PERSPECTIVE
Une
perspective concernant l’évolution de l’espèce se fonde sur une vision
de tout
ce qui fut et de ce qui advient. Cette vision peut apparaître comme une
explication du devenir. Je ne peux pas prétendre
qu’elle puisse être simplement cela et que
l’ontose[1]
ne
déforme pas ce que je vise. C’est pourquoi je pense préciser mon
positionnement
par l’intermédiaire de la considération de quatre approches de
l’explication.
À la
fin du Plaidoyer pour Staline,
Amadeo
Bordiga écrivit. “Tout en exprimant, une fois encore, notre admiration
à
Trotsky, théoricien parmi les plus grands, nous proposons comme
épitaphe à
Staline - après les prolixes chants funèbres sur sa tombe profanée -
une thèse
différente et plus grande:
“Une
explication historique est
toujours une justification”[2].
Qu’est-ce
qui fait qu’une explication historique ne peut pas être simplement cela
et ne
pas être le support d’une justification? Cette interrogation s’impose
d’autant
plus qu’Amadeo a
pensé en scientifique
et revendiqué la rigueur, la clarté, la transparence du dire. Cela
implique
qu’il ne pense pas que ce soit seulement les autres qui justifient, se
justifient. Inconsciemment, il sent qu’il opère de même. Et là je dis
que
l’ontose imprègne sa pensée. Il a probablement à l’esprit les
évènements où il
fut mis en situation de se justifier. Je veux dire par là qu’il fut
placé dans
une dynamique où celle-ci s’imposait, ce qui ne veut pas dire qu’il se
justifia
consciemment mais que, inconsciemment, cela le ramenait à un problème
de sa
propre affirmation, celle de son originalité et ceci relève de sa
relation à
ses parents. Car le point central sur lequel se greffe la dynamique de
la
justification, c’est la préservation de l’originalité
de tout être humain, féminin. Lorsque Amadeo,
avant de se rendre pour la première fois à Moscou, après l’éclatement
de la
révolution de 1917, répond à une question G.Berti à propos des
bolcheviks, ce
que nous allons reporter, il a une immense remontée qui est une
affirmation de
son originalité. “Nos thèses découlent du marxisme, d’un marxisme
rigoureux et
non dilué comme celui qui durant de longues années
a dominé dans la deuxième internationale et,
si même un jour la révolution russe disparaît ou si les soviets et les
bolcheviks se révélaient n’être pas à même d’effectuer correctement
leur
fonction, nous ne changerons par une virgule à notre programme;
souviens-t-en”.
La
question de G. Berti a présentifié la dynamique de devoir se justifier.
Amadeo
ne le fait pas parce que chaque fois que celle-ci s’est imposée il a
réaffirmé
son immense certitude[3].
La
dynamique de la justification en liaison avec l’affirmation de
l’originalité s’imposa
à lui après le congrès
de Bologne en 1919 et, avec plus d’ampleur, l’année d’après, lors de
son
opposition à certaines thèses de Lénine, après le congrès de Livourne
de 1921,
etc.. Je reviendrai sur tout cela au cours d’une autre étude. Ce qui
m’importe
c’est seulement de signifier le fait qu’il ait perçu sans en être
conscient le
piège de la justification, piège que constamment il sut éviter du fait
même de
cette perception et du fait surtout de son immense certitude.
Une
dernière remarque avant de clore cette approche du mode de concevoir l’explication chez A.
Bordiga. A la fin de Clef des changements de
scène des “grands
acteurs” de l’histoire, il
affirme. “ Nous apprenons ainsi à expliquer la
conscience qu’une société a d’elle-même”[4].
Veut-il dire par là qu’à huit ans d’intervalle il est à même de pouvoir
expliquer sans faire intervenir de justification? Si oui, il est
effectivement
possible d’atteindre un processus conscient. De cela, il en sera
question une
autre fois... Avant, tout de même, une précision. Il ne veut pas
justifier, se
justifier mais il
n’est pas dupe, il
sent qu’en fait, sur l’explication qu’il déploie, qui sert de support, il fonde une justification
qu’il ne veut pas
exhiber et qui l’importune. Il la refuse parce qu’il sent que s’il
opère avec
elle, il n’est plus lui-même, dans son immense dimension et qu’il se
réduit.
Dans
Remarques
sur le Rameau d’Or de Frazer, L. Wittgenstein affirme:
“Toute
explication est une hypothèse“[5].
Ici
s’exprime le doute. D’ailleurs la science expérimentale se présente
comme une
vaste opération de levée de doute, de sécurisation. Peut-être est-ce là
l’origine
de la tendance à négliger la théorie. On s’attache aux faits; on fait
des
expériences pour produire des faits qui puissent étayer une certitude
acquise
et non innée.
Sa
prise de position par rapport à l’explication signale
l’immense incertitude qui l’habite. Pour
justifier sa propre présence, la rendre certaine, il fonde une logique
implacable. Il a écrit De la certitude
à propos de laquelle il dit dans le Tractatus
logicophilosophique: “Ici, comme toujours, la certitude a
priori se révèle
comme quelque chose de purement logique”[6].
La
lecture de ces oeuvres suggère une appréciation sur laquelle je devrai
revenir.
Il essaye de fonder une logique absolue, ce qui le conduit à opérer une
tentative de tout démontrer. N’est réel que ce qui est démontrable,
pourrait-on
dire. Paradoxalement cela aboutit à un doute absolu, indéracinable,
parce qu’il
y a l'irréductibilité
du vivre. Le point
de référence n’est pas à démontrer, démontrable, ce qu’au sein de cette
dynamique on pourrait appeler l’être, son immédiateté que R. Descartes
perçut
dans une grande certitude: “Je pense, donc je suis”. Je pense est ma
caractéristique, ma propriété comme aurait pu dire M. Stirner. Plus
précisément
ce qu’il perçut c’est ce à quoi il fut réduit et qui ne pouvait pas
être nié:
il est une substance pensante. Ce faisant, il accéda à
l’irréductibilité de
l’immédiateté fondatrice de sa certitude. Celle-ci, qu’il exhiba, induisit toute
une remise en cause de
l’immédiateté et L. Wittgenstein est un des points d’arrivée de cette
entreprise.
C’est le je pense qu’il veut
axiomatiser, ce qui le fait buter sur le je
suis, l’irréductible immédiat.
Or, là
encore, l’enracinement de la problèmatique-thématique de ce dernier
s’enracine
dans son enfance, comme il le déclare lui-même. “128. C‘est dans
l’enfance que
j’ai appris à juger de cette sorte. Juger, c’est
cela”[7].
Ce
qu’on pourrait traduire par: juger est affirmer un immédiat, une
évidence. Car
là, au sein de la logique, il a la certitude qu’il ne parvient pas à
transférer dans son
vécu immédiat.
En
attendant une étude exhaustive, voici une précision à propos du résidu,
de
l’irréductible à la logique. À la fin du Tractatus,
il affirme:
“7. -
Ce dont on ne peut parler, il faut le taire”[8].
Belle
expression du despotisme du logos, de la logique. En effet tout ce dont
il peut
parler, il peut l’organiser logiquement et donc se sécuriser. Mais il
reste un ce dont irréductible à la
logique. Cet
immédiat exprimé par ce dont, ce que,
c’est cela, est le résidu à partir duquel se reconstitue le
doute,
l’incertitude. Ces termes le désignent dans la réduction où il fut
placé. D’où,
en face de qui est-il quand il expose cette phrase? Qui l’a induit à
produire
cette immense logique qui s’est avérée infructueuse puisque jusqu’à la
fin de
sa vie il fut rongé par l’incertitude? [9]
Je
trouve important de signaler une autre approche de l’explication. En se
basant
sur l’oeuvre de S. Freud, on peut affirmer que toute explication est
une interprétation. Je n’insisterai
pas à ce
sujet puisque ceci est abordé dans l’article qui suit ainsi que dans
d’autres
qui le complèteront. Toutefois une citation pour éclairer. “Le travail
de toute
ma vie n’a été orienté que vers un seul but. J’ai observé les troubles
les plus
infimes de l’activité chez les gens en bonne santé et chez les malades,
et, à
partir de tels signes, j’ai voulu déduire - deviner, si vous préférez -
comment
est construit l’appareil qui est au service de ces activités et quelles
forces,
en lui, agissent ensemble ou s’opposent"[10].
Il est
encore une autre dimension de l’explication qu’il convient de dévoiler.
Elle
est en liaison avec la répression parentale. Elle a lieu lorsque les
parents,
après avoir signifié un refus à l’enfant, font appel à sa sagesse en
devenir, à
sa compréhension en acte, pour accepter l’intolérable. L’explication
est alors
liée à la répression, mais également au refoulement. Elle vient après
que
celui-ci se soit effectué. Dés lors s’installe la dynamique suivante:
expliquer
pour ne pas voir, pour édifier une barrière. Expliquer c’est opérer
par-dessus
quelque chose qui est refoulé. Le refoulement opère une sorte de vide
qui est
comblé par l’explication; et ceci peut prendre des proportions énormes
parce
que dans ce vide peut venir se loger une immense construction
théorique.
L’explication apparaît donc comme une résistance au dévoilement du
refoulé en
même temps qu’une justification de la répression. Nous retrouvons donc
la
justification dont nous avons traité en premier lieu. Ajoutons que la
dernière
dimension que nous venons de brièvement exposer se retrouve
sous-jacente aux
trois autres. Enfin l’explication en tant que phénomène de résistance
au
dévoilement du refoulement est liée à l’illusion. La première sert de
support
justificateur à la seconde. Je puis conclure par une interrogation:
sommes-nous
conscients de tout ce qui détermine le contenu d’une énonciation, bien
que nous
soyons conscients de l’effectuation de celle-ci? Il n’est possible de
le
devenir que si nous sommes à même de revivre les effets du traumatisme
initial.
Je
pense ainsi avoir
fait percevoir au
lecteur le non-dit logé
dans une
explication. Je peux donc maintenant
exposer et, par là même expliquer, comment je perçois le
devenir de
l’espèce, surtout ce qui peut advenir d’elle, ce qui fonde la
perspective dont
je veux, en tant qu’individualité et Gemeinwesen, témoigner en
expliquant.
Il y a
trente ans j’ai écrit Perspectives[11].
A
l’époque le mot fut
mis au pluriel. La
discontinuité opérée par le mouvement de Mai-Juin 1968 permit la
floraison de
divers possibles dont beaucoup furent réalisés et intégrés dans la
combinatoire
du capital. Il fallut donc à l’époque envisager toutes les
perspectives. Le
devenir de la société-communauté et la réflexion à son sujet permirent
d’aboutir à la mise en évidence d’une seule, que dans ce présent
article je
vais essayer de dévoiler.
Signalons
d’abord quelques réquisits à cette dernière.
1°. Il
n’y a plus à dresser un catalogue des horreurs et des insuffisances des
divers
mouvements qui se sont opposés au capital, ni a fortiori à entonner le
cantique
des lamentations ainsi qu’à lancer des invectives, des insultes contre
ce monde
et ses défenseurs. S’impose à nous la nécessité de mettre en évidence comment l’espèce a opéré.
Car c’est d’elle qu’il
s’agit, le capital étant son rejeton et représente
l’extériorisation-concrétisation de l’ontose, en même temps que le
moyen
illusoire d’y échapper. Toutefois
au
cours des trente années qui nous séparent du phénomène catastrophique
que fut
le mouvement de Mai-Juin 1968, il fut nécessaire de faire une ample
investigation des diverses composantes du mouvement de rébellion contre
le
capital qu’ils furent de droite ou de gauche, ainsi que des supports
sur
lesquels celles-ci se sont fondées pour tenter
d’enrayer le développement de ce dernier ou de l’abolir.
Mieux, s’imposa
la nécessité de montrer que les manifestations de celles-ci étaient
comme des
rejouements de mouvements antérieurs parfois assez éloignés dans le
temps. Nous
insistâmes même sur le fait que la thématique de quitter ce monde avait
elle
aussi été exposée et mise en acte[12].
2°. Au
cours de cette étude s’édifia la conclusion qu’il n’y a pas à lutter et
qu’il
faut quitter ce monde. Ce qui induisit à nouveau à opérer une intense
réflexion
non seulement sur les modalités de cet abandon, mais sur le fait de
savoir s’il
n’y en avait pas eu auparavant, que ce soit dans l’aire occidentale ou
dans une
autre, d’autres tentatives et
comment
elles échouèrent.
Le
refus de devoir lutter découla de la constatation que toute
contestation, toute
lutte renforce un système oppressif, même si celui immédiat, dans l’ici
et
maintenant, vient à être détruit. D’autre part la lutte s’évanouissait
du fait
de la mort potentielle du capital, ce qui - nous l’avons déjà exposé -
n’épuisa
pas le phénomène d’oppression, d’exploitation
3°. La
réflexion permit d’atteindre la cause radicale du mal-être au niveau de
chaque
homme, de chaque femme: la répression parentale, déterminée à l’échelle
de
l’espèce par la séparation d’avec le reste de la nature Le devenir de
celle-ci,
comme nous l’expliciterons toujours plus de façon exhaustive, est un
phénomène
isomorphe et connecté à celui de la non-réalisation de la symbiose
embryon puis
foetus, puis tout petit enfant avec la mère. Ces deux phénomènes
conditionnent
l’impossibilité d’une réelle union homme-femme. En conséquence de ce
qui
précède, il serait totalement aberrant de proposer, pour extirper ce
mal, une
quelconque lutte entre les générations, donc celle des enfants contre
les
parents. Ce qui conduit à sortir de la dualité bourreaux-victimes, de
l’oxymoron servitude volontaire, pour constater, au niveau individuel
comme à
celui de l’espèce, ce qui est advenu afin de mettre un terme définitif
-
réalisation d’une totale discontinuité - à un procès aberrant,
destructeur. Le
corrélat de cette constatation et affirmation est qu’il faut éviter de
présenter de façon autonomisée ce phénomène qui, de ce fait, à la
limite, en
opérant sur tout l’arc de développement de Homo sapiens comme étant le
fait à
soit seul déterminant de l’errance de ce dernier et de ses maux. Celui
qui le
fut dans une multiple détermination induisant de multiples déterminités
ce fut
le sortir du reste de la nature. À l’heure actuelle au sein de la forme
autonomisée du capital, dans le devenir de sa combinatoire, tout
détermine le
mal-être de chacun, mais l’enracinement de chacune des déterminations
se trouve
dans la répression parentale et dans la séparation du reste de la
nature. Tout
cela fonctionne au niveau émotionnel, au niveau de ce qui émeut
profondément
chaque homme, chaque femme. Par suite de la répression et du
refoulement,
toutes les émotions ont leur procès entravé, parce qu’elles sont
autonomisées,
ce qui perturbe totalement le procès de vie de chacun et engendre
l’ontose [13].
4°.
Pour quitter ce monde un cheminement libérateur est nécessaire. Dit
autrement,
ce dernier est le mode de réalisation de la sortie de la
société-communauté en
dissolution dont les fondements remontent à des milliers d’années. En
effet
proférer la proposition-injonction d’abandon, relève de l’ejection d’un
voeu
pieu. Il faut trouver et signaler le mode d’abandonner. Mais ceci est
encore
insuffisant. Il ne suffit pas de sortir, il faut accéder à quelque
chose
d’autre en totale discontinuité. Voilà pourquoi le cheminement est en
même
temps une émergence. La libération c’est l’abandon de l’ontose,
extériorisée-concrétisée en la société-communauté, et l’émergence c’est
celle
de ce qui fut réprimé, refoulé: le plan de vie, tant au niveau de
l’individualité (ontogenèse) qu'à celui de l’espèce (spéciogenèse[14]
)
puisque cela débouche dans la formation d’Homo Gemeinwesen[15]
.
Maintenant
que nous avons vécu la discontinuité avec le devenir en place depuis
des
millénaires, et qu’on opère de façon à la rendre irréversible au niveau de notre vécu,
il est possible de
vivre la continuité avec le phénomène vie, avec la totalité, et donc
d’entrer
réellement dans une autre dynamique de vie qui implique une émergence
toujours
plus puissante du plan de vie au niveau de chaque homme, chaque femme
et au
niveau de l’espèce en tant que communauté au sein d’une communauté plus
vaste,
ce qui implique simultané ment une émergence-immergence.
Encore
une précision en ce qui concerne les réquisits. Le constat devant ce qui s’est
réalisé peut amener à la
conclusion que tout a fait faillite et conduire à un état de désarroi,
désemparement, et à se dire que tout a été vain, se retrouvant par là
dans la situation
de l’enfant terrorisé, aux
abois. Mais à mon avis ce serait là
une
vision superficielle des choses, une démarche immédiatiste, de même que
c’est
de l’immédiatisme que de simplement revendiquer la discontinuité. Non
il n’en
est pas ainsi. Et en produisant une telle négation, je nie en rien
toutes les
horreurs qui se sont succédées au cours de plusieurs milliers d’années
du
devenir de
l’espèce, et je pense qu’il
faut les voir dans leur totalité et réaliser que, parfois, ce sont les
hommes
et les femmes qui se se sont révoltés contre le devenir de
domestication qui y
ont fortement contribué. Ce que je récuse c’est qu’il y eut échec.
C’est ici
que peut se placer l’exposé de notre perspective. Avant de la
présenter, il
convient tout d’abord d’insister sur le fait que ce qui la fonde,
s’enracine non
seulement dans un
ressenti, mais dans une démarche théorique. Sans théorie il est
impossible de
comprendre par exemple le phénomène de la répression parentale et de
l’intégrer
dans celui de la domestication, sans oublier que l’affirmation de
l’existence
de ce dernier procès relève lui-même d’une approche théorique. La
théorie dont
il s’agit se fonde sur l’oeuvre de K. Marx, d’A. Bordiga auxquelles
s’ajoute
l’apport de divers théoriciens, pas nécessairement de gauche, que j’ai
mentionnés en d’autres travaux. Je tiens à préciser que je parle de
fondements
car il est certain qu’il y a encore d’autres apports qu’il faudrait
signaler,
mais ce n’est pas la question ici. Ensuite il convient de dire son
champ de
déploiement. D’un point de vue immédiat, c’est celui du domaine de
l’évolution
de la ligneé d’Homo sapiens commençant avec, selon notre terminologie,
Homo
Emergens qui comprend tous les australanthropes, pour aller à Homo
Gemeinwesen.
Mais étant donné qu’il nous faut comprendre ce qui se manifeste de
nouveau avec
le phylum Homo, il nous faut tenir compte de tout le phénomène vie, de
toute la
nature, ne serait-ce que parce qu’il ne faut pas faire porter à cette
dernière,
en opérant une dynamique de culpabilisation, la charge de l’errance de
Homo
sapiens. Mais pour situer avec plus de rigueur ce qu’est le phénomène
vie dont
le phylum Homo est une expression, il nous faut considérer le cosmos en
son
évolution, laquelle ne peut pas se limiter à ce qu’expose la théorie du
Big-bang. Donc, en définitive le champ de la perspective se déployant
hors de
l’immédiat, que je puis définir comme étant celui où prévaut le
phénomène de
l’ontose, est celui de l’éternité, mot qui se réfère au même signifié
que
totalité. Là surgit une donnée essentielle, qui se présente comme un
autre
réquisit de la
perspective: la nécessité
d’opérer une discontinuité pour retrouver la continuité et par là
l’immédiateté[16].
Le
lien entre toutes les déterminations susnommées: continuité,
immédiateté, totalité,
éternité et j’ajouterai certitude, peut être révélé par la
considération
suivante: le cosmos est une donnée immédiate parce qu’il est éternel;
l’immédiateté, l’affirmation de ma certitude de mon appartenance à lui,
est la
modalité d’appréhender l’éternité. Il est clair que le champ de
déploiement de
la perspective sera limité à
la période
qui va du surgissement de Homo sapiens à l’émergence de Homo
Gemeinwesen. Mais
tout l’exposé sera sous-tendu par cette appréhension de l’éternité.
La
perspective de même que le cheminement de libération-émergence ne
peuvent pas
se concevoir sans une approche théorique, parce que la théorie est de
l’ordre
de la totalité; en conséquence, là encore nous sommes
en liaison avec l’éternité[17].
Cinq
moments essentiels peuvent être envisagés quand on passe de Homo
Emergens à
Homo Gemeinwesen. Dans notre exposé nous tenons compte de trois
constantes:
essentialité de la relation mère-enfant; essentialité de la
Gemeinwesen. Cette
dernière est en étroite liaison ave le caractère prématuré de l’enfant
humain. Ceci
apparaît de façon en
quelque sorte exacerbée dans la dynamique où l’on constate que plus
l’espèce
régresse, c’est-à-dire s’infantilise, plus un ensemble de prothèses,
substituts
de la Gemeinwesen, sont nécessaires. La troisième essentialité est
celle du
rapport au reste de la nature.
1°
Emergence du phylum Homo à partir des australanthropes. Avec
l’acquisition de
la station verticale et la mise en place de l’haptogestation,
s’instaurent les
empreintes qui vont jouer au sein de l’espèce et c’est un moment où
s’impose
une prépondérance des femmes.
L’haptogestation
contient le possible de la dépendance, de la séparation. En effet, si
elle ne
s’accomplit pas en tant que symbiose, l’enfant, puis l’adulte, qui
n’est plus
en continuité, devient dépendant de la mère ou de tout support du désir
de
continuité avec elle, ce qui fonde les relations de parasitage,
d’envahissement, de rejet-regret, etc... mais aussi la séparation afin
de
fonder, dans une dynamique de sécurisation, la sûreté qui a été perdue.
Ceci
rendra réalisable la séparation d’avec le reste de la nature.
2° Au
paléolithique supérieur, avec le développement de la chasse au gros
gibier, on
a un moment de prépondérance des hommes avec une exaltation de la
femme.
3° Avec
la sédentarisation néolithique s’impose un nouveau moment de
prépondérance des
femmes.
4° De
la fin du néolithique jusqu’à nos jours, s’affirme un autre moment de
la
prépondérance des hommes. Toutefois au cours de cette longue période on
peut
distinguer un 5° moment qui est celui du capital qui opère d’abord en
Occident
à partir du XV° siècle. Il se caractérise par la perte d’importance,
d’abord de
l’homme, puis de la femme, la coupure pleinement réalisée avec le reste
de la
nature et l’instauration de la virtualité. Simultanément dans la
période
terminale, c’est-à-dire de nos jours, pointe une réaffirmation, tant
dans le
vécu que sur le plan théorique, de l’importance de l’haptogestation et
de la
Gemeinwesen.
L’évolution
de l’espèce a souvent été décrite en tenant compte d’une lutte entre
les deux
sexes qui se maintenait même quand, ultérieurement, on faisait
intervenir une
opposition entre ethnies, entre empires, puis au sein de ces diverses
formations, la lutte des classes, etc... On a également fait appel à
une lutte
entre les générations, mais, sauf exception, on ne s’est pas préoccupé
du retentissement
du mode de vie des hommes et des femmes sur leur progéniture, sur leur
façon de
se comporter vis-à-vis de leurs enfants, sur l’importance qu’ils leur
accordaient. En conséquence on n’a fait aucun rapprochement entre la
façon dont
ces derniers furent traités et le mode selon lequel ils devinrent
adultes et
opérèrent à leur tour. Les choses changent
actuellement puisque depuis quelques années l’enfance est
un sujet
d’investigation. Ainsi dans son livre “On becoming human”[18],
Nancy Makepeace Tanner insiste sur l’essentialité de la relation
mère-enfant
dans le devenir des Australanthropes à Homo Sapiens. D’autres
théoriciens
particulièrement ceux du
courant de la
psychohistoire ont mis au centre de leurs recherches la condition des
enfants à
travers les âges. A ce propos Lloyd de Mause a écrit une histoire de
l’enfance[19]
pour
mettre en évidence à quel point l’enfant a été maltraité au cours des
âges en
même temps qu’il
démontre que selon lui
la relation parents-enfants s’améliore au cours du temps et que de nos
jours
elle tend à devenir empathique. “L’histoire produit une amélioration
générale
du sort des enfants”[20]. La définition de la
psychohistoire fournie
par cet auteur est la suivante: ”... c’est la théorie selon laquelle
l’histoire
se constitue par la mise en actes par des adultes de fantasmes de
groupe qui
sont fondés dans des motivations initialement produites à partir de
l’évolution
de l’enfance à travers les âges”[21].
Il
apparaît bien que la relation parent-enfant soit une variable
indépendante
déterminant tout l’ensemble du procès se déroulant au cours du temps.
En outre
il n’y a aucune explication du fait des mauvais traitements infligés
aux
enfants. C’est ainsi qu’il n’est pas parlé de répression parentale dont
on peut
indiquer les causes. A ce propos, on peut dire
que le drame de l’enfant c’est de ne jamais pouvoir
l’être.
Identifications, projections, transferts et virtualisation l’empêchent
de se
vivre dans son immédiateté, d’où un désarroi, un sentiment d’égarement
ainsi
qu’une sensation perpétuelle d’inachèvement, d’incomplétude. Enfin, en même temps
qu’une unicité causale:
la relation parent-enfant, une unilinéarité du développement nous est
proposée
qui restaure l’idée de progrès. En conséquence l’intérêt des
productions
théoriques des adeptes de la psychohistoire, de même que ceux de
l’échopsychologie ou de la psychologie transpersonnelle, ne réside pas
dans le
fait qu’elles prouveraient la validité de
leur théorie mais dans celui de mettre en évidence des
phénomènes qu’on
peut considérer comme des rejouements.
En
anticipant sur ce qui sera exposé dans Advenir
et dans la suite de l’article sur Mai-Juin 1968, j’expose
succinctement les
déterminations essentielles du devenir de l’espèce humaine. Je
considère que
celle-ci a connu une catastrophe ou elle a frôlé, risqué l’extinction,
ce qui a
engendré un traumatisme énorme qu’elle revit, rejoue périodiquement.
C’est pour
échapper à la menace d’extinction que l’espèce s’est engagée dans la
voie de la
sortie de la nature, qu’elle a eu tendance à se séparer du reste de
cette
dernière. Cette séparation s’est opérée insidieusement au cours de
millénaires. Du
fait que l’espèce rejoue
cet évènement primordial où elle s’arrache à la nature au cours d’une
catastrophe,
il n’y a pas unilinéarité, mais une succession de cycles. Il y a des
phase de
développement intense, de progression où elle décolle en quelque sorte
en
s’arrachant à un état de dépendance, et passe d’un stade infantile à
une
certaine maturité, jusqu’à un moment considéré comme phase de
décadence, de
catastrophe où hommes et femmes régressent du stade adulte, auquel ils
avaient
accédé au cours de la phase antérieure, à une phase infantile. Puis il
y a de
nouveau démarrage, décollement, bref un autre cycle commence. Mais ce
n’est pas
une simple répétition parce que les phénomènes sont de plus en plus
intenses,
afin de réaliser en
quelque sorte, d’une
façon de plus en plus rigoureuse, la situation catastrophique
originelle au
cours de laquelle l’espèce encourut l’extinction. Tout cela, après de
nombreux
cycles, se réalise de nos jours où nous vivons la catastrophe et où
s’opère la
menace de notre extinction concomitante à celle de nombreuses autres
espèces.
La sortie de la nature a imposé le phénomène d’autodomestication de
l’espèce
qui opère par une répression parentale de la naturalité des enfants.
Plus
l’autodomestication s’accrut, plus s‘imposa le besoin de sortir de cet
état; il
en découla la prise d’hallucinogènes qui permet d’aller au-delà des
limites de
l’être réduit, bloqué en atteignant l’extase[22].
La
réaction adaptative des enfants à
la
répression a engendré l’ontose qui s’est établie de façon insidieuse au
cours
de milliers d’années. Mais en même temps l’espèce, quittant le reste de
la
nature, a dû se créer un milieu en adéquation avec son devenir
ontosique, d’où
le développement intense de la technique, puis de la science. La
nécessité de
se sécuriser, de se justifier est une autre cause du développement
énorme du
procès de connaissance. Ainsi plus la technique, plus le procès de
connaissance
deviennent importants permettant la mise en place de prothèses, plus la
régression au stade infantile est rendue possible, plus la catastrophe
peut se
réactualiser. Au cours de ce devenir les différentes activités apparues
sont
certes en relation avec la répression parentale nécessaire pour
réaliser le
devenir hors nature, mais elles gardent leur autonomie et ont leur
déterminisme
propre, ainsi de l’économie, de la science, etc.. De telle sorte qu’il
est
impossible de dire, comme le
font certains,
que ce serait le psychique qui serait déterminant et que les lois
gouvernant le
psychique s’appliqueraient à l’économie par exemple. Mais on peut
considérer
que toutes les productions humaines sont des supports ontosiques,
chacune ayant
son déterminisme propre ce qui contribue à installer une confusion dans
la
représentation et dans la conduite de l’espèce, caractéristique de
l’ontose,
ainsi qu’à créer les bases de la catastrophe.
Toutefois c’est à travers tout ce que celle-ci effectue,
concrètement et
dans la pensée, qu’elle essaye inconsciemment de comprendre le
traumatisme
initial, ainsi que ceux successifs, rejouements du premier.
Étayer
ce qui précède requerra beaucoup d’études. J’insisterai pour le moment
uniquement sur le fait que catastrophe et extinction exercent sur nous
une
profonde fascination, particulièrement de nos jours avec la sixième,
dont parle
R. Leakey, qui
concerne le phénomène vie
à l’échelle de la terre. J’ajouterai qu’à la catastrophe est souvent
liée
l’idée de régénération[23]
et
donc l’espoir de résoudre le mal qui la ronge. Ceci apparaît dans l’approche suivante: il
faut tout détruire et
repartir à zéro, qui s’impose tant sur le plan collectif qu’individuel.
Pour
signifier notre perspective, il convient de dire quelle est la
situation où
nous nous trouvons. En conséquence il convient de revenir brièvement
sur le
phénomène du capital qui commence vers le XV° siècle. Il émerge de la
dissolution du mode de production féodal ainsi que le mouvement porteur
d’une
tentative très puissante de libération tendant à retrouver la
naturalité, donc
tentative de se libérer pour accéder à un nouvel être, pour se
réinsérer dans
une totalité. C’est l’affirmation de tous les mouvements hérétiques et
celle
d’un mouvement prolétarien opérant des deux côtés de l’Atlantique,
comme
l’affirme P. Linebaugh[24].
Le
prolétariat de l’époque, produit de la dissolution du mode de
production
féodal, résultant d’une
séparation des
hommes de la terre, de leurs conditions de travail, est formé de gens
n’ayant
plus rien, des sans réserve, analogues au prolétaires antiques. Pour la
plus
grande part, il ne sont pas salariés mais en voie de salarisation,
opèrée sous
la contrainte. Cela veut dire que la solution, à partir du pouvoir en
place, à
partir du pôle répressif, à la dissolution en cours, est la mise en
place du
salariat, donc la pleine réalisation du mode de production capitaliste.
La genèse
de ce prolétariat est, avons-nous dit, analogue à celle de celui surgi
au sein
du mode de production esclavagiste. Il comprend tous les exclus, tous
ceux qui
ne peuvent pas entrer dans les structures de ce dernier[25].
Cela correspond à une surpopulation non pas d’un point de vue absolu,
mais en
rapport au mode de production, et signale la perte de contrôle de
l’espèce
quant à la régulation du rapport de son effectif à l’activité nécessaire pour produire.
La tendance à la
formation d’un tel excédent de population est constante au cours de
l’histoire
tant du mode de production esclavagiste que de celui qui le précède.
Cela est
dû en partie au fait que les enfants ne sont plus engendrés à la suite
d’un
procès naturel en tant que propagateurs de l’espèce et maintien de sa
continuité, mais en tant que devant réaliser les désirs ontosiques de
leurs
parents. Une solution importante pour résorber cet excédent de
population fut
la colonisation, la conquête de l’espace, ce qui se produisit toujours
aux
dépens de populations autonomes et impliqua parfois des massacres plus
ou moins
importants. Mais à l’époque romaine, cette solution n’est plus
suffisante et
plus difficilement réalisable du fait de la résistance des peuples
situés en
bordure de l’empire, d’où la formation d’un prolétariat. Pour
neutraliser la
force destructrice que potentiellement il recelait, il fallut
l’assister. Voilà
pourquoi Sismondi affirma qu’il vivait aux dépens de la société. D’une
certaine
façon on peut dire que la formation de ce prolétariat était le
rejouement d’un
phénomène qui s’était déroulé auparavant vers le treizième siècle avant
notre
ère lors d’une phase de désorganisation de l’Etat sous sa première
forme
(communauté abstraïsée) qui phénoménalement se présenta sous la forme
de
cités-Etats-temples. Cette désorganisation qui préluda à sa dissolution
fut en
rapport à l’émergence du mouvement de la valeur dans sa dimension
horizontale
et non plus seulement verticale, justifiant la hiérarchie[26].
C’est au cours de cette période que se formèrent les hapirous, ancêtres
des
hébreux qui représentaient la négation de l’organisation et de la
représentation sociales en place. Ils affirmèrent la nécessité de
supprimer la
propriété privée, de répartir les terres, de refuser toute dynamique de
domination et, en conséquence, d’affirmer un retour à une naturalité,
exprimant
par là leur refus d’accroître la séparation d’avec le reste de la
nature.
Toutefois au cours du temps, afin de se maintenir en tant que groupe
multiethnique et se positionner, fut mis au point un corpus doctrinal
comprenant l’affirmation du peuple élu[27],
la
loi donnée par un dieu transcendant situé hors nature, comme principe
organisateur, fondateur en ce qui concerne le groupe lui-même, et
séparateur,
distanciateur, en ce qui concerne tous ceux demeurés dans les
organisations
étatiques. Nous avons là une expression radicale de la séparation
d’avec la
nature. Et nous constatons le rejouement: c’est pour résoudre un
problème
immédiat, échapper à une pression destructrice, à une menace que
s’accuse un
devenir hors nature[28]. Nous pouvons ajouter que
c’est au sein de ces
hapirous qui vont devenir les hébreux que prennent naissance les
courants
révolutionnaire et conservateur[29]
et
qu’à chaque phase de dissolution des formes sociales au sein desquelles
se
trouvent les juifs, se réactualise le phénomène d’exclusion et que les
deux
courants se réactivent. J’ajouterai que ces phases de dissolution
engendrent au
sein des populations aryennes un phénomène de type juif. Ainsi, pour
prendre un
exemple, au XIX° siècle avec le mouvement prolétarien, la dimension de
peuple
élu est réaffirmée avec comme support le prolétariat qui doit émanciper
l’espèce en s’émancipant et se supprimant en tant prolétariat (dimension
sotériologique). Voilà pourquoi
également les juifs apportèrent la contribution probablement la plus
importante
au mouvement révolutionnaire des XIX° et XX° siècles, tout
particulièrement en
Russie et en Europe centrale et confinant à cette dernière[30].
Ceci
dit, revenons à la formation du mode de production capitaliste. On peut
dire
qu’au cours des XV°, XVI° et XVII° siècles on assiste à un heurt
terrible entre
les deux mouvements émergeant
de la
dissolution et qu’au XVIII° siècle s’opère la victoire du capital et
que, dés
lors, naît un nouveau prolétariat, le prolétariat salarié. La
constitution de
ce dernier sur le plan politique, avec la formation
du parti communiste, comme l’expriment
K. Marx et F. Engels dans le Manifeste
du parti communiste, 1848,
n’est pas tant la formation d’une force pouvant s’opposer à la
catastrophe qui
pour Marx résulterait du plein développement du capital, mais est la
consécration de la défaite du prolétariat qui n’a pas pu effectuer son
oeuvre
d’émancipation et qui, de ce fait, s’adapte à la société nouvelle. Dit
autrement, K. Marx ne voit pas que la catastrophe a déjà eu lieu:
l’instauration du mode de production capitaliste, ce qui explique sa
non
compréhension du phénomène luddite et sa hantise du lumpenprolétariat
et qu’il
soit hanté par une autre, qui se réalisera, l’échappement du capital
par
rapport à toute limitation, son autonomisation. Il se trouvait en face
de
l’enclenchement d’un autre cycle, au sein d’un cycle plus ample qui se
terminera avec la réalisation de la domination réelle du capital sur la
société.
L’affirmation
de ce dernier au sein de l’espèce correspond à une exaltation du désir
d’intervention, la dimension prométhéenne
de celle-ci si puissante chez K. Marx: faire,
entreprendre, construire,
édifier un nouveau monde. Elle impliqua simultanément une autre
approche de la
réalité, une autre conception du monde et des rapports des hommes et
des femmes
au cosmos, etc., mais aussi une autre alimentation support de fortes
compensations, et dispensatrice de beaucoup d’énergie, qui maintienne
en
quelque sorte un état d’excitation apte à permettre de réaliser les projets. Ainsi au
cours de la phase
d’implantation du capital, s’imposa la consommation d’épices, de
nouvelles
drogues plutôt excitantes, comme le café et le thé, et celle d’un produit libérant une
énergie intense et
rendant possible l’ingestion d’autres substances: le saccharose, le
sucre qui
fut d’abord extrait à partir de la canne. Ceci conditionna un grand
développement du trafic maritime et la formation d’un premier
prolétariat composé
de marins, comme P. Linebaugh
l’indique dans ses ouvrages précédemment cités.
Mais ce
n’est pas tout, la dissolution du monde féodal engendrant une
surpopulation qui
n’est plus liée, protégée, sécurisée par les prothèses dont l’ensemble
forme
l’ordre hiérarchique de la féodalité, il y a une nécessité comme cela
s’est
imposé auparavant en Occident, d’une migration et d’une conquête de
l’espace.
De là les poussées migratrices avec les grandes découvertes.
Simultanément naît
l’utopie, concrétisation de l’injonction: il faut repartir à zéro,
préfigurée
dans l’oeuvre d’Homère, l’Odyssée. Hommes et femmes sont amenés
à réexaminer les rapports
qui les lient, et ceux qu’ils entretiennent
avec leur progéniture. On peut dire qu’au cours de cette
phase ils
tendirent à devenir adultes, sortant de la phase infantile où la
domination
féodale les avait bloqués.
En même
temps que l’émergence du capital il y eut une réaffirmation de la
répression
avec l’autonomisation de la forme féodale: la monarchie absolue. En
conséquence, ultérieurement, hommes et femmes régressèrent à nouveau à
un stade
infantile. Et, lorsqu’au XVIII° siècle, un mouvement révolutionnaire
tend à
s’imposer des deux côtés de l’Atlantique, un thème important prévaut,
celui de
lutter contre le statut de minorité où se trouve l’humanité. Il se
trouve dans
la philosophie kantienne comme dans les discours des conventionnels. En
même
temps l’utopie reprit de son importance et ce jusqu’au milieu du XIX°
siècle.
Le nouveau mouvement prolétarien avec le courant marxiste et celui
anarchiste
préconisa une maturation de l’espèce, une sortie de son infantilisme,
de sa régression
où elle avait été plongée [31].
Nous
avons vu que la réponse à la menace prolétarienne fut un développement
énorme
du capital avec la réalisation de sa domination effective dans le
procès de
production et, dés la fin du XIX° siècle, l’espèce régresse en même temps que le
phénomène de
migration reprend de l’ampleur.
Le
premier ébranlement de ce siècle concerne des populations régressées au
stade
adolescent voire infantile et les réactions qu’il suscita accusèrent
cette
régression et, dans
les années trente et
quarante, le stade infantile s’imposa. Toutefois en même temps commença
à
poindre, bien que de façon mystifiée, la compréhension du mécanisme de
l’ontose, avec l’oeuvre de S. Freud et celle de divers psychanalystes freudiens ou dissidents.
La
seconde guerre mondiale, seconde apocalypse après celle de 14-18,
suivie de la
guerre froide mais aussi de tous les mouvements révolutionnaires des
pays
colonisés, accusent la régression. On doit noter qu’au cours de la
phase
précédente et durant les années cinquante puis soixante, la
science-fiction
prit un développement considérable et remplaça l’utopie.
Ensuite
nous avons le second ébranlement de ce siècle avec le mouvement dont la
crête
fut Mai-Juin 1968. L’espèce infantilisée tend à nouveau à accéder à la
maturité. À partir de ce moment-là, le thème de la catastrophe va
s’imposer
parce qu’elle va être rejouée de
façon
récurrente. Ce thème s’affirma particulièrement dans les thèses du club
de
Rome.
Au
cours de 1968 se dévoila parfaitement le “mal” qui la travaille. Les
révolutionnaires posèrent la nécessité de libérer le geste, la parole,
de les
récupérer, et de donner libre cours à l’imagination; mais la racine de
ce mal
resta en dehors de l’investigation: la répression parentale. Le
phénomène de
répression l’emporta avec l’autonomisation de la forme capital,
corrélative à
la mort potentielle de celui-ci. L’espèce fut à ouvreau bloquée à un
stade de plus en
plus infantile. Un évènement
important qui s’est déroulé en 1969 a contribué à ce blocage et à sa
dépossession:
le soi-disant débarquement d’astronautes étasuniens sur la lune. Ceci est un rejouement de
ce qui s’est opéré
aux diverses phases critiques du développement du mode de production
capitaliste. La solution chaque fois proposée fut la conquête de
l’espace dans
une dynamique utopique d’un repartir à zéro, de franchir la frontière,
la
limite, de se libérer dans un échappement. Mais dans les années
soixante tout
cela n’est plus possible sur terre. En outre il fallait répondre aux
révolutionnaires de
1968 qui revendiquaient
une réalisation immédiate, ne voulaient plus attendre; ils voulaient
réaliser
immédiatement ce qui avait paru auparavant utopique et, pour atteindre
cet
objectif, ils revendiquaient une prise de pouvoir par l’imagination. La
réponse
à toutes ces aspirations qui sapaient la société-communauté du capital
fut de
montrer que l’imagination était déjà au pouvoir et avait permis la
réalisation
d’un vieux rêve humain: aller sur la lune. Et dans ce cas, la conquête
qui
s’initiait était vraiment “humaine”en ce sens qu’elle ne
s’accompagnerait pas
de massacres, notre satellite étant privé de formes de vie organique.
Ce fut en
réalité une immense mystification à tous les points de vue puisque des
hommes
ne sont pas allés en un lieu logé nulle part puisque la lune est bien
située en
un point de l’espace. Ce faisant il y avait dévoilement de la dimension
mystificatrice de l’utopie. Avec cette mystification commence l’ère de
la
virtualité, qui vient relayer la phase de la mort potentielle du
capital, au
cours de laquelle se réalise et se concrétise pleinement l’ontose. Nous
sommes
parvenus au moment où la catastrophe s’impose et où le risque
d’extinction de
l’espèce redevient une profonde menace[32]
.
Au
cours de tous ces évènements celle-ci a régressé jusqu’au stade foetus
et ceci
n’a été possible que par suite d’un développement dans tous les
secteurs,
économique, technique, dans toutes les sciences particulièrement celles
qui
permettent de
maintenir artificiellement
l’espèce et de la sécuriser: biologie, surtout dans ses applications
médicales,
psychologie, sociologie; d’où la multiplication des prothèses.
Divers
théoriciens ont mis en évidence un tel phénomène de régression ainsi
Mickel
Adzema dans un article: L’émergence de
l’inconscient périnatal: évolution consciente ou apocalypse[33].
Par
périnatal l’auteur considère tout ce qui concerne, entoure la naissance
(surrounding birth). Il s’appuie sur les travaux de Stanislav Grof[34].
Il
se préoccupe de divers comportements aberrants et terrifiants comme
celui à la
base du culte
satanique, les meurtres et
viols en série et il montre qu’ils
sont
le rejouement de perturbations profondes subies au cours de la vie
intrautérine
et au moment de la naissance. Il en est de même pour les morts par
suffocation,
particulièrement dans l’eau. D’autre part s’impose à lui que l’activité
de
l’espèce vise à reconstituer le milieu périnatal, c’est-à-dire l’environnement que le
foetus rencontre au
moment de la naissance. Ainsi la pollution atmosphérique avec
l’augmentation du
taux de CO2 correspond au milieu plus ou moins asphyxiant que celui-ci
a connu
du fait d’une gestation et d’une parturition non naturelles, non
acceptées
pleinement. Je reviendrai sur tout cela[35].
Je
veux simplement ajouter que
le phénomène
de régression est en même temps une progression, comme M. Adzema l’envisage lui-même, vers
ce que je pose être
le moment de rencontre du traumatisme originel, tant pour l’individu
que pour
l’espèce. Celle-ci engendre de multiples supports pour rejouer ce qui
l’a
traumatisée, ainsi la prolifération des ronds-points
supports du “tourner en rond” dans l’utérus
dont l’issue est fermée du fait de la non-réalisation de la symbiose.
Plus
globalement l’ensemble du réseau autoroutier constitue un immense
labyrinthe,
représentation-concrétisation de l’ontose. L’accroissement du nombre de
réseaux
signifie également la complexité qui constitue l’ontose. L’informatique
elle
aussi opère en tant que support de cette dernière. Tout homme, toute
femme est
réduit(e), du fait de la non acceptation de la part de la mère, à
l’indifférencié,
au ça[36].
L’informatique tend à donner forme à celui-ci. L’ordinateur en est le
support
comme celui de multiples rejouements sur lesquels nous reviendrons.
Ainsi de
façon inconsciente l’espèce tend à établir la catastrophe au sein de
laquelle
son extinction est possible, menaçante. Nous l’avons dit cette
catastrophe est
opérante. Pour que la menace ne se réalise pas et que perdure une forme
de vie
bien déterminée, il faut que soit abandonné
le comportement qui a permis à Homo sapiens de survivre
jadis mais qui,
désormais, conduit à la réalisation plénière de la catastrophe,
c’est-à-dire la
sortie de la nature. La réconciliation avec cette dernière implique la
transformation d’Homo sapiens en Homo Gemeinwesen. Ainsi il est
possible de
préciser ce que peuvent être les attracteurs dont il a été question
dans Dire Voir Dire[37].
Le
premier correspond au fait que pour survivre l’espèce a dû sortir de la
nature
et que, pour se sécuriser dans ce devenir, elle dut parachever toujours
plus la
séparation. Le second réside dans le fait que l’unique possibilité de
vivre
pleinement, c’est-à-dire libérée de l’ontose, c’est de retrouver la
continuité
avec le reste de la nature, avec le cosmos. L’existence de cet
attracteur
signale qu’elle ne peut pas faire autrement. Il n’y a aucun choix.
Nous
pouvons rapidement illustrer cela en faisant brièvement état de
l’utilisation
des drogues. Auparavant une remarque s’impose: la réalisation de la
perte
totale de naturalité fait qu’il y a de moins en moins de différences
entre
aliments, médicaments et drogues. La tendance à aller au-delà des
limites (dont
nous avons souvent parlé à propos du capital) nécessite une
alimentation
droguée comme cela est spectaculairement opérant chez les sportifs,
mais
également présent chez tous. Les drogues, surtout les nouvelles comme
le LSD,
mis au point à partir de 1943, permettent, comme l’affirment divers
psychologues et psychothérapeutes, la constitution de ce qu’ils nomment
des
états modifiés de conscience ou états extraordinaires de conscience, en
particulier l’extase. Grâce à elles, le consommateur effectue un voyage
initiatique et il atteint des hallucinations comme le firent ses
lointains
ancêtres et comme le font ceux qui n’ont pas encore été totalement
occidentalisés. Cela signifie que pour tous ceux qui l’ont été se
réaffirme une
donnée originelle et que rien n’a été résolu. Ce qui est le plus
intéressant
pour notre propos c’est ce qu’a mis en évidence l’utilisation du LSD,
par
exemple, à des fins thérapeutiques. Dit rapidement: l’individu
consommant ces
drogues opère une régression et revit les traumatismes générateurs de
grandes
souffrances qu’il a subis durant sa petite enfance et sa vie
intrautérine. Or
ce qui s’impose comme
étant le moment
générateur du phénomène de la souffrance c’est la séparation d’avec la
mère et,
pour certains il y a liaison immédiate avec celle d’avec la nature.
C’est là
que s’affirme l’attracteur: pour sortir du devenir de souffrance, il
convient
de faire retour à la nature[38]
La vie
naturelle, la vie dans le cosmos n’est pas sans risques pour l’espèce,
mais
celle-ci est, maintenant, en mesure de faire face à ceux-ci, non pas de
façon
immédiatiste mais en tenant compte de tout le procès de vie dont elle
fait
partie. Ainsi au sein du phylum Homo qui commence avec les
Australanthropes,
Homo sapiens a permis l’acquisition d’un comportement cognitif qui,
expurgé de
toutes les tares ontosiques, permettra de réaliser une sorte de
symbiose avec
le reste de la nature. Ceci ne peut être réalisé que par Homo
Gemeinwesen pour
qui le procès cognitif n’opèrera pas pour se justifier, pour se
sécuriser, mais
pour connaître ce à quoi il participe:
tout le cosmos.
Une
urgence s’impose, mais elle ne doit pas susciter l’impatience[39].
Or
une immense certitude s’installe au coeur de toute femme, de tout homme
qui
chemine vers l’émergence.
Précisons
encore. L’instauration d’un monde virtuel qui concrétise l’ontose, la
rendant
bien visible peut permettre de simuler une extinction au sein de la
catastrophe
que nous vivons, de rejouer son risque et de ne pas la vivre. Tous les
cycles
s’épuisent en la catastrophe que nous vivons; l’ontose est
présentifiée,
révèlée. Tout s’est maintenant dévoilé.
La
perspective peut s’exprimer tout d’abord de la façon suivante: tout
homme,
toute femme tend à retrouver sa naturalité, tout ce qui a été réprimé,
refoulé,
et à se réconcilier avec le reste de la nature. Ce faisant chaque
femme, chaque
homme tendant à émerger dans cette naturalité, vise à installer un
milieu biotique
compatible avec cette dernière, tout comme l’ensemble des prothèses, ou
le
monde virtuel, est compatible avec les êtres ontosés. Elle peut se
signifier
d’une autre façon: rétablir la continuité entre hommes et femmes, entre
ceux-ci
et leurs enfants[40]
et, par là, se remettre en continuité avec tout le phénomène vie. Nous
vivons
la fin des cycles, des rejouements, pour entrer en continuité avec
l’éternité.
Une
dernière précision à travers un questionnement, suivi de propositions
sans
explication. Pourquoi aime-t-on? Afin de rejouer. Cesser de le faire
implique
qu’on soit à même de pouvoir affirmer simultanément la dimension de
l’amour et
le pouvoir qui est affirmation de l’aptitude à être, à partir d’un
point
d’émergence ce qui signifie que l’on est apte à se positionner dans la
totalité dont la
fragmentation, il y a
des milliers d’années engendra justement la scission de la continuité
en amour
et pouvoir. La perspective du futur proche n’est pas de retrouver
l’amour, mais
la continuité. Dit autrement, l’accès à cette dernière permet d’accéder
enfin à
la totalité. Le but n’est pas la continuité en tant que telle, ce qui
impliquerait une autonomisation, phénomène déjà advenu à la suite d’une
dynamique mystificatrice, avec la théorisation de la voie et donc, de
l’intermédiaire, de la médiation. La perspective et sa réalisation ne
peuvent
se poser qu’en dehors de toute médiatisation.
Jacques CAMATTE
Mars 1999
[1]. L’explication
de ce terme est
exposée dans l’article suivant (Surgissement et devenir de
l’ontose).
[2]. Plaidoyer
pour Staline, il
programma
comunista, n° 14, 1956 - traduction dans Invariance, série I, n° 5,
1969, p.
69. J’ai tenu à
reporter la totalité du
dernier paragraphe du texte afin que le lecteur puisse situer la phrase
dans
son contexte historique.
[3]. Toutefois il y
a un moment où ceci
s’avéra inexact. C’est quand il écrivit son commentaire au livre de V.
I. Lénine sur le
gauchisme. L’explication qu’il
en donna est une justification.
[4]. Clef
des changements de scène des “grands acteurs “ de l’histoire,
il programma
comunista, n° 23, 1964 - traduction dans Invariance, série I, n° 5, p.
76. Le
thème de l’article est le limogeage de N. Krouchtchev.
[5]. Remarques
sur le Rameau d’Or de Frazer, Ed. L’Age d’Homme, p.15.
[6]. Tractatus
logicophilosophique, Ed. Idées, Gallimard, 1961, p. 162.
[7]. De
la certitude, Ed. Idées, Gallimard, p. 65. A noter qu’E.
Husserl lui aussi
entre dans cette dynamique.
[8]. O.c, p. 177.
[9]. Démontrer
qu’il est en présence de
sa mère, et ce dans une régression à l’état de tout petit enfant,
encore inapte
à parler, réclame une approche détaillée
de l’homme L. Wittgenstein et de son oeuvre. Je l’affirme
tout de même
car telle est ma certitude. En effet le
taire évoque
profondément l’interdit
où il fut mis par la non acceptation de sa mère, son refus. Cela est
absolument
illogique, donc non intégrable à la logique. On ne peut pas en parler
et la
pensée n’y a pas de prise. Simultanément le Ce
dont on ne peut pas parler
signale
l’immense souffrance sous-jacente et son refoulement.
Il y a beaucoup de ressemblances entre L. Wittgenstein et
S. Freud lui
aussi rongé par l’incertitude.
À propos de la logique, qui réclame une longue étude à son
sujet, on
peut, pour le moment, faire remarquer ceci.
Son développement a consisté en une séparation du support
humain, à
travers une élimination de ce qui fut appelé le psychologisme. Or
effectivement
la psychologie se préoccupait du mode de fonctionnement de la pensée,
ce qui
est accaparé actuellement par les sciences cognitives. En conséquence,
elle
subit également un processus d’autonomisation par rapport au langage
verbal,
pour aboutir à une logique pure, ne se référant plus à l’humain. Il
fallut lui
trouver un support. Ce fut l’ordinateur. On pénètre là dans le
phénomène de la
virtualisation, sans abandonner pour
autant la psychologie: l’ordinateur est à son tour le support d’un
surmoi plus
implacable que celui qui a un support organique.
En ce qui concerne le procès psychique de chacun,
l’utilisation de la
logique apparaît comme une entreprise visant à dissoudre la confusion
dans
laquelle l’ontose nous plonge
[10]. S. Freud: Prix Goethe 1930, in
, Idées, problèmes, II, 1921-1938, Ed. Puf, p. 181. Ce
comportement cognitif
s’exprime en une herméneutique qu’on retrouve chez les croyants qui
veulent
démontrer l’existence de dieu. “De même, en effet que l’âme, dans
l’homme, ne
se voit pas - invisible qu’elle est pour les hommes - mais que les
mouvements
du corps font imaginer: de même Dieu - on le conçoit bien - ne peut
être perçu
par les yeux humains, mais sa providence et ses oeuvres le font voir et
imaginer”. Théophile d’Antioche: Trois
livres à Autolycus, Ed. Du Cerf, p. 61. La nécessité de
percevoir des
signes est en liaison avec une dynamique de sécurisation et traduit la
perte de
l’immédiateté qui
est justement la
certitude sensible où la réflexivité
ne
s’est pas encore déployée. Nous y reviendrons.
[11]. Invariance,
série i, n° 5, 1969.
[12]. C’est un thème
fondamental de Emergence de Homo Gemeinwesen.,
surtout
dans la partie non encore pleinement rédigée et publiée.
[13]. Le traumatisme
immédiat, le dernier
survenu, énième rejouement de celui initial, a tendance à être
considéré comme
la cause de ce qui est advenu, ce qui fonde une explication
immédiatiste et
unilinéaire, unilatérale etc...
[14]. Il ne s’agit
pas de confondre avec
la phylogenèse comme cela est expliqué dans une note de l’article
suivant.
[15]. Une réelle
émancipation est en même
temps une réappropriation et non une dépossession- dépouillement, Entaüsserung, parce qu’elle ne se situe
pas dans la dynamique de l’extériorisation; Veraüsserung.
Avec elle,
il ne s’opère pas
simplement un déploiement de rejouements. Elle ne se limite pas à
ceux-ci.
[16]. J’insiste
là-dessus parce qu’il ne
suffit plus de revendiquer une discontinuité vis-à-vis du devenir
d’errance, il
faut retrouver la continuité avec le phénomène vie. Il faut être bien
précis.
Le mouvement du capital lui aussi fonde une continuité et nous propose
une
immédiateté, du fait même qu’il s’est posé en tant que nature. Donc
quand je
parle de continuité et d’immédiateté, sauf précisions adventives, il
n’est en
rien question du capital, ni de la société en place. Si on les refuse
sous
prétexte qu’actuellement celles qui sont opérantes sont médiatisées par
le capital,
même s’il s’évanouit en elles, c’est accepter la dépossession et avouer
une
incapacité à effectuer une autre dynamique de vie.
[17]. Il est évident
qu’on a souvent
associé totalité à totalitaire sans tenir compte du détournement que
cela
impliquait et que, d’autre part, tout peut être détourné pour être
récupéré,
sinon l’ontose ne se réaliserait pas et le pouvoir en place ne pourrait
pas se
régénérer. Je rappelle aussi qu’immédiateté et éternité sont deux
modalités de
la même réalité.
[18]. Qu’on peut
traduire par A propos du devenir humain.
En italien,
il est paru sous le titre qui se veut explicite:
Madri, utensili ed evoluzione umana
(Mères, outils et évolution humaine), Ed.
Zanichelli, 1985. C’est
dans cette traduction que nous avons lu l’ouvrage.
[19]. A propos de
celle-ci, il écrit dans
Les fondations de la psychohistoire, PUF, 1986, p. 37:
“L’histoire de l’enfance est
un cauchemar dont nous n’avons que récemment
commencé à nous éveiller. Plus on remonte dans l’histoire,
plus le
niveau de soin apporté aux enfants est bas et plus grand le risque pour
eux
d’être tués, abandonnés, battus, terrorisés et sexuellement utilisés”.
[20]. Idem p. 40.
L’hypostatisation de
l’histoire met en évidence que le déterminisme de cette amélioration
n’est
absolument pas vu.
[21]. Idem, p. 31.
Reportons également
cette interrogation: “... comment chaque génération de parents et
d’enfants
produit-elle les problèmes qui constitueront les drames agissant dans
l’arène
de la vie publique”. p. 37.
[22]. Il sera
nécessaire de comprendre
quel genre de rapport s’instaure entre l’état hypnoïde et cette extase.
D’autre
part il conviendra de voir s’il n’y en a pas un rapport entre le recul
de prise
d’hallucinogènes et le développement du phénomène scientifique, qui
serait
connecté à l’exaltation du pouvoir d’intervention.
[23]. C’est
l’illusion d’une
régénération possible
qui a permis à
certains de justifier le carnage de 1914-1918.
[24].
Cf. The many headed Hydra. Sailors,
slaves and the
Atlantic Working Class in
the Eighteenth Century de
Peter Linebaugh
et Marcus Redeker, in Gone to
Croatan, essays
edited by R. Sadsky
and James Koehnline. Autonomedia
/ AK press, 1993. Il s’agit en fait seulement de l’introduction à un
livre qui
portera le même titre (L’hydre aux multiples têtes) et qui devrait
paraître à
la fin de 1999. P. Linebaugh a déjà abordé cette question dans son
livre, que
nous avons déjà cité, The London hanged.
Crimes and civil
society in the
eighteenth century .
[25]. Le théte de la
société grecque
antique, homme dépossédé, ne pouvant pas participer à la communauté,
est le
produit d’un phénomène d’exclusion similaire.
[27]. On devra envisager la relation,
ici, entre exclusion
et élection. Le peuple élu est formé de tous ceux qui sont sortis d’un
certain
état et veulent réaliser un autre mode de vie.
[28]. L’importance
d’un tel devenir dans
l’histoire du peuple juif est bien mise en évidence par S.W. Baron dans
son Histoire d’Israël, sur lequel
je
reviendrai et dont je cite les dernières lignes extrêmement expressives
et qui
confirment notre affirmation. “Une fois encore
éloigné de son territoire, le peuple juif devait, d’une
manière ou d’une
autre vivre en se défiant de la nature. Conscient du caractère de sa
situation
nouvelle, le judaïsme reformula son antique idéologie d’une manière
plus
définitive encore. Avec le Talmud, il érigea un rempart, très
nécessaire,
formidablement efficace et à bien des égards unique en son genre, entre
les
juifs et les forces de la nature”. Quadrige / PUF, 1957, t. 2, P. 1028.
[29]. En ce qui
concerne ce dernier,
Israël Shahak dans son livre Histoire
juive, religion juive, Ed. La Vieille Taupe, 1996 met bien en
évidence
comment la dictature rabbinique permit de conserver le judaïsme.
[30]. Cf. Le pain de misère. Histoire du mouvement ouvrier
juif en Europe de
Nathan Weinstock, Ed. La Découverte.
On peut voir également Histoire générale
du Bund, un mouvement révolutionnaire juif, de Henri
Minczeles, Ed.
Austral, Paris 1995. En caractérisant le Bund comme un mouvement
révolutionnaire juif, l’auteur opère dans la réduction. Il élimine
totalement
la dimension internationaliste de ce mouvement. Le contenu du livre
confirme
cette opération. L’auteur veut montrer comment inévitablement les
thèses du
Bund devaient laisser place à celles du sionisme, du nationalisme juif.
Toutes
les thèses internationalistes le gênent prodigieusement. Toutefois le
livre est
fort intéressant pour sa documentation.
[31]. K. Marx aima
rapporter l’injonction
d’un conventionnel: les grands ne sont grands que parce que nous sommes
à
genoux, levons-nous!
[32]. A ce sujet il
convient de bien
préciser. Dans la phase de dissolution de la société-communauté
actuelle, les
divers avantages sociaux tendent à être éliminés ce qui provoque une
augmentation de l’insécurité de la vie dont parlèrent K. Marx et F.
Engels,
confirmation de la situation de déréliction où chacun se trouve lors de
la
petite enfance. En même temps surgissent du sein même de cette
société-communauté des institutions plus ou moins informelles pour
assister
tous les êtres en déréliction, rejouement de la dépendance vis-à-vis
des
parents.
[33]. Le titre
anglais de cet article
capté sur Internet est: The Emerging Perinatal Unconscious:
Consciouness Evolution or Apocalypse, 1998. Du même auteur et
toujours
accessible sur Internet, citons: “Commentary on Demause’s Restaging
prenatal and birth
trauma in war and social violence, 1996.
[34]. Théoricien de
la psychologie
transpersonnelle dont je citerai cet article récupéré sur Internet: Planetary survival and consciousness Evolution, psycological roots of
violence and greed.
Ken Wilber est un autre théoricien important de ce courant.
[35]. Le rejouement
dans ce cas peut
aller très loin, puisqu’il concerne l’origine. En effet le phénomène
vie sur
terre se déploie initialement dans une atmosphère réduite où le taux de
CO2
était très élevé. Tout le devenir de la vie a consisté en ce que les
êtres
vivants en produisant l’oxygène et en piégeant le gaz carbonique ont
permis
l’instauration d’autres phénomènes biologiques tels que la respiration,
la
méiose et donc la sexualité, d’où l’extraordinaire diversification du
monde
vivant.
J’insiste dans cet article sur les traumatismes liés à des
phénomènes
négatifs, mais il sera important d’analyser l’effet de ceux en liaison
avec des
phénomènes positifs, par exemple les grandes découvertes. Ainsi celle
de la
possibilité de produire volontairement le feu a permis une
sécurisation, mais a
peut-être ouvert l’accès à une immense inquiétude portant sur le
pouvoir,
d’autant plus que, du fait de la séparation d’avec la nature, il y a
tendance à
l’autonomisation de ce dernier. Le feu illuminait un immense inconnu
vis-a-vis
duquel il fallait se positionner.
[36]. D’autres
formulations de l’élément
irréductible de l’être rétracté sont possibles.
[37]. Invariance,
série V, n° 1.
[38]. Comme il l’est
dit dans le texte
ceci est une approche allusive de la question. Il conviendra de revenir
amplement sur divers travaux, particulièrement ceux de Stanislav
Grof dont
une bonne synthèse est proposée par Fulvio Gosso dans son article Etats non-ordinaires de conscience et
psychothérapie. Du LSD aux techniques holotropiques à travers la pensée
de
Stanislav Grof. Cf.
Notiziaro del
centro di documentazione n° 159-160, 1998. Ce n° contient également
d’autres
articles intéressants concernant le même sujet.
[39]. Voilà pourquoi
je remplace la
formule d’A. Bordiga Rien n’est urgent,
par: Pas d’impatience.
[40]. Dans Une société sans père ni mari. Les Na de Chine,
Ed. PUF, 1997, Cai
Hua écrit: “comme exigences essentielles de la nature humaine, il y a
toute une
série de désirs, parmi lesquels celui de possession du partenaire et
celui de
la multiplication des partenaires...” p. 336.
“Ainsi, lorsqu’une société donne le primat au désir de possession de
partenaires, elle est obligée
d’inhiber les désir de multiplication de partenaires à ses membres. Et
inversement, si elle donne la prééminence au désir de multiplication,
elle
refoule celui de possession. Institutionnellement parlant, la société,
telle
qu’on l’a observée, ne peut satisfaire simultanément et totalement ces
deux
désirs. En conséquence, de ces deux désirs opposés procèdent deux
institutions
opposées: celle du mariage et celle de la visite”. p. 338. La dernière
est
celle réalisée par les Na. Hommes et femmes ne contractent pas de
liaisons
stables - absence de possession - en revanche elles sont multiples. Les
relations sexuelles s’établissent lorsque les hommes vont visiter les
femmes.
Les enfants demeurent avec leurs mères. Il n’y a ni mari, ni père. la
fonction
de celui-ci est assurée par le frère de la mère, comme cela se produit
dans
d’autres ethnies.
Ceci posé, et en acceptant les données de l’auteur, on
peut dire que la
solution idéale, c’est-à-dire le mode de vie idéal
des hommes et des femmes, serait celle permettant
d’assouvir les deux désirs, ce qui implique l’absence de toute
organisation,
particulièrement celle de la famille. Mais il ne faut pas oublier la
question
des enfants qui n’entre pas dans la préoccupation de l’auteur. Aussi la
vraie
question serait: comment vivre “possession” et “multiplication”, tout
en
permettant un devenir heureux pour les enfants?
Pour répondre au contenu de cette interrogation, il
conviendra
d’abord d’analyser
ce que recouvrent les
concepts de possession et de multiplication et de saisir ce que
signifient les
deux désirs dont parle Cai Hua. En attendant, je puis déjà signaler que
la
possession évoque la permanence, et la multiplicité l’impermanence. Il
y a donc
bien à voir!