Aperçu sur les travaux
ultérieurs :
DE LA NÉGATION À
L'AFFIRMATION
Nous
aurions été heureux de pouvoir commencer la publication
d'articles sur l'Union soviétique, sur l'Asie, etc., comme cela était
primitivement prévu. Chacun de ceux-ci devait illustrer nos
affirmations
liminaires de De la révolution. Étant donnée
l'importance de ces
questions nous résumerons brièvement le contenu de ces articles.
1° Le
mode de production capitaliste ne peut se développer en
Chine qu'à partir du pôle travail et non à partir de celui de la
valeur. De là
l'effectuation dans son contenu de la dictature du prolétariat :
communauté
travail, égalitarisme et militarisation de la vie surtout dans les
campagnes.
L'esclavage généralisé du mode de production asiatique est transformé
de cette
façon dans son contenu mais il y a, en définitive, maintien du
despotisme :
l'esclavage est celui des chinois et des chinoises individuellement ou
dans
leurs groupements artificiels qui remplacent les antiques communautés
basales, par
rapport à l'unité centrale représentée, à la limite, par Mao.
Cette unité n'est qu'un moment transitoire (car il
y aura une démaoïsation correspondant à la victoire du capital qui se
traduira
par la prépondérance toujours plus grande du groupe Chou-En-Laï) qui
doit
permettre au capital de dominer l'immense Chine. Elle ne peut y
parvenir
qu'avec l'aide du MPC à l'échelle mondiale d'où l'entrée de la Chine à
l'ONU et
l'aide des E.U. À l'État chinois.
Ainsi le sens du déroulement des événements depuis
1949 apparaît assez clairement : essai de domestiquer l'immense
multitude
paysanne chinoise matériellement et idéologiquement (culte de Mao) afin
de
détruire tous les phénomènes de rejet de la greffe du capital qui est
en train
de s'effectuer. Cependant il n'est pas dit que la greffe prenne parce
qu'il
n'est pas sûr que tous les mécanismes de rejet aient été enrayés ;
c'est
pourquoi, pour quelques années encore (en tenant compte d'une situation
assez
stable à l'échelle mondiale) la Chine demeurera un lieu prévisible de
transcroissance des luttes.
Dans l'aire indoue (Inde, Pakistan, Bangladesh,
Ceylan) nous avons au contraire, par suite de la non destruction des
rapports
sociaux, développement d'une révolution par le haut. Celle-ci s'est
avérée
d'autant plus nécessaire que l'insurrection de Ceylan d'avril 1971 a
montré à
quel point le mouvement révolutionnaire pouvait aller au-delà des
simples
objectifs nationalistes ou intégrables immédiatement par le capital; le
soulèvement de Ceylan atteignit la perspective communiste et a rendu
passéiste
le mouvement vietnamien.
Toute l'Asie à laquelle il faut ajouter
l'Australie est bien le lieu central de l'histoire contemporaine (autre
élément
pleinement réalisé de la prévision de K. Marx de 1849) c'est là que
viennent
s'affronter et parfaire leur convergence USA et URSS. Cette convergence
n'est
pas un phénomène externe au mode de production capitaliste mais une
modalité
essentielle d'accomplissement de sa totalité à l'échelle mondiale. A
travers
des détours historiques et d'apparents reculs, il y a réalisation du
despotisme
du capital à l'échelle planétaire ; il y a ainsi continuité et
discontinuité
entre despotisme tsariste, despotisme asiatique et despotisme du
capital. De
même le MPC converge avec le MPA, en ce sens que tous deux en
définitive sont
des modes de production qui doivent reconnaître la toute puissance de
la nature
; l'ironie veut qu'en occident on tende aussi vers une société
hydraulique
telle que l'a décrite Wittfogel.
2°
L'unification du marché mondial, du marché
monétaire où le capital « existe en tant que
totalité » s'effectue à
l'heure actuelle. Et, ce qui était prévisible depuis 1968 se réalise de
plus en
plus : l'intégration directe des pays communistes dans l'économie
mondiale. La
spéculation sur l'or et le dollar, et le voyage de Nixon à Moscou en
sont des
preuves. De plus le capital tend toujours plus à surmonter les
obstacles que
sont pour lui les unités étatiques. Les entreprises multinationales
sont elles
aussi des quanta de capital tendant à se constituer en communautés
matérielles
; c'est leur activité qui donne forme au MPC actuel. Elles représentent
le
capital dans toute sa puissance et sa pureté. Elles ne sont pas
limitées par
des reliquats du passé comme peuvent l'être les États en tant que
quanta de
capital. Ceci a pour conséquence qu'il est impossible de chercher à
comprendre
les contradictions du MPC en se fondant uniquement sur les heurts entre
États
dits impérialistes : E.U, URSS, Chine, Japon, etc.
3° Les
limites du développement du MIT
indiquent la fin de l'utopie capitaliste : remplacer la terre-nature
par une
machinerie, abolir le travail humain ; le capital se heurte
fondamentalement à
l'homme d'un point de vue quantitatif : explosion démographique, d'un
point de
vue qualitatif : les besoins biologiques les plus simples et les plus
irrépressibles: nécessité d'oxygène, de nourriture, d'un minimum
d'espace, etc.
Cependant de l'utopie mécanique, le capital devenu homme, peut passer à
l'utopie anthropomorphique : se mettre au rythme de l'homme, réduire la
croissance afin de maintenir l'esclavage généralisé des hommes par
rapport à
lui.
Cette dernière utopie trouve écho, résonance,
source (?) chez tous les découvreurs du désir qui, avec mai 68, ont
enfin
réalisé que la révolution n'est pas qu'un simple problème
d'accroissement des
forces productives, qu'ils n'ont plus besoin, pour se décréter
révolutionnaires, d'entrer au PCF. Simultanément leur apparaît la
possibilité
de critiquer-dépasser Marx, comme si celui-ci n'avait pas affirmé dès
1843 que
la révolution communiste devait se faire à un titre humain.
4°
L'important dans toutes les analyses
prévisionnelles, comme celles du MIT, c'est qu'elles posent 1975 comme
date
limite, celle à partir de laquelle tout ira de pire en pire (selon une
loi
exponentielle) si rien n'est entrepris pour invertir le cours actuel de
la
progression de la production. Or, Bordiga considérait, il y a vingt
ans, la
révolution communiste devant éclater à cette époque là. Ainsi dans son
étude sur
« Le cours du capitalisme dans l'expérience historique et dans
la doctrine
de Marx » il s'était préoccupé d'établir phénoménologiquement
la limite du
mode de production capitaliste. Sa conclusion était : mort du capital à
la fin
des années 70. Nous avons toujours maintenu cette perspective sans
l'avoir
malheureusement substantiellement étayée. Les évènements actuels
obligent à le
faire.
5°
L'affirmation que la révolution doit se
préoccuper de l'homme coexiste dans les diverses publications de gauche
avec la
proclamation de la disparition de l'homme. Elles manifestent la dualité
de la
réalité sociale actuelle. La deuxième indique aussi au-delà de
l'immédiatisme
qui met en rut divers auteurs en quête de public, la montée du
communisme.
Celui-ci perce également au travers du phénomène communautaire qui
revêt de
multiples variantes. Mais le défaut fondamental de tout projet
communautaire
est de ne pas avoir préalablement ou tout au moins conjointement à sa
réalisation, porté jusqu'au bout la critique du racket sous toutes ses
formes.
Dans la société capitaliste actuelle le couple en est la forme la plus
puissante et la plus subtile.
6° Jusqu'à présent le mouvement révolutionnaire s'est posé en tant que négatif du mouvement du capital. L'œuvre positive-affirmative n'était entrevue que dans l'au-delà de la révolution. A l'heure actuelle il s'agit de poser cet au-delà comme étant susceptible d'être vécu, comme devant être réalisé afin de s'opposer dans une subversion positive-affirmative à l'ordre du capital.
Camatte Jacques
1972