mais alors comme
se
fait-il que presque tous les hommes s’intéressent tant aux vicissitudes
reproductrices des femmes ? »
6.
«Enfin, quelle
est la substance
des besoins infantiles. Pourquoi ces petites créatures ont-elles évolué
pour
être potelées, captivantes et absolument adorables ? »
On ne peut pas dire que
les femmes aient perdu l’instinct maternel sinon dans certains cas où
l’ontose de
la femme peut transcroître-transparaître
en folie;
mais on peut affirmer que le devenir social tend à l’inhiber et,
actuellement,
à le rendre inutilisable du fait de la prise en charge par la société
de
diverses opérations relevant d’un maternage non limité à quelques mois.
Enfin,
la tendance à parachever la sortie de la nature opère de telle sorte
que la
maternité tend à être éliminée (dynamique entrant dans la libération de
la
femme). Cela est gros d’un traumatisme à venir et l’on n’a pas envisagé
le vide
en la femme qu’instaurera l’absence de gestation et de parturition.
En rapport à la deuxième
question on pourrait dire, avec d’autres questions, comment se fait-il
que les
hommes tuent leurs semblables ? Ont-ils perdu l’instinct de vie
qui induit
à ne pas tuer un homme, une femme ?
Avant d’envisager la
question 3,
j’aimerais faire remarquer que les questions posées impliquent que S.
B. Hrdy accepte la réalité sociale
actuelle comme une donnée
qui serait quasi naturelle et dont il faudrait chercher la raison en
recourant
à une étude paléoanthropologique, où elle essaie de percevoir ce qui
est
naturel et ce qui est culturel. Cependant celui-ci n’est pas réellement
perçu
comme étant en discontinuité avec celui-là. Ainsi sa perception du
comportement
des hommes actuels conditionne totalement la représentation qu’elle
peut se
faire du comportement qu’ils eurent il y a des millénaires lorsque
existait la
communauté. A cette époque-là l’assistance des hommes était
obligatoirement
effective.
L’analyse détaillée du
texte reproduit permettrait de bien mettre en évidence que la spéciose
n’a pu
se développer qu’à partir de données naturelles qui furent détournées.
Pour ce
qui concerne notre objectif actuel (signaler l’importance de la
spéciose), les
quelques remarques précédentes suffisent. Dans une étude sur la
condition des enfants
tout ceci pourra être repris car, au niveau de l’haptoévolution,
ceux-ci jouent un rôle déterminant, comme ils le jouent à l’heure
actuelle où
il y a tendance à dissoudre ce à quoi elle avait abouti.
La spéciose joue un rôle
inhibiteur, un rôle de frein, de verrou ; elle opère un blocage
dans le
devenir des hommes et des femmes. De nos jours dans toute l’aire où le
mode de
production capitaliste s’est implanté, il serait possible de donner à
chacun, à
chacune, un quantum de capital leur
permettant d’assurer
leur procès de vie au sein de cette société-communauté.
Autrement dit le problème de la misère, de l’exclusion, de la
dépendance
seraient éliminés et les promesses affirmées, particulièrement lors du
passage
à l’automation, auraient pu être tenues. De telle sorte qu’on ne peut
pas
simplement taxer de visionnaires divagants ceux qui les firent.
Seulement ils
raisonnaient, comme avant eux les révolutionnaires marxistes ou même
anarchistes, sans tenir compte de la spéciose. Car faire en sorte que
tout le
monde sorte de la dépendance va à l’encontre de ce phénomène qui
implique au
contraire un renforcement continuel de celle-ci, d’où la permanence du
phénomène qui rend une foule d’hommes et de femmes superflus, les
plaçant en
déréliction; impliquant l’existence toujours renforcée de différences
énormes
sur le plan social et économique entre divers groupements humains
entretenant
une hiérarchisation fondée sur le capital, et sur l’information. Cela
implique
qu’il y ait une remise en cause de toutes les mesures qui pouvaient
améliorer
les conditions de vie des plus pauvres (disparition de l’Etat
providence). En
même temps l’espèce – du fait en particulier de l’accroissement énorme
de la
population – devient encore plus dépendante tant du procès de
production
matériel et immatériel qu’elle a mis en place, que de la nature. Par là
elle
rejoue la menace du risque d’extinction ce qui conduit hommes et femmes
en
déréliction à chercher une issue dans la surnature.
En analysant les
événements historiques des deux derniers siècles on peut constater
qu’il y eut
une phase progressiste qui n’excluait pas l’exploitation des ouvriers,
des
paysans. Une amélioration des conditions de vie fut réalisée14. Autrement dit, on peut
penser qu’au
tournant du XIX° au XX° siècle il s’est présenté un moment favorable,
un kairos, et qu’on n’a pas su l’utiliser.
C’est ce qui a
contribué à donner à la guerre de 14-18 une dimension catastrophique
exceptionnelle. Elle fut le rejouement
d’une
catastrophe avec la dimension du risque
d’extinction, ce qui remit hommes et femmes en déréliction.
Le cycle des catastrophes
ne peut être aboli que si l’espèce devient pleinement consciente de sa
spéciose, à travers une dynamique d’abandon de ce monde et de ses
présuppositions, bases à partir desquelles peut s’effectuer sa
dissolution.
F.
Compléments
L’étude des langues, celle
de leur origine (en n’excluant pas le possible d’une origine unique
pour
toutes, suivie d’une évolution particularisée), revêt une importance
considérable pour comprendre le devenir de Homo sapiens et comment la
spéciose
a opéré. En ce qui concerne le domaine de l’Asirope
qui est le centre de notre réflexion relative au surgissement du
phénomène
capital, les travaux de G. Semerano au
sujet d’une
origine sumérienne, akkadienne, ou de toute autre langue de la
Mésopotamie, et
non d’une origine indoeuropéenne, pour les mots relevant des
diverses
langues dites indoeuropéennes, présente un très grand intérêt. D’une
part parce
qu’ils permettent de remonter plus loin dans le temps, et d’autre part
parce
qu’ils aident à mettre en évidence des escamotages importants. J’en
donnerai
pour preuves l’étymologie des verbes avoir et être, d’une part et celle
de sexe
puis de l’infini, d’autre part.
« Les formes qui
laissèrent supposer la racine *es-,
*s-,comme
le sanscrit asmi,
le lithuanien esmi,
l’antique slave jesmi,
et de même le grec ¢stfi (existe), le
latin est, nous reconduisent en
réalité à l’antique langue qui est notre constant cadre de référence,
l’accadien isû(m)
(avoir), passé à la fonction de
copule « est » dans les textes de El-Amarna.
Mais la valeur
originelle nous est connue, c’est « avoir » : une telle
signification éclaire ce que la pensée grecque antique a acquis par sa
recherche chez qui, comme ce fut ingénieusement vu, par exemple, pour
les présophistes, l’attribut de la
substance n’est pas encore
concevable ; les concepts de qualité et de quantité apparaissent
relativement tard ; il n’existe pas de propriétés ou de pouvoirs
distincts
des substances. Le chaud, le froid ne sont pas à l’origine propriété
des
objets, mais ce qui est conçu ce sont les entités correspondantes, le
feu,
l’eau, etc. De ce fait à « le feu est chaud », correspond
dans la
pensée antique, « le feu a ou possède
la chaleur ». Les hiéroglyphes ignorent l’usage de notre
« être »
et de note « avoir ».
Ainsi se
clarifie que la fonction verbale de « être », du grec eÂuai,
¶muai, de
¢sti (existe)
commence à prendre forme chez les antiques langues sémites. L’hébreu
enregistre
un mot riche de contenus vitaux : tel est jes (esistenza,
sostanza, « existence »,
« substance »). La formation de ˆuta , ¢Ùuta, pluriel de ˆu avec valeur
originelle existencielle, se développe à
partir de la
racine *es- (être), ¢sti
« existe »,
avec un suffixe –nt- au
sens de
« pertinent à », « relatif à » qui est la
signification de
l’akkadien natû
(pertinent), l’être (l’ente)
« est » ce qui est pertinent à l’être qui a
domination ». »
« La
dichotomie de
« être » « avoir » a donc des origines lointaines
et se
fonde sur deux aspects chronologiquement distincts : les ¢Òuta d’Homère,
d’Hésiode, par exemple, rappellent la
copule des textes de El Amarna, tandis que les ˜uta d’Anaximandre,
les ¢Òuta, les êtres, l’ eÙu de Parménide
qui comprend
et porte en lui tous les êtres dans son éternité, “ Être
absolu ”
immobile, négation du néant, dérivent de la racine potentielle de
l’akkadien isû
(avoir),avec
la valeur sémantique du sanscrit isé,iste (possède, “is
master of”)15.
Nous pouvons
bien en déduire qu’il y eut une phase historique où être et avoir
n’existaient
pas ; quand, donc, hommes et femmes se percevaient non séparés de
ce avec
quoi ils opéraient et leur permettaient d’accomplir leur procès de vie.
Puis la
séparation s’est imposée. Au départ, le verbe signifiant avoir dénote
en
quelque sorte la totalité de ce à quoi on participait, et être ce qui
en est
séparé, tandis qu’en tant que copule il permet de rétablir la
continuité. La
copule sert d’articulation. D’une certaine façon, elle permet
d’indiquer ce qui
a été acquis ; par là « être » a une fonction
distributive.
Provenant de l’avoir il signifie l’identification de ce qui est possédé
au
possesseur ; par là il signifie aussi la possession. L’avoir
pouvait
représenter la substance, et l’existence peut se percevoir comme ce qui sort de la substance, naît.
Avec le
développement de la fonciarisation, puis
du mouvement
de la valeur dans sa dynamique horizontale, celui qui possède existe
effectivement ; celui qui ne possède pas, non seulement est
dépendant
(déréliction), mais n’est pas considéré comme faisant partie des
hommes, des
femmes. Il se trouve hors société fondée sur un avoir approprié. En
outre celui
qui possède peut faire exister, comme cela se révèle fort bien avec le
mouvement de la valeur dans sa dynamique verticale. Plus le chef - puis
un « souverain »
quelconque - possède de biens, plus il peut attribuer de l’existant en même temps que de la valeur, parce que
l’unité supérieure s’approprie au travers des choses, l’existence des
hommes et
des femmes.
Dit autrement,
un homme peut accéder au niveau de dominant grâce à l’avoir et non à
l’être. Il
n’est que parce qu’il possède, parce qu’il a.
La prééminence
accordée à "être" par rapport à "avoir"
dérive du fait qu’avec l’être il ne peut plus y avoir de partage, donc
de
réduction, puisqu’il dérive en quelque sorte d’une certaine partition
de
l’avoir, de ce qui pouvait être en partage. Ensuite l’être, grâce à son
activité « copulatrice », peut restaurer le tout dont il
provient. Du
moins c’est à ce délire que conduit la dynamique qui vise à l’unité-globalité, à la fusion, à ne faire qu’UN.
Le discours
ontologique implique une exaltation de la séparation compensée par
celle de
totalisation unitaire. "Être" a un rôle de négation d’un phantasme,
support d’une intense menace, formé au cours du procès de réduction,
espèce d’anéantisation : le néant que
l’espèce a hissé
également au rang d’opérateur de connaissance.
La dépréciation
de l’avoir par rapport à l’être recèle en elle toute la culpabilité des
hommes
et des femmes en rapport au phénomène de séparation-dépossesssion.
La conception séparatiste
visant plus
ou moins consciemment à l’exaltation de la séparation de la
discontinuité opère
à tous les niveaux, ainsi en ce qui concerne les relations entre hommes
et
femmes. Et j’ajoute que le processus de vie dans la dynamique que vise
cette
conception consiste en un immense travail pour surmonter les
discontinuités. G.
Semerano rejette l’étymologie
indoeuropéenne faisant
dériver sexus de secare
couper et affirme qu’on doit le mettre en relation avec un mot très
ancien
ayant la signification de « chercher avec les yeux » dont on
trouve
traces dans diverses langues, comme en allemand avec suchen signifiant
chercher. En outre son analyse est pour ainsi dire
complétée par celle qu’il fait en ce qui concerne ·merow. « A l’ origine
·merow est le désir
qui naît en
regardant l’objet aimé, avec toute l’intensité de la vision. Le mot est
de la
même souche que êmar,
âmar
(jour) quand la lumière allume les pupilles : correspond à
l’akkadien imru
(désir, vagheggiamento,
contemplation, vision), substantif du verbe amàru (voir, connaître une
femme) »16.
Être
sexué implique
l’aptitude à voir l’autre dans sa diversité et possibilité de
"l’allumage" du désir qui permettra la réalisation de l’union et,
au-delà, la transmission de la vie.
L’importance
de la vision
dans le procès de la sexualité, et plus généralement dans un procès de
positionnement, est déterminante chez les primates. Dans le cas des
enfants de
Homo sapiens la curiosité au sujet des organes sexuels et donc du désir
de les
voir participe de la nécessité de se positionner en s’appréhendant et en appréhendant l’autre dans la diversité.
Ce n’est pas l’acte sexuel qui préoccupe mais la diversité des sexes
comme cela
s’impose de façon perverse avec le voyeurisme.
L’étymologie
indoeuropéenne correspond à une réalité ultérieure quand la séparation
entre
les sexes est advenue avec la lutte entre les hommes et les femmes. Le
rôle des
indoeuropéens a peut-être été déterminant dans le déploiement de
celle-ci.
À l’heure
actuelle la
séparation est incluse dans la vision et (l’efficacité de l’œil est
caractérisée en partie par son pouvoir séparateur) de telle sorte qu’on
ne
regarde plus, mais on sépare.
En ce qui concerne l’
étymologie de apeiron qui est normalement traduit par infini, G. Semerano
en donne une qui ne se réfère pas à l’indo-européen, mais à des langues
sémitiques (sumérien, armoréen,
araméen,
etc..). Ainsi il dit que cela dérive du sémitique « ’apar
= poudre, terre, de l’akkadique eperu »
et il le confronte au biblique ‘afar17.
Apeiron est le concept émis par
Anaximandre. Il
désignait un élément fondamental à partir de quoi tout dérivait, comme
l’eau
pour Thalès. Il semblerait d’ailleurs que cet apeiron
serait ce qui reste quand l’eau s’est retirée. Ceci est très important
si on
n’oublie pas que le topos est la
Mésopotamie où la mer
s’est retirée. Ce serait la terre poudreuse. La terre une totalité
formée d’une
infinité de particules, support du concept d’infini. Dans une certaine
mesure
le concept d’infini implique une totalité susceptible de se présenter
sous
forme de la multiplicité. Donc ce concept d’infini implique la totalité
et la
multiplicité, obtenue par une fragmentation, division, pas un processus
de
séparation. C’est un concept qui dit quelque chose d’important de la spéciose-ontose Il désignait ce à partir de quoi
tout
pouvait être engendré, produit, conçu. Il s’agit d’un élément qui, en
tant que
totalité peut fonder la substance et qui, en tant que multiplicité,
peut
signifier les diverses formes, modalités de cette substance. Autrement
dit apeiron se réfère à une substance et
non à un mode d’être
comme est posé l’infini d’Aristote. Toutefois on comprend que la
dimension de
multiplicité ait pu fonder le concept d’infini et qu’Aristote ait pu se
référer
à Anaximandre en le réfutant. J’ai la sensation que ce qui se pose
originellement c’est l’union de la substance et de l’être et que
l’interrogation essentielle est: d’où je viens (essence), à partir de
quoi
(substance) ? L’être est inclus dans les deux, l’individu n’étant
pas
encore sur le mode du séparé, bien qu’il ait subi cela. Le passage du
concept
d’Anaximandre à celui d’Aristote implique une discontinuité et témoigne
de la
séparation vis-à-vis de l’origine mésopotamienne. Anaximandre avait encore un contact avec la civilisation
mésopotamienne, ce qui n’était plus le cas avec Aristote. Chez lui le
concept
d’apeiron apparaît aberrant, mais il lui
sert de
support pour dire autre chose que ce que visait Anaximandre.
La substance, pouvant être
une
expression de l’avoir et de la volonté que la substance soit sujet,
relève donc de l’être, et serait en relation avec le désir de retrouver
la
participation.
J’ajoute que
la langue
véhicule non seulement une connaissance au sujet des hommes et des
femmes, au
sujet de leur monde, de la nature, du cosmos, mais aussi la souffrance
liée au
procès de vie tel qu’ils l’éprouvent, tels qu’ils l’exécutent, surtout
inconsciemment. Cette souffrance non clairement dite au travers de
l’exposé
d’un ressenti, sert en fait à produire des opérateurs de connaissance
qui en
définitive brouillent l’exposé des données cognitives proprement dites.
Ce
n’est pas une dynamique limitée à une période historique ancienne, car
cela se
poursuit encore de nos jours, de façon plus voilée, secrète ou
mystifiée.
« La
signification
existentielle de « être », des ˜uta d’Anaximandre,
c’est-à-dire des entités qui possèdent la vie et sont
passibles de la sanction de la
justice qui les jugera pour leurs fautes d’iniquité, renvoie à l’être
existentiel
de to be,
dans le troisième monologue de Hamlet où “to be
or
not to be” est “vivre ou ne plus vivre”18.
Ainsi la
justice, Dike dérive de
la souffrance d’avoir subi l’iniquité,
une spoliation, et s’impose comme opérateur de réparation, de
rétablissement
d’une harmonie. Mais cela ne remet pas en cause le processus spéciosique car : « Et Dfikh, chez
Anaximandre, comme
chez Héraclite, conserve la valeur du sumérien di-ku5-gal
(juge suprème),
babylonien diqugallu »19.
L’idée d’infinité ayant pour support la poussière a pu servir aussi bien dans un sens d’épanouissement, et de réalisation d’un désir : « Ta descendance deviendra nombreuse comme la poussière du sol… » (Genèse 28-14)20, que pour indiquer la réduction, l’insignifiant, le peu d’importance de l ‘homme, quand il est dit qu’il est poussière et retournera à la poussière (Genèse). C’est en fait une « déformation » de l’assertion de Xénophane : « Tout naît de la terre et tout finit à la terre ».[21 Dans la formule biblique se loge un non explicitation grosse de confusion: homme tu n’es qu’un grain de la poussière dont tu proviens et à laquelle tu retourneras.
*
* *
Dans son livre La
rivoluzione dimenticata
(La
révolution oubliée)[22, Lucio
Russo défend la thèse selon
laquelle une science comparable à celle qui s’est développée en
Occident à
partir de la Renaissance, a existé durant la période hellénistique (de
–323,
mort d’Alexandre de Macédoine, à -144
environ). Pour
expliciter l’importance considérable qu’il convient, à mon avis,
d‘accorder à ce
livre, je vais préciser comment je puis définir la science, et énoncer
les
conditions de son surgissement. Ce qui n’élimine pas
la nécessité, ultérieure, d’exposer de
façon la plus fidèle possible la thèse de L. Russo
en
rapport à diverses approches théoriques de la science et de la
révolution, du
fait même que dés le titre – qui recèle un non dit : la science –
ces deux
approches sont mises en relation.
La science s’impose comme
une autre dynamique de vie et pas simplement comme un autre mode de
connaître.
Ceci explique son caractère expansionniste, c’est-à-dire sa tendance à
envahir
tous les champs de l’activité humaine.
Elle surgit quand dans la
société occidentale tend à s’imposer une évanescence de la puissance de
la
surnature en rapport en particulier avec l’anthropomorphose du travail
et la
naissance de l’humanisme et que donc hommes et femmes tendent à placer
le point
d’appui de leur développement non plus dans la surnature, mais dans la
nature
et le monde humain. Elle implique donc dés le départ
(de façon potentielle) un autre comportement
de l’espèce pour résoudre son procès de vie, donc ses relations avec la
nature,
avec le cosmos, puis au sein des relations en son propre monde. Cela
implique
une autre orientation du procès de connaissance, et de le faire
fonctionner
autrement.
Comme je l’ai dit, l’espèce
place son point d’appui certes dans la nature, mais dans une nature
dont elle
se sépare de plus en plus, comme elle se détache de sa naturalité[23. D’où un rejouement :
l’espèce se séparant du reste de la
nature place dans celle-ci le point d’appui de son développement
cognitif et
pratique, comme jadis dans l’inchoation de
sa
séparation, elle le plaça dans une surnature. Et elle va, ensuite,
encore
rejouer dans la mesure où hommes et femmes, d’abord en Occident,
pensèrent
pouvoir grâce à la science, se rendre « maîtres et
possesseurs » de
la nature ; donc devenir l’entité qui domine.
Elle se présente comme
l’union d’une épistémé[24 et
d’une pratique. L’épistémé s’était édifiée
avec les
mathématiques ainsi que la logique, et donc avec un certain lien avec
la
philosophie. Quant à la pratique, l’expérimentation, elle est liée aux arts en général, c’est-à-dire à un art
comme la peinture, par exemple, et aux arts mécaniques, ainsi qu’avec
l’émergence
d’un nouveau type d’homme, l’ingénieur, qui est une manifestation de
l’anthropomorphose du travail qui implique que c’est à travers le
travail, à
travers la capacité à utiliser des techniques en recourant à un savoir
théorique, que l’homme s’affirme.
Dans la genèse de la
science on a vu
qu’intervinrent la volonté de récupérer des capacités perdues, celle de
se
passer des femmes (David F.Noble), mais
aussi la
volonté de sortir de l’incertitude (ou mieux de fonder une
certitude : on
expérimente parce qu’on doute !), celle d’échapper aux données ontosiques (les charges affectives) d’échapper à
la
domination de la surnature (rejet de divinités, de qualités occultes,
de dieu,
etc.) et de parvenir au réel ; une volonté de sortir d’un blocage
et donc
d’entreprendre (isomorphie entre expérience et entreprise, ce qui
souligne
celle entre fondation de la science et fondation du capital ; la
force de
travail pouvant être comparée à la force de l’expérimentation)), de
décider, de
trancher (le savant comme l’entrepreneur, puis le manager, est un
décideur),
d’innover , de montrer qu’on est élu en quelque sorte, sauvé (ce
qui fait
une confusion dans la genèse qu’on peut percevoir en analysant le
rapport entre
science et catholicisme, et science et protestantisme), une volonté de
démontrer la supériorité du christianisme sur toutes les autres
religions
(surtout l’Islam), enfin une volonté de libération (marxistes,
anarchistes,
etc..). Dans ce dernier cas, la science apparaît bien comme la conduite
(le
comportement) nouvelle de l’espèce, ce qui avait été préparé par les
bourgeois
comme, par exemple, J. Locke affirmant sa volonté d’utiliser la méthode
newtonienne en politique.
En définitive, on ne peut
pas séparer
le surgissement de la science de celui du capital, et l’on comprend que
celui-ci soit parvenu assez tôt à englober celle-là.
Comme il ne m’est pas
possible
d’aborder en détail toutes les questions que soulève la thèse de Lucio Russo au
sujet de la
révolution oubliée, je me contenterai de signaler les points qui
devront être
abordés dans le chapitre sur le capital : ce qu’est la science et la parenté des deux « sciences ».
Pour ce second point il nous fournit un argumentaire extrêmement
solide.
Ensuite s’imposera une étude des similitudes du développement social
entre la
période hellénistique et la période de développement du capitalisme en
Europe
et aux Etats-Unis. Là encore L. Russo
donne de
solides indications. Mais nous voudrions insister sur la dissolution de
la
polis et la formation de nouvelles villes et, surtout, sur le phénomène
d’autonomisation de la valeur et sur les raisons de son enraiement.
Très
importante semble également l’analyse de l’évolution des rapports entre
les
sexes durant la période hellénistique.
Ainsi un grand nombre
d’affirmations
importantes qui viennent saper des savoirs établis devra être analysé,
comme
celle concernant la connaissance du zéro par les grecs qui leur
viendrait des
mésopotamiens, ou l’absence de continuité entre la civilisation grecque
et la
civilisation romaine, absence de continuité due particulièrement à
l’existence
de la période hellénistique. Toutefois je me limiterai à une
affirmation
contestable mais qui peut cacher une donnée essentielle. L. Russo parle souvent
de refoulement au sujet de la
science héllénistique[25.
Mais
le refoulement étant un processus inconscient ne peut être détecté qu’à
partir
de remontées du refoulé. Une de celles-ci, à laquelle il se réfère
d’ailleurs,
correspondrait à ce qui s’impose lors de la Renaissance, qui serait
renaissance
de la science. Cependant on ne peut pas se limiter à cela. Au XII°
siècle, on
eut un phénomène similaire bien que de moins grande ampleur. D’autre
part la
floraison de connaissances de type scientifique dans l’aire musulmane
dés une
époque antérieure, leur persistance en Perse, en Inde après la fin de
l’époque
hellénistique indiquent qu’il y a eu escamotage, occultation de ces
connaissances en Occident mais non refoulement. Mais ce qui a pu être
effectivement refoulé serait une dimension de la naturalité, l’aptitude
des
hommes et des femmes à connaître ce qui
les environne de prés comme de loin, et à se comporter en fonction de
cela sans
recourir à des entités surnaturelles.
Le devenir même de la science peut fournir un argument en faveur de cette hypothèse. L.Russo explique que dés la période hellénistique la science a été envahie et récupérée par divers propagateurs de conceptions irrationnelles, en rapport à l’occultisme, au spiritualisme, et affirme que l’astrologie et la chimie tirent leur origine des connaissances scientifiques d’alors et, enfin, signale un phénomène similaire opérant à notre époque. Mais selon moi, on doit ajouter à cela le fait que la « science » est de plus en plus remplacée par la « recherche ». Autrement dit, ce qui resterait de la première c’est une quête, déjà initiée il y a plus de deux mille ans : la quête de la naturalité de l’espèce.
* * *
Depuis 1990, de nombreuses
espèces de Homo ont été découvertes en divers lieux du globe. Si elles
apportent des précisions sur le devenir de Homo Gemeinwesen,
elles ne remettent pas en cause le schéma évolutif que nous avons
adopté. Elles
permettent de relativiser la théorie de Y. Coppens faisant dépendre
l’acquisition de la station verticale (il parle de bipédie) de la
régression de
la forêt en rapport avec l’installation du Rift africain. Une telle
conception
consiste à faire dépendre totalement du milieu le devenir des êtres
vivants. Or
l’acquisition de la station verticale qui a permis le déploiement de la
préhension est une nécessité interne au sein du phénomène vie, dans la
classe
des vertébrés. La « volonté » des êtres vivants, comme nous
l’avons
affirmé, intervient dans la réalisation d’une telle capacité.
On a trouvé un grand nombre
de sites où l’activité esthétique de Homo sapiens s’est également puissamment réalisée.
Les études au sujet de cette activité présentent un grand intérêt. Je
citerai
particulièrement Les chamanes de la
préhistoire – Transe et magie dans
les grottes ornées de Jean Clottes
et David Lewis-Williams, Ed Seuil, Paris,
1996. La
thèse est intéressante et peut constituer une contribution à une
investigation
sur comment l’espèce a pu se représenter sa sortie de la nature et le
retentissement que cela induisit sur elle dans sa relation aux autres
êtres
vivants.
La révélation en 2001-2002,
dans le sud-est de l’Iran, province de Kerman,
région
de Jiroft, d’une civilisation vieille de
plus de
5.000 ans, comme l’indique Pierre Barthélémy
dans le Monde du 03
octobre 2003, est très importante. Elle
nous signale que le phénomène qui eut lieu en Mésopotamie tendait à se
réaliser
dans une zone bien plus vaste. Peut-être trouvera-t-on ultérieurement
des
régions où ceci s’est également produit. Car il semble vraisemblable
qu’il y a
eu synergie d’évolution dans toute l’aire qui couvre l’Iran et l’Irak
actuels
avec des liens importants, d’une part avec la Turquie et, via la Syrie,
la
Palestine, avec l’Egypte, d’autre part avec l’Inde.
Certaines découvertes en
biologie ont une grande importance parce qu’elles remettent en cause
des dogmes
dont les fondements psychiques ne sont pas très clairs. Ainsi la mise
en
évidence de cellules souches chez les mammifères et donc chez Homo
sapiens.
Qu’est-ce qui empêchait d’admettre leur existence possible,
puisqu’elles
accomplissent une fonction déterminante dans le procès de vie ? De
même en
ce qui concerne la capacité des neurones
à se multiplier qui m’a toujours semblée une évidence niée. En revanche
la
découverte de l’interférence de l’ARN vient directement remettre en
cause la
théorie officielle de l’hérédité qui nie la transmission des caractères
acquis.
On aborde à son sujet des applications médicales, mais on escamote le
rôle que
l’ARN « interférentiel » a obligatoirement dans la
modification des
caractères et donc sur la permanence de ceux-ci puisqu’il opère sur
l’ADN
(possibilité de neutraliser, d’ "éteindre", ou de "mettre en sommeil "des gènes, selon Le Monde du
13 août 2002).
Toutes les spéculations au
sujet de la mise en évidence de l’évanescence du chromosome Y chez Homo
sapiens, relèvent surtout de la sphère de l’idéologie, des phantasmes
et des
peurs. À l’heure actuelle, où le patriarcat a disparu, les faiblesses
du
chromosome Y et la possibilité de sa perte permettent d’expliquer la
disparition de celui-ci, et de donner une explication à la faiblesse de
l’homme, contemporaine à celle de dieu. Tout ceci relève de
l’intrication de la
connaissance et de la spéciose comme cela apparaît également dans la
théorisation au sujet de la prédominance d’un hémisphère cérébral sur
l’autre,
présentée comme donnée naturelle et absolument nécessaire, alors
qu’elle n’est
que parce qu’existe la répression. Celle-ci nécessite une
hiérarchisation
(réprimer c’est hiérarchiser) et un point d’appui extérieur (le plus
élevé de
la hiérarchie) que les « cerveaux » des hommes, des femmes
placent
dans une surnature.
G - Précisions
La perte progressive de
la participation et de l’immédiateté a conduit Homo sapiens à
rechercher des
repères, à se situer, à savoir d’où il vient et ce qu’il est. Pour cela
il a eu
recours aux deux concepts clés de la représentation: l’espace et le
temps, comme l’expose fort bien André Leroi-Gourhan pour qui cela
s’impose
comme données intangibles de l’espèce.
« L’homme
ne peut s’imaginer que par rapport au temps et à l’espace : la
paléontologie
et la cosmologie sont beaucoup plus que des sciences, ce sont les
aliments
d’une prise de conscience et le relais de la mythologie ».
« Cela
posé, il reste que la science du passé des
êtres est, dans sa fonction, une mythologie puisqu’elle se substitue à
des
systèmes d’explication de l’origine des êtres qui dans toutes les
civilisations
ont répondu au besoin de savoir qui on est et comment on existe ».
« Toutes
les sciences du “Qui suis-je ?
Où suis-je” ont donc réellement le même rôle essentiel à jouer que la
mythologie »[26]
En fait c’est la
recherche inconsciente de la discontinuité pour retrouver la continuité
qui
fonde Homo sapiens. Or celle-ci résulte d’un long processus très
souvent
insidieux. Aussi la recherche de l’origine consiste à essayer de
« transporter » le résultat à un moment précis, initial,
fondateur.
La recherche de
l’origine, des origines, est lestée de confusion – tout en étant en
même temps
une tentative d’en sortir – comme on peut s’en rendre compte en lisant
l’Introduction d’un livre récent Aux
origines de l’humanité: «Cet
ouvrage consacré aux origines de l’homme
s’inscrit dans le cadre de l’histoire de la vie. Mais
qu’entend-on par
“origines”? Il s’agit des différentes étapes d’une longue série
d’événements contingents étalés sur plusieurs milliers d’années. Car,
avant
l’origine de l’homme moderne, il y a l’origine du genre humain ;
auparavant, l’origine de la lignée humaine quand elle se sépare de
celle des
chimpanzés et, plus tôt encore, celle des singes et des primates, etc.»
Ainsi il n’y a plus une
origine mais des origines et chacune serait un événement contingent.
Comment
peut-il y avoir continuité entre chacune d’elles ? Relève-t-elle
aussi du
hasard ? D’autre part, il y a remplacement de l’Homme (Homo
sapiens), un
être déterminé, par une qualité, l’humanité, qui fut hissée à la
hauteur d’une
entité. Elle n’est pas réservée à « l’homme moderne » ;
elle
préexiste longtemps avant qu’il ne peuple la terre.
Chercher l’origine
n’implique pas seulement de repérer, à un moment donné de l’évolution
des êtres
vivants, la manifestation d’un être qu’on puisse appeler
Homme, mais à mettre en évidence, en
même temps, ce qui le distingue des autres animaux, particulièrement en
qui
concerne les primates qui nous sont les plus proches, donc le principe
qui le
fonde, et à inventorier les causes qui instaurent celui-ci, même si
elles
relèvent du hasard. L’investigation au sujet de l’origine ne s’épuise
pas avec
la mise en évidence d’un commencement. Rechercher « le propre de
l’homme », manifeste le désir de sortir de la confusion, de ne pas
être
confondu avec l’animal. Cette recherche très envahissante traduit bien
la
spéciose dans sa dimension de l’incertitude, de l’incapacité à se
situer
réellement dans tout le procès de vie. Le second volume de Aux
origines de
l’humanité est consacré à ce thème. Ce qui ressort des études qu’il
renferme c’est qu’il n’y aurait rien de spécifiquement humain en dehors
de
« la conscience de soi » et de la « spiritualité »,
ce qui
rencontre les diverses croyances des hommes et des femmes et, ce,
depuis
longtemps. Cependant s’impose également une affirmation complémentaire
à celle
de Pic de la Mirandole qui considérait l’Homme comme le miroir de
toutes les
créatures; elle implique la présence de qualités humaines en
chacune de
celles-ci, car c’est ce à quoi aboutit l’investigation opérée par les
auteurs
de ce livre.
Pour se
fonder les êtres ontosés recourent à
l’exclusion.
Ainsi ils excluent du champ de développement de la préhension, de la
station et
locomotion verticales, de la pensée, tous les êtres vivants à
l’exception de
l’Homme[27] . Mais toutes ces
réalisations
évolutives s’imposent comme une nécessité au sein du procès de vie et
ne
concernent pas uniquement le phylum Homo. En conséquence, tôt ou tard,
diverses
découvertes imposent, comme on l’a vu précédemment, une remise en cause
de
cette dynamique de l’exclusion, qui s’exprime aussi par la vogue du
thème de la
coévolution. Or, celle-ci est une évidence
et n’opère
pas seulement entre deux espèces, ni même entre un groupe de celles-ci.
C’est
l’ensemble du monde vivant, de la biosphère, qui coévolue,
et on peut ajouter que cette coévolution
est en
connexion avec le devenir de la planète qui l’affecte, de même que
celle-ci est
affectée par l’activité de la biosphère. Tout être vivant vit, en
général,
parmi d’autres êtres vivants qui forment son milieu, et la relation de
dépendance entre les deux est réciproque même si elle n’est pas
symétrique.
Cependant l’environnement est constitué aussi de substances non
vivantes
organiques, comme l’air et l’eau. Ce sont tous les éléments du milieu
qui
peuvent avoir une action sélective, mais on ne peut pas oublier que
l’être
vivant, comme cela a été affirmé par d’autres, tend, également, à
sélectionner
son milieu ; ce qui signale, selon moi, l’importance de
l’intervention de
sa volonté consciente et inconsciente dans le procès de l’évolution.
Le concept d’émergence
qui tend, dans certains cas, à remplacer celui d’origine inclut les
notions
d’imprévu, d’imprévisibilité, en rapport d’ailleurs avec l’instauration
d’une
discontinuité. Il se présente comme un support pour dire le trouble
qu’induit
en l’homme, la femme, l’affirmation d’une spontanéité, vécue en général
comme
une remise en cause.
Pour moi l’émergence est
en rapport avec l’idée d’émersion, de surgissement, plus ou moins
continu,
comme par exemple dans le cas d’une chaîne de montagnes. L’émergence
c’est le
procès par lequel du sein d’un continuum donné apparaissent, au bout
d’une
période qui peut-être très longue, des formes nouvelles de vie qui ne
sont pas
obligatoirement en discontinuité totale par rapport à celles dont elles
ont
émergé. Etudier l’émergence d’Homo sapiens, puis de Homo Gemeinwesen,
implique d’accepter et d’être à même d’intégrer les données spontanées
qui se
sont manifestées au cours de leur développement[28] C’est de l’exposé de ce qu’est
« le
propre de l’homme » qu’émerge puissamment la confusion. Je désire
le
montrer à partir de quatre phénomènes considérés par la grande majorité
comme
caractérisant l’espèce : la juvénilisation ramenée souvent à la
néoténie,
la prématuration, la non spécialisation et
la
persistance de l’enfant (enfant intérieur), particulièrement chez les
hommes et
les femmes de génie.
Le concept de néoténie
implique qu’il y a un procès d’extension de ce qui est nouveau.
Toutefois cela
n’épuise pas ce qu’on vise à dénoter en l’utilisant. En fait il s’agit
d’un
procès biologique qui introduit la phase de la sexualité à un stade
précoce,
antérieur, larvaire[29] .
L’exemple paradigmatique est le couple axolotl-amblystome
(amphibiens comme les crapauds, grenouilles, tritons, salamandres).
L’axolotl
est un animal aquatique qu’on pensait qu’il n’avait rien en commun avec
l’amblystome qui est un animal terrestre. Or, au XIX° siècle, au Muséum
d’Histoire Naturelle à Paris, on a constaté la métamorphose de
l’axolotl en
amblystome. Dès lors le premier pouvait apparaître comme un stade
larvaire du
second, lequel se présentait alors comme l’animal achevé, parfait,
celui ayant
réalisé tous les possibles. Il a été montré que la métamorphose était
liée à la
présence d’iode dans le milieu ce qui conduisit à la pleine mise en
évidence du
rôle de la thyroïde dans les processus de morphogenèse.
Ce qui est essentiel c’est
que grâce à la métamorphose il y a accession à un nouveau milieu. C’est
un
phénomène assez courant au sein des arthropodes (invertébrés à carapace
formée
de chitine, et pattes articulées), mais aussi dans d’autres groupes
d’animaux.
Deux possibilités s’imposent. Soit une condensation du développement
avec perte
d’un stade donné (le dernier) ; l’animal acquiert donc au stade
antérieur
la sexualité et donc la plénitude de sa morphogenèse et de sa
fonctionnalité.
Soit l’animal acquiert un stade supplémentaire et la sexualité apparaît
lors de
celui-ci. Dans le premier cas, il peut s’agir d’un retour à un milieu
qui avait
été abandonné (milieu aquatique), dans le second cas, il s’agit de
l’accession
au milieu aérien. Le comportement de l’axolotl-amblystome
est donc plus complexe en ce sens que l’un et l’autre étant sexués
peuvent
exprimer la totalité des potentialités de l’espèce. Il n’est pas
possible de
dire que l’axolotl est un animal inachevé, qui serait affecté
d’infériorité,
caractères que l’on considère comme découlant de la mise en place de la
néoténie.
La néoténie peut être
obligatoire, facultative, accidentelle en rapport avec des
perturbations au
sein d’une population, ou en rapport avec des variations climatiques.
Dans tous
les cas ce qui est déterminant c’est l’apparition de la sexualité. Le
cas de la
Bonelli, ver marin vivant fixé, est
emblématique. Le
mâle vit dans la cavité génitale de la femelle; ce qui n’a pu se
réaliser que
parce qu’il a acquis la sexualité à un stade très précoce.
En ce qui concerne Homo
sapiens on a bien juvénilisation, mais il n’y a pas une sexualité plus
précoce,
bien qu’il y ait des théoriciens qui affirment que celle-ci aurait eu
tendance
à s’affirmer vers cinq ans ; ce qui impliquerait
l’évanescence du phénomène néoténique.
En fait la juvénilisation se caractérise par
une sexualité plus tardive, ce qui allonge effectivement le stade
« jeune ». Cela implique qu’elle ne consiste pas en
l’acquisition de
la sexualité à un stade plus jeune, mais en un allongement de la phase
juvénile. À ce sujet on peut penser que la tendance à une plus grande
précocité
de l’âge de la puberté peut exprimer une régression de l’espèce. Elle
est
probablement due à la spéciose-ontose en
rapport avec
la répression parentale qui fait que les enfants, voulant échapper aux
souffrances qu’elle inflige, désirent accéder le plus vite possible au
stade
adulte, se reproduire et…rejouer.
Pour fonder la théorie de la
néoténisation, on a fait des comparaisons
avec le
développement des anthropiens (gorilles, chimpanzés, etc.), animaux les
plus
proches de Homo sapiens. Mais pour établir, à partir de là, que ce
dernier est
un animal néoténique, il faudrait que
ceux-ci soient
antérieurs à lui. Or, il n’en est rien. Il semble même que la
divergence
s’établisse à partir d’un devenir commun dans l’acquisition d’une
meilleure
préhension, provoquant des transformations anatomiques, au niveau du
crâne par
exemple, mais que dans la lignée humaine ces modifications continuent
en
liaison avec l’acquisition toujours plus complète de la station
verticale,
tandis que chez les chimpanzés et surtout les gorilles, il y a une
régression
en rapport à la brachiation. Cela va même plus loin chez ces
derniers car, ne vivant plus pleinement dans les arbres, ils ne
sont
plus de réels brachiateurs et leur
déplacement se
fait en position semi-érigée.
Le soi-disant caractère néoténique des hommes et des femmes expliquerait
leur état
d’infériorité au cours de l’enfance et même ensuite. Or, rien n’indique
qu’une
espèce néoténique soit inférieure à une
autre espèce.
En fait s’affirme ici une confusion avec la prématuration qui est théorisée et vécue comme
une mise en
dépendance, dans un état d’infériorité. Que le bébé humano-féminin.soit
prématuré n’implique aucune infériorité organique et cela ne remet
nullement en
cause la possibilité de terminer son achèvement[30] grâce à ce que je nomme l’haptogestation, laquelle nécessite pour se
réaliser
pleinement la communauté. Un glissement est souvent opéré de
l’inachèvement du
bébé à l’inachèvement de l’homme, de la femme. Ce qui fonde la théorie
de la
perfection jamais atteinte, en effet, il, elle, doit constamment tendre
à
s’achever. A. Adler est un représentant remarquable de celle-ci, ainsi
que de
la nécessité de la fiction et de la compensation. C’est le support
fondamental
de l’ontose : dépendance et compensation déterminées par la
coupure de la
continuité.
Cette théorisation occulte
totalement l’apport de l’enfant au devenir de l’espèce. C’est de
l’interaction bébé-parents que se déploya,
et se déploie, la dimension
communautaire de l’espèce qui lui conféra la puissance évolutive
fondamentale.
La confusion se manifeste à
nouveau avec la théorie de la non-spécialisation
de
Homo sapiens laquelle fonderait à son tour son infériorité, sa
« nature
imprécise » voire « son absence de nature propre ». On
peut dire
que comme dans les deux cas précédents c’est un support pour l’espèce
d’exprimer sa méconnaissance d’elle-même, son incertitude, les
traumatismes qui
la hantent et qui ont été engendrés par l’acquisition de la pensée, du
langage
verbal, par exemple. La sédentarisation a occulté une adaptation que
des
scientifiques mettent actuellement en évidence : la capacité de
courir
longtemps à une certaine vitesse difficilement accessible par les
autres
espèces. Ceci aurait permis à Homo sapiens d’être un charognard, ou de
pouvoir chasser
en poursuivant longtemps des proies. Cette adaptation se manifeste au
travers
de la vogue du jogging du marathon ou des courses sur 100 km. À noter
que dans
ce dernier cas, ce qui intervient c’est
l’activité cérébrale pour soutenir un tel effort ; l’endurance est
liée, à
une grande énergie nerveuse, à une forte capacité intellectuelle, à
celle de se
représenter le monde et de puiser, dans celui-ci et dans sa
représentation, une
énergie complémentaire. Enfin des hommes
et des femmes moyennement chargés peuvent accomplir jusqu’à 50
km par
jour, ce qui a permis les immenses migrations de nos très lointains
ancêtres.
Affirmer de façon
péremptoire une non adaptation spécifique de Homo sapiens revient à
escamoter
son adaptation à la préhension et j’ajouterai à la manipulation. En
effet la
préhension n’est pas son apanage, elle est très répandue chez les
Primates;
la manipulation bien moins, la main étant l’organe essentiel et
déterminant.
Elle permet non seulement de saisir et donc de pouvoir maintenir un
contact
important avec quelque chose, ou avec un être vivant, mais de placer
l’objet
dans diverses situations afin de le modifier, ce qui permet la
fabrication des
outils. Toutefois les possibles que renferme la main n’ont pu être
pleinement
révélés qu’à la suite d’un grand développement de l’encéphale
et à
l’instauration de l’imagination.
Prendre, saisir,
comprendre: tel est le procès de la genèse de la pensée. En conséquence
escamoter la préhension c’est escamoter cette dernière.
Mais il y a
plus: le fait que l’espèce
ne soit pas liée, en quelque sorte, à une adaptation précise, la rend
ouverte à
un déploiement de divers possibles. En effet si on accepte
intégralement l’idée
d’une non spécialisation, cela n’induit nullement à entériner
l’affirmation conséquente
d’une infériorité de l’espèce La non spécialisation permet la non
fixation ce
qui, de ce fait, évite tout blocage, tout verrou, au cours du
développement.
Si, pourtant, cela s’impose cela ne découle pas d’une donnée naturelle,
mais
d’une donnée spéciosique. On peut dire que
c’est une
présupposition indispensable au surgissement de la pensée. Car la non
fixation
permet la compréhension de ce qui est hors de soi, et évite toute
limitation.
Ce n’est pas un hasard si, donc, Homo sapiens a
produit le capital et s’il arrive difficilement à l’abandonner. Comme
je l’ai
montré en particulier dans Capital et Gemeinwesen
(sur la base de l’œuvre de K. Marx), le
capital fuit toute fixation, et donc toute dépendance. On peut le
considérer
comme une sorte de tangibilisation du
projet humain,
un essai de se représenter, de se saisir pour se connaître. D’autant
plus que
le capital est le résultat d’un devenir intermédiaire (une voie du
milieu)
entre la nature et la surnature; devenir dont les présuppositions
se trouvent
dans le phénomène de la valeur et la politique qui, à l’origine, est la
dimension pratique de la philosophie[31] . Ainsi l’on comprend le
rapport entre les
révolutions bourgeoises qui tendirent à sortir l’Homme de son état de
minorité,
de dépendance, et le développement du capital, particulièrement à la
fin du
XVIII° siècle.
La tendance à fuir toute
fixation a fondé l’échappement du capital par rapport à toutes ses
présuppositions, et a conduit à son anthropomorphose et à
l’autonomisation de
sa forme, puis le débouché dans la virtualité. De même Homo sapiens
remet en
question tout ce qui reste de sa dimension naturelle avec le désir de
la
gestation in vitro (utérus artificiel), sa restructuration avec la
chirurgie
esthétique, l’utilisation de diverses prothèses recourant à ce qui est dénommé nanotechnologie. Le tout
couplé avec une mégalomanie sans limite en rapport à son
autonomisation, sa
fuite en avant avec le délire de la conquête de l’espace (délire en
rapport à
tout ce qui lui apparaît comme conditions et supports de dépendance).
La réalisation de certaines
fonctions ne dépend pas intégralement d’adaptations déterminées par des
milieux
donnés et résultant de la sélection naturelle, car leur importance
dérive du
fait qu’elles sont opérantes en un milieu quelconque, ainsi de la
préhension en
relation à la verticalisation. Cela enlève
à
l’adaptation le caractère de dépendance et de fixation, ce qui peut,
par
glissement, occulter que c’en est une, et conduire à affirmer que
l’homme
n’aurait pas d’adaptation.
La pensée peut être
considérée comme une adaptation puissante à la présence au monde et à
soi-même.
Elle recèle la détermination de ne pas être fixée, immobilisée par ce à
quoi
elle se réfère et contribue à présentifier. C’est ce qui nous fait
vivre la
continuité et donc l’adhérence à l’éternité. Grâce à elle rien n’est
perdu de
ce qui s’est imposé au cours du devenir de l’ensemble des êtres
vivants. Ainsi
dans la lignée évolutive conduisant aux vertébrés et, de là, aux
primates,
etc., il y a eu abandon de la symétrie radiaire (importante chez
certains
protozoaires, les cœlentérés, les échinodermes), et instauration de la
symétrie
bilatérale; la compulsion de répétition qui fait qu’il y a
tendance à
revenir à un état antérieur, induit, effectivement, chez Homo sapiens,
le désir
de retrouver cette symétrie. Grâce à la pensée ce désir ne débouche pas
dans
une psychose collective, érigée sur le manque et la perte bien que cela puisse
tendre à se produire à cause de la spéciose, parce que nous sommes à
même de
revivre cette symétrie et d’en jouir, tout d’abord au travers de
l’effectuation
de la pensée elle-même, qui est pensée rayonnante et pas seulement
linéaire,
puis à travers diverses réalisations comme la roue qui d’ailleurs
fascine
hommes et femmes, à travers divers rites, particulièrement les
mandalas, à
travers l’art, mais également à travers le statut privilégié accordé au
cercle,
à la sphère sans omettre l’adoration du soleil ou de la lune.
La théorisation de la
persistance de l’enfant en nous, de l’enfant intérieur, très importante
dans
divers courants spiritualistes, thérapeutiques, s’impose également chez
divers
philosophes, et rencontre un écho chez beaucoup de gens parce qu’elle a
pour
support un phénomène réel commun à tous: le blocage de l’être naturel,
refoulé en chacun, en chacune. Au niveau philosophique, comme au niveau
scientifique où elle commence à s’affirmer, cette théorisation s’appuie sur la néoténie et de façon confuse
sur le caractère prématuré du bébé; elle en vient à être utilisée pour
expliquer le génie: l’homme, la femme chez qui l’enfant intérieur
serait
à même de s’exprimer.
La confusion concernant la
juvénilisation, la prématuration, la non-spécialisation et l’enfant intérieur, dérive
de la
répression subie dès l’origine de tout homme, de toute femme, la
conception,
suscitant une dimension irrationnelle obsédante. La situation de
déréliction
qu’a vécu l’enfant conduit, ultérieurement, l’adulte jusqu’au
dénigrement, à la
négation de la puissance de l’espèce qualifiée de débile, d’inapte, de
ratée, de
démente, etc. Ou bien, par compensation, à placer Homo sapiens comme
l’être
parfait à partir duquel tous les autres animaux dérivent[32] .
C’est un truisme que d’affirmer que la recherche des origines consiste en une investigation pour se connaître, cela n’ôte rien à sa pertinence. Au cours de ce cheminement vers la connaissance l’espèce, l’individu, rencontre obligatoirement la répression. La "saisie de soi" implique la disparition de la répression et de la dynamique de l’inimitié (intra et interspécifique). Dés lors l’espèce peut percevoir dans son immédiateté, ses caractères, retrouver son lien-participation à la nature; elle peut dissoudre la surnature tout en amplifiant la puissance et la rayonnance de la pensée, en commençant par lui reconnaître son immense efficacité dans les divers domaines du procès de vie. Cela n’implique pas la "production" de ce que d’aucuns désignent sous le nom de noosphère. Car à la base de la théorisation de cette dernière il y a la séparation entre les hommes, les femmes et cette sphère dont, d’une certaine façon, ils dépendraient ne serait-ce que parce qu’elle les fonderait, leur donnant leur dimension essentielle. On serait encore en présence d’une certaine discontinuité. Or, ce qui fonde la puissance de la pensée c’est la continuité que vivent ceux qui l’engendrent spontanément ou réflexivement au cours de leur procès de vie. En ce cas, la surnature n’est plus nécessaire et se dissout. Sa dissolution c’est aussi celle de la dépendance et de la répression[33] .
(2004-2005)
1 Pour la Science, octobre 2002, n° 300
2 Immanuel Velikovsky (1895-1979 ) a écrit divers livres dans les années cinquante dont le plus fameux, peut-être, est Mondes en collision, Ed. Le jardin des livres, Paris,2003. Pour apprécier correctement son apport il conviendrait de connaître son œuvre. Pour le moment nous parlons de cette dernière en tant que révélatrice d’une donnée importante : l’espèce vit sous la menace. C’est pourquoi je fais cette citation extraite de Mondes en collision (p. 345). « À la lumière de ces théories (de S.Freud, n.d.r), nous pouvons nous demander, dans quelle mesure les terrifiantes expériences des cataclysmes universels font maintenant partie de l’âme humaine, et dans quelle proportion on pourrait éventuellement les retrouver dans nos croyances, nos émotions, notre comportement, qui plongent leurs racines dans les zones inconscientes ou subconscientes de notre esprit ».
3 À ce sujet voir Andi Loepfe La VI° extinction, in (Dis) continuité, n°17 (F. Bochet, Le Moulin des Chapelles, 87800 Janaillac). J’ajoute qu’à travers la généralisation de l’homosexualité s’impose un risque d’extinction pour l’espèce. D’où pour conjurer, la mise en place de recherches pour produire artificiellement des enfants, ce qui serait une autre forme de destruction de l’humanité. Ceci est un exemple des dangers encourus par la remise en cause d’un des fondements de Homo sapiens en tant qu’être vivant; en plus de la sexualité, on peut indiquer la verticalité, l’oralité, la technicité.
4 Nancy Makepeace Tanner, On becoming human, Cambridge University Press, 1981 ( À propos du devenir humain); traduction italienne : Madre, utensili, ed evoluzione umana, Ed. Nicola Zanichelli, Bologna, 1985 (Mères, outils et évolution humaine). Les citations extraites de son livre, en italien, se trouvent, dans l’ordre, aux pages 151, 152 et 245.
5 Sarah Blaffer Hrdy Istinto materno – Tra natura e cultura, l’ambivalenza del ruolo feminile nella riproduzione della specie, Sperling & Kupfer Editori, Milano, 2001 (Instinct maternel – Entre nature et culture, l’ambivalence du rôle féminin dans la reproduction de l’espèce).
6 De Franz Renggli nous pouvons citer, en traduction italienne, L’origine della paura. I miti della Mesopotomia e il trauma della nascità, Roma, Ed. scientifiche Ma.GI, 2004 (L’origine de la peur. Les mythes de la Mésopotamie et le traumatisme de la naissance). Il met en évidence que les mythes racontent les souffrances vécues durant la période intra-utérine et lors de la naissance. Ceci a une grande importance pour expliquer l’errance de l’espèce, sa spéciose, et certaines sources de sa pensée symbolique.
« Dans la Bible, quand les hommes édifient une cité en projetant l’érection d’une tour qui doit toucher le ciel, ils expriment de cette façon le désir de retourner au stade prénatal, d’être à nouveau soignés, de rétablir un lien avec les divinités grâce à un cordon ombilical ».
« Ceci nous rappelle que l’unité du fœtus et du placenta est un arbre cosmique. Ce lien cosmique est défait pour toujours au moment de la naissance. Le cordon ombilical est coupé ».
F.B.Kuiper insiste, lui, particulièrement sur le rapport entre la conception (ce qui peut en être souvenu, revécu) et les mythes cosmogoniques. Cf. Cosmogony and Conception, in « History of religion », nov.1970 vol.10.n.2.
7
F. Renggli, Les bébés veulent être portés.
http://perso.wanadoo. fr/bebe_veulent_être_porte.html.
Parler de besoin archaïque peut induire à penser que le comportement du bébé est un reliquat d’une adaptation antérieure qui pourrait à la limite disparaître. En fait c’est à la fois archaïque (ou pourrait dire fort ancien, originel) et très actuel.
8 Ceci va à l’encontre de ce qu’affirme G. Semerano: « …penser ce qui n’existe pas n’est pas penser, c’est un vague imaginaire, le spectre de la pensée ». L’infinito : un equivoco millenario. Le antiche civiltà del Vicino Oriente e le origine del pensiero greco. , Ed. Bruno Mondadori, Milano, 2001, p. 71 (L’infini: un équivoque millénaire. Les antiques civilisations du Proche-Orient et les origines de la pensée grecque).
9 Michel Foucault :Surveiller et punir – Naissance de la prison, Ed. Gallimard, Paris, 1975, pp. 195-196
10 Les récits concernant le golem, Frankenstein, disent que l’être humain a été engendré naturellement mais créé artificiellement ; création douloureuse qui hante la mémoire de l’espèce, mémoire réactivée à chaque nouvelle génération.
11 Comme le souligne François Ewald dans son commentaire-présentation de Surveiller et punir dans Dictionnaire des œuvres politiques, Ed. PUF, Paris, 1986, p. 236.
12 Je n’ai pas inventé cette expression; je l’ai cueillie lors d’une émission de radio dont je ne me souviens plus.
13 «Mais même dans un tel ordre de valeurs absolues, aucun peuple, avant les Sumériens, encore avant les Babyloniens, ont exprimé une telle sensation d’immense étendue où l’homme découvre sa nullité: et les mésopotamiens transférèrent ce sentiment d’inaccessible grandeur à la terreur du divin : “Divinité effarante, comme les cieux lointains, comme la vaste mer”. » p. 45.
La dynamique de réduction peut aller jusqu’à la haine de soi, parce qu’on n’est que cela. Mais qui l’a décrété ? Une entité de la spéciose-ontose.
14 Cf. La fin des terroirs- La modernisation de la France rurale de Eugen Weber, Fayard : Editions Recherches, Paris, 1983.
15 Giovanni Semerano. o.c, p.68-69.
16 Idem, p. 189 pour la citation principale et les autres.
17 «Qui ne sait pas percevoir la grande homogénéité et l’affinité culturelle qui, au premier millénaire, unit l’Ionie à la Mésopotamie et aux vastes espaces qui servent d’arrière-plan à l’histoire biblique, ne peut pas se rendre compte que l’apeiron s’identifie avec l‘afar biblique, avec le sémitique ‘apar (poudre, terre) avec l’akkadien eperu, avec le grec ëpeiroz, ¥peiroz ». Idem page 54.
19 Idem, p. 35
20 G. Semerano traduit le texte biblique ainsi : « Ta descendance sera comme ‘afar, la poussière de la terre », o.c. p. 49.
21
Idem, p. 32.
22Lucio Russo, La rivoluzione dimenticata, ,
Ed. Feltrinelli , Milano , 2001
Grâce à une expérience cruciale il est possible de décider, de
trancher
dans un débat. J’ajoute que l’étymologie fournit un argument pour
affirmer qu’à
l’origine la science est occidentale.
25 « Refoulement de la révolution scientifique », p. 21
« Sans doute le phénomène que nous appelons « refoulement » est un phénomène profond de notre culture. En réalité non seulement on ne lit pas les tablettes cunéiformes, mais il est aussi difficile de trouver des éditions des écrits héllénistiques ».
« Nous chercherons à individualiser l’origine de ce phénomène dans le cours de notre livre ». p. 26.
[26] .André Leroi-Gourhan, Mécanique vivante – Le crâne des vertébrés du poisson à l’homme, Ed. Fayard, Paris, 1983, successivement pages 7, 9 et 13.
[27] Ce faisant se réalise son exclusion de la nature. Ce que, d’une autre façon Elisabeth de Fontenay affirme dans le titre de sa contribution dans «Le propre de l’Homme»: L’exproprié: comment l’Homme s’est exclu de la nature. Toutefois parler de « l’exproprié » suggère, à mon avis, qu’il a subi un phénomène d’expropriation. De la part de qui ? Si c’est par lui-même, il aurait convenu d’écrire « l’auto-exproprié». C’est pourquoi, selon moi, le titre résonne comme un oxymoron.
[28] La question de l’émergence a donné lieu à un n° hors série de Science et Avenir, n° 143, juillet-août 2005 : L’énigme de l’émergence. Sous ce titre on trouve l’interrogation « programmatique suivante » : Comment comprendre l’apparition spontanée de formes nouvelles sans invoquer un ordre caché ou une force occulte ? Toutefois en ce qui concerne les être vivants, il n’est pas tenu compte, au cours des exposés, d’une activité des êtres vivants non réduite par un déterminisme génétique qui en fait des automates internisés, ou par l’action du milieu qui en fait des automates externalisés. Avec le phylum Homo, la volonté manifestée au niveau de l’espèce comme de l’individu, est un facteur puissant de l’évolution et « détermine » ce qui nous apparaît comme spontané : la donnée émergente.
Enfin, notons que dans ce même numéro il est fait mention également du concept de survenance qui inclut encore plus l’idée d’imprévu.
[29] « On désigne sous le nom de pædogénèse, néoténie ou progénèse, une anomalie du développement caractérisée par l’avènement de la maturité sexuelle chez un individu à l’état larvaire ou, ce qui revient au même, par la persistance de caractères larvaires chez un organisme parvenu à la maturité sexuelle. On peut dire que la pædogénèse est liée à une évolution précoce (hétérochronie) du tissu germinal par rapport au reste du corps, dont les dernières étapes de développement se trouvent supprimées. La persistance de l’organisation larvaire peut ne frapper que certaines parties du corps (“néoténie partielle”) ». M. Abeloos, Les métamorphoses, Ed. A. Colin, Paris, 1956, p. 185.
La fœtalisation de L. Bolk ne relève pas de la néoténie, mais de la juvénilisation qui apparaît comme le phénomène intégrant les deux autres.
[30] Achèvement n’est pas le mot qui convient le mieux, car il laisse supposer qu’il y aurait la réalisation d’un stade donné instaurant un certain hiatus avec la suite du développement.
[31] En Grèce, lors de la formation de la polis, s’impose la tendance à mettre en place un monde entre nature et surnature, avec réduction de l’importance de l’une et de l’autre, et la tentative à s’émanciper des deux.
[32] C’est ce que tendent à affirmer, par exemple, les partisans de « la bipédie initiale » (cf. leur site sur Internet).
[33] Nous n’envisageons pas dans ces « Précisions » l’œuvre de celles et de ceux déclarant apporter un regard nouveau sur l’évolution de l’Homme, comme par exemple Anne Dambricourt-Malassé. Il convient mieux, à mon sens, d’aborder leurs théorisations, concernant également le futur de l’espèce, dans le cadre d’une étude sur la régression et la dégénérescence.