ADRESSE
Les textes que nous publions
dans ce numéro visent plusieurs buts. Faire connaître des œuvres
d’auteurs (ici
H. Gorter) souvent cités, souvent méconnus. Or leur connaissance est
nécessaire
pour détruire certains mythes tel celui de la gauche communiste
germano-hollandaise. Présenter, en outre, au travers d’œuvres de
camarades
divers, différentes approches d’une même remise en cause (de la théorie
du
prolétariat, dans le cas présent, avec l’introduction de Carsten Juhl
au texte
de H. Gorter). Il ne s’agit pas, en effet de faire une revue
monolithique,
expression d’un mouvement déterminé qui serait vite un euphémisme pour
désigner
un groupe. Elle doit être captage des autres et mise à disposition des
autres.
Elle permet de signaler un cheminement et de prendre connaissance de ce
qui
dans le monde va dans le sens du soulèvement de l’espèce. La
perspective est
celle d’une vaste union où les diversités sont conservées, union sans
laquelle
la révolution ne peut pas acquérir d’effectivité. C’est pourquoi est-il
important que, sur le même argument, puisse paraître différent points
de vue.
Ainsi en ce qui concerne l’article de H. Gorter, il me semble important
d’ajouter ceci : l’aspect tragique de la fin de sa vie. Il a
un vision
donnée du prolétariat et de la révolution et il pense qu’il y a
inévitablement
relation biunivoque entre les deux. Or, il est contraint de constater
une
cassure. Il ne peut pas remettre en cause le rôle du
prolétariat ; car
qui, sinon, pourrait conduire cette révolte qui permettra aux plus
exploités,
aux plus défavorisés, aux malheureux d’accéder enfin à la
vie ? Et qui a
un intérêt immédiat à la suppression de l’oppression
capitaliste ? Qui
peut conserver encore quelque chose d’humain sinon le
prolétariat ? Aussi
y a-t-il opposition entre le prolétariat en lui représenté qui est le
prolétariat révolutionnaire et le prolétariat réel qui soutient, en
fait, le
MPC. Là se produit un déchirement chez Gorter. Et, je pense que seul un
poète
pouvait avoir une telle intuition mais, aussi, assez de générosité pour
ne pas
abandonner ce qu’il considérait comme tant d’autres, le parti des
exploités,
des opprimés.
D’autres parvinrent comme lui
jusqu’au doute en ce qui concerne la théorie du prolétariat, d’autres
encore la
rejetèrent. Seuls ceux qui furent tout de même aptes à se maintenir du
côté du
parti des opprimés nous intéresse, en ce qui concerne le mouvement
ouvrier.
De cette remise en cause
génératrice de déchirure il sera question dans la préface à Russie et révolution dans la théorie marxiste
de A. Bordiga (à paraître chez UGT 10/18, début 1975), intitulée
«La
révolution russe et la théorie du prolétariat», j’aborderai
plus
particulièrement le cas de Bordiga qui est extrêmement significatif
parce qu’il
fur le défenseur le plus acharné de cette théorie et pourtant, on voit
percer
dans son œuvre le doute. Pour tous ces hommes, la limite était qu’ils
ne
percevaient pas qui pourrait remplacer le prolétariat. Or, ce n’est pas
en ces
termes que l’on pouvait affronter la nouvelle situation car elle
pâtissait de
l’antique conception classiste.
Nous avons souvent parlé dans
Invariance de convergence mais elle était située au sein du mouvement
ouvrier.
Or, elle a une base plus vaste: dans les différentes couches
sociales
composant l’humanité, et dans le temps. Il ne s’agit pas de récupérer
qui que
ce soit, après avoir opéré une critique réductrice, c’est-à-dire une critique
qui
viserait à éliminer tout ce qui n’est pas compatible avec la position
affirmée
dans la revue et à conserver ce qui l’est. Non, il faut garder l’autre
dans son
intégralité pour signaler ce qui en lui avec nous converge. Car il n’y
a aucun
monopole de ce qui est humain. En outre, de même qu’il n’y a pas de
peuple, ni
de race, ni de classe élus, il n’y a pas de génération élue. Aucune
destinée ne
nous a désigné pour comprendre et pour réaliser le communisme. La
connaissance
des autres est essentielle pour lutter contre la domestication. Voilà
pourquoi
nous publions et publierons également des extraits d’œuvres d’auteurs
d’âges
divers et d’horizons multiples.
Jacques
CAMATTE