ÉMERGENCE ET
DISSOLUTION
La
phase de transition que nous vivons se caractérise par deux phénomènes: la
dissolution et l'émergence. Pour les situer il nous faut envisager
succinctement, en tenant compte de l'actualité, divers arcs historiques qui
s'intègrent l'un en l'autre et qui accèdent à leur terme: ceux de l'aire slave,
du capital, des révolutions, de Homo sapiens, de la biosphère, et poser à
partir de là l'advenue d'un devenir autre conduisant à la régénération de la
nature et à l'émergence d'Homo Gemeinwesen.
1. - Point d'arrivée
du développement de l'aire slave
Le
déroulement des évènements en URSS et dans l'Europe de 1'Est nécessite un
rappel historique synthétique.
1.1. La phase révolutionnaire.
La
révolution russe a toujours été conçue dans une dynamique internationale. Le
summum de la perspective fut celle de Marx et des populistes qui pensaient
pouvoir greffer les acquits techniques de l'Occident sur la communauté slave (Obchtchina). Le schéma stratégique de la révolution
indiquait l'Allemagne comme étant le centre de la révolution à venir. Tout cela
fut conservé par les révolutionnaires ultérieurs.
1914: L'Union sacrée : première grande
défaite de la révolution prolétarienne.
1917: triomphe de la
révolution en Russie. Grâce à l'intervention des bolcheviks, possibilité d'une transcroissance à condition que la révolution se généralise,
surtout en Allemagne (ne pas oublier à ce sujet la parabole léninienne
à propos de l'histoire ayant engendré un oeuf avec deux poussins: l'Allemagne
et la Russie).
1919.
Ecrasement du mouvement spartakiste : deuxième défaite de la révolution
prolétarienne, du mouvement communiste mondial. repli du phénomène révolutionnaire
prolétarien sur l'aire slave qui pose la question de savoir si un pouvoir
révolutionnaire prolétarien peut persister en attendant une autre phase révolutionnaire,
et ceci dans une Russie pré-capitaliste, ce qui exclut la possibilité de
réaliser des mesures socialistes, et dans un environnement hyperhostile.
Ceci ne sera possible que si l'on maintient une perspective internationale
création de la l'Internationale communiste.
1920 : Congrès de
Bakou: essai de coordonner le vaste soulèvement des diverses colonies contre
les métropoles coloniales: Angleterre, France, Hollande, etc., dans la perspective
d'affaiblir ces dernières ce qui devait permettre une reprise de l'action prolétarienne
en ces divers pays.
1926 : triomphe de la
théorie du socialisme en un seul pays d'abord au sein du parti russe, puis au
sein de l'Internationale communiste en 1928. La perspective révolutionnaire a
été abandonnée et la troisième défaite du mouvement prolétarien s'opère au
travers d'une vaste mystification : la construction du socialisme dans un pays arriéré
alors qu'il ne peut jamais être question d'une telle construction même
dans des pays ayant atteint le stade capitaliste, à partir duquel le
socialisme, et donc le communisme, devait spontanément se développer une fois
détruit le pouvoir et 1'Etat capitalistes.
1.2. L'intégration dans le mode de production capitaliste
La construction du
socialisme en un seul pays consista en réalité en une vaste accumulation à la
fois primitive, en tant que réalisation initiale du capital, et en une énorme
accumulation élargie permettant une implantation du capital. Le développement
de ce dernier s'est effectué en URSS à partir du pôle travail (Etat fondé sur
une base prolétarienne) et sur une sous-consommation des prolétaires; d'où le
triomphe sous une autre forme de la tendance de la production pour la
production. Mais ceci ne pouvait permettre qu'une domination formelle du
capital sur la société, ce qui laissait le possible du maintien de la
mystification de 1a construction du socialisme.
Le
repli sur la phase purement anti-féodaliste, donc sur
la dimension strictement capitaliste de la révolution de 1917 (qui fut une double
révolution) s'accompagne de la domestication des divers mouvements
révolutionnaires qu'ils soient dans la mouvance capitaliste dans les pays
coloniaux, ou dans la mouvance communiste. Sous ses diverses formes la
révolution est mise au service de 1`Etat soviétique qui devient de plus en plus
national, nationaliste. Cela aboutit au blocage des divers mouvements
révolutionnaires d`Asie (particulièrement en Chine).
En
Occident la généralisation du démocratisme et des fronts populaires, prônée par
Moscou, conduit au même résultat.
Participation à la
mystification de la seconde guerre mondiale et à l'édification du mythe anti-fasciste,
ce qui permit la domestication du prolétariat et la réalisation de la domination
réelle du capital sur la société en Occident.
La
guerre froide fut un moyen fort efficace de bloquer tous les mouvements
révolutionnaires dans une phase démopopulaire interclassiste,
dans une phase purement capitaliste. Elle permit de bloquer le mouvement
révolutionnaire en Allemagne et dans les pays de l'Est européen.
La
coexistence pacifique correspond à une tentative d'accéder au marché mondial et
de contrebalancer la puissance hégémonique des USA exerçant leur dictature
mondiale depuis 1945.
L'échec de Khrouchtchev
est dû à un refus de la part des soviétiques d'emprunter la voie du capital: résistance
du kolkhosianisrne forme d'accommodation-compromis
entre les prolétaires, les paysans et 1'Etat capitaliste; résistance également
des restes de 1'Obchtchina. On doit tenir compte également de l'intransigeance
des USA désirant une capitulation plus
grande.
Le
recul du développement du capital sur la base de la valeur durant l'époque
post-Khrouchtchev est en rapport avec une phase critique du devenir du capital
en occident. Toutefois cela n'enraya absolument pas le procès d'expropriation
qui conduisit à une urbanisation accélérée et à l'élimination des restes de
1'Obchtchina. La production de masses de gens déracinés, libérés, aptes à
entrer dans une combinatoire sociale fait que l'unité supérieure réaffirmée à
travers le stalinisme n'est plus compatible. En outre la pression de la société-cornmunauté capitaliste de l'Occident rend encore
plus caduc le vieux compromis qui fait de plus en plus obstacle au devenir
capitaliste.
Les
évènements de l'automne 1989 correspondent à la fin de la domination de
l'État
fondé sur la réalisation du mode de production capitaliste à partir du
pôle
travail (achevée dés les années 60) et au remplacement de ce dernier
par un État entreprise en rapport à un développement sur la base de la
valeur et donc
du capital lui-même. Toutefois les données historiques en rapport avec
les
déterminantes géosociales de l'aire slave font que le
déploiement de la communauté capital en URSS grâce à la puissance de celle
occidentale, peut s"accompagner du maintien d'une unité supérieure
ambiguë c'est-à-dire à la fois capitaliste et anté-capitaliste.
Nous
assistons à une liquidation qui est un aveu qu'il n'y a pas de communisme. Mais
la mystification persiste dans la mesure où il n'est pas affirmé que ce dernier
ne pouvait pas s'édifier dans les limites de la seule
Russie.
Cette
liquidation du vieux compromis fait avec la classe ouvrière et avec les paysans
- à des moments différents - entraîne une levée de verrou pour le capital, mais
suscite des résistances au sein des ouvriers comme au sein des paysans qui
perdront les avantages de la sécurité de l'emploi et d'un travail non soumis â
des contraintes de haut rendement. L'idéal des agents du capitalisme à l'ouest
comme à l'est est d’accroître l'intensité du travail bien qu'ils persistent à
nier 1`essentialité de celui-ci.
L'aire
slave parvient donc au même stade de développement que l`Occident
(réajustement). Or celui-ci entre dans une phase de dissolution. Il est
possible que l'URSS présente dans les prochaines années une accélération de ce phénomène,
du fait même des difficultés qu'eut le capital à s`y implanter et du fait d`une
tendance à aller au-delà de celui-ci, comme cela se fit sentir au cours des
années révolutionnaires au début de ce siècle.
Toutefois, à 1'heure actuelle encore, le devenir de l'aire
slave est en connexion avec celui de l'aire allemande. Cette dernière, par
1`intermédiaire de la RDA, se trouve
"encombrée" elle aussi d'une dimension anticapitaliste, survivance de
sa longue tradition de "protestation". En outre, en dépit de son
intégration dans 1'OTAN et dans le marché commun, la France maintient de facto
un courant anti-USA qui lui est imposé par la politique économique de ces
derniers. En ce sens les allemands en leur totalité sont moins vendus aux yankees
que ne le sont les russes. Se répète donc la thématique du début de ce siècle:
soit une union des forces anti-capitalistes - et nous souhaiterions hors-capitalistes - de l'aire allemande et de l'aire
slave pour en finir avec le mode de production capitaliste soit la communauté
mondiale capitaliste qui réussit à intégrer l'aire allemande et l'aire slave en
neutralisant l'une par 1'autre.
Quoiqu'il
en soit l'aire allemande demeure la zone névralgique essentielle de 1'Asirope.
2. - Point d'arrivée
du cycle du capital
Tout
d'abord quelques considérations phénoménologiques concernant d'autres aires.
La
difficulté du développement du capital en Chine provient de la puissance de la
forme asiatique avec le poids de l'unité supérieure, le tout lié à une énorme
population qui rend difficile le phénomène d'expropriation, et celui
d'urbanisation qui est sa conséquence. En effet, au cours de l'histoire de la
Chine il y eut des moments d"intense déploiement du mouvement de la
valeur, qui furent tous enrayés, intégrés par l'unité supérieure. En conséquence
de nos jours, le capital qui domine formellement en Chine, peut parvenir à sa
domination réelle sous la pression de la communauté-société
mondiale, à partir des centres de cristallisation que sont Hong-Kong, Taiwan,
la Corée du Sud, Singapour qui jouent vis-à-vis de la partie orientale de l'Asirope le même rôle que celui tenu par les républiques
maritimes italiennes vis-à-vis de 1a partie occidentale, dés le Moyen-âge.
Nous
aurons donc en Chine un développement en dents de scie avec de grandes avancées
et de profonds reculs comme les derniers évènements l'ont mis en évidence. Par
suite de la forte tradition communautaire de cette aire, il est certain qu'au
cours de ces soubresauts puisse se manifester un mouvement réflexif tendant à instaurer
une communauté non despotique. Toutefois, étant donné la profonde
désorganisation qu'entraîna inévitablement l'expropriation de millions de
paysans, ce à quoi on doit s'attendre en Chine c'est à une phase de dissolution
avec autonomisation de divers possibles ( une sorte de
période des Royaumes combattants), aggravée encore par la dissolution en
Occident.
Dans
l'aire hindoue la communauté du capital opère en tant que communauté supérieure
intégrant toutes les autres. D'où une domination formelle de celui-ci et un
immense compromis qui viendrait à être rompu si l'expropriation des paysans et
l'urbanisation qui lui est connexe se déployaient.
Une trop forte poussée
du capital pourrait alors provoquer une dissociation du système d'emboîtement
des communautés qui s'autonomiseraient plus ou moins induisant une vaste
phénomène de dissolution que nous escomptons dans un avenir non lointain. Au
sein de ce dernier pourra émerger une forme de communauté non despotique,
tendant à s'unir à la nature et opérant une réflexivité, c'est-à-dire essayant
réellement de poser le problème de l'errance de l'espèce et la nécessité d'y
mettre un terme. Notre affirmation s'appuie sur la rémanence de l'importance de
la communauté dans l'aire hindoue, sur la persistance de l'impasse dans ce pays
depuis plusieurs siècles. Cette aire est bloquée dans une forme sociale qui lui
permet d'intégrer mais non de créer.
En
Afrique Noire, autre aire où le mouvement de la valeur puis celui du capital
parvint très difficilement à pénétrer et surtout à transformer les communautés,
celui-ci domine, désormais, de façon formelle. Elle subit le despotisme de la
communauté du capital mondial au travers du Fonds monétaire international (FMI)
et de la Banque mondiale. Elle est en train de traverser une phase de
dissolution des antiques communautés qui est d'autant plus grave que la biosphère
est plus fragile dans cette aire. L'expropriation des hommes et des femmes y
est intense; d'où une urbanisation accélérée. Ils ne peuvent pas trouver dans
les mégalopoles quoi que ce soit pour fonder des rapports sociaux plus ou moins
stables, car toutes les formes de démocratie liées au mouvement de la valeur ou
à celui du capital leur sont étrangères (ce qui est une bonne chose). Un
développement ultérieur du capital par suite d'ailleurs d"une pression
internationale ne pourra qu'aggraver la dissolution. La nécessité d'abandonner
ce monde est encore plus urgente dans cette aire africaine qu'en Occident.
En
ce qui concerne l'Amérique du Nord, on peut considérer que le cycle des USA est
achevé. Ils se présentent finalement comme une
excroissance de l'Europe où le capital a pu se développer de façon la plus pure
et où la frontière a été depuis longtemps atteinte. Ils ne peuvent connaître
maintenant qu'un développement intensif qui se résout en une combinatoire dissolutrice.
Pour les pays de l'Amérique du Sud, ils
connaissent les difficultés d'une implantation de la domination réelle du
capital sur la société. Ils n'apportent rien en ce qui concerne le développement
de ce dernier. En revanche, dans la phase de dissolution de celui-ci qui va
aller en s'amplifiant, peuvent ressurgir des données occultées, escamotées des
formes sociales antérieures à l'arrivée des européens, qui pourront être
absorbées dans la combinatoire déjà indiquée, mais qui peuvent aussi apporter
une contribution à la réflexion sur la nécessité de sortir de ce monde.
Ainsi
la zone qui s'impose comme déterminante pour le devenir ultérieur est l'Asirope avec les aires qui ont le plus refusé un
développement du capital: allemande, slave, chinoise, hindoue et arabe.
Si l'on considère
historiquement les phénomènes à l'échelle mondiale, on peut dire qu'à partir de
1945 on a eu une onde de capitalisation (levée d'un verrou) qui s'est propagée
aussi bien en Occident (réalisation de la domination réelle dans des pays qui
avaient résisté à l'instauration du capitalisme comme la France, dans un
premier temps, ou l'Espagne et le Portugal ultérieurement, ou qui avaient connu
un blocage de celui-ci, comme l'Italie), qu'en Orient : réalisation de la
domination formelle, pour affecter ensuite les zones de contact entre ces deux
domaines: l'aire slave et ses dépendances comme nous le montrent les événements
de 1989, et 1'aire arabe.
Dès lors, globalement
ce qui domine ce ne sont pas les États mais les entreprises multinationales en
liaison avec diverses banques et surtout le FMI et la Banque mondiale,
véritables représentants de la communauté capital. On a la pleine réalisation
du marché mondial et formation d'un milieu capitaliste se substituant au milieu
naturel. Hommes et femmes y sont adaptés grâce à la publicité qui, pour ce
faire, s'incorpore le procès de connaissance, ce qui les réduit encore plus à
des particules inexpressives.
Les
classes ont disparu au sein de la communauté-société
du capital. C'est le point d'aboutissement de la domestication des prolétaires
et de l'accroissement énorme du développement du capital dans tous les secteurs
de l'activité humaine.
Dire
qu'il n'y a plus de classe révolutionnaire implique qu'il faille exposer le
procès par lequel - grâce à une terreur exercée sur 1'ensernble de l'humanité
et ce durant des années - le phénomène révolutionnaire a été enrayé, sinon
c'est de la magie apologétique de l'ordre établi. De même dire qu'il n'y a plus
de classes (mystification du communisme) implique la nécessité de mettre en
évidence que cela n'a absolument pas diminué la misère des hommes et des femmes
("jamais la marchandise n'enlèvera la faim à 1'homme"
A.Bordiga). Non seulement elle s'est accrue
quantitativement à 1'échelle mondiale, mais la disparition des classes
s'accompagne d'une plus grande difficulté à se défendre au sein de ce système
et d'une dégradation de plus en plus grande des conditions d'existence. Hommes et femmes sont soumis à un cycle d'exclusion des
procès de production en place - exclusion qui permet d'exercer une pression sur
eux afin de les rendre encore plus dépendants - et d'intégration, une fois
qu'ils ont été un peu plus dépouillés de leurs capacités d'affirmation.
Exclusion et intégration alternées permettent de les réduire à des particules
pouvant entrer dans une combinatoire. I1 n'y a plus d'individus, ni de peuple.
Il n'y a donc plus de démocratie.
Ce
qui caractérise la phase actuelle c'est le triomphe d'une combinatoire.
Elle
tend à s'opérer entre les apports des diverses aires de développement
de l`espèce: la rationalité et la technique de l'Occident, la
spiritualité venue
de l'Orient, le rythme et la musique de l'Afrique Noire, les mythes de
l'union
à la nature des vieux peuples des deux Amériques et de l'Australie.
Ceux-ci
sont d'autant plus importants que la combinatoire englobe également la
défense
de la nature saccagée par la production éruptive du système
capitaliste. Enfin
elle tend à englober la remise en cause de la science par les
scientifiques
eux-mêmes. En effet ceux-ci en tendant à effacer les limites entre
monde inerte
et monde animé, intérieur et extérieur, minent la base sur laquelle la
science
s'est édifiée. En outre, ils contribuent au dévoilement de l'opposition
fondamentale: celle de Homo sapiens à la nature; laquelle, à son tour,
tend à
être incluse dans la combinatoire, ce qui tend à réduire son effet
dissolvant.
La
communauté capital
est un immense racket vis-à-vis de la biosphère, et toutes les
communautés y
incluses ne sont que des rackets. Phénomène atteignant armée, école
etc., par généralisation
du libéralisme, de la concurrence et de l'entreprise (qui a la
dimension d'un
outil d'intervention, d'où la fascination qu`elle exerce). L`État lui
aussi devient
une entreprise racket gardant ses prétentions à représenter la
communauté qui
se résolvent en des formes spectaculaires pour représentations
populaires. De
là, la panique des bons démocrates devant cette évanescence de l'État
(dans sa
dimension de première forme). Ils se transformeront facilement en
partisans de l`État fort, avatars minables des fascistes historiques.
Le
mouvement du capital né d'un procès de dissolution du monde féodal et de 1'autonomisation
de la valeur d'échange, greffés tous les deux sur le devenir hors nature de
l'espèce, a abouti à une autre phase de dissolution qui est celle de toutes les
structures, même de celles qui ont servi au capital à imposer sa domination
réelle sur toute la société.
Cependant
depuis le milieu des années soixante et dix, la mort potentielle du capital est
advenue. Dés lors une phase de transition s`installe oû
domine la dissolution. Cela n'empêchera en rien un accroissement de la
production, une explosion des forces productives, une créativité exacerbée. I1
n'y a pas de décadence. C' est au sommet des capacités
du système que celui-ci connaîtra son écroulement.
La
dissolution risque dans les années 90 à venir d'atteindre un degré tel que la
production ne pourra plus s'effectuer de façon cohérente à l'échelle mondiale.
La mort du capital apparaîtra effective et l'on pourra parler de sa fin (non de
celle de l'histoire, hochet théorique pour thuriféraires débiles du capital).
Conduira-t-elle à la dissolution de l'espèce, à diverses autonomisations
divergentes et stérilisantes, ou bien l'émergence d'Homo Gemeinwesen
s'imposera-t-elle? Tout cela dépend de l'aptitude des hommes et des femmes à
quitter, dés maintenant, ce monde.
3. - Leçons du cycle
des révolutions et contre-révolutions
Le
procès révolution est terminé. La dernière révolution celle qui devait clore le
cycle et se produire dans les années 75-78 n'a pas eu lieu.
1945:
Fin de la seconde guerre mondiale qui a permis une domestication du prolétariat
à l'échelle mondiale; défaite des fascistes mais victoire du fascisme. démocratie sociale, Welfare State,
État
providence; pas de troisième guerre mondiale immédiate, pas de phase
révolutionnaire prévisible dans un avenir proche (un phénomène semblable à
celui de 1917 est impossible) du fait de la dictature mondiale des USA qui ont
une politique belliciste tandis que 1`URSS est contrainte à la défensive (dans
tous les cas elle est incapable de pouvoir menacer ces derniers).
1953:
La révolte des ouvriers de Berlin Est montre que "long et dur est le
chemin" (A.Bordiga) qui doit conduire à une
reprise révolutionnaire. I1 ne peut pas y avoir de parti, mais seulement des
groupements de travail tendant à restaurer la théorie marxiste, thèse affirmée
déjà à la fin de la guerre. Tout cela est repris en 1956 à la suite des
évènements de Hongrie et de Pologne.
En 1957, A.Bordiga traça la perspective d'une révolution communiste
internationale, la dernière des révolutions, celle qui devait mettre fin au
procès, en éliminant le mode de production capitaliste, pour les années
1975-80. Elle devait être consécutive à une vaste crise économique qui aurait
reposé l'alternative: guerre ou révolution. Il prévoyait également une crise
intermédiaire pour le milieu des années 60 qui aurait ébranlé le système capitaliste
favorisant le développement de groupes révolutionnaires devant confluer dans la
formation d'un parti communiste mondial, dont l'effectivité n'aurait été
apparente qu'avec la montée de la marée révolutionnaire, puisque le parti opérant
dans le procès révolution ne peut être que la classe organisée en parti.
Le
schéma stratégique de la révolution était le suivant : rupture d'équilibre au
sein du centre de la contre-révolution, les USA; relâchement du despotisme de
ces derniers sur l'Europe de l'Ouest et particulièrement sur l'Allemagne; la
crise économique atteignant également cette zone, il y a mise en mouvement des
masses prolétariennes et la réunification de l'Allemagne s'effectue lors de la
montée de la vague révolutionnaire unifiant par là même le prolétariat le plus
puissant, restaurant également le centre révolutionnaire. Ce centre ne se limite
pas à l'aire proprement allemande mais englobe toutes les zones les plus
industrialisées de l'Europe de l'Ouest. C'est là que la révolution triomphe en
premier. Ce n'est que dans un second temps que celle-ci peut vaincre dans
l'aire slave, tandis que le tour des USA est encore plus tardif. Ce décalage
pose d'ailleurs problème.
Le
mouvement de Mai-Juin phase paroxysmale d'une
rébellion qui occupe toutes les années soixante n'est que dans une très faible
partie en continuité avec le mouvement prolétarien. Le prolétariat est mobilisé
mais n'a pas de perspective révolutionnaire. Dans tous les cas, aucun mouvement
n'a été à même de mobiliser les masses pour la formation d'un parti. on peut,
alors, seulement penser que Mai-Juin constitue la
prémisse d'un vaste bouleversement à venir, en supposant simultanément que la
crise qui a pu être retardée ou amortie viendra télescoper celle attendue pour
1975.
Cette
appréciation est renforcée du fait que la vague révolutionnaire anticoloniale
s'est amortie au cours des années 60 et qu'elle n'a pas été à même de relancer
un mouvement prolétarien. En outre là où, au milieu des années 60, se
produisent des mouvements révolutionnaires, ils sont dans la mouvance
capitaliste (révolution culturelle en Chine par exemple). La révolution devient
une espèce d'abstraction qui doit être incarnée, représentée, théâtralisée dans
des aires considérées arriérées, comme ce fut le cas pour la
phénomène guévariste en Bolivie.
Après
1968 on a une phase d'instabilité dans toute l'aire occidentale sans que cela
n'affecte sérieusement le prolétariat. En 1973 se dessine la crise économique.
Elle est en grande partie manipulée par les multinationales qui au fond parviennent dans une certaine mesure à
la faire fonctionner à leur profit. Cela n'empêche nullement la crise de
continuer mais elle est en quelque sorte diluée. En outre le prolétariat
intégré, déclassé ou réduit en nombre ne réagit en aucune façon.
Donc validité de la
prévision en ce qui concerne le cours du capital, mais faillite en ce qui
concerne le procès révolution.
En
1978, en tenant compte de cette donnée concernant la fin du procès révolution
et en tentant de situer le mouvement de Mai-Juin 68
considéré comme étant le second ébranlement important du siècle, nous
indiquions que le seul lieu où pouvait à nouveau s'effectuer une rupture
d'équilibre importante ne pouvait être que l'URSS et les pays de l'Est et que
cela consisterait un réajustement par rapport à la communauté capitaliste
mondiale, mais que cela serait gros de débordements possibles.
Les
évènements de cette fin d'année 1989 confirment la prévision. Il est clair
qu'ils sont gros d'une déstabilisation totale de l'aire slave et même de l'aire
occidentale, sans compter les contrecoups sur tous les pays ayant depuis peu
accédé à la forme capitaliste de production.
Seulement étant donnée l'absence totale de
mouvements réflexifs aptes à intervenir au sein d'une telle situation afin
d'accélérer des processus et surtout aptes à favoriser un devenir à la communauté
qui existe même s'il est faible dans toutes les rebellions actuelles, on ne
peut rien escompter de positif.
Les
hommes et les femmes de l'Europe de l'Est se trouvent dans une impasse: ils
refusent l'ordre établi chez eux encore déterminé par une domination formelle
du capital, mais ils ne veulent pas, pour la plupart, de la domination réelle
prévalant en Occident. Il faut donc qu'ils aillent au-delà de l'immédiat.
Les
évènements de 1989 ne constituent pas une révolution et n'en sont pas le
prélude. On a une liquidation, et un vaste réajustement qui peut être gros de
devenirs centrifuges dont celui que nous souhaitons, la sortie de ce monde, qui
consiste en une dynamique qui n'a plus rien à voir avec la révolution.
En conséquence :
La
mystification démocratique a enrayé puis détruit le mouvement révolutionnaire
prolétarien.
- Pas de possibilité de greffer une
convivialité humaine sur des apports techniques, scientifiques normalement
développés dans la société capitaliste.
- Échec d'une phase internationale, phase d'union, de dépassement
des limites nationales, régionales,
etc.
- Échec de la volonté d'accélérer un processus
afin de pouvoir instaurer plus rapidement une société communiste.
- Échec en ce qui concerne la volonté de
contrôler la violence, de la limiter. Échec qui reproduit celui de la révolution
bourgeoise.
- Tout ceci montre
également l'échec de l'intervention dans un procès en acte qui doit en définitive
atteindre son accomplissement: la généralisation du mode de production
capitaliste à l'échelle planétaire, ce qui est le moyen de généraliser la
séparation totale de l'espèce vis-à-vis de la nature.
- La tentative de formation d'un parti-communauté
découlant d'une lutte entre la majorité des hommes et des femmes exploités et
dont les conditions de vie empirent lors des crises, et le pouvoir du capital
représenté par les Etats, et surtout par les directions des différentes
entreprises, les syndicats, etc., s'est révélé inactualisable. Ce fut le but de
K. Marx, R. Luxembourg, A.Bordiga
et le nôtre.
-
Impossibilité d'une intervention tendant à réconcilier l'espèce et la nature
quand on demeure au sein du procès. Tenter d'invertir le procès lui-même pour lui
faire engendrer une réalisation autre que celle à laquelle il tend, nécessite
une immense violence. Violence qui fut nécessaire pour domestiquer l'espèce.
-
Depuis la fin des années 20 nous pouvons considérer que nous avons une
dissolution du mouvement prolétarien qui permit la floraison de mouvements
parcellaires comme le féminisme, divers courants artistiques: surréalisme et
Internationale situationniste en sont les exemples les plus saillants, etc.,
qui autrefois étaient intégrés dans le mouvement révolutionnaire. Ils se
présentèrent comme des substituts ou comme des mouvements devant réactualiser
ou accélérer le phénomène révolutionnaire.
-
L'hypothèse que les forces productives étaient devenues trop développées, que
donc la société à l'échelle mondiale souffrait d'une surcapitalisation, n'a pas
été prise sérieusement en considération et, surtout, il n'en pas été tiré les
conclusions pratiques qui s'imposaient. Il ne suffisait pas de dire qu'il ne s'agissait
plus de construire, mais de détruire, il fallait mettre en évidence que la thématique
d'utiliser un développement des forces productives pour l'établissement d'une
communauté humaine où la greffe d'apports techniques sur une communauté (le
parti dans sa vaste détermination historique) en voie d'instauration, d'implantation
n'était plus possible. Il ne pouvait plus y avoir une quelconque continuité entre
les deux moments : capitalisme et communisme. Une discontinuité de plus vaste
amplitude s'imposait désormais. En outre même si la crise pouvait en quelque
sorte régénérer les potentialités révolutionnaires du prolétariat, opérer à
partir de l'apport du capital qui recombinait tous les moments du procès de vie
des hommes et des femmes ne pouvait que conduire à une régénération plus ou
moins mystificatrice de sa domination.
- En
ce qui concerne les intellectuels (artistes, littérateurs, scientifiques) il ne
vivent, pour la plus grande majorité, que de
l'immédiateté. Si celle-ci est révolutionnaire, ils le deviennent, si elle
s'avère réactionnaire, ils défendent l'ordre établi. En général, ils servent
d'intermédiaires d'intégration en rendant acceptables aux opprimés les diktats
de la classe dominante ou de l'unité supérieure, en édulcorant pour les
pouvoirs établis les revendications des révoltés. Ce faisant ils se
présentèrent toujours comme si c'étaient eux qui avaient réellement engendré
ce qu'ils exhibent.
Ne pas tenir compte de
leur carnaval théorique grotesque est une brisure nécessaire avec la dépendance
vis-à-vis d'un procès de connaissance qui fixe l'espèce sur des débats futiles
et ridicules.
-
L'apport théorique du mouvement prolétarien consiste, surtout à travers son
expression la plus cohérente et la plus puissante: le marxisme, dans la mise en
évidence de 1"importance de la prévision. Celle-ci se révèle encore
essentielle dans la mesure où elle permet de maintenir la continuité entre les
diverses générations qui s'opposèrent au capital et qui maintenant doivent tout
simplement 1"abandonner. En effet elle a permis d'avoir une affirmation
même en période de profonde réaction, et actuellement, alors que les conditions
ont changé.
Dans
l'étude théorique complète du capital, Marx envisagea le possible de
l'intégration du prolétariat. Or ceci fut la plupart du temps refusé par ses
successeurs au nom d'une vision moraliste, étant donné que l"intégration
était considérée comme résultant d'une espèce de troc entre la rébellion des
prolétaires contre une amélioration immédiate (et en définitive limitée) des
conditions de vie, contre la sécurité. On ne peut pas nier que ce phénomène ait
pu jouer un certain rôle mais, d'un point de vue général on doit considérer
l'intégration du prolétariat comme un phénomène résultant d'un heurt entre les
deux classes capitaliste et prolétarienne qui s'est conclu par la défaite de
la seconde. Le mécanisme d'achat opérant surtout - sur la base de la
mystification démocratique - pour conjurer en fait de nouveaux heurts.
Ainsi
la non prise en considération du possible de l'intégration n'a pas permis de
réellement prévoir le cours historique du capital pour la période post-1945.
Cependant les éléments valables de la prévision de 1957 nous ont permis de
comprendre ce qu'il advenait et, en intégrant la partie pour ainsi dire
escamotée, de prévoir à notre tour cette phase de dissolution à laquelle nous
sommes parvenus. Ainsi la prévision a bien permis de maintenir le lien entre
les générations.
4. - Point d'arrivée
du cycle de vie de Homo sapiens
Ce
qui a en définitive permis a Homo sapiens de sortir de
la nature, c'est le mouvement de la valeur. Celui-ci détermine tous les aspects
de sa vie (il est remplacé maintenant par le mouvement du capital), tout particulièrement
les fondements du procès de connaissance sont incompréhensibles si on
n"étude pas ce mouvement.
Dit
autrement: ce qui caractérise le devenir de Homo sapiens c'est la
transformation de tout inné en acquis. Or l'acquis est discrétable,
quantifiable et, surtout, il est substituable. Ces déterminations sont des réquisits
fondamentaux pour une genèse et un développement de la valeur.
Si
au départ cette dernière a permis souvent d'apporter des solutions
"humaines" au sein de la phase de dissolution des communautés
primitives, elle est devenue de plus en plus dominatrice et, avec le capital,
au travers du procès d"anthropomorphose, il y a eu de plus en plus
substitution des données extraites de l'espèce par des productions machiniques réification de celle-ci.
Hommes et femmes sont
de plus en plus dépossédés de ce qui les faisait sapiens puisque toute la
puissance du procès de connaissance est en dehors d'eux. Ils sont réduits à des
particules sur lesquelles opère un procès
qui est une combinatoire qui ne les privilégie en rien, car elle les met sur le
même plan que les animaux, les végétaux ou les machines; et ce en dépit de la
persistance du discours au sujet de la supériorité de Homo sapiens, persistance
du fait que c'est le discours fondateur de l'advenue actuelle.
La fin du procès révolution, s'accompagne de celui de
dissolution qui opère tant sur la dimension historique que sur la dimension
actuelle de la communauté-société du capital. La
dissolution se caractérise par la disparition des médiations, des classes, de
telle sorte que l'antique antagonisme espèce-nature
ne peut plus être occulté, escamoté. Autrement dit tout a été déblayé pour une
vaste aurore et une bouleversante naissance.
Dissolution du corps de Homo sapiens parce qu'il
abandonne tout rapport à la nature et tout effort: réduction de l'importance du
système osseux, réduction de la puissance des dents et pas seulement de leur
nombre (disparition de la fonction digestive par suite de la production d'aliments
escamotant celle-ci); réduction de l'habileté manuelle, perte de capacités
visuelles après celles olfactives et également auditives, blocage de la
possibilité d'utiliser les puissances cérébrales par suite du triomphe d'abord
de l`individu puis de la particule; or le cerveau est un organe communautaire;
perte des capacités de défense d'abord au niveau de la communauté puis au
niveau de l'individu (exemple paradigmatique : le développement du sida).
La dissolution atteint le niveau cellulaire avec la
désorganisation de la cellule provoquant la séparation d'éléments qui s'étaient
unis il y a plus d'un milliard d'années lors de la formation des cellules
eucaryotes.
Ce faisant Homo sapiens devient une espèce inutile et
dangereuse pour l'ensemble du procès de vie d'où la tendance à ce que celui-ci
l'élimine au travers de l'activité des bactéries avec leurs auxiliaires les
virus, les prions, etc. Nous parlons actuellement de l'humanité comme formant
un tout parce qu'effectivement elle a été unifiée par le mouvement du capital,
mais nous n'escamotons en rien que l'accession à ce tout est déterminé par un
phénomène de classes: le triomphe de la classe capitaliste qui impliqua
l'écrasement des divers mouvements prolétariens qui essayèrent d'enrayer un tel
devenir. Par de là ces derniers nous avons également insisté sur l'importance
de tous les courants qui refusèrent le devenir hors nature et la domestication.
L'invariance que nous affirmons se fonde sur l'action de tous ces hommes et de
toutes ces femmes que l'histoire officielle tend à occulter définitivement.
Il nous semble donc important que divers hommes et femmes actuels se sentent en dehors
de ce "tout" parce qu'ils refusent le capital dans son devenir et
dans son point d'arrivée. mais il ne suffit pas de se
sentir étranger à ce tout, il faut rompre avec lui, créer la discontinuité et
le schisme irrévocables.
Le
cycle de vie de Homo sapiens se conclue avec une dégradation énorme de la
biosphère. Depuis 3.000 ans, on a eu une désertification d'immenses aires (Sahara par
exemple), réduction des sols à l'état de lithosols portant dans le meilleur des
cas des forêts de Bonzaïs dans le pourtour méditerranéen, pour ne citer que
quelques exemples. D'un point de vue géologique la phase d'expansion de cette
espèce se révèle donc comme une catastrophe (rhéxistasie
et disparition d'une multitude d'espèces).
5.
- Esquisse d'un programme pour une régénération de la biosphère, phylum humano-féminin inclus
On n'a pas besoin d'attendre un moment précis pour qu'il
soit mis en application. Il peut s'actualiser immédiatement mais à une échelle
très limitée et même d`une façon non cohérente, non unitaire; pour qu'il se
développe pleinement et permette ainsi la réalisation de l'objectif pour lequel
il est avancé, il faut une convergence de diverses actions des hommes et des
femmes opérant au sein du procès de dissolution actuel; ce qui implique un
vaste effort de réflexivité tandis que ces actions ne peuvent voir le jour que
s'il y a un vaste mouvement spontané, sur lequel ne s'exerce aucune inhibition
issue d'une organisation quelconque prétendant vouloir régenter un processus.
En fonction de l'intégration du
prolétariat, de 1'inopérabilité de la révolution communiste et en tenant compte
qu'en définitive la dynamique révolutionnaire est fondamentalement une dynamique
d`instauration du capital et qu'en conséquence toute rébellion frontale contre
celui-ci ne peut que le renforcer, puisque c'est encore accepter ses
présuppositions, nous avons affirmé dés 1974: il faut quitter ce monde.
Il faut en fait opérer non seulement une rupture avec le capital mais avec tout
le procès qui lui est antérieur et qui le fonde; en définitive avec tout le
devenir de séparation d'avec la nature.
Rompre avec ce monde
c'est rompre avec la dépendance.
Pour détruire la dépendance et accéder à la participation
il faut qu'opèrent simultanément un vaste mouvement spontané de refus de ce qui
est et un intense mouvement de réflexion qui se fonde dans tout le devenir du
phylum Homo et dans celui de la vie en sa totalité. On retrouve d'une certaine
façon la thématique de la formation du parti-communauté.
Ėtant donné le phénomène de dissolution en
acte, il est évident que laisser se déployer un immense mouvement spontané
aboutira à la floraison de toutes sortes de groupes, de rackets, comme de communautés
réelles mais aux objectifs limités (par là menacées de devenir des rackets) qui
tendront à s'autonomiser sur la base de données du passé (réaffleureront
toutes sortes de possibles) ou du futur. I1 s`agira non de vouloir les
détruire, les éliminer ce qui nous reconduirait dans la vieille thématique de
la lutte de classe, de la fonction militaire du parti, et demeurerait sur le
plan darwinien de la lutte pour l'existence, mais de constituer un intense pôle
réflexif de communautés où s'épanouissent des relations de participation qui ne
se limitent pas à ces dernières mais concernent le cosmos entier. La communauté
pouvant être dans certains cas un opérateur de participation â ce dernier.
Les
mesures du programme sont déterminées par tout le devenir antérieur et par le
fait que la planète terre est un être vivant et que, au niveau continental où l'espèce
accomplit son cycle de vie, on constate que le sol naît à partir de la croûte
en rapport avec la lithosphère mais qu'ensuite il protège cette dernière de l'érosion
qui pourrait amener des déséquilibres, qu'ensuite la végétation et toutes les
biocénoses vivent grâce au sol et que c'est la végétation qui protège le sol
contre les effets mécaniques de la pluie ou du vent, et limite les variations
climatiques; en outre nous sommes d'accord avec ceux qui considèrent que les
bactéries constituent comme un immense cerveau tendant à régulariser tous les
phénomènes rendant la vie possible à la surface du globe.
En
tenant compte qu'il y a accélération du phénomène de séparation vis-à-vis de la
nature avec la pratique de l'élevage et de 1'agriculture, nous pouvons dire
qu`il a fallu 10.000 ans pour produire la situation actuelle caractérisée par
une surpopulation humaine et une destruction de la biosphère et même de la
croûte continentale. En conséquence le programme doit porter au minimum sur
plusieurs siècles. I1 comporte obligatoirement des mesures immédiates et
limitées dans le temps et des mesures qui doivent être également immédiates
mais qui pourront s'effectuer sur un laps de temps plus ou moins long, comme
par exemple la réduction du nombre de la population.
Abandon
de pratiques absolument néfastes que nous indiquerons dans 1"ordre de
l"advenue historique. Tout d'abord le feu, qui doit être ramené à la
dimension
d'un outil utilisable qu'en cas de nécessité lors de la réalisation de
certains
procès de production. Brûler toute substance organique devra apparaître
comme
un acte criminel. La chasse et la pêche ne devront plus être pratiquées
également. En revanche si l'abandon du gros élevage (vaches, moutons,
chèvres,
etc..) peut s'actualiser rapidement, il n'en est pas de même du petit
élevage
(animaux de basse-cour) à plus forte raison de l'agriculture car cela
nécessite, dans ce dernier cas, une diminution du nombre des hommes et
des
femmes et une régénération de la nature.
Cessation
immédiate de constructions de routes, autoroutes, aérodromes, ports, villes.
Réduction draconienne de la circulation automobile (fin de la
privatisation), aérienne, maritime (tout particulièrement la navigation de
plaisance qui constitue un immense fléau pour les fonds côtiers), recherche de
nouveaux moyens de locomotion, tout en recourant de façon de plus en plus
fréquente à une locomotion par nos propres moyens physiologiques.
Abolition du tourisme, forme la plus élaborée de la destruction
des hommes, des femmes et de la nature. Abolition de la pratique du sport qui
est pratique de l'absurde, forme théâtrale de la concurrence capitaliste et
support fondamental de la publicité.
Interdiction[1] de toute construction dans les zones
d'interface, c'est-à-dire à la limite de deux milieux, car c'est là que la
biosphère est à la fois fragile et déploie une activité intense: bord de mer,
rives des fleuves (de part et d'autre du fleuve doivent exister des zones libres où l'eau peut s"accumuler servant à
la régularisation du débit de celui-ci et où des biocénoses peuvent
s`installer), en haute montagne particulièrement à la limite forêt pelouse
alpine.
Arrêt de la construction d'édifices exaltant le pouvoir
de domination ou les spectacles, les deux étant intimement liés: églises,
mosquées, temples, théâtres, cinémas, stades, casernes, écoles depuis le stade
primaire jusqu'à l'université.
Arrêt d'émissions d'ondes de toutes sortes dans 1'atmosphère
ont on ne s'est jamais préoccupé de savoir quel impact elles pourraient avoir
sur les êtres vivants; arrêt également de 1'éclairage nocturne.
Arrêt
de production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire; recherche d'une
production très locale avec: utilisation de phénomènes naturels, ceci afin
d'éviter la pollution électrique; le tout doit être couplé avec la recherche de
nouvelles formes d'énergie.
Recyclage de tous les déchets - ceux organiques pouvant
servir de compost - tandis que ceux nucléaires demanderont d'effectuer de
puissantes recherches en contact avec les phénomènes vivants, tout
particulièrement les bactéries afin de pouvoir les éliminer.
Abandon de toute vivisection et
expérimentation sur les êtres vivants, et même de la dissection d'animaux
élevés et tués en vue d'une telle pratique. Nécessité de rechercher d'autres moyens d'investigation du monde vivant,
en tâchant de participer à celui-ci.
Construction de maisons de type biotique faisant corps
avec la nature et ne s'opposant pas aux divers flux traversant celle-ci. L'utilisation
de la terre en tant que matériau de construction ne semble pas du tout
appropriée dans la mesure où il faut impérativement régénérer les sols. Dans ce
cas également des recherches seront nécessaires pour trouver d'autres
matériaux.
|
Reforestation
impérieuse dans toutes les zones du globe. Elle ne doit pas simplement
consister à planter des arbres, mais également toutes les espèces du sous-bois.
Ceci implique simultanément de cesser de prélever, dans la mesure du possible,
quoi que ce soit dans 1'écosystème forêt. Il faut en particulier cesser de ramasser
les champignons qui ont un rôle fondamental au sein du super-être
vivant qu'est la forêt. En outre il ne faut pas que l'arbre soit considéré comme
un instrument pour lutter contre 1'érosion, le réchauffement climatique, etc.,
mais en tant que compagnon participant à une même œuvre : restaurer un milieu favorable à toutes les formes de vie
.
Tout
ce programme n'aura aucune chance de se réaliser si ne se manifeste pas une
autre espèce dont le comportement vis-à-vis de la nature sera en rupture totale
avec celui de Homo sapiens. Elle sera en continuité avec tout 1e inonde vivant,
ce qui implique qu'il n'y ait plus de coupure monde inerte - monde vivant, intériorité-extériorité.
L'émergence
de cette nouvelle espèce dépend de la rupture d'avec ce monde. Ceux et celles
convaincus d'une telle nécessité se regrouperont en communautés liées à la
nature où la continuité prévaudra, de là l"importance du toucher, et où
aura été aboli le problème du pouvoir en tant que phénomène de positionnement
et de domination. Il y aura la pleine participation qui abolit toutes limites
tout en permettant à l'individualité de s'affirmer en tant que floraison de la
communauté et de l'espèce. Cette dernière se manifeste en tant que communauté intégrante
mais qui n'est pas rigide puisqu'il y a continuité avec tout le monde vivant.
Il
n'y aura pas de démocratie, de théâtre, de religion, de thérapeutique (qui ne
se limite pas à la médecine) et donc pas d'art mais
exaltation de la dimension esthétique de l'espèce qui est sa capacité de jouir
des diverses formes de manifestation du cosmos et de se les représenter, en tenant
compte que chaque génération est apte à le faire et qu'il n'y a pas besoin
d'une fixation d'œuvres quelconques ce qui régénère la dynamique du pouvoir.
La
continuité, le toucher se vérifient dans le fait que les générations vivront à
nouveau de façon non séparée, non éclatée. Il n'y aura pas d'éducateurs
spécialisés; c'est l'ensemble d'une ou de deux générations qui transmet la
totalité du corpus de l'espèce à la suivante. Le procès de connaissance n'est
plus séparé et ne fonctionne plus en tant qu'opérateur de justification pour l'espèce,
pour un groupe déterminé ou pour un individu, réduit actuellement à une
particule dont le contenu existentiel est déterminé par les flux du marché et
par la publicité.
La
continuité s'affirme également grâce à la sécrétion d'une technique non distanciatrice, comme ce fut le cas au début du développement
d'Homo sapiens. Pour cela beaucoup de produits qui ont été mis au point au
cours du cycle de vie de ce dernier et qui sont érigés à l'heure actuelle au
rang de puissances dominatrices seront ramenées au stade d'outils au service de
l'espèce.
Il
n'y a plus de division du travail. Celui-ci d'ailleurs disparaît, remplacé par
l'activité où ne peuvent pas se polariser des moments d'oisiveté, de loisir, de
divertissement et des moments d'effort intense, considérés actuellement comme
étant consubstantiels au travail. Chaque homme, chaque femme étant à la fois
individualité et Gemeinwesen s'affronte à la totalité
du procès de vie de l'espèce qu'il doit effectuer. Il ne le fait pas seul mais
en participant avec tous les membres de la communauté où il se trouve. Cela
veut dire que toute individualité fonctionne en utilisant un cerveau
communautaire qui est le sien en participation avec ceux des autres membres
ainsi qu'avec celui de la communauté, de l'espèce. Enfin dans la mesure où
hommes et femmes se seront remis en continuité avec la nature, ils pourront
opérer en participation avec toutes les facultés de tous les êtres vivants.
Cette perspective découle de la présupposition essentielle que c'est au travers
de notre espèce que l'ensemble de la biosphère accède à la réflexivité qui ne
pourra pas se réaliser tant qu'il y aura discontinuité entre elle et la nature.
L'élimination de la
division du travail sera d'autant plus facilement réalisable que, d'une part le
procès de connaissance pourra être considérablement réduit puisqu'il n'y aura
plus besoin de droit, d'économie politique et toutes les disciplines qui leur
sont redondantes et que d'autre part une foule d'activités totalement inutiles
pour l'espèce seront immédiatement éliminées.
Enfin
les capacités cognitives de 1"espèce seront accrues puisque tout membre de
celle-ci ne pensera plus uniquement avec son cerveau séparé et spécialisé en des
fonctions diverses (intellectuelles, esthétiques, affectives etc.). Ètant donnée
la remise en continuité avec le monde vivant, il n'y aura plus de hiatus entre
activité intellectuelle (actuellement privilégiée) et activité affective. La
faculté de perception sera immensément accrue à cause du comportement de
participation. À la place de la pensée linéaire actuelle se déploiera une
pensée rayonnante et participante.
La
réalisation de toutes ces mesures dépendra fondamentalement du mode de
réalisation de la communauté en liaison avec la nature. Ce sont les rapports
affectifs - qui opèrent actuellement de façon séparée, ce qui ne sera plus le
cas ultérieurement - qui seront déterminants et non une quelconque dynamique de
production ou d'organisation. En outre l'articulation de ces diverses mesures
se fera en fonction du mode de dissolution de la communauté-société
du capital dans les diverses zones géographiques. L'émergence de la nouvelle
espèce connaîtra diverses modalités.
La réussite de toutes ces actions dans une grande mesure, surtout
au niveau final - dépend de la réduction du nombre de la population humaine au
moins à 500 millions et à un repli de celle-ci dans des zones â climat doux ne
nécessitant donc pas la production d'un grand nombre de prothèses. La
reconstitution de vastes espaces naturels, permettra non seulement aux êtres
vivants de pouvoir se multiplier et se diversifier, mais aux hommes et aux
femmes de pouvoir voyager, errer, retrouver l'aventure initiatique.
Dans
une telle perspective le problème de la "conquête de l'
espace" ne se pose plus; l'urgence de trouver d'autres planètes
afin d'y déverser une surpopulation s'évanouira. En revanche 1"exploration
du système solaire, de la galaxie, s'effectuera mais en se fondant sur d'autres
considérations que celles actuelles.
L`émergence
d"Homo Gemeinwesen se fera avec une rééquilibration
des diverses fonctions vitales: nutrition, reproduction, représentation. À
l'heure actuelle, la première, par exemple, tend à être réduite à zéro
(alimentation concentrée et chimique) ce qui aura des conséquences extrêmement
néfastes tant sur le développement global du squelette, sur les fonctions
psychiques que sur 1'activité de la population bactérienne vivant en symbiose
dans nos intestins et assurant en fait la plus grande partie de la digestion
ainsi que la production de substances éminemment utiles comme la vitamine B 12.
Dans un environnement leur devenant hostile, les bactéries deviendront
probablement parasites, ce qui entraînera le surgissement d'une foule de
maladies nouvelles. La rééquilibration concerne également les rapports entre
les divers organes des sens et entre ceux-ci et l'encéphale.
Ce
phénomène atteindra son acmé avec l'inversion de la tendance que connut Homo
sapiens de transformer tout inné en acquis. La récupération de l'inné
signifiera la rêimmersion profonde dans la nature et
la mise en continuité avec tout le monde vivant, sans la perte de la réflexivité
qui trouvera alors un plein épanouissement parce qu'elle ne se produira plus
uniquement pour Homo mais pour tous les êtres vivants.
Au
niveau de chaque être humain, féminin devra se réaliser le possible de la
totalité en tant qu'unité, de la totalité en tant que multiplicité et celui de
l'individualité. Ce n'est qu'ainsi qu'une quelconque forme d'Ètat deviendra
absolument impossible et que toute partition démocratique mutilante et mutileuse s'évanouira.
Le devenir de Homo
sapiens fut un devenir de séparation, celui de Homo Gemeinwesen
est d'union. Celle-ci peut opérer dés maintenant entre tous les groupements qui
tendent à quitter ce monde et à se constituer en communautés. L'union se fait
aussi avec les êtres vivants qui nous aideront à éliminer toutes les scories du
développement antérieur. Nous ne sommes pas seuls. L'absence de solitude fonde
la certitude.
CAMATTE
Jacques
19 Décembre 1989
[1]
Il aurait mieux valu écrire Cessation, car interdire évoque et appelle inévitablement la
répression, fondement de toutes les sociétés (note de 2008).