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PERSPECTIVE

 

 

 

 

Une perspective concernant l’évolution de l’espèce se fonde sur une vision de tout ce qui fut et de ce qui advient. Cette vision peut apparaître comme une explication du devenir. Je ne peux pas prétendre  qu’elle puisse être simplement cela et que l’ontose[1] ne déforme pas ce que je vise. C’est pourquoi je pense préciser mon positionnement par l’intermédiaire de la considération de quatre approches de l’explication.

 

À la fin du Plaidoyer pour Staline, Amadeo Bordiga écrivit. “Tout en exprimant, une fois encore, notre admiration à Trotsky, théoricien parmi les plus grands, nous proposons comme épitaphe à Staline - après les prolixes chants funèbres sur sa tombe profanée - une thèse différente et plus grande:

 

“Une explication historique est toujours une justification”[2].

 

Qu’est-ce qui fait qu’une explication historique ne peut pas être simplement cela et ne pas être le support d’une justification? Cette interrogation s’impose d’autant plus qu’Amadeo  a pensé en scientifique et revendiqué la rigueur, la clarté, la transparence du dire. Cela implique qu’il ne pense pas que ce soit seulement les autres qui justifient, se justifient. Inconsciemment, il sent qu’il opère de même. Et là je dis que l’ontose imprègne sa pensée. Il a probablement à l’esprit les évènements où il fut mis en situation de se justifier. Je veux dire par là qu’il fut placé dans une dynamique où celle-ci s’imposait, ce qui ne veut pas dire qu’il se justifia consciemment mais que, inconsciemment, cela le ramenait à un problème de sa propre affirmation, celle de son originalité et ceci relève de sa relation à ses parents. Car le point central sur lequel se greffe la dynamique de la justification, c’est la préservation de l’originalité  de tout être humain, féminin. Lorsque Amadeo, avant de se rendre pour la première fois à Moscou, après l’éclatement de la révolution de 1917, répond à une question G.Berti à propos des bolcheviks, ce que nous allons reporter, il a une immense remontée qui est une affirmation de son originalité. “Nos thèses découlent du marxisme, d’un marxisme rigoureux et non dilué comme celui qui durant de longues années   a dominé dans la deuxième internationale et, si même un jour la révolution russe disparaît ou si les soviets et les bolcheviks se révélaient n’être pas à même d’effectuer correctement leur fonction, nous ne changerons par une virgule à notre programme; souviens-t-en”.

 

La question de G. Berti a présentifié la dynamique de devoir se justifier. Amadeo ne le fait pas parce que chaque fois que celle-ci s’est imposée il a réaffirmé son immense certitude[3].

 

La dynamique de la justification en liaison avec l’affirmation de l’originalité  s’imposa à lui après le congrès de Bologne en 1919 et, avec plus d’ampleur, l’année d’après, lors de son opposition à certaines thèses de Lénine, après le congrès de Livourne de 1921, etc.. Je reviendrai sur tout cela au cours d’une autre étude. Ce qui m’importe c’est seulement de signifier le fait qu’il ait perçu sans en être conscient le piège de la justification, piège que constamment il sut éviter du fait même de cette perception et du fait surtout de son immense certitude.

 

Une dernière remarque avant de clore cette approche du mode de concevoir  l’explication chez A. Bordiga. A la fin de Clef des changements de scène  des “grands acteurs” de l’histoire, il affirme. “ Nous apprenons ainsi à expliquer la conscience qu’une société a d’elle-même”[4]. Veut-il dire par là qu’à huit ans d’intervalle il est à même de pouvoir expliquer sans faire intervenir de justification? Si oui, il est effectivement possible d’atteindre un processus conscient. De cela, il en sera question une autre fois... Avant, tout de même, une précision. Il ne veut pas justifier, se justifier mais  il n’est pas dupe, il sent qu’en fait, sur l’explication qu’il déploie, qui sert de support,  il fonde une justification qu’il ne veut pas exhiber et qui l’importune. Il la refuse parce qu’il sent que s’il opère avec elle, il n’est plus lui-même, dans son immense dimension et qu’il se réduit.

 

 Dans Remarques sur le Rameau d’Or de Frazer, L. Wittgenstein affirme:

 

Toute explication est une hypothèse“[5].

 

Ici s’exprime le doute. D’ailleurs la science expérimentale se présente comme une vaste opération de levée de doute, de sécurisation. Peut-être est-ce là l’origine de la tendance à négliger la théorie. On s’attache aux faits; on fait des expériences pour produire des faits qui puissent étayer une certitude acquise et non innée.

 

Sa prise de position par rapport à l’explication signale  l’immense incertitude qui l’habite. Pour justifier sa propre présence, la rendre certaine, il fonde une logique implacable. Il a écrit De la certitude à propos de laquelle il dit dans le Tractatus logicophilosophique: “Ici, comme toujours, la certitude a priori se révèle comme quelque chose de purement logique”[6]. La lecture de ces oeuvres suggère une appréciation sur laquelle je devrai revenir. Il essaye de fonder une logique absolue, ce qui le conduit à opérer une tentative de tout démontrer. N’est réel que ce qui est démontrable, pourrait-on dire. Paradoxalement cela aboutit à un doute absolu, indéracinable, parce qu’il y  a l'irréductibilité du vivre. Le point de référence n’est pas à démontrer, démontrable, ce qu’au sein de cette dynamique on pourrait appeler l’être, son immédiateté que R. Descartes perçut dans une grande certitude: “Je pense, donc je suis”. Je pense est ma caractéristique, ma propriété comme aurait pu dire M. Stirner. Plus précisément ce qu’il perçut c’est ce à quoi il fut réduit et qui ne pouvait pas être nié: il est une substance pensante. Ce faisant, il accéda à l’irréductibilité de l’immédiateté fondatrice de sa certitude. Celle-ci, qu’il exhiba,   induisit toute une remise en cause de l’immédiateté et L. Wittgenstein est un des points d’arrivée de cette entreprise. C’est le je pense qu’il veut axiomatiser, ce qui le fait buter sur le je suis, l’irréductible immédiat.

 

Or, là encore, l’enracinement de la problèmatique-thématique de ce dernier s’enracine dans son enfance, comme il le déclare lui-même. “128. C‘est dans l’enfance que j’ai appris à juger de cette sorte. Juger, c’est cela”[7]. Ce qu’on pourrait traduire par: juger est affirmer un immédiat, une évidence. Car là, au sein de la logique, il a la certitude qu’il ne parvient pas à transférer  dans son vécu immédiat.

 

En attendant une étude exhaustive, voici une précision à propos du résidu, de l’irréductible à la logique. À la fin du Tractatus, il affirme:

 

“7. - Ce dont on ne peut parler, il faut le taire”[8].

 

Belle expression du despotisme du logos, de la logique. En effet tout ce dont il peut parler, il peut l’organiser logiquement et donc se sécuriser. Mais il reste un ce dont irréductible à la logique. Cet immédiat exprimé par ce dont, ce que, c’est cela, est le résidu à partir duquel se reconstitue le doute, l’incertitude. Ces termes le désignent dans la réduction où il fut placé. D’où, en face de qui est-il quand il expose cette phrase? Qui l’a induit à produire cette immense logique qui s’est avérée infructueuse puisque jusqu’à la fin de sa vie il fut rongé par l’incertitude? [9]

 

Je trouve important de signaler une autre approche de l’explication. En se basant sur l’oeuvre de S. Freud, on peut affirmer que toute explication est une interprétation. Je n’insisterai pas à ce sujet puisque ceci est abordé dans l’article qui suit ainsi que dans d’autres qui le complèteront. Toutefois une citation pour éclairer. “Le travail de toute ma vie n’a été orienté que vers un seul but. J’ai observé les troubles les plus infimes de l’activité chez les gens en bonne santé et chez les malades, et, à partir de tels signes, j’ai voulu déduire - deviner, si vous préférez - comment est construit l’appareil qui est au service de ces activités et quelles forces, en lui, agissent ensemble ou s’opposent"[10].

 

Il est encore une autre dimension de l’explication qu’il convient de dévoiler. Elle est en liaison avec la répression parentale. Elle a lieu lorsque les parents, après avoir signifié un refus à l’enfant, font appel à sa sagesse en devenir, à sa compréhension en acte, pour accepter l’intolérable. L’explication est alors liée à la répression, mais également au refoulement. Elle vient après que celui-ci se soit effectué. Dés lors s’installe la dynamique suivante: expliquer pour ne pas voir, pour édifier une barrière. Expliquer c’est opérer par-dessus quelque chose qui est refoulé. Le refoulement opère une sorte de vide qui est comblé par l’explication; et ceci peut prendre des proportions énormes parce que dans ce vide peut venir se loger une immense construction théorique. L’explication apparaît donc comme une résistance au dévoilement du refoulé en même temps qu’une justification de la répression. Nous retrouvons donc la justification dont nous avons traité en premier lieu. Ajoutons que la dernière dimension que nous venons de brièvement exposer se retrouve sous-jacente aux trois autres. Enfin l’explication en tant que phénomène de résistance au dévoilement du refoulement est liée à l’illusion. La première sert de support justificateur à la seconde. Je puis conclure par une interrogation: sommes-nous conscients de tout ce qui détermine le contenu d’une énonciation, bien que nous soyons conscients de l’effectuation de celle-ci? Il n’est possible de le devenir que si nous sommes à même de revivre les effets du traumatisme initial.

 

Je pense  ainsi avoir fait percevoir au lecteur le non-dit  logé dans une explication. Je peux donc maintenant  exposer et, par là même expliquer, comment je perçois le devenir de l’espèce, surtout ce qui peut advenir d’elle, ce qui fonde la perspective dont je veux, en tant qu’individualité et Gemeinwesen, témoigner en expliquant. 

 

Il y a trente ans j’ai écrit Perspectives[11]. A l’époque  le mot fut mis au pluriel. La discontinuité opérée par le mouvement de Mai-Juin 1968 permit la floraison de divers possibles dont beaucoup furent réalisés et intégrés dans la combinatoire du capital. Il fallut donc à l’époque envisager toutes les perspectives. Le devenir de la société-communauté et la réflexion à son sujet permirent d’aboutir à la mise en évidence d’une seule, que dans ce présent article je vais essayer de dévoiler.

 

Signalons d’abord quelques réquisits à cette dernière.

 

1°. Il n’y a plus à dresser un catalogue des horreurs et des insuffisances des divers mouvements qui se sont opposés au capital, ni a fortiori à entonner le cantique des lamentations ainsi qu’à lancer des invectives, des insultes contre ce monde et ses défenseurs. S’impose à nous la nécessité de mettre en évidence  comment l’espèce a opéré. Car c’est d’elle qu’il s’agit, le capital étant son rejeton et représente l’extériorisation-concrétisation de l’ontose, en même temps que le moyen illusoire d’y échapper.  Toutefois au cours des trente années qui nous séparent du phénomène catastrophique que fut le mouvement de Mai-Juin 1968, il fut nécessaire de faire une ample investigation des diverses composantes du mouvement de rébellion contre le capital qu’ils furent de droite ou de gauche, ainsi que des supports sur lesquels celles-ci se sont fondées pour tenter  d’enrayer le développement de ce dernier ou de l’abolir. Mieux, s’imposa la nécessité de montrer que les manifestations de celles-ci étaient comme des rejouements de mouvements antérieurs parfois assez éloignés dans le temps. Nous insistâmes même sur le fait que la thématique de quitter ce monde avait elle aussi été exposée et mise en acte[12].

 

2°. Au cours de cette étude s’édifia la conclusion qu’il n’y a pas à lutter et qu’il faut quitter ce monde. Ce qui induisit à nouveau à opérer une intense réflexion non seulement sur les modalités de cet abandon, mais sur le fait de savoir s’il n’y en avait pas eu auparavant, que ce soit dans l’aire occidentale ou dans une autre, d’autres tentatives  et comment elles échouèrent.

 

Le refus de devoir lutter découla de la constatation que toute contestation, toute lutte renforce un système oppressif, même si celui immédiat, dans l’ici et maintenant, vient à être détruit. D’autre part la lutte s’évanouissait du fait de la mort potentielle du capital, ce qui - nous l’avons déjà exposé - n’épuisa pas le phénomène d’oppression, d’exploitation

 

3°. La réflexion permit d’atteindre la cause radicale du mal-être au niveau de chaque homme, de chaque femme: la répression parentale, déterminée à l’échelle de l’espèce par la séparation d’avec le reste de la nature Le devenir de celle-ci, comme nous l’expliciterons toujours plus de façon exhaustive, est un phénomène isomorphe et connecté à celui de la non-réalisation de la symbiose embryon puis foetus, puis tout petit enfant avec la mère. Ces deux phénomènes conditionnent l’impossibilité d’une réelle union homme-femme. En conséquence de ce qui précède, il serait totalement aberrant de proposer, pour extirper ce mal, une quelconque lutte entre les générations, donc celle des enfants contre les parents. Ce qui conduit à sortir de la dualité bourreaux-victimes, de l’oxymoron servitude volontaire, pour constater, au niveau individuel comme à celui de l’espèce, ce qui est advenu afin de mettre un terme définitif - réalisation d’une totale discontinuité - à un procès aberrant, destructeur. Le corrélat de cette constatation et affirmation est qu’il faut éviter de présenter de façon autonomisée ce phénomène qui, de ce fait, à la limite, en opérant sur tout l’arc de développement de Homo sapiens comme étant le fait à soit seul déterminant de l’errance de ce dernier et de ses maux. Celui qui le fut dans une multiple détermination induisant de multiples déterminités ce fut le sortir du reste de la nature. À l’heure actuelle au sein de la forme autonomisée du capital, dans le devenir de sa combinatoire, tout détermine le mal-être de chacun, mais l’enracinement de chacune des déterminations se trouve dans la répression parentale et dans la séparation du reste de la nature. Tout cela fonctionne au niveau émotionnel, au niveau de ce qui émeut profondément chaque homme, chaque femme. Par suite de la répression et du refoulement, toutes les émotions ont leur procès entravé, parce qu’elles sont autonomisées, ce qui perturbe totalement le procès de vie de chacun et engendre l’ontose [13].

 

4°. Pour quitter ce monde un cheminement libérateur est nécessaire. Dit autrement, ce dernier est le mode de réalisation de la sortie de la société-communauté en dissolution dont les fondements remontent à des milliers d’années. En effet proférer la proposition-injonction d’abandon, relève de l’ejection d’un voeu pieu. Il faut trouver et signaler le mode d’abandonner. Mais ceci est encore insuffisant. Il ne suffit pas de sortir, il faut accéder à quelque chose d’autre en totale discontinuité. Voilà pourquoi le cheminement est en même temps une émergence. La libération c’est l’abandon de l’ontose, extériorisée-concrétisée en la société-communauté, et l’émergence c’est celle de ce qui fut réprimé, refoulé: le plan de vie, tant au niveau de l’individualité (ontogenèse) qu'à celui de l’espèce (spéciogenèse[14] ) puisque cela débouche dans la formation d’Homo Gemeinwesen[15] .

 

Maintenant que nous avons vécu la discontinuité avec le devenir en place depuis des millénaires, et qu’on opère de façon à la rendre irréversible  au niveau de notre vécu, il est possible de vivre la continuité avec le phénomène vie, avec la totalité, et donc d’entrer réellement dans une autre dynamique de vie qui implique une émergence toujours plus puissante du plan de vie au niveau de chaque homme, chaque femme et au niveau de l’espèce en tant que communauté au sein d’une communauté plus vaste, ce qui implique simultané ment une émergence-immergence.

 

Encore une précision en ce qui concerne les réquisits. Le constat  devant ce qui s’est réalisé peut amener à la conclusion que tout a fait faillite et conduire à un état de désarroi, désemparement, et à se dire que tout a été vain, se retrouvant par là dans  la situation de l’enfant terrorisé, aux abois. Mais à mon avis ce serait là  une vision superficielle des choses, une démarche immédiatiste, de même que c’est de l’immédiatisme que de simplement revendiquer la discontinuité. Non il n’en est pas ainsi. Et en produisant une telle négation, je nie en rien toutes les horreurs qui se sont succédées au cours de plusieurs milliers d’années du devenir  de l’espèce, et je pense qu’il faut les voir dans leur totalité et réaliser que, parfois, ce sont les hommes et les femmes qui se se sont révoltés contre le devenir de domestication qui y ont fortement contribué. Ce que je récuse c’est qu’il y eut échec. C’est ici que peut se placer l’exposé de notre perspective. Avant de la présenter, il convient tout d’abord d’insister sur le fait que ce qui la fonde, s’enracine  non seulement dans un ressenti, mais dans une démarche théorique. Sans théorie il est impossible de comprendre par exemple le phénomène de la répression parentale et de l’intégrer dans celui de la domestication, sans oublier que l’affirmation de l’existence de ce dernier procès relève lui-même d’une approche théorique. La théorie dont il s’agit se fonde sur l’oeuvre de K. Marx, d’A. Bordiga auxquelles s’ajoute l’apport de divers théoriciens, pas nécessairement de gauche, que j’ai mentionnés en d’autres travaux. Je tiens à préciser que je parle de fondements car il est certain qu’il y a encore d’autres apports qu’il faudrait signaler, mais ce n’est pas la question ici. Ensuite il convient de dire son champ de déploiement. D’un point de vue immédiat, c’est celui du domaine de l’évolution de la ligneé d’Homo sapiens commençant avec, selon notre terminologie, Homo Emergens qui comprend tous les australanthropes, pour aller à Homo Gemeinwesen. Mais étant donné qu’il nous faut comprendre ce qui se manifeste de nouveau avec le phylum Homo, il nous faut tenir compte de tout le phénomène vie, de toute la nature, ne serait-ce que parce qu’il ne faut pas faire porter à cette dernière, en opérant une dynamique de culpabilisation, la charge de l’errance de Homo sapiens. Mais pour situer avec plus de rigueur ce qu’est le phénomène vie dont le phylum Homo est une expression, il nous faut considérer le cosmos en son évolution, laquelle ne peut pas se limiter à ce qu’expose la théorie du Big-bang. Donc, en définitive le champ de la perspective se déployant hors de l’immédiat, que je puis définir comme étant celui où prévaut le phénomène de l’ontose, est celui de l’éternité, mot qui se réfère au même signifié que totalité. Là surgit une donnée essentielle, qui se présente comme un autre réquisit  de la perspective: la nécessité d’opérer une discontinuité pour retrouver la continuité et par là l’immédiateté[16]. Le lien entre toutes les déterminations susnommées: continuité, immédiateté, totalité, éternité et j’ajouterai certitude, peut être révélé par la considération suivante: le cosmos est une donnée immédiate parce qu’il est éternel; l’immédiateté, l’affirmation de ma certitude de mon appartenance à lui, est la modalité d’appréhender l’éternité. Il est clair que le champ de déploiement de la perspective sera limité  à la période qui va du surgissement de Homo sapiens à l’émergence de Homo Gemeinwesen. Mais tout l’exposé sera sous-tendu par cette appréhension de l’éternité.

 

La perspective de même que le cheminement de libération-émergence ne peuvent pas se concevoir sans une approche théorique, parce que la théorie est de l’ordre de la totalité; en conséquence, là encore nous sommes  en liaison avec l’éternité[17].

 

Cinq moments essentiels peuvent être envisagés quand on passe de Homo Emergens à Homo Gemeinwesen. Dans notre exposé nous tenons compte de trois constantes: essentialité de la relation mère-enfant; essentialité de la Gemeinwesen. Cette dernière est en étroite liaison ave le caractère prématuré de l’enfant humain.  Ceci apparaît de façon en quelque sorte exacerbée dans la dynamique où l’on constate que plus l’espèce régresse, c’est-à-dire s’infantilise, plus un ensemble de prothèses, substituts de la Gemeinwesen, sont nécessaires. La troisième essentialité est celle du rapport au reste de la nature.

 

1° Emergence du phylum Homo à partir des australanthropes. Avec l’acquisition de la station verticale et la mise en place de l’haptogestation, s’instaurent les empreintes qui vont jouer au sein de l’espèce et c’est un moment où s’impose une prépondérance des femmes.

 

L’haptogestation contient le possible de la dépendance, de la séparation. En effet, si elle ne s’accomplit pas en tant que symbiose, l’enfant, puis l’adulte, qui n’est plus en continuité, devient dépendant de la mère ou de tout support du désir de continuité avec elle, ce qui fonde les relations de parasitage, d’envahissement, de rejet-regret, etc... mais aussi la séparation afin de fonder, dans une dynamique de sécurisation, la sûreté qui a été perdue. Ceci rendra réalisable la séparation d’avec le reste de la nature.

 

2° Au paléolithique supérieur, avec le développement de la chasse au gros gibier, on a un moment de prépondérance des hommes avec une exaltation de la femme.

 

3° Avec la sédentarisation néolithique s’impose un nouveau moment de prépondérance des femmes.

 

4° De la fin du néolithique jusqu’à nos jours, s’affirme un autre moment de la prépondérance des hommes. Toutefois au cours de cette longue période on peut distinguer un 5° moment qui est celui du capital qui opère d’abord en Occident à partir du XV° siècle. Il se caractérise par la perte d’importance, d’abord de l’homme, puis de la femme, la coupure pleinement réalisée avec le reste de la nature et l’instauration de la virtualité. Simultanément dans la période terminale, c’est-à-dire de nos jours, pointe une réaffirmation, tant dans le vécu que sur le plan théorique, de l’importance de l’haptogestation et de la Gemeinwesen.

 

L’évolution de l’espèce a souvent été décrite en tenant compte d’une lutte entre les deux sexes qui se maintenait même quand, ultérieurement, on faisait intervenir une opposition entre ethnies, entre empires, puis au sein de ces diverses formations, la lutte des classes, etc... On a également fait appel à une lutte entre les générations, mais, sauf exception, on ne s’est pas préoccupé du retentissement du mode de vie des hommes et des femmes sur leur progéniture, sur leur façon de se comporter vis-à-vis de leurs enfants, sur l’importance qu’ils leur accordaient. En conséquence on n’a fait aucun rapprochement entre la façon dont ces derniers furent traités et le mode selon lequel ils devinrent adultes et opérèrent à leur tour. Les choses changent  actuellement puisque depuis quelques années l’enfance est un sujet d’investigation. Ainsi dans son livre “On becoming human”[18], Nancy Makepeace Tanner insiste sur l’essentialité de la relation mère-enfant dans le devenir des Australanthropes à Homo Sapiens. D’autres théoriciens particulièrement ceux  du courant de la psychohistoire ont mis au centre de leurs recherches la condition des enfants à travers les âges. A ce propos Lloyd de Mause a écrit une histoire de l’enfance[19] pour mettre en évidence à quel point l’enfant a été maltraité au cours des âges en même temps  qu’il démontre que selon lui la relation parents-enfants s’améliore au cours du temps et que de nos jours elle tend à devenir empathique. “L’histoire produit une amélioration générale du sort des enfants”[20].  La définition de la psychohistoire fournie par cet auteur est la suivante: ”... c’est la théorie selon laquelle l’histoire se constitue par la mise en actes par des adultes de fantasmes de groupe qui sont fondés dans des motivations initialement produites à partir de l’évolution de l’enfance à travers les âges”[21]. Il apparaît bien que la relation parent-enfant soit une variable indépendante déterminant tout l’ensemble du procès se déroulant au cours du temps. En outre il n’y a aucune explication du fait des mauvais traitements infligés aux enfants. C’est ainsi qu’il n’est pas parlé de répression parentale dont on peut indiquer les causes. A ce propos, on peut dire  que le drame de l’enfant c’est de ne jamais pouvoir l’être. Identifications, projections, transferts et virtualisation l’empêchent de se vivre dans son immédiateté, d’où un désarroi, un sentiment d’égarement ainsi qu’une sensation perpétuelle d’inachèvement, d’incomplétude.  Enfin, en même temps qu’une unicité causale: la relation parent-enfant, une unilinéarité du développement nous est proposée qui restaure l’idée de progrès. En conséquence l’intérêt des productions théoriques des adeptes de la psychohistoire, de même que ceux de l’échopsychologie ou de la psychologie transpersonnelle, ne réside pas dans le fait qu’elles prouveraient la validité de  leur théorie mais dans celui de mettre en évidence des phénomènes qu’on peut considérer comme des rejouements.

 

En anticipant sur ce qui sera exposé dans Advenir et dans la suite de l’article sur Mai-Juin 1968, j’expose succinctement les déterminations essentielles du devenir de l’espèce humaine. Je considère que celle-ci a connu une catastrophe ou elle a frôlé, risqué l’extinction, ce qui a engendré un traumatisme énorme qu’elle revit, rejoue périodiquement. C’est pour échapper à la menace d’extinction que l’espèce s’est engagée dans la voie de la sortie de la nature, qu’elle a eu tendance à se séparer du reste de cette dernière. Cette séparation s’est opérée insidieusement au cours de millénaires.  Du fait que l’espèce rejoue cet évènement primordial où elle s’arrache à la nature au cours d’une catastrophe, il n’y a pas unilinéarité, mais une succession de cycles. Il y a des phase de développement intense, de progression où elle décolle en quelque sorte en s’arrachant à un état de dépendance, et passe d’un stade infantile à une certaine maturité, jusqu’à un moment considéré comme phase de décadence, de catastrophe où hommes et femmes régressent du stade adulte, auquel ils avaient accédé au cours de la phase antérieure, à une phase infantile. Puis il y a de nouveau démarrage, décollement, bref un autre cycle commence. Mais ce n’est pas une simple répétition parce que les phénomènes sont de plus en plus intenses, afin  de réaliser en quelque sorte, d’une façon de plus en plus rigoureuse, la situation catastrophique originelle au cours de laquelle l’espèce encourut l’extinction. Tout cela, après de nombreux cycles, se réalise de nos jours où nous vivons la catastrophe et où s’opère la menace de notre extinction concomitante à celle de nombreuses autres espèces. La sortie de la nature a imposé le phénomène d’autodomestication de l’espèce qui opère par une répression parentale de la naturalité des enfants. Plus l’autodomestication s’accrut, plus s‘imposa le besoin de sortir de cet état; il en découla la prise d’hallucinogènes qui permet d’aller au-delà des limites de l’être réduit, bloqué en atteignant l’extase[22]. La réaction adaptative des enfants  à la répression a engendré l’ontose qui s’est établie de façon insidieuse au cours de milliers d’années. Mais en même temps l’espèce, quittant le reste de la nature, a dû se créer un milieu en adéquation avec son devenir ontosique, d’où le développement intense de la technique, puis de la science. La nécessité de se sécuriser, de se justifier est une autre cause du développement énorme du procès de connaissance. Ainsi plus la technique, plus le procès de connaissance deviennent importants permettant la mise en place de prothèses, plus la régression au stade infantile est rendue possible, plus la catastrophe peut se réactualiser. Au cours de ce devenir les différentes activités apparues sont certes en relation avec la répression parentale nécessaire pour réaliser le devenir hors nature, mais elles gardent leur autonomie et ont leur déterminisme propre, ainsi de l’économie, de la science, etc.. De telle sorte qu’il est impossible de dire, comme  le font certains, que ce serait le psychique qui serait déterminant et que les lois gouvernant le psychique s’appliqueraient à l’économie par exemple. Mais on peut considérer que toutes les productions humaines sont des supports ontosiques, chacune ayant son déterminisme propre ce qui contribue à installer une confusion dans la représentation et dans la conduite de l’espèce, caractéristique de l’ontose, ainsi qu’à créer les bases de la catastrophe.  Toutefois c’est à travers tout ce que celle-ci effectue, concrètement et dans la pensée, qu’elle essaye inconsciemment de comprendre le traumatisme initial, ainsi que ceux successifs, rejouements du premier.

 

Étayer ce qui précède requerra beaucoup d’études. J’insisterai pour le moment uniquement sur le fait que catastrophe et extinction exercent sur nous une profonde fascination, particulièrement de nos jours avec la sixième, dont parle R. Leakey,  qui concerne le phénomène vie à l’échelle de la terre. J’ajouterai qu’à la catastrophe est souvent liée l’idée de régénération[23] et donc l’espoir de résoudre le mal qui la ronge. Ceci apparaît dans  l’approche suivante: il faut tout détruire et repartir à zéro, qui s’impose tant sur le plan collectif qu’individuel.

 

Pour signifier notre perspective, il convient de dire quelle est la situation où nous nous trouvons. En conséquence il convient de revenir brièvement sur le phénomène du capital qui commence vers le XV° siècle. Il émerge de la dissolution du mode de production féodal ainsi que le mouvement porteur d’une tentative très puissante de libération tendant à retrouver la naturalité, donc tentative de se libérer pour accéder à un nouvel être, pour se réinsérer dans une totalité. C’est l’affirmation de tous les mouvements hérétiques et celle d’un mouvement prolétarien opérant des deux côtés de l’Atlantique, comme l’affirme P. Linebaugh[24]. Le prolétariat de l’époque, produit de la dissolution du mode de production féodal, résultant  d’une séparation des hommes de la terre, de leurs conditions de travail, est formé de gens n’ayant plus rien, des sans réserve, analogues au prolétaires antiques. Pour la plus grande part, il ne sont pas salariés mais en voie de salarisation, opèrée sous la contrainte. Cela veut dire que la solution, à partir du pouvoir en place, à partir du pôle répressif, à la dissolution en cours, est la mise en place du salariat, donc la pleine réalisation du mode de production capitaliste.

 

La genèse de ce prolétariat est, avons-nous dit, analogue à celle de celui surgi au sein du mode de production esclavagiste. Il comprend tous les exclus, tous ceux qui ne peuvent pas entrer dans les structures de ce dernier[25]. Cela correspond à une surpopulation non pas d’un point de vue absolu, mais en rapport au mode de production, et signale la perte de contrôle de l’espèce quant à la régulation du rapport de son effectif à l’activité  nécessaire pour produire. La tendance à la formation d’un tel excédent de population est constante au cours de l’histoire tant du mode de production esclavagiste que de celui qui le précède. Cela est dû en partie au fait que les enfants ne sont plus engendrés à la suite d’un procès naturel en tant que propagateurs de l’espèce et maintien de sa continuité, mais en tant que devant réaliser les désirs ontosiques de leurs parents. Une solution importante pour résorber cet excédent de population fut la colonisation, la conquête de l’espace, ce qui se produisit toujours aux dépens de populations autonomes et impliqua parfois des massacres plus ou moins importants. Mais à l’époque romaine, cette solution n’est plus suffisante et plus difficilement réalisable du fait de la résistance des peuples situés en bordure de l’empire, d’où la formation d’un prolétariat. Pour neutraliser la force destructrice que potentiellement il recelait, il fallut l’assister. Voilà pourquoi Sismondi affirma qu’il vivait aux dépens de la société. D’une certaine façon on peut dire que la formation de ce prolétariat était le rejouement d’un phénomène qui s’était déroulé auparavant vers le treizième siècle avant notre ère lors d’une phase de désorganisation de l’Etat sous sa première forme (communauté abstraïsée) qui phénoménalement se présenta sous la forme de cités-Etats-temples. Cette désorganisation qui préluda à sa dissolution fut en rapport à l’émergence du mouvement de la valeur dans sa dimension horizontale et non plus seulement verticale, justifiant la hiérarchie[26]. C’est au cours de cette période que se formèrent les hapirous, ancêtres des hébreux qui représentaient la négation de l’organisation et de la représentation sociales en place. Ils affirmèrent la nécessité de supprimer la propriété privée, de répartir les terres, de refuser toute dynamique de domination et, en conséquence, d’affirmer un retour à une naturalité, exprimant par là leur refus d’accroître la séparation d’avec le reste de la nature. Toutefois au cours du temps, afin de se maintenir en tant que groupe multiethnique et se positionner, fut mis au point un corpus doctrinal comprenant l’affirmation du peuple élu[27], la loi donnée par un dieu transcendant situé hors nature, comme principe organisateur, fondateur en ce qui concerne le groupe lui-même, et séparateur, distanciateur, en ce qui concerne tous ceux demeurés dans les organisations étatiques. Nous avons là une expression radicale de la séparation d’avec la nature. Et nous constatons le rejouement: c’est pour résoudre un problème immédiat, échapper à une pression destructrice, à une menace que s’accuse un devenir hors nature[28].  Nous pouvons ajouter que c’est au sein de ces hapirous qui vont devenir les hébreux que prennent naissance les courants révolutionnaire et conservateur[29] et qu’à chaque phase de dissolution des formes sociales au sein desquelles se trouvent les juifs, se réactualise le phénomène d’exclusion et que les deux courants se réactivent. J’ajouterai que ces phases de dissolution engendrent au sein des populations aryennes un phénomène de type juif. Ainsi, pour prendre un exemple, au XIX° siècle avec le mouvement prolétarien, la dimension de peuple élu est réaffirmée avec comme support le prolétariat qui doit émanciper l’espèce en s’émancipant et se supprimant en tant prolétariat  (dimension sotériologique). Voilà pourquoi également les juifs apportèrent la contribution probablement la plus importante au mouvement révolutionnaire des XIX° et XX° siècles, tout particulièrement en Russie et en Europe centrale et confinant à cette dernière[30].

 

Ceci dit, revenons à la formation du mode de production capitaliste. On peut dire qu’au cours des XV°, XVI° et XVII° siècles on assiste à un heurt terrible entre les deux mouvements  émergeant de la dissolution et qu’au XVIII° siècle s’opère la victoire du capital et que, dés lors, naît un nouveau prolétariat, le prolétariat salarié. La constitution de ce dernier sur le plan politique, avec la formation  du parti communiste, comme l’expriment  K. Marx et F. Engels dans le Manifeste du parti communiste, 1848, n’est pas tant la formation d’une force pouvant s’opposer à la catastrophe qui pour Marx résulterait du plein développement du capital, mais est la consécration de la défaite du prolétariat qui n’a pas pu effectuer son oeuvre d’émancipation et qui, de ce fait, s’adapte à la société nouvelle. Dit autrement, K. Marx ne voit pas que la catastrophe a déjà eu lieu: l’instauration du mode de production capitaliste, ce qui explique sa non compréhension du phénomène luddite et sa hantise du lumpenprolétariat et qu’il soit hanté par une autre, qui se réalisera, l’échappement du capital par rapport à toute limitation, son autonomisation. Il se trouvait en face de l’enclenchement d’un autre cycle, au sein d’un cycle plus ample qui se terminera avec la réalisation de la domination réelle du capital sur la société.

 

L’affirmation de ce dernier au sein de l’espèce correspond à une exaltation du désir d’intervention, la dimension prométhéenne  de celle-ci si puissante chez K. Marx: faire, entreprendre, construire, édifier un nouveau monde. Elle impliqua simultanément une autre approche de la réalité, une autre conception du monde et des rapports des hommes et des femmes au cosmos, etc., mais aussi une autre alimentation support de fortes compensations, et dispensatrice de beaucoup d’énergie, qui maintienne en quelque sorte un état d’excitation apte à permettre de réaliser  les projets. Ainsi au cours de la phase d’implantation du capital, s’imposa la consommation d’épices, de nouvelles drogues plutôt excitantes, comme le café et le thé, et celle  d’un produit libérant une énergie intense et rendant possible l’ingestion d’autres substances: le saccharose, le sucre qui fut d’abord extrait à partir de la canne. Ceci conditionna un grand développement du trafic maritime et la formation d’un premier prolétariat  composé de marins, comme P. Linebaugh l’indique dans ses ouvrages précédemment cités.

 

Mais ce n’est pas tout, la dissolution du monde féodal engendrant une surpopulation qui n’est plus liée, protégée, sécurisée par les prothèses dont l’ensemble forme l’ordre hiérarchique de la féodalité, il y a une nécessité comme cela s’est imposé auparavant en Occident, d’une migration et d’une conquête de l’espace. De là les poussées migratrices avec les grandes découvertes. Simultanément naît l’utopie, concrétisation de l’injonction: il faut repartir à zéro, préfigurée dans l’oeuvre d’Homère, l’Odyssée.  Hommes et femmes sont amenés à réexaminer les rapports qui les lient, et ceux qu’ils entretiennent  avec leur progéniture. On peut dire qu’au cours de cette phase ils tendirent à devenir adultes, sortant de la phase infantile où la domination féodale les avait bloqués.

 

En même temps que l’émergence du capital il y eut une réaffirmation de la répression avec l’autonomisation de la forme féodale: la monarchie absolue. En conséquence, ultérieurement, hommes et femmes régressèrent à nouveau à un stade infantile. Et, lorsqu’au XVIII° siècle, un mouvement révolutionnaire tend à s’imposer des deux côtés de l’Atlantique, un thème important prévaut, celui de lutter contre le statut de minorité où se trouve l’humanité. Il se trouve dans la philosophie kantienne comme dans les discours des conventionnels. En même temps l’utopie reprit de son importance et ce jusqu’au milieu du XIX° siècle. Le nouveau mouvement prolétarien avec le courant marxiste et celui anarchiste préconisa une maturation de l’espèce, une sortie de son infantilisme, de sa régression où elle avait été plongée [31].

 

Nous avons vu que la réponse à la menace prolétarienne fut un développement énorme du capital avec la réalisation de sa domination effective dans le procès de production et, dés la fin du XIX° siècle, l’espèce régresse  en même temps que le phénomène  de migration reprend de l’ampleur.

 

Le premier ébranlement de ce siècle concerne des populations régressées au stade adolescent voire infantile et les réactions qu’il suscita accusèrent cette régression  et, dans les années trente et quarante, le stade infantile s’imposa. Toutefois en même temps commença à poindre, bien que de façon mystifiée, la compréhension du mécanisme de l’ontose, avec l’oeuvre de S. Freud et celle de divers psychanalystes  freudiens ou dissidents.

 

La seconde guerre mondiale, seconde apocalypse après celle de 14-18, suivie de la guerre froide mais aussi de tous les mouvements révolutionnaires des pays colonisés, accusent la régression. On doit noter qu’au cours de la phase précédente et durant les années cinquante puis soixante, la science-fiction prit un développement considérable et remplaça l’utopie.

 

Ensuite nous avons le second ébranlement de ce siècle avec le mouvement dont la crête fut Mai-Juin 1968. L’espèce infantilisée tend à nouveau à accéder à la maturité. À partir de ce moment-là, le thème de la catastrophe va s’imposer parce qu’elle va être rejouée  de façon récurrente. Ce thème s’affirma particulièrement dans les thèses du club de Rome.

 

Au cours de 1968 se dévoila parfaitement le “mal” qui la travaille. Les révolutionnaires posèrent la nécessité de libérer le geste, la parole, de les récupérer, et de donner libre cours à l’imagination; mais la racine de ce mal resta en dehors de l’investigation: la répression parentale. Le phénomène de répression l’emporta avec l’autonomisation de la forme capital, corrélative à la mort potentielle de celui-ci. L’espèce fut à ouvreau bloquée à un stade  de plus en plus infantile. Un évènement important qui s’est déroulé en 1969 a contribué à ce blocage et à sa dépossession: le soi-disant débarquement d’astronautes étasuniens sur la lune.  Ceci est un rejouement de ce qui s’est opéré aux diverses phases critiques du développement du mode de production capitaliste. La solution chaque fois proposée fut la conquête de l’espace dans une dynamique utopique d’un repartir à zéro, de franchir la frontière, la limite, de se libérer dans un échappement. Mais dans les années soixante tout cela n’est plus possible sur terre. En outre il fallait répondre aux révolutionnaires  de 1968 qui revendiquaient une réalisation immédiate, ne voulaient plus attendre; ils voulaient réaliser immédiatement ce qui avait paru auparavant utopique et, pour atteindre cet objectif, ils revendiquaient une prise de pouvoir par l’imagination. La réponse à toutes ces aspirations qui sapaient la société-communauté du capital fut de montrer que l’imagination était déjà au pouvoir et avait permis la réalisation d’un vieux rêve humain: aller sur la lune. Et dans ce cas, la conquête qui s’initiait était vraiment “humaine”en ce sens qu’elle ne s’accompagnerait pas de massacres, notre satellite étant privé de formes de vie organique. Ce fut en réalité une immense mystification à tous les points de vue puisque des hommes ne sont pas allés en un lieu logé nulle part puisque la lune est bien située en un point de l’espace. Ce faisant il y avait dévoilement de la dimension mystificatrice de l’utopie. Avec cette mystification commence l’ère de la virtualité, qui vient relayer la phase de la mort potentielle du capital, au cours de laquelle se réalise et se concrétise pleinement l’ontose. Nous sommes parvenus au moment où la catastrophe s’impose et où le risque d’extinction  de l’espèce redevient une profonde menace[32] .

 

Au cours de tous ces évènements celle-ci a régressé jusqu’au stade foetus et ceci n’a été possible que par suite d’un développement dans tous les secteurs, économique, technique, dans toutes les sciences particulièrement celles qui permettent  de maintenir artificiellement l’espèce et de la sécuriser: biologie, surtout dans ses applications médicales, psychologie, sociologie; d’où la multiplication des prothèses.

 

Divers théoriciens ont mis en évidence un tel phénomène de régression ainsi Mickel Adzema dans un article: L’émergence de l’inconscient périnatal: évolution consciente ou apocalypse[33]. Par périnatal l’auteur considère tout ce qui concerne, entoure la naissance (surrounding birth). Il s’appuie sur les travaux de Stanislav Grof[34]. Il se préoccupe de divers comportements aberrants et terrifiants comme celui à la base du  culte satanique, les meurtres et viols en série et il montre  qu’ils sont le rejouement de perturbations profondes subies au cours de la vie intrautérine et au moment de la naissance. Il en est de même pour les morts par suffocation, particulièrement dans l’eau. D’autre part s’impose à lui que l’activité de l’espèce vise à reconstituer le milieu périnatal, c’est-à-dire  l’environnement que le foetus rencontre au moment de la naissance. Ainsi la pollution atmosphérique avec l’augmentation du taux de CO2 correspond au milieu plus ou moins asphyxiant que celui-ci a connu du fait d’une gestation et d’une parturition non naturelles, non acceptées pleinement. Je reviendrai sur tout cela[35]. Je veux simplement ajouter  que le phénomène de régression est en même temps une progression, comme M. Adzema  l’envisage lui-même, vers ce que je pose être le moment de rencontre du traumatisme originel, tant pour l’individu que pour l’espèce. Celle-ci engendre de multiples supports pour rejouer ce qui l’a traumatisée, ainsi la prolifération des ronds-points  supports du “tourner en rond” dans l’utérus dont l’issue est fermée du fait de la non-réalisation de la symbiose. Plus globalement l’ensemble du réseau autoroutier constitue un immense labyrinthe, représentation-concrétisation de l’ontose. L’accroissement du nombre de réseaux signifie également la complexité qui constitue l’ontose. L’informatique elle aussi opère en tant que support de cette dernière. Tout homme, toute femme est réduit(e), du fait de la non acceptation de la part de la mère, à l’indifférencié, au ça[36]. L’informatique tend à donner forme à celui-ci. L’ordinateur en est le support comme celui de multiples rejouements sur lesquels nous reviendrons. Ainsi de façon inconsciente l’espèce tend à établir la catastrophe au sein de laquelle son extinction est possible, menaçante. Nous l’avons dit cette catastrophe est opérante. Pour que la menace ne se réalise pas et que perdure une forme de vie bien déterminée, il faut que soit abandonné  le comportement qui a permis à Homo sapiens de survivre jadis mais qui, désormais, conduit à la réalisation plénière de la catastrophe, c’est-à-dire la sortie de la nature. La réconciliation avec cette dernière implique la transformation d’Homo sapiens en Homo Gemeinwesen. Ainsi il est possible de préciser ce que peuvent être les attracteurs dont il a été question dans Dire Voir Dire[37]. Le premier correspond au fait que pour survivre l’espèce a dû sortir de la nature et que, pour se sécuriser dans ce devenir, elle dut parachever toujours plus la séparation. Le second réside dans le fait que l’unique possibilité de vivre pleinement, c’est-à-dire libérée de l’ontose, c’est de retrouver la continuité avec le reste de la nature, avec le cosmos. L’existence de cet attracteur signale qu’elle ne peut pas faire autrement. Il n’y a aucun choix.

 

Nous pouvons rapidement illustrer cela en faisant brièvement état de l’utilisation des drogues. Auparavant une remarque s’impose: la réalisation de la perte totale de naturalité fait qu’il y a de moins en moins de différences entre aliments, médicaments et drogues. La tendance à aller au-delà des limites (dont nous avons souvent parlé à propos du capital) nécessite une alimentation droguée comme cela est spectaculairement opérant chez les sportifs, mais également présent chez tous. Les drogues, surtout les nouvelles comme le LSD, mis au point à partir de 1943, permettent, comme l’affirment divers psychologues et psychothérapeutes, la constitution de ce qu’ils nomment des états modifiés de conscience ou états extraordinaires de conscience, en particulier l’extase. Grâce à elles, le consommateur effectue un voyage initiatique et il atteint des hallucinations comme le firent ses lointains ancêtres et comme le font ceux qui n’ont pas encore été totalement occidentalisés. Cela signifie que pour tous ceux qui l’ont été se réaffirme une donnée originelle et que rien n’a été résolu. Ce qui est le plus intéressant pour notre propos c’est ce qu’a mis en évidence l’utilisation du LSD, par exemple, à des fins thérapeutiques. Dit rapidement: l’individu consommant ces drogues opère une régression et revit les traumatismes générateurs de grandes souffrances qu’il a subis durant sa petite enfance et sa vie intrautérine. Or ce qui s’impose  comme étant le moment générateur du phénomène de la souffrance c’est la séparation d’avec la mère et, pour certains il y a liaison immédiate avec celle d’avec la nature. C’est là que s’affirme l’attracteur: pour sortir du devenir de souffrance, il convient de faire retour à la nature[38]

 

La vie naturelle, la vie dans le cosmos n’est pas sans risques pour l’espèce, mais celle-ci est, maintenant, en mesure de faire face à ceux-ci, non pas de façon immédiatiste mais en tenant compte de tout le procès de vie dont elle fait partie. Ainsi au sein du phylum Homo qui commence avec les Australanthropes, Homo sapiens a permis l’acquisition d’un comportement cognitif qui, expurgé de toutes les tares ontosiques, permettra de réaliser une sorte de symbiose avec le reste de la nature. Ceci ne peut être réalisé que par Homo Gemeinwesen pour qui le procès cognitif n’opèrera pas pour se justifier, pour se sécuriser,  mais pour connaître ce à quoi il participe: tout le cosmos.

 

Une urgence s’impose, mais elle ne doit pas susciter l’impatience[39]. Or une immense certitude s’installe au coeur de toute femme, de tout homme qui chemine vers l’émergence.

 

Précisons encore. L’instauration d’un monde virtuel qui concrétise l’ontose, la rendant bien visible peut permettre de simuler une extinction au sein de la catastrophe que nous vivons, de rejouer son risque et de ne pas la vivre. Tous les cycles s’épuisent en la catastrophe que nous vivons; l’ontose est présentifiée, révèlée. Tout s’est maintenant dévoilé.

 

La perspective peut s’exprimer tout d’abord de la façon suivante: tout homme, toute femme tend à retrouver sa naturalité, tout ce qui a été réprimé, refoulé, et à se réconcilier avec le reste de la nature. Ce faisant chaque femme, chaque homme tendant à émerger dans cette naturalité, vise à installer un milieu biotique compatible avec cette dernière, tout comme l’ensemble des prothèses, ou le monde virtuel, est compatible avec les êtres ontosés. Elle peut se signifier d’une autre façon: rétablir la continuité entre hommes et femmes, entre ceux-ci et leurs enfants[40] et, par là, se remettre en continuité avec tout le phénomène vie. Nous vivons la fin des cycles, des rejouements, pour entrer en continuité avec l’éternité.

 

Une dernière précision à travers un questionnement, suivi de propositions sans explication. Pourquoi aime-t-on? Afin de rejouer. Cesser de le faire implique qu’on soit à même de pouvoir affirmer simultanément la dimension de l’amour et le pouvoir qui est affirmation de l’aptitude à être, à partir d’un point d’émergence ce qui signifie que l’on est apte à se positionner dans la totalité  dont la fragmentation, il y a des milliers d’années engendra justement la scission de la continuité en amour et pouvoir. La perspective du futur proche n’est pas de retrouver l’amour, mais la continuité. Dit autrement, l’accès à cette dernière permet d’accéder enfin à la totalité. Le but n’est pas la continuité en tant que telle, ce qui impliquerait une autonomisation, phénomène déjà advenu à la suite d’une dynamique mystificatrice, avec la théorisation de la voie et donc, de l’intermédiaire, de la médiation. La perspective et sa réalisation ne peuvent se poser qu’en dehors de toute médiatisation.

 

 

 

 

Jacques   CAMATTE

 

Mars  1999

 

 

 




[1]. L’explication de ce terme est exposée dans l’article suivant (Surgissement et devenir de l’ontose).

[2]. Plaidoyer pour Staline,  il programma comunista, n° 14, 1956 - traduction dans Invariance, série I, n° 5, 1969, p. 69.  J’ai tenu à reporter la totalité du dernier paragraphe du texte afin que le lecteur puisse situer la phrase dans son contexte historique.

[3]. Toutefois il y a un moment où ceci s’avéra inexact. C’est quand il écrivit son commentaire au livre de V. I.  Lénine sur le gauchisme. L’explication qu’il en donna est une justification.

[4]. Clef des changements de scène des “grands acteurs “ de l’histoire, il programma comunista, n° 23, 1964 - traduction dans Invariance, série I, n° 5, p. 76. Le thème de l’article est le limogeage de N. Krouchtchev.

[5]. Remarques sur le Rameau d’Or de Frazer, Ed. L’Age d’Homme, p.15.

[6]. Tractatus logicophilosophique, Ed. Idées, Gallimard, 1961, p. 162.

[7]. De la certitude, Ed. Idées, Gallimard, p. 65. A noter qu’E. Husserl lui aussi entre dans cette dynamique.

[8]. O.c, p. 177.

[9]. Démontrer qu’il est en présence de sa mère, et ce dans une régression à l’état de tout petit enfant, encore inapte à parler, réclame une approche détaillée  de l’homme L. Wittgenstein et de son oeuvre. Je l’affirme tout de même car telle est ma certitude. En effet le taire  évoque profondément l’interdit où il fut mis par la non acceptation de sa mère, son refus. Cela est absolument illogique, donc non intégrable à la logique. On ne peut pas en parler et la pensée n’y a pas de prise. Simultanément le Ce dont on ne peut pas parler  signale l’immense souffrance sous-jacente et son refoulement.

    Il y a beaucoup de ressemblances entre L. Wittgenstein et S. Freud lui aussi rongé par l’incertitude.

    À propos de la logique, qui réclame une longue étude à son sujet, on peut, pour le moment, faire remarquer ceci.  Son développement a consisté en une séparation du support humain, à travers une élimination de ce qui fut appelé le psychologisme. Or effectivement la psychologie se préoccupait du mode de fonctionnement de la pensée, ce qui est accaparé actuellement par les sciences cognitives. En conséquence, elle subit également un processus d’autonomisation par rapport au langage verbal, pour aboutir à une logique pure, ne se référant plus à l’humain. Il fallut lui trouver un support. Ce fut l’ordinateur. On pénètre là dans le phénomène de la virtualisation, sans abandonner  pour autant la psychologie: l’ordinateur est à son tour le support d’un surmoi plus implacable que celui qui a un support organique.

    En ce qui concerne le procès psychique de chacun, l’utilisation de la logique apparaît comme une entreprise visant à dissoudre la confusion dans laquelle l’ontose nous plonge

[10]. S. Freud: Prix Goethe 1930,  in , Idées, problèmes, II, 1921-1938,  Ed. Puf, p. 181. Ce comportement cognitif s’exprime en une herméneutique qu’on retrouve chez les croyants qui veulent démontrer l’existence de dieu. “De même, en effet que l’âme, dans l’homme, ne se voit pas - invisible qu’elle est pour les hommes - mais que les mouvements du corps font imaginer: de même Dieu - on le conçoit bien - ne peut être perçu par les yeux humains, mais sa providence et ses oeuvres le font voir et imaginer”. Théophile d’Antioche: Trois livres à Autolycus, Ed. Du Cerf, p. 61. La nécessité de percevoir des signes est en liaison avec une dynamique de sécurisation et traduit la perte de l’immédiateté  qui est justement la certitude sensible où la  réflexivité ne s’est pas encore déployée. Nous y reviendrons.

[11]. Invariance, série i, n° 5, 1969.

[12]. C’est un thème fondamental de Emergence de Homo Gemeinwesen., surtout dans la partie non encore pleinement rédigée et publiée.

[13]. Le traumatisme immédiat, le dernier survenu, énième rejouement de celui initial, a tendance à être considéré comme la cause de ce qui est advenu, ce qui fonde une explication immédiatiste et unilinéaire, unilatérale etc...

[14]. Il ne s’agit pas de confondre avec la phylogenèse comme cela est expliqué dans une note de l’article suivant.

[15]. Une réelle émancipation est en même temps une réappropriation et non une dépossession- dépouillement, Entaüsserung, parce qu’elle ne se situe pas dans la dynamique de l’extériorisation; Veraüsserung.  Avec elle, il ne s’opère pas simplement un déploiement de rejouements. Elle ne se limite pas à ceux-ci.

[16]. J’insiste là-dessus parce qu’il ne suffit plus de revendiquer une discontinuité vis-à-vis du devenir d’errance, il faut retrouver la continuité avec le phénomène vie. Il faut être bien précis. Le mouvement du capital lui aussi fonde une continuité et nous propose une immédiateté, du fait même qu’il s’est posé en tant que nature. Donc quand je parle de continuité et d’immédiateté, sauf précisions adventives, il n’est en rien question du capital, ni de la société en place. Si on les refuse sous prétexte qu’actuellement celles qui sont opérantes sont médiatisées par le capital, même s’il s’évanouit en elles, c’est accepter la dépossession et avouer une incapacité à effectuer une autre dynamique de vie.

[17]. Il est évident qu’on a souvent associé totalité à totalitaire sans tenir compte du détournement que cela impliquait et que, d’autre part, tout peut être détourné pour être récupéré, sinon l’ontose ne se réaliserait pas et le pouvoir en place ne pourrait pas se régénérer. Je rappelle aussi qu’immédiateté et éternité sont deux modalités de la même réalité.

[18]. Qu’on peut traduire par A propos du devenir humain. En italien, il est paru sous le titre qui se veut explicite: Madri, utensili ed evoluzione umana  (Mères, outils et évolution humaine), Ed. Zanichelli, 1985. C’est dans cette traduction que nous avons lu l’ouvrage.

[19]. A propos de celle-ci, il écrit dans Les fondations de la psychohistoire,  PUF, 1986, p. 37: “L’histoire de l’enfance est un cauchemar dont nous n’avons que récemment  commencé à nous éveiller. Plus on remonte dans l’histoire, plus le niveau de soin apporté aux enfants est bas et plus grand le risque pour eux d’être tués, abandonnés, battus, terrorisés et sexuellement utilisés”.

[20]. Idem p. 40. L’hypostatisation de l’histoire met en évidence que le déterminisme de cette amélioration n’est absolument pas vu.

[21]. Idem, p. 31. Reportons également cette interrogation: “... comment chaque génération de parents et d’enfants produit-elle les problèmes qui constitueront les drames agissant dans l’arène de la vie publique”. p. 37.

[22]. Il sera nécessaire de comprendre quel genre de rapport s’instaure entre l’état hypnoïde et cette extase. D’autre part il conviendra de voir s’il n’y en a pas un rapport entre le recul de prise d’hallucinogènes et le développement du phénomène scientifique, qui serait connecté à l’exaltation du pouvoir d’intervention.

[23]. C’est l’illusion d’une régénération  possible qui a permis à certains de justifier le carnage de 1914-1918.

[24]. Cf. The many headed Hydra. Sailors, slaves and  the Atlantic Working Class in the Eighteenth Century  de Peter Linebaugh et Marcus Redeker, in Gone to Croatan,  essays edited by R. Sadsky and James Koehnline. Autonomedia / AK press, 1993. Il s’agit en fait seulement de l’introduction à un livre qui portera le même titre (L’hydre aux multiples têtes) et qui devrait paraître à la fin de 1999. P. Linebaugh a déjà abordé cette question dans son livre, que nous avons déjà cité, The London hanged. Crimes and  civil society in the eighteenth century .

[25]. Le théte de la société grecque antique, homme dépossédé, ne pouvant pas participer à la communauté, est le produit d’un phénomène d’exclusion similaire.

 [26]. Cf. Invariance, série IV, n° 5.

[27]. On devra  envisager la relation, ici, entre exclusion et élection. Le peuple élu est formé de tous ceux qui sont sortis d’un certain état et veulent réaliser un autre mode de vie.

[28]. L’importance d’un tel devenir dans l’histoire du peuple juif est bien mise en évidence par S.W. Baron dans son Histoire d’Israël, sur lequel je reviendrai et dont je cite les dernières lignes extrêmement expressives et qui confirment notre affirmation. “Une fois encore  éloigné de son territoire, le peuple juif devait, d’une manière ou d’une autre vivre en se défiant de la nature. Conscient du caractère de sa situation nouvelle, le judaïsme reformula son antique idéologie d’une manière plus définitive encore. Avec le Talmud, il érigea un rempart, très nécessaire, formidablement efficace et à bien des égards unique en son genre, entre les juifs et les forces de la nature”. Quadrige / PUF, 1957, t. 2, P. 1028.

[29]. En ce qui concerne ce dernier, Israël Shahak dans son livre Histoire juive, religion juive, Ed. La Vieille Taupe, 1996 met bien en évidence comment la dictature rabbinique permit de conserver le judaïsme.

[30]. Cf. Le pain de misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe  de Nathan Weinstock, Ed. La Découverte. On peut voir également Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif, de Henri Minczeles, Ed. Austral, Paris 1995. En caractérisant le Bund comme un mouvement révolutionnaire juif, l’auteur opère dans la réduction. Il élimine totalement la dimension internationaliste de ce mouvement. Le contenu du livre confirme cette opération. L’auteur veut montrer comment inévitablement les thèses du Bund devaient laisser place à celles du sionisme, du nationalisme juif. Toutes les thèses internationalistes le gênent prodigieusement. Toutefois le livre est fort intéressant pour sa documentation.

[31]. K. Marx aima rapporter l’injonction d’un conventionnel: les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, levons-nous!

[32]. A ce sujet il convient de bien préciser. Dans la phase de dissolution de la société-communauté actuelle, les divers avantages sociaux tendent à être éliminés ce qui provoque une augmentation de l’insécurité de la vie dont parlèrent K. Marx et F. Engels, confirmation de la situation de déréliction où chacun se trouve lors de la petite enfance. En même temps surgissent du sein même de cette société-communauté des institutions plus ou moins informelles pour assister tous les êtres en déréliction, rejouement de la dépendance vis-à-vis des parents.

[33]. Le titre anglais de cet article capté sur Internet est:  The Emerging Perinatal Unconscious: Consciouness Evolution or Apocalypse, 1998. Du même auteur et toujours accessible sur Internet, citons: “Commentary  on Demause’s Restaging prenatal and birth trauma in war and social violence, 1996.

[34]. Théoricien de la psychologie transpersonnelle dont je citerai cet article récupéré sur Internet: Planetary survival and consciousness Evolution,  psycological roots of violence and greed. Ken Wilber est un autre théoricien important de ce courant.

[35]. Le rejouement dans ce cas peut aller très loin, puisqu’il concerne l’origine. En effet le phénomène vie sur terre se déploie initialement dans une atmosphère réduite où le taux de CO2 était très élevé. Tout le devenir de la vie a consisté en ce que les êtres vivants en produisant l’oxygène et en piégeant le gaz carbonique ont permis l’instauration d’autres phénomènes biologiques tels que la respiration, la méiose et donc la sexualité, d’où l’extraordinaire diversification du monde vivant.

  J’insiste dans cet article sur les traumatismes liés à des phénomènes négatifs, mais il sera important d’analyser l’effet de ceux en liaison avec des phénomènes positifs, par exemple les grandes découvertes. Ainsi celle de la possibilité de produire volontairement le feu a permis une sécurisation, mais a peut-être ouvert l’accès à une immense inquiétude portant sur le pouvoir, d’autant plus que, du fait de la séparation d’avec la nature, il y a tendance à l’autonomisation de ce dernier. Le feu illuminait un immense inconnu vis-a-vis duquel il fallait se positionner.

[36]. D’autres formulations de l’élément irréductible de l’être rétracté sont possibles.

[37]. Invariance, série V, n° 1.

[38]. Comme il l’est dit dans le texte ceci est une approche allusive de la question. Il conviendra de revenir amplement sur divers travaux, particulièrement ceux de Stanislav Grof dont une bonne synthèse est proposée par Fulvio Gosso dans son article Etats non-ordinaires de conscience et psychothérapie. Du LSD aux techniques holotropiques à travers la pensée de Stanislav Grof.  Cf. Notiziaro del centro di documentazione n° 159-160, 1998. Ce n° contient également d’autres articles intéressants concernant le même sujet.

[39]. Voilà pourquoi je remplace la formule d’A. Bordiga Rien n’est urgent, par: Pas d’impatience.

[40]. Dans Une société sans père ni mari. Les Na de Chine, Ed. PUF, 1997, Cai Hua écrit: “comme exigences essentielles de la nature humaine, il y a toute une série de désirs, parmi lesquels celui de possession du partenaire et celui de la multiplication des partenaires...” p. 336.

    “Ainsi, lorsqu’une société donne le primat au désir  de possession de partenaires, elle est obligée d’inhiber les désir de multiplication de partenaires à ses membres. Et inversement, si elle donne la prééminence au désir de multiplication, elle refoule celui de possession. Institutionnellement parlant, la société, telle qu’on l’a observée, ne peut satisfaire simultanément et totalement ces deux désirs. En conséquence, de ces deux désirs opposés procèdent deux institutions opposées: celle du mariage et celle de la visite”. p. 338. La dernière est celle réalisée par les Na. Hommes et femmes ne contractent pas de liaisons stables - absence de possession - en revanche elles sont multiples. Les relations sexuelles s’établissent lorsque les hommes vont visiter les femmes. Les enfants demeurent avec leurs mères. Il n’y a ni mari, ni père. la fonction de celui-ci est assurée par le frère de la mère, comme cela se produit dans d’autres ethnies.

   Ceci posé, et en acceptant les données de l’auteur, on peut dire que la solution idéale, c’est-à-dire le mode de vie idéal  des hommes et des femmes, serait celle permettant d’assouvir les deux désirs, ce qui implique l’absence de toute organisation, particulièrement celle de la famille. Mais il ne faut pas oublier la question des enfants qui n’entre pas dans la préoccupation de l’auteur. Aussi la vraie question serait: comment vivre “possession” et “multiplication”, tout en permettant un devenir heureux pour les enfants?  Pour répondre au contenu de cette interrogation, il conviendra d’abord  d’analyser ce que recouvrent les concepts de possession et de multiplication et de saisir ce que signifient les deux désirs dont parle Cai Hua. En attendant, je puis déjà signaler que la possession évoque la permanence, et la multiplicité l’impermanence. Il y a donc bien à voir!

 

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