Apports d’autres théoriciens
Pour aborder ces apports
je tiendrai compte d’une thèse qui s’est imposée à moi au cours de la rédaction
de cet article et des recherches que cela nécessita et nécessite. Ce qui
advient avec le développement de tout le courant psychanalytique et plus
globalement celui psychologique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, c’est la
mise en place du procès de dévoilement de l’ontose dont le moment essentiel est
la mise en évidence par Sigmund Freud du refoulement. Ce procès se poursuit de
nos jours après avoir reçu une forte impulsion lors de la secousse du second
ébranlement de ce siècle. On peut considérer que durant tout le XIXe siècle, que
P. Gay définit comme celui de la psychologie[1],
il y a maturation d’une recherche qui explose en quelque sorte au XXe au travers du phénomène de psychologisation:
perception et présentation du devenir de l’espèce uniquement au travers de
celui de sa dimension psychique perçue de façon plus ou moins autonomisée. On
peut dire que, à des titres variés, tous les courants de la psychologie y
participent, particulièrement ceux qui se réfèrent à ce qui est appelé la
psychologie des profondeurs.
Au siècle dernier la
psychologie occupe une place fort importante chez les philosophes et ce n’est
pas un hasard si certains d’entre eux ont intuitionné ce qu’ultérieurement des
psychologues furent amenés à découvrir et, donc, dans une certaine mesure à
redécouvrir. Arthur Schopenhauer, Søren Kierkegaard, Friedrich Nietzsche en
sont les exemples parmi les plus remarquables. Dans tous les cas, une des
dimensions de la philosophie, est sa recherche de résoudre l’ontose non perçue,
d’ailleurs[2].
Tout homme, toute femme,
est préoccupé(e) inconsciemment par son ontose. Toutefois cela s’impose de
façon beaucoup plus évidente au niveau de ceux qui s’affrontent au
fonctionnement de ce qui leur apparaît comme leur appareil psychique. Mais un
physicien, un mathématicien etc., individuellement, le fait également et sa
construction théorique est un support pour la résolution de son ontose. En
conséquence toute activité humano-féminine témoigne de cette dernière. Soit
elle tend à la dévoiler dans son immédiateté, soit elle l’expose au travers de
diverses constructions. En anticipant jusqu’à nos jours on peut constater que
beaucoup de biologistes cherchent à mettre en évidence les structures
encéphaliques dont le dysfonctionnement serait la cause des névroses, des
psychoses et donc serait, aussi, le support de l’ontose. Or ces structures
n’opèrent qu’à l’aide de substances biochimiques précises telles les
neurotransmetteurs, les hormones etc. En conséquence il apparaîtrait qu’il
suffirait de traiter hommes et femmes comme des plantes, c’est-à-dire de les
nourrir au goutte à goutte en plaçant dans le liquide nutritif tous les
éléments nécessaires au procès de vie. S’imposerait alors la vie totalement
assistée dont parla K. Marx, le médecin permanent étant lui-même dilué dans le
liquide. En même temps, il est clair que cet arrosage au goutte à goutte est
une belle métaphore de la dépendance: le tuyau en tant que symbole du cordon
ombilical. Cette tentative des biologistes, des pharmacologues de nier toute
dynamique psychique déterminante sur le fonctionnement organique, a pour
résultat de créer un domaine de production énorme favorable au développement du
capital. En même temps cela enlève toute responsabilité aux parents, à la
société. Tout cela est vrai, mais dans l’immédiat, pour tous ces hommes et
femmes opérant dans cette dynamique, c’est l’illusion qu’avec des substances
appropriées ils pourront éliminer la souffrance, éliminer le mal qui les ronge.
Il faut aussi aller jusqu’au bout de cette illusion pour être obligé
d’affronter le mécanisme réel.
Une dernière remarque: la
dynamique des biologistes tend à réaliser une part du programme freudien:
trouver une base biologique aux phénomènes psychiques et fonder par là un
domaine où une intervention serait possible, consentant la mise en place d’une
thérapeutique plus sûre. Elle tend à résoudre également les difficultés rencontrées
par Alfred Adler: l’infériorité des organes, racine du sentiment d’infériorité.
L’intervention des biologistes pourrait réparer l’erreur que constitue
l’infériorité des hommes et des femmes et, de ce fait, névroses et psychoses ne
pourraient plus se développer.
Pour en revenir aux
psychologues et aux psychiatres, ce qui me semble fondamental c’est
l’affirmation de plus en plus nette qu’il n’y a pas de rupture nette entre
névrose et normalité; qu’il y a coexistence de dimensions géniales et de dimensions
psychotiques comme l’ont montré les cas de F. Nietzsche, Georg Cantor, Theodor
Gustav Fechner, Ludwig Boltzmann etc. Or c’est avec l’oeuvre de S. Freud que
ceci commence à s’imposer. En outre, on doit tenir compte du grand nombre de
névrosés parmi les premiers psychanalystes (ceux dont nous nous occupons pour
le moment). Ce qui n’est pas un support pour dénigrer ceux-ci, mais pour mettre
en évidence, justement, leur contribution initiale au dévoilement de l’ontose.
En conséquence, en même
temps que j’exposerai l’apport des théoriciens plus ou moins contemporains de
S. Freud, je tiendrai compte de ce phénomène qui travaille l’espèce en
Occident, je tenterai de mettre en évidence leur ontose qui parfois transcrut
en névrose. Autrement dit, il s’agit de mettre en évidence que le discours
psychanalytique – et plus généralement psychologique – est un discours sur
l’ontose, fondé par elle. Il en est de même, – mais ceci sera seulement signalé
– du discours sur l’être, l’ontologie[3]
qui s’épanouit à peu prés à la même époque.
Il faut décrire
l’émersion d’un phénomène qui ne se réduit pas en la manifestation freudienne.
Je veux dire par là que divers théoriciens en témoignent mais à des degrés
divers. Ce qui explique les convergences et aussi les polémiques.
Si ce qui advient en ce
siècle, particulièrement en sa portion finissante, est le dévoilement de
l’ontose, cela implique également qu’il est de plus en plus possible de
percevoir ce qu’est réellement l’être humain, l’être féminin, en sa naturalité[4].
En conséquence mon intention est d’atteindre cette dernière, de percevoir son
émergence, sinon ce serait faire oeuvre purement cognitive.
Wilhelm Fliess – Joseph Breuer
Je voudrais en premier
lieu aborder la contribution de deux hommes bien différents: W. Fliess et J.
Breuer. Du premier nous en avons longuement tenu compte dans la partie traitant
du rejet par S. Freud de la théorie de la séduction, mais cela n’épuise pas
l’étude de son apport. Il faut rappeler sa théorisation concernant la
bisexualité, ses interrogations sur la sexualité infantile, sur les biorythmes,
sur le déterminisme de la névrose etc. Ceci demeure dans le cadre de son apport
direct, mais il faut tenir compte d’un apport indirect qui est peut-être encore
plus important. Pour S. Freud, W. Fliess fut son alter ego. C’est l’homme en
qui il s’est identifié, celui qui était apte à affronter les sujets les plus
scabreux, qui avait l’audace d’affronter ce que nul n’avait osé faire etc.
Grâce à ce support il put se lancer dans la vaste investigation de la scène
traumatisante originelle, telle qu’il l’a théorisée dans ce qu’il nomma ensuite
théorie de la séduction. Mais, comme nous l’avons vu, du fait que, d’une part,
il ne parvint pas effectivement jusqu’à la scène originelle où s’opéra le
traumatisme et que, d’autre part, il se produisit des événements qui tendirent
à lui faire remettre en cause cette théorie, il fut amené à se séparer de W.
Fliess et donc de lui-même – rejouement d’un événement très antérieur – ce qui,
évidemment, ne put qu’être très douloureux et l’affecta puissamment durant
plusieurs années. C’est donc en se séparant de ce dernier qu’il mit au point la
théorie du fantasme, nouvelle forme de la théorie psychanalytique. Ce qui veut
dire que W. Fliess lui servit à nouveau de support, plus précisément ici, de
vecteur.
L’apport de J. Breuer,
support de son désir de père idéal, ne peut pas être passé sous silence. Voyons
ce qu’en dit S. Freud lui-même, tout d’abord en 1909. «Ce n’est pas à moi que
revient le mérite – si c’en est un – d’avoir mis au monde la psychanalyse. Je
n’ai pas participé à ses premiers commencements. J’étais encore étudiant,
absorbé par la préparation de mes premiers examens, lorsqu’un médecin de
Vienne, le Dr Joseph Breuer appliqua pour la première fois ce procédé au
traitement d’une jeune fille hystérique (cela remonte aux années 1880 à 1882)»[5].
Cinq ans plus tard, il
rectifie. «C’est que la psychanalyse est ma création» et il explique que «des
amis bienveillants m’ont fait observer depuis que j’avais poussé trop loin
l’expression de ma reconnaissance; que j’aurais dû, ainsi que je l’avais fait
dans les occasions antérieures, faire ressortir que le “procédé cathartique” de
Breuer constituait une phase préliminaire de la psychanalyse et que celle-ci
datait du jour où, repoussant la technique hypnotique, j’avais introduit celle
de l’association libre»[6].
Dans les deux ouvrages
que nous venons de citer, S. Freud se place sur le plan thérapeutique et
escamote le fondement théorique essentiel: la mise en évidence du refoulement.
Si on reste sur le plan où il s’est mis, on constate qu’il est en contradiction
avec ce qu’il affirme, du fait que la technique de la libre association a été
découverte par une patiente de J. Breuer, Bertha Pappenheim, technique que ce
dernier accepta d’utiliser et qu’il fit connaître à S. Freud. Celui-ci en
perçut tout de suite l’immense intérêt parce qu’elle offrait une voie d’accès à
ce qui fut refoulé. Ainsi il est important de considérer ce qu’il en fut
réellement. E. Roudinesco et M. Plon font remarquer que: «L’histoire d’Anna O.
[Bertha Pappenheim, NdA] est l’un des
mythes fondateurs de la psychanalyse»[7].
Après avoir exposé comment se constitua ce mythe, ils font état de diverses
recherches historiques au sujet des rapports entre J. Breuer et B. Pappenheim,
en particulier de la découverte d’un rapport du premier se rapportant à la
seconde, rapport qui fut publié en 1978, et écrivent ceci: «Non seulement la
patiente n’a pas été guérie de ses symptômes hystériques au cours de la cure
mais, de plus, elle n’a pas été traitée par la méthode cathartique. Le terme
n’apparaît pas dans le rapport, ni d’ailleurs celui d’abréaction. […] C’est
seulement beaucoup plus tard, en dehors de toute intervention médicale, qu’elle
trouva un équilibre. […] Cette remarquable révision ne faisait que conforter
l’idée progressivement admise par Freud lui-même selon laquelle la guérison en
psychanalyse est une manière pour un sujet de convertir des symptômes
pathologiques en une sublimation. Elle montrait surtout que Breuer et Freud
avaient réussi en quelques années, comme presque tous les maîtres de la
psychopathologie, à transformer des histoires de malades en fictions,
c’est-à-dire en récits de cas destinés à prouver la validité de leurs thèses.
[…] Malgré le travail pionnier d’Ellenberger et l’apport de Hirschmüller, qui
montra que Bertha Pappenheim avait surmonté sa maladie par un engagement
militant d’où était bannie toute relation charnelle avec les hommes, les
psychanalystes les plus sérieux continuèrent à tenir pour vérité intouchable
les canons de l’historiographie officielle»[8].
Ceci mérite réflexion.
Mais tout d’abord disons que cela ne remet pas en cause l’apport de B.
Pappenheim ni celui de J. Breuer. Je veux dire par là que tous deux ont abordé
un phénomène considéré comme hystérique en utilisant la parole; la parole qui
peut avoir un effet cathartique, parce que parachevant un processus de
conscientisation. C’est un point de départ qui permit à S. Freud d’établir sa
technique. Ce qui ne veut pas dire que celle-ci fut efficace, mais c’est celle
qui lui permit de pouvoir utiliser sa découverte au sujet du refoulement. On
conçoit bien dès lors qu’il put se sentir redevable de beaucoup de choses à J.
Breuer, surtout lorsqu’il ne tient pas compte du refoulement dont le passage
sous silence implique peut-être la peur d’affirmer une phénomène fort
dérangeant pour l’ordre social.
Je voudrais ajouter
quelque chose au sujet de la contribution de J. Breuer. Elle dépasse le cadre
de la psychanalyse. C’est la mise en évidence d’un état hypnoïde qu’il n’a pas
du tout théorisé mais dont il a senti la prégnance. Cet état hypnoïde est
induit par le traumatisme qui engendre en même temps un état hystéroïde
affectant les organes. Tous deux ont tendance à se manifester en fonction de
l’élasticité de l’être en sa totalité; ce qui fonde les rejouements, la
compulsion de répétition de S. Freud qu’il expliquait d’ailleurs en fonction
d’une certaine élasticité.
Ceci dit il est possible
de revenir au texte cité. Il apparaît bien que la psychanalyse en tant que
technique thérapeutique ne permet pas de guérison. La sublimation dont il
s’agit apparaît comme une compensation selon la théorie d’A. Adler, comme une
réparation qui permet de survivre au sein de la sousvie. D’autre part les fictions
en quoi sont transformées les histoires de malades, sont nécessaires à
rassurer, à sécuriser le thérapeute lui-même. C’est un puissant moyen de se
confirmer. Ici encore nous rencontrons la théorie adlérienne. En disant cela je
ne veux en aucun cas dire que celle-ci soit plus valable que la théorie
freudienne. Je veux simplement signifier qu’elles sont des représentation d’une
même réalité.
Avant d’aborder l’oeuvre
d’A. Adler, je signalerai également que d’autres patientes de S. Freud ont
opéré un certain apport à la structuration de la psychanalyse. Je rappellerai
celui d’Emma Eckstein[9]
que j’ai amplement affronté. Mais on peut en dire autant de plusieurs de ses
patients. Ceux-ci ont permis à S. Freud de révéler à lui-même différents
éléments de ce qui le constituait et, par là, à assurer l’élaboration de sa
théorie dont le fondement est le refoulement. On peut ajouter qu’il rencontra
un certain type de malades différents de ceux que rencontrèrent A. Adler e C.
G. Jung. Chacun des trois opérant à l’aide de schémas comportementaux
différents, se mirent à l’écoute de malades qui se caractérisaient par des
schémas comportementaux complémentaires favorisant ce que S. Freud appela le
transfert et le contre-transfert (à la suite de S. Ferenczi). Par là ils nous
révèlent amplement leur ontose tant il est vrai qu’on ne parle pas seulement de
ce qu’on vit, mais de qui nous vit.
Une
dernière remarque pour conclure. Il est certain que S. Freud a raison de dire
que la psychanalyse est sa création. Mais il n’opéra pas seul et, d’autre part,
d’autres hommes, d’autres femmes, vivant un même phénomène affectant l’espèce
en une zone géosociale donnée, tendaient à devenir conscients de celui-ci. Un
premier moment de cette conscientisation qui se poursuit de nos jours est celui
de la fondation de la psychanalyse.
D’autres
théoriciens ont abordé ce même phénomène et ont produit des théories qui sont
en divergence avec cette dernière, et témoignent de son importance.
Alfred Adler (1870-1937)
C’est
absolument le cas d’Alfred Adler. Il a fait partie du mouvement psychanalytique
mais sa psychologie individuelle comparée ne peut pas être considérée comme
faisant partie du corpus de la psychanalyse[10].
Toutefois, étant donné la participation dont nous avons parlé et du fait qu’il
s’est constamment situé par rapport à S. Freud, on peut dire qu’il opère un
apport, même si c’est dans la négativité par rapport à ce dernier. Ceci
apparaît nettement en ce qui concerne le fondement essentiel de la théorie
freudienne: le refoulement.
La
théorie psychologique d’A. Adler est manifestement déterminée par le vécu de
son créateur. En effet celle-ci comprend trois «piliers»: le sentiment
d’infériorité, la tendance à la compensation et le sentiment social. Or, il
naquit avec une infériorité organique. E. Roudinesco et M. Plon indiquent qu’il
«était maladif, souffreteux, rachitique et sujet à des crises d’étouffement»[11].
Mais il n’est pas question simplement d’un phénomène organique qui fonde un
phénomène psychique, il s’agit aussi d’un phénomène relationnel. Les deux
auteurs précédemment cités poursuivent ainsi: «En outre, il était jaloux de son
frère aîné qui s’appelait Sigmund, et avec lequel il eut une relation de
rivalité permanente comme plus tard avec Freud»[12].
De son
côté, H. Schaffer nous indique: «du fait de son rachitisme, il se trouvait en
position d’infériorité par rapport à son frère aîné, beaucoup plus habile et
libre de ses mouvements. L’infériorité organique devint une notion de base de
la doctrine adlérienne»[13].
H. Schaffer nous donne d’autres informations qui mettent en évidence une autre
similitude entre les deux hommes. «À la naissance d’un troisième enfant, Adler
se sentit trahi, en voulut à sa mère et se rapprocha de son père.
Ce frère ne survécut d’ailleurs pas et Adler assista, à trois ans, à l’agonie
et à la mort de ce jeune frère»[14].
S. Freud eut un petit frère, Julius, qui mourut à huit mois, dont il souhaita
la mort. Nous reviendrons sur l’importance de ce frère; pour le moment
reportons la suite, même page, de ce qu’écrit H. Schaffer qui nous fournit des
renseignements complémentaires. «Son choix professionnel a été certainement
influencé par cet événement: en devenant médecin, il voulut triompher de la maladie
et de la mort et surmonter la crainte qu’elle inspire».
Pour A.
Adler, les causes de ses troubles psychiques sont évidentes de même qu’est
évidente sa réalité qui est déterminée par son sentiment d’infériorité. En
conséquence, il n’y a pas chez lui cette recherche inquiète de soi-même.
Retournons au texte de H. Schaffer pour nous éclairer. «Adler était un enfant
chétif, souffrant de rachitisme et d’accès de spasmes de la glotte. Ces accès
sont généralement provoqués par des crises de larmes pendant lesquelles la
glotte obstrue l’arrivée d’air et déclenche une gène respiratoire très pénible.
Une fois le spasme passé, l’enfant se sent soulagé et continue ses pleurs. Très
jeune, Adler s’interrogea sur la possibilité de supprimer ces attaques. Ayant
compris qu’elles étaient la conséquence des pleurs, il décida de renoncer aux
larmes. En effet la suppression des pleurs a, par la même occasion, entraîné la
cessation de ces pénibles accès»[15].
Nous
sommes tout d’abord étonnés de constater qu’il raisonne en termes de causalité
qu’il rejettera plus tard. «Il n’est plus possible de prendre au sérieux les
attaques contre la psychologie individuelle, qui nie la causalité de
l’événement psychique»[16].
Cependant il ne va pas jusqu’à essayer de trouver qu’est-ce qui cause cet
écoulement de larmes. Il reste donc dans un immédiat. La préoccupation de la
causalité ne s’impose pas comme chez S. Freud cherchant la scène originelle
fondatrice. Ce faisant il ne s’en prend à personne, et surtout pas aux parents.
Il manifeste une tendance à prendre l’état où il fut placé comme une donnée et,
à partir de là, il fit avec. Nous verrons comment. Pour le moment disons
seulement, et ce sera à démontrer, que sa théorie est une compensation qui tend
à annihiler son inquiétude. De là une dimension plus superficielle; ce qui
n’empêche pas que son apport revête une grande importance. Toutefois la notion
de causalité nécessite encore une remarque à son sujet. Il n’y a de cause que
s’il y a discontinuité. En revanche dans tous les domaines où règne la
continuité elle est absente. Vouloir, à partir de cette constatation, la nier
dans tous les cas, c’est confondre deux mondes. À partir de là on comprend que
remettre en cause, c’est opérer de telle sorte qu’une cause s’impose, donc que
s’effectue une cassure, rupture, discontinuité, un accident dans la continuité.
La théorisation d’A. Adler peut être envisagée comme étant l’expression
inconsciente de la compensation; visant à cicatriser la déchirure qu’il subit
du fait de la non acceptation par sa mère. C’est une fiction qui fonde une
illusion: guérir d’une inquiétude grâce à une représentation.
Voyons
de plus prés les piliers précédemment indiqués et, tout d’abord, le sentiment
d’infériorité.
«Là il devient clair qu’être un homme signifie posséder un
sentiment d’infériorité qui exige constamment sa compensation»[17].
«J’ai depuis longtemps
insisté sur le fait qu’être homme c’est se sentir inférieur»[18].
Ainsi, être c’est se
sentir; ce qui fait songer qu’au départ il y a un pâtir, une certaine
passivité, thème qui nous avons rencontré chez Ludwig Feuerbach et Karl Marx.
Le lien entre A. Adler et ces deux derniers pourrait s’exprimer dans cette
affirmation: être c’est se sentir souffrir à cause du sentiment d’infériorité.
Ce dernier ne peut pas être considéré comme un sentiment purement intérieur.
Dans ce cas se serait seulement se sentir soi, ce qui fut fait par d’autres, et
a conduit à poser la conscience, phénomène hypostasié. Non, ce sentiment est
déterminé par une relation à l’environnement. On ne peut pas être inférieur en
soi. On est inférieur par rapport à d’autres êtres. À ce propos il convient de
rappeler que l’intitulé exact de la théorie adlérienne est: psychologie
individuelle comparée. Ce dernier mot est essentiel car tout le devenir
psychique chez A. Adler est vu au travers d’une dynamique de comparaison.
À ce propos, revenons aux
quelques données biographiques que nous avons précédemment indiquées. Elles
nous permettent de dire qu’il s’est constamment comparé à son frère aîné,
substitut du père, voire de la mère, et à son cadet. Il a pu ainsi constater
qu’il pouvait dépasser le premier et éviter le sort du second: succomber à
l’infériorité. Je relève que H. Schaffer en bon disciple d’A. Adler indique:
«il voulut triompher de la maladie et de la mort et surtout la crainte qu’elle
inspire». Comment peut-on triompher de la mort? Ce n’est pas à cet âge là que
se fonde le schéma comportemental d’A. Adler, qu’il désigne, lui, style de vie;
mais c’est celui où il est pleinement confirmé, structuré. La mort de son jeune
frère l’a confirmé dans son comportement.
«Nous savons que le
deuxième enfant est toujours comme en compétition et qu’il s’efforce
constamment à dépasser le premier»[19].
«[…] si parmi deux frères
le cadet arrive à suivre l’aîné et qu’il ne perde pas l’espoir de l’égaler un
jour, le développement se fait sans heurt et le cadet aura des particularités
qui le caractériseront. Il sera toujours sous pression[20],
il aura un dynamisme très ardent, il courra. Si cette action lui réussit au
point de maintenir toujours son espoir ou son courage, son développement est
assuré. S’il n’y parvient pas, s’il perd l’espoir, il devient un “enfant
difficile”. Il nous faut retenir cela. Le cadet présente ce trait de caractère;
il avance comme dans une compétition»[21].
«La disposition du cadet
est comparable à l’envie dans les classes non possédantes, à l’impression
dominante qu’on éprouve à se sentir humilié»[22].
Nous verrons tout le long
de cet article à quel point la comparaison est essentielle chez A. Adler. Or,
comparer permet de s’escamoter; c’est refouler. Le regard se porte sur
l’environnement, sur les autres et, bien que l’être comparant soit pris en
compte, il n’est plus l’élément essentiel. Ce qui compte c’est la relation, la
valeur qui peut apparaître comme une valence, par exemple, entre ce dernier et
un autre. D’où l’importance de l’infériorité et de la supériorité. L’être-là de
celui qui opère est réduit à un support, de valeur, de valence, d’infériorité,
de supériorité. Cela permet de ne pas approcher la souffrance qui l’habite.
Ceci est le contenu déterminant de la psychologie adlérienne. Mais comparer
c’est aussi mettre en rapport ce qui a été séparé afin de rétablir une
continuité. Cette dimension de la comparaison opère surtout de façon
inconsciente. On la retrouve dans la pensée en tant que moyen de combler le
hiatus produit dans la continuité à cause du traumatisme initial, d’où la
fascination qu’elle exerce.
Le sentiment
d’infériorité a plusieurs composantes, différentes sources ou, si l’on veut,
plusieurs dimensions. Tout d’abord une dimension naturelle et spéciogénique, en
rapport à une comparaison interspécifique.
«Il apparaîtrait [Homo sapiens, NdA] incomparablement plus menacé que toute autre espèce vivante.»
A. Adler indique ensuite en quoi il est plus faible que d’autres animaux et
conclue: «Il lui faut dépenser énormément rien que pour assurer son droit à
l’existence et éviter d’aller à sa perte. Sa nourriture est spécifique, et son
genre de vie requiert une protection intensive»[23].
«Qui pourrait
sérieusement douter que l’individu, si disgracié par la nature, a été pourvu
providentiellement d’un puissant sentiment d’infériorité qui le pousse vers une
situation plus haute vers la sécurité et la conquête»[24].
S’il y a individu, c’est
qu’il y a eu séparation d’avec et au sein de la communauté et l’on peut penser,
en fonction même de ce qu’écrit A. Adler, que la séparation induit le phénomène
de compensation. Vient ensuite une dimension sociale, où la comparaison est
infraspécifique. L’enfant se compare aux adultes, à d’autres enfants.
«Ce sentiment est
toujours le produit d’une comparaison que le patient établit entre lui et
d’autres personnes: le père, qui est le membre le plus fort de la famille,
parfois la mère, ses frères et soeurs, et éventuellement tous ceux qu’il
rencontre sur son chemin»[25].
«Chaque enfant, à
proprement parler, est exposé à ce danger, parce que tous les enfants se
trouvent dans des situations du même genre. Puisque placé au milieu des
adultes, tout enfant est induit à se considérer petit et faible, à s’estimer
insuffisant, inférieur»[26].
La dimension ontogénique,
individuelle apparaît plus dans son inhérence, sans le moyen terme de la
comparaison. «Si l’on considère au milieu de quelles difficultés les enfants
viennent au monde…»[27].
Mais il semble bien que
ce soit la dépendance de l’enfant qui à chaque génération, permet le
renouvellement de ce sentiment d’infériorité.
Avec la dimension
comportementale, la comparaison se réimpose. Elle apparaît comme la composante
essentielle au sein du comportement de l’homme, de la femme. «En comparaison
constante avec la perfection idéale irréalisable, l’individu est constamment
rempli d’un sentiment d’infériorité et stimulé par lui»[28].
Ici la comparaison opère par rapport à une donnée fictive, virtuelle.
En conséquence on conçoit
fort bien que le sentiment d’infériorité soit fondateur. «C’est le sentiment
d’infériorité, d’insécurité, d’insuffisance, qui fait qu’on se pose un but dans
la vie et qui aide à lui donner sa conformation»[29].
Mais également source de
supplice: «Il existe dans la vie organique une analogie au mécanisme psychique
de la tendance à la compréhension en vertu de quoi l’organe psychique répond
toujours au sentiment d’infériorité par l’impulsion à en finir avec ce
véritable supplice»[30].
Ce sentiment est
également en relation avec «l’incertitude de la vie» et le «chaos des
impressions»[31].
L’individu le perçoit
mais est inconscient de son origine: «Ignorant la véritable raison de son
infériorité…»[32].
Toutefois il est intéressant de noter qu’A. Adler préfère parler d’ignorance.
Ainsi se sentir inférieur
c’est saisir sa naturalité. À partir de là peut advenir l’affirmation que
l’homme ne se réalise en tant que tel que s’il échappe à cette naturalité grâce
à la culture[33]. Ce que
nous expose A. Adler n’est donc pas ce qu’est l’homme, la femme, dans sa
naturalité mais dans sa dimension ontosique, déterminée par la répression
parentale et sociale. Répétons-le, en un discours différent, A. Adler affirme
la même chose que L. Feuerbach ou K. Marx: au moment où l’être émerge, il est passif,
il subit. Nous avons vu qu’à partir de ce stade, se met en place, surtout chez
ce dernier, une dynamique active: la passion qui veut atteindre son objet. On
trouve la même dynamique chez A. Adler: «Et cette révolte redoutable et
imposée, contre le sentiment d’infériorité inhérent, qui s’éveille et se
renouvelle chez chaque nourrisson et chez chaque enfant, constitue le fait
fondamental de l’évolution humaine»[34].
«Mais cette infériorité qui lui est inhérente, dont il prend conscience en un sentiment de
limitation et d’insécurité, agit
comme un charme stimulant, pour
découvrir une voie où réaliser l’adaptation à cette vie, où prendre soin de se créer des situations
dans lesquelles apparaîtront égalisées les désavantages de la position humaine
dans la nature»[35].
Donc il y a une
infériorité de l’espèce humaine dont il semble qu’elle en ait un sentiment
inconscient, mais qui se dévoile en quelque sorte dans le sentiment de
limitation et d’insécurité. C’est à travers ces deux dernières que la
conscientisation de son infériorité opère. Enfin il y a un aspect quelque peu
magique du mode selon lequel le sentiment d’infériorité opère. A. Adler nous
parle d’un charme. Il en faut bien un car, en vertu de ce qu’il affirme, il
apparaît que vivre c’est se nier, puisque c’est nier l’infériorité qui nous est
inhérente. Là encore il expose ce qu’est la dynamique à laquelle est soumis
tout nouvel être: pour être accepté et être intégré, celui-ci doit se nier: se
nier pour survivre.
Le sentiment
d’infériorité induit chez l’individu un profond refus car cette dernière est
intolérable, inacceptable. Le phénomène semble être, au départ, inconscient
mais au fur et à mesure qu’il en devient conscient ce refus augmente ce qui
l’entraîne dans la lutte et dans l’affirmation d’une volonté de puissance.
Cette lutte implique un but, une finalité tous deux inconscients et donc un
devenir dans le futur, donc dans l’irréel, l’imaginaire, le fictif, le virtuel.
Le déploiement de l’ontose chez A. Adler s’opère à partir du futur. J’y reviendrai
car cela nécessité d’amples précisions.
«La lutte dynamique et
finaliste du psychisme est fondamentale dans le développement humain. L’enfant
est engagé depuis sa plus tendre enfance dans un combat continuel pour évoluer.
Celui-ci se déroule en fonction d’un but inconscient mais toujours présent –
idée de grandeur, de perfection, de supériorité»[36].
«La lutte ou l’activité
aspirant à un but, responsable de la formation des différentes personnalités,
présuppose un autre élément important. Il s’agit de la sensation ou du
sentiment d’infériorité»[37].
«La lutte pour le succès
lui [l’enfant, NdA] est déjà tracée
par la nature. Sa petitesse, sa faiblesse, son incapacité de satisfaire ses
propres besoins, les négligences plus ou moins grandes sont des stimulants
déterminants pour le développement de sa force. Sous la contrainte de son
existence imparfaite[38]
il crée des formes de vie nouvelles et parfois originales[39].
Ses jeux, toujours orientés vers un but futur, sont des signes de sa force
créatrice, qu’on ne peut nullement expliquer par des réflexes conditionnés. Il
bâtit constamment dans le néant de l’avenir, poussé par la nécessité de
vaincre. Envoûté par le “Tu dois” de la vie, avec toutes les exigences
inéluctables qui s’attachent à elle, par l’envie[40]
sans cesse croissante d’atteindre un objectif final, supérieur au sort
terrestre qui lui était assigné. Et ce but qui l’attire s’anime et prend des
couleurs dans l’entourage restreint où l’enfant lutte pour triompher»[41].
Arrêtons-nous sur cette
citation pour noter à quel point elle a une tonalité schopenhauerienne.
L’individu est agi. Sa volonté est en fait déterminée par le devoir être que
lui impose la vie qui apparaît ici comme une entité. Le devoir être est
l’expression implacable de l’ontose. L’homme, la femme, ne participe pas au
phénomène vie, la continuité ayant été rompue; il, elle, doit vivre pour
réaliser quelque chose qui est en dehors de lui, d’elle. Il y a également une
dimension nietzschéenne dans l’affirmation d’un refus de ce qui est et dans
celle concomitante de la volonté de puissance, dans la volonté de se dépasser.
Là encore c’est une affirmation de l’ontose. Les sages hindous, anciens et
récents, ont affirmé qu’il fallait cesser de refuser et accepter ce qui est.
Cela exprime un refus du devenir ontosique, mais c’est gros aussi d’une théorie
de l’acceptation de la réalité qui enferme l’individu dans le devenir
ontosique, puisque cette réalité résulte de l’activité des hommes et des femmes
ontosé(e)s. En fait il s’agit de s’ouvrir à la réalité afin de ressentir et de
comprendre et par là d’associer une émergence à un refus.
Ici, une précision
s’impose. Précédemment nous avons indiqué qu’A. Adler acceptait l’advenu et que
c’est pour cela qu’il n’a pas entrepris une recherche causale comme le fit S.
Freud. Le refus dont il s’agit ici participe de cet advenu qui n’est pas remis
en cause: il y a une infériorité qui induit un refus. Il n’y a pas une
investigation sur ce qui engendre cette infériorité et ce refus. La démarche
d’A. Adler est immédiatiste: son refus l’englue à l’immédiat et ne lui permet
pas d’accéder à ce qui fonde le désarroi de l’enfant, sa déréliction. Il y a un
refus nécessaire, c’est celui de la dynamique de répression en rapport avec la
séparation d’avec la nature. Mais ce refus n’est fondateur que s’il
s’accompagne de l’affirmation de l’émergence de l’être non ontosé, comme le
sera Homo Gemeinwesen. Résumons-nous
en disant, dans le cas précis considéré ici, le refus de l’immédiat nous
immédiatise et donc nous réduit. On doit toujours tenir compte de la totalité.
Les mêmes sages hindous
et d’autres d’ailleurs mettent en évidence et dénoncent le fait que les hommes,
les femmes, n’agissent pas mais réagissent et, en cela, ils ont parfaitement
raison. Or que nous expose A. Adler sinon un devenir réactionnel: l’individu
réagit à ce qu’il sent en définitive comme une négation de ce qu’il est, ou en
fonction de la négation de ce qu’il est et qu’il n’accepte pas[42].
Voyons une autre
détermination de la lutte. «C’est dans les privations temporaires et les
sensations de malaise des premières années d’enfance[43]
qu’il faut chercher le point de départ, la source d’un certain nombre de traits
de caractère, très généraux, qui font de l’enfant un agresseur»[44].
«[…] l’enfant se trouve
placé, dès les premières heures de sa vie extra-utérine, dans une attitude
hostile, combative à l’égard de son milieu. Il en résulte des tensions et des
exaltations des aptitudes organiques (c’est la guerre!) que j’ai décrites dans
mon travail sur La pulsion d’agression»[45].
Nous avons vu que S.
Freud a longtemps hésité avant d’admettre une pulsion d’agression et ses
réticences ont été accrues du fait de la théorisation adlérienne. Toutefois il
finira par l’admettre, ce qui put encore une fois induire A. Adler à penser que
ce dernier avait subi son influence. D’autre part la notion de lutte peut se
retrouver chez S. Freud sous la forme du conflit psychique.
Revenons à la dynamique
psychique que nous expose A. Adler. Comment agissent l’infériorité et son
charme? Par le phénomène de compensation.
«Sur la nature de la
prédisposition morbide créée par l’infériorité d’organes, tous les auteurs sont
d’accord. La seule différence qui existe entre ma manière de voir et celle des
autres consiste en ce que je considère comme une certitude le rétablissement de
l’équilibre à la faveur de la compensation»[46].
Dit autrement ce qui
assure l’adaptation c’est la compensation qui détermine la dynamique psychique
et fonde les diverses fonctions, telle la volonté. «La volonté ne représente pas autre chose qu’une tendance à passer d’un
sentiment de l’insuffisance à un sentiment de suffisance»[47].
Faisons une pause afin
d’essayer d’exposer comment se présente cette dynamique en laquelle nous
sentons qu’il manque un élément, il y a un non-dit, un escamotage. L’élément
occulté est la menace qui vient de l’extérieur. Devant cette menace l’individu
se rend compte de son infériorité; pour défendre son intégrité, il doit lutter.
Comme la menace n’est pas vue, l’individu se crée un but en vue duquel il va lutter
et dans la tentative de l’atteindre il va compenser. La compensation se
présente en même temps comme un ensemble d’éléments qui lui permettent
d’atteindre son but. Ce dernier selon A. Adler est en fait inaccessible[48].
Pourquoi ce mouvement incessant et épuisant selon son propre dire? Cela est dû
au fait que la menace n’ayant pas été vue, l’individu tend toujours à se
remettre dans des situations – phénomène perçu pas A. Adler, comme nous l’avons
noté – où il y a réactivation de la menace. Ceci nous éclaire également sur la
dynamique des existentialistes, particulièrement Jean-Paul Sartre. Lorsque ce
dernier insiste sur la situation, il note, avec juste raison, que pour qu’un
sentiment, qu’une émotion puissent s’affirmer il faut une situation dans l’ici et
maintenant et que celle-ci est en fait le support pour revivre un sentiment,
une émotion anciens.
Au sein de cette
dynamique que nous venons d’exposer il y a un moment très fort pour A. Adler,
c’est celui de la compensation. C’est le support de sa certitude d’être, et ce
qui la confirme. Là encore il n’est pas conscient de ce qui fonde en dernier
ressort sa compensation et à cause de qui il a dû compenser. Il n’est pas
parvenu à ressentir que la coupure de la continuité met l’être advenant au
monde, l’être originel non ontosé, dans la situation de compenser ce manque de
continuité qui l’oblige à se replier sur lui-même afin de trouver une conduite
qui le fasse accepter: il a compensé le manque de continuité.
Ainsi toute la dynamique
psychique adlérienne est déterminée par le futur qui opère comme une
compensation totale. On peut dire qu’A. Adler est l’homme de la compensation,
qui est constamment en train de se préparer en vue du futur et chez qui,
finalement, toute la vie individuelle peut apparaître comme une préparation à
la mort[49];
S. Freud est celui du refoulement. Il est dominé par le passé.
Avant d’analyser ce
phénomène de la compensation, indiquons le troisième pilier qui lui aussi est
déterminé par le sentiment d’infériorité: le sentiment social. «Nous nous
sommes appliqués à indiquer que, pour pouvoir émettre une conclusion sur la
personnalité d’un individu, il faut le juger et le comprendre dans sa
situation. Par situation nous entendons la position de l’homme dans l’ensemble
du monde et envers son proche entourage, sa position en face des questions
qu’il rencontre sans interruption, comme celles de l’activité, de
l’association, du rapport avec ses semblables. Sur cette voie, nous avons
établi que ce sont les impressions pénétrant en l’homme du fait de son
entourage qui influent sur l’attitude du nourrisson, et plus tard de l’enfant
et de l’adulte, de la manière la plus persistante à travers la vie. […] Ce qui
se développe dans l’âme de l’enfant sera toujours plus pénétré par les rapports
de la société avec lui; on voit se produire les premiers indices du sentiment
inné de communion humaine, on voit fleurir des mouvements de tendresse
organiquement conditionnés, qui vont si loin que l’enfant cherche l’approche
des adultes. On peut toujours observer que l’enfant dirige ses inclinations
tendres sur autrui, non pas sur lui-même comme le veut Freud. […] Le sentiment de solidarité, de communion est implanté de
nature dans l’âme enfantine, et il ne quitte l’individu que sous l’action des
plus graves déviations maladives de la vie de son âme. Il reste à travers toute
la vie, nuancé; il se restreint ou s’amplifie; dans les cas favorables il
dépasse le cercle des membres de la famille pour s’étendre à la tribu, au
peuple, à l’humanité entière. Il peut même franchir ces limites et se répandre
sur des animaux, des plantes et d’autres objets inanimés, finalement jusque sur
le cosmos universel»[50].
Revenons à la
compensation. Là A. Adler a vu juste: la compensation est un phénomène général.
On peut dire que toute l’activité humaine consiste en une compensation, en
précisant bien qu’il s’agit de l’espèce telle qu’elle est déterminée par
l’ontose. Parvenu à ce point de notre investigation nous pouvons mettre en
évidence la parenté avec la théorie freudienne. Le sentiment d’infériorité
désigne le même phénomène que l’Hilflosigkeit,
la déréliction. Surtout si l’on tient compte de la dynamique de sa
manifestation. C’est, en le disant en termes adlériens, à partir du sentiment
d’insécurité où l’enfant est placé, que celui-ci accède au sentiment
d’infériorité[51]. Dans
les deux cas il n’est pas perçu dans sa réalité, c’est-à-dire la séparation
d’avec la mère et plus précisément, intimement, la brisure de la continuité.
C’est elle en définitive qui place l’enfant dans la détresse, la désaide, la
dépendance, l’infériorité. La coupure instaure une instance supérieure et une
instance inférieure, et donc le possible de la comparaison. Selon S. Freud
c’est par la culture que l’homme, la femme, va compenser cette situation,
qu’il, qu’elle va essayer d’en émerger. Ceci est le cheminement qu’il a
emprunté et qu’il a proposé tout en soulignant que le phénomène compensateur,
consolateur le plus puissant est la religion.
C’est bien après sa
séparation d’avec A. Adler qu’il a développé le thème de la déréliction, de
telle sorte que ce dernier a pu se convaincre que c’est à cause de sa propre
oeuvre que S. Freud aurait atténué «son pansexualisme».
En fait on peut dire que
celui-ci était en accord avec celui-là sur le thème de l’infériorité[52],
il sentait qu’avec le «sentiment d’infériorité» quelque chose d’important était
appréhendé. Le mode de l’approcher sépara les deux hommes. D’une certaine façon
on peut dire qu’A. Adler est allé plus vite. Du fait de son infériorité
organique il a eu rapidement accès au phénomène. En revanche, S. Freud dû
rejouer plusieurs fois pour que celui-ci s’impose. Mais alors, peut-être, avec
une intensité plus forte, avec une perception plus aiguë etc. Autrement dit S.
Freud avait refoulé de façon plus intense et c’est à l’occasion de rejouements
que purent s’effectuer des remontées qui lui imposèrent l’évidence de sa
déréliction. Il opéra, en quelque sorte, en fonction de sa théorie. Or, je le
répète ce qui est essentiel dans celle-ci ce n’est pas l’inconscient mais le
refoulement. A. Adler tend en revanche à grandement réduire l’importance de ce
dernier, si ce n’est à l’escamoter. Ce faisant il était amené à rejeter la
théorie de la sexualité de S. Freud essentielle pour ce dernier puisque ce qui
est fondamentalement refoulé, selon lui, c’est la pulsion sexuelle, et parce
que c’est grâce à elle qu’il avait pu escamoter le traumatisme originel, et se
fonder dans la compensation. Dès lors on comprend le conflit entre les deux
hommes qui opéra de façon vive à partir de 1910 et se conclura par la
séparation de 1911. S. Freud rejoua la négation de ce qu’il est, et la
déréliction sous forme de déshérence, la perte d’un successeur, d’un héritier[53].
Cela réactiva son sentiment d’isolement, de solitude et d’être incompris. A. Adler
atteint quarante ans en 1910; il traverse la crise de la quarantaine[54]
qui consiste en une remise en cause de l’adaptation, de la compensation; c’est
le moment où la solution ontosique manifeste ses insuffisances. En conséquence
il rejoue le conflit qu’il eut avec son frère aîné qui, curieusement,
s’appelait Sigmund. S. Freud lui
apparaît comme celui qui l’empêche de se réaliser, d’atteindre sa perfection et
qui, donc, réactive puissamment son sentiment d’infériorité. De son côté ce
dernier rejoua sa relation à son jeune frère Julius mort à huit mois, à l’égard
duquel il nourrit de «méchants souhaits», une profonde jalousie. La séparation
entre les deux hommes équivalant à la mort. Ajoutons qu’on sait qu’il reporta
sa jalousie et peut-être ses «mauvais souhaits» sur sa soeur Anna. Adulte il
rejoua donc avec A. Adler, ensuite avec C. G. Jung et, de façon plus intense,
même si cela apparaît plus masqué, avec S. Ferenczi[55].
Dans les deux cas l’essentialité de ce qui s’est passé est déterminé par le
rapport à la mère qui, originellement, a été mal vécu. S. Freud, le préféré de
sa mère, ne fut pas perçu en tant que lui-même (fondant son sentiment d’être
incompris), mais il fut le support de l’identification et d’un transfert. A.
Adler fut repoussé par sa mère qui lui préféra son frère aîné. Mais ce refus ne
fut que l’expression active de celui antérieur opéré lors de la rupture de
continuité, induite par la répression parentale qui fait que les enfants ne
peuvent pas être acceptés dans leur naturalité.
Pour A. Adler le rapport
à la mère dans sa nocivité s’impose à l’évidence du fait du refus exprimé par
celle-ci, mais cela l’empêche d’accéder au phénomène déterminant qui lui reste
caché. En revanche, répétons-le, du fait qu’il fut le préféré de sa mère, S. Freud
dut faire une analyse durant une grande partie de sa vie pour essayer de se
présentifier ce qui à l’origine l’a profondément perturbé et mis en
déréliction. Nous avons vu qu’il ne put en fait atteindre la scène et qu’il
escamota le réel, sa déchirure.
La différence de vécu
entre les deux hommes permet également d’expliquer la diversité d’approche. A.
Adler accorde plus d’importance au phénomène conscient. Le sentiment
d’infériorité lui-même apparaît souvent comme étant conscient, plus
précisément, il peut facilement devenir tel; en conséquence la compensation
s’impose dans la même modalité de manifestation. Il accorde peu d’importance au
refoulement. «Nous espérons cependant pouvoir montrer que la perversion, pour
autant qu’elle se manifeste dans la psychose et dans la névrose, est le produit
non d’une pulsion innée, mais d’un but
fictif final, et que le refoulement n’est qu’un résultat secondaire qui se
manifeste sous la pression du sentiment de personnalité»[56].
Il cherche à montrer qu’il opère peu. «Il n’est pas possible de parler ici d’un
inconscient refoulé, mais plutôt de quelque chose d’incompris, de soustrait à
la compréhension»[57]. Ce
faisant il manifeste une certaine incompréhension: l’inconscient n’est pas
refoulé; il résulte d’un phénomène de refoulement. C’est justement ce qui tend
à être conscient qui, en étant refoulé, devient inconscient. Mais qu’est-ce qui
empêche de comprendre? Des inhibitions, des défenses qui font obstacle à
l’accès au refoulé, donc à ce qui est inconscient. En conséquence l’incompréhension
qu’A. Adler manifeste vis-à-vis du refoulement signale ses résistances à
accepter qu’il a dû refouler, alors qu’en fonction de sa dynamique de vie, de
son style de vie, il se pose dans un devenir de compréhension où ce qui est
inconscient est en fait ce qui n’est pas compris. Ce n’est pas pour rien qu’il
s’est posé en éducateur et a accordé tant d’importance à l’éducation et à
l’école. En outre le fait qu’il est apte à compenser lui masque le fait qu’il a
refoulé.
En revanche S. Freud insiste
fortement sur la dimension inconsciente de tous les processus psychiques. Ce
qui découle de sa mise en évidence fondamentale du refoulement. C’est pourquoi,
aussi, il ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur l’éducation, bien qu’il
ait pensé que l’utilisation de la psychanalyse pourrait améliorer quelque
chose.
Revenons à nouveau sur le
phénomène de compensation. Il apparaît comme une adaptation. L’homme étant
inférieur doit s’adapter aux difficultés rencontrées dans la réalisation du
procès de vie. Or: «La loi fondamentale
de la vie est donc le triomphe sur les difficultés»[58]. En conséquence pour triompher de son
état d’infériorité l’homme doit constamment se perfectionner. «Dans le courant
de l’évolution, il ne peut y avoir d’arrêt: la recherche de la perfection nous
entraîne»[59]. Or, en
tant qu’adaptation, la compensation peut être un phénomène conscient. Et dans
ce cas la vie apparaît comme étant sous-tendue par un devoir être, par la
volonté selon A. Schopenhauer[60],
ce qui est une parfaite expression de la perte d’immédiateté en même temps que
le refus constant de celle qui s’offre à l’individu au cours de son procès de
vie. C’est la dynamique de l’ontose. L’homme, la femme est emporté(e) par un
phénomène donné; il, elle, n’est pas présent(e) à l’immédiateté parce qu’il,
elle, doit constamment aller au-delà. C’est ce qu’à sa façon F. Nietzsche a
exprimé: l’homme doit constamment se dépasser et, j’ajouterait, parce qu’il est
inachevé.
Dans la mesure où elle
opère pour apaiser une souffrance, donc quand elle a une dimension
consolatrice, la compensation s’effectue en grande partie de façon inconsciente
que ce soit le sujet qui en soit le réalisateur, enfant ou adulte, ou que ce
soit le parent. Dans ce dernier cas, elle consiste en un détournement. Une compensation
est proposée afin que l’enfant se détourne en fait de ce qui originellement lui
cause sa souffrance; cause non connue que ce soit de la part du parent ou de la
part de l’enfant. Le premier est conduit à agir ainsi afin d’éviter une
remontée: l’affirmation de sa propre souffrance originelle. Or le détournement
est une sorte de séduction, Verführung. Nous comprenons ce que la compensation
pouvait évoquer chez S. Freud. En outre celle-ci est une modalité de
réalisation du refoulement et son recouvrement.
Dans sa dimension
adaptative, nous pouvons dire que la compensation traduit l’inachèvement où
l’homme, la femme se trouve du fait de la répression de sa naturalité et elle
signale une activité tendant à mettre fin à cet inachèvement. Il y a ontose parce
que nous sommes inachevés non du fait de processus naturels, mais du fait d’une
donnée culturelle: la répression parentale découlant de la séparation d’avec le
reste de la nature. La compulsion à rejouer traduit la volonté inconsciente de
mettre fin à l’inachèvement. C’est le procès du parfait que l’on essaye
d’effectuer, le procès de nous achever et, par là, d’atteindre notre
immédiateté naturelle. Citons à nouveau A. Adler: «Le but de l’âme humaine est
le triomphe, la perfection, la sécurité, la supériorité»[61]. Nous constatons qu’à la perfection est
liée la notion de triomphe qu’on peut à la rigueur considérer comme le
sentiment qui s’impose au moment où l’on tend à atteindre son être, ce qui
amène la sécurité. Toutefois ce sont des sentiments fortement teintés par
l’ontose. En revanche la supériorité demeure totalement dans la dynamique
ontosique qui est également évidente dans le fait qu’A. Adler nous énonce des
abstractions. Celles-ci ne peuvent se comprendre que si elles sont placées en
des situations d’où elles ont été effectivement abstraites. La perfection ne
peut être que l’achèvement de son procès de vie, ce qui permet de confirmer son
intégralité, son intégrité qui à son tour assure l’être dans le procès de vie
avec l’ensemble de ses semblables.
Inachèvement et
perfection sont indissolublement liés.
S. Freud ainsi qu’A.
Adler se plaisaient à citer J. W. Goethe en qui chacun des deux se retrouvait.
Or ce dernier écrivit que l’éternel féminin nous tire vers l’avant. Cela nous
conduit à émettre l’hypothèse suivante: la volonté de perfection d’A. Adler
peut se concevoir comme étant celle de retrouver sa mère pour être enfin
reconnu et, par là, accomplir son achèvement[62].
Pour bien saisir ce
qu’est la compensation et comment elle fonctionne, il ne faut pas perdre de vue
que le fondement de la psychologie adlérienne est la comparaison. «[…] l’enfant
cherche à acquérir un point de vue d’où il puisse se rendre compte des
distances qui le séparent des principaux problèmes de la vie. […] Le but
consistant à être grand, fort, à être un homme, est symbolisé dans la personne
du père, de la mère, du maître, du cocher, du conducteur de locomotive, etc.»[63].
Avant de voir comment
l’enfant va opérer, je ferai remarquer à quel point A. Adler entérine la
séparation. Si l’enfant prend sa mère ou son père comme support du symbole de
ce qu’il veut devenir cela implique qu’il ne vit pas en continuité avec eux. Il
ne vit pas dans la réalité mais dans la fiction. Il est en même temps dans
l’inquiétude dont le fondement est lié à la comparaison: va-t-il atteindre ce
qui est symbolisé, le modèle etc. En outre on constate que dans une certaine
mesure c’est l’enfant lui-même qui crée son sentiment d’infériorité en se
rendant «compte de distances». Mais qui a mis des distances? Enfin notons sa
solitude.
Ceci posé, en revenant au
discours d’A. Adler, nous pouvons dire que l’enfant va opérer en recourant à la
fiction, terme largement employé par ce dernier et, je pourrais ajouter, à la
simulation, à la virtualité. Or l’essence de la fiction est le comme si. Dans son livre Le tempérament nerveux il indique qu’il
a «pris connaissance du livre génial de Vaihinger Die Philosophie des Als ob 1911 dans lequel l’auteur montre la
valeur que représentent par[64]
la pensée scientifique les formations intellectuelles que l’étude des névroses
m’avait depuis longtemps rendues familières»[65].
Le comme si a une importance considérable pour A. Adler parce qu’il
opère non seulement chez l’être normal mais aussi chez le névrosé, mais dans ce
cas pour ainsi dire de façon négative du fait de la dissociation de la relation
qu’implique le comme si.
«Le sentiment de
sécurité, correspondant, respectivement, au sentiment d’infériorité et à
l’idéal de la personnalité, constitue comme ce dernier groupe antithétique, un
couple fictif, issu d’un jugement de valeur, une formation psychique, dont
Vaihinger dit qu’il résulte “d’une dissociation artificielle de la réalité;
alors que les deux termes réunis présentent un sens et une valeur, chacun
d’eux, lorsqu’on le considère isolement, ne peut que nous conduire à des
absurdités, à des contradictions et à de faux problème”»[66].
Tout d’abord je voudrais signaler quelque chose qui me gène: le sentiment n’est
pas un couple, c’est l’ensemble sécurité-insécurité qui en forme un. Mais ce
qui me semble essentiel c’est ceci. D’après ce que je comprends à partir de la
phrase de Vaihinger, la dissociation de la réalité se traduit par une
dissociation du comme si de telle sorte que les deux éléments
que cette locution reliaient sont posés autonomisés. Pour mieux percevoir le
phénomène donnons un exemple avec le symbole. Celui-ci est comme une
représentation du comme si qui, en
tant que tel, n’apparaît pas. S’il y a autonomisation du symbole cela signifie
à la fois l’autonomisation des éléments séparés du comme si, et c’est la perte de toute immédiateté, la coupure entre
la réalité et la fiction. Or une partie de la réalité peut être représentée par
une autre. Dans ce cas nous sommes plus exactement en présence de la métaphore
dont le fondement est l’analogie qui elle aussi relève du comme si[67],
qui se présente comme une analogie conditionnelle, une métaphore cachée, et
signifie que nous sommes conditionnés.
Notre but, avons-nous
dit, est de percevoir l’apport d’A. Adler, mais aussi son ontose. Aussi il me
semble important de voir le déploiement de la fonction du comme si. Pour cela il faut d’abord se représenter dans quelle
situation peut surgir cette locution qui traduit un comportement donné. C’est
une situation de non acceptation, au moment où il y a rupture de la continuité;
quand l’être advenant, du fait même de cette rupture, se replie sur lui-même et
doit trouver une modalité d’être qui lui permette de survivre. Il est clair que
la locution ne peut pas s’imposer alors. Ceci sera le résultat d’un long procès
au cours duquel l’être devenant enfant vivra diverses confirmations de ce
moment initial. Il faudra qu’il acquière le langage verbal et, ultérieurement,
en devenant adulte, un déploiement de la réflexion sera nécessaire pour mettre
à un moment donné cette locution sur le comportement qu’il adopta. Ceci s’est
opéré de façon paradigmatique chez A. Adler qui prit conscience du phénomène,
mais cela opère également chez tous[68].
Ajoutons qu’il fit le rapport entre le phénomène psychique – en liaison,
rappelons-le avec un comportement donné – et le phénomène théorique et là se
situe son apport indéniable.
Précisons. La coupure de
la continuité, réactivée par les diverses actions engendrées par la dynamique
répressive, domesticatrice, fonde deux bouts, deux termes, deux réalités, donc
la dualité. Cela engendre l’opposition et la comparaison. La seconde apparaît à
la fois comme entérinant l’opposition et le moyen de l’abolir. Cela apparaît
bien dans le comme si qui, en même
temps, signale qu’il y a une condition pour qu’il y ait rétablissement de
continuité, fin d’opposition, accès à un but etc. En effet il y a si. En conséquence tout être humain,
féminin, perverti du fait de l’ontose est un être conditionné. Cependant le si en question est un masque qui
oblitère la raison réelle de dépendance qui s’origine dans la rupture de
continuité.
Une fois ceci posé, nous
pouvons accepter la théorisation d’A. Adler car elle est valable pour l’être
ontosé qui en vertu de ce qu’affirme cet auteur apparaît comme un être obnubilé
par le but qu’il tend constamment à présentifier. «La caractérologie
individuelle émet ce principe: tous les
phénomènes de la vie psychique doivent être saisis comme préparant à l’esprit
un but présent»[69].
Il a écrit cela au début d’un chapitre intitulé La préparation à la vie. Le
libellé d’un tel titre donne à penser que la vie se situe, alors, dans un
futur. Quand commence-t-elle? Toutefois le côté magique disparaît en partie si on pose que la vie est la vie
sociale, celle qui est conditionnée par un type de société tel qu’il est
déterminé, en ce qui concerne l’Occident et pour la partie récente de son
histoire, par un moment du procès de développement du capital. L’être humain,
l’être féminin, à un moment donné doit entrer dans une situation sociale.
Toutefois cela escamote que d’entrée nous sommes jetés dans la vie sociale. L’imprécision qui gît dans ce titre, de
même que la personnification de la caractérologie relève de l’ontose. En tenant
compte de cela on peut se demander si, inconsciemment, A. Adler voulait dire
qu’on se prépare constamment pour retrouver la vraie vie, celle qui est vécue,
subie, apparaissant assez abjecte et plutôt comme une sousvie qui nous permet
de survivre[70].
Le névrosé lui, en tenant
compte de ce qui a été affirmé dans l’avant-dernière citation, apparaît comme
étant celui qui a perdu la faculté de présentifier le futur tout en s’en
distanciant; la faculté distanciatrice se manifestant dans le si; c’est-à-dire qu’il y a
identification présent-futur du fait de la dissociation au sein du comme si qui dès lors se transforme en
un c’est. L’expression populaire
«prendre ses désirs pour la réalité», dans sa littéralité escamote la dimension
du futur, mais elle recèle probablement l’idée que le désir est toujours de
l’ordre de ce dernier. En ce cas il y a accord avec A. Adler.
Dans la dynamique de la
fiction qu’expose ce dernier, les symboles, les signes acquièrent une grande
importance. La représentation en tant que fiction en a une également. Or toutes
les philosophies, en particulier, sont des représentations. En outre,
répétons-le, les philosophes ont souvent intuitionné ce que les psychologues
ont ensuite mis en évidence de façon plus ou moins claire. Cela révèle
d’ailleurs le fait que tout homme, toute femme utilise une activité quelle
qu’elle soit pour exprimer ce qui l’affecte profondément et dont il, elle,
n’est qu’en partie faiblement conscient(e). Ce qui opère en lui, en elle,
relève en partie d’un phénomène décrit par les psychanalystes sous le nom de «perlaboration»
(Durcharbeitung[71]).
Je dis en partie parce que dans ce dernier concept n’intervient que la
dynamique psychique de l’individu. Or, c’est la totalité de l’homme, de la
femme, qui est concernée. C’est elle qui est affectée; ce qui provoque une réaction
qui est décrite en terme de travail (perlaborer, durcharbeiten, connote, littéralement, l’idée d’être traversé par
un travail). Ce qui est vrai tant qu’on demeure sur le plan de l’ontose, mais
non quand on vise à décrire ce qui opère chez un être humain, féminin, naturel.
Il convient encore, avant
d’envisager quelques cas importants où le comme
si opère, de faire une longue citation qui permet de saisir l’importance
centrale de cette locution.
«Cette conviction [de
l’existence d’un point fixe, NdA],
proprement conditionnée par une défectuosité de la vie de l’âme humaine,
ressemble à beaucoup d’essais que font la science et la vie elle-même, par
exemple en partageant la terre par des méridiens, irréels mais fort appréciés
comme choses admises. Dans tous les cas de fictions psychiques, nous avons
affaire à des phénomènes du genre que voici: nous admettons un point fixe,
quoiqu’un examen plus précis nous convaincra nécessairement que ce point est
inexistant. Mais nous procédons ainsi uniquement pour obtenir une orientation dans le chaos de la vie,
pour pouvoir effectuer un calcul. Toutes les choses à commencer par
l’impression, sont pour nous transférées à un domaine calculable, où nous
pouvons agir. Tel est l’avantage que nous offre le fait d’admettre un but
ferme, quand nous considérons la vie d’une âme humaine.
Il se dégage dès lors de
ce cycle d’idées cultivées par la caractérologie individuelle une méthode heuristique: considérer et
comprendre d’abord la vie de l’âme humaine comme si elle procédait de pouvoirs
innés, sous l’action de la position d’un but, pour atteindre sa constitution
ultérieure. […] La faculté psychique de tendre à un but n’est donc pas la
simple forme de nos considérations; elle est un fait fondamental»[72].
Analysons. La fiction fondamentale,
produit d’une «sorte de véritable force créatrice» est celle d’un «but
supérieur» qui est placé dans le futur. A. Adler justifie cela en s’appuyant
sur la science et il donne l’exemple des méridiens. Ce qui n’est pas dit
clairement c’est que ceux-ci sont des repères. Donc ce que fait l’individu avec
la production d’un point fixe, c’est d’établir un repère central, référent
absolu qui lui permette de s’orienter dans la vie en tant qu’ensemble de
phénomènes sociaux. Il s’appuie également sur la vie et, dans ce cas, il semble
que ce soit le phénomène tel qu’il est manifesté par l’ensemble des êtres
vivants. Cependant il ne nous donne aucun exemple. Revenons donc au méridien.
Il est le résultat d’un procédé mathématique: la projection. Donc ce qu’omet de
dire A. Adler, c’est que le point fixe résulte d’une projection[73]
et qu’il est un point virtuel, par définition non tangible. Toutefois la
dimension projective s’impose quand il nous dit que: «Toutes choses […] sont
pour nous transférées dans un domaine calculable, où nous pouvons agir». Ceci
nous évoque la démarche de René Descartes. Dans Perspective[74]
j’ai affirmé que le Je pense donc je suis
représente l’irréductible, c’est-à-dire qu’il est une substance pensante, et le
dernier point dont il ne peut pas douter. C’est le point fixe dont parle A.
Adler mais que R. Descartes, lui, place dans un immédiat. C’est à partir de là
que le rapport entre les deux hommes opère. En effet dans les coordonnées
cartésiennes, le point fixe est le zéro qui est en quelque sorte double: zéro
pour les abscisses et zéro pour les ordonnées, représentant ce qui peut
apparaître en tant que dualité dans le Je
pense donc je suis qu’A. Adler aurait pu modifier: en Je compense donc je suis. Ce point fixe représente donc ce qui reste
à la suite du procès de négation qu’il a pu subir. Mais, à partir de là il peut
se représenter dans sa totalité en se coordonnant par rapport à deux axes, l’un
de la pensée et l’autre de l’existence[75].
Sur le plan mathématique, c’est à partir du zéro que tout peut être représenté
et que le calcul peut avoir son effectivité. Si l’on tient compte que
l’établissement de ces coordonnées est en rapport avec les projections
mathématiques, on peut bien affirmer en extrapolant quelque peu, que les
mathématiques, outre leur rôle au sein de la science, au sein de la
connaissance, ont une fonction sécurisante. Grâce à elles, il est possible de
se représenter – de confirmer notre existence – de calculer, d’intervenir. Dès
lors pour l’homme, pour la femme, le processus de vie apparaît dominé par le
calcul, lequel est en liaison avec le choix, comme c’est théorisé par divers
théoriciens de l’économie politique laquelle, d’ailleurs, se développa
réellement à partir de la fin du XVIIe siècle.
Encore une fois tout est support pour l’être humain, féminin, pour se dire.
Pour conclure cette
digression, je voudrais apporter une précision au sujet du point fixe de R.
Descartes. C’est en fait un point de remontée du refoulé. Pour expliciter cette
affirmation, je convie le lecteur à se reporter à la citation de F. Nietzsche
faite dans la note 67. En effet celui-ci expose sans la connaître ce qu’est la
remontée. En effet, les philosophes ont élaboré, construit une théorie de façon
rationnelle, logique etc., mais lorsqu’ils exposent ce à quoi ils sont
parvenus, d’autres données s’imposent à eux, à leur corps défendant, parce que
les objets théoriques auxquels ils ont eu recours sont le support de
préoccupations profondes qui permettent à des remontées d’émotions non
conscientisées de s’effectuer. En fait il décrivait ce qui se passait pour lui.
Ses écrits sont remplis de remontées qui lui ont permis durant quelques temps
de ne pas sombrer dans la folie.
Ce petit détour par
l’oeuvre de F. Nietzsche visait non seulement à noter sa puissance d’intuition
mais aussi à donner des éléments d’explication de l’influence qu’il exerça
particulièrement sur les psychologues parmi lesquels A. Adler. Nous poursuivons
l’analyse de sa citation en notant que le rapprochement que nous avons fait
avec R. Descartes va encore plus loin. A. Adler parle d’une méthode heuristique. Or, R. Descartes écrivit un Discours
de la méthode. Il ne put établir cette dernière qu’à partir du moment où il
découvrit le point fixe du Je pense donc
je suis. La méthode d’A. Adler a pour contenu le comme si parce que pour lui toute la vie psychique est dominée par
l’activité qui consiste à comparer.
Ce qui me semble
important c’est que la fixation découle du fait de la rupture de la continuité.
L’être advenant ne participe plus à la totalité. D’où le désarroi, la
déréliction, d’où la recherche de repères, d’un point fixe, d’un point
d’attache où transférer son point d’émergence lequel n’a pas été reconnu par
les parents. On comprend de ce fait à quel point, hommes et femmes sont
attachés à une fixité, à une identité; ce que beaucoup de sages hindouistes
dénoncent comme fallacieux, comme le fit aussi Gautama le Bouddha qui y voyait
la source de la souffrance. Si elle découle de la fixation, elle fixe à son
tour. En effet c’est la conséquence de la souffrance infligée par la rupture de
continuité qui engendre le désir de fixité, qui est le désir de ne pas se
perdre. Ce n’est qu’en participant à la totalité qu’on peut vivre le devenir,
le changement, sans le prendre comme support d’une perte[76].
Pour les groupements
humano-féminins, la fragmentation de la communauté que ce soit celle originelle
ou celle reconstituée à partir, comme aurait dit A. Adler, d’un point fixe,
donnée centrale, fut toujours un profond traumatisme. De là l’horreur et la
fascination qu’ont exercé l’argent, en tant qu’équivalent général au sein du
phénomène de la valeur, puis le capital. La fascination provient du fait qu’en
même temps qu’ils dissolvent, fragmentent tous les types de communautés, ils
apparaissent comme étant aptes à fonder une autre communauté. Mais pour que la
fascination l’emporte sur l’horreur il faut qu’ils deviennent le point fixe
pour les hommes et les femmes. Ce point devient plus exactement un point de
fixation puisque ce qui caractérise le capital, fondant la société-communauté
actuelle, c’est la mise en mouvement de tout, un constant devenir. Il en
résulte que la représentation adlérienne ne peut pas être valable pour les
hommes et les femmes actuels, et qu’il y a eu une grande évolution de l’ontose
depuis le début de ce siècle, sans compter que la fixation dont il parle est
mystificatrice. «Ce point idéal agit désormais comme si toute la force motrice
émanait de lui»[77].
Ce qui est important dans
la citation que nous analysons c’est d’y trouver exprimé le caractère
déterminant du futur. Or une fonction importante du comme si est de pouvoir mettre en rapport l’immédiat avec le futur.
Pour A. Adler la vie psychique a une finalité qui est en rapport avec la
recherche de la perfection qui, nous l’avons vu, ne peut pas s’atteindre. Ce
qui est normal étant donné que c’est un point fixe virtuel. Voici une autre
citation où ceci est affirmé: «En comparaison constante avec la perfection
idéale irréalisable, l’individu est constamment rempli d’un sentiment
d’infériorité et stimulé par lui»[78].
Ce qui signifie que la comparaison n’opère pas entre deux éléments de la
réalité, mais entre un moment de la réalité vécue par le sujet et un moment
virtuel. Dit autrement l’individu est condamné à rester inachevé[79],
en dépit d’une création ininterrompue afin de rendre tangible le point fixe
virtuel, comme est virtuelle la statue dans le marbre. Dans les deux cas la
virtualité résulte d’une projection. On pourrait dire que l’individu ontosé est
constamment en train de se sculpter, ce qui ne peut se faire sans souffrance.
Il y a encore quelque
chose d’essentiel toujours dans la même citation: l’exposé d’une hypothèse. En
effet le comme si a la dimension d’un
hypothèse, mais d’une hypothèse tacite, implicite, a fortiori non
conceptualisée et par là même non soumise à la vérification. L’hypothèse
explicite serait: la vie de l’âme humaine procède de pouvoirs innés etc.[80]
Prenons un autre cas. «Ainsi que le montre Karl Groos, dans Die Spiele der Tiere (Les jeux des
animaux), notre compréhension de l’âme de l’animal repose sur le fait que nous
voyons celui-ci agir, comme s’il
suivait une ligne d’orientation fictive»[81].
L’hypothèse explicite serait: l’animal suit une ligne d’orientation fictive. À
noter que dans les deux cas, et ce serait valable pour tous les autres, on
passe de l’utilisation de l’imparfait qui connote un doute[82]
à un présent qui expose une affirmation; mais une affirmation qui doit être
vérifiée. On vérifie une affirmation qui se fonde sur une certitude subjective
et non sur un doute. Cette dernière affirmation nécessiterait plusieurs
éclaircissements et précisions. On pourrait vérifier un doute qui dans ce cas
passerait du stade subjectif, c’est-à-dire valable pour une personne, au statut
objectif, valable pour tous. Il y aurait donc objectivation. Et c’est là que
des précisions s’avéreraient nécessaires. Objectiver serait faire passer à
l’état d’objet et ce serait mettre hors de soi, ce qui implique que dès lors
n’importe qui peut utiliser ce dernier. Mais dans quelle mesure une telle
dynamique n’est-elle pas l’expression de l’ontose?
Le comme si en tant qu’expression d’une hypothèse exprime
l’appréhension d’exposer sa propre certitude, la prudence à le faire.
Pour sortir du comme si où il y a quelque chose d’inachevé,
qui n’ose pas pleinement s’affirmer, qui se trouve seulement à l’état
inchoatif, l’expérimentation s’avère nécessaire; c’est l’épreuve pour lever
tout doute chez l’autre. La formulation d’une hypothèse a la dimension de la
projection donc, potentiellement, de la virtualisation, en conséquence
l’expérimentation se présente comme un retour au réel. Elle est un
rétrocontrôle. D’où l’importance de la science à partir du moment où
l’expérimentation s’impose et permet de prouver; d’où le malaise que crée une
représentation qui se pose comme science et où il n’est pas possible d’opérer
une réfutation du fait en particulier d’une impossibilité de réaliser une
expérimentation.
Expérimenter est une
activité en vue de vérifier, de confirmer ce qui implique aussi le possible de
s’affronter à une infirmation. Là peut se réaliser ce qui n’est pas advenu
enfant; d’où l’autonomisation du savant qui vit grâce à la compensation de ce
qu’il n’a pas connu, obtenu. Il reste toujours dans l’objectivité et ne peut
jamais s’atteindre. Étant donnée l’importance de la science pour A. Adler il
convient d’aller plus à fond dans l’investigation. David F. Noble dans La religion de la technologie. La divinité
de l’homme et l’esprit de l’invention[83],
soutient une thèse que je trouve fort juste même si elle n’explique pas tout:
les hommes ont développé la science et la technique afin de retrouver la
perfection perdue du fait du péché originel. La technologie, je préfère parler
de technique, serait selon lui à la fois une immense gnose qui permettrait de
réacquérir la connaissance originelle, et une pratique qui permettrait à
l’Homme de pouvoir faire comme Dieu. Quand David F. Noble parle de science, il
parle de science expérimentale, celle qui justement a besoin, pour se
développer, de progrès dans la technique et qui impulse ces derniers. Pour une
telle science, il faut fondamentalement un faire; un faire qui permet une
réalisation, un faire qui peut être l’équivalent de celui de dieu (je me place
dans la thématique de l’auteur). L’expérimentation est fondamentale; elle
remplace la contemplation, voire l’intuition, je dirai également la continuité
avec dieu. La médiation l’emporte du fait de la perte d’immédiateté. Mais grâce
au faire, l’Homme se relie à dieu, et même, va l’égaler, voire le dépasser. Le
développement de la science expérimentale, c’est-à-dire la science tout court,
a permis la sortie d’un blocage qui fut lié au recul du mouvement de la valeur
avec l’instauration du féodalisme. D’où le développement simultané de la science
et du capital. Selon D. F. Noble le projet scientifique est celui de retrouver
la perfection originelle, celle d’avant la chute[84].
Cela signifie qu’elle est recherche de l’être originel et qu’elle a une
dimension gnostique (elle inclue une gnose) et une dimension sotériologique[85].
Elle permit aussi d’essayer d’échapper au blocage imposé par la mère qui fonde
l’ontose. D. F. Noble a écrit un autre livre où l’origine de la science est
également exposée: Un monde sans femme.
La culture cléricale chrétienne de la science occidentale[86].
Je simplifie, pour ne pas trop allonger cette digression, en disant que selon
lui la volonté de se passer des femmes a conduit les moines, puis les savants,
qui ont repris leur projet, à un développement de la science. En réalité, inconsciemment,
ce n’est pas de la femme en sa totalité dont ils voulaient se débarrasser, mais
de la femme en tant que mère. Tout cela nous montre que la mise au point de la
science relève à la fois de l’ontose et d’un essai d’y échapper. D’où la fascination
qu’elle put exercer sur les hommes et les femmes, entre autres sur A. Adler qui
aurait pu montrer que la science opère une vaste compensation à l’infériorité
de l’Homme, que la pratique scientifique est ce qui lui permet de se dépasser,
de tendre à mettre un terme à son inachèvement. Toutefois on doit noter que
pour lui le développement scientifique ne vise pas à retrouver un état donné,
un état de perfection, mais à l’atteindre dans le futur. Nous avons déjà vu
l’importance considérable que ce dernier revêt au sein de l’oeuvre d’A. Adler
comme cela se révèle entre autre dans la citation que nous analysons et à
laquelle nous revenons.
La fiction devient
anticipation et opère une sorte de colonisation du futur en vue de se préserver
du passé, de conjurer afin d’éviter un rejouement. Nous avons là un phénomène
isomorphe à celui de la conquête de l’espace, à l’utopie.
Même au sein d’un
comportement révolutionnaire cette dynamique a pu opérer. A. Bordiga insista
souvent sur la nécessité de dévoiler la ligne de développement du futur, sur
celle de la prévision. Il disait qu’il fallait se comporter comme si la
révolution était un événement effectivement advenu. Or qu’impliquait une telle
injonction? Un effort théorique intense pour présentifier ce qu’est le communisme,
pour se distancier du monde capitaliste en place, couplé avec une vive
vigilance pour déceler les mécanismes d’accommodation qui font qu’on tend à
s’adapter à ce qu’on vit, afin de survivre. Dans ce cas, du fait de la
persistance de la phase contre-révolutionnaire le but devient celui de survivre
en acceptant de sousvivre.
La dynamique qui m’a
induit à poser la nécessité d’aller plus loin et de quitter le monde du
capital, m’a amené à chercher à aller au-delà d’une simulation à partir d’un
modèle, car une telle pratique est trop lestée, selon moi, par l’ontose. En
conséquence j’ai proposé le cheminement de libération-émergence.
Dès lors s’est imposé à
moi la nécessité de percevoir le comportement total de l’espèce: celui des
révolutionnaires comme des contre-révolutionnaires et des réformistes, ainsi
que de ceux qui se posent en dehors de la dynamique qui fondent ces divers
types, je veux parler des mystiques, des spiritualistes ou des occultistes. Mon
investigation concerne d’abord l’aire où le phénomène capital a tendu à
s’implanter, puis toutes les autres afin de mieux saisir ce qu’est
l’espèce Homo sapiens et le
surgissement de Homo Gemeinwesen.
J’ajoute qu’en ce qui concerne les réformistes, A. Adler nous en offre un bel
exemple que nous examinerons et qui nous permettra d’illustrer cette
affirmation: le réformiste utilise le futur pour tolérer le présent; le
révolutionnaire se projette dans le futur pour lui échapper, ou bien il
projette le futur dans le présent afin de le neutraliser.
Quelques précisions
s’imposent sur le comportement ontosique du révolutionnaire, afin de mieux
faire saisir ce qui précède. Je prendrai comme exemple celui d’A. Bordiga, qui
fut le mien durant de nombreuses années. On y trouve le point fixe dont parle
A. Adler. C’est le moment où il n’y eut pas de répression et où s’affirma une
sorte de symbiose de l’espèce avec la nature, le communisme primitif. À partir
de là s’élabore toute la fiction qui est la théorie marxiste. Mais il y a plus.
Le point fixe se retrouve reexposé dans l’invariance qui pose que l’espèce en
sa totalité tend à revenir au communisme primitif. La fiction est exaltée en
tant que programme. Enfin la nécessité de la prévision est liée d’une part à la
nécessité de présentifier le futur tel qu’il est défini en fonction du
programme, mais vise aussi à une sécurisation qui permet de résister durant les
périodes de reflux du mouvement révolutionnaire où triomphent le désarroi,
l’incertitude. La prévision est réaffirmation d’une certitude qui peut apparaître
comme une autre expression du point fixe. Dès lors elle est également le
support d’un désir que la réalité soit conforme à ce qu’on veut ainsi que d’un
optimisme, lequel dérive de l’utilisation de signes annonciateurs, signes qui
privilégient certains aspects de la réalité. Ce faisant se réimpose le
comportement de l’enfant sous terreur cherchant des signes lui permettant de
croire en la fin possible de ce qu’il subit. L’importance accordée à la
prévision conduit à exalter la théorie qui devient un outil de prévision, qui
permet de garder présente l’émancipation à venir. En fonction de l’invariance,
A. Bordiga fut amené à théoriser un plan de vie de l’espèce qu’on peut se
représenter comme un ensemble de connaissances de celle-ci lui permettant d’effectuer
son procès de vie au sein de la nature. En disant cela je force quelque peu sa
position qui pâtit d’un certain solipsisme, car il envisage souvent, tout au
moins dans les formulations explicites, un devenir privilégié de Homo sapiens et un oubli des autres
espèces, comme le fit K. Marx lorsqu’il écrivit par exemple: «L’être humain est
la véritable Gemeinwesen de l’homme». Cependant le fait de tenir compte des
autres espèces n’est pas obligatoirement la preuve qu’on a échappé au
solipsisme, comme le montre John Stuart Mill qui voulait étendre l’application
de sa morale «autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres
sentants de la création»[87].
Je dois ajouter que les termes d’espèce et d’être sont le résultat de procès de
réduction. En ce qui concerne l’être je mettrai en évidence comment il s’impose
avec le surgissement du mouvement de la valeur dans sa phase horizontale et en
quoi l’être est le support de l’ontose. En revanche, du fait même de
l’affirmation d’un plan de vie, d’un programme, A. Bordiga affirma que les
révolutionnaires ne font pas d’expérience. Or, nous l’avons vu celle-ci est
nécessaire pour lever une incertitude.
Les révolutionnaires
acceptent et exaltent la mise en mouvement en tant que sortie d’un blocage,
d’une fixation, afin de pouvoir atteindre le but désiré. Ainsi pour K. Marx la
révolution était le mouvement qui dissolvait l’ordre établi, le système de
répression en place. Étant donné la non-perception de ce qui fonde la
domestication de l’espèce: la sortie de la nature déterminant la répression
parentale, cette mise en mouvement favorisa le développement du capital.
Aujourd’hui la forme autonomisée de celui-ci intègre toutes les mises en
mouvement et réabsorbe toutes les fixations en tant que moments d’un procès qui
s’affirme comme éternel du fait même qu’il se présente en tant qu’immédiateté,
ce qui exprime son aséité[88].
Ce n’est qu’en retrouvant et en développant leur dimension d’individualité et
de Gemeinwesen que hommes et femmes peuvent en finir avec ce mouvement dans
l’errance et dans la virtualité.
Quand nous étudions
l’oeuvre de divers révolutionnaires, nous sommes en présence d’une affirmation
qui se révèle toujours insuffisante, d’une radicalité qui n’atteint pas le
fondement réel. Nous trouverions là une autre expression de la tendance à la
perfection telle que l’a exposée A. Adler, et nous ne pourrions jamais parvenir
à sortir de l’état de domestication où nous sommes. Nous reviendrons sur ce
thème mais, dès maintenant, nous pouvons prendre position. Nous sommes parvenus
au fondement en question, non seulement au travers du déploiement d’un vaste
procès cognitif, mais à travers un revécu intense des premiers moments de notre
vie – revécu personnel ainsi que celui d’un grand nombre d’hommes et de femmes –
là où tout, ontogéniquement, s’enracine, et où s’effectue un rejouement qui
réactualise ce qui est advenu originellement pour l’espèce. Ce fondement est
donc, simultanément, ontogénique et spéciogénique et, dit autrement, il exprime
bien les dimensions de l’individualité et de la Gemeinwesen.
Ces quelques
considérations nous imposent de faire une investigation sur les diverses
modalités selon lesquelles le phénomène ontosique se greffe sur des phénomènes
naturels, afin de percevoir notre naturalité et retrouver la continuité. Ce
faisant on essaie de déterminer à quel moment s’opère le détournement de la
naturalité. Cela a pour corollaire de ne pas s’affronter uniquement au
résultat, au devenu, sans tenter de percevoir le procès dans sa totalité. En
outre, il ne peut y avoir de greffe que s’il y a refoulement d’un vécu donné.
C’est ce qui contribue à donner un caractère magique au résultat obtenu.
Quelque chose, nécessaire à la compréhension de l’obtention de ce dernier, a
effectivement disparu. Il ne peut réapparaître qu’à la faveur de remontées qui,
elles aussi, ont une dimension magique.
Nous n’en avons pas fini
avec la phrase que nous voulons pleinement analyser. Elle contient, de même que
celle que nous avons citée pour fournir un second exemple, autre chose: la
projection d’une représentation. Dans le premier cas, A. Adler considère que la
vie «de l’âme humaine procède de pouvoirs innés, sous l’action de la position
d’un but, pour atteindre sa constitution ultérieure». C’est sa certitude
subjective. Il la projette au sein de tous les hommes, de toutes les femmes et
c’est le comme si qui assure le
transfert de cette certitude[89].
Dans le second cas, K. Groos se représente en tant que suivant une ligne
d’orientation fictive. Ce que A. Adler partage en totalité. «En beaucoup de cas
on réussira de la sorte à tracer effectivement la voie où chemina jusqu’alors
un sujet. C’est la courbe, la ligne
d’orientation sur laquelle la vie de l’individu depuis son enfance se
dessine schématiquement»[90].
Voyons d’autres cas où le
comme si opère. La fiction,
rappelons-le, est nécessaire parce qu’elle doit représenter le but futur. Pour
A. Adler ceci s’exprime bien dans le jeu. «Normalement, régulièrement, le jeu
prépare l’avenir»[91].
L’enfant opère comme si, et il le sait très bien. Cette dynamique peut fonder
la nécessité de se poser un modèle idéal, un idéal du moi par exemple, et à se
conduire alors comme si cet idéal était atteint. Nous rencontrons également la
dynamique de modélisation et de simulation qui revêt une très grande importance
à l’heure actuelle dans l’activité scientifique comme elle l’eut auparavant au
sein d’autres activités.
La fiction incluse dans
le jeu des enfants est bien utile aux parents, elle leur constitue un alibi.
Ils peuvent ne pas être présents puisque l’enfant opère comme s’ils l’étaient
directement ou à travers des substituts. Ils en usent fort bien car souvent,
lorsqu’une difficulté surgit, ils invitent l’enfant à aller jouer; ils le
confinent dans le jeu opérant comme compensation et détournement. C’est pour
cela aussi que c’est dans le jeu que l’enfant peut dire ce qui le tourmente en
utilisant les jouets comme supports. Toutefois, ceux-ci peuvent ne pas être
suffisants et il peut faire appel à des supports immatériels. On comprend dès
lors que le jeu ait été utilisé afin de psychanalyser les enfants, comme le fit
Melanie Klein à la suite de Hermine von Hug-Hellmuth. Il y a dans cette
pratique une dimension manipulatrice indéniable dont la nocivité est renforcée
du fait de la représentation théorique plaquée sur l’activité ludique de
l’enfant[92].
L’actualisation d’une
présence, d’un événement, opère avec le mythe: grâce au rite dont il est
inséparable, les hommes, les femmes, se comportent comme si ce qui s’est
produit dans le temps archaïque était effectivement réalisé. Le rite
apparaissant alors comme relevant d’une dynamique de modélisation et de
simulation.
Cette digression ne vise
pas à faire un amalgame pur et simple entre enfants et hommes et femmes
demeurés aux stades initiaux du devenir de séparation. Ce à quoi les
psychanalystes ajoutent certains types de névrosés. Elle s’est imposée à moi
parce qu’il apparaît évident que la fiction est une composante importante de
l’ontose et que cette dernière a une origine fort ancienne. Cela n’implique pas
d’affirmer que toute fiction relève de cette dernière, mais de percevoir
comment, sur un phénomène naturel, se greffe celui ontosique.
La dynamique du comme si, qui permet une actualisation,
est le contenu de la généralisation de la notion de jeu pour désigner diverses
activités. Le comédien opère comme s’il était effectivement le personnage qu’il
représente, qu’il joue. Je ne m’attarderai pas sur l’importance du théâtre
maintes fois déjà abordée, ainsi que celle du jeu d’ailleurs. J’indiquerai seulement
quelques exemples qui montrent à quel point nous opérons dans la fiction. On
peut jouer un rôle afin de se cacher comme pour se faire découvrir. Dans ce
dernier cas l’adulte se comporte comme le jeune enfant. Lorsque ce dernier joue
à cache-cache, ce qui lui importe ce n’est pas d’être bien caché mais c’est
d’être découvert. Si on ne le découvre pas vite, il signale sa présence. Le but
du jeu est d’être vu, accepté. Autre exemple: on peut refuser de jouer le jeu.
Enfin signalons l’importance considérable des jeux de rôle.
Apparentée à cette
dynamique, il y a celle de l’imitation. «Dans beaucoup de cas l’enfant nerveux
imite le principe viril, c’est-à-dire le père; l’imitation de la mère ne
survient que plus tard […] Le plus souvent l’imitation ne se manifeste que dans
les choses insignifiantes. […] on observe une imitation à rebours, en ce sens
que l’enfant contracte des habitudes et des traits de caractère nettement
opposés à ceux du modèle»[93].
Revenons plus précisément
à A. Adler. Il insiste sur l’importance de la fiction qui relève du comme si. Toute la littérature est
fiction et entre dans le domaine de la compensation. Il en est de même pour
l’art. Le comme si opère également en
science, et parfois à une échelle énorme comme on peut s’en rendre compte avec
le principe anthropique, qu’on peut exposer ainsi: tout s’est passé depuis le
Big Bang comme si tous les phénomènes avaient opéré de manière à rendre
possible l’émergence de Homo sapiens.
L’adaptation est un
comportement où le comme si opère:
l’enfant fait comme s’il était réellement conforme à l’être ardemment désiré
par la mère, ou le père. Il mime le désir des parents. La dynamique du
mimétisme est fort importante et l’on peut dire que s’adapter consiste souvent
à imiter, mimer un modèle.
Le comme si opère au sein de ce que S. Freud et O. Rank ont appelé le
roman familial du névrosé. L’enfant se comporte comme s’il était celui des
parents avec qui il vit, mais en fait ses vrais parents sont autres. A. Adler
n’a pas ignoré le phénomène. «Il arrive très souvent que celui qui rêve
s’imagine être l’enfant d’autres parents, ce qui se traduit presque avec
certitude le mécontentement vis-à-vis de ses propres parents»[94].
La maladie peut être
l’effectuation d’un comme si. «Le fait de souligner son infériorité
et de l’étaler avec ostentation joue un grand rôle dans la psychologie du
nerveux. Il est destiné à attirer l’attention sur la faiblesse, les
souffrances, l’incapacité, l’inutilité du malade qui, en vertu du mécanisme
dont il subit la contrainte, se comporte comme s’il était malade, doué d’une
nature féminine, dépourvu de valeur, négligé, diminué, en état de surexcitation
sexuelle, impuissant ou perverti»[95].
Dans ce cas la maladie est une symbole, une création de la personne. A. Adler
converge avec Georg W. Groddeck qui développa longuement ces thèmes[96].
La maladie opère en tant que signifiant. Par son intermédiaire l’individu
signifie: je veux qu’on me voie, plus précisément, je veux que tu me voies,
maman. La convergence s’affirme également dans le fait que la maladie apparaît
comme une création. «[…] la névrose est un acte créateur et non pas une
régression vers des formes infantiles ou ataviques»[97].
Il en est de même en ce qui concerne la sagesse du corps. «Il résulte de cette
conception que dans le processus physique nous avons affaire à un effort pour
maintenir le corps, suivant son activité, dans un état d’équilibre approximatif
pour pouvoir affronter victorieusement les exigences du monde environnant, ses
avantages et ses inconvénients. Si on considère un côté seulement de ce
processus (d’une façon unilatérale) on arrive à la conception d’une “sagesse du
corps”. Mais le processus psychique est aussi obligé d’avoir recours à cette
sagesse qui le rend plus apte à résoudre favorablement les questions du monde
environnant et maintenir activement un équilibre constant entre l’âme et le
corps»[98].
Cette citation révèle
autre chose: la sagesse consisterait à parvenir à un équilibre et à le
maintenir. Et ceci s’impose parce qu’il y a division, séparation: une âme et un
corps qui sont dans un état de tension, en lutte. La sagesse est nécessaire
parce qu’il y a conflit à l’intérieur du sujet et au sein du monde.
L’affirmation d’A. Adler exprime sous forme ontosique le désir de revenir à un
état non dissocié, à celui de l’être originel accédant au monde habité par la
répression qui l’obligera à se fragmenter.
Au sein du déni se loge
la dynamique du comme si. En
reprenant ce qu’a théorisé S. Freud, je puis dire que le petit garçon qui dénie
l’absence de pénis chez la petite fille opère en faisant comme si elle en
possédait un.
L’identification conçue
selon A. Adler comporte elle aussi la dynamique du comme si, étant donné que pour lui elle est une prise de position
par rapport au futur. «Dans la fonction de prévoir, nécessité inéluctable des
organes doués de mouvement puisqu’ils sont toujours placés devant les problèmes
de l’avenir[99],
l’organe dispose encore de la capacité à laquelle non seulement il ressent ce
qui existe dans la réalité, mais éprouve, devine ce qui d’aventure existera
plus tard. C’est ce qu’on appelle “l’identification”. Capacité extrêmement
répandue et développée parmi les hommes, elle va si loin qu’on la trouve en
chaque domaine de la vie psychique. Ici encore, l’unique condition n’est autre
que la nécessité de prévoir. Car, si je me vois obligé de me représenter, de
penser comment je me comporterai au cas où telle question se posera, il m’est
également nécessaire d’acquérir sur ces impressions un ferme jugement, qui peut
se dégager de la situation actuellement non encore mûrie. […] L’identification
revêt une configuration artistique sui
generis dans le spectacle». Il donne ensuite divers exemples et conclue:
«C’est ainsi que l’identification s’associe de prés à tout ce dont nous faisons
l’expérience»[100].
On sent ici un glissement
important de la représentation à l’identification. En outre ce dont il parle
relève dans la plupart des cas de l’empathie, de ce qu’il appelle «le sentiment
inné de communion humaine». Mais l’identification ne relève ni de l’empathie ni
d’un sentiment de communion bien qu’elle ne soit possible que sur leur base.
Dans le cas de l’empathie il n’y a pas perte de soi par rapport aux autres.
L’identification, littéralement, implique une telle perte. C’est un phénomène
inconscient. Cela est fort apparent dans le cas de l’identification du parent à
son enfant. Le premier opère comme s’il était le second, ce qui implique qu’il
ne le perçoit que très rarement dans sa réalité[101].
Ce comportement est d’autant plus néfaste que l’enfant pour être en continuité
avec sa mère, ou son père, mime celui-ci ou celle-là, c’est-à-dire qu’il en
vient à adopter le comportement que l’un ou l’autre désire, ce qui n’empêche
pas, par moments, la manifestation de tensions, signalant un rébellion qui ne
peut pas se dire parce qu’il n’est pas conscient de ce qui le trouble
profondément. Il est affecté par un phénomène qu’on peut comparer à la double
contrainte exercée par la pression de deux messages contradictoires. En
subissant l’identification il reçoit le message du parent qui s’identifie à lui
et auquel il veut répondre, et il y a son message interne lui signifiant qu’il
doit suivre «son plan de vie».
Dans l’identification le comme si disparaît en tant que tel, pour
ainsi dire résorbé dans le procès de celle-ci. Elle comporte en outre, comme
l’exprime bien la citation précédente, la dimension de l’anticipation qui, pour
A. Adler, est présente en tout processus psychique. «C’est que, par sa nature
et par ses tendances, tout processus psychique se réduit à un essai
d’anticipation, à une préparation de la transformation de l’infériorité en
supériorité, de sorte qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’âme, esprit,
raison, entendement ne sont que des abstractions qui nous servent à désigner
les lignes efficaces que l’homme suit pour dépasser la sphère de ses sensations
corporelles, pour élargir ses limites, pour s’emparer d’un fragment du monde et
s’assurer contre les dangers qui le menacent, bref pour exalter ses organes
constitutionnellement inférieurs et les lancer sur les voies sûres de la
connaissance et de la prévision intelligente»[102].
On ne peut mieux décrire le procès selon lequel l’ontose s’édifie et par quel
mécanisme l’ontosé essaie d’échapper à la souffrance, en recourant à l’âme, à
l’esprit: la dématérialisation. Ceci n’est pas effectivement affirmé mais A.
Adler, par son cheminement théorique, témoigne d’une modalité d’accession à la
recherche de cette dernière. Globalement, il est affirmé que c’est parce qu’on
est matière qu’on souffre, d’où l’idée de se dématérialiser et ne devenir qu’un
pur esprit. Or une telle visée s’enracine dans le désir du tout petit enfant
d’échapper par la pensée à la situation intolérable où il est piégé. C’est là
aussi que s’enracine l’exaltation de l’anticipation que nous avons signalée
chez A. Adler. Celle-ci opère pour prévoir la manifestation réitérée d’une
menace. Toute situation doit être anticipée afin de se prémunir vis-à-vis de
cette dernière, soit en faisant en sorte de pouvoir l’éviter, soit en se
prémunissant contre toute surprise lors de son surgissement. De là la pression
énorme que le futur représenté exerce sur l’individu et l’état de tension
provoqué par la mise en place constante de l’anticipation. De nos jours le
désir de dématérialisation est poussé à l’extrême avec la réalisation de la
virtualité. C’est fort bien exposé dans les romans de science-fiction, comme le
met en évidence Carlo Formenti dans son article Si un fantasme troue l’écran[103].
Après avoir donné des exemples, il conclue: «Mais à peine la technoscience aura
vraiment trouvé le mode d’interconnecter machines et cerveau (les
bio-ordinateurs n’existent pas seulement dans les rêves des écrivains de
science-fiction mais aussi dans les projets des laboratoires de recherche) les
choses changeront: qui pourra résister, alors, à la tentation de rêver une vie
d’esprit désincarné (et peut-être immortelle, comme le phantasme Greg Egant
dans son roman)?». Qui pourra résister à la tentation de pouvoir échapper
définitivement à la menace? La dernière phrase de l’article nous signale qu’en
fait l’anticipation, la virtualité sont à la fois des moyens de refoulement et
de recouvrement de ceux-ci et que, donc, la menace va resurgir au cours de
remontées. «Et qui pourra chasser la peur que de menaçantes formes de vie artificiels
émergées du cyberspace ne viennent nous rendre visite?». Ces formes de vie, de
même que les êtres extraterrestres malfaisants, sont des supports sur lesquels
nous projetons toutes les menaces que nous connûmes au stade de tout petit
enfant.
Chez A. Adler
l’anticipation révèle ce qu’est la structure psychique et dévoile les limites
de l’individu que les auteurs de science-fiction, les savants, veulent
dépasser. «La principale tâche de la pensée consiste à prévoir les actes et les
événements, à concevoir les fins et les moyens et à exercer sur les uns et les
autres le plus d’influence possible. Grâce à cette anticipation, notre
structure psychique apparaît en premier lieu comme un appareil de défense et
d’attaque, qui s’est formé sous la pression des limites trop étroites dans
lesquelles se trouve enfermée notre vie et qui rendent difficile la
satisfaction de nos besoins»[104].
Ce qu’il a décrit en tant que névrose, caractérisée par la manifestation d’une
tendance excessive à la surcompensation, se réalise maintenant chez des
individus dits normaux.
«L’imagination a une rôle
semblable à celui de l’anticipation. L’imagination, elle aussi, comporte comme
élément essentiel cette prévision qu’un organisme apporte nécessairement avec
soi lorsqu’il est en mouvement. Elle aussi est liée à la mobilité de
l’organisme, elle n’est rien d’autre qu’une forme de cette prévision»[105].
En poussant à bout le raisonnement d’A. Adler on en déduit que le possible de
la névrose réside dans la nécessité de se mettre en mouvement. Là s’affirme une
certaine imprécision du fait qu’on ne sait pas exactement à quoi se réfère le
mot organisme. Désigne-t-il seulement la partie corporelle de l’individu ou
n’importe quel animal? Dans ce dernier cas elle serait innée. Or quelle
définition donne-t-il de l’imagination? «L’imagination est une autre production
artificielle de l’organe psychique»[106].
En ce cas, elle apparaît acquise. Cette imprécision ne traduirait-elle pas une
certaine réticence vis-à-vis d’elle, une ambiguïté dans son estimation, trace
de quelque peur? Dans tous les cas, selon lui, elle est exaltée dans la
névrose.
Le comme si apparaît comme constituant un élément essentiel du
comportement de sousvie et de survie d’A. Adler. L’autre élément est la
compensation, en laquelle il peut d’ailleurs opérer, et sur laquelle nous
pouvons maintenant revenir, sans oublier que l’un et l’autre sont liés.
Il est une dimension de
cette dernière qu’il n’a pas réellement individualisé et qui a pris une
importance considérable: la consommation. On consomme pour compenser toute la
souffrance inconsciente mais qui «travaille» l’individu, le perlabore. La
consommation permet de gâter pleinement l’enfant, devenu l’enfant-roi qui a
tout à sa disposition. Elle est devenue le support essentiel du comportement
des hommes et des femmes. Toute activité se ramène à une consommation que ce
soit sur le plan biologique de la nutrition, de la respiration, de la
reproduction sexuée etc., que sur le plan psychique, intellectuel: l’homme, la
femme, n’aime pas, il, elle consomme, et vivre c’est consommer. C’est ce qui
permet la réalisation de la combinatoire et de réactualiser ce qui fut, en
procurant une satisfaction immédiatiste qui permet de faire disparaître l’objet
à consommer, libérant le phénomène combinatoire, le désencombrant, mais
n’apporte pas de satisfaction réelle à l’individu, d’où le maintien de la
poussée à toujours consommer, analogue à la tendance à la perfection d’A.
Adler. En effet l’homme, la femme, tend à s’accomplir grâce à la consommation.
Cette tendance ne parvenant pas à sa réalisation s’impose alors un aller
au-delà de la consommation dans la contemplation réalisable grâce à la
virtualisation.
La compensation est un
phénomène de dépassement, une sorte d’Aufhebung
où il y a consolation, suppression et réalisation d’un au-delà: l’état
d’infériorité est à la fois conservé en tant que fondement qui réactive
constamment la dynamique de compensation, supprimé dans l’immédiat grâce à la
production d’un dépassé, c’est-à-dire quelque chose qui va au-delà de la
situation dans laquelle l’individu opère. C’est une création. Mais par là elle
s’apparente à la sublimation que S. Freud a théorisé à partir de 1905[107].
Le procès de compensation
contient en son sein un phénomène qu’on peut désigner sous divers noms:
forclusion, scotomisation, escamotage. En effet il permet de rendre inopérante
une donnée psychique qui trouble l’individu, donnée que celui-ci refuse
inconsciemment d’envisager dans sa totalité et tend même à l’éliminer faisant
comme si elle n’était jamais advenue[108].
Je voudrais signaler
encore une autre modalité d’intervention de la compensation dans la vie
psychique – et je précise qu’il n’y a de vie psychique que parce qu’il y a
coupure dans le procès de vie de l’homme, de la femme. Elle opère lorsque l’ontose
par exemple a tendance à transcroître en paranoïa, en mégalomanie, il y a un
mécanisme qui tend à ramener l’individu à une prise en considération opposée du
réel, rétablissant ainsi la normalité, c’est-à-dire l’ontose. Ceci apparaît
également fort bien dans les phénomènes cyclothymiques où il y a alternance de
phases d’exaltation et de dépression. Aussi on peut considérer la compensation
comme relevant d’un mécanisme d’homéorhésis; ce qui était le conception d’A.
Adler.
La compensation permet de
comprendre la relation existant entre deux phénomènes mis en évidence par S.
Freud: le refoulement et le phantasme. On fantasme parce qu’on refoule. Cela
signifie que le phantasme existe bien, mais il n’est pas à l’origine des
troubles psychiques. Si l’on refoulait uniquement, on deviendrait vide, tout en
étant de plus en plus empli par le refoulé. On n’aurait plus rien à partir de
quoi opérer. En conséquence il faut édifier mais dans la discontinuité, puisque
le refoulement nous éloigne de notre être originel, naturel. Ceci s’opère grâce
à l’imagination et s’impose alors le possible d’un devenir à la virtualité.
Grâce à l’imagination on peut opérer à partir de rien: création ex nihilo. Ceci
n’est vrai qu’en partie parce que l’activité créatrice s’effectue surtout lors
de remontées du refoulé. En conséquence celui-ci alimente de façon détournée la
production de phantasmes, ce qui permet également la sublimation qui opère une
sorte de transcendance: un aller au-delà. Cette dernière sert de support à la
première et elle même prend appui sur la totalité. Cette concaténation de
supports permet à l’individu de ne pas sombrer. Tout ceci est inconscient, et
devra être précisé. A. Adler, l’homme bien compensé, est celui qui a
immensément refoulé. La compensation lui permit de ne pas accepter le
refoulement et fonda sa certitude qui fut factice, fictive.
Voilà pourquoi la
compensation n’abolit pas la dépendance, comme le prouve l’incapacité où fut
placé A. Adler de ne plus dépendre de S. Freud[109].
Constamment il éprouve le besoin de se situer par rapport à lui, en affichant
sa supériorité. De multiples citations pourraient étayer cette affirmation. En
voici une à titre d’exemple. «Le sentiment d’infériorité et le complexe
d’infériorité – ces conceptions fondamentales qui, autrefois, ainsi que la
protestation virile, faisaient voir rouge aux psychanalystes – sont aujourd’hui
entièrement acceptés par Freud, mais difficilement incorporés à son système,
quoique sous une forme très atténuée»[110].
W. M. Johnston signale
une fonction politico-sociologique de la compensation. «Abstraction faite des
sarcasmes de Freud, l’importance accordée par Adler à la compensation éclaire à
la fois le capitalisme et le socialisme. Il soutenait en effet que sous le
capitalisme la lutte pour la survie incite les enfants à une surcompensation
pour rester dans la course. De la même manière, les marxistes exploitent la
surcompensation afin d’exhorter les révolutionnaires à surmonter leur sentiment
d’impuissance devant les classes possédantes»[111].
En ce qui concerne les enfants cela ne va pas sans catastrophe, comme le montre
le nombre de suicides chez les enfants japonais. En ce qui concerne les
marxistes, on peut considérer la mystique du parti ou l’exaltation de la
théorie comme des moyens de compensation. À propos de socialisme, W. M.
Johnston nous rapporte ceci: «Adler fut le seul membre du premier cercle de
Freud à rejoindre le Parti social-démocrate. En mars 1909, sous l’influence de
son ami Léon Trotsky, il exposa ce que fut probablement la toute première
synthèse de Marx et de Freud. Soutenant que Marx avait reconnu la primauté de
l’instinct, Adler soulignait que ce précurseur de Freud avait enseigné au
prolétariat comment détecter les mécanismes de défense de la bourgeoisie»[112].
Comment pouvait-il faire une synthèse de K. Marx dont il avait une faible
connaissance de l’oeuvre et dont il fait un éducateur, et de S. Freud dont il
remettait en cause le fondement de sa théorie: le refoulement?
La fiction avec la
pratique du comme si qui
l’accompagne, est la certitude d’A. Adler; ce qui lui a permis de résoudre la
difficulté fondamentale: la perte de la continuité. Elle exprime au mieux son
ontose, comme le fantasme pour S. Freud. La parenté entre les deux notions
avait été notée par les deux hommes et chacun des deux tentait de ramener celle
de l’autre à la sienne[113].
Chacun, enfermé en lui-même, interprète ce que produit l’autre en fonction de
sa représentation. Ce faisant ils se niaient réciproquement.
Pour qu’il y ait une
compensation rigoureuse il faut que s’opère une comparaison constante. Elle
implique la notion d’équilibre qui, elle aussi, joua un rôle important en
économie politique. La compensation consiste en un réajustement continuel. Ceci
nous évoque inévitablement la balance, particulièrement celle de Roberval.
Quand il y a équilibre le fléau n’oscille plus, il se trouve au zéro, là où
tout s’est aboli, résorbé. Le point d’équilibre est celui où il y a
compensation du refoulement, ce qui escamote le fléau des remontées. Dès lors
l’individu acquiert un certain bien-être et peut vivre en opérant par-dessus
cet équilibre, jusqu’à ce que, tôt ou tard, un événement vienne réactiver le
traumatisme originel. Dès lors l’individu va retrouver les oscillations qui lui
sont un fléau. À noter également qu’on équilibre en utilisant une tare! Enfin
le système de transmission entre les deux plateaux, représentant les éléments
du couple, de la dualité, est le support du comme
si[114].
Enfin tout le procès de
vie social peut être vu comme relevant d’une immense compensation. Fixé par les
adultes dans une infériorité, l’enfant envisage son devenir adulte comme devant
compenser l’état où il se trouve avec les souffrances qui lui sont liées. Il se
trouve confirmé dans sa démarche par l’ensemble du comportement social. On lui
dit souvent: tu n’es que cela[115],
ou tu es trop petit, plus tard tu pourras faire etc., ce qui induit le
phénomène de compensation dont a parlé A. Adler, non seulement durant
l’enfance, mais durant toute la vie adulte et la vieillesse. Dans une certaine mesure
on peut dire que plus on vieillit plus on a besoin de compenser. L’adulte ou le
vieillard à qui on n’accorde pas les prérogatives liées socialement à son âge,
est affecté d’intenses remontées et réagit parfois en un vigoureux délire. La
mort elle-même a pu être appréhendée comme une compensation.
Parvenu à ce stade il
nous faut analyser plus en détail le sentiment social[116]
que nous avons simplement exposé, afin de percevoir comment fonctionna l’ontose
d’A. Adler.
«Là il devient clair qu’être homme signifie posséder un sentiment
d’infériorité qui exige constamment sa compensation»[117].
Mais ce phénomène de compensation doit lui-même être régulé, sinon il en
découle des troubles psychiques importants. Cette régulation est assurée par le
sentiment social qui peut apparaître lui-même dans une certaine mesure comme
une compensation.
D’où vient le sentiment
social?
«À la recherche des
racines du sentiment social – en supposant la possibilité de son développement
chez l’être humain – nous rencontrons immédiatement la mère en tant que premier
et plus important facteur. C’est la nature qui lui a imposé ce rôle. Ses
rapports vis-à-vis de l’enfant sont ceux d’une coopération intime (communauté
de vie et de travail), dont tous deux tirent profit et non pas, comme le
croient certains, une exploitation unilatérale sadique de la mère par l’enfant»[118].
«Mais on ne doit pas
oublier que la tendance à la coopération est obligatoire dès le premier jour.
L’extraordinaire importance de la mère en ce qui concerne ce problème ressort
clairement. Elle se trouve au seuil du développement du sentiment social.
L’héritage biologique du sentiment social humain est confié à ses soins»[119].
«Probablement devons-nous au sentiment du contact maternel la majeure
partie du sentiment social de l’humanité et par là le fond essentiel de la
civilisation humaine. Il faut avouer que de nos jours l’amour maternel ne
suffit pas au besoin pressant de la société. Un avenir lointain devra davantage
ajuster à l’idéal social l’usage de ce
bien»[120].
Que nous révèlent ces
citations? Le sens social n’apparaît pas pleinement inné. Il y a un doute sur
la possibilité de son développement. D’autre part il est hérité non
directement, biologiquement, mais à travers une relation à la mère et enfin le
rôle de celle-ci lui est imposé par la nature. À ce propos dans la mesure où il
devient insuffisant, cela pose que la nature est elle-même insuffisante pour la
société.
On peut constater qu’il y
a absence totale de spontanéité, ce qui caractérise d’ailleurs la psychologie
adlérienne et son auteur du fait même qu’il vécut constamment dans la
comparaison. Il n’a pu subsister qu’en calculant, en soupesant tout, afin
d’utiliser ce qui était le plus favorable à son développement pour sortir de
son infériorité. Cette dimension calculatrice apparaît bien quand il affirme
que les rapports entre la mère et l’enfant sont ceux d’une coopération dont
tous deux tirent profit. Cette affirmation est en même temps une défense de
l’enfant, très souvent chargé des pires défauts originels, comme on le constate
de la part de la majorité des psychanalystes. Là c’est lui-même en tant
qu’enfant qui s’exprime; un enfant qui a été capable d’utiliser ce qui lui
avait été concédé pour survivre en sousvivant.
L’absence de spontanéité
s’affirme également dans le fait de dire que la mère a un rôle, qu’elle est une
médiatrice. «La mère est la médiatrice indispensable pour la vie, elle doit
dégager le sentiment social, le guider et le diriger vers les autres»[121].
Par là il traduit la distanciation qu’il a perçue de la part de sa mère. Voilà
pourquoi celle-ci apparaît en tant qu’opératrice fondamentale car, du
comportement de la mère dépend tout le développement de l’enfant puis de
l’adulte. Deux cas extrêmes sont à éviter: qu’elle s’occupe trop de l’enfant ou
pas assez. «Car souvent le contact entre la mère et l’enfant est trop faible,
plus souvent encore trop fort». Cela engendre le délaissé et le gâté, deux
types d’enfant qui deviendront des névrosés. A. Adler a peu analysé le cas du
délaissé, en revanche il l’a fait longuement en ce qui concerne le gâté. Là
encore il parle de lui, de la relation à son frère aîné qu’il dut considérer
comme un exemple d’un tel enfant. Ce n’est pas pour rien qu’il va rejouer cela
avec S. Freud. «Ce que Freud a désigné comme complexe d’Oedipe et qu’il
considère comme la base naturelle du développement psychique, n’est rien
d’autre qu’une des multiples
manifestations de la vie de l’enfant gâté, qui est le jouet sans défense de
ses désirs non réprimés. […] Un instinct sexuel tôt éveillé et pour ainsi dire
irrésistible témoigne en premier lieu d’un enfant égocentrique, le plus souvent
dorloté, qui ne sait renoncer à aucun désir»[122].
La relation à son frère
masque celle à sa mère. En comparaison avec son frère aîné, il dut se sentir
quelque peu délaissé. La relation à sa mère évoque trop de souffrance aussi
préfère-t-il éliminer tout sentiment, toute émotion, afin d’éviter une remontée
éventuelle. «Ce qui incombe à la mère au point de vue du développement
évolutionnaire et social, c’est de faire de l’enfant aussitôt que possible un
collaborateur, un partenaire qui aime aider et qui, là ou ses forces ne
suffisent pas, se laisse volontairement aider. On pourrait remplir des volumes
sur l’enfant “bien tempéré”»[123].
C’est pourquoi revendique-t-il pour l’enfant des droits égaux aux autres
membres de la famille.
Nous sommes amenés à
penser cela: 1) en fonction d’une
remarque: «On peut observer d’une façon générale, que le meilleur contact d’un
enfant avec son père dénonce un échec du côté de la mère, ce qui signifie
toujours une seconde phase dans la vie d’un enfant, qui – à tort ou à raison –
a été déçu par sa mère»[124].
2) en fonction d’un souvenir: «À
l’âge de six ans j’avais joué un vilain tour à mes parents. Ma mère me demanda
des explications avec un visage rouge de colère et j’étais très gêné car
j’étais conscient de ma faute. Mon père, qui se tenait tout prés d’elle sans
rien dire, finit par me prendre par la main en lui disant: “Laisse-le”. Cette
scène m’a fortement impressionné et je m’en souviens toujours. Je suis
reconnaissant à mon père de son attitude. Il m’a ainsi plus profondément
influencé que si on m’avait demandé de faire amende honorable ou si ma mère
m’avait donné une tape»[125].
D’autres facteurs peuvent
faire obstacle au sentiment social[126].
«Les difficultés qu’un enfant a à combattre au cours du développement de sa vie
psychique et qui, presque régulièrement, entraînent comme conséquences
l’impossibilité pour lui de développer son sentiment de communion humaine si ce
n’est d’une manière extrêmement imparfaite, nous pouvons les répartir entre
celles qui, provenant de la défectuosité de la culture, se manifestent dans la
situation économique de la famille, et de l’enfant, et celles qui résultent des
déficiences des organes corporels»[127].
Ce qui ressort en
définitive de tout cela c’est la supériorité de l’enfant qui opère en fonction
de ce qu’il trouve en son milieu familial. Toutefois si sa volonté de
supériorité n’est pas tamponnée par un phénomène qui la limite, il deviendra un
névrosé. Mais là encore cela signifie qu’il est vainqueur; mais à quel prix!
«Il ne faut pas lutter
avec un enfant car souvent on perd; les enfants sont toujours les plus forts»[128].
«En conclusion: on ne
doit jamais combattre un enfant; pour la simple raison qu’il est le plus fort.
L’enfant ne prend aucune responsabilité. Celui qui prend une responsabilité
n’est jamais le plus fort»[129].
Mais, pour l’enfant, que
peut être la responsabilité? Dans Le
tempérament nerveux, A. Adler nous apporte une précisions: «C’est ainsi
que, tout comme dans les drames antiques et dans les tragédies où les
personnages succombent sous le poids de la fatalité, l’enfant cherche à charger
le destin et à accuser les autres de son infériorité, seul moyen pour lui de se
dégager de toute responsabilité et de sauver, de préserver son sentiment de
personnalité»[130]. La
responsabilité dont il parle ici est l’euphémisme de la culpabilité. C’est un
sentiment inconscient parce que refoulé à cause de son intolérabilité, voire de
sa dimension absurde. Dans ce cas où réside la supériorité de l’enfant? Dans sa
capacité à faire en dépit des conditions difficiles qu’il rencontre, en
recourant à la pratique du comme si.
Mais ceci cache quelque chose de plus profond. L’adulte perçoit dans l’enfant
le phénomène vie encore pleinement puissant. C’est d’ailleurs cela qui provoque
des remontées pouvant conduire de la part de ce dernier à des actes atroces
pouvant entraîner la mort de l’enfant.
Reprenons notre analyse
de la fonction du sentiment social. Il est un agent causal. «Toutes les erreurs
de l’enfance et de l’âge adulte, tous les traits de caractère défectueux dans
la famille, à l’école, dans la vie, dans nos relations avec les autres, dans la
profession et dans l’amour ont leur origine dans un manque de sentiment social»[131].
Il est fondateur de
normalité. «Toutes nos fonctions organiques et psychiques sont développées
d’une façon normale, juste et saine lorsqu’elles contiennent suffisamment de
sentiment social et qu’elles sont adaptées à la collaboration»[132].
Et c’est grâce à lui en
tant que source de contre-fiction que la normalité peut être réalisée. «Cette
dissimulation [de la volonté de puissance, NdA]
est obtenue à l’aide d’une contre-fiction qui guide les actes visibles et
permet d’approcher la réalité et de se rendre compte des forces qui y
manifestent leur action. Cette contre-fiction, qui représente les correctifs
sociaux, jamais absents, imprime à la fiction directrice un changement de
forme, en lui imposant des scrupules, en l’obligeant à tenir compte des
exigences morales et sociales et en assurant ainsi à la pensée et à l’action un
caractère rationnel, c’est-à-dire universellement acceptable. Elle constitue le
coefficient de sécurité de la volonté de puissance, et la santé psychique est
caractérisée par les rapports harmonieux, par l’accord qui existe entre les
deux fictions. Dans la contre-fiction trouvent leur expression les expériences
et les traditions de la société»[133].
Autrement dit le
sentiment social compense la volonté de puissance; la société apparaît comme
une communauté thérapeutique et le psychologue comme un éducateur qui corrige,
un examinateur[134]. En
cela A. Adler est en opposition totale avec S. Freud pour qui la culture,
production sociale, ne peut en aucun cas le guérir de l’Hilflosigkeit, de la déréliction; elle lui impose même des
contraintes qui lui rendent la vie encore plus difficile. En outre il ressort
de la citation précédente ainsi que d’autres passages des oeuvres d’A. Adler
que la contre-fiction déterminée par les normes sociales représente l’idéal du
moi et le sur-moi freudiens. «L’homme est inexorablement guidé, empêché, puni,
loué, favorisé par l’idéal social, ce qui fait que chacun non seulement est
responsable de son aberration mais doit aussi expier. C’est une loi dure,
véritablement cruelle»[135].
Ici, il dit en son
langage psychologique ce que l’on expose en langage populaire en s’exclamant:
je ne peux rien faire il est toujours sur moi; traduisant ainsi que l’autre
(substitut du parent) le contrôle constamment. Ce que J. P. Sartre signifiait
en disant: l’enfer ce sont les autres. Or que dit encore A. Adler? «Sa raison,
son sens commun subissent le contrôle de ses semblables, de la vérité absolue,
et visent à la justesse éternelle»[136].
Ce qui est saisissant c’est que l’idéal apparaît bien comme faisant partie de
la dynamique de la répression, comme expression de la perte de l’immédiateté
naturelle. En même temps se révèle le fait qu’il y a escamotage de la
répression parentale et sociale, avec non perception de l’intériorisation de la
répression sociale comme l’avait perçue K. Marx, que A. Adler en bon
social-démocrate ignore parfaitement, ce qui ne veut pas dire qu’il ne l’ait
point lu. On comprend qu’a fortiori le refoulement ne soit même pas évoqué.
Il indique l’existence de
la loi, qu’il accepte comme une donnée, avec laquelle il doit opérer, en
particulier en adoucir la rigueur, la dominer en quelque sorte et par là
affirmer sa volonté de puissance opérant pour le bonheur des autres. C’est
l’expression de l’autorépression dont parla K. Marx.
L’affirmation de
l’existence d’un second moi, fonctionnant comme le sur-moi de S. Freud, est
parfois très explicite. «Dans une situation d’insécurité psychique, l’idée
directrice, personnifiée, divinisée apparaît souvent comme un second moi, comme une voix intérieure qui,
analogue au démon de Socrate, avertit, encourage, châtie, accuse»[137].
Il aborde un phénomène, dont il ne donne pas une explication exhaustive, qui a
une grande importance: la soi-disant existence d’entités intérieures ou
extérieures communiquant avec l’individu, comme les anges, par exemple.
En ce qui concerne la
société, la communauté ou la collectivité il les perçoit dans la séparation. Il
y a la société et l’individu, avec prééminence de la première. «Les exigences
de la collectivité ont réglé les rapports des hommes établis dès l’origine
comme allant de soi, comme “vérité absolue”. Car la collectivité préexiste à la
vie individuelle des hommes»[138].
Ceci est vrai pour toutes les sociétés, et constitue le fondement du discours
étatique: l’individu est dépendant de l’État et doit en subir la contrainte.
Mais cela ne concerne nullement l’être naturel, non domestiqué. Donc la
psychologie adlérienne résulte de la compréhension de ce qu’est l’homme, la
femme, domestiqué(e), et de son comportement.
L’enfant advient en ce
monde actuel, en étant, simultanément, individualité et Gemeinwesen. Il
s’affronte à une femme, sa mère, qui est réduite à l’état d’individu qui, pour
coexister avec ses semblables, doit recourir à des règles, à des normes, dans
tous les cas à des médiations. Il subit donc une réduction. Selon A. Adler il
est réduit à deux sentiments (social, d’infériorité) et à une volonté de
puissance. Il interprète la réduction, opère avec et comprend tous les phénomènes
qui en découle. Cela nous éclaire sur le phénomène ontosique, mais non sur ce
que nous sommes.
A. Adler pense en fait
qu’il a trouvé la solution pour le devenir de l’individu comme pour celui de
l’espèce. «Elle [la psychologie individuelle, NdA] a pu acquérir à partir de nombreuses expériences une
conception qui permet dans une certaine mesure de comprendre quelle est la
direction à suivre pour arriver à une perfection idéale; elle y est arrivée en
établissant les normes du sentiment
social»[139]. Ce
dernier apparaît donc comme un moyen. Or nous avons vu qu’il est normatif. Donc
grâce à la psychologie individuelle, A. Adler connaît la direction que doit
prendre l’espèce. Il continue ainsi son exposé.
«Le sentiment social
signifie avant tout la tendance vers une forme de collectivité qu’il faut
imaginer éternelle, comme elle pourrait à peu prés être imaginée si l’humanité
avait atteint le but de la perfection. […] le but qui se montrerait le plus
apte à réaliser cette perfection, devrait être un but signifiant la
collectivité idéale de toute l’humanité, ultime réalisation de l’évolution. […]
Notre idée du sentiment social comme forme finale de l’humanité – d’un état
dans lequel nous pouvons nous représenter comme résolues toutes les questions
de la vie, toutes les relations avec le monde extérieur – représente un idéal
directeur, un but qui nous guide»[140].
Nous retrouvons le thème
de l’inachèvement nécessitant la recherche constante d’une perfection qui,
cette fois, est posée réalisable, ce qui l’amène à parler de forme finale,
éternelle, où tout est résolu. C’est le désir de l’enfant qui vit dans un monde
changeant et dont tout changement est source de bouleversements, de
souffrances. Ceci nous amène à considérer la notion de progrès comme ayant une
grande dimension ontosique. Elle postule un état inférieur et un devenir vers
quelque chose posé comme supérieur. C’est la justification au niveau de
l’individu comme à celui de l’espèce des efforts intenses pour sortir d’un
situation intenable, douloureuse où il, elle, se trouve. En outre poser quelque
chose éternel, c’est opérer dans la séparation et nier l’éternité. La même
négation intervient quand la fin d’un devenir est posée comme un accès à une
dimension éternelle. En effet le devenir est coextensif à l’éternité. Enfin
poser un but qui nous guide c’est poser la dépendance.
Nous retrouvons également
le thème de l’équilibre: le stade de perfection est celui où règne un équilibre
qui atteint sa pleine stabilité puisqu’il est éternel.
La société idéale qui
assurera entre autre le bien-être de la collectivité opère en tant que
contre-fiction vis-à-vis des fictions nuisibles, mais c’est en même temps la
fiction fondamentale d’A. Adler. Elle sous-tend, nous l’avons dit, l’idée de
progrès[141] qui
implique que l’humanité traverse des phases d’essais, d’exercices préparatoires[142].
Après avoir affirmé cela, il déclare: «Ne peuvent survivre parmi eux que ceux
qui sont dirigés dans le sens de la société idéale»[143].
La fiction joue le rôle d’un principe sélectif et nous trouvons un soubassement
darwinien à la représentation adlérienne et, par delà cette dernière, l’idée
que quelque chose d’invisible conduit les hommes et les femmes, comme ce fut
exprimé chez Adam Smith: ici, un but caché qui, dans certaines représentations
antérieures, put avoir la figure d’un dieu qu’il fallait découvrir.
Les révolutionnaires ont
proposé un changement social qu’ils voulaient le plus radical possible afin de
parvenir à une forme sociale qui signifierait l’achèvement enfin réalisé, et
d’aucuns ont parlé de la fin de l’histoire. Ainsi ils sont perlaborés par les
mêmes préoccupations qu’A. Adler, et habités par une ontose semblable.
Le sentiment social (ou
communautaire), le sentiment de communion, exprime la dépendance originelle où
s’est trouvé A. Adler, en même temps que ce à quoi il a fait appel pour se
sortir de cet état. «Or, si l’on considère qu’à proprement parler tout enfant
est un mineur en face de la vie et ne pourrait subsister sans posséder à un
degré notable le sentiment de sa communion avec ceux qui sont placés auprès de
lui…»[144].
C’est pourquoi ce sentiment a un contenu ambivalent, à la fois répressif dans
la dimension du sur-moi et d’aide et, par là, consolateur thérapeutique dans la
dimension de la communion proprement dite. Mais l’ambivalence est escamotée du
fait même de la volonté d’A. Adler, déjà signalée en note, «d’unir les moyens
pour atteindre le but». Le sentiment de communion peut apparaître comme une
expression de la volonté de puissance, afin de réaliser la compensation la plus
adéquate: sortir de la dépendance. Ainsi ce qu’il théorise sous le nom de Gemeinschafgefühl n’est pas une
expression immédiate de la dimension de la Gemeinwesen, mais est une
construction qui n’a pu s’effectuer qu’à partir de cette dernière complètement
dévoyée par la répression parentale. Cela explique le fait qu’il considère que
tous les troubles psychiques relèvent en définitive d’une mauvaise éducation,
puisque l’infériorité des organes peut être surmontée, et qu’il accorde une
énorme importance à la pédagogie. De même il ne considère pas les horreurs
sociales en tant que telles mais comme des défauts, des erreurs sur lesquels il
est possible d’agir pour provoquer des améliorations. En généralisant,
l’exaltation de la communauté témoigne en partie de la dimension ontosique de
l’homme, de la femme, qui l’exprime; c’est-à-dire qu’elle révèle non seulement
ce à quoi il, elle, est parvenu(e) à exposer à partir de quelque chose d’inné,
mais également la préoccupation de l’enfant sous terreur, voulant être sauvé.
Le sentiment social, le sentiment de communion exprime de façon réduite la
dimension de la Gemeinwesen. C’est le support pour l’aide recherchée chez les
autres afin de pouvoir affronter la répression parentale. Mais c’est aussi le
support du désir de trouver la mère idéale, ce qui explique l’ambiguïté dont
nous avons parlé, parce que la réalité ne peut pas être totalement expulsée. En
effet la mère est celle qui sauve et celle qui réprime. Elle est la contradiction par antonomase, non
reconnue, parce qu’insupportable, mais retrouvée partout grâce à de multiples
supports. Là est le fondement de l’idéalisation de toute forme de communauté et
la recherche constante de cette dernière.
Étant donnée l’importance
du futur – c’est en tendant constamment vers ce dernier qu’il a pu échapper à
sa situation d’infériorité – il est logique que son interprétation des rêves
soit totalement différente de celle de S. Freud.
«Ce qui, en dormant, se
déroule dans le monde de notre pensée sous des formes si singulières, n’est
autre chose que la construction du pont qui mène d’une journée à son lendemain.
Si nous savons comment un homme prend position dans la vie, comment, à l’état
de veille, il a accoutumé de poser ce pont vers l’avenir, nous pouvons
comprendre aussi son curieux travail de pontonnier effectué en rêve et en
dégager des conclusions. À la base du rêve se trouve donc une prise de position envers la vie»[145].
«C’était une de mes
premières attaques de l’année 1918 contre la théorie du rêve de Freud, lorsque
je soutenais en me basant sur mes expériences que le rêve visait l’avenir,
qu’il préparait le rêveur à résoudre un problème à sa propre manière. Plus tard
je pus compléter cette conception en constatant qu’il ne le faisait pas par
voie du sens commun, du sentiment social, mais par “comparaison”, par
métaphore, par des images parallèles, comme le ferait un poète désirant
éveiller des sentiments, des émotions»[146].
Suit alors une analyse de
l’utilisation des comparaisons d’où il ressort que tous, à des dégréés divers,
nous les utilisons en vue de provoquer une remontée chez l’autre, afin de le
suggestionner (en faisant inconsciemment appel à son état hypnoïde), révélant
ainsi une dimension manipulatrice, mais signifiant aussi la sensation, que
ressent celui qui opère par comparaison, de ne pas être perçu et d’être obligé
de recourir à quelque chose qui mette l’autre en émoi. Autrement dit elles
servent à détourner. Et là nous rencontrons ce que A. Adler considère «la
fonction la plus importante du rêve, détourner
le rêveur du sens commun, comme nous l’avons aussi montré pour
l’imagination[147]. Dans
le rêve, par conséquent, le rêveur se trompe lui-même»[148].
Il en est ainsi parce qu’en face d’un problème donné, le sentiment social se
montrant insuffisant, l’individu recourt à sa fiction, à son style de vie. En
cohérence avec l’idée qu’à l’origine du rêve il y a un problème que l’individu
ne parvient pas à résoudre, il remarque: «Il est probable que le rêve est
toujours précédé d’un état affectif semblable au doute, problème qui exige
encore des recherches plus approfondies»[149].
Donc on rêve parce qu’on ne parvient pas à nos fins dans la réalité et,
peut-être afin de lever un doute. En conséquence, A. Adler dit d’une autre
façon ce que S. Freud a affirmé: le rêve est la réalisation d’un désir.
Exactement: «Le rêve est l’accomplissement (déguisé) d’un désir (réprimé,
refoulé)»[150]. En
effet vers où, en règle générale, le rêve détourne le rêveur sinon vers la
réalisation d’un désir, bien qu’A. Adler le nie avec véhémence? De même, comme
Freud, il admet un contenu manifeste et un contenu latent: «il serait illogique
d’interroger le rêve d’après le sens commun». Le rêve permet de «passer outre à
la raison pratique»[151],
ce qui se produit même à l’état de veille, et donc à affirmer son style de vie,
sa fiction. De ce fait: «La comparaison de l’image du rêve avec la situation
exogène nous permet de trouver la ligne dynamique que suit le rêveur»[152].
Le rêve est alors un révélateur qui permet au psychologue, qui est un
examinateur, de montrer à son patient qu’il est encore attaché à son style de
vie, sa fiction, ce qui est cause de ses troubles. Mais ce dernier demeure dans
la dynamique de la comparaison. Or, comparer c’est se positionner, non en
fonction de nous-mêmes du fait qu’on a perdu la certitude, mais en fonction de
divers repères. Cela traduit le fait qu’on s’est perdu.
Un dernier caractère
mérite d’être signalé: «L’obscurité du rêve, obscurité que l’on peut aussi bien
constater dans de nombreux cas à l’état de veille, lorsque quelqu’un essaye de
justifier son erreur avec des arguments qu’il va chercher très loin, est donc
une nécessité et non un hasard»[153].
La comparaison avec ce
qui se passe à l’état de veille fournit à A. Adler la possibilité d’ébaucher
une explication, qui lui permet de comprendre. Mais il y a un non-dit: pourquoi
l’individu est-il dans la confusion, ne veut pas reconnaître son erreur?
Pourquoi est-il dans la dynamique de justification ou, dit autrement, pourquoi
se sent-il menacé? Il est clair que ceci a lieu aussi bien dans le rêve qu’à
l’état de veille. Mais ce qui me semble le plus important c’est la non
acceptation de l’obscurité, de la confusion gisant dans le rêve. Cela est dû à
la méconnaissance de l’état hypnoïde où règne la confusion, état résultant du
traumatisme. Accepter la confusion en tant que telle c’est, dans ce cas,
reconnaître ce qui s’est effectivement passé ce qui, à partir de là, peut
conduire à revivre le traumatisme. Si on veut, comme S. Freud, interpréter dans
tous les cas le rêve où le comprendre selon A. Adler, cela revient à construire
un vécu qui peut être compatible avec la représentation; mais c’est alors
escamoter le réel. Certes il est possible d’interpréter, de comprendre les
rêves et nous verrons l’apport déterminant que constitue l’oeuvre de F. Perls à
ce sujet. Mais dans certains cas, il faut les accepter tels quels, car leur
contenu manifeste, où règne la confusion, est en même temps leur contenu
latent. Cela implique aussi qu’il peut toujours y avoir un résidu d’obscurité
dans le rêve, étant donné la manifestation de l’état hypnoïde. Dit autrement:
cet état est une immédiateté où nous fûmes placés. Il faut la revivre en tant
que telle pour pouvoir accéder à l’être originel, non domestiqué, qui a subi le
traumatisme. Enfin, en ce qui concerne S. Freud il a privilégié le rêve parce
que, là, il peut interpréter et, ainsi, plus facilement escamoter le réel.
Selon ses propres termes, sa conduite est une conduite de défense.
Du fait même qu’il
minimise l’importance du refoulement, A. Adler nie la censure. «Ce que Freud
appelle la “censure” n’est rien d’autre qu’un plus grand éloignement de la
réalité, tel qu’il est surtout réalisé dans le sommeil, une abstention voulue
du sentiment social dont l’imperfection empêche la solution normale d’un
problème présent»[154].
Or, les seuls cas où celle-ci n’intervient en aucune façon c’est dans les rêves
totalement confus dont nous avons précédemment parlé.
Nous pouvons maintenant
aborder le développement de la personnalité[155]
ou évolution psychique de l’individu. Il a abordé ceci avec la caractérologie[156]
traitée dans Connaissance de l’homme.
«Le caractère, c’est la prise de position psychique, la manière selon laquelle
un individu fait face à son milieu; c’est une ligne d’orientation où se
poursuit son impulsion à se mettre en valeur, associée à son sentiment social,
sentiment de communion humaine»[157].
Et il insiste à la même page pour dire que c’est «une notion sociale». Selon lui «les traits de caractère ne sont
nullement innés. […] Mais on peut les comparer à une ligne de conduite qui
s’attache à l’individu et lui permet, sans beaucoup de réflexion, d’exprimer en
chaque situation sa personnalité distinctive»[158].
Un facteur important du
développement du caractère est la poursuite de la supériorité qui opère dans le
mécanisme de la compensation. Mais cette poursuite «est un but caché. Sous
l’action du sentiment de communion humaine, elle ne peut se développer qu’en
secret et elle s’abrite toujours sous un masque aimable»[159].
La dimension de l’hypocrisie dont S. Freud a noté la nécessité se retrouve ici.
L’individu adlérien ne peut opérer que clandestinement, c’est bien en cela que
consiste le développement de la personne qui est un masque. Vivre en société,
c’est se masquer.
C’est dans le dernier
livre qu’il a écrit en 1933, Le sens de
la vie, que nous avons déjà
abondamment cité, qu’il fait l’exposé le plus complet.
Il s’agit en fait d’une
phénoménologie. Nous avons déjà mentionné la parenté avec l’existentialisme et
le lecteur a pu noter l’occurrence importante du mot situation. «Si maintenant
nous quittons, à juste raison, le terrain de la certitude absolue, autour
duquel tant de psychologues se débattent, il ne persiste qu’une seule mesure
d’après laquelle nous pouvons évaluer l’être humain: sa réaction, son mouvement en
face des problèmes inéluctables de l’humanité. En effet trois problèmes nous sont imposés d’une façon
irrévocable: l’attitude envers nos semblables, la profession, l’amour. Tous les
trois, reliés entre eux par le premier, ne sont pas des devoirs fortuits mais
inévitables»[160]. C’est
pourquoi peut-il affirmer que «le vrai sens de la vie se révèle dans la
résistance que rencontre l’individu lorsqu’il agit d’une façon erronée»[161].
En grande partie la psychologie adlérienne se révèle être une phénoménologie de
l’erreur. Ce n’est pas pour rien que pour lui ce qui caractérise la vie des
hommes et des femmes, ce sont les devoirs; de même que se pose un problème de
sens parce qu’il y a des devoirs.
«Il est hors de doute que
chacun se comporte dans la vie comme s’il avait une opinion bien arrêtée de sa
force et des ses possibilités; comme si dès le début d’une action, il se
rendait compte de la difficulté ou de la facilité d’un problème donné, bref
comme si son comportement résultait de
son “opinion”. […] Notre opinion des faits capitaux et importants de la vie
dépend de notre style de vie»[162].
«“Plan de vie” et
“opinion” se complètent mutuellement. Les deux ont leur racine dans une période
où l’enfant est incapable de formuler en paroles et concepts les conclusions de
son expérience»[163].
«Nous arrivons ainsi à la
conclusion, que chacun porte en soi une “opinion” sur lui-même et sur les
problèmes de la vie, une ligne de vie et une loi dynamique, qui le régit sans
qu’il le comprenne, sans qu’il puisse s’en rendre compte»[164].
Ici apparaît bien le
thème qui est d’ailleurs indiqué en exergue au début de l’introduction du
livre: «L’homme sait beaucoup plus qu’il ne comprend»[165].
Il reprend exactement la même phrase à la page 185 et il ajoute: «Est-ce que
son savoir n’est pas éveillé pendant le rêve alors que sa compréhension dort?
S’il en était ainsi on devrait pouvoir démontrer des états semblables pendant
la veille. Et en réalité l’homme ne comprend rien à son but et le suit quand
même. Il ne comprend rien à son style de vie et y est constamment attaché».
Ceci se trouve dans le
chapitre concernant les rêves dont la théorie scientifique, dit-il, a été
élaborée par S. Freud. «Ceci restera à sa gloire, et personne ne pourra la lui
contester, pas plus que certaines observations, qu’il considère comme
appartenant à “l’inconscient”. Il semble avoir su plus qu’il ne comprenait»[166].
A. Adler ne nous indique pas d’une manière rigoureuse qu’est-ce qui inhibe la
compréhension. Cependant dans le cas de S. Freud il nous signale que celui-ci
fut un enfant gâté. Il nous parle des difficultés de compréhension de ce
dernier, dans le chapitre précédent l’ultime, intitulé Le sens de la vie. Avant d’aborder de façon plus explicite en quoi
consiste ce sens dont nous avons déjà vu l’importance, il règle ses comptes
avec S. Freud dont le nom est très fréquemment cité. Ce qui ne sera plus le cas
ultérieurement. Il nous signale ainsi que selon lui ce dernier n’a pas compris
le sens de la vie[167].
Pourtant il manifeste une convergence avec ce dernier: l’importance pour ainsi
dire despotique du père. «S’enquérir du sens de la vie n’a de valeur et de
l’importance que si on tient compte de la relation homme-cosmos. Il est facile
de comprendre que le cosmos est pour ainsi dire le père de toute vie. Et toute
vie est constamment en lutte pour suffire aux exigences du cosmos»[168].
On a l’impression
qu’exposer le problème de l’origine de la vie donne lieu à une remontée. En
attribuant la fonction essentielle au père, on sent qu’il a quelque chose à
reprocher à sa mère, peut-être son infériorité organique. Dans tous les cas il
y a confusion – s’il y a un père c’est qu’il y a une mère – qui se manifeste
bien dans la dernière phrase. En effet il y a escamotage de l’opposant à la
vie. Contre qui lutte-t-elle pour suffire aux exigences du cosmos? Puisque ce
n’est pas contre le cosmos, ce ne peut être que contre elle-même. En
conséquence, ce qu’il exprime c’est le fait qu’il dut s’autoréprimer, refouler
pour être.
L’autre élément de
convergence c’est l’importance accordée à Jean-Baptiste Lamarck. «La conception
de Lamarck, encore plus proche de la nôtre, nous donne des indications quant à
la force créatrice qui est ancrée dans chaque être vivant»[169].
Comme S. Freud et comme S. Ferenczi il pense à la possibilité de créer des
organes. Pour lui cela s’effectue sous la pression du sentiment d’infériorité,
pour les deux autres sous celle de la détresse.
En plus de cette
convergence, il existe des analogies. Celle qui me semble la plus significative
concerne celle entre la volonté de puissance d’A. Adler et la pulsion de
maîtrise de S. Freud.
Le sens de la vie c’est
d’aller vers la perfection ultime grâce à une adaptation active. «En outre
cette notion d’une adaptation active signifie que le corps et l’âme, de même
que tout ensemble de vie organisée, doivent tendre vers cette ultime adaptation
qu’est le triomphe sur tous les avantages et tous les inconvénients que le
cosmos nous impose»[170].
Le sens de la vie
consiste à découvrir la dépendance par rapport au cosmos qui est rempli
d’exigences et parler d’adaptation active c’est avoir l’illusion d’échapper à
la dépendance. Il est clair que là il est en face de la répression parentale et
tout ce qu’il expose signifie qu’il n’est, comme le pensent les
existentialistes, qu’à l’état de projet en vue d’un but final, à partir d’une
situation où il se sent inférieur. Jamais il n’est en présence de son
immédiateté, de sa réalité.
L’adaptation active
consiste en une potentialisation du sens social, du sens de communion humaine,
de la collaboration, c’est-à-dire dans le renforcement d’un sentiment
d’acceptation de l’autre, compensation absolument nécessaire à l’absence
d’acceptation originelle. Ainsi, à l’encontre de S. Freud, il place son salut
dans un devenir social. Ceci est clairement exprimé dans le paragraphe final du
livre où affleure également quelque chose qui n’a pas été exposé auparavant et
qui confirme la grande remontée qui affecte A. Adler quand il expose sa
solution: le sens de la vie. Rappelons qu’il vient de démontrer, dans le
chapitre précédent, sa supériorité par rapport à S. Freud et que, maintenant,
face au cosmos, il la révèle inconsciemment à ses parents; il révèle le secret
de sa sousvie et de sa survie.
Voyons ce paragraphe,
cité en son entier. «Une observation précise de la vie individuelle et de la
vie collective, aussi bien dans le passé que dans le présent, nous montre la
lutte de l’humanité en vue de renforcer le sentiment social. On ne peut faire
autrement que de constater que l’humanité est consciente de ce problème et
qu’elle en est pénétrée. Ce qui dans le présent pèse sur nous prend son origine
dans une insuffisance et une imperfection de notre formation sociale. Ce qui
nous pousse pour avancer dans la vie, pour nous débarrasser des erreurs de
notre vie publique et de notre personnalité, c’est le sentiment social opprimé.
Il vit en nous et essaye de percer, il ne paraît pas être suffisamment puissant
pour s’affirmer envers et contre toutes les oppositions. Il y a lieu d’espérer
que dans un temps lointain la puissance du sentiment social triomphera de tous
les obstacles extérieurs s’il est donné à l’humanité suffisamment de temps pour
cette réalisation. À cette époque l’être humain manifestera son sens social
comme il respire. Jusque-là il ne nous restera rien d’autre à faire qu’à comprendre
cette évolution nécessaire des choses et à l’enseigner aux autres»[171].
Au moment où il jubile de
dire sa solution, ce qu’il fait à partir de la totalité de son être, se
manifeste la remontée du moment originel: l’être qui a subi l’oppression et qui
n’a pas eu assez de force pour s’affirmer. Ce fut le moment où s’imposa son
infériorité. En conséquence, il reconnaît l’existence d’une répression qu’il a
toujours escamotée car, il faut y insister, il ne s’est jamais agi auparavant
d’un sentiment social opprimé qui vit en nous. À partir de là son exaltation
tombe, et il entre dans la consolation: «Il y a lieu d’espérer…». Il expose
ensuite l’essence de son réformisme: comprendre et enseigner aux autres, fondé
sur la perception que: «L’homme sait beaucoup plus qu’il ne comprend». Il
manifeste également son impuissance, sa réduction à comprendre parce qu’il faut
attendre, parce que, pour le moment, il ne peut avoir une efficience. On
comprend pour masquer une impuissance, pour refouler. Plus exactement, dans
beaucoup de cas, comprendre c’est refouler.
Le sentiment social
opprimé qui vit en nous et essaye de percer, c’est la métaphore de l’être
originel qui désire être accepté. Pour y parvenir il aspire à renforcer chez
les autres le sentiment social, de communion humaine. Il faut mettre les autres
en situation d’acceptation, cela revient à sauver les autres pour être sauvé!
La finalité psychique a une dimension sotériologique. La psychologie d’A. Adler
est une téléologie. «Et ce que Hildebrandt a dit de la psyché normale est
encore plus vrai de la psyché nerveuse: “Le grand être qui nous entoure et nous
pénètre est traversé par un grand avenir qui tend vers l’être parfait”»[172].
Là se manifeste une profonde différence d’avec S. Freud. Celui-ci accorda
l’importance essentielle aux données originelles, A. Adler au but final, ce
qui, nous y insistons, lui permit de court-circuiter le refoulement. «Le rôle
insignifiant que le substratum originel joue dans la formation du caractère
nous est encore prouvé par le fait que la fiction directrice ne réunit, pour
les grouper et les unifier, que les éléments psychiques utilisables, que les
aptitudes et souvenirs qui s’harmonisent avec le but final»[173].
«Si le névrosé souffre,
ce n’est pas parce qu’il est obsédé par ses réminiscences. Au contraire, c’est
lui-même qui crée ces réminiscences»[174].
En affirmant cela, il
rejoint, en partie, la théorisation de S. Freud à propos des souvenirs écrans,
recouvrants, et il anticipe sur la théorisation des faux souvenirs,
théorisation qui est utilisée pour nier le revécu opéré dans diverses thérapies
comme celle du primal.
La recherche d’un sens
est une recherche ontosique qui s’impose du fait de la coupure originelle de la
continuité. C’est essayer de combler le hiatus opéré par cette dernière et, en
même temps, du fait du désarroi induit en l’individu, c’est chercher une
signification à tout ce qui se manifeste du fait de la perte de toute
immédiateté. Chercher un sens c’est tenter de remettre en mouvement ce qui a
été figé par suite du traumatisme, ce qu’A. Adler a intuitionné en parlant de
mouvement figé. Tout est support pour donner un sens. C’est le germe de la
conduite superstitieuse.
Pour A. Adler il n’y a
pas de séparation nette entre normalité et névrose. Par là, il a d’une certaine
façon, tout comme S. Freud, perçu inconsciemment l’ontose. En toute femme, en
tout homme, la névrose existe à l’état potentiel. En conséquence l’explication
qu’il donne des névroses fait appel aux trois «piliers» dont nous avons parlé.
«Les défectuosités
constitutionnelles et autres états analogues de l’enfance font naître un
sentiment d’infériorité qui exige une compensation dans le sens d’une
exaltation du sentiment de personnalité. Le sujet se forge un but final,
purement fictif, caractérisé par la volonté de puissance; but final qui
acquiert une importance extraordinaire et qui attire dans son sillage toutes
les forces psychiques. Né lui-même de l’aspiration à la sécurité, il organise
les dispositifs psychiques en vue de cette sécurité et se sert principalement
du caractère névrotique et de la névrose fonctionnelle. La fiction dirigeante
est construite d’après un schéma simple et infantile et affecte d’une manière
particulière le mode d’aperception et le mécanisme de la mémoire»[175].
Les troubles psychiques
et les névroses dérivent d’un défaut de la compensation et d’une défaillance du
sentiment social. Cette défaillance fait qu’il n’y a plus selon A. Adler de
contre-fiction, donc de rétroaction; d’où il s’opère une autonomisation, qui
constitue un échappement en lequel la névrose devient de plus en plus
puissante. Toutefois, il n’a pas mis en évidence le phénomène d’autonomisation,
bien qu’il l’ait approché. «Avec l’apparition du sentiment d’insécurité et
d’infériorité et à mesure que l’individu s’abstrait de la réalité, la
contre-fiction diminue de valeur à ses yeux, recule à l’arrière-plan, pour
céder aux dispositions névrotiques, au caractère nerveux, au sentiment exagéré
de la personnalité»[176].
L’autonomisation commence par le phénomène d’abstraction, d’arrachage de la
réalité. Ensuite ce qui s’autonomise échappe aux déterminations qui président à
sa genèse. À ce propos il n’a pas perçu le phénomène au niveau de l’humanité,
le développement énorme du désir de puissance, une folie de l’espèce.
«Maintenant nous voyons
ce qu’est en réalité la névrose: un essai d’éviter le plus grand mal, un essai
de maintenir à tout prix l’apparence de la valeur, tout en désirant arriver à
ce but sans payer de frais»[177].
«La névrose est
l’exploitation automatique de symptômes nés par un effet de choc, mais
soustraits à la compréhension du malade. Cette exploitation caractérise surtout
les sujets qui craignent trop pour leur prestige et qui déjà dans leur enfance,
le plus souvent en tant qu’enfant gâté, ont été attirés sur cette voie de
l’exploitation»[178].
Le discours du névrosé,
selon A. Adler, peut se résumer en cette formule: je suis plus que cela, mais
vous me limitez à ça, qui traduit bien ce qu’il a pensé de lui-même, lorsqu’il
était petit enfant et qu’adulte il a continué à penser. Ce discours révèle bien
que ce qui a permis au premier à sousvivre et survivre devient un obstacle au
développement de l’adulte, et ceci est valable pour tous. Et c’est tout à fait
logique qu’il écrive: «Et sa névrose, c’est-à-dire ce que nous entendons par
névrose, à savoir l’exacerbation des prédispositions infantiles…»[179].
Mais ceci au lieu de conduire A. Adler sur la voie de la mise en évidence de la
répression parentale, l’amène à faire porter à l’enfant la responsabilité de la
névrose.
Nous avons vu, dans
diverses citations, que selon la conception adlérienne, l’individu normal ou
névrosé, au cours de son développement se sert, utilise, exploite,
instrumentalise ce qui est à sa disposition, en lui-même, dans son
environnement, pour réaliser son style de vie, pour effectuer sa volonté de
puissance. Par là il décrit son parcours ce qui implique qu’au départ il ne
remette rien en cause du monde en place, du fait même qu’il entérine la
séparation. Il ne fait que compenser c’est-à-dire accepter tels quels les
fondements de la société et je dirai de l’ontose, compenser pour annihiler son
inquiétude qui lui apparaît comme constitutionnelle. À l’aide de citations plus
ou moins commentées, je vais exposer la réalité de ce qui est avancé.
La société, répétons-le,
est acceptée en tant que telle. Il parle de défectuosités de la culture comme
nous l’avons cité précédemment. À la limite le comportement de l’individu
devrait être celui d’utiliser celles-ci en les retournant grâce à sa volonté de
puissance, opérateur fondamental de la compensation.
«L’écorce terrestre, sur
laquelle nous vivons, oblige l’humanité au travail et à la division du travail»[180].
«La division du travail est un facteur absolument indispensable au
maintien de la société humaine. Elle implique pour chacun l’obligation de
remplir sa place en un certain lieu»[181].
Belle expression de l’intériorisation de la répression; ainsi que du rapport
social de la société où il vécut, encore dominée par la hiérarchie. On a
l’affirmation sous une autre forme de ce qui était écrit sur le temple de
Delphes: connais-toi, toi-même; c’est-à-dire que chacun doit connaître sa place
dans le corpus social et ne pas essayer d’en sortir. Le contenu
social-conformiste de cette phrase reprise par Socrate a été mise en évidence
par George Thompson.
«Mais personne n’est
pourvu d’une compréhension suffisante au point de pouvoir porter de lui-même un
jugement correct. C’est pourquoi il faudrait confier cette question à des
psychologues experts»[182]
«L’homme doit apprendre à
vaincre la nature pour se servir d’elle»[183].
Cette représentation de
la dynamique de vie permet d’affirmer que tout trouble psychique d’un individu
est lié à une mauvaise utilisation des éléments de son entourage, ce qui du
même coup enlève toute responsabilité aux parents et empêche évidemment de
percevoir la répression parentale. «Ou bien il peut en résulter des
récriminations contre la famille, ce qu’il faut également prévoir pour faire
comprendre d’avance au malade que sa famille n’est responsable que tant qu’il
la rend responsable par sa conduite et qu’elle sera immédiatement libérée de
toute responsabilité, dès qu’il se sentira guéri. De plus, il faut bien
expliquer au malade qu’il ne peut exiger de la part de son entourage plus de
savoir qu’il n’en possède lui-même et que c’est sous sa propre responsabilité
qu’il a utilisé les influences de son entourage comme éléments pour développer
son style de vie erroné. Il est aussi utile de mentionner que les parents, au
cas où ils seraient fautifs, pourraient en rejeter la responsabilité sur leurs
propres parents, ces derniers sur leurs grands-parents, etc.; il n’existe donc
pas de faute, du moins dans le sens que le malade attribue à ce mot»[184].
A. Adler veut dire que s’il y a faute c’est dans le sens d’erreur. Mais il n’y
a pas de faute et cela en aucun sens. Toutefois, il y a bien responsabilité, au
sens causal du terme, des parents, et la répression parentale se transmet de
génération en génération, depuis que l’espèce a abandonné un devenir naturel.
C’est dans cette
affirmation que se manifeste au mieux l’acceptation complète du monde en place
et de tout le devenir dont il est le produit. Ceci nous explique que bien qu’il
préconise d’accorder de l’importance aux enfants, de les traiter correctement,
refusant les punitions etc. il entérine bien des représentations
traditionnelles à leur sujet, comme celle de l’enfant agresseur. «C’est dans
les privations temporaires et les sensations de malaise des premières années
d’enfance qu’il faut chercher le point de départ, la source d’un certain nombre
de traits de caractère, très généraux, qui font de l’enfant un agresseur»[185].
Donc, en reprenant notre
thème, si on accepte on utilise; phénomène qu’on a déjà vu. Cependant il
convient de revenir sur le fondement utilitariste de la théorie d’A. Adler en
reportant quelques citations de L’utilitarisme
de John Stuart Mill, qui montrent la parenté de pensée entre les deux hommes.
«Incontestablement, l’être dont les facultés de jouissance sont d’ordre
inférieur, a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites;
tandis qu’un être d’aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu’il
peut viser, quel qu’il soit – le monde étant comme il est fait – est un bonheur
imparfait».
«Être vertueux, selon la
morale utilitaire, c’est se proposer d’accroître le nombre des heureux…».
«Mais ce sentiment (sentiment) naturel puissant qui doit
nous servir de base, il existe, et
c’est lui, dès que le bonheur général est reconnu comme idéal moral, qui
constitue la forme de la moralité utilitariste. Ce fondement solide, ce sont
les sentiments (feelings) sociaux de l’humanité; c’est le désir
de vivre en bonne harmonie avec nos semblables».
Enfin celle-ci où nous
trouvons également une parenté avec la pensée freudienne. «La doctrine qui donne
comme fondement à la moralité l’utilité ou le principe du plus grand bonheur,
affirme que les actions sont bonnes (right)
ou sont mauvaises (wrong) dans la
mesure où elles tendent à accroître le bonheur, ou à produire le contraire du
bonheur. Par “bonheur” on entend le plaisir et l’absence de douleur; par
malheur (unhappiness), la douleur et
la privation du plaisir»[186].
À l’utilité s’ajoute la
dimension de la praticité, c’est-à-dire de la possibilité d’utiliser à cause de
la commodité. C’est l’expression et la justification d’une conventionnalité qui
est proche de ce qui est théorisé dans le pragmatisme et qu’on retrouve chez
certains épistémologues. Cela revient à dire que pour sousvivre et survivre
l’individu recourt à des expédients.
«Si l’homme sain se sert
de fictions, c’est uniquement à cause de leur utilité pratique, parce qu’elles
lui fournissent un point de départ commode pour aborder la réalité et la vie»[187].
«Nous ne pouvons nommer
morale et éthique que ce qui est utile à la communauté. […] Pour établir les
formes utiles à la société, nous nous servirons des mêmes mesures. Nous ne
pouvons reconnaître comme valables que celles qui se placent sur le plan de
l’utilité générale». Dès lors on comprend fort bien qu’il déclare: «ce qu’un
individu dit ou pense de lui-même est absolument sans importance, nous ne
pouvons en faire aucun cas. Nous ne pouvons apprécier que les actes» [188].
Au fond n’est valable que
ce qui est effectuable donc ce qui peut être mis en pratique, intervenir dans
une praxis. D’où, inversement, ce qui apparaît comme réel est ce qui peut
relever d’une pratique. En conséquence peu importe ce que pense l’individu, ce
qui compte c’est ce qu’il met en pratique et ceci s’opère à travers des actes.
En affirmant cela A. Adler retrouve une formulation de K. Marx. Nous avons déjà
relevé cette occultation de la subjectivité ou, plus exactement, de
l’individualité, chez ce dernier. Mais c’est encore plus grave en ce qui
concerne le premier. Cela indique qu’il ne dut pas être souvent à l’écoute de
ses patients, ou que ceux-ci le mimèrent trop. Il entérine le discours
parental, tenu à l’enfant, où il est dit: je te juge à tes actes, je ne tiens
pas compte de ton discours. Or ce que l’individu pense de lui-même est très
important à connaître pour justement percevoir les données de son ontose,
l’acuité de sa souffrance. Le refus de tenir compte de cette pensée de l’autre
cache probablement la peur de ne pas pouvoir faire le lien entre celle-ci et
les actes, peur d’être égaré par le discours de l’autre, peur d’une remontée
que celui-ci peut induire.
À l’utilitarisme, au
pragmatisme, s’ajoute l’instrumentalisme. Celui-ci opère dans le comportement
des individus entre eux, mais aussi d’une façon pour ainsi dire sublimée, pour
renforcer le progrès, donc le bien être commun. Dans ce cas, hommes, femmes,
enfants, sont réduits à l’état d’objets vis-à-vis d’une entité, le progrès
social.
«Je pense que le résultat
des observations de la psychologie individuelle est le suivant: notre tâche
doit être de nous développer nous-mêmes ainsi que nos enfants pour devenir les
instruments du progrès social»[189].
Nous tenons compte de ce
qu’il pense; mais que s’est-il produit au sein de la société? Dans une aire
géosociale donnée, l’activité des hommes et des femmes a engendré le capital
qui, au départ, est un rapport social. Il fut un objet pour la classe
bourgeoise puis capitaliste. Toutefois la mystification fit qu’il put
apparaître en tant que tel également aux ouvriers et aux paysans, et il le
devint. En conséquence, il s’imposa comme un objet de l’espèce. Ultérieurement,
à travers le procès d’anthropomorphose, il devint sujet. Dès lors tout homme,
toute femme, est instrumentalisé(e) pour contribuer à son développement et le
rapport d’exploitation est escamoté. Lors de la prise en compte des
psychanalystes théoriciens de l’objet[190],
je reviendrai plus amplement sur cette question.
Cette théorisation est
celle d’un homme que W. M. Johnston définit ainsi: «Ce self-made man qui n’eut aucun scrupule à jouer de la Protektion ou à en recueillir les fruits
se distingua par son allant et un tempérament brutal»[191].
Toutefois je sens une certaine charge de cet auteur sur A. Adler dont il
présente parfois imparfaitement l’oeuvre. «Adler prétendait extirper la névrose
en éveillant la volonté de puissance. Freud écarta ce volontarisme comme une
forme de couéisme, laissant entendre qu’elle ouvrait à la petite bourgeoisie
les voies de l’accomplissement-de-désir»[192].
Or, pour soigner les névroses, A. Adler cherchait surtout à renforcer, ou même
à éveiller le sentiment de communauté insuffisamment développé chez le névrosé,
ce qui l’empêchait d’assurer sa fonction de contre-fiction. En revanche le
reproche de volontarisme que lui fit S. Freud est justifié. Les réformateurs,
comme le nota A. Bordiga, sont des volontaristes et il nia en être un. Le
couéisme – qui anticipe sur la pensée positive – est une forme
d’autosuggestion. Mais S. Freud n’en fut-il pas victime au cours de son
auto-analyse et ne recourait-il, au moins inconsciemment, à la suggestion
lorsqu’il effectuait une analyse?
Son acceptation de la
société fait qu’il entérine les rapports sociaux et s’en sert d’opérateurs.
Ainsi la femme est placée dans une situation d’infériorité dans la société;
d’où le féminin représente l’inférieur, il en est l’équivalent, voire le
synonyme. En conséquence la compensation consiste à vouloir être un homme.
C’est la protestation virile qui, quoi qu’en dise S. Freud n’a rien à voir avec
la sexualité. Elle s’impose évidemment chez l’homme et est liée à la volonté de
puissance, mais aussi chez la femme. «Les avantages que présente la nature
masculine exercent une grande et séduisante attirance. On ne sera pas surpris
de rencontrer souvent des jeunes filles qui se donnent comme ligne
d’orientation un idéal masculin…»[193].
Il est significatif qu’il ne limite pas son discours à une donnée sociale, mais
qu’il donne un fondement naturel à la supériorité masculine. Ceci n’empêche pas
qu’il considère l’infériorité de la femme comme un préjugé, mais ceci
s’effectue au niveau conscient, à celui du discours théorique. Inconsciemment
il persiste à vivre l’infériorité de la femme, ce qui s’enracine dans tout son
vécu et particulièrement dans le rejouement fondamental d’une compensation à
laquelle il n’a pas fait allusion: pour contrebalancer la toute-puissance de la
mère, l’homme pose la femme comme inférieure à lui. Cette dernière ne peut pas
opérer de la même façon, mais elle a elle aussi peur de la mère et manifeste
également une tendance à vouloir compenser sa toute-puissance. D’où, souvent
son ambiguïté face au discours du mâle. Du fait de la non remise en cause de la
répression parentale et de la coupure d’avec le reste de la nature, A. Adler
est amené, là encore, à souhaiter une amélioration: une éducation plus adéquate.
«Ce qu’il faut que la culture nous procure au plus tôt, ce sont des modes
d’éducation féminine, qui produisent une meilleure réconciliation avec la vie»[194].
La culture est élevée au rang de démiurge ce qui le remet dans la dépendance et
la minorité.
Étant donnée sa position
réformiste A. Adler, plus qu’un thérapeute, est un éducateur[195].
Le final de Le sens de la vie, qui a
été reporté (p. 43), l’exprime de façon adéquate. Éduquer est l’activité à
laquelle il est pour ainsi dire condamné en attendant que la société idéale se
réalise. Éduquer c’est attendre et compenser. «La tâche qui s’impose à
l’éducateur, à l’instituteur, au médecin, au conseiller psychologique est la
suivante: augmenter le sentiment social et par là renforcer le courage de
l’individu…»[196].
«Or le vrai sens de la
vie se révèle dans la résistance que rencontre l’individu lorsqu’il agit d’une
façon erronée. Le problème de l’enseignement, de l’éducation et de la guérison
est de jeter (ou de raccorder) un pont entre ces deux données: sens réel de la
vie et action erronée de l’individu»[197].
Pour compenser il faut
d’abord comprendre, d’où l’importance de la connaissance qu’il a exposée dans Connaissance de l’homme et qu’il affirme
fortement.
«La technique de la
psychologie individuelle pour l’exploration du style de vie doit donc supposer
en premier lieu une connaissance des problèmes de la vie et de leurs exigences
vis-à-vis de l’individu»[198].
Dans le cas du très jeune
enfant il y a des difficultés. «Quant à savoir comment l’impulsion à la puissance, ce mal le plus lancinant pour la
culture humaine, peut être affrontée et activement retournée[199]
de la manière la plus profitable, la difficulté provient de ce qu’à l’époque où
cette tendance apparaît, il est malaisé de s’entendre avec l’enfant. […] Autre
difficulté: les enfants ne parlent pas ouvertement de cette impulsion; ils la
dissimulent et c’est secrètement qu’ils cherchent à la mettre en oeuvre, sous
le couvert de leur bonne volonté et de leurs sentiments affectueux»[200].
Mais l’existence d’une
perfectibilité permet de trouver une solution. «Dans ces simples conditions,
dans cette tendance de l’enfant à surmonter son état de faiblesse, ce qui à son
tour déclenche l’incitation à développer une foule de capacités, se trouve
fondée la possibilité de l’éducation»[201].
Ainsi s’impose une
perspective illuministe: il faut sortir d’un état de minorité, et il n’y a que
des erreurs dues à un défaut de connaissances, de lumières. «Punir n’a aucune
utilité, le style de vie est fixé après la quatrième ou cinquième année
d’existence et ne peut être modifié que par l’autoreconnaissance par le sujet
de ses fautes et de ses erreurs. Que peut-on changer par la parole? Uniquement
des erreurs»[202].
Toutefois il y a un petit
flottement. Pourquoi, en effet, parler de fautes si elles ne sont que des
erreurs? Il est difficile à A. Adler de refouler totalement un sentiment de
culpabilité, composante de l’ontose. Ceci n’enlève rien à la grande positivité
de son comportement vis-à-vis des enfants qu’il tend à accepter en tant qu’êtres.
Mais il est difficile de ne pas rejouer quelque peu, comme cela apparaît avec
son besoin de contrôler.
Mais que signifie
comprendre? C’est finalement admettre pour refouler. L’adulte porte un masque
de compréhension derrière lequel il y a l’enfant meurtri. De même, avoir du
caractère c’est masquer notre réalité enfantine, l’enfant qui a été bloqué dans
son devenir naturel. Au fur et à mesure que l’ontose s’est édifiée, amplifiée,
il a fallu produire divers systèmes de compréhension qui, avec l’ensemble des
théories justifiant le devenir hors nature et visant à sécuriser Homo sapiens, constituent le procès de
connaissance. Dit autrement, la connaissance est en grande partie utilisée pour
refouler.
«Éduquer, dans le sens le
plus large du mot, signifie donc, non seulement laisser agir des influences
favorables, mais aussi contrôler exactement ce que le pouvoir créateur de
l’enfant en tire, pour ensuite, en cas de création erronée, aplanir la voie
pour l’amélioration»[203].
Éduquer pour améliorer,
réformer, c’est ne pas aller à la racine des choses, c’est se satisfaire d’une
connaissance, d’une compréhension qui permettent de construire, d’édifier
par-dessus un vécu inconscient, mais qui tend par le phénomène de la remontée à
parvenir à l’achèvement du procès, c’est-à-dire à devenir conscient. C’est
pourquoi l’oeuvre d’A. Adler nous apparaît, particulièrement en ce qui concerne
Le sens de la vie, comme un traité du
savoir-vivre dans le monde qu’il connut; traité qui implique la mise en
évidence des droits et des devoirs, comme fondements de la vie sociale. D’où
l’intégration de la séparation.
Savoir-vivre c’est savoir
s’adapter en utilisant sa volonté de puissance, c’est connaître le catalogue
des erreurs afin de pouvoir les éviter ou y remédier. Par sa caractérologie,
tout particulièrement, il fait penser à La Bruyère, Vauvenargues, La
Rochefoucauld qu’il cite d’ailleurs, Georg C. Lichtenberg etc. On pourrait
également trouver des équivalents dans l’aire chinoise, et ailleurs. Je
voudrais à titre d’exemple citer quelques aphorismes des aphoristes viennois,
ses contemporains. Tout d’abord de Hugo von Hofmannsthal: «L’anthropocentrisme
est aussi une forme de chauvinisme. […] Où trouver son moi, toujours dans la
fascination la plus profonde que l’on a éprouvée»[204].
De Richard von Shaukal:
«Qu’est-ce que le bonheur? Être libéré du désir. […] L’homme domine les
éléments depuis qu’il a perdu tout contact avec eux. […] Nul ne sait à quoi il
ressemble: le miroir ne donne jamais, à celui qui s’y observe, que l’image de son
regard»[205].
De Marie von
Ebner-Eschenbach: «Les pires maladies ne sont pas les maladies mortelles, mais
les maladies incurables»[206].
Incurables, avec lesquelles on est condamné à vivre. On pourrait gloser en
disant: ce sont des maladies dont l’issue n’est pas la mort, mais la vie. Elles
sont donc vivifiantes mais elles entraînent la nécessité du médecin permanent
ce qui, d’une certaine façon, est exprimé dans l’aphorisme de Karl Kraus: «La
psychanalyse est cette maladie mentale dont elle prétend être le remède»[207].
En même temps que le sarcasme, est exprimé quelque chose d’exact qui prouve
qu’il avait profondément senti ce qu’avait exposé S. Freud et qu’il en avait
été vivement touché. La psychanalyse est l’expression d’une ontose qui est la
base même de la maladie mentale. Elle est à la fois mise en évidence, sans la
découvrir, de l’ontose et la tentative de l’éliminer. On peut la percevoir
comme l’analogon de la mère. En effet du fait qu’elle cause, par sa non
acceptation de la naturalité de l’enfant, la rupture de continuité où s’origine
l’ontose, elle est simultanément fondée en tant que cause de troubles et en
tant qu’être thérapeutique.
Quand la voie de la
radicalité, c’est-à-dire de la recherche de la racine de ce qui trouble
l’espèce, le mal, est abandonnée ou non empruntée, s’impose alors la tendance
soit de tout rejeter (nihilisme) soit de faire avec, d’utiliser, réformer. Le
programme réformiste consiste, bien souvent, à proposer un traité de
savoir-vivre et tous les moralistes ont une dimension réformiste. En effet la
morale, qu’elle soit d’Aristote, d’Immanuel Kant, de Theodor W. Adorno, est un
traité de savoir-vivre (toujours en fait sousvivre et survivre), de
devoir-vivre.
Pour redonner la parole à
A. Adler, voici une citation de Connaissance
de l’homme qui exprime, d’une part, l’escamotage de l’essentiel, d’autre
part, l’essence du réformisme: réformer c’est escamoter. «C’est pourquoi il
importe de placer déjà le nourrisson dans des conditions ne permettant pas
aisément de donner essor à une fausse conception de la vie»[208].
L’escamotage produit un hiatus qui est masqué par la morale: grâce à des règles
il est possible de rétablir une continuité artificielle qui s’exprime bien dans
le rôle social. Réformisme et morale vont de pair. «Il faudra rechercher s’il
tient son rôle social ou au contraire s’il hésite à le tenir…»[209].
C’est là que s’affirme pleinement l’influence d’I. Kant dont A. Adler reprend
l’impératif catégorique. «[…] c’est ainsi que la formule de l’impératif
catégorique kantien s’applique à l’ensemble du caractère, puisqu’elle exige que
dans chacune de ses actions chacun se comporte comme si les mobiles qui le
guident devaient être élevés à la dignité d’une maxime générale»[210].
«[…] je considérerai
comme justifiée toute tendance dont l’orientation fournit la preuve irréfutable
qu’elle est guidée par le but du bien-être de l’humanité entière. Je
considérerai comme erronée toute tendance qui contredit ce point de vue ou dans
laquelle ce point de vue est vicié par la formule de Caïn: “Pourquoi dois-je
aimer mon prochain?”»[211].
Nous avons vu quelques
analogies entre la démarche d’A. Adler et celle de S. Freud. En voici une
autre. Ce dernier a été mis en présence de la théorie du traumatisme et celle
du fantasme comme cause des troubles psychiques. Il opta en définitive pour la
deuxième. A. Adler a perçu les méfaits causés aux enfants et a dénoncé le fait
de les gâter. Il opta pour une théorie utilitariste où finalement les enfants
présentent des défauts. Voyons de prés ce qu’il expose au sujet des torts faits
à leur sujet. «C’est même constamment qu’on attire l’attention de certains
enfants sur leur faible importance, leur petitesse, leur infériorité. D’autres
sont traités comme des jouets, des divertissements; ou bien on les regarde
comme une propriété à conserver très particulièrement. […] on fait sentir à
l’enfant qu’il est là pour satisfaire ou pour mécontenter les adultes. Le
profond sentiment d’infériorité ainsi cultivé chez les enfants peut encore
subir un renforcement vu certaines caractéristiques de notre existence. En fait
partie l’habitude de ne point prendre les enfants au sérieux, de signifier à
l’enfant qu’il n’est proprement personne, qu’il ne possède aucun droit, qu’il
doit toujours faire place aux adultes, s’effacer devant eux, qu’il lui faut
garder le silence et ainsi de suite. […] En outre, un certain nombre d’enfants
grandissent sans cesser de craindre que tout ce qu’ils font ne soit tourné en dérision. La fâcheuse habitude
de se moquer des enfants s’avère on ne peut plus préjudiciable à leur
développement»[212]. Il
dresse un catalogue, incomplet, des mauvais traitements infligés aux enfants de
la part des parents sans se poser la question du pourquoi de comportements
aussi aberrants. C’est compréhensible car cela l’entraînerait dans une recherche
causale qu’il refuse consciemment pour une raison inconsciente: cela le
mettrait en présence d’une trop grande souffrance. Là aussi il opère comme S.
Freud. Dès lors il va faire endosser à l’enfant la responsabilité de ce qu’il
subit, en déclarant, par exemple, qu’il a un besoin excessif de tendresse. Cela
recoupe son idée, déjà citée, que: «L’enfant ne prend aucune responsabilité».
Une autre analogie est la
volonté de fonder leur psychologie sur une base biologique laquelle finalement
va servir à escamoter le phénomène essentiel de l’ontose causée par la
répression parentale. Pour A. Adler la question est évidente, étant donné le
rôle de l’infériorité organique et du phénomène de compensation réalisée grâce
au système nerveux. À ce propos il est intéressant de noter que les partisans
de l’hygiénisme, comme H. Shelton, accordent eux aussi une très grande
importance à ce système, plus particulièrement à l’énergie nerveuse qui n’est
jamais clairement définie. En revanche son rôle est de permettre l’élimination.
Autrement dit, cette énergie compense la toxémie. Ce n’est que lorsqu’elle est
insuffisante qu’il y a maladie qui est une crise d’élimination qui, si elle
n’est pas contre-carrée par l’intervention médicale, assure l’autoguérison. Ce
faisant les hygiénistes escamotent en très grande partie la dimension psychique
de toute maladie. Leur escamotage n’est possible que parce que leur théorie est
adéquate à ce qui se produit, mais elle est parcellaire. La théorie de la
compensation permet à A. Adler d’escamoter la répression parentale. Or, cette
théorie a comme support biologique le concept d’homéostasie, du maintien de
l’équilibre. Nous avons vu que pour lui le but de l’espèce est de parvenir à
une société idéale où s’imposera un équilibre éternel. Ce concept d’homéostasie
a été critiqué et certains théoriciens lui ont préféré celui d’homéorhésie où
l’idée de statique est remplacée par celle d’écoulement et donc de mouvement.
D’autres sont allés plus loin et ont violemment critiqué le concept, ainsi Ludwig
von Bertalanffy, fondateur de la théorie des systèmes, qui rapproche ce dernier
de la théorie de la stimulation-réaction, ce qui le conduit à affirmer ceci:
«La psychologie américaine de la première moitié du XXe siècle était dominée par le concept d’organisme
réactif, ou plus dramatiquement par le modèle de l’homme-robot. Toutes les
grandes écoles américaines de psychologie admettaient cette conception, qu’il
s’agisse du béhaviorisme et du néo-béhaviorisme, des théories de la formation
et de la motivation, de la psychanalyse, de la cybernétique, du
cerveau-ordinateur, etc.»[213].
Pour comprendre l’inclusion de la psychanalyse dans cette liste, citons ce
passage concernant S. Freud. «Selon Freud l’organisme tend avant tout à
éliminer les tensions et les attaques pour atteindre le repos dans un état
d’équilibre gouverné par le “principe de stabilité” que Freud a emprunté au
philosophe allemand Fechner»[214].
Autrement dit, il expose, pour ensuite le
rejeter, le fondement scientifique que ce dernier a voulu donner à sa théorie
afin, pourrait-on dire, d’être pris au sérieux. Mais en ce qui concerne
l’essentiel de cette dernière, L. von Bertalanffy l’ignore. En effet chaque
fois qu’il parle de l’inconscient freudien il ne fait même pas allusion au
refoulement. «L’inconscient freudien, ou id [c’est-à-dire le ça en anglais, NdA] ne comprend que des aspects
limités; déjà les auteurs préfreudiens avaient fourni une étude plus
compréhensible des fonctions inconscientes»[215].
Cela lui permet de ne pas prendre en compte ce qui remet littéralement tout en
cause et de participer à la vaste entreprise qui commence dès l’époque de S.
Freud: résorber ce moment fondamental de dévoilement de l’ontose, gros
inexorablement de la perception de la répression parentale. D’une certaine
façon tout le développement des sciences humaines a pour but d’éliminer la
découverte du refoulement[216].
En ce sens l’oeuvre de S. Freud subit le même sort que celle de K. Marx.
L’analogie va très loin parce que leurs propres disciples ont participé à cette
oeuvre d’effacement. Nous le verrons dans le cas de C. G. Jung, et d’autres,
comme nous l’avons vu ici chez A. Adler. Je puis aller plus loin et dire que
l’ensemble des oeuvres du mouvement psychanalytique a pour contenu une
occultation du refoulement et que, donc, ce mouvement a opéré, au second degré,
un immense refoulement. En ce qui concerne A. Adler et le fondement biologique
de sa théorie, nous ferons remarquer que bien que psychologue partisan de
l’inconscient, il ne s’est pas posé la question de savoir si l’infériorité des
organes ne pouvait pas avoir une origine psychique, si, par exemple, le refus
d’une grossesse ne pouvait pas avoir de profondes conséquences sur le
développement biologique de l’embryon; ce dont je suis persuadé.
À propos de la théorisation
de l’infériorité, il convient de revenir à son sujet. Elle est l’expression de
la séparation qui mutile. Ce qui a été subi est posé en tant qu’opérateur de
connaissance. On ne peut affirmer l’infériorité de Homo sapiens que si on le prive de sa dimension Gemeinwesen, que si
on pose des individus. Le mode d’être de Homo
sapiens est communautaire. C’est en fonction de cela qu’on doit le comparer
aux autres animaux. De même qu’on doit tenir compte de sa capacité à fabriquer
des outils. Depuis les australanthropes formant ce que je nomme Homo emergens, la production d’ outils
est liée à la lignée humaine. De même l’inachèvement de Homo sapiens à la naissance, n’apparaît en tant qu’infériorité que
du fait de la non réalisation de l’haptogestation. Donc l’inachèvement est
déterminé par le rapport à la mère. Pour l’homme cela engendre en lui la
nécessité de rechercher la femme afin de s’achever. Tel est le contenu de
l’éternel féminin qui nous tire en avant, fondant une recherche de la
perfection dont A. Adler s’est fait l’interprète et que S. Freud interpréta à
sa manière. Pour la femme cette recherche s’effectue en essayant d’être la mère
idéale ce qui lui permet en même temps de s’identifier à son enfant.
Après cette rapide
investigation des analogies[217]
entre les deux psychologues, on peut conclure en affirmant qu’entre eux une
différence importante s’impose. S. Freud apparaît plus profond du fait de sa
recherche de la scène primordiale, A. Adler apparaît plus superficiel dans la
mesure où il fait avec, compense. Ce qui explique qu’il aille plus vite que son
aîné. Il aborde avant lui diverses questions que S. Freud n’affrontera que plus
tardivement, lui fournissant le possible de dire que ce dernier accepte sa
théorie sans l’admettre. La superficialité de l’un et la profondeur de l’autre
s’expriment particulièrement dans le fait que le premier prend pour fondements
de sa théorie surtout les sentiments, le second les pulsions, ce qui,
répétons-le, est en rapport au rôle accordé à l’inconscient. Bien qu’A. Adler considère
que c’est «une production de l’organe psychique, en même temps que le facteur
le plus fort de la vie de l’âme»[218],
il a tendance à minimiser son importance. «Le fait de savoir si le sentiment
d’infériorité est conscient ou non, n’a qu’une importance secondaire»[219].
Ce faisant il a pu exposer une théorie psychologique tenant compte de
l’inconscient, en éliminant ce qui fonde l’existence envahissante de celui-ci:
le refoulement[220].
La représentation
adlérienne nous l’avons vue est fondée sur un utilitarisme, un pragmatisme, ce
qui explique d’ailleurs son affinité avec William James, comme avec John Dewey.
En fait les processus psychiques qu’elle expose sont comparables à ceux que K.
Marx mit en évidence en ce qui concerne les mouvements entre marchandises, lors
de la formation de l’équivalent général. Là aussi la comparaison, la
compensation, la valeur sont déterminantes[221].
Ce dernier concept est particulièrement important au sein de la psychologie
adlérienne. «La loi fondamentale de ces deux formes de vie, veille et sommeil,
est: ne pas laisser sombrer le sens de la valeur du “moi”»[222].
Cette valeur est toujours
estimée par comparaison avec les autres (hommes, femmes, enfants) et avec la
fiction, le but idéal qui opère en quelque sorte comme un équivalent général.
Ainsi il ne fut pas effectivement contemporain avec le monde où il vécut qui
était dominé par le phénomène capital. Autrement dit cela signale ce qu’en
termes marxistes on nommait un retard de la conscience. Mais, en fait, en
conservant cette terminologie, je puis dire qu’il y avait également un retard
de l’inconscient. A. Adler et la majorité de ses contemporains opérèrent encore
sous le choc du traumatisme de la valeur et à l’aide des schémas qui
s’établirent en réaction à son devenir horizontal, devenir où elle tend à
s’autonomiser des hommes. La persistance en Autriche-Hongrie de la forme
autonomisée du féodalisme, avec son unité supérieure contribua à la production
de ce retard. Chez A. Adler l’importance de la hiérarchie se retrouve dans sa
théorisation sur l’infériorité et la supériorité. En outre utilitarisme,
pragmatisme, de même que le kantisme dont il subit l’influence, sont des
théorisations qui fleurissent en période de domination superficielle du capital
sur la société, moment où hommes et femmes peuvent encore croire qu’ils peuvent
utiliser le progrès à leur profit, tant dans sa dimension matérielle que
spirituelle, et en tant qu’opérateur de connaissance, critère de justification
du pragmatisme. Dans l’empire austro-hongrois coexistaient divers schémas
cognitifs apparus à des moments différents du devenir de l’espèce et dont le
devenir du capital de la domination superficielle à la domination substantielle
sur la société allait éliminer les plus anciens.
Progresser c’est sortir
de l’infériorité, pour les philosophes des lumières c’était sortir de la
minorité, devenir adulte. Toutefois le progrès continu implique une tension
permanente à laquelle, A. Adler voudrait échapper, en conséquence il pose les
valeurs sous le signe de l’éternité. «Ce que nous appelons le beau doit avoir
une valeur d’éternité pour la communauté»[223].
L’éternité est un support pour placer son désir de parvenir à un équilibre
stable, non remis en cause. Là il se différencie de S. Freud, comme il le
signale dans une note. «Freud parle à ce propos [de “la tendance à
l’équilibre”, NdA] du “désir de mort”
qui, certes, ne représente qu’une des nombreuses possibilités de rétablir
l’équilibre, la parité»[224].
Toutes les solutions
proposées par A. Adler pour le devenir de l’espèce sont placées sous le signe
de l’éternité. Or la valeur ne peut pas parvenir à l’éternité, ce que réalise
le capital, ce qui rend totalement obsolète la théorisation adlérienne.
La préoccupation de
parvenir à une résolution éternelle des difficultés fut une caractéristique de
la pensée bourgeoise, par exemple la recherche des conditions pour la
réalisation d’une paix perpétuelle. Là encore il y a un retard de la pensée
théorique par rapport au devenir social. Ceci exprime également à quel point la
pensée d’A. Adler est une pensée bourgeoise. Elle en présente souvent les
traits négatifs du philistinisme et de la platitude.
Une psychologie à
dimension sociale pouvait être envisagée tant que le capital n’était pas
parvenu à dominer pleinement tout le procès de vie de l’espèce. Elle postulait
que l’individu pouvait trouver réconfort, guérison grâce à la société qui pour
qu’elle puisse réaliser correctement cette fonction devait être réformée.
Désormais le capital dans son anthropomorphose s’est constitué en communauté et
la société est devenue la société-communauté du capital. De ce fait s’impose la
tendance à recourir à des organisations factices, factuelles, comme les groupes
de thérapie afin de rédimer la personne et, ce qui est important, y recourent
non seulement les malades mentaux mais ceux qui apparaissent normaux qui
perçoivent l’immense malaise qui les habite, ce qui prouve que l’ontose est de
plus en plus perçue. Ces divers groupes opèrent pour libérer des émotions
pénibles du passé, déconditionner en quelque sorte le patient, l’être en
souffrance, afin qu’il puisse emprunter une autre voie. Mais déconditionner
comme le voulait également R. Hubbard ou le veulent les adeptes de la
programmation neurolinguistique, ou ceux de la pensée positive[225],
ne peut pas libérer l’homme, la femme, de l’ontose parce que c’est rester sur
le terrain même de celle-ci, donc sur celui de la répression parentale et du
capital. Toutes ces thérapies ne considèrent pas que l’essentiel c’est le
revécu de l’horreur de cette répression à un moment où il est impossible de
pouvoir la comprendre, en saisir le sens, et l’affronter, ce qui a provoqué un
vaste traumatisme qui se traduit par un inachèvement du développement de l’être
originel.
Précisons encore:
déconditionner implique que l’individu a été conditionné, dressé à l’aide de
réflexes conditionnés, ce qui implique une passivité de l’enfant qui ne ferait
que subir un conditionnement. Or, ce n’est vrai qu’en partie. L’enfant pour
sousvivre et survivre est poussé à créer son ontose. C’est là où A. Adler a vu
juste lorsqu’il parle de création de fictions tant pour les individus normaux
que pour les névrosés, et qu’il affirme que la névrose est une création. Si par
conditionné on veut simplement dire qu’on vit sous condition, il convient alors
de mettre en évidence qu’elle est la nature de celle-ci. Il est possible, à mon
avis, d’accepter cette interprétation. On peut dire que l’on ne peut vivre qu’à
la condition de se plier à la répression parentale. Cette prise de position ne
peut être que le début d’une investigation, car il faut alors déterminer quels
sont les effets de cette dernière sur le développement de l’individu depuis sa
conception. Se libérer d’un tel conditionnement afin d’émerger, nécessite un
revécu du traumatisme, ce qui permet, à l’aide des données acquises par
l’adulte, de rendre conscient un phénomène incompréhensible à l’enfant ou le
foetus, et qui fut refoulé, donc rendu inconscient, du fait de sa charge énorme
de souffrance. Opérer ainsi n’est pas déconditionner, mais abandonner la
dynamique de vie génératrice d’ontose.
Une psychologie à
dimension sociale est une psychologie de l’adaptation au milieu social, au
monde en place. Or, s’adapter à ce dernier c’est s’adapter à l’ontose qui
désormais transcroît en folie, car ce que produit l’espèce est objectivation,
concrétisation de son ontose. L’ensemble des productions matérielles ou
immatérielles constitue en même temps un support pour la dire. En refusant
l’adaptation, les jeunes depuis la fin des années cinquante jusqu’à la fin des
années soixante et dix, avec l’acmé de Mai-Juin 1968, ont tendu à désaccoupler
la manifestation individuelle de celle sociale, collective de l’ontose,
c’est-à-dire la spéciose. Ce désaccouplement permit d’amplifier son
dévoilement, comme nous le verrons dans la suite de cette étude. (à suivre)
Jacques
CAMATTE
Avril 2000
[1] Il ne vise pas seulement la
psychologie en tant que science mais le fait que les gens du XIXe siècle se sont beaucoup occupés de leur
fonctionnement psychique à l’aide de l’introspection et la vogue des journaux
intimes. Mais même ceux qui ne furent pas des psychologues lui accordèrent
beaucoup d’importance en tant que science. Grâce à elle ils pensèrent qu’ils
pourraient réaliser un rêve qui hante particulièrement les hommes depuis
longtemps: éliminer les mères, accéder à une société sans mères. «Même
l’instinct maternel est transitoire et destiné à disparaître. […] Si un jour la
société peut offrir aux mères quelque chose qui vaille beaucoup plus que leur
allaitement et que leur oeuvre de première éducation, le besoin individuel
d’élever les enfants ayant disparu, l’instinct maternel, lui aussi, petit à
petit devra disparaître, et les heureux de ce moment-là pousseront un soupir de
soulagement en prononçant le finis
familias». Giovanni Rossi, Un épisode
d’amour à la colonie “Cecilia”, édité
grâce au journal Sempre Avanti!, 1893, pp. 70-71. Comme beaucoup
d’autres anarchistes, G. Rossi fondait de grands espoirs sur la science pour
résoudre la question sociale, et celles posées par les relations entre hommes
et femmes. On voit là comment l’ontose perturbe toutes les aspirations et
comment une de celle-ci, parfaitement justifiée, la disparition de la famille,
conduit à envisager une terrible horreur qui tend, de nos jours, à se
concrétiser. Si donc on ne veut pas que le souhait exprimé par G. Rossi à la
fin de son texte: «de même que les rapports économiques furent la question du
XIXe siècle, de même les rapports affectifs seront
peut-être la question ardente du XXe siècle»,
ne se transforme en cauchemar, il est nécessaire de dévoiler intégralement
l’ontose et émerger.
[2] L’oeuvre de Friedrich Nietzsche en
est la preuve la plus percutante. Ainsi dans Ecce homo, il affirme: «Avec Aurore,
j’engageais pour la première fois la lutte contre la morale du renoncement à
soi-même». Éd. Idées/Gallimard, 1974, p. 102. Le renoncement à soi-même, qui
implique le refoulement, est imposé par la dynamique de la répression
parentale, qui entraîne le développement de l’ontose. F. Nietzsche a vainement
cherché ce qui fonda en lui cette dernière.
[3] Étant donnée l’immensité du sujet
qui demande une vaste investigation nécessitant beaucoup de temps, les divers
aspects sont indiqués successivement au fur et à mesure du déroulement de la
recherche. Aussi il convient, chaque fois que c’est possible, de signaler que
le phénomène étudié n’est pas isolé mais est un élément du procès de
dévoilement de l’ontose.
[4] Grammaticalement, selon la
tradition, il conviendrait de mettre leur à la place de sa. Mais dans ce cas il
y aurait une indistinction. Cela pourrait impliquer qu’homme et femme aient une
naturalité identique. Or chacun des deux est caractérisé par sa naturalité. On
se réfère tant à être humain qu’à être féminin. Je veux insister sur le fait qu’hommes
et femmes participent effectivement à une même nature, mais celle-ci s’exprime
diversement en eux en une naturalité aux déterminations diverses. J’en profite
pour dire que le pluriel est une catégorie grammaticale qui permet souvent
d’escamoter. En outre on met souvent au pluriel afin d’aller plus vite, ce qui
est une expression de l’ontose.
[5] S. Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, 1909, Éd. PBP, p. 7. À noter le
doute qui inclut une dépréciation possible que traduit le «si c’en est un».
[6] S. Freud,Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, 1914, in Cinq leçons sur la psychanalyse, pp.
69-70. En 1925, dans sa Selbstdarstellung,
il donne moins d’importance à J. Breuer qu’en 1909 et insiste sur sa patiente
«jeune fille exceptionnellement douée et cultivée». Sigmund Freud présenté par lui-même, Éd. Gallimard, folio-essais,
p. 35. Dans cet ouvrage, sa présentation de la naissance de la psychanalyse,
montre son souci d’assurer l’antécédence de ses travaux sur ceux de P. Janet.
[7] E. Roudinesco et M. Plon,Dictionnaire de la psychanalyse, p. 759.
[8] Idem,
pp. 762-763. Les auteurs signalent qu’en 1904, B. Pappenheim «fonda le
Judischer Frauenbund (Ligue des femmes juives) puis, trois ans plus tard, un
établissement d’enseignement affilié à cette organisation» (p. 760).
[9] Il est une autre femme qui a joué un
rôle comparable à celui de B. Pappenheim, il s’agit de Fanny Moser, cas «Emmy
von N.». Les auteurs du Dictionnaire de
psychanalyse nous donnent les renseignements suivants: «Le 1er mai 1889, dans une crise de panique, elle lui
ordonna de s’écarter d’elle et de ne plus bouger: “Restez tranquille, dit-elle,
ne me parlez pas… ne me touchez pas!”.
Dans l’histoire officielle et mythique des origines de la psychanalyse,
on attribua à Emmy von N. l’invention de la scène psychanalytique. […] Après
elle, le médecin devenait psychanalyste et s’installait hors de la vue du
malade, en renonçant à le toucher et en s’obligeant à l’écouter». Ils font état
ensuite de divers travaux historiques et affirment: «Grâce à ces travaux, on
sait que Fanny Moser n’a pas inventé la fameuse scène de la psychanalyse
moderne – même si la phrase fut authentique – et qu’elle ne fut jamais guérie
de sa névrose, ni par Freud, ni par ses médecins successifs» (p. 695).
[10] William M. Johnston affirme que
«Adler opéra une synthèse de Nietzsche, de Darwin, et du socialisme pour donner
jour à la plus bourgeoise des écoles de psychanalyse». L’esprit viennois, p. 302. À la page 442 il note: «Si Alfred Adler
adapta la psychanalyse à la Geselleschaft
[…]». Affirmer cela présuppose qu’il aurait été à un moment donné psychanalyste
au sens de partisan de la psychanalyse. Le fait de parler d’inconscient ne fait
pas d’un psychologue, un psychanalyste. La suite de la phrase est: «Szondi en
montra tout l’intérêt pour la Gemeinschaft».
Toutefois il ne fournit aucune preuve pour assurer son dire, si ce n’est cette
remarque qui laisse assez perplexe: «Fort d’une sagesse acquise par la vie en Gemeinschaft, Szondi appliqua à la Gesellschaft l’évidence de l’impossible
socialisation des idiots de village». (pp. 443-444)
[11] E. Roudinesco et M. Plon,Dictionnaire de la psychanalyse, p. 22. Paul Plotke dans l’Avant-propos de la deuxième édition
française de Le tempérament nerveux
(1912), d’A. Adler, indique qu’il fut un «enfant faible et rachitique, mais
actif et sociable et qu’il décida de très bonne heure de devenir médecin pour
“lutter contre la mort”, cet événement fondamental qui l’avait beaucoup
impressionné à diverses reprises». Éd. PBP, 1992, p. 7.
[12] E. Roudinesco et M. Plon,Dictionnaire de la psychanalyse, pp.
22-23. En ce qui concerne le rapport à S. Freud, il semble que ce soit ce
dernier qui l’ait invité à se joindre à lui. Il resta neuf ans dans le cercle
freudien et fut membre de la Société psychologique du mercredi.
[13] H. Schaffer, Adler et la psychologie individuelle
comparée, in L’Inconscient, sous
la direction de J. Mousseau et P.F. Moreau, éd. cepl,
1976, p. 19.
[14] Idem,
p. 20.
[15] Idem,
p. 19. De son côté William M. Johnston nous indique que «Adler souffrit de
rachitisme au point de ne pouvoir marcher avant quatre ans, et il fut deux fois
renversé par un attelage». L’esprit
viennois, p. 303.
[16] A. Adler, Le sens de la vie. Étude de psychologie individuelle (1933), Éd. PBP, 1991, p. 14.
[17] Idem,
p. 56. Blaise Pascal a bien exprimé ce sentiment d’infériorité et la
compensation qui l’accompagne: «La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il
se connaît misérable». Pensées, Éd.
Les belles éditions, p. 106. «L’homme n’est qu’un roseau le plus faible de la
nature, mais c’est un roseau pensant». Idem,
p. 107.
[18] A. Adler, Le sens de la vie, p, 73. On peut voir également: «le sentiment d’infériorité que tels ou tels
organes inspirent à l’individu devient un facteur permanent de son
développement psychique». Le
Tempérament nerveux. Éléments d’une
psychologie individuelle et leurs applications à la psychothérapie, p. 21.
Le titre allemand est Über der nervosen
Charakter. Il s’agit donc du caractère dont A. Adler donne dans son oeuvre
une définition que nous reportons plus loin et qui explicite l’affirmation
qu’il fait dans la préface de son livre: «[…] les névroses et les psychoses,
sont déterminées par l’attitude qu’il [l’homme, NdA] adopte à l’égard de la logique absolue de la vie sociale». (p.
5) Dès 1907, A. Adler avait fait paraître Étude
sur l’infériorité des organes et, en 1908, La théorie de l’infériorité des organes et sa signification pour la
philosophie et la psychologie.
[19] A. Adler, L’enfant difficile (1929),
Éd. PBP, 1982, p. 48.
[20] Il affirme par là qu’il eut toujours
à lutter contre la dépression.
[21] Idem pp. 193-194.
[22] A. Adler,Connaissance de l’homme. Étude
de caractérologie individuelle (1926), Éd. PBP, 1997, p. 135. A. Adler
parle difficilement de l’humiliation. Il semble que ce soit un sentiment qu’il
ait profondément refoulé.
[23] Idem,
p. 29.
[24] A. Adler,Le sens de la vie, p. 75.
[25] A. Adler,Le tempérament nerveux, p. 28. D’après le contenu du livre, il
apparaît que le tempérament nerveux soit ce qui est à la base des névroses.
D’ailleurs parfois l’adjectif nerveux apparaît comme synonyme de névrosé. Ceci
est conforme à la théorie adlérienne: c’est l’infériorité du système nerveux
qui serait non pas la cause – A. Adler refusant la causalité – mais serait en
relation avec le phénomène névrotique.
[26] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 64. La suite du texte met en évidence
les mauvais traitements subis par l’enfant qu’A. Adler baptise «erreurs dans
l’éducation». Nous y reviendrons; citons tout de même ceci: «À trop réclamer de
l’enfant, on rend plus aigu devant son âme le sentiment de sa nullité». La
situation où s’origine ce sentiment pourrait-elle être le support de la
fascination et de la répulsion qu’a pu inspirer et inspire encore le zéro?
[27] Idem,
p. 29.
[28] A. Adler, Le sens de la vie, p. 30.
[29] A. Adler, Connaissance de l’homme, p. 65.
[30] Idem,
p. 68.
[31] A. Adler,Le tempérament nerveux, p. 51 Parfois A. Adler met le sentiment
d’insécurité au premier plan. «Dans ce qui précède, nous sommes arrivés à la
conclusion que c’est le sentiment d’insécurité qui pousse le névrosé dans les
bras, pour ainsi dire, de fictions, d’idéaux, de principes et qui le force à
chercher une ligne d’orientation». Idem,
p. 39. Dans ce cas, originellement, c’est la relation à la mère qui fonde ce
sentiment qui, à son tour, engendre celui d’être dans une insuffisance et donc
d’être inférieur.
[32] Idem,
p. 81.
[33] C’est ce qu’affirme d’une certaine
façon Ernesto De Martino avec sa théorie de la crise de la présence, le risque
de la perte, la nécessité d’une rédemption et l’ethos transcendantal du
dépassement de la vie dans la valeur. Nous y reviendrons plus loin dans notre
étude.
[34] A. Adler,Le sens de la vie, p. 75.
[35] A. Adler, Connaissance de l’homme, p. 30. Je tiens à souligner le fait que A.
Adler parle de création de situations, thème qu’on retrouvera chez les
existentialistes et surtout chez les situationnistes.
[36] A. Adler, L’éducation des enfants (1930), Éd. PBP, 1983, p. 12. A. Adler
manifeste une certaine inconséquence. En effet, un peu plus haut dans la même
page il affirme: «Elle [la psychologie individuelle, NdA] s’appuie sur l’unité de la personnalité et étudie la lutte que
celle-ci mène pour se développer et s’exprimer». La personnalité est remplacée
par le psychisme. En outre où est la dimension corporelle? Ajoutons que cette
théorisation de la lutte nous évoque celle entre les consciences de soi dans la
Phénoménologie de l’esprit.
[37] Idem,
p. 14.
[38] Elle est telle parce qu’il y a
coupure entre lui et sa mère. Il n’y a pas de continuité telle qu’elle
s’imposerait s’il y avait une haptogestation effective. L’infériorité,
rappelons-le, s’origine dans la séparation.
[39] Quelle différence A. Adler
trouve-t-il entre nouveau et original?
[40] A. Adler a déjà évoqué l’envie.
[41] A. Adler, Le sens de la vie, p. 75.
[42] Je reviendrai ultérieurement sur le
refus et la réaction, en abordant la façon dont S. Prajnânpad a abordé ces
questions, car son apport est important pour la compréhension de la dynamique
de l’ontose.
[43] Ici s’affirme nettement le fait que
c’est en tant qu’adulte, être domestiqué, qu’A. Adler considère ce que vit
l’enfant. Il n’a absolument pas revécu ce dont il parle. Il exprime le
refoulement.
[44] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 29. À la page suivante il affirme:
«L’agressivité hostile, que l’infériorité constitutionnelle des enfants
entretient et renforce […]». Dans ces mêmes pages il cite son ouvrage de 1908, La pulsion d’agression dans la vie et dans
la névrose, ainsi qu’un article, Insolence
et obéissance, qu’il considère
comme: «Les deux principales variétés du comportement infantile…», ce qui
signale bien à quel point il interprète l’advenu. Ce sont en fait les deux
composantes du comportement de l’être domestiqué.
[45] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 29. Pour A. Adler la période de vie
intra-utérine ne semble pas avoir d’importance pour le développement de
l’individu. Il ne pense pas qu’au cours de celle-ci divers phénomènes
perturbateurs puissent intervenir. À la page 24 du même ouvrage il cite,
probablement un texte de lui-même, mais ce n’est pas indiqué, ceci: «À partir
du moment où l’individu se sépare de l’organisme maternel, ses organes et
systèmes d’organes inférieurs entrent en lutte avec le monde extérieur, lutte
fatale et beaucoup plus violente que celle qu’ont à soutenir des organes
normaux».
[46] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 24. S’affirme ici, inconsciemment, le
désir de rétablir la continuité.
[47] A. Adler, Connaissance de l’homme, p. 31.
[48] «C’est uniquement le sentiment
d’avoir atteint un degré satisfaisant dans sa tendance à s’élever qui peut lui
procurer le sentiment de la quiétude, de la valeur, du bonheur. L’instant
suivant sont but l’attire de nouveau plus loin». A. Adler, Le sens de la vie, p. 56.
[49] Celle-ci pouvant avoir la dimension
de la compensation. «La mort peut apparaître comme un asile contre
l’insécurité». A. Adler, Le tempérament
nerveux, p. 51.
[50] A. Adler, Connaissance
de l’homme, pp. 40-41. Être en situation c’est être en société. Notons
qu’A. Adler parle de juger. Pour juger il faut comparer.
[51] Ceci n’est pas dit explicitement,
mais se déduit parfaitement de l’exposé d’A. Adler. Il est curieux qu’il
associe toujours les deux sentiments. En outre la compensation est le phénomène
devant apporter l’équilibre et celui-ci conduit l’être à la sécurité. «Elle [la
fiction dirigeante, NdA] déclenche la
compensation et est subordonnée elle-même à la sécurité». A. Adler, Le temperament
nerveux, p. 57.
[52] «La perte d’amour et l’échec portent
au sentiment d’estime de soi un préjudice durable qui reste comme une cicatrice
narcissique; c’est là selon mon expérience et les vues de Marcinowski, ce qui
contribue le plus au “sentiment d’infériorité” si commun chez les névrosés». S.
Freud, Au-delà du principe de plaisir
(1920), in, Essais de psychanalyse, PBP, 1981, p. 60.
[53] Ce phénomène fut beaucoup plus important
lors de la séparation d’avec C. G. Jung.
[54] S. Freud tendit à se séparer de W.
Fliess au cours de sa crise de la quarantaine puisque c’est à la fin de
celle-ci, en 1902, qu’il rompit avec ce dernier. C. G. Jung se sépara de S.
Freud au cours d’une crise similaire. Rappelons que c’est lui qui a parlé en
premier de la crise de la quarantaine.
[55] Il y en a probablement d’autres, en
particulier V. Tausk donc les causes du suicide sont plutôt troubles. Je
reviendrai, lors de la mise en évidence de l’apport déterminant effectué par S.
Ferenczi sur les rapports entre ce dernier et S. Freud, tout particulièrement
en ce qui concerne la théorie de la séduction.
[56] A. Adler, Le tempérament nerveux, p.
24. Mais le but final n’est-ce pas ce qui recouvre le refoulement?
[57] A. Adler, Le sens de la vie, p. 16.
[58] Idem,
p. 55. Il est curieux que cette loi soit présentée comme un résultat et non
comme un devenir.
[59] Idem,
p. 36. Cette affirmation explique qu’A. Adler a pu ressentir le comportement de
S. Freud comme étant un obstacle à la réalisation de sa perfection. Ce dernier,
dans Contribution à l’histoire du
mouvement psychanalytique, rapporte ce propos que lui aurait tenu A. Adler:
«Croyez-vous qu’il me soit si agréable de végéter toute ma vie dans votre
ombre?». Cf. S. Freud, Cinq leçons sur la
psychanalyse, p. 132. À propos de cette phrase il est intéressant de
reporter ce qu’écrit Phyllis Grosskurth dans son livre Melanie Klein son monde et son oeuvre, Éd. PUF, 1990: «À cette
occasion, elle [la Klein, NdA] lui
confia qu’elle avait prié Paula Heimann de ne pas présenter un papier sur le
contre-transfert au Congrès de Zurich, et que celle-ci avait répliqué:
“Croyez-vous que ça me fasse plaisir de rester dans votre ombre toute ma vie?”
C’étaient exactement les mots que Adler avait adressés à Freud quand il avait
revendiqué son droit à avoir “une place au soleil”» (p. 488). Il y a beaucoup
de similitudes entre les personnalités de M. Klein et de S. Freud. La première
semble avoir évoqué au second sa mère réelle ce qui fit qu’elle en devint le
support. Cela explique qu’il ne l’affronta jamais directement. Il laissa ce
soin, à sa mère idéale, Anna. Bien qu’elle fut hérétique, S. Freud ne chercha
pas à exclure M. Klein de l’organisation psychanalytique.
[60] En tenant bien compte que pour lui
la volonté est à la fois une chose en soi et une pluralité de phénomènes. Nous
reviendrons sur ce que cela implique.
[61] A. Adler,Le sens de la vie, p. 108.
[62] Dans Le tempérament nerveux, p. 45, A. Adler cite ce passage d’une
lettre de J. W. Goethe à Lavater qui vient confirmer sa théorie sur la volonté
de puissance et de perfection: «“Le désir d’élever aussi haut que possible le
sommet de la pyramide de mon existence dont la base existe déjà, enfoncée dans
le sol, ce désir dépasse tous les autres et ne me laisse pas une minute de
repos”».
[63] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 43. Un auteur récent, Edward Mielnik,
affirme: «La fonction du psychisme consiste à faire des comparaisons et le
choix du milieu énergétique qui lui semble approprié», Le secret défense, Éd. Félix, p. 132. La notion de choix existe
aussi dans l’oeuvre d’A. Adler qui aurait pu admettre cette affirmation: «Le
libre-arbitre est en réalité un programme de lutte». (p. 218)
[64] Il me semble qu’il serait plus
compréhensible de mettre pour à la place de ce par.
[65] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 40. Le titre du livre de Hans Vaihinger
est La philosophie du comme si. D’après H. Schaffer ce dernier serait
un philosophe néo-kantien. Cf. H. Schaffer, Adler
et la psychologie individuelle comparée,
in L’inconscient, p. ???, S. Ferenczi n’en a pas compris l’importance.
«Pour augmenter encore la confusion, si possible, il introduit enfin dans la
“psychologie individuelle” la notion de “finalité” et la philosophie du
“Als-ob” de Vaihinger, cette dernière avec l’intention explicite de démontrer
l’irréalité, l’existence purement “als-ob” des affects et des tendances
sexuelles découverts par la psychanalyse chez les malades comme chez les sujets
normaux». S. Ferenczi, Psychanalyse II, Oeuvres complètes 1913-1919, Éd. Payot 1970, p. 295. Il en fut de
même de S. Freud qui ironisa sur la philosophie du comme si… Cependant il fut amené lui-même à utiliser le comme si… «Or il est un mode de défense
ayant beaucoup plus d’énergie et de succès, qui consiste en ceci que le moi
rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se
comporte comme si la représentation n’avait jamais abordé le moi». S. Freud, Les névropsychoses-de-défense, Oeuvres complètes, Éd. PUF, t. III, p.
15. La dynamique du comme si opère
aussi chez A. Adler en tant que mécanisme de défense.
En revanche, d’après ce qu’écrit Anna Freud, Hélène Deutsch a décrit sous
le nom de als ob Typus (type du comme si), «des adultes névrosés qui
sont à la limite de la psychose». A. Freud, Le
moi et les mécanismes de défense, Éd. PUF, p. 156. Il serait intéressant de
savoir s’il y a d’autres utilisation du comme
si…
Ces quelques citations d’Émile Bréhier, extraites de son Histoire de la philosophie, permettent
de mieux situer H. Vaihinger. «Sa doctrine, au reste, n’est qu’une brillante
mise en valeur de thèses qui s’affirmaient alors dans toute leur puissance
comme celle de la destination biologique des fonctions intellectuelles chez
Nietzsche et chez Bergson qui se rattachent ici au darwinisme, et le
conventionnalisme de Poincaré. Il s’agit de prouver qu’il n’y a rien de tel
qu’une pensée théorique ayant sa fin en soi et sa valeur. La doctrine contient
deux thèses fort distinctes entre elles. La première c’est que la pensée n’a pas
pour rôle de saisir la réalité, mais de nous adapter au milieu; elle est un
instrument qui nous permet de cheminer avec sécurité d’une partie du réel à une
autre partie, grâce à la prévision. […] Le propre de Vaihinger est, au
contraire de lier indissolublement, à la thèse de la pensée fonction
biologique, cette seconde thèse qu’elle est composée de fictions qui permettent
l’adaptation, mais qui ne représentent aucune réalité: la seule réalité c’est
l’agrégat des sensations…». Ceci nous éclaire sur la modalité d’expression de
l’ontose chez ce philosophe et chez A. Adler. On peut dire que tous deux ont
profondément senti l’implacabilité de la répression. «Il ne peut s’agir en
aucun cas d’assouplir une réalité qui est “de fer”; il faut nous y plier. […] Vaihinger
rêve non l’impossible assouplissement des choses mais la flexibilité croissante
de le pensée par l’invention des fictions». É. Bréhier, Histoire de la philosophie, Éd. PUF, t. II, pp. 931-932. Enfin
cette remarque d’E. Bréhier est importante pour situer A. Adler: «Vaihinger ne
veut pas que l’on confonde cette doctrine avec le pragmatisme; c’est à juste
titre; le pragmatisme est une doctrine de la vérité, et il admet que notre
action transforme les choses». H. Vaihinger exprime la dépendance totale et la
nécessité de s’adapter à tout prix, et le comme
si de la fiction est ce qui permet de le réaliser. On peut noter enfin
qu’une telle pensée converge vers certaines affirmations bouddhistes.
[66] A. Adler, Le tempérament nerveux, pp. 84-85.
[67] L’importance des tropes a déjà été
signalée. Toutefois il nous faudra à nouveau aborder leur étude ainsi que celle
du symbole quand nous étudierons l’oeuvre de C. G. Jung, en tant qu’une autre
forme d’expression de l’ontose. En ce qui concerne le comme si, il semble qu’A. Adler essaie de dire quelque chose de
difficilement exprimable, en évitant d’élaborer des symboles et surtout en
évitant leur autonomisation; peut-être était-il en présence de la pensée non
verbale telle qu’elle est présentée dans l’article de «La Recherche», nº 325,
novembre 1999: «Controverse: existe-t-il
une pensée sans langage?». L’auteur, Dominique Laplane, cite un passage de Par delà le bien et le mal de F.
Nietzsche au sujet des philosophes qui «font
tous semblant d’être parvenus à leur opinion par le développement naturel d’une
dialectique froide, pure et divinement insouciante», qui est une illustration
du comme si d’A. Adler. Nous
reviendrons sur cet article qui présente un grand intérêt et nous conforte dans
notre idée que l’intuition, au moment où elle fulgure, est une pensée sans
langage verbal. En outre il me semble qu’une autre question s’impose: «la
pensée a-t-elle besoin d’être exprimée?», ainsi que celle de savoir ce que peut
sous-tendre le désir d’une immédiateté pour ainsi dire absolue, qui s’impose
avec la perte de l’expression (pour ceux qui rejettent le langage verbal) qui,
ici, est une forme de l’extériorisation en tant que modalité du faire
apparaître.
[68] Nous avons d’ailleurs vu qu’il cite
ses sources.
[69] A. Adler, Connaissance de l’homme, p. 83. La finalité est toujours exaltée
chez la personne qui veut se sauver. Sur le plan théorique celle-ci tendra à
fonder une sotériologie.
[70] J’ai plaisir à signaler que c’est
mon ami Victor qui récemment me fit remarquer que ce que nous vivons se
caractérisait plutôt comme étant en-dessous du potentiel de vie. Je fus donc
d’accord pour adopter le terme de sousvie, mais je lui fis remarquer qu’il me
fallait conserver aussi celui de survivre pour signifier que c’est grâce à cela
qu’on échappait à notre destruction, à la mort.
[71] «Processus par lequel l’analyse
intègre une interprétation et surmonte les résistances qu’elle suscite. Il
s’agirait d’une sorte de travail psychique qui permet au sujet d’accepter
certains éléments refoulés et de se dégager de l’emprise de mécanismes
répétitifs». J. Laplanche et J.-B. Pontalis; Vocabulaire de la psychanalyse, p. 305. Ce qui me semble
intéressant c’est l’idée d’une activité inconsciente du sujet qui vise à
résoudre une difficulté, un problème. De ce point de vue la remarque suivante
des auteurs est déterminante. «Dans les textes de Freud dont nous avons fait
état, la perlaboration est indiscutablement décrite comme un travail effectué
par l’analysé». Idem, p. 306.
[72] A. Adler, Connaissance de l’homme, pp.
66-67. Le point fixe joue un rôle analogue au ça de S. Freud, puisque c’est le point à partir duquel il y a
développement de l’individu. Toutefois le ça
a la dimension du chaos, tandis que le point fixe, nécessaire pour en
sortir, est un moment de rationalité.
[73] À ce propos on peut noter qu’A.
Adler accorde peu d’importance à ce phénomène psychique.
[74] «Invariance», série V, nº 3.
[75] Ceci mériterait d’être développé.
Cela nécessite une étude approfondie. Il y aurait en particulier à voir le
rapport à l’étendue qui occupe une grande place dans la pensée de R. Descartes.
[76] Cf. le risque de la perte de la
présence au monde dans l’oeuvre d’E. De Martino.
[77] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 60. Ce point idéal fut réalisé par le
capital.
[78] A. Adler, Le sens de la vie, p. 30.
Cf. également dans le même ouvrage, p. 194: «Cette obligation de chercher une
meilleure adaptation ne peut jamais prendre fin».
[79] A. Adler dit s’appuyer sur la
biologie: «La psychologie individuelle se tient sur le terrain solide de
l’évolution […] et à la lumière de cette évolution, elle voit dans tout effort
humain une recherche de la perfection». Le
sens de la vie, p. 30. Ensuite il parle d’un élan vital lié à cette
tendance et «que chaque manifestation psychique se présente donc comme un mouvement
qui mène d’une situation inférieure à une situation supérieure». Or, il n’ a
pas relevé le fait – auquel d’autres ont accordé une grande importance – que
nous naissons prématurés, inachevés à la naissance. Il aurait pu s’appuyer
là-dessus et même utiliser la théorie de la néoténie ou juvénilisation de Homo sapiens, pour mieux fonder sa
théorie de l’infériorité. Par rapport aux anthropoïdes, Homo sapiens aurait perdu le stade adulte et c’est le stade
juvénile qui aurait acquis la possibilité de se reproduire. En vertu de cela le
point fixe serait dans un stade perdu et toute la théorie adlérienne
exprimerait une compulsion à retourner à un état antérieur: le futur étant
devenu le passé.
Cette conception de la juvénilisation se retrouve chez S. Freud qui
considère que nous devons peut-être dériver d’une espèce qui développait une
sexualité à un stade plus précoce que celui que nous connaissons. Mais
l’allongement de la durée de la vie qui découlerait de cette juvénilisation
devrait permettre un phénomène complémentaire, une sénilisation au cours de
laquelle hommes et femmes pourraient déployer pleinement toutes leurs
potentialités.
Une dernière précision: il n’y a pas que Homo sapiens qui naisse inachevé. C’est le cas de nombreux
mammifères et d’oiseaux. Ce qui est exceptionnel c’est la durée de la phase
d’achèvement nécessitant l’haptogestation. Cependant ce terme d’inachevé pâtit
fortement de l’ontose. En effet, on n’a pas assez dissocié ce qui peut relever
d’un inachèvement proprement dit de ce qui relève d’un phénomène de croissance.
L’idée d’inachèvement semble être fondée sur celle de dépendance.
[80] Je précise que je n’entérine pas la
dynamique théorique d’A. Adler. Parler de la vie de l’âme c’est accepter la
séparation âme-corps. Et il y aurait deux vies: celle de l’âme et celle du
corps. Il se réfère à l’holisme de J. C. Smuts dont nous parlerons dans une
note ultérieure.
[81] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 56, note.
[82] De même qu’on l’utilise pour
introduire une condition: «si j’étais… je serais…». L’imparfait est ce qui
n’est pas parfait, ici le passé, non pleinement réalisé. Le contraire est
exprimé par le passé simple, dénommé aussi prétérit ou perfect dans d’autres langues. Tant que quelque chose n’est pas
achevé il peut y avoir un doute, et l’achèvement être soumis à une, ou des
conditions.
[83] The Religion of Technology.
The Divinity of Man and the Spirit of Invention,
Penguin Books, 1997. Dans «The New York Review» du 17 décembre 1998, se trouve une
intéressante recension de ce livre par Keith Thomas. Il en est de même dans «Anarchy: A Journal of Armed Desire»,
Printemps-Été 1998, avec l’article de Alex Trotter.
[84] Curieusement le discours de ceux
que, par commodité, je nommerai «primitivistes», comme John Zerzan par exemple,
est complémentaire de celui des moines et des partisans d’une transcendance
humaine. Le point à partir duquel la complémentarité opère est celui de la
chute, de la perte: péché originel, séparation de la nature. Pour les premiers
la technique est nécessaire pour retrouver l’état de perfection originel, pour
les seconds il faut l’abandonner ainsi que le langage verbal, l’écriture (donc
la lecture), la pensée symbolique etc. Tous disent, et c’est là le véritable
point commun, très tôt dans leur vie enfantine ils ont dû abandonner leur être
originel, c’est cela la chute, la catastrophe.
[85] Ceci se perçoit bien dans la
citation suivante, que fait D. F. Noble, d’un élève de Scoto Eriugena qui
résume sa pensée: «En poursuivant l’étude des arts, on progresse vers la
perfection étant donné que les arts sont innés en l’homme. Leur connaissance a
été voilée du fait de la chute. Leur récupération par l’étude aide à restaurer
l’homme dans son état premier». Certes il ne s’agit pas encore de la science
expérimentale, mais ce projet est inclus au sein de son but, comme le montre la
suite du livre. Notons que les arts dont il s’agit sont ceux qui relèvent de ce
qu’on appelle maintenant la technique.
[86] A World Without Women. The
Christian Clerical Culture of Western Science,
Oxford University Press, 1992. Je reviendrai ultérieurement sur le contenu des deux livres
de D. F. Noble.
[87] John Stuart Mill, L’utilitarisme, Éd. Garnier-Flammarion,
p. 58.
[88] Je reviendrai dans un autre article
sur ce terme étrange. Je dirai que l’aséité est le fait de ne dépendre de rien,
de se suffire à soi-même, comme l’est la chose en soi d’I. Kant, la volonté
selon A. Schopenhauer, dieu. On peut dire, en termes hégéliens, que c’est le
véritable immédiat, absolu, celui qui ne recèle aucune médiation cachée. Le
capital a atteint l’aséité du fait qu’il s’est autonomisé de toutes ses
déterminations, présuppositions. Il est. En disant cela j’énonce une redondance
car l’être implique l’aséité.
[89] On peut considérer qu’I. Kant opère
de façon semblable sur le plan éthique, moral, c’est-à-dire sur le plan des
relations humano-féminines. «Agis come si
la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE
DE LA NATURE». Fondements de la
métaphysique de moeurs, Ed. Delagrave, 1965, p. 137.
Le comme si apparaît comme le
médiateur entre un immédiat et une finalité, qui implique un futur, ou entre un
immédiat et un devenir souhaitable, généralisable. En tenant compte que «de
telle sorte que» est synonime de comme si,
cet autre impératif catégorique révèle bien cette dynamique chez I. Kant. «Agis de telle sorte que tu traites
l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre
toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen».
Idem, p. 150.
Enfin, le comme si chez I. Kant
me semble exprimer la thématique du possible. Or sa philosophie est une réponse
à certaines interrogations qu’on peut formuler ainsi: à quelles conditions
puis-je exister? A quelle conditions peut-on exister quand l’immédiat est
impossible? A quelle conditions puis-je échapper à la confusion? Comme puis-je
vivre la chose en soi (le numen) en ne cherchant pas à la connaître, à la
percevoir? Toutes ces questions concernent la possibilité et impliquent la
visée d’une finalité (téléologie). Quand la certitude ne peut pas être
affirmée, il ne reste que la possibilité et le comme si qui permet d’atteindre le but, la fin.
Je rappelle que H. Vaihinger fut considéré comme un philosophe
néo-kantien; cf. note 64.
[90] A. Adler, Connaissance de l’homme, p.
72.
[91] Idem,
p. 84. A. Adler signale qu’il a emprunté cette idée à K. Groos. Il affirme
aussi: «Les jeux surtout qui offrent à l’enfant un large champ où exercer son
impulsion à créer recèlent une importante contribution à l’éclosion de la
vocation future». Idem, p. 85.
Toutefois il faut compléter cet exposé par la citation suivante: «Il ne se
trouve pas beaucoup de jeux qui ne comportent au moins l’un de ces trois
facteurs: préparation pour la vie, sentiment de communion humaine et soif de
domination». Idem,, p. 84.
[92] À ce propos ces remarques de E.
Roudinesco et M. Plon méritent d’être relevées. «Dans l’histoire de la
psychanalyse, c’est aux femmes que fut d’abord dévolu le rôle d’analyser les
enfants. Cette fonction dite “éducative” ne les obligeait pas à faire des
études médicales – réservées en général aux hommes – et leur permit d’acquérir
très tôt une grande liberté ainsi qu’une place importante dans le mouvement
freudien. À cet égard, l’analyse d’enfant favorisa l’émancipation féminine.
Mais elle fut aussi le lieu de multiples drames, car les psychanalystes de la
première et de la deuxième génération analysèrent souvent leurs enfants ou
confièrent cette tâche à leurs collègues. On recense en outre, parmi les femmes
psychanalystes d’enfant, un nombre impressionnant de morts violentes: quatre
suicides (Armindo Aberastury, Sophie Morgenstern, Tatiana Rosenthal, Eugénie
Sokolnicka) et un meurtre (Hermine von Hug-Hellmuth)». Dictionnaire de la psychanalyse, p. 829. À noter que le meurtre fut
commis par l’enfant analysé, neveu de l’analysante.
[93] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 52. Cet auteur emploie le terme de
nerveux comme synonyme de névrosé. Ajoutons que l’imitation opère également
dans le jeu de l’acteur.
[94] A. Adler, Le sens de la vie, p.
179. Cf. aussi: «Une masse d’enfants s’attachent fermement à l’idée qu’ils
proviennent en réalité d’une autre famille, qu’un jour la vérité se manifestera
et que leur véritable père (c’est toujours quelque grand personnage) viendra
les chercher». A. Adler, Connaissance de
l’homme, p. 54.
[95] Idem,
p. 60.
[96] Cf. surtout G. W. Groddeck, La maladie, l’art et le symbole, Éd.
Gallimard, 1969. Le titre est celui donné par l’éditeur.
[97] A. Adler, Le sens de la vie, pp.
97-98.
[98] Idem, p. 55. A. Adler a mis des guillemets à
sagesse du corps parce que, comme c’est indiqué en note, il cite en fait
Cannon: The Wisdom of the Body (La
sagesse du corps), le théoricien de l’homéostasie, de la tendance à la
conservation d’un équilibre stable.
[99] Ceci correspond à une forzatura, comme disent les italiens,
une exagération dirons-nous. Il s’agit en fait d’un futur proche immédiat.
C’est en forçant sur l’ampleur de la durée qu’il put utiliser ce phénomène
comme fondement.
[100] A. Adler, Connaissance de l’homme, pp. 55-56.
[101] A. Adler parle très souvent de
l’enfant gâté par sa mère. Or un tel enfant est en fait le support de
l’identification qu’effectue cette dernière, comme cela ressort de la
des_c_r_i_p_tion de son comportement: «si elle l’accable de caresses et de
tendresses, si elle agit, pense et parle constamment pour lui, paralysant en
lui toute possibilité de développement et l’habituant à un monde imaginaire
tout différent du nôtre et dans lequel, enfant gâté…». A. Adler, Le sens de la vie, p. 37. Cela ressort
encore plus nettement dans la des_c_r_i_p_tion qu’il donne de l’enfant gâté dans L’enfant difficile. «C’est un enfant qui
est déchargé de son fonctionnement indépendant et autonome. Quelqu’un d’autre
parle pour lui, remarque les situations dangereuses, les écarte de lui, bref il
se laisse remorquer par lui. L’enfant dispose d’une seconde personne, il
construit sa vie en symbiose avec elle». A. Adler, L’enfant difficile, p. 129. «Elle [la mère, NdA] le lie si fortement à elle qu’elle compromet l’épanouissement
ultérieur de l’enfant». Idem, p. 19.
[102] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 96.
[103] «Corriere della Sera» du 30. 09. 1999. Carlo Formenti cite
des auteurs récents, mais déjà Van Vogt, dans Le monde des non-A, avait
recours à la dématérialisation afin de permettre à son héros Gossein d’échapper
à ce qui le menaçait, et l’espace qu’il décrit est peuplé de créatures
menaçantes et terrifiantes. L’allusion que C. Formenti fait à Lewis Carroll
vaut d’être relevée. «Comme Alice traverse le miroir nous “traversons” l’écran
pour explorer notre Pays des Merveilles». Le miroir ne fait que refléter le
monde où nous sommes menacés, il faut donc le traverser. Grâce à l’interface
Homme-ordinateur, ou Homme-nano-techniques (comme l’indique C. Formenti) ce
rêve peut virtuellement être réalisé. Ici encore c’est la médiation qui devient
prépondérante.
[104] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 54.
[105] A. Adler, La connaissance de l’homme, p. 53.
[106] Idem,
p. 52. L’imagination comme le langage verbal est souvent rendue responsable de
la séparation de l’homme du reste de la nature.
[107] Dans l’article Sublimation de l’Encyclopaedia
Universalis, 1968, Volume 15, p. 468, 2e colonne, Baldine Saint-Girons écrit:
«Esquisser une théorie de la sublimation ne serait-ce pas alors à bien des
égards réassumer l’héritage hégélien, dont on sait notamment qu’il fut transmis
à Freud par l’intermédiaire de James Marck Baldwin dès 1897?».
[108] Le terme de forclusion a été utilisé
par Jacques Lacan pour traduire le Verwerfung
de S. Freud, dont le sens est assez voisin de Ablehnung, également utilisé par ce dernier. Forclusion vient du
verbe forclore: «Déclarer une personne non-recevable à faire une chose, ne
l’ayant pas faite au temps prescrit. On se laisse forclore, lorsqu’on laisse expirer le temps, passé lequel on n’est
plus admis à faire une chose». Napoléon Landais, Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, 3e édition, 1836. Ainsi dans forclusion il y a
bien une idée de refus; d’un refus qui conduit à une résorption de la réalité
qui de ce fait cesse d’exister comme si elle n’en avait plus le droit. Cela
revient à exclure. Or, anciennement forclos signifiait exclu (Petit Robert). Dans forclore s’immisce
l’idée qu’on clôt pour exclure quelque chose dont on veut être excepté. On doit
tenir compte également qu’il y a eu interaction entre for qui, selon le même dictionnaire, désigne la coutume, le
tribunal, et fors venant de foris dehors, qui est présent dans
forclos. Forclore serait donc exclure du tribunal intérieur, dont la métaphore
est la conscience surtout dans sa dimension morale. Le mot désigne une
exclusion grâce à un sens caché en sa structure produite par l’activité des
hommes et des femmes.
Scotomisation a été créé par René Laforgue «pour désigner ce qui
représenterait, sur le plan perceptif et cognitif, l’équivalent du refoulement
sur le plan affectif». Jacques Postel, in Dictionnaire
de la psychanalyse, Éd. Encyclopaedia Universalis, Albin Michel, article
«Réné Laforgue (1894-1962)».
[109] «[…] il [A. Adler, NdA] imita encore S. Freud en rudoyant
ses propres fidèles». W. M. Johnston, L’esprit
viennois, p. 303.
[110] A. Adler, Le sens de la vie, p. 31. Sa supériorité il la manifeste en
considérant S. Freud comme un enfant gâté. La volonté de puissance implique la
dépréciation de l’autre, ce qui fonde l’assurance comme celle de «prédire d’après
l’image réfléchie, d’un enfant gâté quel sera le pas suivant de Freud». Idem, p. 183.
[111] W. M. Johnston, L’esprit viennois, pp. 304-305.
[112] Idem,
p, 304.
[113] S. Freud: «On retrouverait, de même,
dans les affirmations de Adler, une foule de choses depuis longtemps connues,
si à la place des mots “fictif” et “fiction”, avec le verbe formé de la même
racine, on remettait les mots plus anciennement employés, liés au concept de
“phantasme” (“imagination”)». Contribution
à l’histoire du mouvement psychanalytique, in Cinq leçons sur la psychanalyse, pp. 136-137.
A. Adler: «Que Freud arrive à la conclusion que ces “fictions” seraient
identiques aux “fantasmes infantiles”, c’est ce que nous ne comprenons pas.
Celles-là seraient plutôt la source de celles-ci». Le tempérament nerveux, p. 31 (note).
[114] «L’ambivalence est l’union des
moyens pour atteindre le but». A. Adler, cité par H. Schaffer in Adler et la psychologie comparée. C’est une autre façon d’exprimer le
lien entre les deux éléments du couple, entre les deux plateaux oscillants.
[115] La vision de l’adulte sur l’enfant
est une vision réductrice. «De 0 à 3 mois, l’enfant n’est qu’impulsivité. De 6
à 18 mois, il n’est que désir astucieux à se donner du plaisir». 3 à 6 ans. L’enfant metteur en scène de sa
vie. Éd. Chronique sociale, Lyon, 1981, p. 62. Dans le ne que l’adulte enferme toute la réduction où lui-même fut placé,
réduction qui est en même temps négation et déni, voire mépris, qui apparaît
fort bien dans l’expression remplie de redondance: tu n’es qu’un enfant.
[116] «Les quatre années qu’il passa comme
médecin militaire sensibilisèrent Adler à ce qu’il nomma le sens de la
communauté (Gemeinschaftgefühl),
c’est-à-dire le désir de sacrifier l’intérêt personnel au bien commun. En,
traitant les soldats tire-au-flanc, Adler observa qu’ils manquaient du sens de
l’intérêt général, qu’ils étaient indifférents au fait que leur couardise
obligeait d’autres à se battre à leur place. L’étude des tire-au-flanc
corrobora les aperçus qu’il avait glanés chez Marx par l’intermédiaire de sa
femme d’origine russe Raïssa Epstein Adler (1873-1962)». W. M. Johnston, L’esprit viennois, pp. 303-304. La
dernière partie de la citation confirme l’affirmation au sujet des faibles
connaissances d’A. Adler en ce qui
concerne l’oeuvre de K. Marx.
[117] A. Adler, Le sens de la vie, p. 56.
[118] Idem,
p. 110.
[119] Idem,
p. 160.
[120] Idem,
p. 160.
[121] A. Adler,L’enfant difficile, p. 19. Il est assez curieux que le sentiment
social ne soit pas directement lié aux autres!
[122] A. Adler, Le sens de la vie, p. 41. Dans le même ouvrage il affirme: «En
outre la psychanalyse était trop encombrée par le monde des enfants gâtés, ce
qui fait que la structure psychique lui apparaissait comme un décalque constant
de ce type et que la structure psychique profonde en tant que partie de
l’évolution humaine lui restait cachée. Son succès passager résida dans la
prédisposition d’un nombre immense de personnes gâtées à accepter
volontairement les vues psychanalytiques comme s’appliquant à tous les hommes».
Idem, p. 29. A. Adler ne nous dit pas
si le caractère «passager» du succès de la psychanalyse est en rapport avec une
diminution du nombre de personnes gâtées.
«Un autre inconvénient, assez grave, réside dans le fait que je ne puis
m’empêcher, pour éclairer l’attitude des deux dissidents, de recourir à
l’analyse. Or l’analyse ne se laisse pas employer comme une arme de polémique;
elle suppose le consentement de la personne dont on veut faire l’analyse et,
entre l’analyste et l’analysé, des rapports de supérieur à subordonné. Il en
résulte que celui qui entreprend une analyse dans un but polémique doit
s’attendre à ce que l’analysé retourne contre lui l’arme de l’analyse […] Je
réduis donc au minimum l’emploi de l’analyse et, avec elle, l’indiscrétion et
l’attitude agressive à l’égard de mes adversaires». S. Freud, Contribution à l’histoire du mouvement
psychanalytique, pp. 130-131. A. Adler n’a pas utilisé la psychanalyse pour
répliquer à S. Freud. Que ce dernier ait pu envisager cela montre à quel point
il n’a pas perçu où se trouvait A. Adler. S’il avait pu y parvenir, il aurait
saisi que son dissident était animé par la compulsion de se délimiter, en
affirmant sa supériorité.
[123] A. Adler, Le sens de la vie, p. 161.
[124] Idem,
p. 161.
[125] A. Adler, L’enfant difficile, p. 163.
[126] Toutefois, encore cette citation en
ce qui concerne l’enfant gâté: «J’ai fait comprendre que les enfants gâtés se
sentent toujours menacés et comme en pays ennemi lorsqu’ils se trouvent en
dehors du cercle où on les gâte». A. Adler, Le
sens de la vie, p. 39.
[127] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 36.
[128] A. Adler,L’enfant difficile, p.
110.
[129] Idem,
p. 210.
[130] A. Adler, Le tempérament nerveux, p.
59.
[131] A. Adler, Le sens de la vie, p. 203.
[132] Idem,
p. 202.
[133] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 73.
[134] À titre d’exemple, voici: «Le rêve
ne fournit rien de plus que ce qui peut être déduit d’autres formes
d’expression, mais il sert à l’examinateur à reconnaître…». A. Adler, Le sens de la vie, p. 188. Précisons en outre que la volonté de puissance est
nécessaire mais doit être limitée, sinon c’est la maladie. «L’impulsion à la
puissance et à la supériorité s’exaspère et devient maladie». A. Adler, Connaissance de l’homme, p. 69.
[135] A. Adler, Le sens de la vie, p. 203. La suite a une tonalité chrétienne:
«Ceux qui ont déjà développé en eux un fort degré de sentiment social sont
constamment préoccupés d’adoucir les rigueurs de cette loi…», et signale sa
dynamique de vouloir sauver, dynamique qui fait partie intégrante de celle de
l’ontose. On constate ainsi à quel point il entérine tout ce qui est de ce
monde, et à quel point il est implacable, comme le démontre aussi puissamment
cet autre passage du même ouvrage. «Ce fait devient encore plus convaincant,
pour ne pas dire évident, lorsque nous nous demandons: que sont devenus ces êtres
humains qui n’ont en rien contribué au bien de l’humanité? Voici la réponse:
ils ont disparu jusqu’au dernier reste, il ne persiste rien d’eux; ils sont
éteints corps et âme. La terre les a engloutis. Ils ont subi le sort de ces
espèces animales disparues qui n’ont pas pu trouver l’harmonie avec les données
cosmiques. Il y a sûrement là une ordonnance secrète: c’est comme si le cosmos
inquisiteur ordonnait: allez-vous en, vous n’avez pas saisi le sens de la vie,
vous ne pouvez pas aspirer à l’avenir». Idem,
pp. 199-200. Il y a là un mélange de religion avec l’exposé de quelque chose
qui est encore pire que l’enfer: la destruction totale, l’inacceptable, et de
science, avec l’évocation de la théorie darwinienne. On est en pleine confusion
parce qu’il manifeste là une énorme remontée. Le cosmos inquisiteur c’est le
père tout puissant auquel il s’identifie, lui, le petit garçon sous terreur,
qui fait appel à une toute-puissance afin d’être libéré. Cette remontée se
révèle bien à l’insistance, à la lourdeur avec laquelle est évoqué le châtiment
de ceux qui n’ont pas saisi le sens de la vie. En même temps, il y a une
jubilation du fait que, lui, il y est parvenu. Probablement que dans sa
remontée s’impose également le souvenir d’un événement advenu lorsqu’il avait
trois ans: la mort de son frère, qui apparaît, a contrario, comme la
confirmation de sa dynamique de vie.
L’ordonnance secrète est une fiction qui s’extériorise
grâce à un comme si… Le cosmos se
comporte comme s’il était A. Adler.
L’affirmation d’une loi cruelle, sanctionnant ceux qui ont adopté la
mauvaise solution, accompagnée d’un processus d’extermination, se trouve
également dans L’enfant difficile:
«Ce processus d’extermination se poursuit continuellement, il est terriblement
cruel, la logique des faits est cruelle» (p. 18).
[136] A. Adler, Le sens de la vie, p. 202.
[137] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 83.
[138] A. Adler, Connaissance de l’homme, pp. 28-29. Cette citation est extraite
d’un sous-chapitre intitulé: La
contrainte de mener une vie commune.
[139] Ici encore il personnalise la
psychologie indiquant par là que c’est le support de son être, et qu’il ne peut
pas vivre dans l’immédiateté. En outre se manifeste sa tendance mégalomane qui
ressort encore plus du passage suivant: «Tout ce qu’on exige d’une doctrine et
d’un enseignement strictement scientifique est résumé dans la psychologie
individuelle: un nombre immense d’expériences immédiates; un système qui tient
compte de ces expériences et qui ne les contredit pas; l’acquisition d’une
aptitude à la divination conforme au sens commun, aptitude qui consiste à
insérer dans le système les expériences en corrélation avec ce dernier». A.
Adler, Le sens de la vie, p. 198.
Divination est employé dans le sens d’intuition.
[140] Idem,
p. 197.
[141] «Déjà ce simple fait suffirait à
nous expliquer pourquoi la vie est en continuel progrès…».Idem, p. 199. La suite du texte indique que la vie, dans ce cas,
est la vie sociale des hommes et des femmes.
«L’incessant progrès du sentiment social, dans son accroissement évolutionnaire,
permet de supposer que la persistance de l’humanité est intimement liée à la
notion de progrès», idem, p. 39. Cela
n’implique pas la bonté originelle de l’homme.
[142] Cf. aussi: «L’humanité a fait de
nombreux essais pour se représenter ce but final du développement humain», idem, p. 195.
[143] Idem,
p. 199.
[144] A. Adler, Connaissance de l’homme, pp. 63-64.
[145] Idem,
p. 97.
[146] A. Adler, Le sens de la vie, p. 186.
[147] À noter que cette citation est
extraite du chapitre Rêves éveilles et
rêves nocturnes, qui commence ainsi: «Avec ce chapitre nous nous
transportons dans le domaine de l’imagination», idem, p. 175.
[148] Idem, p. 186.
[149] Idem,
p. 187. Il serait intéressant de savoir si A. Adler a utilisé le présent, car
ici il faudrait un subjonctif. S’il y a probabilité c’est qu’il y a doute, donc
c’est le subjonctif qui s’imposait. En conséquence, en fait, il est sûr de ce
qu’il avance.
[150] S. Freud, L’interprétation des rêves, p. 145.
[151] A. Adler, Le sens de la vie, p. 188.
[152] Idem,
p. 187.
[153] Idem,
pp. 187-188.
[154] Idem,
p. 182.
[155] La problématique d’A. Adler à ce
sujet se retrouve dans des psychologies récentes comme l’Ennéagramme, avatar de
son réformisme. «Qu’est-ce que l’Ennéagramme? L’Ennéagramme est une typologie
dynamique qui décrit les différents types de personnalités et qui permet de
découvrir les motivations et potentialités latentes de chacun. C’est un modèle
pratique du fonctionnement humain.
Un outil de développement personnel subtil et riche.
D’après l’Ennéagramme, chaque type de personnalité possède un scénario de
vie qui lui est propre, caractérisé par un thème de base. Il agit comme une
sorte de filtre à travers lequel la personne perçoit le monde et qui détermine,
dans une large mesure, les résultats qu’elle obtient dans les différents
domaines de la vie. Une fois identifié, ce thème peut être intégré et dépassé
pour enrichir notre vision du monde». Cette citation est extraite d’un
prospectus.
L’idée de thème de base nous fait penser à l’astrologie, et même celle de
scénario, qu’on peut considérer comme le déploiement de ce qui est inclus dans
le thème astral. Cette idée de scénario se retrouve dans le titre de ce livre
de psychologie: 3 à 6 ans. L’enfant
metteur en scène de sa vie. On trouve dans cet ouvrage des résonances
adlériennes: «la lutte contre son énergie vitale», «se combattre lui-même». Ivi p. 12, qui signalent le procès
d’autodomestication. Signalons aussi: «L’enfant construit un plan pour sa vie».
Idem, p. 42. Enfin: «À partir de
trois mois, il fait usage de ses émotions comme un outil grossier de
communication». Idem, p. 4. Le
contenu de cette affirmation est en accord avec l’approche utilitariste,
instrumentaliste d’A. Adler.
[156] À ce propos il convient de signaler
l’influence importante qu’eut sur A. Adler l’ouvrage de J. C. Smuts
(1870-1950): Holism and Evolution
qu’il cite sous le titre de Wholeness and
Evolution (Holism et Wholeness indiquent tous deux la
totalité). Cet ouvrage n’a pas été traduit en français. Je tire les quelques
connaissances obtenues sur cet auteur de l’article de Jean-Marie Robine: Le Holism de J. C. Smuts, dont je cite
ce passage qui est important par rapport à A. Adler. «Dans la psychologie et
l’épistémologie, l’individu sujet est le centre qui oriente toute expérience et
toute réalité: c’est le SUJET de l’expérience pour qui tout le reste est OBJET
d’expériences. Ceci marque un début fondamental dans l’évolution de l’univers,
mais Smuts considère que ces disciplines, psychologie et épistémologie, ne
portent pas suffisamment d’attention à la nature de la personnalité, à d’autres
niveaux. Elles ignorent trop volontiers le caractère unique de la personnalité
pour privilégier la moyenne, l’individu généralisé, et de plus, d’un point de
vue uniquement mental, ce qui n’est qu’un aspect de la personnalité. Le
résultat en est que la psychologie ne lui semble d’aucune aide pour étudier la
personnalité. Il faudrait en faire une discipline spécifique. “Caractérologie”
a été proposé, ce qui ne lui semble pas satisfaisant. “Personnologie” lui
semble meilleur.
Cette discipline devrait faire l’étude de biographies de personnalités,
les appréhendant comme des totalités et unités vivantes, au travers des phases
successives de leur développement. Il lui faudrait donc, contrairement à la
démarche de la psychologie (de l’époque), procéder de façon synthétique et non
analytique».
Beaucoup d’autres auteurs ont été également influencés, particulièrement
F. Perls et A. Koestler qui créa le concept d’holon. À la même époque Ludwig
von Bertalanffy ainsi que les gestaltistes développèrent des conceptions
voisines. Le terme de personnologie nous évoque celui de personnalisme
d’Emmanuel Mounier. Lui aussi considérait «l’essence de la personnalité» en
tant que «liberté créatrice», comme le pensait J. C. Smuts selon J.-M. Robine.
[157] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 139.
[158] Idem,
p. 140.
[159] Idem,
p. 142.
[160] A. Adler, Le sens de la vie, pp. 14-15.
[161] Idem,
p. 27.
[162] Idem,
p. 19.
[163] Idem,
p. 22. A. Adler
ne donne aucune précision sur ce qu’il entend par plan de vie. «La psychologie
individuelle comparée voit dans chaque fait psychique l’empreinte, autant dire
le symbole, d’un plan de vie présentant une orientation rigoureusement unique,
laquelle apparaît avec netteté particulière dans la psychologie des névroses et
des psychoses». A. Adler, Préface à Le
tempérament nerveux, p. 5.
[164] A. Adler, Le sens de la vie, pp. 23-24. Ici encore il insiste sur le fait que
tout cela s’élabore durant la prime enfance.
[165] Idem,
p. 13. Les phrases placées en exergue révèlent beaucoup de choses. Celle placée
au début de l’Avant-propos de l’auteur pour
le livre L’enfant difficile:
«L’enfant est le père de l’homme» signale bien l’ontose, qui se manifeste, ici,
à travers le phénomène du transfert, sur l’enfant, du désir d’un père idéal.
[166] A. Adler, Le sens de la vie, pp. 181-182.
[167] Ainsi il se sert encore une fois de
sa théorie psychologique pour expliquer sa dissonance d’avec S. Freud. Comme
nous l’avons vu, note 121, ce dernier écrivit qu’il ne voulait pas utiliser la
sienne, la psychanalyse. Est-ce que cela ne refléte-il pas un doute et une
peur?
[168] Idem,
p. 193. Dans la même page il affirme: «Le développement de la vie à partir
d’une minuscule unité vivante ne pouvait se réaliser que par le consentement
des influences cosmiques». Il a une difficulté à exposer l’immédiateté du
phénomène vie qui traduit la confusion originelle où il fut placé. Ainsi il
parle de «quelque chose d’inné appartenant à la vie». Puis il expose son propre
devenir: «vivre c’est se développer». C’est ce que nous avons vu tout au long
de notre exposé. Enfin il met en évidence un phénomène sans tenter d’en
analyser le fondement. «L’esprit humain n’est que trop habitué à amener dans
une forme ce qui se meut et à considérer non pas le mouvement, mais le
mouvement figé, le mouvement devenu forme». La nécessité de passer uniquement
par la forme, perçue souvent de façon autonomisée résulte de l’incapacité à
vivre l’immédiateté naturelle, du fait de la rupture de continuité. Le fait de
figer dont il parle, est en relation avec ce qu’il appelle la recherche d’un
point fixe.
[169] Idem,
p. 194.
[170] Idem,
p. 194. Ailleurs il parle d’une «adaptation active aux exigences du cosmos».
[171] Idem,
pp. 203-204.
[172] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 302.
[173] Idem,
p. 302.
[174] Idem, p.
157.
[175] Idem,
p. 42.
[176] Idem,
p. 73.
[177] A. Adler, Le sens de la vie, p. 121.
[178] Idem,
p. 130.
[179] A. Adler,Le tempérament nerveux, p. 38. De même p. 32: «La forme et le
contenu de la conduite du névrosé ont pour source les impressions de l’enfant
qui se sent négligé». Donc c’est l’enfant qui crée les base de la névrose de
l’adulte. C’est lui qui est responsable, coupable.
[180] Idem,
p. 45.
[181] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 107. À noter
que cette citation est extraite du chapitre Les
rapports entre les sexes.
[182] A. Adler, Le sens de la vie, p. 48.
[183] A. Adler, L’enfant difficile, p. 15. Cette conception utilitariste se
retrouve dans d’autres ouvrages.
[184] A. Adler, Le sens de la vie, p. 209.
[185] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 29. J’ai reproduit à nouveau cette
citation, déjà faite à p. 14, du fait de l’énorme importance de cette
accusation faite à l’enfant que d’aucuns veulent actuellement justifier en
citant le cas des bandes d’enfants qui commettent des vols et des meurtres,
comme si cela ne dérivait pas du mode de vie qu’on a imposée à ces derniers.
[186] John S. Mill, L’utilitarisme, voir pages 54, 70, 94 et 48-49. Citons en miroir:
«Dans son ouvrage École et psychologie
individuelle comparée paru en 1929, Adler pose la question: comment un être
peut-il se rendre utile à la société? Sa réponse est: en pensant aux autres en
s’intéressant à eux». H. Schaffer, Adler
et la psychologie individuelle comparée, in L’Inconscient, p. 39.
Par certains aspects la philosophie de l’égoïsme se rapproche de
l’utilitarisme. On peut en trouver des échos dans l’oeuvre d’A. Adler, ce qui
est fort compréhensible du fait de l’influence qu’exerça sur lui l’oeuvre de F.
Nietzsche, lequel subit celle de Max Stirner. Nous reviendrons sur ce sujet
ainsi que sur l’étude des présupposés philosophiques de l’oeuvre de S. Freud.
[187] A. Adler, Le Tempérament nerveux, p. 39.
[188] A. Adler, L’enfant difficile, p. 17. Plus loin il affirme également: «Nous
apprécions s’il [l’enfant, NdA] agit
sur le côté utile ou inutile de la vie». Idem,
p. 24.
[189] Idem, p. 22.
[190] Dont on perçoit l’influence dans
l’ouvrage déjà cité: 3 à 6 ans. L’enfant
metteur en scène de sa vie. «Les objets lui apprennent à se comporter» (p.
10). Il sera intéressant de saisir par quelle magie les objets deviennent des
éducateurs, des substituts des parents. On verra que cette magie a fort à faire
avec l’ontose.
[191] W. M. Johnston, L’esprit viennois, p. 304.
[192] Idem,
p. 304. Cela ne l’empêche pas de lui reconnaître des mérites. «En revanche, il
n’eut pas de pareil pour mettre en lumière la vie des adultes en régime
capitaliste». Idem, p. 305. A. Adler
fut un excellant observateur. Petit enfant, il a hyperdéveloppé l’observation
afin de pouvoir survivre. Quand il parle du névrosé, c’est lui qu’il décrit.
«Le regard, anxieusement scrutateur, que le névrosé dirige vers le dehors et
par lequel il cherche à circonvenir, à mettre à l’abri de toute atteinte sa
fiction directrice, comporte toujours une degré d’auto-observation très
intense». A. Adler, Le tempérament
nerveux, pp. 82-83. Cette
auto-observation ne vise pas à atteindre l’être originel, mais à mieux s’adapter
pour la lutte. Plus loin à la page 84 il conclue: «L’observation intérieure,
éveillée et intense, constitue donc une des étapes sur le chemin de la névrose,
quels que soient les beaux résultats dont lui sont redevables la philosophie,
la psychologie, notre connaissance du monde et de l’homme». Cela illustre bien
que le connais-toi toi-même de Socrate consiste à parvenir à bien connaître sa
place dans le corpus social, au sein de la lutte entre les individus.
D’ailleurs, dans la suite du texte, A. Adler fait allusion à ce dernier.
[193] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 114.
[194] Idem,
p. 126.
[195] S. Freud plus que thérapeute fut un
théoricien. En revanche S. Ferenczi s’adonna pleinement à la thérapie.
[196] A. Adler, Le sens de la vie, p. 32. Qui éduquera les éducateurs?
[197] Idem,
p. 27.
[198] A. Adler,Connaissance de l’homme, p. 32.
[199] On a, là, l’affirmation d’une forme
de détournement, ce en quoi consiste, d’ailleurs, l’éducation.
[200] Idem,
p. 67.
[201] Idem, p. 34.
[202] A. Adler, L’enfant difficile, p. 25.
[203] Idem,
p. 15.
[204] Cités par W. M. Johnston, L’esprit viennois, respectivement p. 190
et p. 189.
[205] Idem,
p. 195. À propos de cet aphoriste, W. M. Johnston note que son oeuvre a sombré
dans l’oubli et il met cela en rapport avec l’évanescence des aphorismes qui
doivent «être comparés, juxtaposés, appliqués à nouveau. Avant toute chose, il
faut s’en servir. Je me suis efforcé, tout au long de cette étude, d’indiquer
quelques moyens de ramener à la vie cet art trop périssable». Ce qu’il écrit
ensuite exprime la remontée que lui provoque le périssable. «Car l’intemporel
même doit être sauvé de l’oubli, sinon les mots qui parlent à tous les âges
n’appartiendront à aucun». Idem, p.
196. C’est lui-même, son être originel qui doit être sauvé de l’oubli!
[206] Idem,
p. 9.
[207] Idem,
p. 297.
[208] A. Adler, Connaissance de l’homme , p. 73.
[209] A. Adler, Le sens de la vie, p. 35.
[210] A. Adler, Le tempérament nerveux, p. 213. À la fin de la phrase il y a un
renvoi à une note où A. Adler mentionne tout simplement: H. Vaihinger, Die philosophie des Als-Ob (La
philosophie du comme si). Ces médiations philosophiques sont importantes à
relever. Elles signalent le non accès d’A. Adler à son immédiateté.
[211] A. Adler, Le sens de la vie, p. 198. La position de S. Freud par rapport à la
question de Caïn est bien différente. Cette approche moralisatrice se retrouve
dans la conception des névroses: le névrosé fuit devant un problème social.
[212]
Idem, pp. 64-65.
[213] Ludwig von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, p. 210. À
la page 112 sa critique peut s’appliquer à la théorie adlérienne. «En outre, si
on prend comme règle d’or du comportement le principe homéostatique, ce qu’on
appelle l’individu parfait sera le but ultime, c’est-à-dire un robot bien
graissé, qui se maintient en homéostasie biologique, psychologique et sociale
optimale. C’est le meilleur des mondes…».
[214] Idem,
p. 111.
[215] Idem,
p. 219. La critique de L. von Bertalanffy est intéressante, non pas tellement
en ce qui concerne sa visée, la théorie de S. Freud par exemple, mais du fait
qu’elle met en évidence que le développement technico-scientifique de la
société-communauté du capital peut résoudre, à sa façon, les problèmes
psychiques mis en évidence par les psychanalystes et autres psychologues.
[216] Dans le numéro de septembre 1999 de
la revue «Sciences et Avenir» a été
publié un dossier: Lire dans
l’inconscient. Il s’agit de l’inconscient cognitif, celui de S. Freud étant
pour eux l’inconscient émotionnel, hypothétique. «La plupart de ces
hallucinations n’ont aucun contenu émotionnel et le patient se rend vite compte
qu’elles ne sont que le fruit de son imagination». Pauline Léna et Hervé Ratel,
Aux frontières de l’inconscient, p. 57. Conclusion qu’A. Adler aurait
facilement souscrite. «[…] l’inconscient cognitif concerne les seuils de
perception sensorielle à partir desquels un stimulus est capté par notre
cerveau sans que nous en ayons conscience. Exemple, la perception d’images
subliminaires», idem, p. 56. En
réalité il s’agit de phénomènes inconscients et non d’un inconscient. Les
auteurs parlent ensuite du phénomène d’héminégligence comme preuve de
l’existence d’un inconscient cognitif. Les personnes qui en sont atteintes ont
une moitié «du monde qui échappe à leur contrôle» idem, p. 58. Or ceci ne met pas en évidence un inconscient cognitif
mais l’existence d’un phénomène qui inhibe le processus de conscientisation et,
donc, l’achèvement du procès. De même S. Freud n’a pas mis en évidence
l’inconscient, mais un processus, le refoulement, qui empêche que ce qui tend à
devenir conscient ne le devienne. En conséquence, la mise en évidence de ce phénomène qui permet aux savants de
théoriser un inconscient cognitif dont ils pourront trouver le siège en une
zone de l’encéphale, et donc de se passer de ce que S. Freud a trouvé, témoigne
que l’atteinte à l’intégrité de l’homme, de la femme, est encore plus grande
qu’avant.
Une autre affirmation de l’article est également très importante. «Un
grand nombre de spécialistes estiment que ces gestes incontrôlés [par exemple
celui de la propre main du sujet qui essaie de l’étrangler, NdA] sont l’expression d’une deuxième
conscience normalement rendue muette par la domination de l’autre hémisphère.
Une sorte de deuxième moi» idem, p.
57. C’est l’expression de la scission en tout être qu’impose la répression
parentale qui amène à la formation du cerveau droit et du cerveau gauche dont
on parle tant. Cette dualité n’est pas naturelle et correspond à la
structuration de l’individu pour sousvivre et survivre avec sa scission, spaltung, mise en évidence, auparavant
avec la schizophrénie.
Une précision finale: ce que, initialement, S. Freud découvre ce n’est
pas le refoulement, mais le refoulé, dans tous les symptômes des hystériques,
ce qui le conduit à admettre un phénomène totalement inconscient: le
refoulement. Le refoulé est ce qui se manifeste et peut donc être immédiatement
perceptible, ce qui n’est pas le cas du refoulement. Cette précision nécessite
un plus ample développement que nous pensons faire ultérieurement. Dès
maintenant, nous pouvons ajouter que nous refoulons parce que nous avons été
refoulés.
[217] On trouve chez A. Adler des
formulations théoriques qui s’apparentent à celles de S. Freud, et
réciproquement d’ailleurs. Ainsi ce qu’il expose, dans le passage suivant, au
sujet de l’angoisse fait penser à la théorisation de ce dernier au sujet de
l’angoisse de préparation, que nous avons négligée et sur laquelle nous
reviendrons. «L’angoisse, qui devait servir précédemment à
préserver le sujet de l’isolement, de l’humiliation, à lui faite oublier son
sentiment de petitesse…». A. Adler, Le tempérament nerveux, (p. 33).
Ajoutons que si S. Freud parle de bisexualité, A. Adler parle d’hermaphrodisme
psychique.
[218] Idem, p. 60.
[219] A. Adler, Connaissance de l’homme, p. 89. A. Adler
parle souvent d’un organe psychique dont il affirme l’existence comme si elle
allait de soi. Ce faisant il opère dans la séparation corps-âme que nous avons
déjà signalée, ce qu’opère également S. Freud lorsqu’il parle d’un appareil
psychique dont il cherche à fonder l’existence et à lui donner un lieu en
l’être.
[220] Ceci ne pouvait que l’éloigner de la
perception d’un cheminement de libération-émergence. «Au point de vue de la
guérison, on n’obtient pas grand-chose en retirant de l’inconscient ces
sensations ou impressions “refoulées”, à moins qu’on ne réussisse à faire
comprendre au malade ce qu’il y a d’infantile dans le mécanisme de ses accès».
A. Adler, Le tempérament nerveux, p.
37. Il ne s’agit aucunement de vider un inconscient qui n’existe pas, ni de
maintenir la dépendance en enjoignant quoique ce soit à qui que ce soit,
surtout si l’injonction est une incitation à accepter une culpabilité: demeurer
infantile.
[221] J’ai déjà abordé ce thème mais d’un
point de vue général dans Forme,
Effectivité-réalité, virtualité, «Invariance», série V, nº 1. Je précise
que le chapitre 1 du livre I de Le
Capital ne contient pas l’exposition de l’origine de la valeur, comme c’est
parfois affirmé, mais celle de l’origine de l’équivalent général, sans lequel
le phénomène de la valeur, puis celui du capital, ne peut pas se déployer.
[222] A. Adler, Le sens de la vie, p. 184.
[223] A. Adler, L’enfant difficile, p.
17.
[224] A. Adler, Le tempérament nerveux, p.
48.
[225] Si on ne tient pas compte de la
référence à la psychanalyse, la remarque suivante de W. M. Johnston met bien en
évidence la dimension réformiste d’A. Adler et le fait qu’il fut un précurseur
non seulement sur le plan de la pratique psychologique mais sur celui de
l’éducation dont, plus que de la guérison, il eut la passion. «Répudiant le
nihilisme thérapeutique, il infusa à la psychanalyse la passion de guérison. Sa
conviction qu’il était possible d’abréger la cure anticipa sur maintes écoles,
notamment sur la thérapie de groupe du Roumain Jacob Levy Moreno (1892-1974),
qui élabora une technique de libération des névroses fondée sur le
psychodrame». W. M. Johnston, L’esprit
viennois, p. 305. À la base il y a l’idée que la vie d’un individu se
ramène à un scénario, d’où aussi l’utilisation du théâtre en tant que
thérapeutique, la pratique des jeux de rôle. Notons enfin que déconditionner
est aussi le but de la kinésiologie.