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Vers une autre réorganisation de la théorie

 

 

 

 

 

 

 

La théorie psychanalytique est réorganisée avec les textes de 1923. Elle comporte maintenant une nouvelle topique: le moi, le ça et le sur-moi, une nouvelle dualité des pulsions et un concept déjà opérant  auparavant mais qui n’acquiert toute sa puissance qu’au sein de cette théorie réorganisée: la compulsion de répétition que je préfère appeler rejouement. Un phénomène voisin, mais plus bref dans le temps, est la remontée qui est l’émergence  ou la réémergence d’émotions du passé. Elle peut être très fugace si le contenu de l’émotion est en relation avec une grande souffrance. Dans ce cas le refoulement est quasiment immédiat et il est donc difficile de la percevoir. Ces deux phénomènes ont besoin pour se réaliser d’un support. Il s’agit là d’une notion fondamentale, absente dans l’oeuvre de S. Freud, sur laquelle je reviendrai en réabordant le tout. On rejoint la thématisque de l’extériorisation et de la nécessité de l’objet extérieur que nous avons abordée avec K. Marx. En effet tout homme, toute femme, a besoin de quelque chose en dehors de lui, c’est-à-dire quelque chose qui ne soit pas de son être propre, comme support pour pouvoir rejouer un évènement qui l’a meurtri(e); plus généralement pour permettre  d’actualiser une préoccupation obsédante. Cela peut-être un objet, une entité, une personne, un être vivant, une représentation (une oeuvre théorique par exemple). Tout cela peut d’ailleurs être considéré de façon générique comme objet: ce qui est placé en situation d’extériorité, ce qui se trouve devant et qui permet de présentifier l’individu et, ici, de présentifier quelque chose du passé. Exprimé autrement, l’individu a besoin d‘un support pour dire son mal-être, ce qui l’obsède. Ce qui le hante  depuis sa petite enfance, sa naissance, ou sa vie intra-utérine, sera exprimé non pas symboliquement mais grâce à un support, ce à quoi se ramène le symbole. Certes, en ce qui concerne le support théorique, ce n’est pas le bébé, ni même l’enfant, qui crée le concept d’infini, de transfini, de discontinuité, de limites, etc., mais l’appareil théorique en lesquels ces concepts sont inclus et peuvent opérer, est le support d’expression du mal-être de celui-ci qui persiste en l’adulte qui opère théoriquement, et de sa volonté de lui trouver une solution qui lui permette de le dépasser, et de vivre. Cela veut dire qu’une production théorique, témoignage d’un phénomène de conscientisation est en même temps le support d’un vaste procés inconscient. Il y a là une certaine expression de la fausse conscience.

 

Nous verrons la généralité du phénomène car il intervient dans le symbole, le fétiche, la virtualité, etc. Il ne relève pas uniquement de l’ontose bien qu’il soit déterminant pour la comprendre, ainsi que les phénomènes autonomisés de celle-ci, la mélancolie par exemple où s’affirme la nostalgie d’un support. Ajoutons que lorsque les supports ne sont plus externes, donc lorsqu’il n’y a plus aptitude à la projection, à l’extériorisation qui est normalement une affirmation, que donc les supports deviennent internes, alors prévaut la folie. Nous l’avons déjà exposé, l’ontose ne peut opérer qu’à partir d’un phénomène naturel. La séparation qui est son point de départ permet une autonomisation du support, de telle sorte qu’un même objet peut se révéler support d’un phénomène naturel et d’un phénomène ontosique. La dualité, nous y reviendrons longuement, est due à la présence de l‘ontose dans l’être. Il a même une dimension biogénétique. En effet le phénomène vie, tel que nous le connaissons sur la terre, n’aurait pas pu se déployer si les macromolécules, nécessaires à l’édification des diverses structures du vivant et qui furent le résultat de multiples polymérisations, n’avaient pas eu un support, l’argile, opérant souvent aussi comme catalyseur, pour les retenir  et les empécher de se disperser dans l’eau où elles auraient été hydrolysées et donc auraient subi une simplification moléculaire (inverse de la polymérisation permettant l’élaboration de strucutres complexes) qui aurait enrayé le phénomène biogénétique. On peut contaster que là où les formes de vie sont les plus diversifiées, multiples, on trouve des lieux offrant un support stable, comme la superficie des terres émergées où des sols ont pu se constituer, points de départ  de différentes lignées d’êtres vivants. En revanche la surface des océans et des mers, instable, ne permet pas un tel développement. On retrouve ce dernier sur leur fond, à faible profondeur tant que la lumière peut pénétrer, comme avec les herbiers de posidonies et de zostères, à grande profondeur, quand le phénomène capteur d’énergie n’est plus la photosynthèse mais la chimiosynthèse, comme avec ce qui est appelé les oasis des profondeurs au voisinage du rift des dorsales océaniques.

 

En revenant à S. Freud je puis dire qu’il a opéré une recherche effrénée de supports pour y lire sa souffrance. Cela explique entre autre sa spéculation, sa fascination pour une “fantaisie  phylogénétique”. Après 1923 il va effectuer des  retouches à la réorganisation de sa théorie   Les précisions opérées conduisent à la nécessité d’apporter des modifications, comme cela se fera sentir dans les années trente où s’impose une autre réélaboration sur laquelle nous reviendrons. Ainsi en 1926, il fait paraître Inhibition, symptôme et angoisse qui est en fait une étude sur l’angoisse et la culpabilité, les deux étant liées. Là encore le texte est surtout important pour comprendre le devenir de son auteur. “Le moi qui, d’un côté, se sait non coupable ne peut, de l’autre côté, qu’éprouver un sentiment de culpabilité et porter une responsabilité qu’il ne sait pas expliquer”[1]

 

“Même si bien des choses, ce qui se produit aussitôt, s’élèvent contre cette conclusion, une concordance tout à vait remarquable ne peut cependant manquer de nous frapper. La première expérience vécue d’angoisse, chez l’homme du moins, est la naissance, et celle-ci signifie objectivement la séparation d’avec la mère, elle pourrait être comparée à une castration de la mère (selon l’équation enfant =pénis)”[2].

 

Donc cela veut dire que du moment que l’enfant veut naître, il castre la mère. De quoi la prive-t-il en réalité? On sent là que S. Freud a besoin d’un support pour exprimer une auto-culpabilisation. Se fait jour, de façon pressante, la nécessité qu’il a de poursuivre en l’amplifiant l’élaboration d’une symbolique pour ne pas voir.

 

Il poursuit: “C’est comme une telle expérience vécue prototypique que s’offre à nous, pour ce qui est de l’homme, la naissance, et c’est pourquoi nous sommes enclins à voir dans l’état d’angoisse une reproduction du trauma de la naissance”[3].

 

La même chose est affirmée à la page suivante. “Cela n’empèche pas que l’angoisse prenne chez l’homme les processus de la naissance comme prototype”.  Et, un peu plus loin, il affirme. “L’angoisse fit son apparition comme réaction à un état de danger, elle est maintenant régulièrement reproduite quand un tel état s’installe de nouveau”.

 

C’est alors que, sur le plan théorique, au travers d’un questionnement, se manifeste son angoisse. “Pourquoi toutes les névroses ne sont-elles pas des épisodes du développement, qui seraient clos une fois atteinte la phase suivante? (..) d’où vient la névrose, quel est son motif ultime, son motif particulier? Après des décennies d’efforts analytiques, ce problème se dresse devant nous, intact comme au commencement”[4].

 

On voit réapparaître le thème qui avait été abordé au sujet de la conscience: qu’il n’y ait pas de restes mnésiques, qu’il y ait simultanément élimination  du contenu de la phase antéreure avec l’accession à la nouvelle. Tous ces résidus sont comme des symptômes de l’ontose.

 

 Il essaie de donner une réponse. Il envisage trois facteurs déterminants les névroses. Un facteur biologique: ” l’état de désaide  et de dépendance  longuement prolongé du petit enfant d’homme”. Il trouve des accents gnostiques et existentialistes pour exprimer cet état. “... l’enfant  d’homme est envoyé dans le monde plus inachevé qu’eux (les animaux, n.d.r). L’influence du monde extérieur en est renforcé, la différenciation du moi d’avec  le ça précocement favorisée, et la valeur de l’objet, qui seul peut protéger contre ces dangers et remplacer la vie intra-utérine perdue, énormément accrue. Ce facteur biologique instaure donc les premières situations de danger et crée le besoin d’être aimé, qui ne quittera plus l’être humain”[5].

 

Il ne s’agit pas d’un phénomène biologique, mais d’un phénomène culturel qui empéche que l’hapto-gestation, succédant à l’utéro-gestation, ne se réalise pleinement. La continuité est brisée ce qui place l’enfant dans l’impuissance, le privant de son pouvoir. De la continuité il ne lui reste que l’amour, qui devient attachement. Pour rendre innée la dépendance et l’infériorité[6], il fait de l’amour un sentiment acquis mettant en évidence en même temps que le besoin dérive de la création d’un manque. En outre la faculté d’aimer de l’enfant est escamotée, alors que c’est à cause de cette puissance d’aimer qu’il est désiré, convoité par la mère d’abord, et par le père.

 

Le deuxième facteur est phylogénétique (c’est-à-dire spéciogénétique). Il s’agit de la sexualité enfantine précoce suivie d’une phase de latence à partir de l’âge de cinq ans, puis d’une reprise à la puberté. “Nous estimons qu’il a dû survenir dans les destins de l’espèce humaine quelque chose d’important qui a laissé derrière soi cette interruption du développement sexuel comme précipité historique. La signification pathogène de ce facteur résulte de ce que la plupart des revendications pulsionnelles de cette sexualité enfantine sont traitées et écartées défensivement par le moi comme des dangers, si bien que les motions sexuelles ultérieures, celles de la puberté, qui devraient être conformes au moi, sont en danger d’être soumises à l’attraction des prototypes infantiles et de les suivre dans le refoulement. Il est remarquable que le contact précoce avec les revendications de la sexualité agisse sur le moi d’une façon similaire à celle du contact prématuré avec le monde extérieur”[7].

 

S’il y a contact prématuré avec le monde extérieur cela est dû, répétons-le, à la non réalisation de l’hapto-gestation. S’il y contact précoce avec les revendications de la sexualité cela dérive de la solitude où se trouve l’enfant qui est condamné à se replier sur lui-même et à sombrer dans ce que S. Freud nomme le narcissisme, l’auto-érotisme, en tenant bien compte que la dimension sexuelle de ces comportements est déterminée par les adultes[8].

 

En rejetant la théorie de la séduction, S. Freud rejetait l’idée d’un traumatisme originel. Il est amené à en en trouver d’autres: celui du caractère prématuré de la naissance  induisant la nécessité de l’hapto-gestation, celui de la naissance elle-même, celui qui a perturbé le développement de la sexualité.

 

L’insistance sur l’existence d’une sexualité précoce m’apparaît comme un phénomène de compensation en rapport à l’état d’impuissance où se trouve l’enfant  subissant l’ontose parentale. De même le forçage de l’enfant a devenir grand, qui tend à accélérer  des procès naturels, se manifeste comme compensation à ce qui apparaît comme lenteur dans le développement normal. Enfin son approche théorique est déterminée, en partie, par un besoin de compensation.

 

“Le troisième facteur, ou facteur psychologique, peut être trouvé dans une imperfection de notre appareil animique qui est précisèment en corrélation avec sa différenciation en un moi et un ça, et donc remonte aussi en dernier lieu à l’influence du monde extérieur. Par la prise en considération  des dangers de la réalité, le moi est obligé de se mettre sur la défensive contre certaines motions pulsionnelles du ça, de les traiter comme des dangers. Mais le moi ne peut se protéger contre des dangers pulsionnels intérieurs d’une manière aussi efficace que contre un morceau de la réalité à lui étrangère”[9].

 

Dans Au-delà du principe de plaisir, il a déjà envisagé un défaut de l’appareil animique: l’insuffisance du pare-excitations interne. Ici il semble vouloir conjurer les émotions qui l’assaillent et le menacent  de l’intérieur, en montrant que tout se résoud à une relation avec l’extérieur. Mais est-ce qu’ainsi il pourra mieux se protéger? “Une connaissance instinctive des dangers menaçants de l’extérieur semble ne pas avoir été accordée (par qui? n.d.r) à l’être humain, ou seulement dans un cadre très modeste. Les petits enfants font sans cesse des choses qui les mettent en situation de danger pour la vie et ne peuvent pour cela justement se passer de l’objet protecteur. Dans la relation à la situation traumatique, face à laquelle on est en désaide, danger externe et interne, danger de réel et revendication de pulsion se rejoignent”[10].

 

En réalité, il se trouve placé devant une autre insuffisance. En conclusion les hommes et les femmes récèlent des tares que la psychanalyse a révélées et qu’elle interprète car elle ne peut en rien les éliminer. Une fois encore S. Freud se retrouve devant le fait héréditaire dont il avait pensé pouvoir se passer. Il retrouve donc le pessimisme thérapeutique dont parle W.M. Johnston. En définitive comme la religion, la science met en avant la déficience humaine, le péché originel. La toute puissance divine pouvait le sauver. Dieu ne pouvait que s’émouvoir et aider sa créature chez qui il avait créé le besoin d’être aimé. Par là d’ailleurs s’opérait un phénomène compensateur: dieu ne peut exister que s’il est aimé par les hommes et les femmes, comme l’ont soutenu divers théoriciens. La science peut-elle sauver l’homme, la femme, de sa tare? Ceci est un possible qui n’est jamais réalisé, particulièrement dans le domaine de la santé. Le salut est prévisionnel il dépend des progrés dans les manipulations génétiques, de l’issue de la lutte contre les bactéries. A noter que comme pour S. Freud, il y a une donnée interne et une donnée externe. Ajoutons que pour lui culture et civilisation ne sont que des béquilles, dont il essaie d’extraire la science. Mais cette dernière est considérée à l’instar de la religion qui représente, à travers dieu, la toute-puissance, compensant l’impuissance des hommes, des femmes. Elle doit compenser toutes les tares de l’espèce. Là se perçoit le rejouement de la toute-puissance de la mère et de l‘impuissance de l’enfant englué dans son Hilflosigkeit. Toutefois, lui qui dit faire oeuvre scientifique, se rend compte qu’il n’est pas possible de guérir hommes et femmes d’une angoisse ancrée en eux!

 

L’analyse de ces quelques pages nous suggère une autre reflexion. S. Freud est amené à reconnaître le rôle déterminant de la mère. On sent qu’il a une puissante remontée signalée particulièrement par l’utilisation du concept d’Hilflosigkeit, désaide, détresse. C’est un des supports de sa haine contre la mère. Il ne se rend pas compte que la toute puissance de cette dernière dérive de la perversion d’un procès, celui de l’hapto-gestation. En conséquence, comme l’ont fait les hommes depuis des milliers d’années il opère un phénomène de compensation[11] et postule l’infériorité de la femme. Ce qui fait que celle-ci dans la totalité de sa réalité n’est jamais perçue et qu’elle est réduite uniquement à des rôles.

 

La reflexion théorique de S. Freud, consciemment et surtout inconsciemment, va tendre à chercher quel peut être le phénomène compensateur à l’Hilflosigkeit. On constate que le thème du traumatisme est de ce fait scotomisé. Il peut raisonner en savant: il y a une situation bien déterminée, bien caractérisée avec ce concept; comment à partir de là trouver une solution à la détresse humaine? Dimension thérapeutique et sotériologique de la théorie freudienne qui est couplée avec une abscence d’illusion. “De plus tout au long de ma vie (je suis de dix ans votre ainé), une part importante de mon travail a consisté à détruire mes propres illusions et celles de l’humanité”[12]. Ceci est assez similaire à la préoccupation de K. Marx qui voulait détruire la fausse conscience, les représentations idéologiques de l’humanité. La régression va faire que S. Freud va se contenter de lutter contre les illusions.

 

 

 S. Freud cherche donc une compensation à la détresse, Hilflosigkeit, mais il ne veut pas que ce soit à travers une illusion. Tel est le thème fondamental de L’avenir d’une illusion, 1927, auquel s’ajoute celui de la réconciliation de l’homme avec la culture. Cependant avant d’examiner ces thèmes et de percevoir ce qu’ils apportent  dans la dynamique de réorganisation de la théorie, il convient de faire état  de certaines données de la vie de S.Freud et d’une oeuvre antérieure La question de l’analyse profane qui date de 1926, tandis que la post-face est de 1927. Je ne signalerai que ce qui est nécessaire  pour mon exposé et je m’occuperai ultérieurement, plus en détail, tant de ce qui concerne sa vie que de cet ouvrage.

 

“Je ne sais si vous avez saisi le lien secret qui existe entre L’analyse profane et l’Illusion. Dans l’un, je veux protéger l’analyse contre les médecins, dans l’autre contre les prêtres”[13]. Autrement dit il a écrit deux ouvrages pour lutter contre la récupération. Il ne veut pas être récupéré. Il veut se protéger, ce qui implique qu’il ne soit pas confondu, c’est-à-dire que son originalité puisse se maintenir, s’affirmer. C’est de tout cela qu’il s’agit dans La question de l’analyse profane, où c’est présenté de façon percutante, mais c’est quelque chose qui le préoccupe constamment. Il parle de protéger la psychanalyse, mais c’est de lui qu’il s’agit, c’est lui qui est menacé, mais lui en tant que petit garçon et non en tant qu’adulte. D’où l’intensité de sa réaction qui est une violence contre les autres. En effet, comme le fait remarqer M. Schneider, il “n’hésitait pas dans sa conclusion au débat à voir “dans l’intérêt des médecins pour l’analyse une tentative d’appropriation  sadique-anale visant plus à détruire l’objet qu’à le con server”[14]. Il manifeste en même temps sa tendance paranoïaque.

 

Constamment S. Freud a lutté contre la réduction de la psychanalyse à une branche de la médecine, à une thérapie quelconque. Or la réduction  est souvent le premier temps de la récupération. Et cette dernière entre dans la dynamique du détournement, Verführung, de la séduction.  Il rejoue constamment et doit de la même façon conjurer. Pour lui, la psychanalyse est de l’ordre de la connaissance et pas seulement de l’ordre de la thérapie, et la première l’emporte sur la seconde.  On a la sensation que c’est presque un mode d’être, plus précisèment ce qui lui permet d’être lui-même et, par là, de pouvoir prendre position par rapport aux faits psychiques des hommes et des femmes et de pouvoir entrer en relation avec eux. Toutefois il ne parvient pas à clairement exprimer le profond désir que récèle sa volonté de fonder la psychanalyse. En conséquence il ne peut pas être compris réellement, d’autant plus que les autres sont encore plus obscurs en leurs comportements. De ce fait il se retrouve à nouveau dans une dynamique d’isolement. “Après le congrès d’Innsbruck (septembre) la position de Freud devient de plus en plus isolée. “Le développement interne de la psychanalyse, contrairement à mes intentions, s’éloigne partout de l’analyse pratiquée par les non-médecins pour devenir une pure spécialité médicale, et je considère cela comme fatal pour son avenir”, “écrivait-il amèrement à Ferenczi. A Eitingon, il dépeint “le sombre avenir qui attendrait la psychanalyse si elle ne réussissait  pas à faire son trou en dehors de la médecine”[15].

 

Là il rejoue l’isolement dont nous avons longuement parlé surtout à propos de la période où il soutenait la théorie de la séduction. Nous verrons ce que cela implique au sujet de ce qu’il a vécu tout petit enfant. Au niveau où nous raisonnons disons qu’un de ses schémas comportementaux fut de lutter pour briser l’isolement et pour s’affirmer dans son originalité.  Et, pour en revenir à la période où il rédige L’avenir d’une illusion, on constate que l’isolement le remet en contact avec l’Hilflosigkeit, la détresse ou désaide qui, nous l’avons dit, est le théme fondamental de cet ouvrage, comme d’ailleurs de Inhibition, symptôme, angoisse qui fut rédigé en 1925, donc à l’époque ou l’isolement se fait à nouveau fortement sentir.

 

Voyons maintenant comment  Hilflosigkeit  et réconciliation avec la culture sont traitées dans L’avenir d’une illusion. Tout d’abord la première, c’est-à-dire la détresse: “Avec ces forces la nature se dresse contre nous, sublime, cruelle, inéxorable; ainsi elle nous rappelle notre faiblesse, notre détresse, auxquelles nous espérions nous soustraire grâce au labeur de notre civilisation”[16].

 

Comme toujours il parle en même temps de lui-même, du petit garçon sous terreur, lequel tend de plus en plus à s’affirmer en lui à mesure qu’il vieillit.

 

“Car cette situation n’est pas nouvelle, elle a un prototype infantile, dont elle n’est en réalité que la continuation. Car nous nous sommes déjà trouvés autrefois dans un pareil état de détresse, quand nous étions petit enfant en face de nos parents”[17]. De même à la page suivante, mais cette fois il s’agit de l’espèce. ”En ce qui touche aux vicissitudes du destin, un sentiment vague et désagréable nous avertit qu’il ne saurait être rémédié à la détresse et au désemparement du genre humain”.

 

“Vous faites dériver l’humanisation de la nature du besoin qu’éprouve l’homme de mettre fin à son désemparement et à sa détresse en face des redoutables forces de la nature”[18].

 

En plus de la détresse se manifeste, le désemparement, le désarroi. Et de nouveau il s’agit de l’enfant. “Je croirai plutôt que l’homme, quand il personnifie les forces de la nature, suit une fois de plus un modèle infantile”[19].

 

“Ainsi la nostalgie qu’a de son père l’enfant coïncide avec le besoin de protection  qu’il éprouve en vertu de la faiblesse humaine; la réaction défensive de l’enfant contre son sentiment de détresse prête à la réaction au sentiment de détresse que l’adulte éprouve à son tour, et qui engendre la religion[20]”... La situation de détresse engendre le besoin de protection. Enfin une dernière citation sur ce thème pour voir apparaître une autre donnée. “ nous le savons déjà: l’impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d’être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l’homme s’est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant”[21]. La protection ne peut se faire qu’à travers l’amour, ce dont S. Freud a profonde nostalgie. Cependant si l’homme reste toute sa vie un enfant, c’est qu’il n’y a pas  eu satisfaction au sens précis où il entend ce terme et que nous avons signalé plus haut. A-t-il donc été réellement protégé par son père et, au-delà, par sa mère. Nous essaierons de donner une réponse explicite ultérieurement. Pour le moment je répondrai par la négative et j’ajouterai que cela l’a mis dans un état de dépendance pour le reste de sa vie, situation commune à tous les hommes et toutes les femmes. C’est pourquoi il fut constamment habité par l’angoisse comme nous l’avons amplement montré. D’ailleurs juste après le passage cité, il affirme. “ L’angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pense de  la Providence divine”.

 

La protection, hommes et femmes l’ont recherchée dans la religion, comme le signale déjà la citation  précédente, et comme il le dit explicitement; “J’ai tenté  de montrer que les idées religieuses sont issues du même besoin que toutes les autres conquêtes de la civilisation : la nécessité de se défendre contre l’écrasante supériorité de la nature”[22]. Mais la religion est une illusion, plus précisément: les idées religieuses sont des illusions. Et il déclare que: “Ce qui caractérise l’illusion, c’est d’être dérivée des désirs humains”[23]. Il précise à la page suivante. “Ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci la réalisation d’un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l’illusion renonce à être confirmée par le réel”. Cette définition de l’illusion a beaucoup d’affinité avec celle du rêve. Il est étrange que S. Freud n’y ait pas songé et que vivre dans l’illusion serait vivre dans un rêve. Son interprétation des rêves serait une interprétation des illusions.

 

Qu’est-ce qui peut protéger l’homme sans que ce soit une illusion? La culture. Mais celle-ci s’édifie aux dépens et contre ses instincts que S. Freud énonce ainsi: “Ces désirs instinctifs sont ceux de l’inceste, du cannibalisme et du meurtre”[24]. En conséquence la culture ne peut opèrer qu’au travers d’une grande contrainte. “Il n’est pas exact de dire que l’âme humaine n’a subi aucune évolution depuis les temps primitifs, et qu’en opposition aux progrès de la science et de la technique elle est aujourd’hui encore la même qu’aux origines de l’histoire. Nous pouvons ici faire voir l’un de ces progrès psychiques. Il est conforme à notre évolution que la contrainte externe soit peu à peu intériorisée, par ceci qu’une instance psychique particulière, le surmoi  de l’homme, la prend en  charge. (...) Ce renforcement du surmoi est un patrimoine psychologique de haute valeur pour la culture”[25]. Le progrès psychique consiste en l’intériorisation de la contrainte et en l’accroissement de la puissance de celle-ci.

 

A partir de là il est fort compréhensible que: ”La question décisive est celle-ci: réussira-t-on , et jusqu’à quel point, à diminuer le fardeau qu’est le sacrifice de leurs instincts et qui est imposé aux hommes, à réconcilier les hommes avec les sacrifices qui demeureront nécessairees et à les dédommager de ceux-ci”[26].

 

Mais il y a plus: la culture est la cause de la production d’une névrose et le moyen de la dépasser. “Nous savons que l’enfant humain ne peut accomplir son évolution vers la civilisation sans passer par une phase plus ou moins accentuée de névrose”[27]. Cela est dû au fait, comme il l’affirme à la page suivante,  qu’il ne peut réprimer ses impulsions instinctives. Il pourra le faire “par des actes de refoulement, derrière lesquels d’ordinaire se cache un mobile de peur”. En conséquence, poursuit-il; “ La plupart de ces névroses infantiles disparaissent  spontanément quand l’enfant grandit”. De là il passe sur le plan de l’espèce pour reprendre une idée déjà exprimée dans Vue d’ensemble des névroses de transfert. “On pourrait de même admettre  que l’humanité dans son ensemble passe, au cours de son évolution, par des états analogues aux névroses ( et ceci pour les mêmes raisons)”. D’où, à la même page, la réaffirmation de sa caractérisation de ce qu’est la religion. “ La religion serait la névrose obsessionelle universelle de l’humanité; comme celle de l’enfant, elle dérive du complexe d’Oedipe, des rapports de l’enfant au père”[28]. Après cela se place une sorte de profession de foi. “D’après ces conceptions, on peut prévoir que l’abandon de la religion aura lieu avec la fatale inexorabilité d’un processus de croissance, et que nous nous trouvons à l’heure présente justement dans cette phase de l’évolution”.

 

Mais si la religion est une névrose obsessionelle, il constate aussi qu’elle protège contre les autres névroses et surtout contre l’angoisse. Comment la culture peut-elle éliminer les instincts sans qu’il y ait ce résidu insupportable: l’angoisse.  On retrouve la thématique qui fut traitée à propos des pulsions internes ainsi qu’au sujet de la conscience. C’est le drame de S. Freud il ne veut pas être dans l’illusion afin de se libérer de l’angoisse. Dés lors il est condamné à vivre avec celle-ci; la culture  et la sublimation qui lui est liée, lui permettront de s’organiser contre elle; comme il a dû s’organiser contre la mort. Dés lors: “Le problème qui nous est posé, et qui  est de réconcilier les hommes avec la civilisation, sera résolu dans une très large part”[29]. C’est l’acceptation totale de l’ordre établi, c’est l’adaptation à la domestication.  Et c’est encore une profession de foi. “Ainsi, en retirant de l’au-delà ses éspérances ou en concentrant sur la vie terrestre toutes ses énergies libérées, l’homme parviendra sans doute à rendre la vie supportable à tous et la civilisation n’écrasera plus per sonne”.

 

Ce disant il expose le même programme que celui contenu dans la religion: rendre la vie supportable et il entérine en définitive deux fondements de la religion judéo-chrétienne: le péché originel: l’homme a des instincts mauvais, et la loi: ce qui peut sauver ce dernier c’est la contrainte, donc la répression des instincts. Cependant toute trace de révolte n’a pas totalement disparue. Ainsi il parle de l’”inhibition mentale “loyaliste” envers les parents  et les éducateurs”[30] et, à la page suivante, il reconnaît qu’on a mésusé de l’éducation “pour soumettre les enfants au joug religieux”. Il déclare, il est vrai, “... nous sommes contraints d’imposer à l’enfant qui grandit un système quelconque de doctrines”[31]... Qui le contraint, la société, la culture?  Désigne-t-il peut-être simplement le fait qu’il rejoue la repression parentale qu’il a subie? En réalité l’enfant en lui, avons-nous dit réaffleure de plus en plus ce qui l’amène à reconnaître un fait important même s’il le pose à travers un devoir être. “L’homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s’aventurer dans l’univers hostile”[32]. L’hostilité c’est une empreinte qu’il reçut tout jeune. Elle n’a jamais été effacée.

 

Indiquons également ceci: “Pensez  au contraste attristant entre l’intelligence rayonnante d’un enfant bien portant et la faiblesse mentale d’une adulte moyen”[33].

 

Si l’homme est encore un enfant, il est évident que la périodisation de l’histoire selon A. Comte en âge théologique, etc. de même que la thèse souvent reprise, par S. Freud lui-même, que les peuples primitifs seraient demeurés dans l’enfance de l’humanité, tout cela constitue une théorisation qui est une vaste illusion dans le sens même donné par ce dernier.

 

Le malaise dans la culture de 1929 est un prolongement de L’avenir d’une illusion. On y retrouve le thème de l’Hilflosigkeit qui signale l’affirmation toujours plus apparente du petit enfant en S. Freud, mais en même temps s’impose toujours plus la notion de clivage, de séparation, tandis que l’affirmation de l’enfant le conduit à un constat extrémement important et qui sera, soit repris, soit le produit d’une redécouverte: la conservation dans le psychique. “Depuis que nous avons surmonté l’erreur  selon laquelle l’oubli, qui nous est familier,  signifie une destruction de la trace mémorielle, donc un anéantissement, nous penchons vers l’hypothèse opposée, à savoir que dans la vie d’âme rien de ce qui fut une fois formé ne peut disparaître, que tout se trouve conservé d’une façon ou d’une autre et peut, dans des circonstances  appropriées, par ex. par une régression allant suffisamment loin, être ramené au jour”[34].

 

“La seule chose à laquelle nous pouvons tenir fermement, c’est que dans la vie d’âme la conservation de ce qui est passé est la règle plutôt qu’une déconcertante exception”[35].

 

En conséquence comment se fait-il que, grâce à la psychanalyse, les vieilles émotions qui obsèdent, ne soient pas revécues, conscientisées et éliminées. Pourquoi S. Freud est-il de plus en plus réduit au petit enfant sous terreur?

 

La notion d’Hilflosigkeit est abordée à propos d’un examen du sentiment océanique dont R. Rolland a fait part  à S.Freud, comme étant au point de départ du sentiment religieux. “C’est jusqu’au sentiment de désaide enfantin que l’on peut suivre  d’un trait sûr  l’origine  de la position religieuse”[36].

 

A partir de là, le thème fondamental est celui de la souffrance. Ce qui fait inévitablement penser à Bouddha. A la différence de ce dernier qui produisit un traité sur l’art d’atteindre le nirvana, une forme radicale de suppression de la souffrance, il expose un traité de survie, ou l’art de composer avec la souffrance, de s’organiser en fonction d’elle, en perspective de la mort. En effet il envisage différents remédes contre la souffrance, pour conclure qu’aucun n’est efficace. Après avoir affirmé une nouvelle fois: “La vie telle qu’elle nous est imposée est trop dure pour nous, elle nous apporte trop de douleurs, de déceptions, de tâches insolubles”[37], il énonce les remèdes pour la supporter: “.. de puissantes diversions qui nous permettent de faire peu de cas de notre misère, des satisfactions substitutives qui la diminuent, des stupéfiants qui nous y rendent insensibles”. Cela le conduit inévitablement à se poser “la question de la finalité de la vie humaine” qui “n’a encore jamais trouvé de réponse satisfaisante”[38].

 

Poser une finalité à la vie c’est entrer dans la dynamique de justification que cherche à fonder tout être ontosé, tout être qui n’a pas été accepté. Il doit constamment se justifier et pour cela trouver un but à la forme de vie qu’on lui impose. S. Freud pense que c’est “le principe de plaisir qui pose le finalité de la vie”[39]. Toutefois, il ajoute quelques lignes après que le bonheur est impossible et il le dit en des termes théologiques terrifiants: “...on aimerait dire que le dessein de l’homme soit “heureux” n’est pas contenu dans le plan de la “création”. En conséquence, le thème de la souffrance va lourdement s’imposer. “La souffrance nous menace de trois côtés, en provenance du corps propre qui, voué à la déchéance et à la dissolution, ne peut même pas se passer de la douleur et de l’angoisse comme signaux d’alarme, en provenance du monde extérieur qui peut faire rage contre nous avec des forces surpuissantes, inexorables et destructrices, et finalement à partir des relations avec d’autres hommes”[40]

 

Il semblerait qu’hommes et femmes, en Occident, aient voulu quelque peu escamoter la souffrance, particulièrement en l’exaltant comme vertu rédemptrice, au contraire de ce que firent les hindous. Toutefois celle-ci s’impose à un point tel que plus rien n’est opérant pour la conjurer.

 

S. Freud indique d’autres moyens pour tenter d’enrayer la souffrance. Ainsi mettre “à mort les pulsions, comme l’enseigne la sagesse de vie orientale et comme le réalise la pratique du yoga”[41]; ou bien, sans recourir à une mesure si extrème, aspirer à “la domination de la vie pulsionnelle”. Dans ce cas “une certaine protection contre la souffrance est atteinte”, mais il y a “abaissement indéniable des possibilités de jouissance”[42]. De même il analyse la sublimation, “la visée de se rendre indépendants du monde extérieur en cherchant ses satisfactions  dans des processus psychiques internes”[43], ce qui me semble aberrant en fonction de la théorisation de S. Freud lui-même puisque c’est de l’intérieur que proviennent les sources les plus intenses de souffrance; l’abandon du monde;  recourir aux illusions, ce qui nous ramène selon ce dernier à la religion, mais qui de façon plus approfondie nous conduit à la virtualisation. Une autre technique de l’art de vivre, selon les propres termes de l’auteur, est la recherche de l’amour: chercher à être aimé pour se consoler de ne pas l’avoir été. Mais là le résultat est litérralement catastrophique. “Jamais nous ne sommes davantage privés de protection contre la souffrance que lorsque nous aimons, jamais nous ne sommes davantage dans le malheur et le désaide que lorsque nous avons perdu l’objet aimé ou son amour”[44]. Aimer c’est très dangereux . Or quel est le moment où cela s’est le mieux vérifié, si ce n’est, comme le rappel de l’hilflosigkeit nous le signale, celui de l’haptogestation au cours de laquelle S. Freud subit un évènement traumatisant: la circoncision, support de rejouement d’une non acceptation. Inconsciemment, il nous fait confidence: aimer, c’est être avec sa mère et donc en présence de la souffrance originelle. Cela implique qu’aimer c’est devenir dépendant; c’est vraiment la reproduction d’un comportement où le petit enfant a été placé du fait de la rupture de continuité entre lui et sa mère. C’est bien de cela qu’il s’agit sinon il n’évoquerait pas, comme dans la citation reportée en note,  cet autre surpuissant. De là, l’immense peur d’aimer de S. Freud et sa recherche de toutes sortes de garanties, qui opèreraient comme des pare-excitations.

 

“Comme dernière technique de vie, lui promettant au moins des satisfactions substitutives, s’offre à lui la fuite dans la maladie névrotique, que la plupart du temps il effectue dès ses jeunes années”[45].

 

La conclusion de l’analyse de tous les remèdes se résume dans le constat: impossibilité d’être heureux. Dés lors, il ne reste qu’à supporter en se protégeant. La religion peut le protéger mais au prix d’une illusion qu’il refuse. Il se tourne alors vers la culture. Mais celle-ci ne peut pas opérer une protection efficace car il reste toujours l’angoisse, la culpabilité, le tout étant en rapport avec l’Hilflosigkeit qu’il place d’ailleurs au début de la spéciogénèse, comme au début de l’ontogénèse.

 

La prise en considération de la culture le conduit d’une part à exposer une génèse de celle-ci et à une réexposition de son cheminement théorique parce qu’il note “la similitude du procès culturel avec le développement libidinal de l’individu”[46]. Ceci est dû également au fait qu’il reconnait l’amour comme un fondement de la culture .

 

“Nous ajoutions  que par cette voie on se rend, de la manière la plus problèmatique, dépendant d’un morceau du monde extérieur, à savoir de l’objet d’amour choisi, et qu’on s’expose à la plus forte des souffrances  si l’on est dédaigné par lui ou si on le perd pour cause d’infidélité ou de mort”[47]. C’est de cette dépendance qu’il a peur comme cela ressort également de la citation que nous avons faite à la note 29, parce que cela lui rappelle sa dépendance originelle, son Hilflosigkeit.

 

Sa peur d’aimer le conduit à dévaloriser l’être aimé perçu comme  un morceau du monde  extérieur. Ce faisant, en même temps, il exprime inconsciemment son  désir d’être en continuité avec le tout. On retrouve ici la même thématique que celle rencontrée chez K. Marx, mais, pour lui, elle s’impose surtout au début de la relation:  hantise du refus  vécu comme un malheur. Pour se défendre contre ce dernier, S. Freud veut se rendre  indépendant “de l’assentiment de l’objet en déplaçant la valeur principale du fait d’être aimé sur celui d’aimer soi-même”[48]. Donc le narcissisme est une compensation.  L’individu se pose en tant que tout; ce qui n’est pas sans  rapport avec le sentiment océanique! Autrement dit c’est  l’aptitude à être en continuité avec la totalité, qui est traduite par ce sentiment, qui permet de compenser l’Hilflosigkeit.

 

Accéder à la culture impose des sacrifices: la réduction de la vie sexuelle mais ce n’est pas le seul “Mais la culture  réclame encore d’autres sacrifices que celui de la satisfaction sexuelle”[49].

 

La dynamique du sacrifice comme je l’ai indiqué dans Emergence de Homo Gemeinwesen introduit celle de l’échange, du calcul économique, de même que celle de la compensation qui lui est strictement liée. “L’homme de  la culture a fait l’échange  d’une part de possibilité de bonheur pour une part de sécurité[50] .

 

Dans l’extériorité l’homme, la femme, vont vivre ce qu’ils supportent en eux; dynamique de l’autonomisation et folie, hubris des grecs.

 

Donc ce qui est déterminant c’est ce moment où l’être est mis en état d’Hilflosigkeit, de désaide, de détresse, qui conditionnne le repli sur soi, le phénomène de compensation, être tout. Il induit aussi la culpabilité: si l’on n’est pas aimé c’est qu’on est coupable, mais on n’est pas coupable de n’être pas être aimé; pour l’être on est conduit à faire le sacrifice de notre être naturel et de rompre avec notre plan de vie, de briser la continuité et donc de nous édifier  et d’entrer dans la culture. C’est cette brisure de continuité qui engendre l’angoisse d’autant plus qu’on se sent coupable aussi de s’être abandonné. “Peut-être est-il opportun de remarquer ici que le sentiment de culpabilité n’est au fond rien d‘autre qu’une variété topique de l’angoisse; dans ses phases tardives, il coïncide tout à fait avec l’angoisse devant le surmoi. (...) D’une manière ou d’une autre, l’angoisse se cache derrière tous les symptômes”[51]...    Le fait qu’il en fasse presque une topique indique à quel point il est envahi par la culpabilité, à quel point il regrette ce qui est advenu.

 

La culpabilité est un thème envahissant dans l’oeuvre de S. Freud, surtout dans Malaise dans la culture. “Tout d’abord je soupçonne les lecteurs d’avoir l’impression que les discussions sur le sentiment de culpabilité font éclater le cadre de cet essai, en prenant pour elles trop de place et en poussant dans la marge leur autre contenu, avec lequel elles ne sont pas toujours en corrélation. Cela peut bien avoir dérangé l’architecture de ce traité, mais correspond tout à fait à l’intention de mettre en avant le sentiment de culpabilité comme le problème le plus important du développement de la culture, et de montrer que le prix à payer pour le progrès de la culture est une perte de bonheur, de par l’élévation du sentiment de culpabilité”[52].

 

Il a perçu en profondeur ce sentiment qui l’habite . Mais il n’est pas parvenu à être conscient de la cause réelle de sa culpabilité dont nous avons indiqué l’origine, l’ancrage dans son  devenir comme dans celui de tout être humain, féminin. Cela apparaît même dans la citation précédente  parce qu’en fait le sentiment de culpabilité est en corrélation intime avec tous les éléments de son psychisme. Il convient de revenir en arrière pour voir comment il l’a abordé. Il le fit à partir  de ce qu’il nomma le penchant à l’agression. “L’existence  de ce penchant à l’agression que nous pouvons ressentir en nous-mêmes, et présupposons à bon droit chez l’autre, est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne. (...) Il faut que la culture mette tout en oeuvre pour assigner des limites aux pulsions d’agression des hommes, pour tenir en soumission leur manifestations par des formations réactionnelles psychiques”[53]. Outre la pulsion sexuelle, il faut réprimer le penchant à l’agression qui est inné. Il affirme qu’il n’a pas été engendré par la propriété privée. “Elle n’a pas été  créée par la propriété (ici, il ne spécifie pas privée, n.d.r), elle régnait presque sans restriction dans les temps originaires, lorsque la propriété était encore une bien piètre chose; elle se montre dés la chambre des enfants”[54]... Ici se manifeste la superficialité  de l’approche théorique de S. Freud particulièrement lorsqu’il traite des données sociales, de la relation de l’individu à la communauté, à ce qu’on peut désigner le collectif. Il ne fait pas de différence entre foule, communauté, société et même Etat. De cette insufficance théorique il en sera question ailleurs; pour le moment une remarque:  dans un monde où règne la propriété privée, comment ne se manifesterait-elle pas  déjà dans la chambre des enfants. Elle sanctionne la séparation, l’interdit de continuité ce qui a une très grande importance sur le plan psychique.

 

La difficulté qu’il éprouve à accepter le concept d’agression le conduit à le diluer en quelque sorte  dans la pulsion de mort ou pulsion de destruction. La destruction en outre pouvant être parfois nécessaire pour pouvoir accomplir le procès de vie. “Ce qui nous mena plus loin, c’est  l’idée qu’une part de la pulsion à l’agression se tourne contre le monde extérieur et se fait jour alors comme pulsion à l’agression et à la destruction”. (...) L’hypothèse de la pulsion  de mort ou de destruction a rencontré de la résistance même  dans les milieux analytiques; (...) Je n’avais au début soutenu qu’à titre d’essai les conceptions développées ici, mais au cours du temps elles ont acquis sur moi un tel pouvoir que je ne puis plus penser autrement. (...) (Quant à la soif de destrction tournée vers l’intérieur, elle se dérobe la plupart du temps à la perception, lorsqu’elle n’est pas teintée d’érotisme).  Je me souviens de ma propre défense lorsque l’idée de la pulsion de destruction émergea pour la première fois dans la littérature psychanalytique et combien de temps il me fallu pour y être réceptif”[55]. Cette réticence eut plusieurs causes, parmi lesquelles sa relation à A. Adler. Mais ceci est surtout important en ce qui concerne le cheminement de S. Freud. Ce qui nous intéresse ici c’est le débouché de ces remarques: la production d’un autre dualisme. “Quant au nom de libido, il peut être de nouveau utilisé pour les manifestations de force de l’Eros afin de les départager  de l’énergie de la pulsion de mort”[56] .

 

Si la pulsion d’agression est si forte, se pose alors une question: “De quels moyens la culture se sert-elle pour inhiber, rendre inoffensive, peut-être mettre hors circuit, l’agression qui s’oppose à elle? (...) Que se passe-t-il chez lui (l’individu, n.d.r) pour rendre son plaisir-désir d’agression”.  Il répond: “L’agression est introjectée, intériorisée, mais à vrai dire  renvoyée là d’où elle est venue, donc retournée sur le moi propre”[57]. C’est là qu’intervient le surmoi.  “La tension entre le surmoi sévère   et le moi qui lui est soumis nous l’appelons conscience de culpabilité, elle se manifeste comme besoin de punition”[58]. Cette conscience résulte d’une génèse que S. Freud aborde ensuite. C’est quand il y a malheur que surgit la culpabilité. “Tant que tout se passe bien pour l’homme, sa conscience morale, elle aussi, est clémente et passe au moi toutes sortes de choses; quand un malheur l’a frappé, il fait retour sur lui-même, reconnaît son état de péché, accroît les revendications de sa conscience morale, s’impose des abstinences et se punit par des pénitences”[59]. Or, page suivante, il fait une remarque qui nous renvoie à l’Hilflosigkeit, qu’on peut définir comme un état de malheur. “... quand on connaît le malheur, cela signifie qu’on n’est plus aimé par cette puissance suprème (instance parentale, n.d.r)”.

 

Dans cette oeuvre, de façon plus percutante qu’en aucune autre, il expose le phénomène d’intériorisation, d’injection d’un contenu qui est étranger à l’être originel. En conséquence, ce qu’il nous décrit c’est la structuration de l’être domestiqué, qui se définit par l’ontose. L’intériorisation est liée au renoncement. “... le renoncement pulsionnel qui nous est imposé de l’extérieur crée la conscience morale, laquelle exige ensuite un nouveau renoncement pulsionnel”[60].  Autrement dit la conscience morale vient combler un vide. Le phénomène se généralise et l’on peut affirmer que la conscience vient masquer un vide, la perte de l’être originel. Elle est nécessaire pour être dans le monde un être domestiqué.

 

Tout comme le traumatisme, la culpabilité est insupportable. Elle, aussi, est placée in illo tempore. “ Mais si le sentiment de culpabilité humain remonte à la mise à mort du père originel”[61]... C’est à ce moment que S. Freud fait intervenir la notion de remords ce qui est logique puisqu’il est lié à la culpabilité. Le remords c’est le désir de revenir à l’état antérieur au moment où l’acte culpabilisant a été accompli. C’est une dynamique isomorphe à celle qu’il a décrit dans Au-delà du principe de plaisir, sous le terme de compulsion de répétition. La culpabilité est tellement insupportable qu’on voudrait ne pas avoir réalisé ce qui a été accompli. Le remords est un concentré de déni et de dénégation. C’est le point de départ d’un roman psychologique que l’individu s’élabore pour se sécuriser  en conjurant ce qui est advenu. On ne peut pas remplacer culpabilité par remords. S. Freud n’est pas très clair à ce sujet. “Quand on a un sentiment de culpabilité après avoir et pour avoir commis un crime, on devrait plutôt nommer ce sentiment remords”. A la même page, il se pose la question de savoir d’où vient le remords dans le cas du meurtre du père, et il répond: “Ce remords était le résultat  de la toute première ambivalence de sentiment envers le père, les fils le haïssaient mais ils l’aimaient aussi”[62].

 

Le recours à l’ambivalence nous ramène à la sexualité, plus exactement au procès selon lequel le phénomène sexuel est vécu par les hommes et les femmes à un moment donné et dont S. Freud devient conscient à partir de son vécu. Déja dans L’interprétation des rêves, il associait, chez l’enfant, l’amour à la cruauté. En outre le complexe d’Oedipe contient une ambivalence. Toutefois l’agression, la culpabilité lui sont insupportables, aussi en fait-il le résultat d’un conflit de pulsions. “Si la culture est le parcours de développement nécessaire menant de la famille à l’humanité, alors est indissociablement lié à elle, comme conséquence du conflit d’ambivalence inné, comme conséquence de l’éternel désaccord entre amour et tendance à la mort, l’accroissement du sentiment de culpabilité, porté peut-être à des hauteurs que l’individu trouve difficilement supportables”[63]. Mais il est difficile d’escamoter en totalité; d’où cette remarque qui signale que s’impose à lui sans qu’il en devienne conscient, le rejouement. “Dans la littérature psychnalytique la plus récente se fait jour une prédilection pour la doctrine selon laquelle chaque sorte de refusement, chaque satisfaction pulsionnelle empêché, a ou pourrait avoir pour conséquence un accroissement du sentiment de culpabilité[64]”. Cela renouvelle le refus initial, la non-acceptation qui a conduit à se sentir coupable, et cela renvoie à l’Hilflosigkeit. La théorisation de cette dernière constitue une justification de l’importance du toucher, de la mise en continuité. En même temps, elle nous signale que S. Freud se trouve constamment déstabilisé, qu’il ne parvient pas à trouver l’équilibre. Enfin s’impose à nous que c’est grâce à la sexualité qu’il exprime tout le malaise qui l’habite et qu’il retrouve dans la culture.

 

Toute la fin du livre est remplie par le thème de la culpabilité et de l’angoisse, mais il n’est pas question du complexe de castration parce qu’ici S. Freud est plus proche de la scène originelle, l’Urzsene, celle où il ne fut pas accepté et où il dut se séparer de son être originel. Cependant tout cela est masqué par l’analyse sur la culture. Il conclut dans l’autonomisation. “La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement”. (...) “Et maintenant il faut s’attendre à ce que l’autre des deux puissances célestes”, l’Eros éternel, fasse un effort pour s’affirmer dans le combat contre son adversaire tout aussi immortel. Mais qui peut présumer du succés et de l’issue”[65].

 

Tout se ramène à un combat entre deux forces antagonistes comme dans la représentation perse du conflit entre le bien et le mal, Ahura mazda et Arhiman. Les hommes et les femmes ont totalement disparu, comme lui-même s’est résigné à ne plus être.

 

Ainsi tout aurait-il été vain?  Au bout de son investigation il retrouve les principes de la religion judéo-chrétienne, ceux de la représentation bouddhique et celui du mazdéisme. Ne devra-t-il pas réorganiser sa théorie pour trouver une solution qui soit nouvelle, qui le fasse sortir définitivement de l’illusion? D’autant plus qu’il refuse une solution qui sera amplement recherchée ultérieurement: l’utilisation de drogues. Il n’y aura recours qu’à la toute dernière limite, pour mourir[66].

 

Une dernière remarque à propos du final du livre. S. Freud affirme ici un renversement , effectué également par bien d‘autres théoriciens: ce n’est pas la séparation au sein de la communauté originelle, puis au sein de ses substituts aboutissant finalement à la production de l’individu, qui est traumatisante, mais la vie en commun.

 

Nous l’avons souligné notre but est une mise en évidence des fondements théoriques de la psychanalyse. En conséquence les données de la vie de S. Freud ne sont abordées que dans la mesure où elles nous permettent de comprendre la génèse de cette théorie. En conséquence je reviens au thème de cet article, en tentant d’expliciter la réorganisation qu’il essaie d’opérer à partir de 1930, en rappelant que c’est à cette date que se produisit la mort de sa mère. C’est dans Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse écrites en 1932 que se fait sentir la nécessité de cette réorganisation. “ Nous éprouvons le besoin de réviser fondamentalement notre position sur le problème conscient-inconscient”[67]. Cette affirmation vient juste après avoir constaté, à la même page, que “ de grandes parties du moi et du surmoi peuvent rester inconscientes, sont normalement inconscientes”. Et qu’il “est  exact que moi et conscient, refoulé et inconscient ne coïncident pas”.

 

C’est le centre  de la théorie de S.Freud, qui constitue  en même temps le lieu essentiel où il doit opérer sa justification pour avoir introduit une prééminence du phénomène inconscient à un point tel qu’il fait de ce dernier une topique, une province psychique[68]. Cela le conduit à une grande difficulté: l’existence  de la modalité d’être, celle d’être inconscient, ne peut pas être emprisonné dans une province psychique. Voyons d’abord comment il aborde la question. “Ce qu’il convient d’appeler conscient, nous n’avons pas besoin d’en discuter, c’est hors de doute. Le sens le plus ancien et le meilleur du mot “inconscient” est le sens des_c_r_i_p_tif; nous appelons inconscient un processus psychique dont il nous faut supposer l’existence parce que, par exemple, nous le déduisons de ses effets, mais dont nous ne savons rien”[69].

 

D’autre part, il écrit, à la même page: “Cette restriction nous rappelle que la plupart des processus conscients ne sont conscients que peu de temps; très vite, ils deviennent latents, mais ils peuvent facilement redevenir conscients”. Ceci vient troubler la décomposition en diverses topiques. Et cela devient embarassant du fait que des parties du moi et du surmoi sont “inconscientes au sens dynamique”[70]. Ceci a déjà été affirmé dans Le Moi et le Ca. Dans les deux cas, il y a une indétermination. Et cela vient du fait que le surmoi est conçu comme émanant du ça, une différenciation de celui-ci, en relation certes avec le monde extérieur. Il y a une sous-estimation de la répression qui est assez forte pour bouleverser les zones profondes du psychisme, celles qui sous-tendent et déterminent un acte. On pourrait dire que le surmoi opèrerait comme un automate en dépit de la volonté du sujet.

 

Pour sortir de l’embarras, il fait intervenir le ça.. “Ce pronom impersonnel paraît particulièrement approprié pour exprimer le caractère principal de ce cette province psychique, son caractère d’être étranger au moi”[71]. Notons que le phénomène d’extranéisation est inclus dans l’être.  Puis il précise. “C’est la partie obscure, inaccessible de notre personnalité; le peu que nous sachions de lui, nous l’avons appris par l’étude du travail du rêve et de la formation du symptôme névrotique, et la plus grande partie de ce que nous connaissons a un caractère négatif, ne peut que se décrire que par opposition au moi. Nous nous approchons du ça avec des comparaisons, nous l’appelons un chaos, un chaudron plein d’excitations en ébullition”[72].

 

Arrêtons-nous aux comparaisons. Tout d’abord celle entre le ça et le chaos. Elle nous signale une profonde intuition de ce que vivent les hommes et les femmes: la coexistence en eux de données contradictoires qui s’imbriquent et s’opposent, concrétisation de la confusion où ils furent mis par suite de la répression parentale. Ainsi ce n’est pas un  hasard si depuis quelques années se déploie une théorie du chaos. Avec elle les savants essayent de dire le mal être logé en eux, pour le voir, s’en libérer; ce qui, dans une faible mesure, advient de façon consciente. Plus précisément on peut dire qu’alors se produit un soulagement. La deuxième comparaison avec le chaudron nous évoque le magma qui est aussi un indifférencié. L’on sait d’autre part que la formation des roches magmatiques résulte d’une différenciation de ce dernier; c’est une espèce de sortie du chaos avec accés à l’organisation: la structure cristalline. Aussi cela me semble fort important que ce soit en 1968 que prévalut la théorie des plaques - reprise de la théorie de la dérive des continents de A. Wegener - qui permet de mieux comprendre le processus de formation des roches. Mieux, elle est un support remarquable, j’y reviendrai, pour exhiber ce qui affecte intérieurement hommes et femmes.

 

Revenons au ça et à son contenu. J’anticiperai en disant que le ça est ce qu’il ne peut pas voir, l’indéterminé; l’indéterminé à quoi est réduit le bébé par le regard[73] des parents, La non continuité le réduit à un agrégat , la non présence de la mère l’indifférencie. S. Freud désigne par le ça  le chaos qui concrétise la confusion où il fut mis et c’est de ce chaos qu’il dut émerger, comme il l’expose avec sa théorisation du moi et du surmoi. Voyons de plus prés ce qu’il dit de ce contenu, particulièrement du refoulé “... l’inaltérabilité du refoulé, qui demeure insensible au temps”[74]. Il signale par là l’empreinte inéffaçable, toujours réactivée, et l’état hypnoîde constamment présent. Ce qu’il affirme au  paragraphe suivant indique bien que le ça, “formation” originelle, demeure inaltéré. “Bien entendu, le ça ne connaît pas de jugement de valeur, pas de bien ni de mal, pas de morale”.

 

Le moi et le surmoi dérivent d’une différenciation du ça au contact de l’extérieur. Ainsi notre remplacement du chaudron plein d’excitations par le magma se trouve justifié. En effet la formation des roches  magmatiques résulte d’une interaction entre l’extérieur et le magma[75]. Donc puisque le ça est un chaos, nous avons dit que le moi et le surmoi dériveraient d’une organisation, qui impliquerait une organogénèse suite à une ontogénèse elle-même en continuité avec une spéciogénèse. En réalité ce dont il s’agit c’est d’une topogénèse. Le remplacement d’organes ou d’êtres, car, parfois, moi, surmoi ou ça sont considérés en tant que tels, par des données spatiales, c’est un processus de sécurisation, comme l’est la spatialisation du temps. Dans ce cas ce dernier est pour ainsi dire piégé, il ne peut pas s’écouler[76]. En anticipant et en généralisant je puis dire que le structuralisme[77] vise le même but, en même temps qu’il est une expression de la réalisation de la communauté matérielle du capital dont nous avons amplement traité. Ce qui est logique puisque le capital parachevé représente l’ontose de l’espèce, ainsi qu’un essai de la conjurer. Mais revenons à S. Freud pour l’interpeller: quand il dit je ou moi, qu’est-ce qu’il appelle à l’être, le moi, le surmoi ou le ça? En procédant ainsi on sent que moi, surmoi et ça sont élevés au rang d’êtres. Or, je l’ai dit c’est à partir de ce statut qu’ils sont parfois envisagés. Dés lors il accéde lui aussi à la trinité: il est un en trois. Ceci n’est pas une pointe polémique contre Sigmund mais une constatation importante qui vise à mettre en évidence qu’avec sa théorisation personnelle il retrouve (il rejoue) quelque chose de perçu par d’autres avant lui: la conception de la trinité ayant été très répandue, comme nous l’avons rappelé dans De la vie. Dés lors cela veut dire qu’hommes et femmes se sont servi de cette dernière comme support pour indiquer une tripartition que S. Freud parviendra à révéler dans sa réalité psychique. Ce qui ne veut pas dire que ce soit une donnée naturelle, innée. C’est une donnée qui s’est imposée par suite de la séparation d’avec la nature, engendrant la nécessité de réprimer ce qui est originel, naturel et qui, au travers de la domination de la propriété foncière, puis de la valeur et du capital, arrive à sa pleine réalisation.

 

Que le moi soit un être S. Freud le dit clairement dans cette phrase où percent son angoisse et sa terreur. “Quand on suit les efforts du moi pour les      (les trois despostes: monde extérieur, surmoi et ça, n.d.r) satisfaire tous en même temps, on ne peut regretter d’avoir personnifié ce moi, de l’avoir présenté comme un être particulier”[78]. Cela perce pour s’étaler ensuite. “D’autre part il est observé pas à pas par le rigoureux surmoi[79] qui lui impose certaines normes de son comportement, sans tenir compte des difficultés provenant du ça  et du monde extérieur, et qui, au cas où elles ne sont pas respectées, le punit par les sentiments de tension que constitue l’infériorité ou la conscience de la culpabilité. Ainsi poussé par le ça, entravé par le surmoi, rejeté par la réalité, le moi lutte pour venir à bout de sa tâche économique, qui consiste à établir l’harmonie parmi les forces et les influences qui agissent en lui et sur lui...” Arrétons le discours, pour une remarque. Le moi opère par compromis qui pour s’effectuer a besoin d’une sorte de synthèse. Or “ce qui caractérise le moi, à la différence du ça, c’est une propension à la synthèse de ses contenus”[80] lesquels sont en partie déterminés pas le ça et le monde extérieur. Mais qui fait des compromis emprunte la voie du milieu (l’on pourrait écrire la voix du milieu) et celle-ci conduit au nirvana: retour à un indifférencé et compulsion de répétition dont il fut question dans Au-delà du principe de plaisir. Reprenons ce qui fut interrompu: ”... et nous comprenons pourquoi nous ne pouvons très souvent réprimer l’exclamation: “La vie n’est pas facile!”. Lorsque le moi est contraint de reconnaître sa faiblesse, il éclate en angoisse, une angoisse réelle  devant le monde extérieur, une angoisse de conscience devant le surmoi, une angoisse névrotique devant la force des passions logées dans le ça”[81].

 

Dans sa conclusion, il affirme. “Après avoir séparé, il nous faut à nouveau laisser se fondre ensemble ce que nous avons séparé”[82]. Toutefois on peut se demander si La décomposition de la personnalité psychique, thème de sa conférence, ne persiste pas, c’est-à-dire qu’en fait c’est une donnée. Tout de suite aprés il demande l’indulgence. ”Ne jugez pas trop durement un premier essai pour rendre sensible le psychique, si difficilement saisissable”. Il n’est pas question de juger mais de prendre position par rapport à un cheminement. Est-ce qu’il s’est trouvé, est-ce qu’il est parvenu à se percevoir?  Dans la partie finale, quelques lignes après ce qui vient d’être cité, il expose ce qu’on pourrait désigner comme son programme et celui de la psychanalyse. “On peut  aussi se représenter sans peine que certaines pratiques mystiques sont capables de renverser les relations normales entre les différentes circons_c_r_i_p_tions psychiques, de telle sorte que, par exemple, la perception peut saisir, dans le moi profond et dans le ça,  des rapports qui lui étaient autrement inaccessibles. Pourra-t-on par cette voie se rendre maître des dernières vérités dont on attend le salut?” Je dois à nouveau interrompre le discours pour signaler la continuité de préoccupation qui se manifeste depuis L’avenir d’une illusion, Malaise dans la culture et ce texte. Il veut atteindre le salut, sans endosser une illusion. Toutefois il emploie un terme religieux pour désigner le but qu’il se propose d’atteindre. Mais en quoi peut consister ce salut?  Pour le savoir reprenons le discours.” On peut tranquillement en douter. Nous admettrons toutefois que les efforts thérapeutiques de la psychanalyse se sont choisi un point d’attaque similaire. Leur intention est en effet de fortifier le moi, de le rendre plus indépendant du surmoi (aspect réformiste du programme, n.d.r), d’élargir son champ de perception et de consolider son organisation de sorte qu’il puisse s’approprier de nouveaux morceaux du ça. Là où était du ça, doit advenir du moi.” Le but est donc exprimé dans cette dernière phrase et nous pouvons constater qu’il ne s’agit pas de quelque chose de radical comme le salut dont il a été question car, cela, il doute qu’on puisse l’atteindre. Reste donc le réformisme que nous avons déjà signalé. Pour comprendre en quoi consiste précisèment ce but, il nous faut en conséquence analyser cette phrase, si souvent citée et commentée, et qui est la traduction de l’allemand: Wo Es war, soll Ich werden. Avec elle, S. Freud qui s’est identifié à Oedipe, nous livre une énigme, car il est en même temps la sphynx. Il est l’énigme qu’il doit résoudre. Cette phrase est sybilline. Elle a l’impersonnalité et l’indéfini  de ce qui est à déchiffrer. Notons d’abord qu’il écrit çà-Es et moi-Ich et non le ça et le moi comme dans son texte Das Ich und das Es. Si donc la phrase allemande avait été: Wo das Es war, soll das Ich werden  (Là où était le ça, le moi doit devenir), l’aspect sybillin aurait été éliminé. En outre il y a une ambiguité puisque ich  veut dire je  mais aussi moi (Ich), c’est alors le pronom ich substantivé. C’est pourquoi J. Lacan, en 1955, traduisit ainsi:  “Là où c’était dois-je advenir”[83]. L’ambiguité est redoublée du fait que soll peut être la première ou la troisième personne du verbe sollen qui signifie devoir. Ainsi on peut donc traduire par: Là où ça était, moi doit advenir, ou par: Là où ça était, je dois devenir, en notant que certains traduisent werden par devenir et d’autres par advenir. Dans une première interprétation on pourrait traduire, étant donné que le ça est l’indeterminé et que le moi en est une différenciation, ainsi: Là où j’étais ça, je dois devenir moi. Je dois passer de l’indifférencié à l’organisé. Et ce processus devrait me guérir de l’angoisse, de la culpabilité.

 

Analysons de plus prés la phrase. Wo en allemand indique le lieu, mais connote également si. D’où l’on pourrait intégrer la nuance conditionnelle en traduisant: Si ça était, moi doit devenir. Cela implique qu’il y a un certain doute existenciel sur le début du procés de vie. Ce doute indique qu’il ne s’est pas trouvé, il n’a pas eu accés à son être originel.

 

Le verbe sollen signifie devoir, mais il indiquait autrefois une dette, une obligation contractée conformément à la loi[84]. Sur ce verbe se sont formés le substantif Schuld sulpabilité, faute, crime, péché, et l’adjectif schuldig coupable. De telle sorte qu’on a la nuance: Où ça était, je suis coupable de devenir. Or, nous l’avons affirmé à plusieurs reprises, la culpabilité est une composante fondamentale du psyschisme freudien. Il s’est senti coupable, par exemple, de devenir plus que son père, comme il le déclara explicitement. “Il faut admettre qu’un sentiment de culpabilité reste attaché à la satisfaction d’avoir si bien fait son chemin: il y a là depuis toujours quelque chose d’injuste et d’interdit. Cela s’explique par la critique de l’enfant à l’endroit de son père, par le mépris qui a remplacé l’ancienne surestimation infantile de sa personne. Tout se passe comme si le principal, dans le succés, était d’aller plus loin que le père, et comme s’il était toujours interdit que le père fût surpassé”[85].C’est peut-être pour cela qu’il n’affirme pas clairement son désir. Il le pose à travers l’impersonnalité, presque comme si cela ne dépendait pas de lui. Il n’expose pas le désir d’être mais le devoir être, ce qui est une caractéristique importante de l’ontose. Dans le cas contraire il aurait pu écrire: Wo Es war, will Ich werden, Là où ça était, moi veut devenir (avec le possible inclus de: je veux devenir). Ou de façon plus sensuelle: Wo Es war, mag Ich werden, Là où  ça était, je désire devenir (moi désire devenir)[86]. Il déclarerait alors de façon claire et nette son désir; le désir, thème essentiel de son oeuvre, préoccupation  constante de son moi. En outre le verbe mögen (première personne du présent: mag) contient aussi l’idée de pouvoir et par là l’affirmation positive de l’être désirant. La phrase précédente pourrait alors se traduire par: Là où ça était , moi peut advenir (je peux devenir). Le fait que S. Freud ne l’ait pas adoptée traduit son incertitude, ce qui nous ramène à la nuance dont il a été question précédemment. Ne pas affirmer son désir, implique une certaine résignation qu’on pourrait exprimer avec la traduction suivante: A partir de ça, je dois devenir, comme les gens disent: il faut faire avec.

 

Devenir est une tache, mais est-ce lui qui se l’est imposée ou bien lui a-t-elle été imposée? Cette dernière possibilité n’est pas absente et implique qu’il obéit alors à une  volonté impersonnelle, ce qui n’est pas sans rapport avec son affinité avec A. Schopenhauer, théoricien de la volonté. En outre cette phrase contiendrait alors une injonction et serait une affirmation du surmoi. Mais dans cette injonction, se loge une certaine tonalité religieuse qui se pose comme une conjuration de la formule de l’Ecclésiaste: “ Ce qui fut, cela sera”. Elle englobe la volonté de ne pas rejouer, d’échapper à la compulsion de répétition. Et là se manifeste une raison de son attitude polémique vis-à-vis des partisans de la religion. Il doit se démarquer d’eux parce qu’il y a quelque chose en lui qui relève de la dynamique religieuse. Enfin, l’injonction impérative signale aussi qu’il y a une urgence qui pointe d’ailleurs dans toute l’oeuvre de S. Freud: il faut en finir au plus vite avec un certain état de choses.

 

Mais il y a plus. Le ça désigne un immédiat, mais un immédiat non naturel, perverti par l’ontose, qui exerce une action ambivalente sur le moi: le refus afin de parvenir à la différenciation, l’attraction du fait de l’immédiat de l’être originel  piégé dans cet état indifférencié. C’est pourquoi le ça-Es de S.Freud correspond au là-Da de W. Hegel ou de M. Heidegger. On peut dire que le premier parle d’un Essein,  être-ça,  les seconds d’un Dasein, être-là[87]. Es-ça, Da-là indiquent un positionnement, comme un enracinement en une espace-temps donné, un point d’émergence, de devenir.

 

Si on accepte la phrase de façon immédiate, dans son sens littéral, c’est-à-dire en ne tenant pas compte de ce que Es-ça implique, elle peut s’entendre  ainsi: Là où c’était, je dois devenir, que l’on peut interpréter dans le sens suivant: Là où il y avait certitude, je dois devenir. On exprime souvent la certitude en disant c’est ça. On vise à désigner un irréductible, quelque chose qu’on ne peut pas éliminer. Le ça c’est ce qui n’a pas pu être nié par sa mère: l’ irréductibilité de Sigmund.  Ce disant, il n’y a pas contradiction avec la nuance de doute dont nous avons parlé précédemment, mais ambiguité, ambivalence, concept très important chez S. Freud et dont nous savons où se situe son émergence. Sa phrase recèle une nostalgie de l’immédiateté, une visée vers elle. Elle n’est pas en contradiction non plus avec celle envisagée  qui  contient la dimension du pouvoir, parce que dans la notion de devoir est inclue celle de pouvoir; d’un pouvoir qui, soit se présente comme celui du sujet, soit comme celui de l’être qui impose le devoir. Mieux, on peut dire que si ce pouvoir n’est pas effectif, la notion de devoir implique alors le désir que ce pouvoir soit donné afin de réaliser le devoir. C’est le sens des supplications religieuses de l’être en déréliction.

 

Ce que perçoit S. Freud sans le revivre ni le comprendre c’est que le non accueil , la non reconnaissance de son être,  de sa réalité, de la part de sa mère, le réduit à un ça, en lequel se loge l’état hypnoïde induit par le traumatisme, réactivé à travers divers rejouements, mais aussi le non accepté, le refoulé,  son être originel, son plan de vie. A partir de là, on comprend mieux la phrase que nous analysons ainsi que cette affirmation de Le Moi et le Ca: “La psychanalyse est un outil qui doit donner au moi la possibilité de conquérir progressivement le ça”[88]. Et là, il parle bien de lui. En effet qu’a-t-il dit à W.Fliess? “Je ne suis ni un véritable homme de science, ni un observateur, ni un expérimentateur, ni un penseur. Par tempérament, je ne suis qu’un conquistador, un explorateur si tu préfères ce terme - avec toute la curiosité, l’audace qui caractérisent cette sorte d’homme”[89]. Or  qu’y a-t-il à conquérir dans le ça sinon l’immédiateté perdue parce que refoulée mais pas intégralement sinon il ne pourrait pas essayer d’accomplir cette conquête. En effet s’il y a continuité entre ça et moi, comme entre ça et surmoi cela implique qu’une partie du ça, ou une modalité du ça n’est pas inconsciente, et ceci S. Freud l’affirme lui-même. “ Vous voyez du reste que nous sommes en état d’indiquer encore d’autres propriétés du ça que celle d’être inconscient...”[90] Il ne pouvait atteindre cet objectif qu’en rencontrant l’état hypnoïde - une forme d’état inconscient - provoqué par le traumatiseme originel. Il ne peut pas aller jusque là, jusqu’à sa souffrance  primitive et mettre sa mère en question. Aussi au lieu de nous exposer un cheminement pour s’atteindre lui-même dans sa plénitude, il nous présente une dynamique de passage de l’inconscient, le  ça, au conscient, le moi. Il opère sur des formes d’êtres et non sur l’être lui-même.

 

Pour atteindre non seulement l’être mais la totalité s’exprimant dans un homme, une femme, il faut reconnaître que la conscience est le produit de la non acceptation, de la répression, de même que l’inconscient. Le refoulement pouvant être considérée comme une forme pleinement intériorisée de cette dernière qui se greffe sur l’inhibition, phénomène biologique  et psychique naturel; ce refoulement qui devient nécessaire vis-à-vis de l’être originel, l’ennemi intérieur qui ne sait que souffrir.

 

Dit autrement, le traumatisme originel bloque le flux de vie, la continuité. Ainsi le phénomène inconscient n’est plus en continuité avec le phénomène conscient. Le blocage engendre des rétentions, des agrégats, des cumulats, contenus non éliminés qui induisent la production de deux formes, la conscience d’une part, l’inconscient de l’autre. Cela veut dire que, naturellement, il y a des procès conscients ou inconscients mais non une conscience ni un inconscient[91]. La conscience en tant qu’entité c’est la répresssion idéalisée, spiritualisée. Celui qui est dominé est posé inconscient, comme c’est le cas pour l’enfant. Le maître, le dominant, est celui qui détermine ce qui doit être fait, réalisé, ce à quoi on doit être présent. Il se pose comme représentant de la conscience, celle-ci personnifiée, comme le fait le parent vis-à-vis de l’enfant [92].  Affirmer l’existence d’une conscience et d’un inconscient revient à  éliminer l’activité des hommes et des femmes, et c’est éterniser leur domestication et leur souffrance.

 

“Là où ça était, moi doit advenir” est l’enigme qui cache l’évidence de sa non accession à sa réalité et le désir réitéré d’y parvenir. Ce dernier détermine le programme et le but de la psychanalyse, le programme et le but de S. Freud qui s’imposent à travers un procés conscient au moment où il accède à la perception du ça. Mais ce procès est lesté d’autres, inconscients, auxquels nous avons fait allusion lors de l’analyse de la phrasee et qui font que l’évidence demeure une énigme. C’est pourquoi, pour en revenir à l’énonciation allemande de celle-ci: Wo Es war, soll Ich werden, j’affirme que la traduction la plus correcte qui conserve sa dimension énigmatique est : Là ou ça était, je dois devenir. Elle exprime le passage souhaité de l’immédiateté inconsciente à celle consciente. Pour. S. Freud, ce passage est une énigme[93].

 

Qu’il s’agisse bien d’un programme est prouvé par le fait qu’un travail est nécessaire pour l’actualiser, comme il le déclare dans la phrase finale de la conclusion de sa conférence. ”Il s’agit d’un travail de civilisation, un peu comme l’asséchement du Zuydersée”.

 

Cela signifie qu’il faut faire appel à la culture pour réaliser ce programme. La comparaison nous éclaire encore sur la menace inconsciente qui pèse sur S. Freud. En effet  l’assèchement du Zuydersee ne put être effectué qu’à la suite de la création d’une immense digue. Il fallut se protéger contre la mer (contre la mère). Cette digue évoque le pare-excitations. Cela implique qu’il pense qu’avec l’asséchement, donc l’accession plénière au moi, il sera enfin protégé et qu’il ne connaîtra plus l’Hilflosigkeit.

 

Je ne puis quitter cette question de la conscience et de l’inconscient sans citer cette phrase extraite de la conférence Le rêve et l’occultisme: “Je serais tenté de dire qu’en insérant l’inconscient entre le physique et ce qu’on appelait  alors “psychique”, la psychanalyse nous a préparés à admettre des phénomènes comme la télépathie”[94]. Il est dommage qu’il ne soit pas plus précis, car qu’est-ce que le physique? Veut-il désigner l’organique, ce qui est étudié par la biologie? Quoi qu’il en soit, l’inconscient devient un lieu, un domaine intermédiaire et n’est plus une modalité d’être. Cette phrase contient de nombreux non-dits, dont celui-ci: la biologie pourra étudier ce domaine intermédiaire et guérir les maladies mentales. Quant à lui, S. Freud, il aura été celui qui aura découvert un nouveau domaine.

 

Dans les autres conférences, sont abordés à nouveau le problème de l’angoisse, de la culpabilité, le complexe de castration, les pulsions. Au sujet de celles-ci dans la conférence Angoisse et vie pulsionnelle, il fait cettre affirmation qui révèle les limites de son approche scientifique. “La théorie des pulsions est, pour ainsi dire, notre mythologie. Les pulsions sont des êtres mythiques, formidables dans leur imprécision”[95]

 

Dans la conférence Eclaircissements, applications, orientations, il en arrive à revendiquer ce que K. Marx voulait conjurer, le médecin permanent. “La reconnaissance du fait que la plupart de nos enfants traversent dans leur développement une phase névrotique contient le germe d’une revendication d’hygiène. On peut se poser la question s’il ne serait pas indiqué de venir en aide à l’enfant par une analyse, même s’il ne manifeste pas de signes de perturbation, comme mesure d’assistance pour sa santé, de même qu’on vaccine de nos jours des enfants bien portants contre la diphtérie, sans attendre qu’ils aient mal”[96]. Il a des arguments pour fonder sa proposition: l’assistanat est en train de s’installer. Se dessine par là de façon plus précise à quel point la science devient une mesure d’assistance publique. Cette autre remarque de la même conférence, vient renforcer cette idée.  “Là-dessus se greffe même l’espoir qu’à l’avenir la connaissance des effets hormonaux - vous savez ce que c’est - nous prêtera les moyens de lutter victorieusement contre les facteurs quantitatifs des maladies, mais aujourd’hui nous en sommes bien loin”[97]. La médicalisation est une déculpabilisation sociale avec l’enfermement toujours plus prononcé de l’être humain, féminin dans l’individu. Tout se passe en lui et il n’est pas responsable puisque les troubles qu’il subit sont dûs à des dysfonctionnements souvent déterminés par des facteurs génétiques eux-mêmes soumis au hasard. Donc la médicalisation implique la dépossession accompagnée de l’idéalisation d’un système opérant, réparateur, la médecine. En conséquence toutes les relations entre hommes, femmes ont disparu. Elles sont tout au plus considérées comme un facteur qui révèlerait la maladie à laquelle l’individu serait prédisposé. 

 

Cette approche de l’étude des maladies mentales n’est pas une inconséquence, mais est en connexion avec l’importance que S. Freud accordait à la biologie. “La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées: nous devons nous attendre à recevoir d’elle des lumières les plus surprenants et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnerait dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s’agira peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses”[98].

 

On peut imaginer que l’on arrive scientifiquement à clarifier pleinement le fonctionnement de l’encéphale, cela ne voudra pas dire que l’on pourra dés lors éliminer les maladies mentales. Je dis bien éliminer et non guérir. S’il y a maladie il y a guérison immédiatement réalisable ou à venir; ce qui ne veut pas dire que l’individu guéri redevienne pleinement sain. Les guérisons sont souvent des déplacements. Connaître permettra de mieux intervenir et surtout de pouvoir justifier toute intervention. Mais les causes - je dirai, exprès, dans la plus grande généralité possible - ontogéniques, spéciogénétiques et sociales, ayant été laissées de côté ou marginalisées, l’espèce humaine sera toujours confrontée à ses maladies, mentales  en particulier.

 

Dans sa conférences Sur une Weltanschauung, il va plus loin. Il fait de la science la véritable thérapeute de l’espèce. “C’est notre meilleur espoir pour l’avenir que l’intellect - l’esprit scientifique, la raison - parvienne avec le temps à la dictature dans la vie psychique de l’homme. L’essence de la raison est un garant qu’elle ne manquera pas d’accorder aux motions affectives humaines et à ce qui est déterminé par elles la place qui leur revient. La contrainte commune de la raison s’avérera comme le lien unificateur le plus fort entre les hommes et ouvrira la voie à de nouvelles unifications.  Ce qui s’oppose à un tel développement, comme l’interdit de penser dû à la religion, est un danger pour l’avenir de l’humanité”[99]. La contrainte commune représentée par la science remplace la thora. Il veut éliminer la religion, mais sa proposition est religieuse. On ne résoud rien en opérant des substitutions. Ce qu’il faut c’est éliminer ce qui fonde ce qu’on veut substituer. K. Marx l’avait bien compris. Il ne s’agissait pas de substituer le prolétariat à la bourgeoisie, il fallait détruire la société de classes. Mais, nous l’avons vu il n’est pas parvenu à la racine de ce qui fonde une telle société. D’où la régression dont nous avons parlé. Pour S. Freud  la racine des troubles mentaux lui est demeurée inconnue du fait de son escamotage du réel.. Il ne peut donc proposer que des substituts. Le propre de ceux-ci c’est de véhiculer l’illusion: ils opèreraient mieux que ne le firent ce à quoi ils se substituent. La raison permettra la réalisation d’un lien unificateur ce que visait et effectua la Thora pour les juifs. Ce n’est pas là seulement une réaffimation de sa judéité, mais le reliquat d’une affirmation en lui de la Gemeinwesen. Comme il a perdu toute immédiateté, il ne peut concevoir sa réalisation qu’à travers une médiation qui est en fait une prothèse. En outre son investigation pèche par beaucoup d’immédiatisme. Il n’est pas vrai que la religion proclame toujours un interdit de penser; ce serait oublier le rôle des moines puis des jésuites dans le développement de la science. En fait tout ce qui a été produit au cours d’une millénaire errance n’est que palliatif pour supporter l’ontose ou essayer d’y échapper.

 

Sa proposition est compatible avec l’existence d’une communauté despotique comme elle se maintint longtemps chez les juifs et comme elle se survivait dans l’empire austro-hongrois, avec l’autonomisation de l’unité supérieure, représentée par l’empereur.

 

Il semble bien que toutes les productions de l’adulte, les sublimations[100], toute la culture - entendue ici comme un ensemble de superstructures idéologiques - soient insuffisantes pour guérir de l’Hilflosigkeit. Cette difficulté de guérison fut probablement une cause, surgie de son vécu, qui incita S. Freud à écrire L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, 1937. Certes, apparemment, il s’agit simplement de savoir s’il est possible  de “raccourcir la durée des analyses”[101]. Mais ce qui le préoccupe intérieurement transparaît. “Les discussions sur le problème technique de savoir comment on peut accélérer le lent déroulement d’une analyse nous conduisent maintenant à une autre question d’un intérêt plus profond, celle de savoir s’il existe une fin naturelle à une analyse, s’il est même possible de mener une analyse à une telle fin”[102]. En effet de façon probablement non continue S. Freud a poursuivi son auto-analyse toute sa vie comme le témoigne Un trouble de mémoire sur l’Acropole, 1936, une auto-analyse qui l’a modifié.  “Notre théorie ne revendique-t-elle pas  justement l’instauration d’un état qui n’est jamais présent spontanément dans le moi et dont la création originale constitue la différence essentielle entre l’homme analysé et celui qui ne l’est pas”[103]? Elle lui a permis de se construire comme nous l’avons plusieurs fois affirmé. La nécessité de cette analyse est plus loin nettement affirmée. “Chaque analyste devrait périodiquement, par exemple, tous les cinq ans, se constituer objet de l’analyse, sans avoir honte de cette démarche. Cela signifierait donc que l’analyse personnelle, elle aussi, et pas seulement l’analyse thérapeutique pratiquée sur le malade, cesserait d’être une tâche ayant une fin pour devenir une tâche sans fin”[104]. Toutefois, comme nous l’avons fait déjà dit, étant donné qu’il se pose en élément fondateur, en unité supérieure, il aura recours, lui, à l’auto-analyse. Le fait qu’il parle de honte mesure à quel point il s’agit de sa réticence à se faire analyser, à quel point il est encore en présence de ses parents. Enfin une dernière citation à ce sujet, extraite de la même page, pour signifier le but dans lequel il effectue cette auto-analyse, qu’il transfère sur l’analyse. “ L’analyse doit instaurer les conditions psychologiques les plus favorables aux fonctions du moi; cela fait sa tâche serait accomplie”. L’emploi du conditionnel implique que c’est, pour lui, une oeuvre qui ne connaîtra pas son achèvement.

 

Dans cet article, S. Freud s’engage dans une autre réorganisation de sa théorie. Pour cela  de façon encore plus incisive, décidée que lors de la réorganisation précédente, il fait appel à la spéculation. “Il faut donc bien que la sorcière s’en mêle”. Entendez la sorcière métapsychologie. Sans spéculer ni théoriser - pour un peu j’aurais dit fantasmer (fantasier selon une autre traduction, n.d.r) - métapsychologiquement on n’avance pas ici d’un pas”[105]. Il est très curieux de constater que dés qu’il a une difficulté il fait appel à J.W.Goethe, ce qui, dans le cas présent lui permet de justifier son invocation à la sorcière, l’appel à son aide.

 

Or de quoi s’agit-il? De la force des pulsions et des difficultés du moi à résister à leur pression, thème récurrent chez lui. Dans le traitement de ce dernier, se manifeste une inversion importante par rapport à ses thèses de 1896 maintenues plus ou moins jusqu’au moment où il rédige ce texte. Les mécanismes de refoulement, de défense originaires sont nécessaires mais insuffisants. Ce qu’il faut c’est “ quelque chose d’autre que l’on peut à peu prés désigner comme le “domptage” de la pulsion:  ce qui veut dire que la pulsion, totalement intégrée dans l’harmonie du moi, est accesssible à toutes les influences exercées par les autres tendances dans le moi, qu’elle ne suit plus ses propres voies vers la satisfaction”[106]. C’est juste après que vient l’invocation à la sorcière métapsychologie.  Donc celle-ci est mobilisée pour opérer le domptage des pulsions[107]. Ceci n’est pas étonnant dans la mesure où les pulsions sont autonomisées, hypostasiées et apparaissent comme les avatars des anciens démons. Mais revenons au domptage, donc à la domestication. “Si la force du moi cède, par maladie, épuisement et autres, toutes les pulsions jusqu’alors domptées avec bonheur peuvent présenter de nouveau leurs revendications et aspirer à leurs satisfactions substitutives par des voies anormales”[108].

 

“Le  domptage des pulsions, qu’elles (les personnes, n.d.r) avaient  réussi lorsque celles-ci  avaient une force moindre, échoue maintenant lors de leur renforcement”.  Et S. Freud ajoute:  “Les refoulements se comportent comme des digues contre l’assaut des eaux”[109].  Cela nous rappelle étrangement “l’asséchement du Zuydersee” équivalant à l’élimination-épuisement du ça. Dés lors ce qui apparaît fondamental c’est la faiblesse du refoulement qui va induire la nécessité du psychanalyste permanent analogue au médecin permanent dont parla K. Marx, et donc celle d’une analyse sans fin.

 

“Tous les refoulements se produisent  dans la première enfance; ce sont des mesures de défense primitives du moi immature et faible. Dans les années ultérieures aucun nouveau refoulement ne s’accomplit, mais les anciens se maintiennent et le moi continue à recourir à leurs services en vue de la domination des pulsions. De nouveaux conflits sont, comme nous le disons, liquidés par “refoulement après coup”. On peut dire à juste titre de ces refoulements infantiles ce que nous avons généralement affirmé, à savoir qu’ils dépendent pleinement et totalement du rapport relatif des forces et qu’ils ne peuvent  tenir bon devant un accroissement de la force pulsionnelle. Mais l’analyse amène le moi, qui a mûri et s’est fortifié, à réviser ses anciens refoulements; quelques-uns sont détruits, d’autres reconnus, mais nouvellement construits en matériau plus solide. Ces nouvelles digues (encore une fois! n.d.r) ont une toute autre solidité que les premières; on peut se fier à elles pour qu’elles ne cèdent pas si facilement à la marée montante (le ça-océan, n.d.r) de l’accroissement pulsionnel”. Et S. Freud ajoute, un peu plus loin à la même page: “Voilà où nous amène notre théorie, à laquelle nous ne pouvons renoncer sans une contrainte irrécusable”[110.

 

Ainsi s’affirme un renversement: la guérison au sens de S. Freud, ne consiste plus dans la prise de conscience du refoulement et son élimination en accédant au traumatisme ou au fantasme sous-jacent, mais l’analysé(e), l’homme, la femme, devenu(e) normal(e) est celui, celle chez qui les pulsions sont bien domptées grâce à des refoulements, à des inhibitions plus efficaces. Dés lors, il, elle, se trouve intégré(e) dans le corps social. Et, à ce propos, il convient d’insister sur l’importance toujours plus grande que prend ce concept dans la phase de dissolution actuelle de la société-communauté.“ De ce fait l’analyse pourrait certes parvenir plus d’une fois à éliminer l’influence du renforcement pulsionnel, mais pas régulièrement. Ou bien son action se limiterait à élever la force de résistance des inhibitions si bien que celles-ci seraient après l’analyse, à la hauteur d’exigences bien plus fortes qu’avant l’analyse ou sans celle-ci”[111]. Mais c’est un travail sans fin parce que: “Ce qui une fois est venu à la vie, sait s’affirmer avec tenacité”[112]. En conséquence l’homme, la femme, restent toute leur vie dans un état plus ou moins important d’Hilflosigkeit, comme il en fait mention une nouvelle fois à la page suivante. L’état hypnoïde persiste toute la vie.

 

S.Freud aborde  l’étude des mécanismes de défense en tant que phénomènes insuffisants pour endiguer les pulsions pour se préserver du ça. Il met donc en évidence la difficulté de faire advenir je à partir  du ça, de constituer le moi aux dépens du ça. La production du moi répond à une exigence de sécurisation.

 

Cette étude devient primordiale pour lui. En cela il est aidé par sa fille Anna Freud qui publia en 1936 Le moi et les mécanismes de défense. Ceci a une très grand importance en ce qui concerne S. Freud lui-même, nous y reviendrons. Pour lui, ces mécanismes servent “ le dessein d’écarter les dangers”, mais ce qui s’avère encore plus important c’est qu’ils peuvent à leur tour devenir trés nocifs et s’instaurer eux-mêmes comme dangers[113].

 

“Chaque personne n’utilise naturellement pas tous les mécanismes de défense possibles, mais se contente d’opérer un certain choix parmi eux; toutefois ceux-ci se fixent dans le moi, ils deviennent des modes de réaction réguliers du caractère qui se répètent durant toute la vie, aussi souvent que revient une situation semblable à la situation d’origine. De ce fait ils deviennent des infantilismes, et partagent le destin de tant d’institutions qui cherchent à se maintenir au-delà du temps où elles étaient utiles. “La raison devient non-sens, le bienfait calamité”, comme le déplore le poète. Le moi renforcé de l’adulte continue à se défendre contre des dangers qui n’existent plus dans la réalité, il se trouve même poussé à aller chercher ces situations de la réalité qui peuvent plus ou moins remplacer le danger d’origine, afin de pouvoir justifier à leur contact son attachement aux modes de réaction habituels. Par là il devient facile de comprendre comment les mécanismes de défense, par une aliénation au monde extérieur de plus en plus envahissante et par un affaiblissement durable du moi, préparent et favorisent l’irruption de la névrose”[114].

 

Cette longue citation doit être lue en tenant compte de celle également longue et complétée par la série des autres plus brèves que nous avons faites à la page précédente. Là, S. Freud expose de façon mystifiée une partie de la dynamique de l’ontose. Afin d’être accepté par ses parents, l’enfants doit abandonner son être originel, son plan de vie; il doit s’adapter. Pour cela il est conduit à refouler son authenticité et à devenir autre, un autre accepté. Cela lui permet de survivre. Les expédients qu’il met au point sont ceux d’un être faible d’un point de vue organique, d’un être rendu dépendant par la non acceptation parentale. Ces expédients furent efficaces durant son enfance, mais à la maturité ils deviennent de terribles obstacles à un épanouïssement et sont des symptômes de l’ontose[115]. En outre l’être originel refoulé tend constamment à se réimposer; en conséquence il repousse le refoulé, le fait affleurer à la surface, ainsi que l’état hypnoïde. Aussi, rien n’est plus faux que de parler de psychologie des profondeurs pour analyser ce que S. Freud appelle inconscient. Celui-ci est en fait très superficiel. Il forme l’apparence des êtres ontosés et la connaissance est le plus souvent connaissance de l’ontose, tandis que le désir, perverti par cette dernière, de saisir ce qu’il y a sous l’apparence, est celui manifesté par l’être originel et l’on pourrait dire métaphoriquement qu’il cherche à se retrouver en se réaffirmant, et  retrouver la continuité.

 

L’article Constructions dans l’analyse de 1937, également apporte des compléments à l’étude des thèmes traités précédemment. Tout d’abord voyons ce qui concerne la spéculation. “L’intention du travail analytique, comme on le sait, est d’amener  le patient à lever les refoulements des débuts de son développement (le mot refoulement étant pris ici dans le sens le plus large), pour les remplacer  par des réactions qui correspondraient à un état  de maturité psychique”[116]. On a là une espèce d’Aufhebung, un dépassement hégelien: une suppression dans la conservation. Pour parvenir à ses fins le psychanalyste se mue en sorcière. “Il faut que, d’après les indices échappés à l’oubli, il devine ou, plus exactement, il construise ce qui a été oublié”[117]. Le rôle de celui-ci n’est plus seulement d’interpréter mais de construire et S. Freud fait remarquer que le “terme de construction est plus approprié” que celui d’interprétation et il ajoute: “Le terme d’interprétation se rapporte à la façon dont on s’occupe d’un élément isolé du matériel, une idée incidente, un acte manqué, etc. Mais on peut parler de construction quand on présente à l’analysé une période oubliée de sa préhistoire”[118]... Ensuite il donne un exemple. Mais à ce moment là il rencontre à nouveau l’hypnose sous la forme de la suggestion. Est-ce qu’en exposant la construction qu’il a opéré, il ne va pas suggestionner, hypnotiser en quelque sorte l’analysé? Il perçoit le danger mais il affirme: “Sans me vanter, je puis affirmer que jamais un tel abus de la ”suggestion” ne s’est produit dans ma pratique analytique”[119]. C’est ce qu’il a fait avec lui-même.  Il a pensé qu’il ne se suggestionnait pas mais qu’il se construisait. Mais il ne tint jamais compte de l’état hypnoïde constamment sous-jacent à tous les états psychiques et qui, dans bien des cas devient apparent, état qui rend perméable à la suggestion. Il n’a pas pu se rendre compte de façon pleinement consciente qu’il s’est  auto suggestionné mais le fait qu’il perçut le danger indique, bien qu’incon sciemment, le phénomène était présent à lui.

 

Ce texte, comme le précédent, est intéressant parce qu’en eux tendent à réapparaître le réel escamoté. “ Ainsi continuait mon raisonnement: on n’a pas encore assez apprécié ce caractère peut-être général de l’hallucination d’être le retour d’un évènement oublié des toutes premières années, de quelque chose que l’enfant a vu ou entendu à une époque où il savait à peine parler”[120].

 

Cela le conduit, et ce n’est pas un hasard, à apporter une précision à sa théorie du rêve. Pour bien comprendre la citation qui va suivre il faut tenir compte qu’à partir de l’hallucination il a envisagé “les formations délirantes, dans lesquelles nous trouvons si régulièrement incorporées ces hallucinations” qui “ne sont peut-être pas aussi indépendantes qu’on l’admet généralement de la poussée de l’inconscient et du retour du refoulé”. Voici donc la citation: “ Mais le processus dynamique ne pourrait-il pas être plutôt celui-ci: cette poussée du refoulé profiterait du fait qu’on se détourne de la réalité pour imposer son contenu à la conscience, et dans ce cas les résistances mobilisées par ce processus et la tendance à l’accomplissement du désir se partageraient la responsabilité de la déformation et du déplacement de ce qui est remémoré? Ceci n’est-il pas le mécanisme bien connu du rêve que, depuis l’antiquité la plus reculée, l’intuition des hommes a considéré comme l’équivalent de la folie”[121]. Ce qui me semble le plus intéressant c’est qu’à partir des considérations qui précèdent on peut affirmer  que le phénomène rêve n’est pas strictement lié à l’état de sommeil. Il s’impose même à l’état de veille, le rêve diurne (même si cette expression ne recouvre pas exactement ce que je signifie) s’établit dés que l’état hypnoïde devient manifeste et accapare la personne qui dés lors devient totalement absente au monde environnant, à la réalité. Plus exactement la réalité c’est son univers intérieur. Il est évident que dans le cas de la folie, il y a perte de possibilité de sortir de ce rêve, donc de l’état hypnoïde. L’être est totalement englué dans son passé. C’est avec raison, qu’un peu plus loin à la même page, S. Freud affirme “que la folie non seulement procède avec méthode (...) mais qu’elle contient aussi un morceau de vérité historique”; et ce qui suit est très révélateur de la puissance de la remontée du refoulé: “ainsi, on est amené à admettre la croyance compulsive que rencontre le délire tire sa force justement de cette source enfantile. Pour prouver cette théorie je ne trouve aujourd’hui à ma disposition que des réminiscences et non des impressions fraîches”.  Il va même retrouver en partie ce qu’il affirma  en 1896. “Les délires des malades m’apparaissent comme des équivalents des constructions que nous bâtissons dans le traitement psychanalytique, des tentatives d’explication et de restitution, qui, dans les conditions de la psychose, ne peuvent pourtant conduire qu’à remplacer le morceau de réalité qu’on avait également dénié dans la période d’une enfance reculée.  (...) De même que l’effet de notre construction n’est dû qu’au fait qu’elle nous rend  un morceau perdu de l’histoire vécue, de même le délire doit sa force convaincante à la part de vérité historique qu’il met à la place de la réalité repoussée. De cette manière je pourrais appliquer au délire ce que, jadis, j’ai énoncé pour la seule hystérie: le malade souffre de ses réminiscences”[122]. J’ajouterai tout homme, toute femme, souffre de ses réminiscences, parce que nous sommes tous obsédés par notre passé rempli d’un traumatisme fondateur de l’ontose.

 

La mise en échec de l’escamotage du réel, particulièrement du traumatisme psychique, concomitante à la réaffirmation du refoulé qui l’envahit comme une “marée montante”, s’impose continuellement au fur et à mesure que S.Freud vieillit. Cette réaffirmation est en partie liée au fait qu’il est de plus en plus reconnu comme un grand savant, un génie de l’humanité; ce à quoi il a constamment aspiré depuis son adolescence. Il atteint un objectif et pourtant rien n’est résolu: l’angoisse demeure. Cette reconnaissance réactive la blessure de ne pas avoir été vu en tant que tel, dans sa profonde originalité, unicité, par sa mère. C’est d’ailleurs afin de l’être qu’il s’est lancé dans un délire des grandeurs et a rêvé d’être le grand conquistador qu’il est devenu. Mais ce qu’il a conquis ne peut pas le satisfaire. Donc ses efforts furent en vain. Il est impossible de changer  ce qui fut. On ne peut que le revivre et, par là, sortir de la dynamique de la reconnaissance, pour affirmer sa propre réalité, son émergence. Mais, de cela nous en traiterons ailleurs.

 

Revenons à S. Freud. En 1938, un an avant sa mort, il écrivit: Le clivage du moi dans le processus de défense où il se connecte en quelque sorte avec sa déchirure  originelle. Le concept de clivage, Spaltung,  est présent bien auparavant puisqu’on le trouve dés 1894. “Que le complexe symptomatique de l’hystérie, pour autant qu’il autorise à ce jour une compréhension, justifie l’hypothèse d’un clivage de la conscience avec formation de groupes psychiques séparés, c’est ce qui, depuis les beaux travaux de P. Janet, J. Breuer et autres, avait déjà bien pu accéder à la reconnaissance générale. Ce qui est moins clarifé, ce sont les opinions sur la provenance de ce clivage de conscience et sur le rôle  que ce caractère joue dans la texture de la névrose hystérique”[123]. A la suite de cela il essaie de caractériser ce clivage pour ensuite envisager les névropsychoses de défense dans lesquelles il inclue l’hystérie de défense. A ce propos il est remarquable de constater qu’en 1894 comme en 1938 sa préoccupation est la même: la défense. Au début il envisage  comment la nécessité de se défendre se traduit en des névroses, à la fin il analyse ce qui lui semble à la base des névroses et même des psychoses: le phénomène de séparation, dissociation, le clivage induit par un traumatisme psychique. Entre temps, en 1927, le concept est utilisé dans l’article Le fétichisme dont le contenu essentiel est repris dans l’article sur le clivage du moi  de 1938. C’est d’ailleurs en cette même année que la question du clivage devient en quelque sorte obsédante. Voyons comment il l’aborde dans l’article sus-mentionné. Une longue citation est nécessaire. “Supposons donc que le moi de l’enfant se trouve au service d’une puissante revendication pulsionnelle qu’il est accoutumé à satisfaire, et que soudainement il est effrayé par une expérience qui lui enseigne que la continuation de cette satisfaction aurait pour conséquence un danger réel difficilement supportable. Il doit maintenant se décider: ou bien reconnaître le danger réel, s’y plier et renoncer à la satisfaction pulsionnelle, ou bien dénier la réalité, se faire croire qu’il n’y a pas de motif de craindre, ceci afin de pouvoir maintenir la satisfaction. C’est donc un conflit entre la revendication de la pulsion et l’objection faite par la réalité. (...)  Il (l’enfant, n.d.r) répond au conflit à l’aide de mécanismes déterminés, il déboute la réalité et ne se laisse rien interdire; d’autre part, dans le même temps, il reconnaît le danger de la réalité, assume, sous forme d’un symptôme morbide, l’angoisse face à cette réalité et cherche ultérieurement à s’en garantir”. Plus loin S. Freud conclue, et c’est là l’essentiel: “Le succés a été atteint au prix d’une déchirure dans le moi, déchirure qui ne guérira jamais plus mais grandira avec le temps”[124]. Encore une fois, il parle clairement de lui.

 

En affirmant l’existence d’une déchirure initiale, S. Freud expose le réel. Il l’atteint comme il le fit avant 1897 quand il était partisan de la théorie de la séduction qui postulait qu’à la base des troubles psychiques il y avait un traumatisme réel subi par l’enfant. Parvenu à ce stade il va rejouer et opérer une nouvelle fois un escamotage et ce en opèrant de la même façon, grâce à la sexualité. Celle-ci est un support pour ne pas revivre ce qu’il vient d’entrevoir. Grâce à elle il opère un échappement.

 

Voyons cela de plus prés. A la suite de ce que nous venons de citer, il passe à une illustration de ce qu’il a exposé. Il nous présente alors le cas d’un petit garçon qui “ a fait connaissance des petits organes génitaux féminins par séduction d’une petite fille plus âgée”[125]. Cela implique qu’il a connu une certaine jouissance qu’il veut maintenir grâce à l’onanisme, après la rupture de la relation. On le surprend. On le menace de castraction. Celle-ci peut lui apparaître comme étant réalisable puisque la petite fille n’avait pas de pénis. En conséquence, après un certain temps, “il ne porte plus la main à ses organes génitaux, renonçant totalement ou partiellement à la satisfaction de la pulsion”[126]. Pour que cela fonctionne, pour qu’il conjure efficacement la menace d’être castré, il faut qu’il dénie le réel, l’absence de pénis chez la petite fille. A cette fin, il doit constituer, construire quelque chose à la place de ce qui manque. S. Freud écrit alors: “ Il s’est créé un substitut au pénis de la femme, en vain cherché: un fétiche. Ainsi a-t-il dénié la réalité, mais sauvé son propre pénis”. Il conclue: “Cet acte de notre patient nous impressionne en tant qu’il constitue une façon de se détourner de la réalité, processus que nous réserverions volontiers à la psychose”[127]. Il est évident que cela puisse l’impressionner parce qu’il s’est lui-même détourné de la réalité, du fait qu’il avait été détourné[128] de son être originel, engendrant son hystérie, son obsession, sa paranoïa avec la manie des grandeurs, sa mélancolie et enfin sa schizophrénie qu’il découvre à travers le clivage du moi[129].

 

Ce détournement lui a induit également la nécessité d’opérer une vaste construction, laquelle est connexe à celle d’expliquer constamment ce qui s’opère afin de se sécuriser, de se justifier. Il y a, chez lui, comme une compulsion d’explication. Ainsi le thème de la castraction présent dans les oeuvres antérieures, est repris à nouveau  en 1938 dans l’Abrégé de psychanalyse où il met le complexe de castration au même niveau que le complexe d’Oedipe. Cela va lui permettre de créer par souci de cohérence une envie de la part de la femme de possèder un pénis[130]. Dés lors tout est en place. Il a résolu “la grande énigme, (...) un problème posé par le fait biologique, celui de l’existence de deux sexes”[131].

 

Je l’ai déjà dit, ce qui est évident devient une énigme dés lors qu’il y a rupture de la continuité. La non acceptation entraîne un repli sur soi; d’où un questionnement multiple surgit en nous, par exempe: d’où vient-on? pourquoi est-on là? pourquoi y a-t-il deux êtres? pourquoi sont-ils différents? Alors pour survivre s’impose la nécessité, en cherchant à répondre à tout cela, de tout expliquer afin de se rassurer et de pouvoir continuer à vivre à partir d’un point d’émergence qu’on se crée. De ceci nous en traiterons ailleurs en insistant par exemple qu’il est certes important de comprendre pourquoi et comment la sexualité est apparue il y a probablement un milliard d’années, peut-être en tant que rejouement de la réalisation de la symbiose qui présida à la formation des cellules eucaryotes, mais qu’elle ne doit pas être le support pour un non voir et un non revivre ce qui fut traumatisant. 

 

Ce que je voulais souligner ici, c’est l’importance pour S. Freud de l’énigme, la sexualité, et le déplacement qu’il opère, en prenant pour support de son investigation non ce qui est advenu et qui est incompréhensible en fonction de son plan de vie, mais la sexualité. Un déplacement est une métaphore.  A ce propos, je tiens à souligner à quel point le phénomène ontosique ne peut se réaliser  sans qu’il y ait recours à des tropes; et ce n’est pas un hasard si, maintenant que l’ontose devient aveuglante,  celles-ci redeviennent un grand sujet d’étude. Ainsi le fétiche, selon S. Freud, est la métaphore de l’objet absent, manquant. Il est un substitut. La phase ultérieure, qui se réalise actuellement, c’est d’en faire un objet virtuel. Or le monde virtuel est un monde de tropes.

 

S. Freud y recourt souvent. “... sous l’effet du complexe de castration, (l‘enfant) subit le plus fort  traumatisme de sa jeune existence”.  En note il ajoute: “Une très ancienne coutume, la circoncision, autre substitut symbolique de la castration...[132]”. La castration devient la métaphore du traumatisme originel[133], la coupure de la continuité, et la circoncision une métaphore de la première. Toutefois dans cette note il est  tout de même amené à reconnaître l’importance de la blessure qu’il a subie avec la circoncision, réactualisation de la déchirure originelle. Il est curieux également que dans le même ouvrage il affirme que “Grâce aux soins qu’elle lui prodigue, elle (la mère, n.d.r) devient sa première séductrice”[134].

 

Cette théorisation au sujet de la sexualité ne le satisfait pas pleinement. Après la phrase où il est question de l’énigme, il écrivit: “Là finissent nos connaissances et, ce fait, nous n’arrivons pas à le ramener à autre chose. La psychanalyse n’a contribué  en rien à résoudre ce problème qui est sans doute tout entier biologique” Certes l’origine de la sexualité relève de la biologie, mais le questionnement à son sujet, non. Là il s’agit d’une dynamique psychique, une dynamique pour se rassurer, comme cela transparaît dans la formulation: nous n’arrivons pas à le ramener, où s’exprime le désir d’ancrer ce qui advient à un connu antérieur. Cela exprime la perte d’immédiateté et de certitude: il est impossible d’envisager un quelconque phénomène en lui-même qui, certes, n’est jamais autonome, il faut le ramener à un résidu fixe, permanent, lieu de sécurisation.

 

Non seulement il n’est pas satisfait mais il perçoit qu’il parvient à une impasse. En effet au début de l’Abrégé de psychanalyse il analyse la théorie des pulsions et réaffirme qu’ “une pulsion tend à restaurer un état antérieur”. Il ajoute pour l’Eros (la pulsion d’amour), nous ne pouvons appliquer la même formule, car cela équivaudrait à postuler que la substance vivante, ayant d’abord constitué une unité, s’est plus tard morcelée et tend à se réunir à nouveau”. En note, il ajoute: “Certains poètes ont imaginé de semblables fables, mais rien, dans l’histoire de la matière vivante, ne confirme leurs imaginations”[135] . L’étude géologique montre qu’en fait, au début, le phénomène vie se présente en un continuum et, qu’ensuite, il y un phénomène de particularisation avec la formation des procaryotes. De plus, cet état se retrouve dans le sol avec l’humus, comme l’a bien montré Rusch[136]. Mais là n’est pas la question. Ce qui importe c’est que s’il y a toujours tendance à restaurer un état antérieur, comment du nouveau peut-il apparaître? A partir d’une catastrophe?  Revenons à ce qu’il affirme juste avant. “ Le but de l’Eros est  d’établir toujours plus de plus grandes unités, donc de conserver: c’est la liaison. Le but de l’autre pulsion, au contraire, est de briser les rapports, donc de détruire les choses”[137]. Mais ces unités comment sont-elles apparues. En outre s’il y a conservation, encore une fois, comment du nouveau peut -il apparaître, par exemple la sexualité[138]? Ainsi cette dernière bien qu’étant un support remarquable pour expliquer tout ce qui lui fait problème, ne peut pas être celui d’une sécurisation qui pourrait éliminer son angoisse. En outre il a pour ainsi dire une perception plus aiguë de son ontose. Il tend à considérer que la maladie mentale est à l’état potentiel chez tout homme, toute femme. Nous y avons déjà fait allusion à propos de ce qu’il dit du rêve dans Le clivage du moi dans le processus de défense. Or dans l’Abrégé de psychanalyse, il me semble encore plus explicite. “Chacun sait que le rêve peut être confus, intintelligible, voire absurde, ses données vont parfois à l’encontre de toute notre notion de la réalité et nous nous y comportons comme des malades mentaux, nous attribuons aux contenus du rêve une réalité objective”[139].

 

“Ainsi le rêve est une psychose (...) une psychose de courte durée, il est vrai, inoffensive et même utile (...) une psychose qui nous enseigne qu’une modification, même aussi poussée, de la vie psychique peut disparaître et faire place à un fonctionnement normal”. En quoi une psychose peut-elle être utile? N’y a-t-il pas là encore une justification de la répression subie, de la domestication. Mais il y a plus surprenant. “Pouvons-nous dés lors, sans trop de hardiesse, espérer agir sur les maladies spontanées et si redoutables du psychisme et les guérir”[140]?  Comment est-il possible de parler de spontanéité lorsqu’on sait que ces maladies sont liées à un procés de dégradation qui commence très tôt dans la vie de celui ou celle qui devient malade; que ces maladies se révèlent, avant même d’être diagnostiquées en tant que telles, à travers divers symptômes, à travers divers phénomènes inconscients. Parler de spontanéité, c’est reconnaître une inhérence de la maladie mentale en chacun de nous. C’est me semble-t-il oublier ce qu’il a dénommé inconscient. Il traduit par là que périodiquement il a des accés obsessionnels, schizophréniques, de dépression, ou autres, qui caractérisent son ontose et que cela surgit apparemment spontanément, en dépit de son auto-analyse.

 

Les deux derniers chapitres  de l’Abrégé concernent le monde extérieur et le monde intérieur. La question de la réalité que nous avons vue être abordée auparavant dans cet ouvrage ainsi que dans Le clivage, devient prépondérante. “Mais la perception bien que déniée n’en a pas moins agi et le sujet, malgré tout, n’ose prétendre qu’il a vraiment  vu un pénis. Que va-t-il faire alors? Il choisit  quelque chose d’autre, une partie du corps, un objet, auquel il attribue le rôle de ce pénis dont il ne peut se passer”[141]. Donc pour qu’il y ait fétichisation, il faut qu’il y ait un support sur lequel déplacer - le déplacement est un phénomène qui opère dans les rêves - l’objet absent. A ce moment-là le fétiche peut opérer  en tant que substitut. Or ce dont l’absence se fait le plus cruellement sentir à tout enfant, c’est la continuité avec la mère. En conséquence, il cherchera constamment un support pour y transférer son désir de continuité avec elle. Il y a là, nous l’avons déjà dit, production d’une métaphore.  Mais nous précisons maintenant en mettant en évidence le processus du déplacement qui fait ressortir l’importance du support  dont nous avons déjà parlé. Ce dernier est à l’extérieur. D’où la remarque de S. Freud: “Le fétichiste ne réussit jamais parfaitement à détacher son moi de la réalité extérieure”[142]. Nous voilà amenés au coeur du problème. “ Ajoutons maintenant que le moi, durant la même période de vie, se voit souvent obligé de lutter contre certaines prétentions du monde extérieur ressenties comme pénibles et se sert, en pareille occasion, du procédé du déni pour supprimer les perceptions qui lui révèlent ces exigences. De semblables dénis se produisent fréquemment, et pas uniquement chez les fétichistes. Partout où nous sommes en mesure de les étudier, ils apparaissent comme des demi-mesures, comme des tentatives imparfaites pour détacher le moi de la réalité”[143]. Comme on peut le constater ce n’est plus l’intérieur qui présente la menace la plus grande, mais l’extérieur. Le déni apparaît comme une mesure de protection contre la menace de la réalité. D’où deux attitudes vis-à-vis de cette dernière: “dénier la perception” d’un manque, “ reconnaître le manque”, “qui persistent tout au long de la vie sans s’influencer mutuellement. N’est-ce pas   ce que l’on peut qualifier de clivage du moi[144]? Il y a donc déni et acceptation, comme il l’affirme à la page suivante; “Le rejet est toujours doublé d’une acceptation...”. Mais quoi qu’il en dise il n’y a pas indépendance entre les deux attitudes. Il y a un compromis qui fonde l’apparente guérison de la déchirure. Allons plus loin à partir du déni et de l’acceptation, deux dynamiques sont possibles. La première consiste à rompre toute dépendance d’avec la réalité et par là de porter à bout le procès de séparation commencé avec celle par rapport au reste de la nature, Ceci fait appel pour s’effectuer à la sublimation. Sublimer c’est “...situer ailleurs les buts pulsionnels, de telle sorte qu’ils ne puissent être atteints par le refusement du monde extérieur”[145]. Mais opérer ainsi n’est pas réalisable par tous. Aussi S. Freud ajoute ceci qui précise  le rôle de la sublimation. “Si, dans ce procédé,  apparaît déjà nettement la visée de se rendre indépendant du monde extérieur en cherchant ses satsfactions  dans des processus psychiques internes, les mêmes traits ressortent plus fortement encore dans le procédé suivant”[146]. Mais ce faisant peut-il y avoir enrayement de la menace venant de l’intérieur dont il a tant parlé? Les autres processus font partie de “la vie de fantaisie”. “ En tête de ces satisfactions en fantaisie, il ya la jouissance puisée dans les oeuvres de l’art, qui par l’entremise de l’artiste est rendue accessible aussi à celui qui n’est pas lui-même créateur. Celui qui est réceptif à l’influence de l’art ne saurait la tenir  en assez haute estime comme source de plaisir et comme consolation dans la vie”. Un peu plus loin, il fait tout de même remarquer que ce n’est tout de même pas sufficant “pour faire oublier la misère réelle”[147]. Aucune production pratique, intellectuelle ou spirituelle ne peut faire oublier. Dés lors la rupture avec le monde extérieur doit se parachever et c’est la folie. Vis-à-vis d’elle effectivement la psychanalyse ne peut être qu’impuissante. En effet la cure psychanalytique étant fondée sur le transfert, ellle ne peut pas être opérationnelle. Pour qu’il y ait amorce d’un procès de récupération de la personne atteinte de folie, il faut qu’un support quelconque puisse être opérationnel afin que l’on puisse réactiver un procès de mise en continuité avec ce qui l’entoure. Le support existe toujours mais il est interne et le fou rejoue tout en lui-même: le théatre est devenu interne. Le fou est l’enfermé total, l’autiste intégral. Une autre dynamique est également possible : fuir l’intérieur et, pour cela, chercher des supports partout à l’extérieur pour y opérer de mutiples projections, ce qui fait que l’individu, en définitive, se perd dans une fantasmagorie hallucinée. La virtualisation entre dans cette dynamique. La possibilité de ces deux dynamiques avec le résultat catastrophique auxquelles elles aboutissent, explique que tout homme, toute femme, amorce l’une ou l’autre mais, en régle génrale ne la conduit pas jusqu’au bout, tant la peur de la folie est puissante. D’où les demi-mesures dont parle S.Freud. Ce faisant l’ontose trouve tout l’espace pour s’implanter parce que toute action inachevée relève de son domaine.

 

Dans cette advenue à la reconnaissance de l’importance de la réalité, il y a comme un retour - dans la mystification - au point de départ: l’affirmation d’un traumatisme externe, comme cela était posé dans la théorie de la séduction. Or, c’est bien de l’extérieur que le danger est venu, infligeant le traumatisme, c’est-a-dire la brisure de la continuité avec la mère; traumatisme qui le fonde en tant qu’intérieur, et la mère en tant qu’extérieur. Il a dénié cette  brisure qui l’a déchiré, pour cela il a fétichisé la sexualité. En opèrant sur ce mode, il exprime encore ce qui le tourmente sans le percevoir. C’est ainsi qu’avec sa théorisation du complexe de castration, il peut dire un fait réel: sa mère ne l’a pas perçu en tant que lui-même; elle s’est identifiée à lui et l’a donc figé enfant, l’empéchant d’atteindre la  maturité, de devenir un homme. Elle l’a donc métaphoriquement châtré[148]. Or, nous l’avons vu, les tropes signifient une réalité dans la dynamique même de sa perversion et ont toute sa puissance[149]. En fétichisant la sexualité, il s’est immensément réduit et accepté la brisure, ce qui l’a conduit à théoriser la séparation, à l’interpréter de diverses façons.Toutefois jamais il ne put éliminer l’angoisse originelle engendrée par la brisure, qui le plaça dans l’Hilflosigkeit.

 

 En conséquence pour se rassurer et fuir cette dernière, pour s’organiser en vue de la mort, il va parachever  son rôle et son image de père idéal, de patriarche, à la fois conquérant, protecteur, législateur. D’où, à la fin de sa vie, il retourne à l’étude de l’histoire de Moïse et écrivit en 1939 Moïse et le monothéisme étude qu’il avait déjà entreprise bien avant avec la rédaction de Le Moïse de Michel-Ange 1914. L’analyse de ces ouvrages sort du cadre de cette étude. Elle trouvera sa place dans S. Freud et la mystification. Ce qui m’importe d’affirmer pour le moment c’est que, sentant sa mort prochaine[150]; il essaie d’échapper à une limitation pour se poser dans l’éternité.

 

Ce faisant  il réalise le désir de sa mère: qu’il soit son père idéal, à elle,  tout puissant et protecteur. Toute sa vie, il a été manipulé par un être virtuel engendré par sa mère; de même  tout son effort théorique visa inconsciemment à justifier le transfert que celle-ci opéra sur lui; voilà pourquoi il postula l’essentialité du père et donc de l’homme, et qu’il minimisa celui de la mère et maintint l’idée, souvent affirmée de façon ambiguë, d’une infériorité de la femme. L’ensemble de cette théorisation est condensé dans la formulation du complexe d’Oedipe auquel il attribue une importance considérable, puique c’est  sur lui et avec lui qu’il s’est construit. “Je me permets de penser que si la psychanalyse n’avait à son actif que la seule découverte du complexe d’Oedipe refoulé, cela suffirait à la faire ranger parmi les précieuses acquisitions du genre humain”[151]. Or,  qu’ indique la légende d’Oedipe, comme bien d‘autres d’ailleurs, sinon l’impossibilité d’échapper à sa mère. C’est ce qu’il a vécu et  et ce qu’il affirme, tout en pensant inconsciemment déjouer le sortilège, lorsqu’il s’identifie à Oedipe. Dit autrement, la fuite est infructueuse. D’où son retour-recours à Moïse. C’est ici le lieu  d’évoquer brièvement le fait qu’il eut une grande admiration pour M. de Cervantés, l’écrivain qui exposa comment un homme peut atteindre une folie extrème en se prenant pour un autre, en maintenant un comportement adapté à une société donnée  dans une autre en discontinuité avec elle et, donc, en déniant (manifestation de la Verleugnung) la réalité. En écrivant Don Quichote  il extériorisa sa propre ontose frôlant la folie: être un père idéal, le chevalier protecteur de la femme, et donc la virtualité qui l’habitait; virtualité induite par sa mère, support elle-même du phénomène ontosique. S.Freud opéra de même et plaça sur le personnage de Moïse ses propres fantasmes en cherchant à préserver son originalité. D’où son étude  pour démontrer que Moïse n’était pas juif, mais égyptien, comme pour dire à sa mère: tu te trompes dans ta visée, et je reste moi. Il rejoue en essayant de déjouer. Nous verrons cela de façon plus détaillée dans S. Freud et la mystification. Je signalerai que la remise en cause de l’identité du père est une préoccupation importante chez ce dernier. Ainsi il affirma que le véritable W. Shakespeare, père d’une oeuvre immense, n’était pas celui qui est présenté habituellement[152] . En même temps on pourra mieux mettre en évidence que les phénomènes se répètent, par exemple à travers M. de Cervantés, à travers W. Goethe, comme à travers S. Freud. Je puis ajouter: à travers Anna Freud, sa fille. Celle-ci devint la mère idéale pour son père, modelée par l’être virtuel que celui-ci projeta à travers elle. En tant que telle, elle fut celle qui est capable de défendre son enfant et donc apte à le faire vivre en dehors de l’Hilflosigkeit[153], ce qui fit qu’elle resta toute sa vie une petite fille, car seule une petite fille peut devenir une mère idéale, une femme non. Il en est de même pour l’homme.  Je puis ajouter qu’il s’est créé un substitut de mère: Anna fut son fétiche. Le phénomène est logique en ce sens qu’on ne peut construire  virtuellement qu’à partir d’un être non pleinement développé, mais qui a été bloqué dans son devenir[154]. La virtualité permet de rétablir la continuité en fonction de l’ontose; elle permet de construire pour ne pas voir le réel: la souffrance liée au traumatisme initial. On virtualise pour résorber les discontinuités qui sont des rejouements de celle primordiale opèrée dés notre advenue.



[1]. Inhibition, symptôme et angoisse, Quadrige / PUF, p. 33.

[2]. Idem, pp. 44-45.

[3]. Idem, p. 46.

[4]. Idem. p. 63. “Il est presque humiliant qu’après un si long travail nous rencontrions toujours et encore des difficultés dans la conception des faits les plus fondamentaux, mais nous nous  sommes proposés de rien simplifier et de ne rien dissimuler”. Idem, p. 39.

[5]. Idem, p. 67.

[6]. On sent ici que S. Freud retrouve un thème mis en avant par A. Adler; un thème qu’il a refusé d’aborder parce que cela le mettait en contact avec une souffrance originelle. Il ne put le faire que lorsque, du fait de la régression, ce sentiment s’imposera de façon irrésistible et qu’il avait mis au point une construction théorique apte à recouvrir la souffrance. Le même phénomène s’est produit avec O.Rank. D’ailleurs S. Freud les cite tous deux dans le corps de ce texte. J’ajouterai  que ceci est également valable pour C.G.Jung. Ceci nous explique, en partie, la phase d’amitié puis la rupture avec ces diverses personnes.

[7]. Idem, p. 68.

[8]. S. Férenczi a bien expliqué ce phénomène dans Confusion de langue entre les adultes et l’enfant que nous avons abondamment cité, en omettant le nom de l’auteur, dans De la vie, in Invariance, série V, n°1, p. 14, note 5.

[9]. Idem, p. 68.

[10]. Idem, p. 80.

[11]. Si important chez A. Adler et que S. Freud par suite de son opposition à ce dernier tend à escamoter, ne serait-ce que n’étant pas habité par la certitude, le fait de reconnaître quelque chose d’important chez un autre lui induit la peur de se perdre. Cf. aussi la note 138.

[12]. Un trouble de mémoire sur l’Acropole, 1936. Cité dans le Dictionnaire de la psychanalyse

[13]. Lettre à Pfister du 25.11.1928, citée par Michel Schneider dans La question en débat,  Appendice à La question de l’analyse profane, Ed. Gallimard, folio / essais, 1985.

[14]. Idem, p. 174.

[15]. Idem, p. 189.

[16]. L’avenir d’une illusion, Ed. Puf, 1971, p. 2. A la même page, il affirme: “A la vérité, la tâche principale de la civilisation, sa raison d’être essentielle est de nous protéger de la nature”.

[17]. Idem, p. 24.

[18]. Idem, p. 30. Le thème de l’humanisation de la nature se trouve déjà chez K. Marx et on le retouve chez E. Morin.

[19]. Idem, p. 31.

[20]. Idem, p. 33. Cf. la même formulation dans la lettre à  S. Ferenzi du 01.01.1910.

[21]. Idem. p. 43.

[22]. Idem. p. 29.

[23]. Idem, p. 44.

[24]I idem, p. 16.

[25]. Idem. pp. 16-17. On peut noter la récurrence de thèmes déjà abordés dans des oeuvres précédentes.

[26]. Idem, p. 10. Le dédommagement est une notion économique non dans le sens freudien du terme, mais dans celui habituel. La production de biens doit compenser l’immense insatisfaction et l’angoise des hommes et des femmes. En disant cela S. Freud expose aussi le discours des hommes de pouvoir qui en appelait toujours à l’esprit de sacrifice. Actuellement dans la combinatoire du capital, le sacrifice lui aussi perd de sa percutance originelle.

[27]. Idem, p. 60.

[28]. Il s’agit bien d’une réaffirmation  puisqu’en 1907 il écrivait dans Actes obsédants et exercices religieux.  “En vertu de ces concordances et des ces analogies, on pourrait se risquer à concevoir la névrose obsessionnelle comme constituant un pendant pathologique de la formation des religions, et à qualifier la névrose de religiosité individuelle, la religion de névrose obsessionnelle. La concordance la plus essentielle résiderait dans le renoncement fondamental à l’exercice d’instincts constitutionnellement donnés, la différence la plus décisive dans la nature de ces instincts qui, dans la névrose, sont d’origine exclusivement sexuelle, et dans la religion aussi de nature égoïste”. Cf. L’avenir d’une illusion, p.p. 93-94. On doit noter que dans cet article également, il est question de culpabilité.

[29]. Idem, p. 63.

[30]. Idem, p. 68.

[31]. Idem, p. 75.

[32]. Idem, p. 70.

[33]. Idem, p. 67.

[34]. Le malaise dans la culture, Quadrige / PUF, 1995.

[35]. Idem, p. 13.

[36]. Idem, p. 14.

[37]. Idem, p. 17. A noter avec quelle force pointe le petit garçon apeuré.

[38]. Idem, p. 17. La dimension de traité se manifeste bien à travers des remarques comme celles-ci: “Il n’y a pas ici de conseil qui vaille pour tous”, p.67; “Malheureusement, la psychanalyse a d’ailleurs moins que rien à dire sur la beauté”. p. 67.

[39]. Idem, p. 18. A la même page il affirme ”La religion est de nouveau seule à savoir répondre à la question d’une finalité de la vie”. Mais rejetant l’illusion, il ne peut pas accepter la solution religieuse.

[40]. Idem, p. 19. Dans une note de la même page, S. Freud cite W. Goethe: “ Tout dans le monde se laisse supporter, sauf une série de beaux jours”. Il se reconnaît dans la remontée qu’évoque le poète.Le caractère insupportable dérive du fait  que cela lui rappelle que normalement il vit dans la souffrance. Les remontées sont liées à des phénomènes de contraste. Les traducteurs ajoutent en note une information très importante: “cette idée est déjà exprimée par Luther en termes analogues dans ses Propos de table et sa “Consolation aux chrétiens d’Ausbourg”  de 1523. Ce n’est pas étonnant de la part d’un théoricien de l’intériorisation de la répression.

[41]. Idem, p. 21.

[42]. Idem, p. 22.

[43]. Idem, p. 23.

[44]. Idem, p. 25. A la page 67, il affirme: “ S’il perd l’amour de l’autre, dont il est dépendant, il vient à manquer de la protection contre toutes sortes de dangers, s’exposant avant tout au danger de voir cet autre surpuissant lui démontrer sa supériorité sous forme de punition”.

[45]. Idem, p. 27. La perte de toute immédiateté se mesure à la nécessité de l’emploi d’une technique!

[46]. Idem, p. 40.

[47]. Idem, p. 44.

[48]. Idem, p. 44.

[49]. Idem, p. 50.

[50]. Idem, p. 57.

[51]. Idem, p. 78.

[52]. Idem, p. 77. S. Freud se préoccupe très souvent de ce que peut penser le lecteur et parfois il lui attribue des positions qu’il réfute. Cela manifeste curieusement le fait qu’il se sent menacé et qu’il exorcise une culpabilité. Nous reviendrons là-dessus en citant d’autres cas ainsi que sur cette citation et sur d’autres analogues pour signaler, chez lui, le fondement économique de la dimension psychique, ainsi que son approche qu’on peut caractériser comme étant celle d’un économiste, ce qui était inévitable puisqu’il ne mettait absolument pas en cause la société en laquelle il vécut.

[53]. Idem, p. 54. La culture doit détourner hommes et femmes. Voir aussi: “Il n’est manifestement pas facile aux hommes de renoncer à satisfaire ce penchant à l’agression qui est le leur; ils ne s’en trouvent pas bien. p. 56.

[54]. Idem, p. 56.

[55]. Idem, pp. 61-62. En note S. Freud cite l’article de Sabina Spielrein La destruction comme cause du devenir. Il est intéressant de signaler que S. Spielrein était russe, comme M. Bakounine théoricien de la destruction créatrice.

    Voir aussi: “Cette pulsion d’agression est le rejeton et le représentant principal de la pulsion de mort que nous avons trouvé à côté d’Eros, se partageant avec lui la domination du monde”. p. 64.

[56]. Idem, p. 63.

[57]. Idem, p. 66.

[58]. Idem, p. 66.

[59]. Idem, p. 69.

[60]. Idem, p. 72.

[61]. Idem, p. 75.

[62]. Idem, p. 75.

[63]. Idem, p. 76. La superficialité de la reflexion se manifeste, ici encore, avec l’affirmation d’un passage de la famille à l’humanité. Humanité désigne soit l’espèce humaine, soit une qualité de celle-ci. On peut passer, en restant sur le plan de la dynamique freudienne, de la famille à la communauté, à la nation, etc..

[64]. Idem, p. 81.

[65]. Idem, p. 89. Les traducteurs ont indiqué en note que la dernière phrase a été ajoutée en 1931, donc après la mort de sa mère. L’angoisse est encore plus forte, et la remontée de l’Hilflosigkeit  encore plus puissante.

  On doit noter aussi la perception qu’il a de la dégradation de l’espèce. “La vie sexuelle de l’homme de la cutlture  est pourtant gravement lésée, elle donne parfois l’impression  d’une fonction en état de rétrogradation, comme semblent l’être, pour les organes, notre denture et notre chevelure”. p. 48.

[66]. En écrivant cela nous n’occultons pas le fait qu’il en ait consommée, en particulier de la cocaïne. Il ne semble pas que cela apparaisse en tant que solution pour résoudre le malaise.

[67]. Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse,  Folio / Essais, 1984, p. 97.

[68]. “...et nous avons donné  au mot (inconscient, n.d.r) de plus en plus la signification d’une province psychique plutôt que d’une qualité du psychique”. Idem, p100.

[69]. Idem, p. 98.A noter la reprise de ce thème, de façon systèmatique, depuis L’interprétation des rêves. Il apparaît bien ici que des_c_r_i_p_tif correspond à superficiel. Il déduit l’inconscient de l’apparence.

[70]. Idem, p. 100.

[71]. Idem, p. 100.

[72]. Idem, p. 102. Dire que le ça représente ce qui est inaccessible est un aveu d’échec

[73]. C’est le regard de l’autre qui place l’individu dans la confusion. Dans L’être et le néant, J.P. Sartre met bien en évidence la puissance du regard. En particulier il fait remarquer: on a honte de soi devant les autres. La honte surgit quand autrui nous voit. Il disait à sa façon la honte de ne pas avoir été accepté par sa mère.

[74]. Idem, p. 103. En même temps cela fait ressortir à quel point le temps, et l’espace, sont des structures de sécurisation, comme nous l’avons déjà signalé.

[75]. Ceci est une formulation très vague. Il serait bon de préciser de façon détaillée ce qu’il y a de pertinent dans cette comparaison.

[76]. A ce propos il sera intéressant de considérer la conception de H. Bergson.

[77]. De ce point de vue J. Lacan, structuraliste et psychanalyste, était cohérent quand il prônait un retour à S. Freud. 

[78]. Idem, p. 107.

[79]. Le regard intériorisé d’autrui, celui des parents, puis de leurs substituts.

[80]. Idem, p. 105.

[81]. Idem, pp. 107-108, pour les deux parties séparées par la remarque. L’angoisse réelle c’est l’angoisse devant la réalité. Notons en outre que les passions sont des manifestations et ne relèvent donc pas, du moins en grande partie, de ce qui est inconscient. Feraient-elles partie du domaine conscient du ça?

[82]. Idem, p. 109. Cela ressemble à la fin de la cure analytique. “En s’opposant à un nouveau refoulement, on met fin à la séparation entre le moi  et la libido, et l’on rétablit l’unité psychique de la personne”. Introduction à la psychanalyse,  p. 432.

[83]. Cité dans Dictionnaire de la psychanalyse, o.c, p. 730. D’autres traductions ont été proposées. “Là où c’était je dois être”. “Le moi doit déloger le ça”. “Là où était du ça, du moi doit advenir”.

[84]. D’après le dictionnaire.

[85]. Un trouble de mémoire sur l’Acropole -  Lettre à Romain Rolland, 1936, In Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Ed. PUF, 1985. Notons que l’évènement que S. Freud analyse eut lieu en 1904.

[86]. Ou encore : Wo Es war, wünsche Ich werden, Là où ça était, je désire (souhaite) devenir

[87]. Nous ne pourrrons aborder le rapport entre l’œuvre de S. Freud et l’existentialisme de M. Heidegger ou celui de J.P. Sartre que dans une étude ultérieure. Notons que la psychanalyse a exercé une fascination sur ce dernier. Il a écrit un scénario Freud  et dans L’être et le néant  il a essayé de fonder une psychanalyse existencielle.

   Il sera intéressant de noter les rapports également entre l’investigation de L. Wittgenstein et celle de S. Freud. Ainsi le ça-Es du second s’apparente au Was-ce que du premier et donc au là-Da de Heidegger. Dans son Tractatus  logico-philosophique  L. Wittgenstein écrit:”Un proposition ne peut que dire d’une chose comment elle est, non ce qu’elle est”.  Ed. idées / gallimard, p.59. A cet endroit Aimé Patri a mis une note très intéressante dont la conclusion est celle-ci. “Avec beaucoup de précaution ou pourrait rapprocher le “ce que” de W. de l’”Etre” selon Heidegger”. En fait ce qui est chaque fois visé c’est l’immédiateté qui est le point d’émergence de tout être. On pourra voir que le problème de la logique est celui du point de départ qui peut être un point de vue, et celui de la certitude. Or tant qu’on n’atteint pas l’immédiateté on est hors certitude. L. Wiggenstein a écrit De la certitude  et, à la fin de l’ouvrage précédemment cité, il affirme: “Ce dont on ne peut parler, il faut le taire”. Là où il n’y a pas certitude, il faut se taire. Mais par là on tait quelque chose, on refuse et refoule l’insécurité, l’incertitude qui fondent l’immense angoisse (cf. Kierkegaard). On ne peut pas parler du refus initial, de la brisure de la continuité, sans les revivre.

[88]. O.c, p. 141.

[89]. Lettre à W. Fliess du 01.02. 1900, citée par P. Gay, o.c, pp. XX-XXI.

[90]. Nouvelles  conférences d’introduction à la psychanalyse, p. 104.

[91]. Ils tendent à être pensés comme des entités, voire des organes. Ainsi divers scientifiques recherchent, dans l’encéphale, des structures qui seraient le support de l’inconscient.

    Je parle intentionnellement d’agrégats, à cause du bouddhisme.

[92]. La rupture de continuité engendre la binarité. La dialectique est une tentative d’abolir celle-ci en maintenant ces données; d’où la nécessité de l’Aufhebung, le dépassement.

[93]. Cette formulation est valable en fonction de la représentation freudienne. Dans une perspective plus générale et en tenant compte de la répression parentale, elle pourrait  devenir: elle exprime le passage souhaité de l’immédiateté rendue inconsciente     par le refoulement à celle devenue consciente grâce à une cheminement libérateur, d’émergence.

[94]. Idem, p. 77.

[95]. Idem, p. 129. Comment concilie-t-il  cet aveu  avec ce qu’il écrivit dans Le Moi et le Ca ? “Le mythe est donc le pas qui permet à l’individu de sortir de la psychologie des foules”. O.c, p. 208.

[96]. Idem, p. 199.

[97]. Idem, p. 207. C’est ce qui est advenu depuis 1950 avec la mise au point des neuroleptiques et les progrès dans la connaissance des divers neurotransmetteurs opèrant dans l’encéphale. Il est facile de dire que tel trouble mental est dû à une  anomalie dans la production d’un neurotransmetteur particulier. D’où, en conséquence, la recherche d’une substance qui pourrait pallier aux défaillances d’un centre encéphalique.

    Il affirme quelque chose de semblable dans La question  de l’analyse profance: “Etant donné la dépendance intime qui existe entre les choses que nous scindons en corporelles et psychiques, on peut prévoir qu’un jour viendra où des chemins s’ouvriront à la connaisance et espérons-le, aussi à la pratique, menant de la biologie des organes et de la chimie au domaine des manifestation des névroses”. O.c, p. 108.

[98]. Au-delà du principe de plaisir, o.c, p. 110. Nous reviendrons plus loin sur cette citation et sur l’interrogation qu’elle induit chez S. Freud. Pour le moment je relèverai qu’il semble dire qu’expliquer c’est produire des hypothèses! Il y a plus: l’incertitude du domaine où il opère. Il oscille entre la tendance à ramener les faits psychiques étudiés à un fondement biologique, et ceci est en connexion aussi avec sa volonté d’opérer au sein d’une Weltanschauung  scientifique, et celle à fonder un nouveau domaine bien déterminé non réductible au biologique: le psychique. La première tendance est sécurisante puisqu’elle ramène à quelque chose de connu, de déjà établi. Voilà pourquoi il donne l’impression d’être souvent dans une situation transitoire, comme en attente.

[99]. Idem, p. 229.

[100]. La sublimation apparaît comme détournement. “Si nous le voulons, nous pouvons reconnaître dans ce détournement quant au but un début de Sublimation  des pulsions sexuelles...”.  Psychologie des foules et analyse du moi, in Essais de Psychanalyse,  p. 211.

[101]. Cf. Résultats, idées, problèmes I,  p. 231.

[102]. Idem, p. 234.

[103]. Idem, p. 242.

[104]. Idem, p. 265.

[105]. Idem, p. 240.

[106]. Idem, p. 240. Le thème de l’intégration est lié à celui de la domestication, à la réalisation de la paix sociale. En effet il faut viser à intégrer tout ce qui tend à nier l’ordre établi afin de pérenniser celui-ci.

[107]. Il y a là un certain détournement du rôle de la sorcière qui n’opère pas dans la dynamique du domptage, de la répression des pulsions.

[108]. Idem, p. 241. Encore une fois l’ennemi est à l’intérieur. D’ailleurs à la page 252 il écrit: “Mais on ne peut se fuir soi-même, face au danger intérieur aucune fuite ne vous tire d’affaire, et c’est pourquoi les mécanismes de défense  du moi sont condamnés à falsifier la perception intérieure et à ne nous rendre possible qu’une connaissance déficiente et déformée de notre ça”.  Cette impossibilité de se fuir est affirmée dans les lettres à W. Fliess et dans l’Esquisse  de 1895.  Ajoutons que ce sont les opprimés  - ici les pulsions - qui revendiquent, comme cela se passe dans la société: aveu de l’intériorisation de l’ordre établi.

[109]. Idem, p. 241 pour les deux citations.

[110]. Idem, p. 242. Au sujet du psychanalyste  permanent: “Il est indubitablement souhaitable de raccourcir la durée d’une cure analytique, mais la voie pour parvenir à notre objectif thérapeutique ne fait toujours que passer par la force d’appoint analytique que nous voulons apporter au moi”. p. 245. S. Freud affirme ensuite un regret:  “On n’a pas trouvé jusqu’à présent de substitut à l’hypnose...”. Il a abandonné cette dernière mais sous divers avatars il la retrouve toujours. Enfin l’aveu suivant est révélateur du sentiment d’impuissance qui l’habite: “... que l’analyse, avec sa prétention de guérir des névroses en assurant la domination sur les pulsions, a toujours raison en théorie, mais pas toujours en pratique”. p. 245. C’est là aussi que s’affirme la mystification dans laquelle il s’est logé, pour se sauver d’une autre en laquelle il avait été placé.

[111]. Idem, p. 243.

[112]. Idem, p. 244. On trouve une affirmation similaire dans Constructions dans l’analyse : “Comme on le sait, il est douteux qu’une formation psychique quelconque puisse vraiment subir une destruction totale”. Cf. Résultats, idées, problèmees  II, p. 272.

[113]. Cf. pp. 252-253.

[114]. Idem, p. 253. Le poète dont il est question est W. Goethe.

[115]. Divers théoriciens ont mis ce phénomène en évidence et ont insisté sur l’obstacle que constituait pour l’adulte le phénomène d’adaptation  de l’enfant.

[116]. Cf. o.c, p. 270.

[117]. Idem, p. 271.

[118]. Idem, p. 273.

[119]. Idem, p. 274. Dans un autre article j’étudierai justement cette pratique au cours de laquelle S. Freud utilise le transfert positif qu’opère sur lui le patient pour lui soumettre, en fait suggestionner, ce qu’il appelle, ici, sa construction. En revanche, il veut éliminer ce qu’il nomme le contre-transfert opéré par lui-même sur son patient. Nous verrons sur quelle mystification tout cela est bâti, ce qui nous donnera l’occasion d’aborder les discussions au sujet du contre-transfert.

[120]. Idem, p. 279.

[121]. Idem, p. 279 pour les deux citations. Je tiens à noter que je ne  peux en aucun cas accepter de présenter la folie, ainsi que le fait S.Freud, comme une entité autonomisée qui procède avec méthode. La folie ne fait rien, c’est le fou qui opère. De même: ce n’est pas la psychanalyse qui agit mais le psychanalyste.

[122]. Idem, p. 280.

[123]. Les névropsychoses de défense, in Oeuvres complètes, t, III, p. 3.

[124] Cf. Résultats, idées, problèmes  III, pp. 284-285.

[125]. Idem, p. 284. On sent une dépréciation inconsciente dans cette caractérisation des organes génitaux féminins; belle défense contre sa mère!

[126]. Idem, 285. Pourquoi ce pluriel: organes génitaux. En fonction de ce qu’écrit S.Freud, il n’y en a qu’un. Il s’agit du pénis uniquement et non du pénis et des testicules.

[127]. Idem, p. 285 pour les deux citations. En ce qui concerne le fétichisme j’y reviendrai dans une autre étude. Elle comportera évidemment une analyse de la partie IV du chapitre I de Le capital : Le caractère fétiche de la marchandise et son secret.  Là encore nous trouverons une isomorphie entre le devenir des marchandises et celui des hommes et des femmes ontosés.

[128]. Je pourrai écrire séduit. Je rappelle le rapport entre séduction et détournement tel qu’il s’affirme dans le mot allemand Verführung.

[129]Tout être ontosé - et nous le sommes tous - présente, de façon non pleinement développée - toutes les dimensions des  maladies mentales. En outre, on ne peut pas caractériser la folie d’une personne en la ramenant à une seule détermination: schizophrènie, paranoïa, ou autre. Tout coexiste en elle, bien qu’une détermination l’emporte. Mais la caractériser par cette dernière est encore un processus de réduction qui ne peut qu’accroître sa folie.

[130]. Je ne dis pas, comme je le trouve souvent écrit: une envie du pénis, parce que, là, c’est le phénomène naturel; de même qu’on pourrait affirmer dans cette optique que l’homme a envie d’un vagin, mais non de possèder un vagin, sinon dans la folie.

    Dans S. Freud et la mystification, je mettrai en évidence le phénomène réel sur lequel celui-ci se fonde, sans en être conscient,  pour théoriser une envie de possession d’un pénis de la part de la femme. Dés maintenant je signale, qu’à mon avis, il est nécessaire de mettre en relation cette affirmation avec une autre dont le contenu est : le bébé naissant représente le pénis et l’accouchement serait une castration, cf. citation p.

[131]. Abrégé de psychanalyse, Ed, PUF, 1949, 1° édition.  On doit noter que cet ouvrage commencé en juillet 1938 ne fut pas achevé. Il en fut de même pour Le  clivage du moi dans  le processus de défense.

     La préoccupation au sujet de la sexualité  considérée comme une énigme a déjà été rencontrée particulièrement dans Au-delà du principe de plaisir.

[132]. Idem, p. 61.

[133]. “Puis, sous l’effet combiné de la menace de castration et de la constatation du manque de pénis de la femme, le petit garçon subit le plus grand traumatisme de sa vie qui inaugure la période de latence avec toutes ses conséquences”.  Idem, p. 15. La substitution du traumatisme réel par le fantasme est parachevée.

[134]. Idem, p. 59.

[135]. Idem, p. 8. Ne vise-t-il pas, inconsciemment, A. Schopenhauer pour qui le principe d’individuation implique la rupture, accompagnée de souffrance, de l’unité originelle du phénomène vie. Or ce philosophe a accédé à la notion de refoulement, à l’idée de compulsion et a fortement insisté sur l’importance de la sexualité. En conséquence S. Freud  refoula d’abord la connaissance qu’il acquit dans l’oeuvre de ce dernier parce que cela  le mettait en présence de quelque chose de trop douloureux: sa déchirure, puis par nécéssité  de se poser dans son originalité. A. Schopenhauer lui révèlait à la fois trop et pas assez sur lui. De là dèrivent la scotomisation puis la dérision de son oeuvre.

[136]. Cf. La fécondité du sol , Ed, Le courrier du livre.  J‘ai abordé tout cela dans Invariance, série IV, n°1.

[137]. L’affirmation maintes fois répétée concernant les deux pulsions: l’une organisatrice (elle n’est pas rellement posée créatrice), désignée par Eros, l’autre destructrice parfois appelée, par les épigones de S. Freud, Thanatos, me fait penser à l’anabolisme et au catabolisme, ou bien à l’action opposée, et opèrant dans une dynamique similaire, des systèmes ortho et parasympathique du système nerveux autonome ou végétatif. A la basre de la conceptualisation de S. Freud, il y a un schème biologique.

[138]. “En effet, tout état auquel un être est un jour parvenu tend à se réinstaurer dés qu’il a été abandonné”. Idem, p. 7. Ce qui est affirmé ici, c’est la tendance constante de l’état hypnoïde à se manifester, état qui dérive, rappelons-le, d’un traumatisme.

“Quant à l’acte sexuel, c’est une agression visant à accomplir l’union la plus intime”. Idem, p. 8. C’est le support de l’union des contraires dont parla Nicolas de Cuses! Dit autrement la sexualité est le support d’un oxymoron, métaphore de l’ontose.

[139]. Cf. pp. 28-29.

[140]. Idem, p. 39. Ajoutons cette affirmation, ou plutôt réaffirmation: “Nous avons reconnu qu’il était impossible d’établir scientifiquement une ligne de démarcation entre les états normaux et anormaux”. p. 69.

[141]. Idem, p. 79.

[142]. Idem, p. 79.

[143]. Idem, p. 80.

[144]. Idem, p. 79.

[145]. Le malaise dans la civilisation, p. 22.

[146]. Idem, p. 23.

[147]. Idem, pp. 23-24.

[148]. Il y aura lieu, lors d’une étude plus approfondie de ce thème, de faire intervenir également un phénomène de virtualisation en quoi consiste l’élaboration du père idéal  de la part de la mère et, là, nous retrouverons “l’envie du pénis”.

[149]. J’ai déjà abordé cette dimension de la castration dans De la Vie  in Invariance  série V, n° 1.  Pour le moment, j’ajouterai ceci: la domestication implique la castration qui signifie de façon paradigmatique la rupture dans la continuité, la brisure d’avec l’être originel, qui est en même temps une amputation, l’impossibilité de l’advenir. Cela implique que la castration n’est pas seulement infligée par la mère, mais qu’elle dérive de l’individu lui-même contraint à s’adapter dans l’espoir d’être enfin accepté. Ce phénomène correspond en partie à celui de l’auto-punition dont parle S.Freud

[150]. “Il nous est permis de supposer que l’individu meurt de ses conflits internes...”. Idem, p. 10.

[151]. Idem, p. 64. S. Freud ne parle pas à la première personne, il recourt à une impersonnalité, ou à une hypostase (selon comme on observe le phénomène) parce qu’il n’ose pas dire son désir. Hypostasier ou impersonnaliser indique qu’il est en train de refouler.

[152]. “Le nom de Shakespeare n’est très probablement qu’un pseudonyme derrière lequel se dissimulait un grand inconnu. Un homme considéré comme l’auteur des oeuvres de Skakespeare: Edward de Vere, Earl of Oxford, avait dans son enfance perdu un père aimé et admiré et s’était entièrement détaché de sa mère qui avait convolé en secondes noces peu après être devenue veuve”. Idem, p. 63, note 2.

[153]. Finalement je traduirai ce mot par déréliction   défini ainsi dans Le petit Robert  “Etat de l’homme  qui se sent abandonné, isolé, privé de tout secours divin”. L’homme, la femme, utilisent dieu comme support pour dire leur infinie misère:  ce qu’ils ont vécu. La déréliction signale bien la perte de la continuité. Curieusement cela me fait penser à la déshérence qui, selon le même dictionnaire, signifie: “Absence d’héritiers pour recueillir une succession...” Dans ce cas il y a une rupture de continuité qui, elle aussi, est insoutenable. Les hommes l’ont exprimée en utilisant un support juridique, expression d’une immemse réification.

    Le désir de retrouver la continuité perdue a induit hommes et femmes à trouver divers supports pour l’effectuer. Pour S. Freud ce fut la sexualité.

    A l’article déréliction, Gérard Legrand, écrit dans Vocabulaire Bordas de  la philosophie, Ed. Bordas, 1986: “Terme d’origine théologique qui sert aux philosphes existentialistes pour désigner  l’état d’abandon de l’homme jeté dans le monde et en proie à l’incertitude fondamentale et insurmontable concernant son existence même. La coloration spécifique de ce terme implique le doute ou la négation quant à la transcendance de l’être”.  Ceci montre bien qu’à un moment donné l’humanité est parcourue par une préoccupation qui apparaît sous diverses formes. Ajoutons que la négation quant à la transcendance indique de façon mystifiée le non enracinement. Ceci nous évoque la thématique puissante d’ E. De Martino au sujet de la présence et de la crise de celle-ci. Je renvoie à ce sujet au livre de Placido Cherchi -Maria Cherchi, Ernesto De Martino, de la crise de la présence à la communauté humaine, Ed; Liguori Editore, 1987.

     Dernière remarque concernant la déréliction: K. Marx insista fortement sur le rapport entre religion et misère humaine dont il voulait la suppression, d’où: à la Philosophie de la misère  de J. P. Proudhon qu’il ressentit comme une interprétation de cette dernière, il répondit par Misère de la philosophie,  l’incapacité de cette dernière à faire sortir l’homme de la première. Par là il refusa la déréliction où lui-même fut placé et se servit de J.P. Proudhon pour signifier ce refus; d’où il chargea ce dernier en le caricaturant souvent. Il y aurait beaucoup à dire sur K. Marx polémiste!

[154]. Le complexe de Pygmalion qui fait qu’un homme essaie de se créer la femme idéale à partir d’une jeune fille n’est qu’un cas particulier de ce phénomène de virtualisation.

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