V I O L E N C E ET D O M E S T I C A T I O N
À propos du devenir de l'espèce humaine de la communauté immédiate à la communauté émergée
du, et intégrée dans le cosmos
1 - La violence apparaît, se manifeste
dès qu'il y a rupture d'un procès. Elle est ce qui permet la rupture, que ce
soit dans le milieu physique, cosmique, humain. Réciproquement,
surtout au niveau humain, il y a exercice de la violence pour défendre
l'intégrité de ce procès menacé. Elle implique la mise en branle d'énergies
plus ou moins orientées et donc la manifestation de forces.
2 - La violence a donc une réalité
naturelle, c'est-à-dire qu'on peut constater dans la nature des
phénomènes de violence. Toutefois c'est dans les communautés, les sociétés
humaines qu'elle a une réalité vraiment significative parce qu'on peut
déceler la plupart du temps un but avoué ou non, et parce que certains groupements humains essayent de la maîtriser et de la faire opérer à leur profit.
3 - Il semblerait que dés qu'il y a manifestation de violence on doive avoir mise en jeu de forces importantes. Or ceci n'est pas universellement vrai. Il peut y avoir violence sans qu'il y ait déploiement de force. Ainsi la non-violence de Gandhi, qui n'exerçait pas une action directe sur l'appareil économico-politique de la puissance britannique aux Indes, opérait tout de même une violence pure parce qu'elle enrayait le procès de production global. La violence légale s'exprimant par des lois codifiées, est un autre exemple: les lois impliquent la violence latente et potentielle qui peut se manifester si les individus les refusent et d'autre part elles la présupposent pour son établissement.
Réciproquement
tout phénomène qui pour se manifester exerce une force importante, déploie une
grande quantité d'énergie, est appelé violent.
Or il n’est pas
obligatoire qu'il fasse partie d'une violence en acte. Il y a là un glissement de sens fort
préjudiciable à la
compréhension
des rapports humains.
4-La violence apparaît dans le devenir humain comme étant une détermination invariante même si elle ne s'est pas toujours exprimée de la même façon. Elle opère d'abord lors de la coupure-séparation des hommes et des femmes d'avec la communauté primitive, ce qui permet l'initiation d'un procès d'individualisation qui, en tant que négation potentielle de celle-ci, crée une violence à laquelle répond celle de la communauté pour enrayer le procès, l’inhiber.
En outre la coupure a provoqué un déséquilibre
tel que la communauté n'est plus apte à s'autoréguler et, de ce fait,
il y a tendance à un accroissement de population qui lui aussi met en
cause la structure communautaire; d'où l'émergence du politique
et de ce qui deviendra l'État. Les communautés réagissent par la violence
en tachant de détruire ce qui émerge et de l'empêcher de s'autonomiser. Si la violence ne va pas toujours jusqu'à la guerre (cas analysé par P. Clastres), elle prend de multiples voies, en particulier celle des tabous, afin d'enrayer un procès qui nie celui de vie antérieur.
5- Les diverses ruptures d'équilibre
dans le milieu environnant dues soit à des phénomènes géologiques (glaciations, variations
du niveau des mers et donc de celui des fleuves et des rivières, séismes et éruptions volcaniques), soit à l'activité des hommes et des femmes, obligèrent les êtres humains à s'adapter et à adapter le milieu. Les hommes devinrent chasseurs,
ensuite les femmes inventèrent
l’agriculture. Ultérieurement, l'espèce exerce sa violence, d'une autre façon, en domestiquant animaux et
plantes.
6 - Un moment rempli d'une extrême violence fut celui de l’assujettissement de la femme à l’homme. Dés lors le pouvoir, le politique s'autonomisent et, par suite de l’accroissement de la population, de la division du travail, etc., il y a apparition de l'État, qui se substitue à la communauté et la représente. Il est la violence
concentrée, son équivalent général. Ce n'est qu'en Occident que les classes s'individualisent et donnent naissance à l'Etat..
7 – Á partir de ce stade on peut repérer trois modalités qu'a eues l'espèce humaine de gérer la violence, qui ne pouvait plus être enrayée, abolie.
1. La modalité plus ou moins archaïque avec les communautés non désagrégées où la politique et à fortiori l'État ne peuvent pas s'autonomiser. La violence, lorsqu'elle existe de façon cinétique est affaire de toute la communauté.
2. L'État gère la violence mais ne s'autonomise pas de la communauté qui est despotique..
3. L'État
gère la violence et donne des garanties plus ou moins importantes aux individus qui se sont autonomisés et lui ont délégué violence, pouvoir, etc.,
au travers de mécanismes fort complexes du fait de l'existence des classes. C'est l'existence
de ces dernières qui dynamise la violence,
d'où pour qu'il y ait convivialité, il faut un mécanisme de conciliation qui ne concerne pas seulement l'État
mais l'ensemble des hommes et des femmes: la démocratie. On peut la caractériser, à ce niveau, comme étant un procès
d'intériorisation de la violence et de ce fait un élément moteur essentiel de la domestication.
8 - La domestication est un procès par lequel l’espèce, qui le subit, est arrachée â son procès de vie naturel, et se trouve placée sous la dépendance d'un procès de vie d'une autre espèce. Dans le cas des animaux et des plantes on parlera de leur exploitation ; dans celui des êtres humains, la domestication - prolongement de ce qu'ils infligèrent aux animaux - est le fait de l'acceptation de l'ordre établi sans qu'il y ait de contrainte ( tout au moins dans la phase finale du procès); c'est l'élimination de tous les instincts, de toutes les pulsions.
C'est donc un
procès de mutilation. Ainsi les hommes et les femmes n'ont pu juguler la violence déchaînée par leur devenir même (le
moment de la coupure et du déchaînement de la violence peut-être le fondement
de ce qui dans la représentation religieuse est le péché originel, la
catastrophe initiale,
etc...) qu'en se domestiquant.
(la civilisation, la politesse,
en sont des euphémismes).
9 - On ne peut donc pas juger la violence en soi, sans se référer à l'autre phénomène en acte depuis des millénaires et qui tend à réduire l'espèce à un stade de déchéance extrême: la domestication.
Si on analyse les différentes sociétés du seul point de vue de la violence, on peut considérer celles d'Occident, où la démocratie l’a emporté, comme étant plus humaines, tandis que celles d'Orient où régna longtemps le mode de production asiatique, comme étant plus barbares, dans le sens courant de ce terme. C'est pourquoi j'ai pu écrire :
" En ce qui
concerne la démocratie politique, il est vrai qu' elle a eu le mérite de
limiter les débordements de la violence." ( " Marx et la Gemeinwesen " in Invariance,
série III, n° 5-6, Mai-Juin 1968 : le dévoilement", p.87) qui n'est
valable, en ajoutant qu'elle le fit tout en exerçant une violence énorme
sur le prolétariat et sur les peuples de couleur, qu'en tenant compte du résultat fondamental: la domestication. La démocratie n'est réellement
opérante que si cette dernière est en voie de réalisation, ou réalisée, parvenant à faire des
hommes et des femmes des
particules neutres. Alors on peut se demander si la démocratie représente réellement un
avantage pour l'espèce.
10 - Ainsi pour juger de la violence, il faut envisager le procès de transformation qu'elle effectue, c'est-à-dire le devenir autre qu'elle implique, ce qui la met en relation avec le procès d'aliénation; or celui-ci ne peut pas être toujours négatif : dépossession, extranéisation; il peut permettre également une progression, De même on peut dire que la violence est positive quand elle permet d'accéder à un stade de vie plus épanouissant, négative quand elle nous contraint à vivre sous la domination, l'exploitation, etc., et, au niveau individuel, on peut ajouter : quand elle nous sort de nous, de notre procès de vie sans nous permettre de nous retrouver auprès de nous.
Étant donné la première possibilité, il est évident que
l'utilisation de la violence
a pu être revendiquée et, qu'alors ,la difficulté fut de pouvoir la contrôler.
11 – Maintenant, à l'échelle mondiale, on a convergence entre la communauté du capital dont l'instauration n'est possible, en Occident, qu'à partir du moment où le procès de démocratisation, égalisation, homogénéisation, indifférenciation, est poussé à bout, et le mode de production asiatique et, on l’a montré, ce n'est que lorsque le capital s’est constitué en communauté qu'il peut supplanter ce dernier; sa domination permet d'escamoter la phase démocratique pour parachever la domestication.
Dans tous les cas,
la violence existe partout. Elle est seulement résorbée dans des institutions, ou bien
elle est masquée par la
mystification démocratique. Cependant notre époque est celle où il est de plus en plus
difficile d’endiguer non seulement la violence actuelle mais aussi celle accumulée au cours des siècles,
La seule solution dans le cadre de la communauté capital est là domestication qui n'est en fait que de la violence
congelée, puisque c'est l'inhibition absolue avant d'être une destruction.
12 - La prise de position par rapport à la violence est dépendante de la perception-comportement vis-à-vis du procès, de la rupture et du phénomène qui la cause. Tout particulièrement la question se pose: la rupture est-elle nécessaire? Elle dépend également de l'acceptation ou non de la domestication.
Certains
éthologues comme Konrad Lorentz considèrent que I’Homme est une espèce qui
s’autodomestique et considèrent le procès de domestication, qui est un procès
de socialisation - en fait de dépossession des individus - comme étant
positif car pouvant éliminer la violence par inhibition de
l'agressivité qui serait constitutive de notre espèce. De ce fait, K. Lorentz
tend à exalter les rites, les rôles qui constituent l'homme social,
carcan inhibant l'être humain.
13 -.Le procès de séparation des hommes et des femmes de leurs conditions de vie immédiate fut plusieurs fois enrayé et ceux-ci constituèrent des communautés plus ou moins stables. Avec le capital, il est repris sur une vaste échelle tant en extensivité qu'en intensité; c'est ce que K. Marx a analysé en disant que la séparation est le premier concept du capital et il a montré à quel point la violence est à la base de l'essor de ce dernier. Ce procès de séparation qui porte sur tous les aspects de la vie humaine se poursuit durant tout le devenir du capital, contrebalancé, il est vrai, par un procès d'unification où les hommes et les femmes sont recomposés à partir de ses médiations.
La violence
s'exerce en tant que phénomène de dépouillement; et ce qui fut extorqué aux hommes
et aux femmes fut englobé dans le procès de vie du capital. C’est à l'aide des
éléments autrefois partie intégrante de leurs êtres que se font d'ailleurs
les médiations reconstructrices d'unités.
14 - Les hommes et les femmes ont lutté contre cette oppression-dépossession mais la plupart du temps sans être à même de reconnaître sa vraie réalité; de telle sorte que les révolutions qui commencent aux XVI° siècle - actes de violence par excellence puisqu'elles doivent briser un procès de vie sociale afin de permettre à un autre de s'instaurer- profitèrent à la dynamique du capital car elles lui permirent d'éliminer une série d'obstacles à son libre développement.
La libération est violence car, elle aussi consiste en une destruction d'entraves qui inhibent une certaine volonté de vivre, en tenant compte simultanément que ce procès apporta un appauvrissement, car les hommes et les femmes se libérèrent en se dépossédant, se dépouillant de diverses déterminations, ce qui facilita ultérieurement la domestication.
Rupture d'un procès, séparation, révolution, libération, émancipation impliquent toutes, la violence. Dans le cas de la révolution, entendue comme retour à une forme de vie antérieure, elle se présente comme le phénomène devant abolir ce qu'a produit une violence.
C'est à propos des révolutions que l'on a justifié et même revendiqué l'usage de la violence et, certes, d'un point de vue immédiat, c'était juste. Les donnée historiques ont cependant prouvé qu'il y a toujours eu échappement de la violence, qu'il fut difficile de la contrôler parce qu'elle est enracinée dans des domaines profonds qu'on ne pouvait pas atteindre, ne serait-ce que parce qu'on ne soupçonnait même pas leur existence.
En dehors du fait que la série
des révolutions
est terminée, on rejette le procès révolution et l’exaltation de la dynamique de la libération
parce que ce sont en définitive des moments modalités d'accession du capital à sa pleine domination. Nous l'avons dit : il faut trouver une autre voie pour éliminer la violence et la domestication.
15 - La violence est également revendiquée en tant que moyen d’accélérer la mise en place de la nouvelle société en éliminant de façon draconienne tous les obstacles à son devenir. Toutefois les diverses révolutions ont montré qu'il fut impossible de diriger la violence, et qu’elle n'aurait pu l'être que par une dictature très stricte, féroce, ce qui va à l'encontre du projet révolutionnaire (bien que ce fût tenté). En outre dans la communauté capital actuelle, saturée de violence latente, potentielle et en acte, tout essai de la conduire dans une direction donnée est vouée à l'échec du fait de la parcellisation extrême de l'humanité.
Ceci n'est en rien une condamnation du projet des révolutionnaires du siècle passé, en particulier celui de K. Marx et de F. Engels. Ils raisonnaient avec une société moins évoluée dans la violence que la nôtre et les êtres humains étaient moins séparés qu'ils ne le sont aujourd'hui.
On doit constater qu'ils revendiquèrent l'emprunt d'une voie déterminée; or, étant donné l'accession du capital à sa communauté, elle n'est plus du tout utilisable; elle n'est plus compatible avec notre aspiration à une communauté humaine.
Enfin il n'est
pas dit que nous pourrons éviter toute violence, mais nous pouvons au moins
éviter d'utiliser le même type de violence que le capital.
16 - Ainsi au cours de l'histoire, on peut noter deux modalités de manifestation de la violence: celle des opprimés, des exploités, tendant à reformer une communauté humaine, celle ces dominants, des maîtres qui veulent toujours réactualiser la coupure posée comme sortie de l'animalité en affirmant comme principe de gouvernement et de pouvoir que l'homme n'est pas un animal et qu'il faut organiser les hommes et les femmes de telle sorte qu'ils ne retombent pas dans l'animalité ou le chaos. La violence se manifeste dans la volonté depuis longtemps affirmée de vouloir organiser, donner forme au chaos et ceci s'exprime dans les diverses conduites humaines (tout particulièrement dans l'art).
Etant donné que
le principe de progrès - la
sortie de l'animalité
- a été
intériorisé par tous, maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités, on comprend
que la domination des êtres humains a pu se faire à partir des deux pôles sociaux, à partir
de toutes les classes.
17 - Les diverses manifestations
actuelles de la violence se produisent (surgissent) sur la base de la
communauté actuelle du capital, mais elles ont en même temps une
dimension historique qui accroît leur intensité
Ceci est dû au fait, souvent indiqué, que les
contradictions ont été, au cours du temps, englobées et non résolues, génératrices également d'une
immense violence potentielle.
18 -
La séparation de la communauté immédiate originelle
provoqua un immense trouble, un sentiment d'insécurité
( problème de la certitude d’exister,
de la présence au monde ).Les hommes, les femmes cherchèrent un cadre, un monde sécurisant. Cette recherche les conduisit à inhiber
ou à annihiler
toute manifestation qui pouvait remettre en cause le cadre plus ou moins stable qu'ils s'étaient créé,
La violence peut naître tout simplement de la disparition des bornes, des limites qui enserraient un domaine spatio-temporel et représentatif en lequel les êtres humains s'étaient logés. Car il y a alors un phénomène de panique et l'énergie, auparavant canalisée, est brutalement libérée tendant dans un effet destructeur-créateur, comme par magie, à susciter un nouveau cadre sécurisant. Il y a là, développement d’une activité conjuratrice.
Ce phénomène se reproduit de nos jours dans tous les groupements humains bouleversés par l'introduction trop brusque du capital.
Il y a un phénomène d’échappement que l’on peut reconduire à la violence uniquement dans la mesure où il contribue à détruire un certain procès de vie.
C'est une sorte de folie (la folie résulte d'une violence sur l'être humain, et peut être, elle-même, violence pour tenter de rétablir ou d'établir un certain procès de vie) qu'on doit distinguer de celle qui s'enclenche sur la base de l’expropriation totale des hommes et des femmes par le capital. Ceux-ci, totalement dépossédés, devenant inutiles, ne pouvant plus - par suite du développement de la technique assurer une liaison harmonieuse entre activité de la main et du cerveau - ont une quantité d'énergie qu'ils ne peuvent plus déployer, dés lors ils la libèrent dans une "violence aveugle" (c’est ainsi qu’elle est décrite), qui consista, par exemple, en ce que les jeunes se mirent à détruire tout sans rien dire et sans manifester une quelconque revendication.
Les êtres
bloqués, inhibés dans leur procès de vie peuvent aller jusqu'à
l'autodestruction; la violence affecte alors le sujet même qui
la déploie.
19 - Les êtres humains ont créé différents moyens pour retrouver la sécurité perdue. Si la religion a encore une force aussi prégnante (cf. l'Islam), cela est dû non seulement à sa donnée communautaire, mais au fait qu' elle sécurise hommes et femmes, les définissant et leur indiquant leur domaine de vie. Dé là le fanatisme religieux engendré par la peur de perdre la sécurité. Il ne faut pas qu'on mette en cause leur domaine de certitude; le doute pouvant signifier la non utilité de leur présence au monde. La religion, surtout en Occident, place les hommes et les femmes dans un procès de vie dominé par la renonciation: ne pas être végétal, animal, humain. C'est la reformation de la communauté sur une base totalement extranéisée. En réaction, on comprend qu'il y ait plusieurs tentatives de constituer des religions naturelles.
La force de l’État provient des mêmes éléments.
Ce désir d’ordre, de sécurité, se retrouve également dans la science dont la force dérive qu’elle détermine a priori son domaine de validité, les bornes entre lesquelles elle est opérationnelle. La science elle aussi n’est pas à l’abri du fanatisme.
En outre la science expérimentale est directement fondée sur la violence puisque son faire est de briser les divers procès physiques ou biologiques afin de comprendre les mécanismes. Si la religion aboutit à une violence sur les hommes et les femmes, la science commence en tant que violence sur le monde et sur les êtres vivants, pour en arriver maintenant avec la sociologie et la psychologie à l’exercer sur les êtres humains. La violence est ici justifiée à l'aide du principe de la supériorité de l’être humain sur les animaux et à l’aide de celui de l’ordre.
Enfin grâce à l’art les êtres humains ont cherché à se créer un univers où ils soient la mesure de toute chose
20 - La coupure d’avec la communauté originelle pose le surgissement de la dichotomie extérieur-intérieur et surtout celle entre soi et autre qui fonde le problème de l’identité de deux points de vue.
1 – de celui du sujet, du soi, et dans ce cas l’identité est synonyme d’originalité, d’ensemble de caractères qui le déterminent dans son individualité ;
2 – de celui de l’autre: il s’agit alors de savoir quel est son rapport au soi, quelle est sa plus ou moins grande différence, et si celle-ci est compatible, etc. Il est certain que la question de l’identité est totalement liée à celle de la sécurité, parce que le surgissement de l’autre, dans son divers, peut remettre en cause l’identité du soi, du sujet, ce qui montre également que ceci est en relation avec le procès d’individualisation.
L’affirmation d’un divers a toujours été ressentie comme un phénomène d’agression, comme une menace sur l’identité au sens de 1 (cf. le cas de la communauté juive).
Il est possible que la folie naisse avec la fragmentation de la communauté car l’autre est un divers qui met en cause le soi, et le fou est celui qui menace la communauté. Or l’être s’individualisant, émergeant de sa communauté, parvient difficilement à se retrouver auprès de soi, après avoir fait cette incursion hors de la communauté qui, de plus, tend, dés lors, à le rejeter.
La violence se manifeste tout autant dans le procès d’identification où, grâce à un acte qui permet à l’individu de se séparer de son milieu originel, il y a accession à une communauté donnée. Dés lors il a le droit de s’identifier à elle. Il a acquis une identité.
Ce phénomène joue en partie dans l’initiation: coupure avec l’ancien stade, dans le cas de l’initiation primitive; coupure avec l’ancien mode de vie dans le cas des mystiques (cf. le cas extraordinaire de Milarepa). L’absence d’initiation dans le monde actuel fait qu’il existe une certaine quantité d’énergie qui se libère n’importe comment.
De nos jours tout le procès de vie a été perturbé, haché, déformé; il en résulte des ratées où les êtres humains ne sachant pas trouver un réel où s’épanouir, ne peuvent exister qu’en détruisant ou en se détruisant; car détruire est un essai de créer et de conjurer.
Ceci est en action dans les divers rackets qui se
multiplient dans la communauté capital (formation, par exemple, de
microcommunautés à partir d’un mode de faire différents possibles qui
s’excluent, d’où violence et triomphe de la combinatoire capital). De même que
cela opère au sein des rapports entre hommes et femmes du fait de la remise en
question des rôles qui fondaient leur identité.
21 - Le développement de la communauté capital a fait en sorte qu’elle assure une sécurité et une identité à l’individu, c’est-à-dire qu’elle lui confère un certain être qu’on peut définir soit social pour indiquer son origine, soit communautaire pour mieux signifier à quel stade du devenir nous nous trouvons. Ce faisant les hommes et les femmes sentent de plus en plus qu’ils vivent dans un carcan et dans une abstraction (le développement du capital suppose et s’accompagne d’un immense procès d’abstraction, autre mode de signifier-réaliser le procès de séparation), et qu’ils n’accèdent à une réalité qu’au travers de médiations; d’où surgit une violence apparemment irrationnelle, inexplicable, pour briser l’être social (dont la personne-masque, le rôle, traduisent d’autres modalités) qui enserre, afin de retrouver une immédiateté souvent difficilement définissable.
Telle est l’expression d’une violence – en général condamnée – contre une violence cristallisée et structurée comme allant de soi; car c’est une rationalité d’un monde qui nous échappe qui fait que la perception qu’on peut avoir de lui est assez bien illustrée par l’idée de l’être jeté dans le monde comme par une fatalité à laquelle on doit se plier; à cela s’ajoute l’idée perceptive que tout est joué dés que l’on arrive.
La réduction de la vie à une routine absurde (et l’absurde contient la violence, que ce soit celui direct qui se pose sur nous, ou son détournement) s’exprime bien dans le "métro, boulot, dodo" concernant l’adulte, tandis que par l’école l’enfant commence à y être préparé. Surtout, qu’à l’heure actuelle, par suite du mouvement d’abstraction de plus en plus puissant, la phase de l’enfance tend à être réduite. Les enfants, à qui on essaye de faire acquérir très tôt des abstractions difficiles, se rebellent de façon multiple, et souvent insidieuse, déroutant sociologues et psychologues.
On nous impose un rythme de vie, un type d’aliments qu’on doit absorber à certaines heures, un mode d’habillement, etc. On contraint tout le monde à procéder de la même façon sans même poser la question de savoir si cela correspond à la réalité de nos êtres biologiques.
Dans la mesure où le phénomène de massification-homogénéisation tend à être enrayé, la diversification ne porte pas sur des individus pouvant spontanément affirmer leur divers, mais elle porte sur des micro-communautés (cf.20).
Le langage verbal présente une structure contraignante, renforcée, en tant que langue particulière, par son
rapport à l’État. Il nous piège et inhibe la création. Pour
dépasser la violence il faut savoir ce qu'est l'homme, la femme, et comprendre
nos racines, ainsi que déchiffrer la sédimentation de connaissances qui
s'abstraient dans une langue donnée, une culture, dans lesquelles nous sommes
englués.
22 - Pour les éthologues la violence serait en filiation directe avec l’agressivité humaine et celle-ci se manifesterait particulièrement dans la défense du territoire. Toutefois on a totalement oublié d'étudier le rapport entre sécurité et espace déterminé par un certain territoire qui permet une représentation donnée. Il ne s'agit pas d'un simple phénomène de propriété privée, mais d'une question de représentation comme on peut s'en rendre compte quand on étudie la question des divers schémas cosmogoniques adoptés par les êtres humains et les difficultés qu'il y a toujours eu à ce qu'ils soient révoqués (cf. la lutte de l' église contre le schéma héliocentrique).
En conséquence, l'accroissement démentiel de la population ne peut conduire qu'à la domestication et au despotisme généralisé, sinon il y a un risque d'explosion, Cette augmentation tend à toujours réduire l'espace disponible à chaque être, d'où, pour Konrad Lorentz, l’inévitabilité des rencontres génératrices de violence, dans la mesure où les rites d'évitement et de hiérarchisation disparaissent ou s'affaiblissent. Mais ce qui est déterminant c'est l'impossibilité toujours plus accusée de se représenter; les êtres humains n'ont plus d'assise. Ce qui se révèle de façon percutante au sein de toutes les populations urbanisées qui perdent toute ampleur de perspective, dont les pulsions sont castrées.
La réduction des hommes et des femmes à l'espace et au temps, leur concédait encore la possibilité de se représenter; leur expulsion de l'espace et du temps les réduit à particules neutres, les rendant dépendants du champ de vie du capital. Ils sont domestiqués.
Pour éliminer les frictions, le mieux est
encore de rendre tous les gens identiques, d'où l'homogénéisation actuelle
(précédée par le phénomène de démocratisation); d'autre part pour pouvoir
dominer, organiser, il faut réduire tout le monde à la même situation.
23 - Les autres solutions pour éliminer la violence débouchent encore dans la domestication: tolérance et relativisme. Tolérer revient à accepter, souvent à son corps défendant (historiquement ce fut parce que les groupements humains n'avaient plus la force dé s'imposer), la position des autres. Le relativisme naît de l'affirmation qu'il n'y a aucun absolu (pas de dogme), et il est sous-tendu par l'idée qu'au fond tout est possible, et par le doute sur la validité de ce qui est avancé. Dans les deux cas on aboutit à accepter; surtout que les adeptes de la tolérance et du relativisme sont également partisans de la liberté. Or, il est impossible de limiter celle-ci à un champ restreint d'où, à la limite – souvent atteinte - la liberté est le droit à être débile.
Tolérance et relativisme sont fondés sur le principe de justification qui est un principe de l’acceptation de l'immédiat; c’est le fleurissement de l'immédiatisme.
Pour tolérer et poser que tout est relatif (principe d'indifférenciation), les hommes et les femmes en arrivent à inhiber leurs pulsions, à s’autolimiter, à se manifester avec une intensité faible, avec retenue, à tel point, qu'inversement, le fait d'affirmer avec puissance son mode d'être, ce qu'on pense, etc., de façon sûre et déterminée, est considéré comme intolérance, voire une violence ou un despotisme.
Ceci est très apparent à l'heure actuelle où nombre de personnes, traumatisées par le nazisme, le stalinisme et autres terrorismes considèrent qu'il faut tout accepter et ce de façon neutre (cf. Cioran). La perte de passion, la perte d'énergie est considérée comme un idéal à atteindre. On a de plus en plus affaire à des suicidés vivants
Tolérance et relativisme sont nés en réaction contre le despotisme; le mouvement anti-autoritaire a surgi en opposition à l'autoritarisme rigoriste lié au despotisme du capital dans sa phase de domination formelle sur la société. Lui aussi n'a cueilli qu'une part de la réalité et débouche dans la domestication. Car l'éducation anti-autoritaire aboutit à une démission de l'affirmation des géniteurs qui ne fournissent plus de référentiels, ni de cadres globaux pour le développement de leurs enfants.
Ce fut une perte de potentiel énergétique et il n'est pas étonnant que les générations élevées selon les principes anti-autoritaires recherchent dans la drogue une réalité plus facilement accessible et qui ne se dérobe pas, d'où tout effort est banni. Car le corollaire de la perte d'énergie, c'est la fuite devant l'effort qui est posé dans tous les cas comme contrainte et comme affirmation de la violence.
Tolérance
et relativisme font partie intégrante du procès de récupération du capital, de
telle sorte qu'il y a maintenant impossibilité pratique à être contre, à se
poser révolutionnaire, d'où le recours à la violence, qui permettrait enfin
d'être reconnu opposant, à laquelle s'adonnent certains révolutionnaires
actuels.
24 - Il convient de signaler les phénomènes qui sont caractérisés comme violents sans participer obligatoirement d'une violence, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit totalement absente et qu'il n'y ait pas un risque pour qu'elle n'opère. Mais vouloir diminuer l'intensité de ces phénomènes, pour conjurer une violence hypothétique, voire impossible, c'est châtrer les êtres, les domestiquer. Plus ceci est voulu, plus cela traduit la perte d'énergie des hommes et des femmes, leur dégénérescence. On a trop oublié que vivre c'est risquer de mourir.
Ainsi, dans l’amour, beaucoup refusent la passion (en faisant une telle séparation je me mets sur le terrain de ces personnes, afin de m'expliquer), parce que celle-ci est violente. C'est vrai!, comme il est vrai aussi qu'elle peut être violente, non pas parce que l'être non aimé peut détruire celui qu'il aime, mais parce que lorsque le procès amour ne s'accomplit pas en son entier, cela peut conduire à la folie.
L'affirmation de soi - dans un monde où chacun est terriblement nié par la réalité du capital, et où la neutralité tolérante est à l'honneur - est souvent vécue par les autres comme une agression.
Ces
phénomènes signalent la dégénérescence de l'espèce liée à la perte de
territoire, d'espace, à son assujettissement à un temps mécanique, à la perte
de dimension cosmique, de puissance biologique par perte de ses racines, du
fait de la réduction de la communauté à la famille nucléaire, parfois à moins.
On comprend dés lors qu'il y ait des gens (surtout depuis la fin du siècle
dernier, en particulier Gobineau) effarés par cette dégénérescence, cherchant
une solution-remède dans un élitisme, qui revient à déposséder une foule
d'êtres de leurs possibilités ou à les nier et les inhiber; élitisme qui peut
être un tremplin pour le racisme.
25 - Il y a des comportements humains qui sont considérés comme allant de soi, neutres pour ainsi dire, et qui relèvent en fait d'une forme atténuée de violence: l'inhibition qui consiste à bloquer le devenir d'un procès.
Quand quelqu'un donne trop pour être reconnu, pour s'affirmer, il ne se rend pas compte que son soi-disant don est un encombrement pour le devenir de l'autre. C'est de l'égocentrisme, un désir de valorisation, de capitalisation, etc... Or il y a une grosse tendance à l'heure actuelle à ce que les êtres humains se posent en médiateurs nécessaires et, par moment, absolus, ce qui crée la dépendance. Créer la dépendance chez l'autre, c'est commencer à le domestiquer.
Ceci est essentiel dans le rapport à l'enfant. Presque toutes les pédagogies, les éducations, instructions relèvent d'une violence, car elles ne respectent pas le procès de vie de l'enfant qui a son rythme propre. Elles relèvent en réalité du dressage et du domptage.
Toutes les formes d'inhibition dérivent du fait que ceux qui la provoquent ont un besoin d'être reconnus, de s'affirmer, etc... De ce fait, ils ont toujours tendance à surcharger leurs actes de données matérielles et immatérielles (significations, affections, etc....). Ce sont des êtres dépendants qui ne peuvent se sauver qu'en rendant d'autres dépendants. Ils ne peuvent pas vivre la simultanéité des vies qui est bien au-delà de la simple acceptation des autres, C'est pourquoi le silence - moment de calme et de densité d'assimilation de l'autre dans sa situation dans le monde, donc dans son rapport cosmique et dans son intimité, tout en maintenant sa propre réalité - devient rare dans la communication entre les hommes et les femmes.
L'existence de la dépendance s'accompagne de la recherche de l'autonomie qui aboutit très souvent à d'autres formes de violence, dans la mesure où pour y accéder hommes et femmes brisent les liens de leur procès de vie. Ceci pourrait être positif mais, étant donné que cette autonomisation est opérée au sein d'une dynamique individualiste, elle est absorbée par le procès capitaliste de séparation des êtres humains et de leur réduction à particules neutres. Cela aboutit à la solitude.
Le
danger de l'autonomie est la destruction de toute possibilité de Gemeinwesen.
26 - La communauté capital a développé des moyens d'intégration des hommes et des femmes dans son procès qui ne font pas appel à ce qu'on nomme la violence puisqu'ils ne mettent pas en jeu des forces directement contraignantes, aptes à causer des dommages. Le plus élaboré est le marketing. La publicité en est un pilier. Elle est, comme la mode, la séduction du capital qui consiste à inciter dans les êtres humains une certaine sensibilité, à induire un comportement qui les fassent chercher les produits matériels ou immatériels que le procès global du capital engendre. La séduction est une violence pour êtres domestiqués; ce qui pose, par là même, le problème de sa consistance dans les rapports humains non encore infestés par le capital.
Dans la mode entre en jeu l'imitation, phénomène profond où hommes et
femmes recherchent des modes d'être, des conduites pour avoir une assise dans
le monde. La perversion de cette impulsion est une violence exercée sur
l'espèce. Ils cherchent également un moyen de s'identifier à un groupe et de se
séparer de la situation où ils se trouvent momentanément.
27 - Une forme de violence qui passe souvent inaperçue et qui est pourtant très puissante puisqu'elle déracine hommes et femmes de leur réalité se trouve dans l'intériorisation du postulat affirmant l'impossibilité de la jouissance, que Marx, à juste raison, considérait comme caractéristique du capital. D'où un double phénomène: d'une part il faut que hommes et femmes deviennent des blasés (avec un manque d’enthousiasme, une difficulté à se dédier à une chose ou à un être) qu'on cherchera à guérir grâce à diverses thérapies psychologiques, d'autre part il faut accroître toujours plus l'intensité des phénomènes devant engendrer la jouissance. Ceci est également en relation avec l'agressivité accrue du milieu où l'on vit. D'où la situation contradictoire: plus les êtres humains deviennent neutres, manquant d'énergie, donc incapables d'affronter la violence, plus il leur faut des quanta importants de stimulations pour accéder à des émotions. Le besoin de drogue est la meilleure illustration de cette impuissance à jouir. Le résultat est encore une destruction des êtres, leur domestication car ils dépendant de plus en plus de la communauté capital.
Dans ce domaine qui tend à envahir tout le champ de vie, la violence se manifeste par son apparence et pas tellement par sa réalité; on a le spectacle de la violence qui convient bien à des êtres passifs et dépendants.
Cette analyse est également vérifiable en prenant le cas de l'amour, dans lequel intervient de plus en plus le sadisme et surtout (fort probablement) le masochisme qui traduit mieux la dépendance des êtres. Toutefois il est difficile de déterminer le rapport exact entre ce qui est nommé perversion et la violence.
C'est
par le crédit et l'inflation que les hommes sont emportés dans la recherche
d'une jouissance jamais accessible, jamais épanouissante.
28 - Le terrorisme est de la violence exacerbée, c'est pourquoi il inclut la possibilité de l'extermination, de l'anéantissement. Il fut préconisé - révolution de 1789 - pour défendre un procès enclenché, Marx s'en inspira pour théoriser la nécessité de l'utilisation de la terreur rouge (cf. articles de la Neue Rheinische Zeitung).
Elle fut conçue également – par les révolutionnaires français comme par Marx - comme étant le seul moyen pour accélérer la transformation révolutionnaire et diminuer la quantité de violence. Cette dernière étant considérée en tant qu'accoucheuse de l'histoire, l'utilisation de la terreur permettrait de la réduire au strict nécessaire.
Il fallut trouver un moyen pour contrôler la terreur, empêcher qu'elle ne s'autonomise; Robespierre fit appel à la vertu et Marx à l'organisation homogène et consciente d'un parti (ce qui fut concrétisé par Lénine et les bolcheviks).
La
violence révolutionnaire avait non seulement besoin d'une justification: son
but : fonder un nouveau procès au sein duquel les hommes et les femmes pourront enfin développer leur humanité, mais
d’une médiation, montrant par là son hétéronomie. En outre, la vertu, par
exemple, est un équivalent général, comme dieu, liberté, justice, etc. Elle
dérive d'une et implique une violence pour être, ce qui est le lot de tout
équivalent général, possible qu'au prix d'un procès de réduction-abstraction.
29 - Le terrorisme ne vise pas seulement ceux qu'il touche directement mais aussi ceux qu'il n'atteint pas (il est violence et inhibition à la fois). Il y a effectivement transmission d'un message qui, dans le cas où il est émis par le pôle du pouvoir en place, peut-être avertissement signifiant qu'il est impossible de se révolter et que toute tentative de le faire est vouée à l'échec et à une immense répression (donc pas de possibilité de rompre le procès); dans le cas ou il l'est du pôle révolutionnaire, il exalte la nécessité de le briser; il signifie l'intolérabilité d'être dans une société donnée; il montre que le roi n'est roi que parce que ses sujets le reconnaissent en tant que tel; il fait ressurgir l' "identité ", c'est-à-dire la réalité propre de ceux qui sont exploités comme l'ont montré Frantz Fanon ou le Black Power, avec en particulier son slogan: " Black is beautiful".
Il est évident que le terrorisme pose la question du langage (surtout dans sa dimension inhibitrice), de la communication entre l'individu et le groupe, entre le groupe et la classe ou le peuple, Il faut un acte violent qui rompe, fracasse une représentation donnée pour que les masses accèdent à une certaine compréhension de la réalité ( thématique des populistes; celle de ceux qui veulent tirer le prolétariat de sa léthargie; celle de Mussolini considérant ses contemporains comme des cadavres sur lesquels il fallait lancer de la chaux vive afin de leur redonner vie).
Cependant comme il n'y a plus de roi, le terrorisme se démocratise et devient plus meurtrier car il est amené à toucher pour livrer un sens et créer un centre de polarisation des forces, un grand nombre de personnes.
C'est pourquoi, à l'heure actuelle, les mass media sont plus déterminantes pour la création d'une passivité des hommes et des femmes, pour leur domestication. Dans les zones les plus évoluées de la communauté capital, il n'est plus besoin de recourir à la guerre pour domestiquer. On vit avec un terrorisme plus ou moins intériorisé et létal.
Dans la communauté capital, le terrorisme peut surgir pour créer des différences afin de rétablir des flux, sinon l'égalisation provoquerait la stagnation; les hommes eux-mêmes y recourent pour parvenir à se différencier, à être reconnus. En outre le capital n'étant plus que représentation, tout devient une question de pouvoir et celui-ci ne peut apparaître qu'au travers d'une manifestation de force. La violence devient de plus en plus pâture de ce monde,
Le terrorisme peut être mis également en liaison avec la fin de la politique, la disparition de certaines régles aptes à contrôler la violence (la politique ne gouverne plus rien).
Le
fait que la violence révolutionnaire, pour être opérationnelle, transcroît
facilement en terrorisme est déterminé de plus en plus par la perte d'énergie
des gens, leur apathie; il faut des phénomènes toujours plus puissants pour les
émotionner; car par les mass media les gens ont été saturés de violence, qui
devient un banalité, comme de diverses émotions, tout peut leur paraître
naturel. Or le terrorisme doit faire ressortir une réalité dans ses
déterminations saillantes afin que les êtres humains soient obligés de prendre
position par rapport à elle.
30 - Certains pensèrent que le seul moyen d'éviter le déploiement de la violence et du terrorisme était d'intervenir seulement au moment où la situation serait mûre. Se fondant sur la théorie de Marx qu'un bouleversement social ne peut se produire que lorsque les forces productives sont parvenues à un certain degré de développement et lorsque celui-ci entre en conflit avec les rapports sociaux. L’ensemble social est alors catapulté dans un procès de transformation et, du fait que l’immense majorité de la population est concernée, il ne peut pas y a avoir de débordements de violence. Telle était la perspective de la social-démocratie qu'on peut repérer sous sa forme modérée chez Kautsky, sous sa forme radicale chez Rosa Luxembourg.
Le grand problème était de savoir déterminer le moment de maturation. D'où celui d'être capable d'attendre qui induisit à freiner le désir de changement de la part des plus déshérités. De là la formation de la conscience répressive et d'une inhibition sociale et historique.
Dans ce cas l'intervention est réduite à très peu; la volonté n'a pas d’importance et est considérée comme un défaut.
Cette
conception ne pouvait être valable que si le procès de vie du capital n'avait
pas de conséquence sur le comportement de l'ouvrier. Or, et Marx l'a bien mis
en évidence dans le Livre I du Capital,
l'ouvrier tend à être domestiqué puisqu'il considère la domination du capital
comme un phénomène naturel; dans un second temps, lorsqu’il passe de simple
producteur à producteur-consommateur, il n'a même plus à considérer une
domination puisqu'il l'a intériorisée. Il est intégré. Il est probable que
l'intervention révolutionnaire que voulait Marx était nécessaire afin
d'escamoter cette phase; ce qui postule que le capitalisme ne débouche pas
obligatoirement dans le communisme; pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que
les êtres humains demeurent toujours
aptes à agir, toujours remplis de leur fureur révolutionnaire.
31 - Souvent dans l'histoire il y eut des moments d'échappement de la violence, du terrorisme, lors d' ethnocides, de génocides, moments de folie collective, De nos jours un tel échappement se renouvelle à cause de la nécessité de frapper toujours plus violemment l'imagination des gens englués dans une passivité et désorientés par 1' évanescence des rôles.
En règle générale on peut constater que le terrorisme se développe à. la fin de périodes historiques, quand il est difficile de se repérer. Celui de la fin du siècle dernier (anarchistes individualistes) était l'indication de la fin de la société bourgeoise qui fut pleinement réalisée avec la guerre de 1914-18; le terrorisme actuel manifeste la mort potentielle du capital. Ce seront des catastrophes autres qu'une troisième guerre mondiale, fort improbable, qui le détruiront réellement.
Le
terrorisme découle, dans ce cas, de l'impossibilité de cueillir la racine du mal. Dans ces moments où
il faudrait aller jusqu'au fond des choses, la violence qui cherche à abolir
les causes de ce qui mine la société, n'atteignant pas son objet, dérape: il y
a échappement.
32 - Étant donné que l'issue à l'impasse actuelle n'est plus à chercher au sein de la communauté capital, mais en dehors d'elle, qu'il faut donc quitter ce monde, il y a nécessité d'une intervention et donc aussi d'une violence, parce qu'il faut nous arracher au procès de vie dominé par le capital, réciproquement il est certain que celui-ci ne pourra pas - lorsque le phénomène de sortie aura atteint une certaine ampleur - ne pas intervenir. L'apparition d'une différence engendre la violence de la part de qui se sent menacé. Il faudra se défendre.
On ne peut pas éviter la violence, mais on peut, répétons-le, éviter de se mettre sur le plan de celle du capital. Notre violence consistera dans le fait de nous mettre hors de sa sphère ce qui est le seul moyen de porter l'intervention jusqu'à sa racine et de priver ainsi de tout fondement une foule de phénomènes de violence.
On
peut en revanche éviter la domestication. Notre sortie du monde vise à accéder
à un potentiel d'énergie qui sera un immense potentiel de refus; notre devenir
autre sera d'abolir l'errance millénaire pour nous retrouver en tant qu'
espèce-phylum devant réaliser le phénomène réflexif de la vie, en symbiose avec tous les êtres vivants;
avec au sein de l'espèce, l'accession-réalisation de
l'individualité-gemeinwesen, c'est-à-dire que l'homme, la femme vivront des
modalités simultanées et interpénétrées.
33 - Avant de
signaler le possible d'une voie de vie hors du capital, il convient d'envisager
à nouveau la violence en tant que conduite humaine dans la nature, c’est-à-dire
en tant qu'intervention de l’espèce. On a indiqué que la chasse, l’agriculture,
l’élevage, la domestication sont autant d' actes de violence il en est de même
de l'intervention médicale, scientifique, etc... Dès lors le problème de la
violence se ramène a celui de validité de l'intervention et, par voie de
conséquence à celle d'une thérapeutique, étant donné que celle-ci est utilisée
en règle générale pour pallier aux inconvénients d'une intervention dont les
résultats sont négatifs. Ce qui situe les données de l'investigation. Il est
évident que le refus d'intervenir conduirait l'espèce à une passivité qui la
conduirait à s'immerger dans la nature; ce
qui ne serait pas un retour à un stade primordial, mais une dégénérescence
totale. L'intervention doit se faire en connaissant les différents procès de
vie et, très souvent, sans vouloir leur substituer des ersatz ou des prothèses.
Cela laisse à l'espèce le champ d'intervention qui est création en fonction de
toutes ses déterminations propres dont la plus essentielle est sa réflexivité,
laquelle est incluse dans le phénomène de vie global dont nous devons permettre
l’épanouissement.
34 - Le phénomène de la naissance illustre parfaitement notre affirmation C'est un procès qui fait passer, de façon continue, l'être du stade vie aquatique à un stade de vie aérien. Pour cela une série de mécanismes interviennent permettant au fœtus, au travers de phases qui se succèdent dans un ordre rigoureux et ayant chacune sa durée propre, d’apparaître enfant humain. Il n'y a pas violence; ce qui ne veut pas dire que le phénomène ne soit pas violent, c'est-à-dire chargé d'une grande puissance, mettant en action une grande quantité d'énergie. En effet les efforts de l'enfant pour sortir de la cavité maternelle, ceux de la mère pour l'expulser ne sont pas de faible amplitude. Mais la violence naît lorsqu'on contrecarre le procès comme on le faisait presque régulièrement avant la mise au point du mode d'accoucher selon F. Leboyer.
L'éducation de l’enfant, son instruction devraient relever aussi d'une transmission sans violence, c'est-à-dire apte à le faire franchir les divers moments de son accession à la maturation sans heurter son rythme de vie (ce qui vient d'être indiqué pour la naissance vaut donc également pour sevrage, puberté, etc...). Il faudrait une espèce d'initiation qui le fasse accéder non à l'autonomie mais à sa réalité qui n'est jamais parcellaire, puisqu'en chacun de nous se développe l'individualité-gemeinwesen.
Il semblerait que l'initiation, telle qu'elle se faisait à l'origine, était un moment de vie où coexistaient deux phases de la vie de l' enfant de telle sorte qu'au cours de séances où tout était exacerbé, il lui était possible d'effectuer de façon peut-être pas indolore, mais sans violence, le saut d'une phase à l'autre. L'initiation contrariait la représentation de tout ce qui va advenir, d'où la possibilité de prise de position de la part de l'enfant qui s'empare de ce qui adviendra, qui en effectue une certaine maîtrise. Il n'est pas placé devant un simple inconnu qui pourrait le terroriser.
Pour éviter la violence il faut respecter les rapports entre phylogenèse et ontogenèse. Au cours de cette dernière, il y a en partie récapitulation des phases de la première. Il en est de même en ce qui concerne les rapports entre individualité et espèce. Á trop vouloir accélérer la succession des phases ou même à essayer de les escamoter, on produit des êtres mutilés. En outre - et ceci est surtout valable pour le deuxième domaine (champ de développement) si le procès ne s’accomplit pas en sa totalité provoquant un inachèvement, il induira chez l'être inachevé une propension à revivre le procès afin de parvenir enfin à son accomplissement. D'où la production d'adultes non mâtures dépendant totalement d'une enfance plus ou moins lointaine non accomplie.
Dans
quelques cas la méthode d'instruction actuelle réussit et les enfants
acquièrent l' extraordinaire abstraction que réclame le développement du
capital; c'est aux dépens de leur affectivité, de leur spontanéité... Cela
forme des êtres chez qui toute sensibilité est atrophiée; ils seront aptes à
devenir les chefs nécessaires de la communauté capital.
35 - On doit certes accéder â une abstraction (réalisation parfaite de la réflexivité) mais le chemin pour y parvenir doit être plus lent et surtout particulier a chacun. Elle s'acquerra à travers des modalités qui n'excluront jamais la prise en compte constante de la totalité. Il faut que les hommes et les femmes puissent intégrer les phases antérieures qui sont les moments de vie de leurs prédécesseurs, ce qui fait que ceux-ci n'ont pas vécu en vain et maintient une réelle continuité entre toutes les générations. La violence réside dans l' interruption de celle-ci. Ainsi les diverses étapes dans l'acquisition de la lecture, de l' écriture, du raisonnement mathématique, de celui des diverses logiques, mais aussi de l'histoire, de la philosophie, etc... (en raisonnant sur le savoir séparé actuel, car il est clair que les connaissances ne seront plus débitées selon des disciplines) doit être envisagé d'une toute autre façon qu’à l’heure actuelle, ce qui dépend d’ailleurs d'un mode de vie moins abstrait que celui d'aujourd'hui.
Un
être qui n'a pas accompli de façon harmonieuse les divers procès qui doivent le
constituer est un être dépendant, et qui l’est d'autant plus qu'il ne parvient
pas à percevoir la racine de cette infirmité, puisque nous avons vu que notre
procès de production en tant qu’être féminin ou humain intègre en lui des
phases fort anciennes faisant partie de la phylogenèse. En outre cet être
dépendant à souvent recours à la violence pour masquer le manque qui le mine.
36 - En définitive la plus grande violence que l’espèce ait produite, c'est celle qu'elle a exercée sur elle-même, en s'autonomisant et en devenant inadéquate à son être biologique. C'est cet écart devenu énorme qui cause la nécessité de toutes sortes d'interventions, de violences.
L'espèce potentiellement frugivore est devenue carnassière, puis omnivore à dominante carnivore, mangeant trop de produits cuits et trafiqués; la cuisine est la pire invention qui permit la domestication, ce qui a engendré une foule de maladies nécessitant à leur tour l'élaboration de diverses médecines qui, surtout pour les thérapies les plus modernes, contribuent à déraciner hommes et femmes, à les mettre hors leur nature.
Le même processus se vérifie avec la dépossession du geste, de la parole, de l'imagination; l' espèce technicienne est privée de la technique - sauf une minorité de plus en plus réduite - et ceci est réalisé par le capital et par certains de ceux qui s'y opposent parce qu'ils considèrent la technique comme un mal.
La
technique n'est pas seulement, comme le pensait Aristote, ce qui est nécessaire
pour pallier aux ratées de la nature, elle est 1' élément fondamental
permettant de réactualiser toutes sortes de possibles réalisés par d'autres
espèces. Au travers de l'espèce humaine, la vie ne se développe pas en
s'appauvrissant.
37 - En finir avec la violence implique d'abolir la dépendance qui est sanction de la séparation soi-autres, et la consécration de la violence originelle, fondatrice de l’errance, ce qui aboutit aussi à détruire la base de la domestication. Cela ne veut pas dire abolir les liens entre membres de la communauté mais, tout au contraire, postule la nécessité de ne plus être séparé, puisque la séparation réclame la production de médiations externes pour rétablir l'union. Le terme de symbiose peut évoquer l' abolition de la dépendance.
Le refus de celle-ci s'exprime dans la volonté de redécouvrir le corps (par là enrayement de l'abstraction, exaltation de la séparation), qui est volonté de s'appartenir et de se prendre en charge; de là le rejet du pouvoir médical, de toute thérapeutique et la recherche d'une alimentation saine, adéquate à notre être biologique, ce qui dépasse la problématique de l'agriculture biologique actuellement a la mode.
Il y aura toujours un possible pour la violence entre les hommes et les femmes puisqu'ils continueront à devenir. Ce devenir ne peut pas être exempt de rupture de procès, mais la Gemeinwesen sera apte à enrayer le phénomène violence, comme elle pourra le faire pour le devenir autre qui serait une aliénation.
Ceci est essentiel parce que la théorisation de la non violence est affirmation d'une perte de volonté, d'énergie des hommes et des femmes; la disparition de toute affirmation l'évanescence tolérante. Affirmer l'élimination de la violence qui détruit n'implique pas de revendiquer une énervation et une débilité. Au contraire, plus on sera régénéré, plus on sera apte à vivre des phénomènes " violents", hors de toute monotonie.
La
Gemeinwesen doit être à même d'intégrer des impulsions de grande énergie, sinon
on pose une communauté dans le style utopique où tous les êtres sont identiques
et harmonieux. L'harmonie est souvent l'absence de vibration profonde.
38 - Pour accéder à la communauté humaine intégrée dans le cosmos, il faut rompre avec ce monde. La plupart des hommes et des femmes sentent qu'il faut trouver une autre voie que celles empruntées jusqu'à maintenant, seulement ils ont peur de faire le saut, peur entretenue par le mode de vie octroyé par la communauté capital.
"C'est ici qu'est la peur, c'est ici qu'il faut sauter".
Nous n'exerceront aucune violence sur qui que ce soit pour qu'il accomplisse ce saut. Á chacun de surmonter sa peur en comprenant l'immensité de l'enjeu, en entrevoyant la vie future. Nous ne pouvons pas non plus utiliser l'éventualité presque certaine de catastrophes prochaines pour exhiber un discours terroriste afin de vaincre doute et peur.
Tous les hommes et toutes les femmes pris et prises individuellement doivent produire l’effort de leur prise en charge pour fonder une nouvelle communauté. Á l'heure actuelle il y a coexistence du vieux mode de vie et du possible d'un autre. Le passage de l'un à l'autre est un procès de naissance. Toutefois étant donné les innombrables contradictions accumulées et non résolues au cours des millénaires et la dégénérescence de l'espèce il est clair que la violence ne pourra pas être évitée. Nous ne la revendiquons pas. Nous la constatons, de même que nous sommes bien conscients que la dynamique de sortie du capital est une violence contre son procès global.
39 - Il faut constituer un centre de vie-réflexion en
dehors de la violence et de la domestication.
Remarque transitionnelle
L’étude de la violence implique une prise de position par rapport au cheminement de l'espèce. C'est pourquoi est-il nécessaire d'aborder, pour la réaliser, tous les aspects de la vie humaine, féminine, depuis des milliers d'années. Ce faisant on effleure et on ne peut pas être exhaustif. En conséquence on réexaminera ce cheminement en portant notre attention sur identité, abstraction, représentation, valeur, aliénation. En ce qui concerne l’abstraction cela revêt une importance considérable puisqu'il s'agit de réellement saisir le mouvement de la vie qui s'opère à travers l’espèce. On reviendra tout particulièrement sur le moment de la coupure et son rapport à l’insécurité, et à la thématique de la fin du monde.
On a utilisé, pour conduire notre analyse, les concepts de force, d'énergie. Or notre recherche d'une autre représentation implique que nous devons les mettre en cause, de telle sorte que nous serons probablement conduits à réexposer ultérieurement le phénomène de la violence.
Enfin la compréhension du texte qui précède présuppose qu'on accepte l'analyse de Marx en ce qui concerne le devenir des sociétés de classe et qu'on tienne compte de tous les travaux parus dans Invariance, tout particulièrement de "Capital et Gemeinwesen " qui livre les concepts fondamentaux de départ de cette étude.