La femme, qui se veut libérée de la domination masculine, ne cesse d'être réduite, dépossédée de sa puissance sexuelle et de celle, extraordinaire ,de donner la vie. Elle est prise au piège de la médicalisation marchande de son corps, la revendique même et a perdu de vue sa naturalité, dans son sens de mode de manifestation du procès de vie au niveau d'une individualité-gemeinwesen ( voir définition naturalité et gemeinwesen dans le glossaire du sommaire des documents sur le site de la Revue Invariance) si tant est qu'elle en ait eu la perception. Elle est engluée dans une imprégnation simpliste, moraliste et répressive , cautionnée par l'idée d'une “nature féminine” immuable.
Pouvoir médical sur la sexualité et la procréation
Plaisir sexuel de la femme et pathologie ont presque toujours été assimilés au cours des siècles. La médecine a argumenté, renforcé, enraciné la croyance que la femme n'existe que pour la procréation, et qu'elle est un danger pour l'homme si cet immense pouvoir de procréation qu'elle possède n'est pas sous l'emprise de l' immuable et unique organe du plaisir, celui de l'homme et de sa main-mise sur la reproduction .
Actuellement un autre danger guette femme et homme : avec le brouillage de tous les repères de norme sexuelle, de famille traditionnelle hétérosexuelle, de procréation naturelle, etc, laissant croire à une libération de la femme, ceux-ci deviennent des individus précaires, chosifiés, désemparés, mis en concurrence et c'est la femme elle-même , dépossédée de sa naturalité, qui revendique , inconsciemment ou pas, sa dépendance à l'homme dans son acceptation d'une répression socio-sexuelle généralisée.
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Le déni du clitoris
Le point de départ de ma réflexion sur la pathologie du plaisir féminin peut paraître comme un parti- pris “féministe” réducteur. Je ne doute pas, bien sûr,que le rôle de dominant attribué aux hommes ne soit également traumatisant pour eux, voués à assumer la fonction d'éjaculateur performant mais là n'est pas mon propos.
Pour maintenir la croyance du pénis-roi le plus simple était d' ignorer complètement l'organe central du plaisir chez la femme: le clitoris. Il avait pourtant une grande importance avant la mise à jour du mécanisme de la fécondation , qui s'est faite à la fin du 19° siècle. Jusqu'alors on pensait que la fécondation ne pouvait avoir lieu sans la semence de la femme et qu'il fallait pour cela que son clitoris soit excité. Rien d'étonnant à ce qu' ensuite il soit déclaré inutile et diabolisé et que le vagin soit devenu le seul organe scientifiquement reconnu de la sexualité féminine Pendant très longtemps il n'a même plus fait partie de l'anatomie dans les cours de médecine. Suivant l'idéologie du moment, le mot a également disparu des dictionnaires tout public il n'y a pas si longtemps et ,dans le domaine de la recherche médicale, c'est le grand vide depuis un siècle quant à la connaissance des mécanismes de la sexualité féminine.
Freud a participé de façon incroyable à ce mépris du corps féminin en considérant le plaisir clitoridien comme infantile, avec l'idée que la petite fille ne rêvait que d'avoir un pénis. Il a culpabilisé les femmes et renforcé ainsi pour longtemps leur sentiment d'infériorité, voire de malades, d'hystériques.
Tous et toutes nous nous offusquons à grands cris des excisions encore pratiquées sur les petites filles dans certains pays mais Freud n'a-t-il pas été un exciseur psychique ? Son influence était telle que certaines femmes ont demandé elles-mêmes la clitoridectomie pour espérer atteindre un orgasme par le vagin et devenir ainsi “normales” !
Ce mythe de l'infériorité de la femme, conforté par toutes les croyances religieuses, est bien ancré et la primauté du pénis, unique organe sexuel qui serait envié par la femme, continue à régner confortablement dans un grand désarroi de consommation de sexe.
Pourtant on pourrait penser que ,depuis la révolution “dite sexuelle” en 1968, les mentalités aient évolué et que la femme ait acquis une liberté dans ses jouissances naturelles mais force est de constater que cet élan a été perverti et rentabilisé.
Vagin normé et consommable
L'approche normative médicalisée s'était déjà installée après la guerre, au début de cette période d'enrichissement nommée “ les trente glorieuses”. Cela démarre aux Etats-Unis avec le rapport Kinsey, qui sera traduit dans le monde entier 1. Désormais des normes, des chiffres, des points de comparaison vont placer cette revendication de plaisir sur le même plan qu'une revendication de salaire ou de protection sociale. Le devoir d'orgasme va s'insérer dans le sillage du plein emploi.
Kinsey était biologiste et statisticien. Il avait été chargé dès 1942, par la Fondation Rockefeller et l'Université d'Indiana, d'enquêter sur la sexualité. Recherches “dites médicales” et financement industriel sont donc intimement liés.
L'objectif d'une sexualité parfaite entre dans le domaine de la santé publique. L'évaluation quantitative et la notion de performance vont entériner des thérapeutiques de guérison. Les inaptitudes sexuelles deviennent la nouvelle maladie à l'ordre du jour et font les beaux jours de présomptueux sexologues en tout genre.
Le rapport Kinsey sera suivi de beaucoup d'autres, et notamment de l'enquête de l'INSERM de 1992 2 puis de celle de 2007. A la lecture de cette dernière enquête il est difficile de ne pas me croire tout à coup plongée dans une grande surface commerciale d'objets sexuels, trésors de puissance et d'ergonomie pour un plaisir sans faille:
-Comment choisir son bon godemichet parmi les vingt modèles proposés ?
-Préférez-vous un oeuf télécommandé, vibrant, qui se place dans le vagin ou un doigt chinois en latex avec piles ?
-Ou encore les menottes recouvertes de fourrure, très tendance ?
-Seul le vibromasseur s'intéresse à la stimulation du clitoris. Alors mesdames, n'hésitez plus pour moins de 40 euros, à moins que vous ne préfériez le jouet le plus courant,le petit canard, à prix cassé sur internet ?
Tout cela bien-sûr sur un site très sérieux de santé publique et sous l'autorité de médecins.
Pour parler de la sexualité, les professionnels de la santé développent surtout trois axes :
les pannes sexuelles, considérées comme des disfonctionnements traitables par des médicaments;
les “sex toys” pour accroître le plaisir du couple;
la masturbation, pratique quotidienne banalisée.
À la rubrique “sexologie” des conseils sont donnés pour “la première fois”. On y parle préservatif, pilule et pudiquement de caresses pour que la verge soit en érection et le vagin lubrifié. On y apprend que l'orgasme produit du sperme chez le garçon et de la cyprine chez la fille.
Pour entendre parler du clitoris il faut être plus curieux et aller à la rubrique “orgasme”. Et là on lit que “l'organe de plaisir féminin est le clitoris” et qu'il “peut” être l'initiateur de l'orgasme vaginal.
Par contre la pratique de la vaginoplastie ne gêne pas le moins du monde et un document à ce sujet, réalisé sous la direction d'un médecin, peut être téléchargé pour apprendre que des chirurgiens pratiquent la chirurgie esthétique du sexe féminin pour les femmes qui veulent avoir des vulves plates comme ce qu'elles voient sur les magazines féminins : réduction de la taille des petites lèvres à l'entrée du vagin, enlèvement du capuchon du clitoris ou réduction de sa taille.
Il est dit seulement que les petites lèvres sont innervées par de nombreuses fibres qui contribuent aux sensations de plaisir mais de telles interventions sont vite justifiées comme un soutien psychologique à de pauvres femmes souffrant d'anomalies avec des lèvres hypertrophiques, trop longues pouvant “ se coincer dans les sous-vêtements”, à l'aspect “vulgaire et laid”.
Toutes les normes de performance sexuelle ont créé de fausses pathologies. Cette médicalisation de la chose sexuelle semble être arrivée à son paroxisme .Pourtant nous sommes encore bien loin de ce qui se prépare pour l'avenir, tant au niveau des plaisirs sexuels que de la procréation. Voici un petit inventaire 3:
Pratiquer le cyber-sexe grâce à des jouets sexuels connectés qui permettront de ressentir les mouvements de son cyber-partenaire grâce à des capteurs de position ;
Se faire placer un implant, réservoir à hormone progestative. Avec un simple clic on distille la dose voulue. Si on veut être enceinte on clique sur “off” ! Cela devrait être mis sur le marché aux E.U. Dès 2018 ;
A quand l'utérus, le liquide amniotique artificiels et la machine placenta ? Pour les chercheurs c'est une alternative aux grossesses à haut risque. Certains y voient l'égalité réelle entre hommes et femmes avec la fin de la sacralisation de l'enfantement. Ce n'est pas pour demain mais la recherche va dans ce sens;
Procréer sans homme ,et sans don de sperme, entre deux femmes, l'une fournit l'ovocyte, l'autre fabrique les spermatozoïdes grâce à ses cellules souches pluripotentes induites qui se transformeront en gamètes. Cette conception 100% féminine ne donnerait naissance qu'à des filles... Il semblerait que les scientifiques s'inquiètent, non seulement de la diminution de la concentration en spermatozoïdes dans le sperme mais de la distance qui s'amenuise entre l'anus et la base postérieure des testicules, distance qui entre dans les critères mesurant le degré de masculinisation.
Fin de la ménopause grâce à l'invention d'une molécule qui stimulera les cellules souches cachées dans les ovaires pour que celles-ci recommencent à produire des ovocytes.
Pour revenir à l'enquête de l'INSERM de 2007, on y apprend aussi que 37% de femmes auraient essayé la sodomie et que 36% de jeunes femmes de 18 à 24 ans utilisent internet pour des rencontres sexuelles.
C'est le grand marché mondial d'une sexualité à fort rendement au plan médical, pharmaceutique et pornographique.
Dans cette misérable cacophonie, certaines femmes vont jusqu'à revendiquer une virginité comme signe de pouvoir et de contrôle de leur sexualité. D'autres, malheureusement les plus nombreuses, jeunes filles de la misère culturelle et de mythes religieux, vivent dans l'obsession de la virginité réclamée par le père ou le futur mari. Pour elles, sodomie et fellation représentent des pratiques de substitution dont elles entendent parler au quotidien et qu'elles visualisent sur les réseaux sociaux de pornographie banalisée. Incompréhension,, culpabilité et soumission dominent encore.
Clitoris et vulve sont toujours des mots tabous.Le clitoris, lorsqu'on en parle, est un attribut dont la fonction unique de procurer du plaisir et des orgasmes ( pour celles qui le savent) a une valeur sur le marché de la compétition , bien encadrée par tout le secteur médical et para-médical (sexologie, mise en forme,bien-être,etc). Il ne dérange donc plus vraiment, il est juste mis sur le marché d'orgasmes individualisés.
L'anatomie de la femme à la merci de la médecine depuis des siècles
En survolant plusieurs siècles on constate bien que le destin de la femme a été fixé par la maternité et que la médecine y exerçait son pouvoir. Ainsi, dès l'antiquité,les médecins conseillaient de bander le corps des filles dès la naissance en laissant libres les hanches pour obtenir un bassin large propice à un bon accouchement.
Il n'était pas rare qu'un père donne sa fille en mariage à l'âge de 12 ans. Les médecins pensaient que les filles sont pubères vers 14 ans mais n'hésitaient pas à prescrire un régime destiné à avancer les premières règles afin de marier les filles très jeunes .
Le mariage prépubertaire ( 12 ans), répandu dans l'empire romain, était justifié par les médecins pour des raisons qualifiées de scientifiques : à savoir que les filles ont le vagin obturé. Il fallait donc les déflorer avant leurs premières règles. Les sages femmes confortaient ce discours et ne s'opposaient pas à ce qu'elles avaient elles-mêmes vécu.
“ Les conditions générales de la vie biologique des femmes, de leur destin maternel, étaient telles que les risques mortels de grossesses multiples ou ceux des avortements constituaient l'horizon normal de la vie féminine”4 . Ce risque dépendait de l'arrangement mis en place suivant la classe sociale à laquelle appartenait la femme.
La pratique des avortements à cette période n'est connue que par les écrits des médecins. Les abortifs étaient bien souvent mortels et des purgatifs violents administrés.
Au Moyen-Age, rien n'a évolué dans l'idéologie du destin féminin. L'anatomie doit respecter le principe de finalité. Il n'est pas nécessaire de réfléchir sur la femme en tant qu'être humain puisque sa fonction de procréatrice suffit à la définir. La morale et le mariage doivent contenir les risques du plaisir de la chair considéré comme honteux et entraînant des maladies.
Dans la 2° moitié du XIè siècle, la plus grande production scientifique vient des médecins de l'école de Salerne qui ont à leur disposition les traductions de la médecine arabe qu'ils interpréteront à leur façon. Théories scientifiques et théologiques s'opposent. Toutes les oeuvres traitent de la physiologie et de l'anatomie féminines. Le couple hétérosexuel émerge vers le début du 12° siècle en Occident .
L'œuvre d'Aristote ( Philosophe grec, an 322 avant J.C., disciple de Platon), largement commentée au XIIIè siècle montre comment scientifiques et religieux s'en arrangent avec leurs convictions sur l'image de la femme. Toutes les théories sont conditionnées par le mépris envers la femme considérée comme inférieure. C'est un mélange de naturalisme aristothélien et de métaphysique religieuse.
Les religieux vont s'immiscer pour mettre en place des règles et leur transgression va s'associer aux pandémies comme la lèpre et les dermatoses. La culpabilité de la chair imprègne la société. Ces idées simplistes prennent le dessus même si dans la seconde moitié du 11° siècle l'activité des médecins de l'Ecole de Salerne est intense et les traductions des connaissances de la médecine arabe sont disponibles.
On parle aussi de Galien, médecin grec de Pergame, qui fit également autorité sur toute la médecine jusqu'au 17° siècle.Son oeuvre a procédé en grande partie d'Hippocrate, considéré comme le plus grand médecin de l'antiquité.
La théorie médicale d'Hippocrate repose sur les altérations des humeurs dans l'organisme d'où une pratique fondée sur une conception d'un fonctionnement harmonieux de l'organisme.
Ne subsiste que son serment, vidé de ses règles morales. Il y est dit à un moment :”... je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion, semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif...”.
Je fais un saut dans le présent pour dire à quel point la réalité médicale est devenue le strict contraire des règles du serment d'Hippocrate. J'y reviendrai plus en détail pour parler du cancer et de l'approche médicale systématiquement aggressive, chimique, chirurgicale, rentable.
De même on a retiré à Galien toute la valeur de son approche philosophique globale de la physiologie et de la pathologie parce qu'elle n'était pas fondée sur de la matière concrète. Son oeuvre est toujours présentée comme le point culminant de la médecine grecque mais valorisée uniquement par son travail sur l'anatomie, basé sur l'observation.
Aristote et Galien représentaient l'organe mâle comme un instrument achevé et celui de la femme amoindri.La certitude de la similitude inverse des organes mâles et femelles permettait d'accentuer la petitesse des organes féminins de façon péjorative (les ovaires étant le pendant des testicules et le clitoris celui du pénis même s'il n'est pas clairement nommé). La première dissection faite à Salerne (sans doute au début du 12° siècle ) sur des truies est appliquée à la femme5 :”Tu dois partager la matrice par le milieu (= col de l'utérus): tu trouveras au-dessus d'elle deux testicules (= les ovaires), grâce auxquels le sperme féminin est envoyé à la matrice afin qu'uni au sperme masculin, il forme le foetus”.
La première dissection humaine est pratiquée à Bologne à la fin du 13° siècle . Cela ne modifie pas beaucoup les habitudes de pensée et l'existence du sperme féminin ne peut être ni infirmée ni confirmée par l'observation immédiate.
La croyance en l'existence d'un principe féminin qui intervient au moment de la conception se heurte à l'opposition d'Aristote pour qui c'est le flux menstruel qui correspond au liquide séminal de l'homme et qu'il ne peut y avoir deux sécrétions spermatiques dans le même corps. Les opinions divergent donc sur cet “adjuvant” (ibid p.68) de la semence mâle.
L'incertitude sur le clitoris demeure. On n'en parle que s'il est atteint d'hypertrophie. Personne ne veut prendre le risque de donner à la femme la possibilité d'une capacité de plaisir entièrement autonome, ce qui remettrait en question la finalitéde la procréation.
Henri de Mondeville, chirurgien du début du 14° siècle, fait du clitoris l'extrémité de l'urètre et le compare à la luette qui altère l'air pénétrant dans les poumons. Toutes les idées préconçues empêchent les médecins d'arriver à une conclusion sur cet organe. On cite pourtant le médecin Pierre d'Abano qui a parlé de l'intensité du plaisir résultant de l'excitation de cet organe.
Le passage de la culture homosociale de la Chevalerie à la culture hétérosexuelle courtoise triomphe au 16° siècle.La médecine s'oppose à cette culture hétérosexuelle de l'amour perçue comme une pathologie sociale. Apparaît la doctrine de la maladie d'amour, idée qui existait dans l'antiquité mais avait été perdue de vue.
Cette idée de pratique d'amour entraînant des maladies est reprise à la Renaissance et au 17° siècle par les médecins.Pour Jean Aubéry, le masculin doit se définir par le refus de l'amour qui avilit le héros devenu efféminé. Selon lui la femme étant par nature plus faible que l'homme est plus amoureuse même si sa chaleur est moindre.
Domine la représentation primitive de la femme possédée par la matrice qui est en elle et donc du désir de faire des enfants.
Les suffocations “hystériques” de la femme seraient la manifestation du déplacement vertical de la matrice dans le corps. Pour y remédier on fait appel à une thérapeutique simpliste : des fumigations désagréables pour la partie supérieure du corps et agréables pour la partie inférieure. On pense que la femme est perméable à toutes les odeurs. Cette aptitude à recevoir les souffles inquiète.
La peur de la femme conforte toutes les croyances : le sang menstruel est un danger, une destruction. La ménopause est un poison qui reste dans la femme et la transforme en sorcière. La lèpre est transmise par la femme qui reçoit le poison sans en être atteinte, de même pour la syphilis. L'utérus de la femme est le réceptacle de toutes les humeurs. Froide ou excessive, vierge ou hystérique, elle doit rester dans la finalité de la procréation et nécessite un contrôle médical permanent.Si elle manifeste la plus petite autonomie et l'épanouissement de ses désirs on la méprise. Elle a le pouvoir de procréation, c'est déjà énorme et les médecins ont fort à faire avec le contrôle de leur procréation sans s'occuper d'un organe de jouissance qui les remettrait en question.
Au 16° siècle apparaissent les premiers livres d'anatomie et c'est en Italie, à Padoue que l'anatomiste Colombo serait le premier à 'avoir étudié et disséqué le clitoris. Il insiste sur son érection et son analogie avec le pénis.
À cette époque le clitoris est reconnu comme l'organe de la volupté chez la femme et sa représentation imagée est toujours surdimensionnée. C'est le facteur nécessaire à la fertilité mais il doit être contrôlé pour ne pas trop inquiéte. Dans l'imagerie populaire on associe parfois ce mamelon du diable à de la sorcellerie.
Tous les travaux du Dr Colombo ont disparu. Il faudra attendre deux siècles pour voir apparaître des dessins fantaisistes et un siècle de plus pour que le clitoris figure dans les dictionnaires médicaux avant de disparaître à nouveau en 1948.
Au 17° siècle, Dionis, chirurgien français, professeur d'anatomie préconise l'excision comme remède à la lascivité féminine6 . S'il y a excès il n'y a pas un bon écoulement des humeurs, suivant la conception d'Hippocrate et de Galien, la stagnation du liquide peut conduire la femme à l'hystérie.
Pour la plupart, les médecins sont hostiles à la culture hétérosexuelle et présentent l'amour entre un homme et une femme comme une maladie résultant d'un échauffement du corps. La rage d'amour, appelée “la mélancholie érotique ou erotomanie”7 était traitée comme un phénomène organique. L'humeur mélancolique étant noire, elle produisait des vapeurs sombres dans le cerveau et portait atteinte à la raison.
C'est surtout l'hystérie de la femme qui est une forme de mélancolie érotique : une femme amoureuse produit de la semence. Si celle-ci n'est pas utilisée elle s'accumule dans la matrice et se gâte en provoquant des démangeaisons.
Pour François Mauriceau, obstétricien bien connu, la matrice est la cause de la plupart des maladies des femmes. Ainsi, le sang menstruel se putréfie également au sein de l'utérus et les vapeurs toxiques qui se dégagent infectent le corps et le cerveau. (ibid. p. 153) : “D'une manière générale, l'utérus recherche les hommes. Platon le disait déjà dans le Timée et Rabelais reprend cette idée encore dans le Tiers Livre. Cette recherche forcenée occasionne maint dérèglement, dont l'amour n'est que le trop clair symptôme....”. L'amour faisait donc partie du domaine d'expertise médicale et les ardeurs des patientes combattues.
Galien proposait divers traitements qui réchauffent et le toucher des parties génitales qui provoquera des convulsions de douleur et de plaisir entraînant l'émission d'un sperme trouble et abondant qui la libèrera des symptômes d'un désir contenu et de la rétention d'une semence avariée.
Selon Thomas Laqueur8, les médecins du Moyen-âge et de la Renaissance semblent avoir exercé les ressources les plus salaces de leur imagination pour élaborer les méthodes par lesquelles les femmes soulageaient leur congestion.
Les conseils de Galien étaient diffusés dans des manuels florissant à l'aube de l'imprimerie. Se frotter les organes génitaux, et plus spécifiquement le clitoris, afin de soulager les tensions entraît dans la normalité.
“À la fin du 19° et au début du 20° siècle, on peut encore assister à un essor des moyens faits pour soulager les médecins et leurs assistants de l'ennui de masser les parties génitales des hystériques ou des femmes sexuellement insatisfaites : vibrateurs électriques, machines d'hydrauthérapie et tuyaux ...” 9 .
La masturbation de la vulve est aussi préconisée pour provoquer le plaisir dans le seul but du coït et de la procréation. Cette pratique se fait souvent médicalement. Par contre, la masturbation en solitaire est absolument interdite et entraîne au 19° siècle la pratique de la clitoridectomie punitive.
Déjà au début du 18° siècle se met en place l'idée que la masturbation est le pire des crimes. Le livre “Onania”, écrit par un chirurgien, va faire des ravages et la médecine pirater la morale. Laqueur en parle ainsi :”...cet effort éhonté pour inventer une maladie nouvelle et en même temps proposer un remède au prix fort devint le texte fondateur d'une tradition médicale qui devait faire partie des bases de la médecine à l'apogée des Lumières et aider à créer la sexualité moderne”10.
Il faut rappeler que le problème des excès amoureux est reconnu comme un problème médical depuis l'antiquité.
Dans son “Traité sur la maladie des femmes”, Soranos d'Ephèse, grand médecin au 2° siècle après J.C., parlait déjà de l'excision pour corriger l'hypertrophie du clitoris associée à la “lubricité” 11.
Onania entre dans la culture populaire et des boniments vont appâter le lecteur comme le grand clitoris de deux nonnes pratiquant la masturbation.
La vulgarité de Onania va être relayée par un ouvrage médical influent, celui de S.A. Tissot, un des médecins les plus célèbres et prolifiques du 18° “l'onanisme ; ou dissertation physique sur les maladies produites par la masturbation” édition française parue en 1760, original en latin en 175912 .
Il s'agit là d'une grande entreprise dans laquelle la science médicale revendique une autorité qui appartenait à la religion. La modernité médico-morale se met en place et un réseau médical de profit va proliférer jusqu'à la fin du 19° siècle. Des innovations techniques vont être le support de remèdes à cette maladie culpabilisante (ex.: entraves pour empêcher les filles d'étendre les jambes, arceaux de lit pour écarter les draps des organes génitaux...). Comme le dit Thomas Laqueur13, la pédagogie morale/médicale, la menace du vice solitaire se sont étendues partout comme les métastases d'un cancer. Les revues médicales, les encyclopédies soutiennent la vente de remèdes pour les maladies masturbatoires. Presque tous les gestes deviennent suspects (ex : une femme faisant du vélo !).
Il cite également le Docteur Samuel Gottlieb Vogel “_ célèbre pour ses écrits sur l'éducation et pour l'introduction du mot “paranoïa” dans la pratique médicale _” qui énumère les dangers de la masturbation en affirmant qu'ils sont beaucoup plus grands pour les filles14 .
Au 19° siècle, dans le dictionnaire général français ( Napoléon Landais- 1836) on ne cite le clitoris que pour parler de sa maladie, le clitorisme, équivalent du priapisme chez l'homme, maladie appelée “abus du clitoris”.La connaissance de l'inutilité du clitoris dans la fécondation explique le désintérêt pour cet organe de plus en plus diabolisé.
Le Docteur Baker Brown, médecin anglais, considéré comme un savant anatomiste, étudie les “maladies” de la femme et soupçonne le clitoris d'être responsible d'hystérie, d'épilepsie et de folie et préconise son excision.
Aux Etats-Unis, la dernière clitoridectomie à but curatif de la masturbation connue a été enregistrée en 1948 sur une petite fille de cinq ans 15. Par contre, cette intervention chirurgicale existe encore lorsque la médecine considère que le clitoris dépasse une taille normalisée.
Àl'émergence de la psychiatrie, à la fin du 19° siècle, l'érotomanie devient une maladie mentale. C' est toujours une pathologie redoutable mais elle va changer de nom et s'appeler “hétérosexualité”. Comme le souligne Louis-Georges Tin16 : “en 1901, le Dorland's Medical Dictionary définissait l'hétérosexualité en ces termes: ”Appétit sexuel anormal ou perverti pour l'autre sexe.”
La normalité se situe dans la sexualité raisonnable avec le mariage et son but l'enfantement. Ce combat médical basculera rapidement en son contraire et l'hétérosexualité deviendra la norme. Dans le grand public cette norme est déjà installée et les médecins deviendront de farouches défenseurs de ce qu'ils ont combattu.Ils vont juste changer d'ennemi : l'homosexualité deviendra la maladie grave pour laquelle il faut trouver des thérapies.
Ils vont être d'autant plus défenseurs de l'hétérosexualité qu'ils voient un danger dans l'apparition des femmes au sein de la profession médicale et vont donc défendre l'amour comme une donnée biologique de la femme pour les tenir hors de la sphère professionnelle.
Indifférenciation et virtuel
La médecine moderne va jouer un rôle majeur dans la constitution “scientifique” de la nouvelle normalité sexuelle.. Les discours psychiatriques vont s'imposer en tentant d'éradiquer l'homosexualité.L'école prend le relais de l'apprentissage et de la culture de l'hétérosexualité.
En 1970 la notion de plaisir lié au clitoris disparaît dans le dictionnaire de médecine et de biologie (Masson et cie). En 1981 on ajoute prudemment le mot “érectile”. 18 ans après sa création aux Etats-Unis, une pièce de théâtre “ les monologues du vagin” 17 continue à être jouée dans le monde entier, ce qui illustre bien l'intérêt primordial et, paradoxalement, l'ignorance dans laquelle se trouvent encore les femmes sur leur corps. Le texte a été traduit en 50 langues. Le titre est ambigü car il semble renforcer la culture du vagin. A la lecture du texte on s'aperçoit que vulve et clitoris ont été inclus dans le mot vagin comme si seul ce dernier mot pouvait être entendu sans faire trop scandale.
En 2003, la chaîne de télévision Arte a diffusé un documentaire sur le clitoris dans le cadre de sa soirée sur le thème du sexe des femmes.Fait rare au point qu'un professeur de science et vie en a diffusé une fiche pédagogique sur internet.
Il est vrai que ce documentaire , intitulé “le clitoris, ce cher inconnu”, bouscule bien des idées reçues ou l'ignorance à son sujet. Il faut toutefois rester prudent car les recherches scientifiques sur les mécanismes de la sexualité féminine en sont encore à leur balbutiement. En l'état des connaissances ,il semble acquis que le “complexe clitoridien” (comme l'écrit le professeur Vincent Béranger dans son document pédagogique) soit composé du clitoris dont la partie externe mesurerait de 8 cm à 10 cm. Il est recouvert d'un capuchon à la commissure des petites lèvres et se recourbe et se prolonge, scindé en deux longues racines le long de l'os du pubis de chaque côté de la vulve et de l'orifice du vagin.Il comporte aussi deux bulbes le long de la vulve, appelés bulbes du vestibule qui se gonflent à l'érection.
Ce qui le rend exceptionnel c'est que ce soit le seul organe du corps à n'avoir pour rôle que le plaisir avec des terminaisons nerveuses qui atteignent le chiffre de 8000, soit le double de celles du pénis. De plus, le clitoris ne se relâche pas après son érection ce qui permet une multiplicité d'orgasmes .
Il faut savoir aussi que le vagin est très peu innervé en prévision de l'accouchement. Tout cela remet bien en cause la distinction entre femmes vaginales et clitoridiennes ainsi que l'hypothétique point G.
Actuellement, la façon dont le clitoris est mis en avant, revendiqué, par différents courants féministes ne fait bien souvent que renforcer l'approche médicale de la sectorisation des organes, la surenchère para-médicale du bien-être, voire un communautarisme sectaire et l'amalgame avec l'homosexualité. Il est visualisé/virtualisé en tant qu' objet utilitaire sur le marché du sexe au service de “l'estime de soi” indispensable pour une prise de pouvoir dans un monde virtuel ; au même titre que les normes de beauté et de comportement prises d'assaut par la médecine esthétique et psychologique (L'homme aussi s'installe de plus en plus dans cet acharnement à l'indifférenciation et la chirurgie esthétique ne l'effraie plus). Le capital recouvre tout et gomme les différences.
Cette récupération permet, dans le même temps, de revendiquer une abstinence de rapports sexuels vaginaux au nom d'une liberté assumée. C'est la permissivité inversée. Des centres de soins se multiplient aux Etats-Unis dans lesquels des médecins soignent des pathologies considérées comme des dépendances attentatoires au libre arbitre.
Le psychanalyste Boris Cyrulnik constate que depuis une vingtaine d'années des personnes se considérant comme dépendantes du sexe viennent demander à des médecins de les aider à se débarrasser de cette toxicomanie qui les prive de liberté individuelle18. Il ajoute : “... Des femmes me disent qu'elles se sentent dépendantes lorsque leur partenaire les fait jouir, et qu'elles souffrent de cette dépendance. Ces cas sont de plus en plus fréquents, même en Europe”.19
À côté de ce refus, cohabite la crainte de ne pas jouir, de ne pas souscrire à cette performance devenue obligatoire dans tous les medias.
Au moment de la révolution sexuelle de 1968, Raoul Vaneigem parlait du droit au plaisir comme une conquête féminine. Cet esprit guerrier était dans la logique du capital et la libération sexuelle s'est fondue dans un consumérisme mondial.20 ::”... L'ouverture démocratique aux plaisirs coïncide le moins fortuitement du monde avec la conquête de nouveaux marchés où la jouissance s'appelle confort et le bonheur appropriation.”.La femme va surtout revendiquer le droit à l'avortement, le droit de “disposer” de son corps devenu objet en mettant en avant cet acte traumatisant pratiqué par des médecins “bienveillants”.
Puisque l'on parlait de fonctionnement, de pratique d'activités sexuelles, la médecine s'est engouffrée dans le disfonctionnement et toutes les thérapies et opportunités commerciales en découlant.Le désordre permissif était bien plus rentable que l'ordre moral.Comme le dit François Brune 21 “ … On n'arrête pas le plaisir de même qu'on n'arrête pas le progrès : … Ce qu'institue [ désormais ] la publicité, c'est le devoir de plaisir. Ce devoir est naturellement caché sous l'aspect d'une libération”.
Les sexologues de tous poils se sont appropriés l'idéologie du bien-être individuel tout en renforçant la femme dans une dépendance de malade. Ainsi, le vaginisme, catalogué “maladie”, occulte le traumatisme psychologique initial au profit d'un traitement pratique et efficace : la rééducation musculaire du périnée à l'aide de godemichés calibrés ( Causette déc. 2014 “ le vaginisme douleur secrète”) .
Le “viagra féminin” n'est pas loin d 'apparaître sur le marché des mécanismes de la sexualité . Après la morale, la honte, vas-t-on vers la sur-médicalisation sexuelle via le commerce d'objets sexuels toujours plus performants pour “dominer” son corps. Ce corps, de plus en plus indifférencié, a amené sur le marché des jouets permettant la pénétration anale et vaginale en même temps, pour femme ou homme. C'est l'indifférenciation du trou à boucher avec ce jouet appelé plug anal ( plug signifiant à la fois bouchon, bonde ou fiche électrique).
Dans le même registre, très bien documenté sur l'histoire du clitoris depuis l'antiquité, le médecin sexologue clinicien, Jean Claude Piquard, auteur de “la fabuleuse histoire du clitoris”22 , parle dans ce livre, préfacé par Julie Muret ”Osez le féminisme”, d'un organe, de sa fonction, de son rôle et de la nécessité de sa réhabilitation et de sa réappropriation par les femmes. Il met en avant un mouvement dans ce sens, via quelques groupes de femmes sur des sites internet.Ces sites sont pourtant le parfait exemple de la représentation de l'image de la femme par elle-même dans une adaptation confuse de pornographie et de mise sur le marché virtuel de rencontres.
L' être féminin n'a malheureusement plus rien à voir avec cette déshumanisation.
Dans le magazine “Causette” qui traite avec beaucoup d'humour et de mordant tout ce qui a trait à la sexualité, un article (du 14/12/2009): “ cet ermite maltraité”, illustre bien encore l'esprit de guerre et de conquête revendiqué avec l'image du clitoris nommé“ mitrailleuse”, “kalachnikov” ou encore “ cette petite chose high tech”.
En tous cas, le secteur du para-médical a de beaux jours devant lui lorsque l'on voit que sont apparues sur le marché des crèmes blanchissantes pour anus.
À quand la crème anti-rides pour le cul ?
À côté de cette rentabilisation déshumanisée acharnée dans une sorte de pornographie banalisée, je suis presque attendrie , au hasard d'une lecture, d'apprendre qu' il existe des petites enclaves où perdurent des tabous et croyances chamaniques. C'est ainsi qu'actuellement, en région arctique de l'Alaska, en territoire inupiat, aucune femme ne peut approcher le lieu de pêche à la baleine si elle a ses règles. :”... le sang vaginal horrifiait les animaux. A Tikigaq cela signifiait que les femmes en période de menstruations étaient bannies de la glace de mer et non autorisées à toucher du gibier.”23Où est la femme dans sa naturalité, dans la jouisance globale de tout son être ?
L'apprentissage de la sexualité adolescente ne passe plus que par les sites pornographiques visités régulièrement par les garçons qui ne savent plus où trouver des repères. Il serait bien naïf de penser à la possibilité d' “être” des jeunes filles.Des vidéos de violence sexuelle dominent leur quotidien avec l'image de pénis surdimensionnés, de pénétrations vaginales ou de sodomies à répétition, à plusieurs, et elles sont censées adorer cela pour plaire et être reconnues: savoir être un objet expérimental à la hauteur du porno normalisé et des hurlements de “plaisir” qui alimentent les vidéos.
Il n'est donc pas étonnant de constater que vulve et clitoris sont souvent des mots vides de sens pour beaucoup d'adolescentes. L'onanisme féminin sans pénétration n'est même plus concevable puisqu'elles “n'ont pas de sexe”. Elles sont devenues des trous. Le souci est la contraception, seule vague connaissance qu'elles ont de leur sexualité par l'intermédiaire de l'école dans ce monde de médecine procréative prioritaire.
Procréation artificielle généralisée
La reproduction artificielle de l'humain s'est mise en place sous l'autorité du Ministère de la Santé : les premières lois de bioéthique sont apparues en 1994 pour définir l'assistance médicale à procréation, en dehors du processus naturel.
Plusieurs techniques de procréation assistée existent, plus ou moins invasives, de l'insémination artificielle avec traitement hormonal et dépôt de spermatozoïdes déposés dans l'utérus, à la fécondation in vitro en laboratoire puis à la fécondation in vitro avec micro-injection, et enfin l'accueil d'embryon congelé issu d'un autre couple.
En 2004, le Ministère de la Santé révise les lois de 1994 et crée une Agence de la biomédecine sous tutelle du Ministère de la santé qui va ainsi contrôler diagnostics génétiques, dons et greffes d'organes, tissus, cellules, autorisation et agrément des praticiens.
Tout est fait pour aller de plus en plus loin dans les techniques de procréation artificielle mais très peu d'études voient le jour sur les conséquences de toutes ces manipulations sur les nouveaux nés (manipulations de gamètes, d'embryons in vitro entraînant un stress cellulaire , des modifications épigénétiques). On constate des malformations plus fréquentes et qu'en sera-t-il des générations suivantes ? Vivre sa parentalité semble plus important que la vie de l'enfant.C'est la soi-disant “liberté du couple” qui entre dans le domaine du soin.
Fécondation et grossesse séparées ont ainsi permis la mondialisation des mères porteuses et ,comme toute marchandise, la délocalisation des ventres à louer dans les pays les plus pauvres permettant une sous rémunération ( rapport intéressant entre reproduction et production). Le corps de la femme est approprié comme une production. Certains économistes ont fait des calculs extraordinaires sur la manière dont on pourrait exploiter la production corporelle des femmes à moindre coût par exemple sur la quantité de lait qu'on pourrait tirer des femmes en Inde par traite mécanique puis commercialisation parce qu'elles produisent plus de lait que les vaches et que ça reviendrait moins cher que les laits industruels (Paola Tabet, Ethnologue, dans “ La grande arnaque – sexualité des femmes et échange économico-sexuel” L'Harmattan- bibliothèque du féminisme – 2004).
Paradoxalement, en se plongeant dans toutes les horreurs perpétrées dans le monde, on peut parler des turpitudes actuelles en Chine en lisant le livre de Ma Jian, dissident banni, : “ Des foetus sanglants sont mis dans des sacs de plastique, ou transformés dans des restaurants cantonais en soupes aphrodisiaques...” du fait de l'interdiction d'avoir un deuxième enfant. Ma Jian met l'accent sur les brutalités infligées aux paysannes chinoises :” leur vagin, qui est la proie des hommes, et leurs entrailles, celle de l'Etat” 24.
Il ne faut pas oublier la surmédicalisation de l'accouchement. La possibilité d'accoucher seule à domicile a été enlevée aux femmes. On a détruit leur capacité naturelle en les confinant dans une situation de peur. Le développement des moyens hospitaliers au début du 20° siècle a mis en place la médicalisation des accouchements. La sécurisation est devenue le maître mot. Les recherches montreront pourtant que les risques sont identiques. Les sages femmes ont perdu toute responsabilité. 30% d'accouchements se font par césarienne sans qu'il y ait toujours nécessité.
Des tentatives de retour à l'accouchement naturel sans médecin voient le jour cependant. Des maisons de naissance dans lesquelles ne se pratique ni péridurale ni anesthésie ont été crées mais elles sont souvent récupérées par les hopitaux.
Donner la vie n' a pourtant rien de médical.
Une vidéo extrêmement émouvante et édifiante ( voir l'accouchement naturel – enfantement plaisir sur Youtube en 2 parties) permet de partager la grandeur, la naturalité de cet acte réalisé non seulement sans peur mais avec un certain plaisir sensuel. Ce récit d'une naissance sans violence redonne la puissance aux femmes d'accoucher seules à domicile. De plus la possibilité d'avoir un orgasme en enfantant bouleverse toutes les croyances bibliques d'enfanter dans la douleur.
Le massacre oncologique
Le cancer est le symptôme du capital: les cellules indifférenciées tendent à leur globalisation et détruisent l'humain.
Vision médicale
Son histoire médicalisée est une autre approche de la confiscation du corps de la femme . Je m'y suis intéressée à partir d'un livre très bien documenté, écrit par un chercheur en oncologie et professeur à l'université de Columbia, Siddhartha Mukherjee, 25.
Là encore c'est l'étude d' organes malades et de leur valeur marchande.Le cancer est la menace perpétuelle qui justifie le pouvoir absolu de la médecine et de la chirurgie oncologiques ; les seins, l'utérus et les ovaires vont satisfaire les ambitions de chirurgiens scalpeurs.
Curieusement la vision la plus saine du cancer semble se situer à l'époque d'Hippocrate.Le mot “karkinos” apparaît (du grec désignant le crabe) mais aussi “onkos”, autre mot pour désigner le cancer, qui signifie : une charge portée par le corps.
À cette période,la révolution dans la science de l'hydraulique influence fortement la médecine. Selon Hippocrate, le corps humain est composé de quatre fluides appelés humeurs. Chacun de ces fluides a un caractère unique. L'excès d'un de ces fluides romp l'équilibre du corps et entraîne des maladies. Plus tard, Galien portera à son apogée la théorie d'Hippocrate. Pour lui la bile noire représente le cancer de même que la dépression. Physique et psychique sont donc liés.
”Le cancer, suggérait la théorie de Galien, résultait d'une overdose interne de bile noire. Les tumeurs étaient juste des affleurements locaux d'un dysfonctionnement profond du corps, d'un désiquilibre physiologique qui avait envahi tout le corps.”26 Il ne pouvait donc y avoir de traitement puisque la bile noire était partout et revenait comme la sève.
Jusqu'au 15° siècle, tenter une opération était affaire de fou. La théorie de la bile noire persistait et tant mieux pour les patientes car les opérations sans anesthésie ni antibiotique ressemblaient plus à des rituels de sacrifice.
Au 18° rien n'a changé et une mastectomie est effectivement pratiquée comme un rituel de sacrifice “ ...le chirurgien doit être inébranlable et ne pas se permettre d'être troublé par les pleurs de la patiente.” 27
La théorie de Galien avait pourtant été mise à mal au Moyen-Age avec le début des études anatomiques et des autopsies ne permettant pas d'observer la moindre trace de bile noire dans le corps. Galien reste tout de même la référence.
Si la bile noire n'est pas discernable dans des tissus normaux, l'est-elle dans des tumeurs ? Pas davantage. La conclusion fut donnée suite à l'étude de l'anatomie morbide de Matthew Baillie, médecin anatomiste de Londres (publication en 1793) : si les fluides invisibles de Galien existent, ils se trouvent hors du monde pathologique et donc de la science médicale. Il est bien plus profitable de s'orienter vers des actes chirurgicaux.
L'antisepsie et l'anesthésie vont libérer le secteur chirurgical, et de la moitié du 19° siècle à la moitié du 20°, les corps vont être ouverts et les tumeurs extraites jusqu'à outrance.
Stewart Halsted, chirurgien américain, est vu comme le concepteur de la chirurgie radicale et a porté cette logique jusqu'à la folie. Dépendant à la cocaïne et à la morphine, il n'en fut pas moins le référent pour former les chirurgiens.
Son programme fut redoutable et mettait l'accent sur l'héroïsme et l'endurance. Lui-même s'attaquait au cancer du sein avec acharnement. Les patientes pouvaient être opérées plusieurs fois pour extraire de nouveaux morceaux. Il savait qu'il y aurait récidive. Les récurrences se situant autour de la zone opérée, il fallait enlever de plus en plus de tissu mammaire. La patiente ne comptait plus, c'était le scalpel. La mastectomie radicale, comme on l'appelait, consistait à vider le corps de la patiente. Les mutilations que cela entraînait n'étaient que des blessures de guerre collatérales inévitables. La table d'opération est appelée théâtre d'opération et l'opération une performance28 . La maladie était supposée avoir été déracinée sans guérison envisagée.
Il continua dans sa folie : il vidait les aisselles, le cou, alors qu'il savait qu'il était arrivé aux limites de sa compréhension.
Il influença durablement les chirurgiens dans cette voie du radicalisme. La guérison n'était plus l'objectif, ni même la recherche de la racine du cancer, mais l'innovation de la technique, la valorisation du chirurgien.
Pendant près d'un siècle la chirurgie radicale s'est installée en dogme et toute chirurgie moins aggressive relevait de la “gentillesse déplacée”29.
La découverte des rayons X à la fin du 19° siècle entraîna rapidement leur utilisation expérimentale et catapulta la médecine du cancer dans l'âge atomique . Les rayons étaient un scalpel invisible mais là encore les limites du tolérable furent dépassées et les patientes brûlées, aveuglées, pleines de cicatrices, et surtout l'irradiation entraînait d'autres cancers.
Siddhartha Mukherjee cite le cas d'une usine utilisant du radium dans la peinture de ses cadrans de montres ( peu après que les Curie aient découvert le radium). Conscients des effets du radium, les responsables de cette entreprise n'eurent aucun scrupule à employer des ouvrières pour confectionner le travail de dessin des chiffres sur les montres sans aucun avertissement du danger . “...elles effilaient souvent leur pinceau avec la langue pour dessiner les petitschiffres...”(ibid.p.102). Plusieurs années après les os de leur mâchoire et les dents s'étaient nécrosés. Beaucoup moururent de leucémie.
Le scalpel, les rayons X ne suffisant pas, les médecins se mirent à fantasmer sur des médicaments magiques qui réaliseraient une mastectomie pharmacologique. Il fallait découvrir le poison qui ne tuerait pas le patient en même temps que le cancer.
Le fantasme devint réalité.Dans la 2° moitié du 19° siècle l'industrie du tissage puis de la teinture s'envola ( conséquence du colonialisme et des butins de cotons). Se développa une chimie pratique pour colorer synthétiquement et à bon marché les tissus. Acide nitrique et benzène firent l'affaire pour obtenir des réactions peu coûteuses et inaltérables.
L'Allemagne était première en Europe dans cette course à la chimie. Les spécialistes allemands avaient créé tellement de molécules qu'ils ne savaient plus quoi en faire et cherchaient des applications pratiques pour écouler leurs produits.
Fin 19° l'industrie des colorants rejoint la cellule vivante. Le concept de chimiothérapie est né. Il faut juste trouver les bonnes molécules.... sauf que la première guerre mondiale emporta le marché ! Les usines de colorants vont produire massivement des gaz de combat, le gaz moutarde. Ce produit chimique ciblait la moelle osseuse et éliminait certaines cellules.
Il fallut plus d'un demi siècle pour que les produits de l'industrie des colorants arrivent au contact des cellules vivantes et que naisse l'utilisation de produits chimiques pour soigner un corps malade.
La chimiothérapie du cancer va partir de la logique que chaque poison peut être un médicament déguisé.
Le monde scientifique va d'abord utiliser la publicité de façon stratégique pour transformer la vision du cancer aux yeux du grand public. L'accession du cancer à la lumière va changer le cours de son histoire. Des ambitions politiques et scientifiques vont prendre de l'ampleur et la campagne publicitaire devenir une croisade fanatique. L'arsenal de la chimiothérapie se remplit de nouveaux médicaments et l'attaque en règle va commencer. On ignore la toxicité supplémentaire d'administration de dose sur dose, on expérimente. Alors que la chimiothérapie à dose correcte est déjà un poison on augmente les risques jusqu'à la mort du patient ou l'induction d'un nouveau cancer. Les limites du tolérable sont sans cesse dépassées, c'est la guerre totale. L'arsenal chimique procure aux oncologues autant de pouvoir qu'aux chirurgiens avec leur scalpel.
Le Président Nixon est pour le soutien de projets impatients, agressifs. La science va être sous le contrôle de managers issus de laboratoires industriels. Politique, science, médecine et finance vont se lier. Radiothérapeutes, chimiothérapeutes et chirurgiens se disputent le pouvoir.
Jusque vers les années 1960 la médecine était considérée comme infaillible. Elle avait pourtant d'énormes failles concentrées autour de la santé des femmes .Certaines commencèrent à s'insurger contre la pratique de la mastectomie radicale jamais testée. Des essais cliniques furent exigés et contrecarrés par beaucoup de chirurgiens. Il fallut une vingtaine d'années pour avoir des résultats et s'apercevoir que les taux de récurrence, de récidive et de décès du cancer du sein étaient identiques avec une mastectomie radicale.
Si la chirurgie radicale chuta de son piédestal, la chimiothérapie prit le relais pour une attaque du cancer à grande échelle. Les effets odieux étaient considérés comme la contrepartie mineure d'un traitement miraculeux. Il fallait aller aux limites de la mort avec obstination. De plus en plus de combinaisons agressives sont utilisées pour les cancers du sein, du poumon et de l'ovaire. La patiente souffre et l'oncologue sourit.
Petit à petit chirurgie et chimiothérapie vont cohabiter : la chimiothérapie va être considérée comme une thérapie systémique, un après-traitement auxiliaire du chirurgien. La notion de guérison est devenue un dogme rigide. 30 “... de même qu'une génération de chirurgiens radicaux s'était autrefois repliée sur elle-même et avait mené la discipline à ses plus terribles extrêmes, de même fit aussi une génération de chimiothérapeutes radicaux. Si chaque cellule en division de l'organisme dvait être éliminée pour se débarrasser du cancer, alors il fallait le faire. Cette conviction allait faire vivre à l'oncologie ses heures les plus sombres”.
Les années 1980 furent terriblement cruelles. L'autosatisfaction régnait dans le monde médical. On poussait le corps humain au plus près des limites de la mort avec des mégadoses de chimio.
Vers la fin des années 1980, hôpitaux et cliniques offrent des greffes de moelle pour le cancer du sein. Les risques de procédure sont minimisés. La greffe rapporte beaucoup d'argent, qu'elle soit mini ou légère ; chaque structure se spécialise et ces chirurgiens sont les dieux de l'hôpital. Greffe et chimiothérapie à mégadose fascinent médecins et femmes qui veulent être traitées au plus vite alors que les critiques ne manquent pas sur le coût et la dangerosité. Tous les essais sont négligés.
Cette industrie de plusieurs milliards de dollards amène même la pratique de faux essais par l'oncologue le plus réputé, qui s'est construit un empire clinique, Werner Bezwoda de l'université de Witwatersrand à Johannesbourg en Afrique du sud. Pourtant les oncologues ,scientifiques et patients se pressent à ses séminaires.
En réalité la chimie à mégadose n'apporte aucun bénéfice. Bezwoda admettra avoir falsifié des parties de son étude.Sa chute portera un coup fatal aux ambitions de la chimiothérapie à mégadoses.
Le combat se tourne alors vers la biologie de base, moléculaire. Les oncologues reviennent au langage des gènes et des mutations.Des espoirs démesurés naissent avec de nouveaux médicaments et les patientes sont avides d'en bénéficier sans attendre les résultats interminables de tests.
Toujours des énormes fortunes programmées sur un espoir de guérison. L'ambition de la maîtrise pousse à son extrême la technologie.
Les laboratoires axent leurs recherches en cancérologie sur des traitements ciblés à partir d'analyses biologiques et génétiques. Il ne s'agit pas de recherches dans un but de guérison ( le cancer représente l'ennemi immortel, l'éternel combat qui maintient les chirurgiens en situation de héros guerriers) mais dans un but d'amélioration de tolérance aux traitements existants.. Comme le dit un professeur du CHU de Besançon :” Pour moi l'innovation c'est aussi la possibilité d'optimiser les traitements actuels, en définissant mieux les patients à traiter. En clair, il s'agit de mieux utiliser les armes que nous possédons déjà ...”.31
Actuellement,l'attaque guerrière entre dans une ère de raffinement . Pour exemple,une nouvelle technologie est à l'étude : l'or anti-cancer. Des missiles nanotechnologiques tueurs s'infiltreront dans les cellules cancéreuses, armés de particules d'or. Un laser infrarouge chauffera le métal et la cellule surchauffée explosera.
Glorification de l'image
Dans le même esprit de raffinement, une place de plus en plus grande est donnée à la chirurgie esthétique sophistiquée lors d'actes de chirurgie cancérologique des seins. On continue les traitements agressifs dans ce fantasme de guerre menée par les chirurgiens mais on améliore l'apparence pour que la femme ne perde pas sa “féminité”.
Ainsi de nouvelles techniques de reconstruction des seins sont apparues sur le marché. Elles sont faites à partir de tissus prélevés sur d'autres parties du corps ( peau, graisse du ventre ou des fesses ou du sein controlatéral). Ces trois techniques au choix sont associées à des séances de lipomodelage pour parvenir à un résultat “le plus naturel possible”. Le lipomodelage consiste à effectuer une autogreffe de graisse destinée à modeler le sein et à corriger certaines irrégularités de la poitrine. Ce procédé existe depuis 1998 en France et il est devenu le complément indispensable miracleà toute reconstruction mammaire car du même coup il enlève le trop de graisse aux fesses, aux hanches ou au ventre. La graisse est aspirée (en deux heures d'intervention tout de même sous anesthésie générale !). Vive le cancer du sein pour avoir le droit à de la chirurgie esthétique remboursée par la sécurité sociale. Sont également remboursées les cures thermales “post-cancer” pour réparer sa peau en douceur après les “cures” de chimiothérapie.
Beaucoup de femmes pensent que les “thérapies personnalisées” dont on parle beaucoup vont être plus efficaces car spécifiquement liées à chaque personne comme son nom l'indique . En réalité, ces thérapies à partir d'un décodage des mécanismes de croissance d'une tumeur ( qui n'interviennent pour l'instant que comme complément des traitements standard et ne concernent bien souvent qu'à peine 5% des patients) ne ciblent que cette tumeur “ennemie”.Le mot “personnalisée” renvoie à l'idée d'une prise en charge globale et sème la confusion. En fait la personne n'est prise en compte parrallèlement que pour son “bien-être normalisé” mais le traitement est toujours aussi agressif, voire plus car administré plus rapidement pour rentabiliser le fonctionnement des cancéropôles.C'est cette rentabilité qui est devenue globale et la femme doit rester uniquement concernée par son image de séduction et s'y intégrer en dépendance totale.
C'est la nouvelle prise en compte de la patiente. C'est pourquoi le vampirisme des marchés de la para-cancérologie s'étale dans ces nouvelles grandes surfaces appelées “cancéropôles” proposant bonnets, perruques, vernis à ongle spécial chimio, salons de coiffure, esthéticiennes, etc...
On la détruit allégrement et c'est elle qui paie son rafistolage en sortant des cabines de chimiothérapie où elle a papoté , installée plusieurs heures dans un fauteuil avec une seringue dans le corps et un plateau-repas sur les genoux ! Dans ces usines à flux tendu les infirmières gèrent le minutage des doses en courant de l'une à l'autre “patiente”. Ce sont des techniciennes de la mise en place de protocoles/dogmes établis “ en haut lieu” à partir de statistiques banalisées. Tout est anonyme, feutré. On ne discute jamais du bien-fondé de l'empoisonnement mais on manifeste un intérêt pour les effets collatéraux d'autant qu'ils sont rentables pour les laboratoires (médicaments anti-vomissement et autres).
La femme participe de plus en plus à cette restauration de son image et s'investit dans des associations en partenariat avec le monde médical et pharmaceutique. Ainsi, le magazine Rose, cité plus haut, existe depuis trois ans (voir rosemagazine.fr). Il a été créé par des femmes. C'est une revue de mode et de soins esthétiques sous l'égide de laboratoires. Elle se veut professionnelle et chaleureuse au service des patientes et est mise gracieusement à leur disposition dans les salles d'attente feutrées des cancéropoles.
La cancérologie est ainsi devenue un gros marché en développement et la femme totalement dépendante de protocoles médicaux diffus dans une approche bienveillante de bien-être qui doit la mettre à l'aise dans ces nouvelles grandes surfaces de “beauté à tout prix”. Elle doit souffrir et rester belle pour la plus grande satisfaction des maîtres des lieux et de la société.
La “vie” augmentée
Pour le reste des milliards de dollars sont en perspective avec de nouveaux médicaments et une prévention terrifiante. Ainsi une patiente, porteuse d'un cancer des ovaires ou du sein, est rendue responsable et culpabilisée ,du fait de la connaissance de mutation dans ses gènes, si elle n'accepte pas de rentrer dans un programme de dépistage intensif et d'y faire entrer ses filles du même coup. Le risque connu permettra ainsi à ces dernières de “choisir” une mastectomie prophylactique pour avoir une vie affranchie de ces deux types de cancer toute leur vie ! On détruit par sécurité. Mais aucun médecin ne connaît la base biologique de l'hétérogénéité dans l'évolution d'un cancer. La fascination pour un traitement définitif, l'arrogance et l'orgueil entretiennent un climat guerrier de menace et de terreur.
Siddhartha Mukherjee résume l'évolution de la médecine ainsi32 :” Déplaçons Atossa ( reine de Perse qui avait problablement un cancer du sein en 500 avant J.C. mais dont le diagnostic était incertain car le cancer n'était ni compris ni caractérisé à l'époque) dans le futur. En 2050, Atossa arrive au service d'oncologie du sein avec une clé USB contenant la séquence du génome de son cancer, où chaque gène muté est identifié. Les mutations se trouvent sur des voies clés de signalisation. Un algorithme peut identifier les voies participant à la croissance et à la survie de son cancer. Les thérapies seront ciblées sur ces voies pour éviter toute récidive de la tumeur après chirurgie. Elle commencera avec une combinaison de médicaments ciblés, en changera lorsque le cancer évoluera et changera encore après une nouvelle mutation du cancer. Elle prendra probablement des médicaments pour empêcher, guérir ou pallier sa maladie pour le restant de sa vie. C'est indubitablement un progrès”. !
Il n'est malheureusement jamais question d'aborder la cancer autrement que par des performances médicales techniques et la porte n'est pas prête à s'ouvrir sur une réelle approche beaucoup plus dynamique par la femme elle-même, et non la patiente étiquetée, au plus profond de son psychisme pour appréhender cette charge qu'elle a créé et pouvoir cheminer autrement.
En conclusion de ce survol sommaire d'une situation des femmes dont la dépendance intériorisée à des normes instituées par l'homme est toujours prégnante, il me paraît urgent de chercher à approfondir, à rendre de plus en plus visible l'oppression subie, chercher à comprendre la construction de cette différenciation sociale des sexes en dépassant la vision simpliste de deux sexes biologiques avec leurs rôles sociaux déterminés, en analysant les modes de contrôle masculin sur le travail, la sexualité, la reproduction et la conscience des femmes. Tout est à requestionner si l'on accepte d'envisager l'hétérosexualité, le mariage, “l'amour conjugal”, comme un conditionnement à une sexualité de service.
Brigitte Pengam-Ferriere
Le 23 mars 2015
1 cité dans “ la tyrannie du plaisir” de Jean-Claude Guillebaud - p. 154/155 -Editions du Seuil 1998 Points
. Kinsey,Pomeroy, Martin Gebhard “le comportement sexuel de la femme” Amiot-Dumont 1954 –
4 Georges Duby et Michelle Perrot “ Histoire des femmes – l'Antiquité “ - Aline Rousselle chapitre “la politique des corps” p. 333 Plon 1991
8 Thomas Laqueur “ Le sexe en solitaire-contribution à l'histoire culturelle de la sexualité” p. 114 - nrf essais Gallimard 2005
16 déjà cité – p.164
20 Raoul Vaneigem “le livre des plaisirs “, edit. Labor 1979 – cité dans la tyrannie du plaisir de J.C. Guillebaud p.69
21 François Brune “ le bonheur conforme” Gallimard 1985
23 Zoé Lamazou et Victor Gurrey “Une saison de chasse en Alaska”-Ed. Paulsen 2014 – phrase tirée du livre de Tom Lowenstein “Ancient Land: Sacred Whale”
25 Siddhartha Mukherjee, “l'empereur de toutes les maladies – une biographie du cancer” Flammarion 2013
32 Ibid. p.543