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ÉMERGENCE ET DISSOLUTION

La phase de transition que nous vivons se caractérise par deux phénomènes: la dissolution et l'émergence. Pour les situer il nous faut envisager succinctement, en tenant compte de l'actualité, divers arcs historiques qui s'intègrent l'un en l'autre et qui accèdent à leur terme: ceux de l'aire slave, du capital, des révolutions, de Homo sapiens, de la biosphère, et poser à partir de là l'advenue d'un devenir autre conduisant à la régénération de la nature et à l'émergence d'Homo Gemeinwesen.

 

 

1. - Point d'arrivée du développement de l'aire slave

 

Le déroulement des évènements en URSS et dans l'Europe de 1'Est nécessite un rappel historique synthétique.

 

1.1. La phase révolutionnaire.

 

La révolution russe a toujours été conçue dans une dynamique internationale. Le summum de la perspective fut celle de Marx et des populistes qui pensaient pouvoir greffer les acquits techniques de l'Occident sur la communauté slave (Obchtchina). Le schéma stratégique de la révolution indiquait l'Allemagne comme étant le centre de la révolution à venir. Tout cela fut conservé par les révolutionnaires ultérieurs.

 

     1914: L'Union sacrée : première grande défaite de la révolution prolétarienne.

 

1917: triomphe de la révolution en Russie. Grâce à l'intervention des bolcheviks, possibilité d'une transcroissance à condition que la révolution se généralise, surtout en Allemagne (ne pas oublier à ce sujet la parabole léninienne à propos de l'histoire ayant engendré un oeuf avec deux poussins: l'Allemagne et la Russie).

 

1919. Ecrasement du mouvement spartakiste : deuxième défaite de la révolution prolétarienne, du mouvement communiste mondial. repli du phénomène révolutionnaire prolétarien sur l'aire slave qui pose la question de savoir si un pouvoir révolutionnaire prolétarien peut persister en attendant une autre phase révolutionnaire, et ceci dans une Russie pré-capitaliste, ce qui exclut la possibilité de réaliser des mesures socialistes, et dans un environnement hyperhostile. Ceci ne sera possible que si l'on maintient une perspective internationale création de la l'Internationale communiste.

 

1920 : Congrès de Bakou: essai de coordonner le vaste soulèvement des diverses colonies contre les métropoles coloniales: Angleterre, France, Hollande, etc., dans la perspective d'affaiblir ces dernières ce qui devait permettre une reprise de l'action prolétarienne en ces divers pays.

 

1926 : triomphe de la théorie du socialisme en un seul pays d'abord au sein du parti russe, puis au sein de l'Internationale communiste en 1928. La perspective révolutionnaire a été abandonnée et la troisième défaite du mouvement prolétarien s'opère au travers d'une vaste mystification : la construction du socialisme dans un pays arriéré alors qu'il ne peut jamais être question d'une telle construction même dans des pays ayant atteint le stade capitaliste, à partir duquel le socialisme, et donc le communisme, devait spontanément se développer une fois détruit le pouvoir et 1'Etat capitalistes.

 

1.2. L'intégration dans le mode de production capitaliste

 

La construction du socialisme en un seul pays consista en réalité en une vaste accumulation à la fois primitive, en tant que réalisation initiale du capital, et en une énorme accumulation élargie permettant une implantation du capital. Le développement de ce dernier s'est effectué en URSS à partir du pôle travail (Etat fondé sur une base prolétarienne) et sur une sous-consommation des prolétaires; d'où le triomphe sous une autre forme de la tendance de la production pour la production. Mais ceci ne pouvait permettre qu'une domination formelle du capital sur la société, ce qui laissait le possible du maintien de la mystification de 1a construction du socialisme.

 

Le repli sur la phase purement anti-féodaliste, donc sur la dimension strictement capitaliste de la révolution de 1917 (qui fut une double révolution) s'accompagne de la domestication des divers mouvements révolutionnaires qu'ils soient dans la mouvance capitaliste dans les pays coloniaux, ou dans la mouvance communiste. Sous ses diverses formes la révolution est mise au service de 1`Etat soviétique qui devient de plus en plus national, nationaliste. Cela aboutit au blocage des divers mouvements révolutionnaires d`Asie (particulièrement en Chine).

 

En Occident la généralisation du démocratisme et des fronts populaires, prônée par Moscou, conduit au même résultat.

 

Participation à la mystification de la seconde guerre mondiale et à l'édification du mythe anti-fasciste, ce qui permit la domestication du prolétariat et la réalisation de la domination réelle du capital sur la société en Occident.

 

La guerre froide fut un moyen fort efficace de bloquer tous les mouvements révolutionnaires dans une phase démopopulaire interclassiste, dans une phase purement capitaliste. Elle permit de bloquer le mouvement révolutionnaire en Allemagne et dans les pays de l'Est européen.

 

La coexistence pacifique correspond à une tentative d'accéder au marché mondial et de contrebalancer la puissance hégémonique des USA exerçant leur dictature mondiale depuis 1945.

 

L'échec de Khrouchtchev est dû à un refus de la part des soviétiques d'emprunter la voie du capital: résistance du kolkhosianisrne forme d'accommodation-compromis entre les prolétaires, les paysans et 1'Etat capitaliste; résistance également des restes de 1'Obchtchina. On doit tenir compte également de l'intransigeance des USA désirant une capitulation plus grande.

 

Le recul du développement du capital sur la base de la valeur durant l'époque post-Khrouchtchev est en rapport avec une phase critique du devenir du capital en occident. Toutefois cela n'enraya absolument pas le procès d'expropriation qui conduisit à une urbanisation accélérée et à l'élimination des restes de 1'Obchtchina. La production de masses de gens déracinés, libérés, aptes à entrer dans une combinatoire sociale fait que l'unité supérieure réaffirmée à travers le stalinisme n'est plus compatible. En outre la pression de la société-cornmunauté capitaliste de l'Occident rend encore plus caduc le vieux compromis qui fait de plus en plus obstacle au devenir capitaliste.

 

Les évènements de l'automne 1989 correspondent à la fin de la domination de l'État fondé sur la réalisation du mode de production capitaliste à partir du pôle travail (achevée dés les années 60) et au remplacement de ce dernier par un État entreprise en rapport à un développement sur la base de la valeur et donc du capital lui-même. Toutefois les données historiques en rapport avec les déterminantes géosociales de l'aire slave font que le déploie­ment de la communauté capital en URSS grâce à la puissance de celle occidentale, peut s"accompagner du maintien d'une unité supé­rieure ambiguë c'est-à-dire à la fois capitaliste et anté-capitaliste.

 

Nous assistons à une liquidation qui est un aveu qu'il n'y a pas de communisme. Mais la mystification persiste dans la mesure où il n'est pas affirmé que ce dernier ne pouvait pas s'édifier dans les limites de la seule Russie.

 

Cette liquidation du vieux compromis fait avec la classe ouvrière et avec les paysans - à des moments différents - entraîne une levée de verrou pour le capital, mais suscite des résistances au sein des ouvriers comme au sein des paysans qui perdront les avantages de la sécurité de l'emploi et d'un travail non soumis â des contraintes de haut rendement. L'idéal des agents du capitalisme à l'ouest comme à l'est est d’accroître l'intensité du travail bien qu'ils persistent à nier 1`essentialité de celui-ci.

 

L'aire slave parvient donc au même stade de développement que l`Occident (réajustement). Or celui-ci entre dans une phase de dissolution. Il est possible que l'URSS présente dans les prochaines années une accélération de ce phénomène, du fait même des difficultés qu'eut le capital à s`y implanter et du fait d`une tendance à aller au-delà de celui-ci, comme cela se fit sentir au cours des années révolutionnaires au début de ce siècle.

 

Toutefois, à 1'heure actuelle encore, le devenir de l'aire slave est en connexion avec celui de l'aire allemande. Cette dernière, par 1`intermédiaire de la RDA, se trouve "encombrée" elle aussi d'une dimension anticapitaliste, survivance de sa longue tradition de "protestation". En outre, en dépit de son intégration dans 1'OTAN et dans le marché commun, la France maintient de facto un courant anti-USA qui lui est imposé par la politique économique de ces derniers. En ce sens les allemands en leur totalité sont moins vendus aux yankees que ne le sont les russes. Se répète donc la thématique du début de ce siècle: soit une union des forces anti-capitalistes - et nous souhaiterions hors-capitalistes - de l'aire allemande et de l'aire slave pour en finir avec le mode de production capitaliste soit la communauté mondiale capitaliste qui réussit à intégrer l'aire allemande et l'aire slave en neutralisant l'une par 1'autre.

 

Quoiqu'il en soit l'aire allemande demeure la zone névralgique essentielle de 1'Asirope.

 

2. - Point d'arrivée du cycle du capital

 

 

Tout d'abord quelques considérations phénoménologiques concernant d'autres aires.

 

La difficulté du développement du capital en Chine provient de la puissance de la forme asiatique avec le poids de l'unité supérieure, le tout lié à une énorme population qui rend difficile le phénomène d'expropriation, et celui d'urbanisation qui est sa conséquence. En effet, au cours de l'histoire de la Chine il y eut des moments d"intense déploiement du mouvement de la valeur, qui furent tous enrayés, intégrés par l'unité supérieure. En conséquence de nos jours, le capital qui domine formellement en Chine, peut parvenir à sa domination réelle sous la pression de la communauté-société mondiale, à partir des centres de cristallisation que sont Hong-Kong, Taiwan, la Corée du Sud, Singapour qui jouent vis-à-vis de la partie orientale de l'Asirope le même rôle que celui tenu par les républiques maritimes italiennes vis-à-vis de 1a partie occidentale, dés le Moyen-âge.

 

Nous aurons donc en Chine un développement en dents de scie avec de grandes avancées et de profonds reculs comme les derniers évènements l'ont mis en évidence. Par suite de la forte tradition communautaire de cette aire, il est certain qu'au cours de ces soubresauts puisse se manifester un mouvement réflexif tendant à instaurer une communauté non despotique. Toutefois, étant donné la profonde désorganisation qu'entraîna inévitablement l'expropriation de millions de paysans, ce à quoi on doit s'attendre en Chine c'est à une phase de dissolution avec autonomisation de divers possibles ( une sorte de période des Royaumes combattants), aggravée encore par la dissolution en Occident.

 

Dans l'aire hindoue la communauté du capital opère en tant que communauté supérieure intégrant toutes les autres. D'où une domination formelle de celui-ci et un immense compromis qui viendrait à être rompu si l'expropriation des paysans et l'urbanisation qui lui est connexe se déployaient.

 

Une trop forte poussée du capital pourrait alors provoquer une dissociation du système d'emboîtement des communautés qui s'autonomiseraient plus ou moins induisant une vaste phénomène de dissolution que nous escomptons dans un avenir non lointain. Au sein de ce dernier pourra émerger une forme de communauté non despotique, tendant à s'unir à la nature et opérant une réflexivité, c'est-à-dire essayant réellement de poser le problème de l'errance de l'espèce et la nécessité d'y mettre un terme. Notre affirmation s'appuie sur la rémanence de l'importance de la communauté dans l'aire hindoue, sur la persistance de l'impasse dans ce pays depuis plusieurs siècles. Cette aire est bloquée dans une forme sociale qui lui permet d'intégrer mais non de créer.

 

En Afrique Noire, autre aire où le mouvement de la valeur puis celui du capital parvint très difficilement à pénétrer et surtout à transformer les communautés, celui-ci domine, désormais, de façon formelle. Elle subit le despotisme de la communauté du capital mondial au travers du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Elle est en train de traverser une phase de dissolution des antiques communautés qui est d'autant plus grave que la biosphère est plus fragile dans cette aire. L'expropriation des hommes et des femmes y est intense; d'où une urbanisation accélérée. Ils ne peuvent pas trouver dans les mégalopoles quoi que ce soit pour fonder des rapports sociaux plus ou moins stables, car toutes les formes de démocratie liées au mouvement de la valeur ou à celui du capital leur sont étrangères (ce qui est une bonne chose). Un développement ultérieur du capital par suite d'ailleurs d"une pression internationale ne pourra qu'aggraver la dissolution. La nécessité d'abandonner ce monde est encore plus urgente dans cette aire africaine qu'en Occident.

 

En ce qui concerne l'Amérique du Nord, on peut considérer que le cycle des USA est achevé. Ils se présentent finalement comme une excroissance de l'Europe où le capital a pu se développer de façon la plus pure et où la frontière a été depuis longtemps atteinte. Ils ne peuvent connaître maintenant qu'un développement intensif qui se résout en une combinatoire dissolutrice.

 

Pour les pays de l'Amérique du Sud, ils connaissent les difficultés d'une implantation de la domination réelle du capital sur la société. Ils n'apportent rien en ce qui concerne le développement de ce dernier. En revanche, dans la phase de dissolution de celui-ci qui va aller en s'amplifiant, peuvent ressurgir des données occultées, escamotées des formes sociales antérieures à l'arrivée des européens, qui pourront être absorbées dans la combinatoire déjà indiquée, mais qui peuvent aussi apporter une contribution à la réflexion sur la nécessité de sortir de ce monde.

 

Ainsi la zone qui s'impose comme déterminante pour le devenir ultérieur est l'Asirope avec les aires qui ont le plus refusé un développement du capital: allemande, slave, chinoise, hindoue et arabe.

 

Si l'on considère historiquement les phénomènes à l'échelle mondiale, on peut dire qu'à partir de 1945 on a eu une onde de capitalisation (levée d'un verrou) qui s'est propagée aussi bien en Occident (réalisation de la domination réelle dans des pays qui avaient résisté à l'instauration du capitalisme comme la France, dans un premier temps, ou l'Espagne et le Portugal ultérieurement, ou qui avaient connu un blocage de celui-ci, comme l'Italie), qu'en Orient : réalisation de la domination formelle, pour affecter ensuite les zones de contact entre ces deux domaines: l'aire slave et ses dépendances comme nous le montrent les événements de 1989, et 1'aire arabe.

 

Dès lors, globalement ce qui domine ce ne sont pas les États mais les entreprises multinationales en liaison avec diverses banques et surtout le FMI et la Banque mondiale, véritables représentants de la communauté capital. On a la pleine réalisation du marché mondial et formation d'un milieu capitaliste se substituant au milieu naturel. Hommes et femmes y sont adaptés grâce à la publicité qui, pour ce faire, s'incorpore le procès de connaissance, ce qui les réduit encore plus à des particules inexpressives.

 

Les classes ont disparu au sein de la communauté-société du capital. C'est le point d'aboutissement de la domestication des prolétaires et de l'accroissement énorme du développement du capital dans tous les secteurs de l'activité humaine.

 

Dire qu'il n'y a plus de classe révolutionnaire implique qu'il faille exposer le procès par lequel - grâce à une terreur exercée sur 1'ensernble de l'humanité et ce durant des années - le phénomène révolutionnaire a été enrayé, sinon c'est de la magie apologétique de l'ordre établi. De même dire qu'il n'y a plus de classes (mystification du communisme) implique la nécessité de mettre en évidence que cela n'a absolument pas diminué la misère des hommes et des femmes ("jamais la marchandise n'enlèvera la faim à 1'homme" A.Bordiga). Non seulement elle s'est accrue quantitativement à 1'échelle mondiale, mais la disparition des classes s'accompagne d'une plus grande difficulté à se défendre au sein de ce système et d'une dégradation de plus en plus grande des conditions d'existence. Hommes et femmes sont soumis à un cycle d'exclusion des procès de production en place - exclusion qui permet d'exercer une pression sur eux afin de les rendre encore plus dépendants - et d'intégration, une fois qu'ils ont été un peu plus dépouillés de leurs capacités d'affirmation. Exclusion et intégration alternées permettent de les réduire à des particules pouvant entrer dans une combinatoire. I1 n'y a plus d'individus, ni de peuple. Il n'y a donc plus de démocratie.

 

Ce qui caractérise la phase actuelle c'est le triomphe d'une combinatoire. Elle tend à s'opérer entre les apports des diverses aires de développement de l`espèce: la rationalité et la technique de l'Occident, la spiritualité venue de l'Orient, le rythme et la musique de l'Afrique Noire, les mythes de l'union à la nature des vieux peuples des deux Amériques et de l'Australie. Ceux-ci sont d'autant plus importants que la combinatoire englobe également la défense de la nature saccagée par la production éruptive du système capitaliste. Enfin elle tend à englober la remise en cause de la science par les scientifiques eux-mêmes. En effet ceux-ci en tendant à effacer les limites entre monde inerte et monde animé, intérieur et extérieur, minent la base sur laquelle la science s'est édifiée. En outre, ils contribuent au dévoilement de l'opposition fondamentale: celle de Homo sapiens à la nature; laquelle, à son tour, tend à être incluse dans la combinatoire, ce qui tend à réduire son effet dissolvant.

 

La communauté capital est un immense racket vis-à-vis de la biosphère, et toutes les communautés y incluses ne sont que des rackets. Phénomène atteignant armée, école etc., par généralisation du libéralisme, de la concurrence et de l'entreprise (qui a la dimension d'un outil d'intervention, d'où la fascination qu`elle exerce). L`État lui aussi devient une entreprise racket gardant ses prétentions à représenter la communauté qui se résolvent en des formes spectaculaires pour représentations populaires. De là, la panique des bons démocrates devant cette évanescence de l'État (dans sa dimension de première forme). Ils se transformeront facilement en partisans de l`État fort, avatars minables des fascistes historiques.

 

Le mouvement du capital né d'un procès de dissolution du monde féodal et de 1'autonomisation de la valeur d'échange, greffés tous les deux sur le devenir hors nature de l'espèce, a abouti à une autre phase de dissolution qui est celle de toutes les structures, même de celles qui ont servi au capital à imposer sa domination réelle sur toute la société.

 

Cependant depuis le milieu des années soixante et dix, la mort potentielle du capital est advenue. Dés lors une phase de transition s`installe domine la dissolution. Cela n'empêchera en rien un accroissement de la production, une explosion des forces productives, une créativité exacerbée. I1 n'y a pas de décadence. C' est au sommet des capacités du système que celui-ci connaîtra son écroulement.

 

La dissolution risque dans les années 90 à venir d'atteindre un degré tel que la production ne pourra plus s'effectuer de façon cohérente à l'échelle mondiale. La mort du capital apparaîtra effective et l'on pourra parler de sa fin (non de celle de l'histoire, hochet théorique pour thuriféraires débiles du capital). Conduira-t-elle à la dissolution de l'espèce, à diverses autonomisations divergentes et stérilisantes, ou bien l'émergence d'Homo Gemeinwesen s'imposera-t-elle? Tout cela dépend de l'aptitude des hommes et des femmes à quitter, dés maintenant, ce monde.

 

 

3. - Leçons du cycle des révolutions et contre-révolutions

 

 

Le procès révolution est terminé. La dernière révolution celle qui devait clore le cycle et se produire dans les années 75-78 n'a pas eu lieu.

 

1945: Fin de la seconde guerre mondiale qui a permis une domestication du prolétariat à l'échelle mondiale; défaite des fascistes mais victoire du fascisme. démocratie sociale, Welfare State, État providence; pas de troisième guerre mondiale immédiate, pas de phase révolutionnaire prévisible dans un avenir proche (un phénomène semblable à celui de 1917 est impossible) du fait de la dictature mondiale des USA qui ont une politique belliciste tandis que 1`URSS est contrainte à la défensive (dans tous les cas elle est incapable de pouvoir menacer ces derniers).

 

1953: La révolte des ouvriers de Berlin Est montre que "long et dur est le chemin" (A.Bordiga) qui doit conduire à une reprise révolutionnaire. I1 ne peut pas y avoir de parti, mais seulement des groupements de travail tendant à restaurer la théorie marxiste, thèse affirmée déjà à la fin de la guerre. Tout cela est repris en 1956 à la suite des évènements de Hongrie et de Pologne.

 

En 1957, A.Bordiga traça la perspective d'une révolution communiste internationale, la dernière des révolutions, celle qui devait mettre fin au procès, en éliminant le mode de production capitaliste, pour les années 1975-80. Elle devait être consécutive à une vaste crise économique qui aurait reposé l'alternative: guerre ou révolution. Il prévoyait également une crise intermédiaire pour le milieu des années 60 qui aurait ébranlé le système capitaliste favorisant le développement de groupes révolutionnaires devant confluer dans la formation d'un parti communiste mondial, dont l'effectivité n'aurait été apparente qu'avec la montée de la marée révolutionnaire, puisque le parti opérant dans le procès révolution ne peut être que la classe organisée en parti.

 

Le schéma stratégique de la révolution était le suivant : rupture d'équilibre au sein du centre de la contre-révolution, les USA; relâchement du despotisme de ces derniers sur l'Europe de l'Ouest et particulièrement sur l'Allemagne; la crise économique atteignant également cette zone, il y a mise en mouvement des masses prolétariennes et la réunification de l'Allemagne s'effectue lors de la montée de la vague révolutionnaire unifiant par là même le prolétariat le plus puissant, restaurant également le centre révolutionnaire. Ce centre ne se limite pas à l'aire proprement allemande mais englobe toutes les zones les plus industrialisées de l'Europe de l'Ouest. C'est là que la révolution triomphe en premier. Ce n'est que dans un second temps que celle-ci peut vaincre dans l'aire slave, tandis que le tour des USA est encore plus tardif. Ce décalage pose d'ailleurs problème.

 

Le mouvement de Mai-Juin phase paroxysmale d'une rébellion qui occupe toutes les années soixante n'est que dans une très faible partie en continuité avec le mouvement prolétarien. Le prolétariat est mobilisé mais n'a pas de perspective révolutionnaire. Dans tous les cas, aucun mouvement n'a été à même de mobiliser les masses pour la formation d'un parti. on peut, alors, seulement penser que Mai-Juin constitue la prémisse d'un vaste bouleversement à venir, en supposant simultanément que la crise qui a pu être retardée ou amortie viendra télescoper celle attendue pour 1975.

 

Cette appréciation est renforcée du fait que la vague révolutionnaire anticoloniale s'est amortie au cours des années 60 et qu'elle n'a pas été à même de relancer un mouvement prolétarien. En outre là où, au milieu des années 60, se produisent des mouvements révolutionnaires, ils sont dans la mouvance capitaliste (révolution culturelle en Chine par exemple). La révolution devient une espèce d'abstraction qui doit être incarnée, représentée, théâtralisée dans des aires considérées arriérées, comme ce fut le cas pour la phénomène guévariste en Bolivie.

 

Après 1968 on a une phase d'instabilité dans toute l'aire occidentale sans que cela n'affecte sérieusement le prolétariat. En 1973 se dessine la crise économique. Elle est en grande partie manipulée par les multinationales qui au  fond parviennent dans une certaine mesure à la faire fonctionner à leur profit. Cela n'empêche nullement la crise de continuer mais elle est en quelque sorte diluée. En outre le prolétariat intégré, déclassé ou réduit en nombre ne réagit en aucune façon.

 

Donc validité de la prévision en ce qui concerne le cours du capital, mais faillite en ce qui concerne le procès révolution.

 

En 1978, en tenant compte de cette donnée concernant la fin du procès révolution et en tentant de situer le mouvement de Mai-Juin 68 considéré comme étant le second ébranlement important du siècle, nous indiquions que le seul lieu où pouvait à nouveau s'effectuer une rupture d'équilibre importante ne pouvait être que l'URSS et les pays de l'Est et que cela consisterait un réajustement par rapport à la communauté capitaliste mondiale, mais que cela serait gros de débordements possibles.

 

Les évènements de cette fin d'année 1989 confirment la prévision. Il est clair qu'ils sont gros d'une déstabilisation totale de l'aire slave et même de l'aire occidentale, sans compter les contrecoups sur tous les pays ayant depuis peu accédé à la forme capitaliste de production.

 

Seulement étant donnée l'absence totale de mouvements réflexifs aptes à intervenir au sein d'une telle situation afin d'accélérer des processus et surtout aptes à favoriser un devenir à la communauté qui existe même s'il est faible dans toutes les rebellions actuelles, on ne peut rien escompter de positif.

 

Les hommes et les femmes de l'Europe de l'Est se trouvent dans une impasse: ils refusent l'ordre établi chez eux encore déterminé par une domination formelle du capital, mais ils ne veulent pas, pour la plupart, de la domination réelle prévalant en Occident. Il faut donc qu'ils aillent au-delà de l'immédiat.

 

Les évènements de 1989 ne constituent pas une révolution et n'en sont pas le prélude. On a une liquidation, et un vaste réajustement qui peut être gros de devenirs centrifuges dont celui que nous souhaitons, la sortie de ce monde, qui consiste en une dynamique qui n'a plus rien à voir avec la révolution.

 

En conséquence :

 

La mystification démocratique a enrayé puis détruit le mouvement révolutionnaire prolétarien.

 

- Pas de possibilité de greffer une convivialité humaine sur des apports techniques, scientifiques normalement développés dans la société capitaliste.

 

- Échec d'une phase internationale, phase d'union, de dépassement des limites nationales,  régionales, etc.

 

- Échec de la volonté d'accélérer un processus afin de pouvoir instaurer plus rapidement une société communiste.

 

- Échec en ce qui concerne la volonté de contrôler la violence, de la limiter. Échec qui reproduit celui de la révolution bourgeoise.

 

- Tout ceci montre également l'échec de l'intervention dans un procès en acte qui doit en définitive atteindre son accomplissement: la généralisation du mode de production capitaliste à l'échelle planétaire, ce qui est le moyen de généraliser la séparation totale de l'espèce vis-à-vis de la nature.

 

- La tentative de formation d'un parti-communauté découlant d'une lutte entre la majorité des hommes et des femmes exploités et dont les conditions de vie empirent lors des crises, et le pouvoir du capital représenté par les Etats, et surtout par les directions des différentes entreprises, les syndicats, etc., s'est révélé inactualisable. Ce fut le but de K. Marx, R. Luxembourg, A.Bordiga et le nôtre.

 

- Impossibilité d'une intervention tendant à réconcilier l'espèce et la nature quand on demeure au sein du procès. Tenter d'invertir le procès lui-même pour lui faire engendrer une réalisation autre que celle à laquelle il tend, nécessite une immense violence. Violence qui fut nécessaire pour domestiquer l'espèce.

 

- Depuis la fin des années 20 nous pouvons considérer que nous avons une dissolution du mouvement prolétarien qui permit la floraison de mouvements parcellaires comme le féminisme, divers courants artistiques: surréalisme et Internationale situationniste en sont les exemples les plus saillants, etc., qui autrefois étaient intégrés dans le mouvement révolutionnaire. Ils se présentèrent comme des substituts ou comme des mouvements devant réactualiser ou accélérer le phénomène révolutionnaire.

 

- L'hypothèse que les forces productives étaient devenues trop développées, que donc la société à l'échelle mondiale souffrait d'une surcapitalisation, n'a pas été prise sérieusement en considération et, surtout, il n'en pas été tiré les conclusions pratiques qui s'imposaient. Il ne suffisait pas de dire qu'il ne s'agissait plus de construire, mais de détruire, il fallait mettre en évidence que la thématique d'utiliser un développement des forces productives pour l'établissement d'une communauté humaine où la greffe d'apports techniques sur une communauté (le parti dans sa vaste détermination historique) en voie d'instauration, d'implantation n'était plus possible. Il ne pouvait plus y avoir une quelconque continuité entre les deux moments : capitalisme et communisme. Une discontinuité de plus vaste amplitude s'imposait désormais. En outre même si la crise pouvait en quelque sorte régénérer les potentialités révolutionnaires du prolétariat, opérer à partir de l'apport du capital qui recombinait tous les moments du procès de vie des hommes et des femmes ne pouvait que conduire à une régénération plus ou moins mystificatrice de sa domination.

 

- En ce qui concerne les intellectuels (artistes, littérateurs, scientifiques) il ne vivent, pour la plus grande majorité, que de l'immédiateté. Si celle-ci est révolutionnaire, ils le deviennent, si elle s'avère réactionnaire, ils défendent l'ordre établi. En général, ils servent d'intermédiaires d'intégration en rendant acceptables aux opprimés les diktats de la classe dominante ou de l'unité supérieure, en édulcorant pour les pouvoirs établis les revendications des révoltés. Ce faisant ils se présentèrent toujours comme si c'étaient eux qui avaient réellement engendré ce qu'ils exhibent.

 

Ne pas tenir compte de leur carnaval théorique grotesque est une brisure nécessaire avec la dépendance vis-à-vis d'un procès de connaissance qui fixe l'espèce sur des débats futiles et ridicules.

 

- L'apport théorique du mouvement prolétarien consiste, surtout à travers son expression la plus cohérente et la plus puissante: le marxisme, dans la mise en évidence de 1"importance de la prévision. Celle-ci se révèle encore essentielle dans la mesure où elle permet de maintenir la continuité entre les diverses générations qui s'opposèrent au capital et qui maintenant doivent tout simplement 1"abandonner. En effet elle a permis d'avoir une affirmation même en période de profonde réaction, et actuellement, alors que les conditions ont changé.

 

Dans l'étude théorique complète du capital, Marx envisagea le possible de l'intégration du prolétariat. Or ceci fut la plupart du temps refusé par ses successeurs au nom d'une vision moraliste, étant donné que l"intégration était considérée comme résultant d'une espèce de troc entre la rébellion des prolétaires contre une amélioration immédiate (et en définitive limitée) des conditions de vie, contre la sécurité. On ne peut pas nier que ce phénomène ait pu jouer un certain rôle mais, d'un point de vue général on doit considérer l'intégration du prolétariat comme un phénomène résultant d'un heurt entre les deux classes capitaliste et prolétarienne qui s'est conclu par la défaite de la seconde. Le mécanisme d'achat opérant surtout - sur la base de la mystification démocratique - pour conjurer en fait de nouveaux heurts.

 

Ainsi la non prise en considération du possible de l'intégration n'a pas permis de réellement prévoir le cours historique du capital pour la période post-1945. Cependant les éléments valables de la prévision de 1957 nous ont permis de comprendre ce qu'il advenait et, en intégrant la partie pour ainsi dire escamotée, de prévoir à notre tour cette phase de dissolution à laquelle nous sommes parvenus. Ainsi la prévision a bien permis de maintenir le lien entre les générations.

 

 

4. - Point d'arrivée du cycle de vie de Homo sapiens

 

Ce qui a en définitive permis a Homo sapiens de sortir de la nature, c'est le mouvement de la valeur. Celui-ci détermine tous les aspects de sa vie (il est remplacé maintenant par le mouvement du capital), tout particulièrement les fondements du procès de connaissance sont incompréhensibles si on n"étude pas ce mouvement.

 

Dit autrement: ce qui caractérise le devenir de Homo sapiens c'est la transformation de tout inné en acquis. Or l'acquis est discrétable, quantifiable et, surtout, il est substituable. Ces déterminations sont des réquisits fondamentaux pour une genèse et un développement de la valeur.

 

Si au départ cette dernière a permis souvent d'apporter des solutions "humaines" au sein de la phase de dissolution des communautés primitives, elle est devenue de plus en plus dominatrice et, avec le capital, au travers du procès d"anthropomorphose, il y a eu de plus en plus substitution des données extraites de l'espèce par des productions machiniques réification de celle-ci.

 

Hommes et femmes sont de plus en plus dépossédés de ce qui les faisait sapiens puisque toute la puissance du procès de connaissance est en dehors d'eux. Ils sont réduits à des particules sur lesquelles opère un procès qui est une combinatoire qui ne les privilégie en rien, car elle les met sur le même plan que les animaux, les végétaux ou les machines; et ce en dépit de la persistance du discours au sujet de la supériorité de Homo sapiens, persistance du fait que c'est le discours fondateur de l'advenue actuelle.

 

La fin du procès révolution, s'accompagne de celui de dissolution qui opère tant sur la dimension historique que sur la dimension actuelle de la communauté-société du capital. La dissolution se caractérise par la disparition des médiations, des classes, de telle sorte que l'antique antagonisme espèce-nature ne peut plus être occulté, escamoté. Autrement dit tout a été déblayé pour une vaste aurore et une bouleversante naissance.

 

Dissolution du corps de Homo sapiens parce qu'il abandonne tout rapport à la nature et tout effort: réduction de l'importance du système osseux, réduction de la puissance des dents et pas seulement de leur nombre (disparition de la fonction digestive par suite de la production d'aliments escamotant celle-ci); réduction de l'habileté manuelle, perte de capacités visuelles après celles olfactives et également auditives, blocage de la possibilité d'utiliser les puissances cérébrales par suite du triomphe d'abord de l`individu puis de la particule; or le cerveau est un organe communautaire; perte des capacités de défense d'abord au niveau de la communauté puis au niveau de l'individu (exemple paradigmatique : le développement du sida).

 

La dissolution atteint le niveau cellulaire avec la désorganisation de la cellule provoquant la séparation d'éléments qui s'étaient unis il y a plus d'un milliard d'années lors de la formation des cellules eucaryotes.

 

Ce faisant Homo sapiens devient une espèce inutile et dangereuse pour l'ensemble du procès de vie d'où la tendance à ce que celui-ci l'élimine au travers de l'activité des bactéries avec leurs auxiliaires les virus, les prions, etc. Nous parlons actuellement de l'humanité comme formant un tout parce qu'effectivement elle a été unifiée par le mouvement du capital, mais nous n'escamotons en rien que l'accession à ce tout est déterminé par un phénomène de classes: le triomphe de la classe capitaliste qui impliqua l'écrasement des divers mouvements prolétariens qui essayèrent d'enrayer un tel devenir. Par de là ces derniers nous avons également insisté sur l'importance de tous les courants qui refusèrent le devenir hors nature et la domestication. L'invariance que nous affirmons se fonde sur l'action de tous ces hommes et de toutes ces femmes que l'histoire officielle tend à occulter définitivement.

 

Il nous semble donc important que divers hommes et femmes actuels se sentent en dehors de ce "tout" parce qu'ils refusent le capital dans son devenir et dans son point d'arrivée. mais il ne suffit pas de se sentir étranger à ce tout, il faut rompre avec lui, créer la discontinuité et le schisme irrévocables.

 

Le cycle de vie de Homo sapiens se conclue avec une dégradation énorme de la biosphère. Depuis 3.000 ans, on a eu une désertification d'immenses aires (Sahara par exemple), réduction des sols à l'état de lithosols portant dans le meilleur des cas des forêts de Bonzaïs dans le pourtour méditerranéen, pour ne citer que quelques exemples. D'un point de vue géologique la phase d'expansion de cette espèce se révèle donc comme une catastrophe (rhéxistasie et disparition d'une multitude d'espèces).

 

 

5. - Esquisse d'un programme pour une régénération de la biosphère, phylum humano-féminin inclus

 

 

On n'a pas besoin d'attendre un moment précis pour qu'il soit mis en application. Il peut s'actualiser immédiatement mais à une échelle très limitée et même d`une façon non cohérente, non unitaire; pour qu'il se développe pleinement et permette ainsi la réalisation de l'objectif pour lequel il est avancé, il faut une convergence de diverses actions des hommes et des femmes opérant au sein du procès de dissolution actuel; ce qui implique un vaste effort de réflexivité tandis que ces actions ne peuvent voir le jour que s'il y a un vaste mouvement spontané, sur lequel ne s'exerce aucune inhibition issue d'une organisation quelconque prétendant vouloir régenter un processus.

 

En fonction de l'intégration du prolétariat, de 1'inopérabilité de la révolution communiste et en tenant compte qu'en définitive la dynamique révolutionnaire est fondamentalement une dynamique d`instauration du capital et qu'en conséquence toute rébellion frontale contre celui-ci ne peut que le renforcer, puisque c'est encore accepter ses présuppositions, nous avons affirmé dés 1974: il faut quitter ce monde. Il faut en fait opérer non seulement une rupture avec le capital mais avec tout le procès qui lui est antérieur et qui le fonde; en définitive avec tout le devenir de séparation d'avec la nature.

 

Rompre avec ce monde c'est rompre avec la dépendance.

 

Pour détruire la dépendance et accéder à la participation il faut qu'opèrent simultanément un vaste mouvement spontané de refus de ce qui est et un intense mouvement de réflexion qui se fonde dans tout le devenir du phylum Homo et dans celui de la vie en sa totalité. On retrouve d'une certaine façon la thématique de la formation du parti-communauté.

 

Ėtant donné le phénomène de dissolution en acte, il est évident que laisser se déployer un immense mouvement spontané aboutira à la floraison de toutes sortes de groupes, de rackets, comme de communautés réelles mais aux objectifs limités (par là menacées de devenir des rackets) qui tendront à s'autonomiser sur la base de données du passé (réaffleureront toutes sortes de possibles) ou du futur. I1 s`agira non de vouloir les détruire, les éliminer ce qui nous reconduirait dans la vieille thématique de la lutte de classe, de la fonction militaire du parti, et demeurerait sur le plan darwinien de la lutte pour l'existence, mais de constituer un intense pôle réflexif de communautés où s'épanouissent des relations de participation qui ne se limitent pas à ces dernières mais concernent le cosmos entier. La communauté pouvant être dans certains cas un opérateur de participation â ce dernier.

 

Les mesures du programme sont déterminées par tout le devenir antérieur et par le fait que la planète terre est un être vivant et que, au niveau continental où l'espèce accomplit son cycle de vie, on constate que le sol naît à partir de la croûte en rapport avec la lithosphère mais qu'ensuite il protège cette dernière de l'érosion qui pourrait amener des déséquilibres, qu'ensuite la végétation et toutes les biocénoses vivent grâce au sol et que c'est la végétation qui protège le sol contre les effets mécaniques de la pluie ou du vent, et limite les variations climatiques; en outre nous sommes d'accord avec ceux qui considèrent que les bactéries constituent comme un immense cerveau tendant à régulariser tous les phénomènes rendant la vie possible à la surface du globe.

 

En tenant compte qu'il y a accélération du phénomène de séparation vis-à-vis de la nature avec la pratique de l'élevage et de 1'agriculture, nous pouvons dire qu`il a fallu 10.000 ans pour produire la situation actuelle caractérisée par une surpopulation humaine et une destruction de la biosphère et même de la croûte continentale. En conséquence le programme doit porter au minimum sur plusieurs siècles. I1 comporte obligatoirement des mesures immédiates et limitées dans le temps et des mesures qui doivent être également immédiates mais qui pourront s'effectuer sur un laps de temps plus ou moins long, comme par exemple la réduction du nombre de la population.

 

Abandon de pratiques absolument néfastes que nous indiquerons dans 1"ordre de l"advenue historique. Tout d'abord le feu, qui doit être ramené à la dimension d'un outil utilisable qu'en cas de nécessité lors de la réalisation de certains procès de production. Brûler toute substance organique devra apparaître comme un acte criminel. La chasse et la pêche ne devront plus être pratiquées également. En revanche si l'abandon du gros élevage (vaches, moutons, chèvres, etc..) peut s'actualiser rapidement, il n'en est pas de même du petit élevage (animaux de basse-cour) à plus forte raison de l'agriculture car cela nécessite, dans ce dernier cas, une diminution du nombre des hommes et des femmes et une régénération de la nature.

 

Cessation immédiate de constructions de routes, autoroutes, aérodromes, ports, villes.

 

Réduction draconienne de la circulation automobile (fin de la privatisation), aérienne, maritime (tout particulièrement la navigation de plaisance qui constitue un immense fléau pour les fonds côtiers), recherche de nouveaux moyens de locomotion, tout en recourant de façon de plus en plus fréquente à une locomotion par nos propres moyens physiologiques.

 

Abolition du tourisme, forme la plus élaborée de la destruction des hommes, des femmes et de la nature. Abolition de la pratique du sport qui est pratique de l'absurde, forme théâtrale de la concurrence capitaliste et support fondamental de la publicité.

 

Interdiction[1] de toute construction dans les zones d'interface, c'est-à-dire à la limite de deux milieux, car c'est là que la biosphère est à la fois fragile et déploie une activité intense: bord de mer, rives des fleuves (de part et d'autre du fleuve doivent exister des zones libres où l'eau peut s"accumuler servant à la régularisation du débit de celui-ci et où des biocénoses peuvent s`installer), en haute montagne particulièrement à la limite forêt pelouse alpine.

 

Arrêt de la construction d'édifices exaltant le pouvoir de domination ou les spectacles, les deux étant intimement liés: églises, mosquées, temples, théâtres, cinémas, stades, casernes, écoles depuis le stade primaire jusqu'à l'université.

 

Arrêt d'émissions d'ondes de toutes sortes dans 1'atmosphère ont on ne s'est jamais préoccupé de savoir quel impact elles pourraient avoir sur les êtres vivants; arrêt également de 1'éclairage nocturne.

 

Arrêt de production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire; recherche d'une production très locale avec: utilisation de phénomènes naturels, ceci afin d'éviter la pollution électrique; le tout doit être couplé avec la recherche de nouvelles formes d'énergie.

 

Recyclage de tous les déchets - ceux organiques pouvant servir de compost - tandis que ceux nucléaires demanderont d'effectuer de puissantes recherches en contact avec les phénomènes vivants, tout particulièrement les bactéries afin de pouvoir les éliminer.

 

Abandon de toute vivisection et expérimentation sur les êtres vivants, et même de la dissection d'animaux élevés et tués en vue d'une telle pratique. Nécessité de rechercher d'autres moyens d'investigation du monde vivant, en tâchant de participer à celui-ci.

 

Construction de maisons de type biotique faisant corps avec la nature et ne s'opposant pas aux divers flux traversant celle-ci. L'utilisation de la terre en tant que matériau de construction ne semble pas du tout appropriée dans la mesure où il faut impérativement régénérer les sols. Dans ce cas également des recherches seront nécessaires pour trouver d'autres matériaux.



 

Reforestation impérieuse dans toutes les zones du globe. Elle ne doit pas simplement consister à planter des arbres, mais également toutes les espèces du sous-bois. Ceci implique simultanément de cesser de prélever, dans la mesure du possible, quoi que ce soit dans 1'écosystème forêt. Il faut en particulier cesser de ramasser les champignons qui ont un rôle fondamental au sein du super-être vivant qu'est la forêt. En outre il ne faut pas que l'arbre soit considéré comme un instrument pour lutter contre 1'érosion, le réchauffement climatique, etc., mais en tant que compagnon participant à une même œuvre : restaurer un milieu favorable à toutes les formes de vie

.

Tout ce programme n'aura aucune chance de se réaliser si ne se manifeste pas une autre espèce dont le comportement vis-à-vis de la nature sera en rupture totale avec celui de Homo sapiens. Elle sera en continuité avec tout 1e inonde vivant, ce qui implique qu'il n'y ait plus de coupure monde inerte - monde vivant, intériorité-extériorité.

 

L'émergence de cette nouvelle espèce dépend de la rupture d'avec ce monde. Ceux et celles convaincus d'une telle nécessité se regrouperont en communautés liées à la nature où la continuité prévaudra, de là l"importance du toucher, et où aura été aboli le problème du pouvoir en tant que phénomène de positionnement et de domination. Il y aura la pleine participation qui abolit toutes limites tout en permettant à l'individualité de s'affirmer en tant que floraison de la communauté et de l'espèce. Cette dernière se manifeste en tant que communauté intégrante mais qui n'est pas rigide puisqu'il y a continuité avec tout le monde vivant.

 

Il n'y aura pas de démocratie, de théâtre, de religion, de thérapeutique (qui ne se limite pas à la médecine) et donc pas d'art mais exaltation de la dimension esthétique de l'espèce qui est sa capacité de jouir des diverses formes de manifestation du cosmos et de se les représenter, en tenant compte que chaque génération est apte à le faire et qu'il n'y a pas besoin d'une fixation d'œuvres quelconques ce qui régénère la dynamique du pouvoir.

 

La continuité, le toucher se vérifient dans le fait que les générations vivront à nouveau de façon non séparée, non éclatée. Il n'y aura pas d'éducateurs spécialisés; c'est l'ensemble d'une ou de deux générations qui transmet la totalité du corpus de l'espèce à la suivante. Le procès de connaissance n'est plus séparé et ne fonctionne plus en tant qu'opérateur de justification pour l'espèce, pour un groupe déterminé ou pour un individu, réduit actuellement à une particule dont le contenu existentiel est déterminé par les flux du marché et par la publicité.

 

La continuité s'affirme également grâce à la sécrétion d'une technique non distanciatrice, comme ce fut le cas au début du développement d'Homo sapiens. Pour cela beaucoup de produits qui ont été mis au point au cours du cycle de vie de ce dernier et qui sont érigés à l'heure actuelle au rang de puissances dominatrices seront ramenées au stade d'outils au service de l'espèce.

 

Il n'y a plus de division du travail. Celui-ci d'ailleurs disparaît, remplacé par l'activité où ne peuvent pas se polariser des moments d'oisiveté, de loisir, de divertissement et des moments d'effort intense, considérés actuellement comme étant consubstantiels au travail. Chaque homme, chaque femme étant à la fois individualité et Gemeinwesen s'affronte à la totalité du procès de vie de l'espèce qu'il doit effectuer. Il ne le fait pas seul mais en participant avec tous les membres de la communauté où il se trouve. Cela veut dire que toute individualité fonctionne en utilisant un cerveau communautaire qui est le sien en participation avec ceux des autres membres ainsi qu'avec celui de la communauté, de l'espèce. Enfin dans la mesure où hommes et femmes se seront remis en continuité avec la nature, ils pourront opérer en participation avec toutes les facultés de tous les êtres vivants. Cette perspective découle de la présupposition essentielle que c'est au travers de notre espèce que l'ensemble de la biosphère accède à la réflexivité qui ne pourra pas se réaliser tant qu'il y aura discontinuité entre elle et la nature.

 

L'élimination de la division du travail sera d'autant plus facilement réalisable que, d'une part le procès de connaissance pourra être considérablement réduit puisqu'il n'y aura plus besoin de droit, d'économie politique et toutes les disciplines qui leur sont redondantes et que d'autre part une foule d'activités totalement inutiles pour l'espèce seront immédiatement éliminées.

 

Enfin les capacités cognitives de 1"espèce seront accrues puisque tout membre de celle-ci ne pensera plus uniquement avec son cerveau séparé et spécialisé en des fonctions diverses (intellectuelles, esthétiques, affectives etc.). Ètant donnée la remise en continuité avec le monde vivant, il n'y aura plus de hiatus entre activité intellectuelle (actuellement privilégiée) et activité affective. La faculté de perception sera immensément accrue à cause du comportement de participation. À la place de la pensée linéaire actuelle se déploiera une pensée rayonnante et participante.

 

La réalisation de toutes ces mesures dépendra fondamentalement du mode de réalisation de la communauté en liaison avec la nature. Ce sont les rapports affectifs - qui opèrent actuellement de façon séparée, ce qui ne sera plus le cas ultérieurement - qui seront déterminants et non une quelconque dynamique de production ou d'organisation. En outre l'articulation de ces diverses mesures se fera en fonction du mode de dissolution de la communauté-société du capital dans les diverses zones géographiques. L'émergence de la nouvelle espèce connaîtra diverses modalités.

 

La réussite de toutes ces actions dans une grande mesure, surtout au niveau final - dépend de la réduction du nombre de la population humaine au moins à 500 millions et à un repli de celle-ci dans des zones â climat doux ne nécessitant donc pas la production d'un grand nombre de prothèses. La reconstitution de vastes espaces naturels, permettra non seulement aux êtres vivants de pouvoir se multiplier et se diversifier, mais aux hommes et aux femmes de pouvoir voyager, errer, retrouver l'aventure initiatique.

 

Dans une telle perspective le problème de la "conquête de l' espace" ne se pose plus; l'urgence de trouver d'autres planètes afin d'y déverser une surpopulation s'évanouira. En revanche 1"exploration du système solaire, de la galaxie, s'effectuera mais en se fondant sur d'autres considérations que celles actuelles.

 

L`émergence d"Homo Gemeinwesen se fera avec une rééquilibration des diverses fonctions vitales: nutrition, reproduction, représentation. À l'heure actuelle, la première, par exemple, tend à être réduite à zéro (alimentation concentrée et chimique) ce qui aura des conséquences extrêmement néfastes tant sur le développement global du squelette, sur les fonctions psychiques que sur 1'activité de la population bactérienne vivant en symbiose dans nos intestins et assurant en fait la plus grande partie de la digestion ainsi que la production de substances éminemment utiles comme la vitamine B 12. Dans un environnement leur devenant hostile, les bactéries deviendront probablement parasites, ce qui entraînera le surgissement d'une foule de maladies nouvelles. La rééquilibration concerne également les rapports entre les divers organes des sens et entre ceux-ci et l'encéphale.

 

Ce phénomène atteindra son acmé avec l'inversion de la tendance que connut Homo sapiens de transformer tout inné en acquis. La récupération de l'inné signifiera la rêimmersion profonde dans la nature et la mise en continuité avec tout le monde vivant, sans la perte de la réflexivité qui trouvera alors un plein épanouissement parce qu'elle ne se produira plus uniquement pour Homo mais pour tous les êtres vivants.

 

Au niveau de chaque être humain, féminin devra se réaliser le possible de la totalité en tant qu'unité, de la totalité en tant que multiplicité et celui de l'individualité. Ce n'est qu'ainsi qu'une quelconque forme d'Ètat deviendra absolument impossible et que toute partition démocratique mutilante et mutileuse s'évanouira.

 

Le devenir de Homo sapiens fut un devenir de séparation, celui de Homo Gemeinwesen est d'union. Celle-ci peut opérer dés maintenant entre tous les groupements qui tendent à quitter ce monde et à se constituer en communautés. L'union se fait aussi avec les êtres vivants qui nous aideront à éliminer toutes les scories du développement antérieur. Nous ne sommes pas seuls. L'absence de solitude fonde la certitude.


 


 


CAMATTE    Jacques


19 Décembre 1989

 


 

 



[1] Il aurait mieux valu écrire Cessation, car interdire évoque et appelle inévitablement la répression, fondement de toutes les sociétés (note de 2008).




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