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Prolétariat et Gemeinwesen (Communauté)

 

 

 

 

    La publication de Pour la question juive et de Pour la critique de la philosophie du droit de Hegel[1] répond non seulement à une nécessité de fait : ces textes sont introuvables à l’heure actuelle, mais à une nécessité théorique profonde : la critique de la démocratie et le dépassement définitif de celle-ci par le prolériat : le communisme.

 

    Cependant si l’aspect anti-démocratique de ces textes a été souvent mis en évidence, la question esentielle, celle de la Gemeinwesen (communauté) n’a jamais été soulevée. Or dans Pour la question juive comme dans Gloses critiques marginales à l’article : « le Roi de Prusse et la réforme sociale »[2], Marx aborde cette question en montrant que l’éloignement de l’homme de sa Gemeinwesen rend inévitable la révolution – laquelle n’est possible, comme cela sera précisé ultérieurement, qu’à la suite d’une crise économique qui affaiblit la puissance de répression de la classe dominante et fournit l’énergie nécessaire à la classe opprimée pour tenter l’assaut insurrectionnel. On y trouve de plus l’affirmation que seul l’être humain est la véritable Gemeinwesen (communauté) de l’homme. Or, qui dans cette société se soulève à un titre humain ? Quelle est la classe qui dans cette société se soulève à titre humain ? Le prolétariat. Cette réponse donnée dans Pour la critique de la philosophie du droit de Hegel montre à quel point il y a unité profonde entre tous ces textes. Il y a unité parce que : « La question de la communauté est la question centrale du mouvement prolétarien. De façon synthétique, elle se présente comme suit :

 

a.    Communauté humaine primitive.

b.   Destruction de celle-ci avec le développement de deux mouvements, celui de la valeur et celui de l’expropriation des hommes.

c.   Formation de la communauté matérielle lors de la fusion des deux mouvements précédemment séparés : le capital-valeur en procès.

d.   Le communisme scientifique, la communauté humaine retrouvée, intégrant tous les acquis des périodes antérieures. » (Invariance, série I, n°2, p. 231)[3].

 

D’autre part, Marx montre que la société bourgeoise dérivant d’une révolution sociale à âme politique détruit la politique. Cela pourrait être contradictoire si l’on ne tenait pas compte du fait que l’essentiel dans la société capitaliste c’est de trouver le moyen politique de dominer les hommes esclaves du capital. La politique n’y est plus la question du rapport des hommes entre eux, mais uniquement celle du rapport des hommes à la communauté matérielle, le capital dont l’Etat est le représentant.

 

         Au capital être matériel oppresseur des hommes, ne peut s’opposer que le prolétariat en tant qu’être – quand il s’est constitué en classe donc en parti – qui lutte pour faire triompher l’être humain enfin trouvé : l’homme social de la société communiste.

 

         La philosophie était à la recherche de cet être, elle fut interprétation, accomodation continuelle des exigences d’un être dont elle sentait la nécessité et les données aliénantes de ce monde. Avec le surgissement du prolétariat cette recherche théorique est résolue dans la pratique. Le prolétariat réalise alors la philosophie en se supprimant.

 

         L’émancipation radicale, telle était la seule émancipation possible en Allemagne ; pourtant ce fut la révolution par le haut qui triompha. Mais l’Allemagne est toujours malade de cette victoire, de cette victoire qui la fait participer à un stade social au-dessus de celui qu’elle possède en elle-même : le communisme.

 

         L’émancipation radicale était aussi la solution pour la société russe. Les russes aussi furent les contemporains théoriques des peuples modernes ; le prolétariat russe fut le contemporain théorique du mouvement ouvrier européen mais il ne pouvait devenir contemporain réel que si, en occident, le prolétariat devenait lui-même contemporain effectif de la réalité voilée de la société : le communisme.

 

         Le roman de la révolution russe était écrit avant son histoire[4]. Malheureusement, le prolétariat russe dût accomplir la tâche romantique de réaliser le capitalisme que la classe bourgeoise, escamotée en Russie, ne pouvait faire.

 

         A la suite de ce détour, comme à la suite de celui en passant par le Chine et par les divers pays ayant accédé à l’indépendance après la seconde guerre mondiale, réapparaît encore plus puissante la nécessité d’une révolution radicale, d’une révolution à titre humain. La société humaine ne peut survivre que si elle se transforme en Gemeinwesen (communauté) humaine. Le prolétariat n’a plus à accomplir de tâche romantique mais son œuvre humaine[5].

 

 

Jacques CAMATTE

 

 

14 novembre 1968





 

 

 

[1]           Ces deux textes de Marx furent publiés dans le n° spécial d’Invariance, novembre 1968.

 

 

[2]           Cet article de Marx fut publié dans Ivariance, série I, n°5, Janvier-Mars 1969. Il fut republié, ainsi que les deux premiers, dans le Cahier Spartacus n° 33b.

 

 

[3]           Il s’agit de Le VI° Chapitre inédit du capital et l’œuvre économique de Marx, qui a été republié dans le Cahier Spartacus n° 98, 1978, sous le titre Capital et Gemeinwesen (cf. p. 256).

 

 

[4]           Expression de Bordiga ; cf. à ce sujet ses articles Capitalisme classique, socialisme romantique ; L’ours et son grand roman ; Printemps fleuris du capital ; Malenkov-Staline, rafistolage et non étape, in « Il Programma comunista », n° 2, 3, 4, et 6 de 1953.

 

 

[5]           Article publié dans le n° spécial d’Invariance, Novembre 1968.

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