ÉPILOGUE
AU
MANIFESTE
DU PARTI COMMUNISTE l848
Prémisses
Avant
tout, il nous faut délimiter le domaine de validité de
ce que nous exposons dans le texte qui suit.
l.
Ιl
recèle une certaine ambiguïté parce
que, d’une part, il relève
de la rubrique Gloses en marge d’une
réalité dans la mesure où
il s’agit de ce monde en
place, et parce que,
d’autre part, il se préoccupe d’une dynamique de sortie de celui-ci
puisqu’il
se propose de préciser la situation de notre phylum actuel qui est issu du mouvement dont le Manifeste
du Parti
Communiste de l848 témoigna l’existence de façon éclatante.
2.
L’exposé concernant les évènements
actuels présupposerait une étude en profondeur des
diverses formes
phénoménologiques du capital. Elle est en cours d’exécution
afin de pouvoir rédiger le chapitre Le capital
pour Émergence de
Homo Gemeinwesen, mais elle n’a
pas été portée à bout. Ιl
est donc clair que nous serons
amenés à apporter des modifications, des retouches à ce que nous
avançons ici,
une fois que cette étude
aura été
achevée.
Cet
exposé réclamerait également une analyse des divers
mouvements qui s’opposèrent au
devenir du
capital particulièrement au cours de ce siècle et ce jusqu’à la phase
finale de
la disparition quasi totale de toute organisation révolutionnaire. Ceci
sera effectué
dans le chapitre « Les réactions au devenir du capital »[1].
3.
Le texte que nous présentons est le résultat d’une
synthèse de divers travaux parus dans Invariance depuis 1972[2]
en même temps qu’il
est une explicitation et un développement de certaines affirmations
effectuées
dans Émergence
et dissolution, n° Spécial de décembre l989.
Qu’est
ce qui est posé dans le Manifeste du Parti Communiste de
l848?
Ιl
nous faut cerner ce que K. Marx et
F. Engels
et, à travers eux, toute une génération d’opposants au
devenir du
capital, ont proposé dans ce Manifeste afin de déterminer la
discontinuité qu’ils ont pu
dévoiler, revendiquer. Pour cela
extrayons du Manifeste les
affirmations qui nous semblent essentielles.
l.
« Un spectre hante l’Europe : le spectre du
communisme. »
Les
communistes doivent opposer « au conte du spectre communiste
un Manifeste
du Parti lui-même. », éd. Sociales,
1962,
p. 20.
Ceci implique que le communisme en tant
que représentation
ainsi que le
parti
existent déjà en 1848. En ce qui concerne ce dernier, on doit
le considérer dans sa dimension historique plus que dans sa dimension formelle. Quant
au communisme nous
essaierons de déterminer
en quoi le Manifeste
expose une représentation
nouvelle.
2.
« L’histoire de toute
société
jusqu’à nos jours
n’a été que l’histoire de luttes de classes. »
p. 2l.
Suit un exposé rapide de
celle-ci, une présentation
de la Bourgeoisie, puis une caractérisation de l’État
représentatif moderne :
« Le gouvernement
moderne
n’est
qu’un comité
qui gère les affaires communes
de la classe
bourgeoise toute
entière. » p.
24.
3.
« La bourgeoisie
a joué dans l’histoire un
rôle éminemment
révolutionnaire. » p.
24.
Elle a
une action
profanatrice en faisant
triompher partout les mécanismes mercantiles,
en génénéralisant le
salariat.
« La bourgeoisie ne peut
exister sans révolutionner constamment
les instruments de production, donc les rapports de production, donc
les rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien
mode de production
était,
au contraire, pour toutes les classes
industrielles antérieures, la condition première de leur
existence. Le bouleversement
continuel de la
production,
le constant ébranlement de
toutes
les conditions
sociales,
l’insécurité et le mouvement perpétuel
distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. »
(p. 25).
La
bourgeoisie est donc
liée
au procès
révolution.
4.
Ιl
y a une relation entre le développement de la bourgeoisie
et l’extension du marché mondial d’où un caractère cosmopolite de la production
et de la consommation,
ce qui provoque la perte
de bases nationales, la tendance
à éliminer la nation. En effet
le mouvement de dépassement
de l’étroitesse et de l’isolement conduit à
engendrer
« une interdépendance universelle des nations. »
(p. 26).
5.
La bourgeoisie
a soumis la campagne à la ville. Ceci
est présenté comme un fait positif parce
que la
vie des
champs
abrutit et qu’il y
a une étroitesse des paysans, etc.
Cette
affirmation est en continuité avec
ce que pose la représentation bourgeoise.
6.
« ... les moyens de production et d’échange,
sur la
base desquels s’est édifiée
la bourgeoisie, furent créés
à l’intérieur de la société féodale. »
(p. 28).
On
aura un
phénomène analogue pour le mode de production qui doit
succéder à celui actuel
(il n’est
pas parlé de
capitalisme).
« Depuis des dizaines d’années,
l’histoire de l’industrie et du commerce n’est autre chose
que l’histoire de la révolte des forces
productives modernes contre les rapports modernes de production, contre
le
régime de propriété qui conditionne l’existence
de la bourgeoisie et
sa domination. » (p. 28).
D’où
le
problème des
crises qui « menacent de plus en plus l’existence de la
société
bourgeoise. » (p. 28).
« Le
système bourgeois est devenu trop étroit pour
contenir les richesses créées dans son sein. » (p. 29).
« Les
armes dont la bourgeoisie s’est servi
pour abattre la féodalité
se retournent contre la bourgeoisie elle-même. »
(p. 29).
Cette
dernière affirmation a justifié ultérieurement une théorie du passage
pacifique
du capitalisme au socialisme. Cela n’empêche
pas
qu’elle contienne une certaine véracité en ce sens qu’effectivement
le développement du capital a éliminé la bourgeoisie.
Ici
s’affirme un principe de continuité entre ce que réalisa
la bourgeoisie et ce que devra réaliser le prolétariat. Ceci est dû au fait que l’on raisonne sur le
développement des forces productives et
que
le passage du « système bourgeois » au communisme est
envisagé en
tant que problème de propriété. Bien qu’il y ait une ambiguïté
à ce sujet. « L’abolition
des rapports de propriété qui ont existé jusqu’ici
n’est pas le caractère distinctif du communisme. »
(p. 38).
« En
ce sens les communistes peuvent résumer leur
théorie dans cette formule unique : aboliton
de
la propriété privée. » (p. 38). Mais dans ce cas
cette dernière
désigne le « mode de production et d’appropriation basé sur
des
antagonismes de classe. » (p. 38).
Ce
qui explique l’affirmation précédente : « Ce
qui caractérise le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété
en général,
mais l’abolition de la propriété bourgeoise. » (p. 38).
« La
révolution communiste est la rupture la plus
radicale avec le régime traditionnel de propriété. » (p. 45).
Cette
importance accordée au phénomène de la propriété fait que la solution
proposée,
le communisme, est déterminée par celle-ci
car
cela implique la mise en commun, autrement dit la reconstition
d’un tout à partir des composants séparés. La
communauté qui implique la préexistence du tout, n’est pas posée.
7.
« Elle [la
bourgeoisie, n.d.r.] ne peut plus
régner, parce qu’elle est incapable d’assurer
l’existence
de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu’elle est
obligée de le
laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu de se faire
nourrir par
lui. » (p. 35).
La
bourgeoisie aurait donc déjà épuisé ses possiblités.
À relier avec le fait que la
bourgeoisie peut être éliminée par le mouvement des forces productives c’est-à-dire par le capital.
Marx
et
Engels visent le
développement du paupérisme. Ceci se vérifie à l’heure actuelle avec
l’accroissement
énorme du nombre de chômeurs ce qui fait qu’on a un autre
prolétariat
qui vit aux dépens de la société comme celui de l’antiquité :
développement de
l’assistanat, de la dépendance. On doit tenir compte aussi que le
système
capitaliste peut les abandonner totalement, les sacrifier, sans avoir
besoin de
passer par la guerre.
Nous
devons noter l’ambiguïté
: on reste encore sur le vieux terrain de l’économie
politique :
problème de la richesse comme dans la citation précédente. Cependant le
protagoniste réel tend à être individualisé : « L’existence
et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle
l’accumulation
de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l’accroissement du
capital. » (p. 35).
Le
développement économique est perçu comme se faisant en faveur
d’une classe et, réciproquement, le développement de la classe
bourgeoise
permet celui du capital.
8.
« … la société
a trop de civilisation, trop de moyen de subsistance,
trop d’industrie, trop de commerce. » (p. 29).
Ceci
est important pour le débat ultérieur sur la nécessité
d’un développement des forces productives pour que la révolution communiste soit possible.
On
doit ajouter qu’ici s’exprime
une anticipation. En effet ceci ne sera pleinement
effectif que bien
plus tard à l’échelle mondiale. En outre ce sur-développement
n’était perçu que par une infime minorité. Les
auteurs du Manifeste eux-mêmes ne
restèrent pas au niveau de ce qui apparait
donc
comme un anticipation mais qui, intégré dans le devenir total de
l’espèce, se
présente en fait comme un
simple
diagnostic.
Cependant
cette situation n’est valable qu’en Europe
occidentale
où la situation est donc mûre pour la révolution communiste. D’où la
question :
le reste du monde ne risque-t-il pas d’asphyxier la nouvelle société
qui
pourrait surgir d’une telle
révolution ? Elle sera effectivement posée par Marx dans le début des années 50.
9.
« Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les
armes qui la mettront à mort : elle a produit aussi les hommes
qui
manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires. »
(p.
29).
Cette
affirmation doit être mise en relation avec cette autre :
« la condition d’existence du capital, c’est le
salariat. » (p. 35).
Ensuite
est indiqué qui est le véritable producteur de ces hommes :
« À mesure que grandit la
bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe aussi le
prolétariat, la
classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu’à la condition de trouver
du
travail et qui n’en trouvent que si leur travail
accroît le capital. » (p. 29).
Toutefois
il y a déjà perception d’une certaine limite. « Ιl
[le travailleur, n.d.r.] devient un simple
accessoire de la machine de qui on ne réclame que l’opération (Handgriff)
la
plus simple, la plus monotone ainsi que la plus facile à
apprendre. » (p.
29).
« Moins le travail exige d’habileté et de force,
c’est-à-dire plus
l’industrie
moderne progresse,
et plus le travail des
hommes est supplanté par celui des
femmes
et des enfants. »
(p. 30).
Ceci fut la phase
en domination formelle du capital sur
la société.
De nos jours il y
a une
substitution
plus
radicale avec
l’invasion des
robots, ce qui réalise
l’automation que Marx
lui-même
analysa[3].
On
doit mettre ceci
en corrélation avec
la caractéristique fondamentale
du capital : « Le capital
est un produit de nature communautaire (gemeinschaftliches)
et ne peut
être donc
mis
en mouvement que par l’activité
commune
de beaucoup de membres, et même, en dernière analyse,
que par l’activité
commune
de tous
les membres
de la société. »
(p. 39).
Ici se trouve en germe la formulation théorique que nous
proposâmes
dans
les années
70 concernant la classe universelle. On la retrouve également
dans
cette autre affirmation : « Le mouvement
prolétarien
est le mouvement spontané
de l’immense majorité
au profit de l’immense
majorité. »
(p. 34).
« Le capital
n’est donc
pas une puissance personnelle,
mais une puissance sociale. »
(p. 39).
10.
« Cette organisation du prolétariat
en classe,
et donc en parti politique,
est sans
cesse détruite par la
concurrence que se font
les ouvriers entre
eux. » (p. 32).
On
doit noter que ce qui est
posé en premier c’est le
communisme
et le parti communiste, ce qui montre bien l’importance
de cette forme d’organisation[4].
11.
« De toutes
les classes
qui, à
l’heure actuelle, s’opposent
à la bourgeoisie, le prolétariat
seul est
une classe vraiment révolutionnaire. »
(p. 33).
12.
« Les
prolétaires n’ont rien à sauvegarder
qui leur appartienne : ils ont
à détruire toute garantie,
toute sécurité
antérieur. » (p. 34).
« Les ouvriers n’ont pas de
patrie.
On ne peut
leur ravir ce
qu’ils n’ont pas. »
13.
« Les
communistes
ne se distinguent
des autres partis prolétariens que dans
la mesure
où, d’une part, dans les différentes luttes
nationales, ils mettent
en avant et font
valoir
les intérêts communs au prolétariat et indépendants de la nationalité et où,
d’autre part,
dans
les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent
toujours
les intérêts
du mouvement dans
sa totalité. »
(p. 37).
Pour effectuer cela
il faut un acte de réflexivité qui n’est pas
possible sans l’existence du parti, base médiatrice et référentielle.
Ceci est en relation avec
le dépassement de
l’opposition national
international et en rapport également
avec la citation précédente ainsi qu’avec
l’injonction : « Prolétaires
de tous
les pays unissez-vous. ».
Cela nous conduit à insister à nouveau sur la dimension
anticipatrice, dans la mesure οù
le
phénomène national était au début de son affirmation à l’échelle
mondiale.
14.
« Les conceptions théoriques des communistes
ne reposent nullement sur
des idées, des principes inventés οu
découverts par tel οu
tel réformateur du monde.
« Elles
ne sont que l’expression générale des
conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement
historique
qui s’opère sous nos yeux. » (p. 38).
« La
révolution communiste est la rupture la plus
radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si dans le cours de son
développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées
traditionnelles. » (p. 45).
Mais
il a été indiqué que la révolution bourgeoise a opéré
de même. Ιl
n’y a pas de prise de position bien
définie vis-à-vis des vérités éternelles si ce n’est l’affirmation d’un relativisme historique.
Cependant il y a
tout de même une rupture nette avec les représentations antérieures,
avec le
rejet de l’individualisme et du culte des grands hommes.
15.
« Est-il besoin d"une
grande perspicacité pour comprendre que les idées, les
conceptions et
les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout
changement
survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur
existence
sociale.
Que
démontre l’histoire des idées, si ce n’est
que la production intellectuelle se
transforme avec la production matérielle ? Les idées
dominantes d’une
époque n’ont jamais été que les idées de la classe
dominante. » (p. 44).
16.
« Le prolétariat se servira de sa suprématie
politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie,
pour
centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat, c’est-à-dire du prolétariat
organisé en
classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces
productives. » (p. 45).
Cette
dernière mesure programmatique est un peu en contradiction
avec ce qui est rapporté en 8. Elle servira de justification à la
théorie de la
construction du socialisme. En outre la révolution est conçue comme un
phénomène
d’appropriation et c’est donc la propriété qui est placée au premier
plan.
17.
« Si le prolétariat, dans sa lutte contre la
bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s’il s’érige par une
révolution
en classe dominante et, comme classe dominante, détruit par la violence l’ancien régime de production,
les
conditions de l’antagonisme
des classes,
il détruit les classes en général et, par là même,
sa propre domination comme classe. » (p. 46).
« ...
la première étape dans la révolution ouvrière est la
constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. »
(p. 45).
« Comme le
prolétariat de chaque pays
doit en premier lieu conquérir le
pouvoir
politique, s’ériger en classe dominante de la nation,
devenir lui-même la nation,
il est encore par là national,
quoique nullement au sens
bourgeois du mot. »
(p. 43).
Ιl
est évident que la
conquête du
pouvoir politique peut aller de pair avec la conquête
de la démocratie. Ceci
est en contradiction
avec ce qui est
affirmé dans les oeuvres
de jeunesse
de Marx au
sujet de
l’émancipation
radicale ainsi qu’avec
le dépassement de la démocratie,
mais en continuité avec
l’affirmation que la révolution communiste
est une révolution politique à âme sociale.
Ici on peut dire
que le
mouvement réel
du prolétariat a réalisé les objectifs
du Manifeste :
le prolétariat est bien
devenu
classe
dominante, la nation, mais
ce fut le moment du passage
de la domination formelle du capital
sur la
société
à sa domination réelle.
18.
« A la place
de l’ancienne société
bourgeoise,
avec ses
classes
et ses antagonismes
de classes,
surgit une association οù
le libre développement
de chacun est la condition du libre développement de
tous. » (p. 46).
S’il
y a
association c’est qu’il y a réunion, le mouvement
se fait
donc à partir de ce qui fut
séparé,
ce qui encore
une fois escamote la
communauté. En outre, il n’y
a pas dépassement du concept
de liberté, alors qu’ailleurs Marx
montrera quel est
son véritable
contenu
capitaliste (il est lié au
phénomène de séparation)
et dénoncera son contenu mystificateur.
Le
devenir au communisme est conçu au travers
de deux
mouvements contigus : le
mouvement social-économique en rapport à celui des forces
productives et un mouvement individuel (les
révolutionnaires voulaient
se défendre contre l’accusation
de vouloir sacrifier les
individus) : « toute la production étant
concentrée dans
les mains
des individus associés. »
(p. 46). Or
il faut concevoir
un mouvement global,
unitaire et en
liaison avec
la nature.
19.
Le Manifeste
expose
un programme
immédiat,
c’est-à-dire un ensemble de mesures
à prendre immédiatement
après la
prise du pοuvoir. Le
programme prit de plus
en plus d’importance par la suite au sein du mouvement prolétarien. C’est donc
surtout
l’existence même d’un programme
qu’il s’agit
donc de
noter
plutôt que son contenu. On constate
que ce
dernier est déterminé par le
problème de la propriété. Encore une fois
c’est compatible avec le concept de
communisme, mais
c’est insuffisant. Régler le
problème
de la propriété implique la nécessité
d’un Etat et d’un pouvoir politique qui, ici,
sera le « pouvoir organisé d’une
classe »
pour détruire les
« conditions de
l’antagonisme des
classes »,
ce qui permettra
au prolétariat de détruire
« sa propre domination de classe. »
(p. 46).
En
conclusion :
vision d’une révolution immédiate, ce
qui explique un certain escamotage
de la puissance des forces féodales et une analyse des antagonismes
de classes
qui ne tient compte
que de
deux,
donc escamotage
de celle
des propriétaires fonciers.
On a là une anticipation
sur un
devenir.
On doit
noter que la bourgeoisie
n’est au pouvoir que depuis quelques années
(Pays-Bas, Angleterre, France
surtout) et que donc le mouvement du
capital qu’elle impulse est seulement à son début. Autrement dit la
bourgeoisie
aurait accompli sa mission : assurer un essor des forces productives en
brisant
les divers verrous qui s’opposaient à celui-ci. Mais elle le fait au
travers d’une
nouvelle forme d’exploitation des hommes et des femmes. Ιl
faut que le prolétariat mette ces forces productives au service de
l’humanité. C’est dans la
fin de l’exploitation que s’exprime en
définitive la discontinuité
fondamentale que le Manifeste
expose.
Ceci, lié à l’affirmation que les conditions de vie matérielle des
hommes et
des femmes conditionnent tous les aspects de leur vie, fonde la
justification
de la révolution, sa nécessité, ainsi que la solution aux diverses
questions
posées par la philosophie, la politique, l’économie, etc.
Ce
rapport aux forces productives permet de comprendre
pourquoi y a-t-il importance de la propriété et qu’il soit encore fait
mention
de la richesse. Cela exprime bien le caractère de révolution devant se
dérouler
au sein de la phase de domination formelle du capital sur la
société : le
capital est encore possédé par les hommes, la classe est déterminante, etc.
Le
moment historique décrit par le Manifeste
est celui οù il y a
contestation pour la direction du développement des forces productives. La dissolution du
féodalisme due
justement à ces dernières pose deux possibilités : domination
bourgeoise
avec prolongement de l’exploitation ; domination prolétarienne
et fin de
cette dernière.
Cela
explique aussi que ce qui succède à la société
bourgeoise est décrit en grande partie à partir du pôle de
l’individualité.
Le
procès historique de l848 à l945 : période de
la révolution communiste en domination formelle du capital sur la
société.
De
l’analyse du contenu du Manifeste
il ressort qu’il s’y affirme
une certaine anticipation due au phénomène révolutionnaire en acte dans
toute l’Europe
et qui allait atteindre son paroxysme au cours de la même année dans la
plus
grande partie de ce continent. Le prolétariat y est posé en tant que
classe
devant résoudre le problème de la dissolution de la société féodale οu,
tout plus, ceux liés à l’affirmation d’une
société
bourgeoise très récente : domination formelle du capital. Ιl
est présenté en tant qu’antagoniste de la bourgeoisie pour diriger la
société
dans une autre voie que celle de l’exploitation, pour contrôler le
développement des forces productives. De ce fait on a en quelque sorte escamotage de certaines questions
tout particulièrement
celle de la lutte contre les résidus du féodalisme, celle des nations.
En outre
le Manifeste ne concerne que
l’Europe
avec, tout au plus, sa transcroissance :
les USA.
Si
le
thème fondamental du Manifeste est
celui de la lutte des classes, son corollaire est la nécessité de
l’union de la
classe prolétarienne pour surmonter la concurrence qu’impose le
mouvement du
capital. Le parti apparait comme
l’organe
essentiel exprimant et favorisant cette union et l’on doit noter qu’il
est
considéré en 1848 comme un parti mondial (du monde où le capital se
développe
activement). La question de l’Internationale ne se pose pas. En outre
il n’y a
pas de dichotomie entre un but maximum : le communisme,
un but minimum : l’amélioration des conditions de
vie des prolétaires qui
implique la lutte
contre l’exploitation par la classe bourgeoise. Le mouvement
d’unification se
fait par le refus de la concurrence, la résistance aux pressions de la
classe
adverse et donc au travers de la formation du parti. On trouve à la fin
du Μanifeste
l’exposé
d’un programme
immédiat, minimum, certes, mais il n’est pas posé séparément du but
final qui
pourrait être inclus dans un programme maximum. Donc, encore une fois,
il n’y a
aucune dichotomie telle que celle que soulèvera Bernstein
entre le but et le mouvement. C’est pourquoi est-ce en
1848 que se
manifeste le maximum du
potentiel
révolutionnaire de la classe.
Pour
comprendre le fait que le mouvement prolétarien au travers des divers
groupements réflexifs qu’il
produisit ne
demeura pas au niveau de cette anticipation et qu’il ne la déploya pas,
en dehors
de quelques approches, travaux isolés, il nous faut tenir compte de
divers
phénomènes : la répression, l’émigration,
la concurrence, la dynamique même du capital (problème de l’égalisation
du taux
de profit – rapport à
l’instauration d’unités capitalistes
dans des zones
extérieures à l’Europe) qui entretient la concurrence
entre les prolétaires à l’échelle mondiale, épuisement dans une lutte
contre
les restes de féodalisme d’où la revalorisation du nationalisme,
de la démocratie entraînant la perte des limites
entre bourgeoisie et prolétariat, et la disparition de toute
possibilité de se
poser en tant qu’alternative. Enfin, et ceci est lié étroitement avec
tout ce
qui précède, l’influence de la science et de la culture dans son ample
acceptation
qui, posées en tant qu’invariants valables pour tous les temps (au
moins, en ce
qui concerne la première, à partir de son émergence posée comme une
nécessité
inéluctable pour le devenir humain) et pour toutes les femmes et tous
les
hommes, inhibèrent le déploiement d’une reflexion
en profondeur. Celle-ci aurait permis de situer la
question de la domination des
hommes sur les femmes – en grande
partie escamotée – ainsi que celle de la séparation de l’espèce
vis-à-vis de la
nature qui est à peine abordée en prévilégiant
d’ailleurs la première aux dépens de la seconde.
Autrement dit on a une
affirmation de rupture avec un phénomène en acte, mais non avec toutes
ses
présuppositions. Or pour pouvoir fonder un mouvement de vaste ampleur
et présenter une perspective
autre que celle offerte
par la société en place, il faut non seulement se positionner par
rapport à l’immédiat
mais également vis-à-vis de tout ce qui a engendré celui-ci. Voilà
pourquoi
nous avons souvent dit qu’il ne fallait pas s’enfermer
dans (se limiter à) l’opposition capitalisme-communisme
pour déterminer notre investigation théorique et notre
praxis.
Certes
on ne peut pas reprocher aux auteurs et aux propagateurs du Manifeste les faiblesses οu
insuffisances ci-dessus signalées. En
effet dans ce texte il y avait la prise en considération d’un procès
qu’il
fallait à la fois développer et expliciter. A partir de là il aurait
été
possible que se déploie une œuvre
d’approfondissement
et de clarification. Or, nous le répétons, ceci ne se
réalisa pas : il n’y eut pas
réellement un approfondissement en
restant au niveau de l’anticipation que nous avons indiquée. En outre,
il y eut
même recul par rapport à ce que posa l’œuvre
théorique de Marx par
exemple,
comme le fit d’ailleurs remarquer R. Luxembourg, à la fin du siècle
dernier.
Ce
nοn déploiement
est en définitive lié au
problème de l’intervention qu’on peut relier d’ailleurs à celui de l’immédiatisme. En effet on a souvent
tendance
à penser, particulièrement en Occident, que nous devons intervenir pour
accélerer un processus, pour
améliorer son
fonctionnement (ceci est en quelque sorte un corollaire de la
transformation de
tout inné en acquis qui amplifie la dimension
« manipulatrice » de l’espèce).
Dans le cas du mouvement prolétarien le défaut de réflexion au sujet du
devenir
en cours et la volonté d’obtenir un résultat immédiat conduisit souvent
à vοuloir intervenir même
quand les conditions n’étaient
pas favorables οu
bien à hypothéquer les chances de succès
futur du mouvement révolutionnaire pour obtenir un avantage rapide.
Cependant
on eut également, particulièrement de la part de Marx,
une réflexion au
sujet
des moments de recul et des moments où il était possible de passer à
l’offensive,
donc d’entreprendre l’assaut révolutionnaire.
En
ce qui concerne le repli, le gros danger c’est qu’il se
fit le plus souvent sur la base nationale, en utilisant les mécanismes
démocratiques. En outre il impliquait un renversement de perspectives fort dangereux : le
prolétariat ne
lutte plus directement contre le capital, mais il tend par sa praxis à
favoriser son développement parce
que
cela a pour conséquence son propre accroissement. Ceci est valable même
si le
prolétariat n’est pas numériquement parlant suffisant pour que son
action ait
un impact donné. En effet théoriquement il est posé qu’il faille être
partisan
de tout ce qui peut renforcer le développement du capital.
Déterminer
le moment où l’intervention devient à nouveau possible
impliqua une étude importante de ce
dernier, ce que firent Marx et
certains
de ses successeurs. Ainsi la nécessité de prévoir aurait dû
conduire à effectuer l’approfondissement
dont
il a été question.
Tout
à fait connexe
apparait la question du
maintien de la
continuité de la lutte, d’οù la
thématique du parti historique et du parti formel (contingent) et la
nécessité
du refus d’un situationnisme en quelque sorte. En réalité il s’agissait
d’édifier
un pôle
réflexif
qui n’est pas obligatoirement formé d’un simple
regroupement d’intellectuels,
mais est une minorité d’hommes et de femmes d’origines diverses.
Pour
en revenir au procès historique allant de 1848 à 1945,
nous pensons que le centre de toutes les questions est constitué par le
problème de la nation. Nous l’avons déjà abordé au travers de l’étude
historique du mouvement prolétarien, de celle de la mystification
démocratique, du développement du capital. Nous y
revenons en nous polarisant plus sur le phénomène national afin
d’expliciter au
maximum la totalité du devenir du mouvement prolétarien, donc l’échec
du
mouvement d’instauration du
communisme,
ce que nous considérons comme un enrayement du devenir à la communauté.
Deux
éléments fondent la nation :
Un
élément politique :
délimitation par rapport
au système féodal et même préféodal. C’est fondamentalement avec la révolution française que le phénomène
nation
se pose.
Avant on parle de
royaume, de principauté,
duché (pour l’aire
occidentale) de khalifat, d’émirat,
de sultanat, de khanat, etc.(dans les
autres aires). Ces dénominations font
ressortir l’importance de l’unité supérieure et le fait qu’on a affaire
à un État
de
la première forme.
Pour que naisse la nation il faudra un mouvement
de séparation par rapport à l’unité
supérieure.
C’est
ici
que se
pose l’ambiguïté-dualité de la lutte contre le féodalisme du fait que
ce que
l’on dénomme ainsi participe de deux
réalités :
1° la fonciarisation
et le déploiement de
la totalité multiplicité
qui constituent le féodalisme proprement
dit, 2°
l’instauration d’une unité supérieure incarnée dans le roi οu
l’empereur
et
qui
constitue la monarchie absolue, forme de fonciarisation
convergeant avec le mode de production asiatique. Voilà
pourquoi il y a souvent contradiction dans les exposés
concernant le féodalisme entre les affirmations
sur son localisme et
sur son universalisme. De même il y a ambiguïté parce qu’au
cours de
la lutte
de la classe
bourgeoise contre l’État
en
place il
n’y a jamais clarification précise des objectifs. Cependant la tendance sera – comme c’est indiqué
dans
le Manifeste – à détruire le localisme, les barrières à l’intérieur des royaumes, empires etc.
En même
temps les bourgeois opposent um autre universalisme fondé sur
une abstraction : l’homme abstrait à la base de l’humanisme, en
tenant compte que pour
réaliser
cette dernière il faut
une médiation : la raison qui
est aussi une abstraction. Plus précisément l’humanisme
implique
que ce qui
est déterminant ce n’est
pas
un homme,
comme avec
l’unité
supérieure et le système hiérachique, mais ce sont les hommes qui ont
en commun
la raison. On a
toutefois un compromis avec l’ancienne
représentation : le culte
des grands hommes comme dans
la Grèce
antique ; d’où une limitation dans la lutte
contre la hiérarchie.
Voilà pourquoi dès que la nation se pose clairement
et nettement, on constate que
s’affirme un universalisme
qui sera la justification de
son expansionnisme :
la nation française et le mythe de la grande nation[5] et sa conséquence le chauvinisme
révolutionnaire
qui veut tout absorber et nie les différences.
Le deuxième
élément restructure tout : la formation du marché
intérieur, moment d’accession
du capital à la domination formelle
sur la
société qui
s’effectue dans un cadre foncier (une
portion de terre, un pays) ;
on peut dire qu’elle
s’effectue du
pôle foncier, avec un référent humano-féminin. Ceci se fait
en brisant les barrières, les limites internes d’un pays donné parce que
le capital détruit
toute
fixation, tout ce qui freine son procès. Il est clair que cela vaut
à une
échelle plus
vaste que le pays où le capital s’implante ; mais ce n’est
que
dans celui-ci que, historiquement parlant, il
trouve
pour la
première fois les conditions favorables à son
accession à la domination. C’est
en Angleterre que le phénomène s’impose.
Dans une certaine mesure on peut considérer qu’il
y a là comme un recul dans l’expansion
du capital car, dans une
phase antérieure, la phase
mercantiliste, il se
déploie dans un cadre plus
large
comme dans le cas de l’Angleterre
elle-même et des Pays-Bas. Ces deux
pays
apparaissent comme des centres de domination, de
concentration du
capital sous sa forme marchande[6], ce qui permet au cadre de la monarchie
absolue, dans le
cas de
l’Angleterre, de pouvoir
persister. Toutefois il ne faut pas oublier que le développement
du mercantilisme est une présupposition essentielle
pour
celui du
capitalisme.
En
revanche
en France où les
provinces avaient une
forte
autonomie, où il y avait des
groupes ethniques avec une culture propre persistante (en particulier la
langue)
et un devenir
historique différencié
(Provence, Languedoc
formant l’Occitanie, Bretagne,
Alsace, Bourgogne,
etc)
le
phénomène
nation
prend sa dimension propre et sa
virulence. C’est la forme
institutionnelle qui peut regrouper ce
qui a été séparé mais
c’est aussi
celle qui peut éliminer les particularités et faire
triompher
une forme
abstraite.
A
partir de
ce moment
le phénomène nation
devient paradigmatique
et l’on réécrit
l’histoire
en fonction de celle-ci ; de
telle sorte que l’on
considère qu’il y
a nation même dans
l’antiquité et
dans les zones où le
mouvement
de la valeur
n’est pas déterminant. Or, il est vrai qu’en
fonction d’un stade final on peut dire
que tel groupement
humain constitue
depuis des siècles une nation. Mais c’est alors postuler l’éternité du
capital. C’est pourquoi
il est préférable de
parler de race
οu
d’ethnie quand il s’agit d’un
groupement d’hommes et
de femmes
présentant une certaine homogénéité qui se dénote en
particulier au travers d’une langue, d’une
religion,
de traditions communes mais qui n’est pas organisé, structuré
par un marché intérieur.
Une
race, une
ethnie c’est un groupement d’hommes et de femmes apparaissant comme
étant en adéquation
avec une
zone
géographique bien déterminée ; groupement
qui peut plus οu
moins être isolé
οu
s’isoler du reste de l’espèce. C’est un phénomène qu’οn
doit mettre en rapport avec celui
de la cladisation dont nous
avons parlé
au début
de notre étude, Émergence
de Homo Gemeinwesen. Ces données purement ambiantales
peuvent
s’accompagner
de facteurs sociaux ; certains groupements sont le résultat
de luttes entre divers groupements plus vastes. Ainsi dans le cas des Balkans
la grande fragmentation doit être mise
en relation avec
le fait que
dans cette zone
géographique
on a un affrontement équilibré entre l’aire
occidentale et l’aire islamique, puis
ensuite, quand cette dernière s’est affaiblie, l’aire russe.
Tous les
phénomènes qui unissent, qui accroissent la cohésion d’un groupement humain-féminin sont considérés comme
des facteurs
déterminant la nation.
Nous
avons vu l’origine, la langue, la religion, nous pouvons
ajouter
le droit. Toutefois ce dernier ne peut être que le droit romain
modifié par
le développement du
capital qui s’impose aux dépens des droits coutumiers de diverses régions. Ce qui fait ressortir encore une fois que la nation dérive d’un procès et ne
peut pas
être considérée comme une donnée originelle existant de
toute éternité
(éternité de
l’espèce). C’est ici
qu’intervient également l’État appelé l’État-nation.
Celui-ci
apparaît en tant qu’organe unificateur, mais c’est l’État
médiatisé
par
le mouvement de la valeur et qui tend à être
conquis par
le capital. Dans
un premier temps il peut avoir une détermination communautaire,
apparaître comme un organe de la nation
affirmée
en tant que
communauté. Mais
c’est quelque chose d’illusoire et
la lutte de
classes fait
éclater la mystification. Toutefois au sein du cycle bourgeois cet État représente bien la nation. Et le fait de parler d’État-nation implique le moment où
la
bourgeoisie s’est emparée de l’État, mais
où ce n’est pas encore le capital qui domine pleinement. L’État va
être réellement conquis par ce dernier au travers de la réalisation du
marché
intérieur favorisé par l’action de l’État-nation.
L’affirmation
de ce dernier s’est
faite en particulier contre ce qu’on a appelé les États plurinationaux comme l’Empire austro-hongrois οu
l’empire ottoman. Or ces États sont du type de la première forme, avec
triomphe
de l’unité supérieure. À ce sujet, il convient d’indiquer qu’ici se
manifeste la
tendance à l’unification, tendance
contraire à celle de la cladisation dont
il a été question plus haut. En outre il a existé de tels empires où il
n’y avait pas une oppression
importante de l’État
sur les divers groupements humains qu’abusivement on appelle nations.
Ainsi l’empire
perse a certes conquis de vastes territoires, soumis des populations
diverses
(il commit également, dans certains cas, de grands massacres), mais il
y eut
conservation des caractères des diverses communautés qui étaient
englobées. Ιl
y eut tendance à intégrer le mouvement de la valeur, à essayer de le
faire
fonctionner en tant que mécanisme d’union des diverses parties de
l’empire.
De
ce fait l’empire perse est très différent de l’empire
romain car dans ce cas l’État apparait comme
un agent d’homogénéisation. Cependant c’est un État
médiatisé par la valeur où finalement l’unité supérieure
parvient à
nouveau à s’imposer (opérant par là une convergence avec l’État
chinois). Dans
une certaine mesure la nation était en train de se constituer grâce à
l’élimination
de tous les particularismes au travers de la mise en place d’un certain
marché
intérieur.
La
dissolution de l’empire romain ne conduisit pas à la
formation de nations parce qu’en fait les divers groupements humains
qui se rebellèrent contre
l’autorité romaine, contre
le mode de production esclavagiste, refusèrent le mouvement de la
valeur et
tentèrent de réinstaurer des
pratiques
communautaires.
Quand
le mouvement de la valeur reprendra de l’importance et
surtout quand le capital entrera dans sa phase de domination formelle
sur la
société, le procès de formation des nations pourra alors s’imposer. Celles-ci profiteront des
phénomènes
d’unification antérieurs, comme des phénomènes de résistance. Mais il
n’est pas
vrai qu’on eut immédiatement affirmation d’un
phénomène
national. L’Italie en est un
exemple
typique. Les divers États qui
se forment
au cours de ce qui est appelé le moyen-âge sont des États
médiatisés par la valeur, mais ne sont pas des États nationaux. Ce sont des centres
de domination du capital ;
des centres qui vont favoriser dans
une
aire donnée la formation d’un marché qui tendra à remplir tout un
espace défini
ensuite comme nation à cause de divers facteurs qui concourent à réalier son unité, son homogénéité.
Mais ceci n’aura
lieu, en définitive, qu’à la
fin du
siècle dernier au travers d’une intégration, qui n’a
jamais été parfaite, de toute la partie sud de
l’Italie :
le Mezzogiorno.
Ιl
peut arriver que le marché intérieur ne parvienne pas à s’imposer
dans une aire où les caractères unitaires d’un groupement d’hommes et
de femmes
s’imposent pourtant. C’est ce
qui s’est
produit pour l’Allemagne. Ce qui permit le surgissement d’un mouvement comme le pangermanisme.
Voilà
pourquoi également nous parlons d’aire allemande
pour désigner l’Allemagne elle-même, mais aussi l’Autriche, une grande
partie
de la Suisse, la Hollande et d’autres territoires inclus dans divers
pays
limitrophes (l’Alsace et la Lorraine par exemple). On constate
d’ailleurs que la
nation dans ce cas tend à atteindre les limites de l’aire. L’agent
causal de ce
phénomène c’est le capital.
Insistons
sur le fait que le pangermanisme n’est pas une
idéologie purement capitaliste parce qu’en fait elle affirme la primauté d’une unité supérieure extra-capital ; mais elle
put être utilisée
par les bourgeois et donc par les agents de la mise en place de la
domination
du capital. En revanche le panslavisme est une idéologie totalement
liée à l’unité
supérieure, au tsarisme, c’est le pendant de la théorisation de Moscou
troisième Rome.
On
doit tenir compte également que le moment de constitution
de la nation est celui de l’accession du capital à sa domination à
partir du
pôle foncier. Ιl
a besoin d’un territoire pour s’imposer,
s’enraciner en quelque sorte, si ce n’est pas
matériellement au moins dans la représentation. Or, au départ les
nations comprennent une
importante paysannerie qui se
comporta en défenseur ardent de ces dernières parce qu’en leur sein
elle avait
accédé à la propriété.
Pour
faire cadrer les cas particuliers avec la théorie de la nation, on a
mis au
point le concept de nationalité qui désigne soit une nation en
formation, soit
le reliquat d’une nation.
Mais alors il apparait bien qu’une
nation peut opprimer des nationalités (cas de la France
par exemple). C’est avec
cette question des nationalités que
le phénomène de la communauté s’imposait encore plus. Ιl
ne fut affronté que dans une dynamique négative. Ainsi par R.
Luxembourg :
« Si les polonais des trois parties de la Pologne s’organisent
selon le
principe des nationalités pour la libération
étatique
de la Pologne, pourquoi les différentes nationalités d’Autriche
n’agiraient-elles pas de la même façon, pourquoi les alsaciens
ne s’organiseraient pas
en commun avec les français, etc. ?
En
un mot, la porte serait grande ouverte aux luttes nationales et aux
organisations nationales. À la place des organisations des travailleurs en fonction des données
politiques
et étatiques, on rendrait hommage au principe de l’organisation selon
la
nationalité, procédé qui tourne souvent mal dès le départ. À la place
de programmes
politiques conformes aux intérêts de classe, on élaborerait des
programmes
nationaux. Le sabotage d’État serait
consacré dans son principe par une chaine de
luttes nationales stériles. ».
On
envisage toujours une organisation de lutte, de défense,
on est donc toujours dans le négatif. Or ceci ne peut pas satisfaire
les
données immédiates du procès de vie. Ιl
faut quelque
chose qui intègre les deux.
Ceci
posé revenons en arrière pour mieux considérer la question de la nation
en
rapport au prolétariat. Celui-ci opérait un dépassement des
nations : les
prolétaires n’ont pas de patrie. Que pouvait-il proposer comme forme de
convivialité immédiate, le communisme étant posé en général comme une
forme du
futur ?
Nous
avons vu la dimension d’anticipation
du mouvement communiste en
1848
qui explique que le phénomène national
ne
fut pas réellement affronté. Ιl
en est de même lors de la phase postérieure de contre-révolution
lorsqu’il s’est
agi de comprendre l’échec du mouvement révolutionnaire.
En effet celui-ci fut surtout analysé d’un point de vue en quelque
sorte
militaire. L’échec fut mis en relation avec l’impossibilité qu’il y eut
d’abattre
le tsarisme considéré comme le verrou essentiel bloquant la révolution.
L’importance des différentes
nations fut
évaluée d’après leur prise
de position
vis-à-vis du tsarisme (cf. particulièrement
le cas de la Pologne). Mais
il n’y eut
pas une véritable analyse de ce qu’étaient
réellement ces nations. Y
avait-il
réalisation d’un marché intérieur, quel était le degré de pénétration
du
capital dans ces groupements d’hommes
et
de femmes ? L’autre cause invoquée fut l’enraiement de la
crise qui avait
éclaté en 1847. La cohérence voulut qu’alors
la préoccupation se dirigeât vers une étude du phénomène capital dans
sa
globalité, c’est ce que fit Marx.
Avec
la formation de la première Internationale, on a une
unification de la classe et le triomphe de l’union sur la concurrence.
Toutes
les organisations immédiates de la classe sont représentées :
unions diverses, sociétés industrielles, associations de différents types. Ιl
y avait un regroupement de l’ensemble de la classe ainsi que des
intellectuels
qui avaient pris partis pour elle.
Cette
union deviendra ultérieurement un mythe qui fut fondement
de multiples confusions, comme cela se produisit au sein de la II°et de
la
III° Internationale
ainsi que dans les
partis ouvriers de diverses nations.
C’est
à ce moment-là que s’imposa l’affrontement à divers universalismes.
Ainsi celui de la grande nation
développé par certains membres de la section française de l’A.I.T., du
pangermanisme, du panslavisme, dont il a déjà été question. Ce que l’on
constate c’est qu’il y a une délimitation insuffisante vis-à-vis des
adeptes de
ces divers universalismes. Ιl
en est de même vis-à-vis du cosmopolitisme οu de
l’humanisme, représentations à prétentions universelles
produites par le mouvement bourgeois.
Ιl
est clair que la faiblesse dans l’approche
de toutes ces questions est liée au fait que la révolution était pensée
comme
un phénomène devant avoir lieu dans un proche avenir. En conséquence,
on n’avait
qu’une affirmation négative, un rejet, aucune affirmation positive
importante,
due également au refus de ne pas sombrer dans l’utopisme.
Mais l’absence d’une représentation de ce que devait être
la société
future, de façon un peu tangible et ce en cohérence et continuité avec
l’organisation
de la classe qui tendait à réaliser cette société, fut un élément
favorable
pour que la nation s’impose en tant que communauté.
En
outre la prise en considération de ces divers universalismes
d’une part, et des affirmations nationales d’autre part,
n’aurait pu
déboucher sur une position solide que si on avait affronté la question
de la
formation de l’unité supérieure, celle de la diversité-multiplicité,
etc, tous éléments autonomes issus de la dissolution de
la communauté,
de même que cela aurait dû renvoyer au problème du rapport de l’espèce
à l’individu.
Tout cela en tenant compte qu’il faut,
lorsqu’on s’occupe d’un
universel, se
demander si dans celui-ci c’est surtout l’unité qui est posée
essentielle,
devenant valable pour tous en réalisant l’unité supérieure, οu
bien si c’est l’universel comme un tout : l’univers posé en tant
qu’unité.
Quoi
qu’il en soit, le débat au sujet du rapport universel
national se retrouvera souvent et ce jusqu’à aujourd’hui où il émerge
du sein
des discussions à propos de la disparition des nations et de la montée
de l’homogénéisation.
Enfin
un dernier élément qui explique une espèce de retenue dans le rejet
total des
nations réside dans le fait que durant la période de 1848 à 1870 les
marxistes,
tout particulièrement, considérèrent le
mouvement de libération nationale comme un fait positif parce qu’il
affaiblissait le féodalisme.
Lors
de la guerre de 1870 il n’y a pas d’affirmation
prolétarienne
rompant radicalement avec la thématique nationale. La prise de positon
de la
classe ouvrière fut trop faible pour pouvoir empêcher la
guerre οu
pour produire un dépassement de celle-ci une fois déclenchée.
Après
1870 on
a un repli dans le cadre de la
nation et l’on a trois cas importants. Celui de la Pologne dont on
considère l’indépendance nationale
comme une nécessité
parce qu’elle contribuerait à un affaiblissement du tsarisme ;
la lutte
contre ce dernier apparaissant comme étant essentielle afin de lever
le verrou
bloquant le développement de la société bourgeoise. La justification
est encore fournie par la
nécessité d’abattre le
féodalisme.
Le
problème de la Russie, qui constitue
notre second cas, dépasse le cadre de la nation. Ici il s’agit de savoir s’il
sera possible d’accéder au
communisme sans passer
par l’étape du mode de production capitaliste, ce qui ne peut se
réaliser que s’il
y a un mouvement insurrectionnel qui concerne également l’Occident. Le
problème
du statut des divers groupements ethniques n’est pas posé.
Le
troisième cas est celui de l’Irlande. En fait la question
n’est pas essentiellement nationale car, en profondeur, il s’agit de
l’opposition
entre l’ensemble des communautés formant l’Irlande et le capital et ce
depuis l’époque
de Cromwell. En extrapolant
on peut dire
qu’avec diverses variantes ce conflit se perpétuera jusqu’à la fin du
capitalisme.
En
revenant à notre thème historique
nous devons faire remarquer qu’en ce qui concerne Marx
une certaine variation dans le mode d’affronter la
question
nationale s’impose. Ce n’est plus le féodalisme qu’il
faut affaiblir mais la puissance du capitalisme anglais.
En effet par
suite de l’émigration des irlandais en Angleterre, où ils deviennent
prolétaires, il y a un antagonisme dans ce dernier pays entre
prolétaires irlandais
et anglais. « Cet antagonisme constitue le secret de
l’impuissance de la
classe ouvrière anglaise en dépit de sa bonne organisation. C’est aussi
le
secret de la puissance persistante de la classe capitaliste, qui s’en
rend
parfaitement compte. » Lettre de Marx
à
S. Meyer et A.
Vogt, avril
1870.
En conséquence, Marx en
arrive à penser qu’il ne peut pas y avoir un mouvement en Angleterre
qui puisse
favoriser l’émancipation irlandaise.
En revanche, il pense qu’un fort mouvement
irlandais,
apte à remettre en cause
la domination anglaise,
pourrait être un facteur
de crise importante
en Angleterre et y favoriser
les conditions de développement
d’un mouvement communiste.
Enfin
avant
d’aborder les phénomènes post-1870 il convient d’insister sur
les difficultés pour
le prolétariat de fonder une
communauté. Ιl
ne peut
pas le faire sur la base de
sa propre réalité, sinon il sombre dans l’immédiatisme
et dans
l’exaltation de ce qu’il faut éliminer. Le
prolétariat doit
détruire la condition de prolétaire
car, par
là, il détruit également
le capital. En effet ce qui fonde
le prolétaire c’est le rapport d’exploitation, le fait
que des
hommes
et des femmes
doivent vendre leur force de travail. Celle-ci permettra
la production de plusvaleur[7]
cause de
l’accroissement de capital.
Or pour
qu’ils soient obligés
de vendre leur force de travail, il a
fallu les
contraindre
à être
dépendants du capital, à ne plus avoir de réalité concrète en dehors
de leur rapport à ce dernier. Ils n’ont
plus
de rapport à la nature, ils sont
déracinés.
Donc une communauté ne pourrait s’édifier qu’en dehors du capital,
en dehors du monde en place,
sinon,
répétons-le, elle est plus οu
moins liée au capital qu’elle doit combattre.
La
non reconnaissance de
ce phénomène essentiel,
et donc
ce défaut de radicalité,
va être la raison de la tombée
du prolétariat dans la trappe du nationalisme. En conséquence
pour réagir contre ce dernier phénomène et en vertu des
considérations exposées
plus
haut
on comprend que Bordiga
ait
théorisé le parti en tant que préfiguration de la société
communiste,
ce que nous avons amplement exposé
dans Origine et fonction
de la forme parti, et
que nous ayons, ultérieurement, affirmé la nécessité
de quitter ce monde.
C’est
avec la phase
de recul,
nous
l’avons déjà dit, que le problème de la nation est à nouveau posé, et ceci surtout de la façοn
suivante : comment
renforcer le prolétariat en vue d’un heurt qu’on pense toujours proche
(thème
du réformisme révolutionnaire) ? On
est amené à penser qu’il fallait que la
nation
se constitue pour avoir un cadre
de lutte,
pour que se forme un
prolétariat, puis à penser que le capitalisme
doit amplement se développer afin de
généraliser
la condition de prolétaire. Ceci
est en accord avec la théorie
qu’il faut un développement des forces
productives afin que le
prolétariat soit
engendré.
Toutefois on aurait pu
envisager cela dans le cadre
international, car
le capital,
comme ce
fut déjà affirmé dans le Manifeste,
se déploie à l’échelle mondiale.
On peut dire que dès le début
il tend
à nier
les présupposés de la nation,
toutes
les données
anciennes
que cette
dernière restructure,
ce qui fonde la justification
de tout le devenir de la domination bourgeoise. Mais
il ne
nie pas
la nation
en tant
que moyen d’affirmation de
son mouvement : la
création du marché intérieur. En revanche dans une phase
ultérieure, une fois
qu’il s’est affirmé, il
tend
à dépasser
tout cadre national,
puis
à le nier pour fonder le marché mondial qui n’a
existé que de façon fragmentaire
au cours
de la période
de domination de la valeur. Rappelons que le
capital ne peut être lié à rien et qu’il
instaure le procès
de libération vis-à-vis
du féodalisme
comme vis-à-vis des formes
bourgeoises de domination qui constituent
le contenu de sa domination formelle
à l’échelle sociale.
Ainsi
nous pensons qu’en se repliant sur la nation on se mit dans un guépier.
Que
dit Engels ? « L’union
internationale ne
peut
exister qu’entre les
nations dont l’existence,
l’autonomie et l’indépendance,
en ce qui
concerne les
affaires intérieures, se trouvent donc incluses dans le terme même
d’internationalisme. »
(Engels à Lafargue,
20.06.1893).
« Le
mouvement
international du
prolétariat n’est a
priori possible qu’entre nations
indépendantes. » Engels à
Kautsky, 07.02.1882.[8]
Certes
on a encore un écho de l’antique position :
« Ιl
n’y a pas de nations,
aujourd’hui surtout, il n’y a que des classes. » Jules Guesde.
Ce
dernier faisait un très bon diagnostic, mais il aurait fallu montrer comment le prolétariat pouvait fonder une autre
communauté ;
dans quelle mesure elle pouvait
fonctionner comme une communauté englobante pour tous les prolétaires. En outre J.
Guesde
faisait une autre constation
fort
importante : « Les
nations
théoriquement parlant,
sont une étape dans la voie de l’unité
humaine. ». Dès lors il
aurait fallu se poser la question de savoir comment les classes pouvaient réaliser une phase ultérieure dans la constitution de cette
unité.
En
ce qui concerne le refus de la nation,
du nationalisme (peut-être plus du dernier que de la première) R.
Luxembourg donna une contribution fort
importante. En revanche
on peut
dire que l’ensemble
du mouvement marxiste
(de façon
plus οu
moins
convergente on a un phénomène similaire au sein de l’anarchisme) va
accepter le
cadre national
et va tendre à y
intégrer le prolétariat. Mieux, préfigurant ce que théorisera le stalinisme jusqu’à la fin de son existence,
il affirmera
que c’est ce dernier qui
doit affirmer la nation.
« Dans
plusieurs nations,
le prolétariat est
d’ores et déjà porteur
du développement national. »
Kautsky cité p. 126 du livre Les
marxistes
et la question nationale, Ed.
Maspéro.
Ceci
est lié à la théorisation au sujet de l’impuissance de la
bourgeoisie :
« La société bourgeoise n’a plus
la force
de supprimer les édifices les plus pourris,
le
sultan, le
tsarisme, l’Autriche. Mais on ne
saurait prévoir que nous trouverons la
force de
déblayer ces
ruines... » V. Adler, in Les marxistes et la question nationale, p.44). Ultérieurement il sera posé que le prolétariat doit prendre la
direction
de la nation
et réaliser
ce qui n’a pas
été accompli, comme le fit Ο.
Bauer encore une fois
bien avant les
staliniens.
Nous n’insisterons pas sur cette position défendue par un grand nombre de socialistes, nous
voulons seulement signaler que ceux-ci finalement tombaient dans le piège de la nation pour encore une autre raison :
la non remise
en cause de ce que nous dénommons le procès de connaissance qui se manifeste en particulier à travers la culture,
l’art et la science. Ainsi une marxiste
qui dénοnça
l’idéologie nationale,
l’importance des
nations
en Europe à la fin du XX° siècle,
puisqu’elle écrivit en particulier ceci : « Cependant, un tel concept de
« nation » est
en fait l’une de
ces catégories de l’idéologie bourgeoise que
la théorie
marxiste
a soumises à une révision
radicale en montrant que derrière un voile
aussi mystérieux
que le
sont les
concepts de
« liberté
bourgeoise »,
« égalité devant
la loi », etc., se cache toujours
un contenu historique précis. » (O.c.,
p. 194), affirmait également :
« Mais
notre prolétariat
peut et
doit combattre pour la
défense
de la nationalité en
tant que
culture spirituelle spécifique, distincte qui a
ses propres droits à
l’existence et au développement. » (R.Luxeτnbourg, La question polonaise et le mouvement socialiste,
in
O.c., p. 182).
La
gauche socialiste de Hollande, comme
ensuite
la gauche communiste de ce même pays, s’opposa
au nationalisme et à la théorie de la nécessité d’intégrer
le
prolétariat dans la nation.
Pannekoeck
qui
avait vraiment une représentation
internationaliste :
« La révolution politique de l’Asie, la
révolte de l’Inde,
la
rébellion du monde musulman, s’opposent
à une
grande extension
du capitalisme
européen et constituent
pour lui une entrave
décisive. »,
cité dans La gauche
hollandaise, brochure du CCI,
p. 7l, défendait la nécessité de la science pour le prolétariat.
Pour faire ressortir l’importance de
cette question nationale dans
le procès
d’intégration du
prolétariat, il convient de présenter
sommairement les travaux de
Ο.
Bauer. Ils prouvent que ce
qui était déterminant, et n’avait
pas été abordé,
était la
nécessité de la communauté pour
le prolétariat,
communauté qui ne pouvait pas être immédiate. On peut dire qu’en fait ceci ne fut réellement affronté,
comme nous
l’avons fait
remarquer précédemment,
qu’avec
Bordiga affirmant : le parti est la préfiguration de la société
communiste,
ainsi que par nous-mêmes en 1961 avec l’étude Origine et fonction
de la
forme parti.
Ιl
est curieux qu’Ο.
Bauer
trouve pour définir
la nation une terminologie qui pourrait en première
approximation s’adapter
correctement pour déterminer ce qu’est
la Gemeinwesen
ainsi que le rapport entre individu
et Gemeinwesen.
« Ainsi, la nation
ne représente pas, pour nous, un certain
nombre
d’individus
liés entre eux d’une manière
extrinsèque quelconque :
mais elle existe plutôt
dans chaque individu en tant
qu’élément de son individualité propre, en tant que nationalité. »
(cité dans
Les
marxistes
et la question nationale, p. l5l).
« La nation
n’est pas une somme d’individus
: chaque individu est au contraire le produit de
la nation ;
qu’ils soient tous
le produit de la même société fait
d’eux
une communauté. »
(idem.,
p. 151).
« Stammler se
trompe en croyant trouver la
caractéristique constitutive des
phénomènes
sociaux
dans la
réglementation externe ;
la nation nous montre clairement que le substrat de tous
les phénomènes sociaux
est la communauté,
c’est-à-dire le fait
que la particularité
de l’individu est en même temps
celle de
tous les
autres individus
réunis en une communauté, puisque le caractère de chaque individu, formé dans
l’interaction constante
avec
l’ensemble des autres
individus, le
caractère individuel de
chacun est le produit des mêmes forces sociales ; mais seule une réglementation
externe
rend possible la coopération des
individus ainsi liés en une
communauté, facilite
la formation d’une
société,
le maintien de la communauté et la possibilité d’en créer une nouvelle. La
réglementation externe est la forme
de collaboration sociale des individus unis par la
communauté. » (idem, p. 152).
O. Bauer a mis la note suivante
concernant ce passage :
« J’utilise
les notions de communauté et de société dans un autre sens que Tönnies dans son excellent ouvrage Gemeinschaft und Gesellschaft, Leipzig,
1887. Je vois le fondement de la société dans la coopération des hommes
sous
une réglementation externe, et le fondement de la communauté, dans ce
que
l’individu est, d’après son être physique et mental, le produit
d’innombrables
interactions entre lui-même et les autres individus unis en une
communauté, et
est donc dans son caractère individuel, une manifestation du caractère
collectif. Evidemment, la communauté ne peut naître qu’à la condition
que soit
donné le statut externe – au moins la langue, comme nous l’enseigne
Stammler –
et donc la société. D’autre part, la société présuppose à son tour la
communauté du moins, comme l’a montré Max Adler, la communauté de la
« conscience en général » ».
L’approche
théorique est remarquable en tant que témoignage de l’essentialité du
phénomène
de la communauté en Allemagne à la fin du XIX° siècle et au début du
XX°.
Cependant elle exhibe également d’une part une méconnaissance des
œuvres de
jeunesse de Marx (accessibles seulement après 1920) et, d’autre part,
une
incompréhension en profondeur de ses œuvres parues avant cette date. En
effet
ces dernières contiennent tous les éléments nécessaires à l’élaboration
d’une
théorie de la communauté. Les marxistes à la Bauer n’ont en fait perçu
chez
Marx que des données théoriques immédiates leur permettant une
pénétration
compréhensive dans les phénomènes sociaux de leur époque. En
conséquence ils
édifièrent une représentation en discontinuité avec celle de Marx. La
citation
précédente nous en fournit un exemple. En effet O. Bauer y considère la
langue
comme un statut externe. Pour Marx elle est son mode d’être.
Cette représentation vise à poser la
nation en tant que communauté idéale en laquelle il faut intégrer les
ouvriers,
ce qui constitue d’ailleurs la pleine réalisation de celle-ci. Elle
s’élabora
au moment où le capital tendait à détruire les fondements de la nation
parce
qu’ils constituaient des verrous faisant obstacle au déploiement de sa
représentation. Elle anticipa sur la théorie stalinienne qui reprenait
la
position de Lénine au sujet de l’ouvrier qui doit faire ce que le
bourgeois
aurait dû faire en Russie, s’il avait existé. Ce faisant il y eut
escamotage de
la perspective fondamentale du saut du mode de production capitaliste
ou de
l’abréviation de sa durée, ce qui revenait à proner la révolution
graduelle,
par étapes, progressive. En conséquence la volonté de concilier le
socialisme
avec la nation dénotait, dans le meilleur des cas, l’illusion de
pouvoir
dominer le mouvement du capital.
Autrement dit
la nation est conçue comme
une communauté
immédiate
où le prolétariat doit
atteindre
un certain développement avant que le socialisme
ne puisse se réaliser. L’État est conçu
comme un
instrument de conciliation, mais
aussi
en tant
qu’instrument d’éducation, d`intégration
au travers de deux institutions l’école à tous
les niveaux et l’armée[9].
Revenons
à O. Bauer dont
les positions anticipent celles du stalinisme confirmant bien le
diagnostic de Bordiga pour
qui ce dernier n’est qu’une variante
de la social-démocratie.
Du
fait de la recherche de racines, de la
disparition des paysans, de la non remise en cause de la séparation
d’avec la
nature, la communauté est posée en antagonisme avec la
nature : « Comprendre
la constitution de la nation, de chaque nation séparément, comme une partie
de la lutte de l’humanité avec la nature telle est la grande
tâche que la
méthode historique de Karl Marx nous
a
rendus capables d’assumer. » (idem, p. l47).
La
référence à Marx n’est pas
injustifiée dans la mesure où ce dernier eut une position assez ambiguë
en ce
qui concerne la nature et qu’il présenta souvent le devenir de l’espèce
comme
découlant d’un conflit avec
cette
dernière. Cette représentation antinature se
parachève dans celle du capital qui est anti-homme
dans la mesure où celui-ci participe encore à la nature.
Autrement dit, l’espèce,
grâce au capital, s’émancipe de
la
nature, mais celui-ci s’émancipe de
l’espèce
en la réduisant à un simulacre. C’est le conflit réel du capital avec
cette
dernière qui fonde en définitive la représentation conflictuelle avec
la
nature. Ιl
n’y a
d’affirmation possible que
dans l’antagonisme.
D’οù la débandade théorique
actuelle du
fait que le capital n’a plus d’antagoniste.
Ici,
donc, O. Bauer est
en continuité avec un certain comportement théorique de Marx ; ce qui contredit
apparemment notre
précédente affirmation. Cependant ce qui est essentiel c’est que cette
mise en
continuité s’effectue également
avec
toute la représentation du capital. Or Marx
visait
à en produire une qui fut en discontinuité avec cette dernière. Selon
nous il
faut porter à bout son projet et pour cela on doit éliminer tout ce qui
participe à une représentation compatible voire fondatrice du devenir
du capital.
Par là s’affirme une
continuité et une
invariance.
Ensuite
O. Bauer postule
une éternisation de la
nation :
« Ainsi la nation cesse d’être pour nous cette chose rigide et
devient un
processus du devenir,
déterminé dans son
essence par les conditions dans lesquelles les hommes luttent pour leur
subsistance et la conservation de
l’espèce. » (p. 147).
« La
nation apparaît donc comme une
formation naturelle, tandis que l’État
est un produit artificiel. »
(Idem, p. 206).
Toutefois,
il sauve aussi l’État puisqu’ensuite il
écrit : « Si
nous procédons scientifiquement, l’État est
comme tout autre phénomène,
produit
naturel soumis à des lois [...]. Pour la science, la nation tout
aussi
bien que l’État sont des
produits de la
nature. » (Idem, p. 206).
Du
moment que l’espèce humaine est un produit de la nature
on en déduit que tout ce qu’elle produit
est naturel, ce qui permet de tout escamoter. C’est
la magie où tout est résorbé à l’origine ; mais
demeure, bien
apparente, la représentation fondée sur la séparation
d’avec la nature posée comme
ennemie.
L’éternisation de la
nation conduit à faire de celle-ci une entité
transcendante
posée en tant qu’unité supérieure,
exprimant en définitive le maximum de la fonciarisation
en ce sens que cette entité n’est
sensible qu’à travers un pays bien déterminé. Ιl
devient le démiurge qui permet l’élaboration d’un
type d’hommes et de femmes, d’une culture particulière, etc. Ceci n’exclut pas l’État qui se présente soit comme le
médiateur de
réalisation de la transcendance, soit comme codétenteur de celle-ci, de
telle
sorte que l’un peut facilement se substituer à l’autre [10].
Pour
en terminer avec Ο.
Bauer dont l’oeuvre
constitue une étape essentielle dans l’édification d’une
représentation
intégrative du prolétariat, opérant un
compromis avec le capital et donc avec le mouvement qui le produisit,
signalons
que pour lui la classe se
caractérise par
une similitude de destin et non par une comrnunauté.
Certes il est évident, comme nous l’avons indiqué, que le
prolétariat ne
pouvait pas revendiquer une communauté immédiate mais il pouvait tendre
à
réaliser une communauté de lutte pour un but défini où c’est celui-ci qui est
déterminant : le parti en tant que
préfiguration de la société communiste telle qu’elle était définie dans
le
programme.
La
position de Lénine et
des bolcheviks a enfin une importance considérable surtout à cause du
vaste
mouvement de libération des peuples coloniaux qui commence à se
développer de
façon menaçante pour l’Europe au début de ce siècle. Lénine
est pour le droit des peuples à l’autodétermination. Ιl
est là en continuité avec Marx, puisqu’il pense
que l’indépendance nationale affaiblira les grandes unités étatiques
dominantes
à la fin du XIX° et au début
du ΧΧ° siècle. D’autant plus
qu’il ajoute :
« ce qui nous intéresse avant tout et par-dessus tout, c’est
la libre
disposition du prolétariat à
l’intérieur
des nations ».
Le
point de vue de Lénine est
déterminé par la situation de la Russie où doit encore, selon la
terminologie
de l’époque se réaliser la
révolution
bourgeoise avec la perspective de la possibilité
d’une transcroissance de
cette dernière
en révolution communiste.
Ce
qu’il y a de plus important chez Lénine c’est
qu’il est amené
à mettre en évidence de façon parfois pas assez explicite que le
phénomène d’intégration du
prolétariat, soit dans son
intentionnalité (c’est-à-dire
en tant que
but poursuivi par la plus grande partie de la social-démocratie) soit
dans sa
réalisation, s’accompagne d’un abandon total de la théorie de Marx sur l’État.
En effet ce dernier n’est plus
présenté pour ce qu’il est : un système de domination de la
classe
dominante, mais comme un organe de conciliation entre les classes, se
plaçant,
quasi autonome, toujours au-dessus d’elles. Ceci apparaît bien dans la
théorie
de l’État-nation, de l’État organe de cette dernière qui
est posée
en tant qu’unité transhistorique. Dans
certains cas, on en arrive à poser que la nation a secrété
un organe d’intervention qui
lui permet de s’affirmer au
sein des
diverses nations. Ιl
y a même possibilité de
substitution réciproque de l’une par l’autre et le groupement humain se
définit
soit par l’État soit par la
nation. Ce
qui aboutit simultanément à placer le phénomène politique comme
déterminant et
dominant celui économique. Κ.
Renner dans un texte de peu
postérieur à la
période que nous examinons exprime bien tout cela.
« L’économie sert de
plus en plus exclusivement la classe
capitaliste,
l’État par contre sert
chaque fois
plus le prolétariat. ».
« Le germe du socialisme se trouve déjà
aujourd’hui dans
toutes
les institutions
de l’État
capitaliste." (Karl
Renner,
cité
dans Les
marxistes
et la question nationale,
p. 383).
Ιl
nous faudra revenir sur l’œuvre de Lénine concernant l’État tant pour rappeler ses aspects
positifs
que ses insuffisances résidant principalement dans
un manque
d’analyse du rapport de l’État à
la communauté. Nous
l’avons exposé
: l’État
naît comme un exsudat
de
cette dernière ; il
se manifeste
comme
un outil ; mais il tend
à se poser
lui-même comme communauté.
Ceci s’impose à divers
moments historiques et particulièrement lors de celui de la consolidation
des nations. Ιl
apparait
comme une communauté assurant un procès de vie matériel,
étant alors le couronnement
du
phénomène de fonciarisation,
tandis
qu’il permet, grâce
à
ses diverses institutions,
l’érection de la nation au stade de principe transcendant facilitant le dépassement
des divers particularismes.
Toute la phase
de repli post-1870 – en dépit de la secousse
liée au
mouvement de 1905 – aboutit
à ce que la majeure partie du prolétariat
sombre
dans
l’Union sacrée en
1914. On l’a déjà dit,
les causes
de cette catastrophe
sont multiples mais
toutes
peuvent se ramener au fait
de l’intégration du
prolétariat dans
la nation, posée de façon plus οu
moins explicite comme communauté. La mystification démocratique, la formation
d’une
aristocratie ouvrière –
phénomène permettant
de substituer la concurrence
à l’union – etc., ont joué
pour renforcer le
phénomène d’intégration.
Les
causes
de la guerre
de 1914-18 sont
liées au
problème du passage du
capital de sa phase de domination formelle à sa phase
de domination réelle
sur la
société
dans toute l’aire euro-nordaméricaine.
Cela
impliquait l’élimination
des vieilles
structures étatiques tant
en Europe centrale que dans
l’aire slave, mais aussi et surtout la domestication du prolétariat
et donc
l’enrayement du procès
de la révolution
communiste.
La
guerre de 1914-18 représente bien
la crise
catastrophique dont parla
Marx.
Elle aurait
pu effectivement conduire
à la fin du mode de production capitaliste. Dans
une certaine
mesure
on peut dire qu’à l’échelle mondiale la crise
qui éclate en 1914 ne
se termine que de nos jours avec la réalisation à la même échelle de la domination réelle du
capital sur la société.
Dès
la fin de
la guerre
le procès
révolutionnaire prend une importance
considérable.
Ceci est
apparent non seulement
à travers les divers mouvements de gauche, mais
également au travers
de deux
courants placés dans
une mouvance
d’extrême-droite et
défendant la nation :
la révolution conservatrice
et le national-bolchevisme. Ce dernier
se manifeste
comme une radicalisation de la première
et se caractérise
par les éléments suivants :
-
anticapitalisme radical, rejetant la troisième voie (recherche d’un « milieu » entre collectivisme
et individualisme, communisme
et capitalisme, l’Europe de l’ouest
et la Russie) et acceptant la lutte
des classes ;
-
acceptation
d’une
alliance avec les communistes ;
-
engagement total aux côtés de la Russie
bolchevique posée comme modèle à cause de l’efficience de son appareil d’État [11].
Ces
deux courants témoignent de la puissance du mouvement anti-capitaliste
de droite et une ambiguïté vis-à-vis
de la nature. On y trouve
des théorisations indiquant une volonté de ne pas rompre avec elle,
mais ceci d’un point de vue
foncier puisque pour certains
le rapport à la nature est médiatisé par le rapport au sol, au sang, à
la
hiérarchie etc., tandis que
d’autres
postulaient la recherche d’une séparation et la fondation de rapports
artificiels au sein de l’espèce mais qui ne soient pas ceux imposés par
le capital,
sans être non plus féodaux. Dans les deux cas il y avait l’illusion de
pouvoir
dominer le mouvement de la valeur puis celui du capital.
Le
procès révolutionnaire bouleverse toute l’aire allemande
ce qui explique l’émergence des positions suivantes : rejet de
l’héritage
romain, de l’individualisme, du libéralisme, du capitalisme d’abord sur
le plan
international, puis national (justement parce qu’étranger et
matérialiste) ; de l’Aufklärung :
à la raison déclarée dissolvatrice
est opposée l’idée ; rejet
de la dictature de l’économie avec affirmation de la primauté du
politique et donc
de l’État (dans la filiation
avec Lassalle et Rodbertus) ;
rejet de la notion de progrès auquel est opposé le
« développement
organique », avec affirmation d’un
vitalisme ;
rejet de l’Occident (Spengler est le seul à défendre l’appartenance
de l’Allemagne à ce dernier) ; importance
de la communauté conçue dans la lignée de Tönnies, la Volksgemeinschaft ;
rejet de la ville ; exaltation des paysans comme
étant les
meilleurs soutiens de la nation.
Jusqu’en
1945
(et
même au-delà pour certaines zones) on a une période de repli du capital
déterminé par l’obstacle prolétarien, par celui foncier s’exprimant dans les mouvements d’extrême-droite,
ce qui inhibe l’instauration de sa représentation. Or,
sans elle, il ne peut pas se
déployer selon son mode
d’être fondamental : un quantum Κ
doit se
transformer en un quantum accru Κ’
= Κ +
ΔΚ.
Le capital ne peut se maintenir à l’échelle mondiale qu’en se plaçant
dans le
domaine foncier, pour cela il conquiert la nation, qu’en
faisant un compromis avec le prolétariat, d’οù son développement à partir du
pôle travail
ce qui conduit à l’exaltation du travailleur et par là à celle d’une seule phase donnée de son procès de production
global : le procès de
production immédiat, ce qui aboutit à la réalisation sous forme
mystifiée du
prolétariat classe dominante, voire celle du communisme.
On
doit
noter que le moment où se constitue réellement le national-bolchevisme
et où l’Allemagne
opère pour empêcher qu’il n’y ait une intervention contre l’URSS, est
celui du triomphe, chez cette dernière,
de la théorie du socialisme en un seul pays, c’est-à-dire
quand il y a l’abandon
définitif de la théorie révolutionnaire. C`est
un
vaste compromis entre les trois éléments fondateurs du mouvement du
capital : la propriété foncière, la valeur se transformant en
capital et
le travail. En outre, elle a l’avantage pour les théoriciens de l’extrême-droite allemande d’accorder
à l’État une place
prééminente. Au fond la
pratique du socialisme en un seul pays permet de maintenir uni ce qui
tendait à
être violemment séparé par
le devenir du
capital, avec tendance ensuite de la part de ce dernier à éliminer
totalement
propriété foncière et travail. Elle traduit donc le fait que ces
derniers sont
encore assez forts pour
éviter leur
absorption οu
leur suppression, mais incapables de
fonder un autre devenir. Ceci avait amené une phase de dissolution de
l’ancienne
société bourgeoise avec une certaine autonomisation
des divers éléments.
On
comprend pourquoi la formule du socialisme en un seul pays
triompha
dans le monde entier, que ce soit à travers les forces de gauche pro-soviétiques οu
à travers celles d’extrême-droite, et ce même dans la
forme
anticapitaliste édulcorée que fut le nazisme et celles encore plus
ternes comme
le franquisme, le salazarisme... Le
New Deal lui-même est une
forme de socialisme en un
seul pays. Enfin ce fut la forme trouvée pour la solution aux luttes de
libération
nationale non seulement avant mais après 1945.
Ainsi
on peut dire que grâce à un pillage du marxisme il y eut
sauvegarde du mode de production capitaliste ; ce qui fournit
le possible
d’un rapprochement historique entre le surgissement du féodalisme en
occident
provenant d’une synthèse
entre les formes
de dissolution de l’empire romain et celles de l’aire germanique, et
l’émergence
de la domination réelle du capital sur la société à la suite d’une synthèse entre les données
provenant de
l’aire allemande où se dissolvait la société bourgeoise, expression de
la
domination formelle du capital sur la société, et celles provenant de
l’aire
slave, elle aussi en dissolution.
Au
cours des années 20 et 30 de
ce siècle, il y eut une perception,
surtout au sein de l’extrême-droite
allemande,
du procès de fragmentation, séparation opérée d’abord par la valeur
puis par le
capital et une expression du refus de celui-ci. D’où la volonté
d’unifier, de
recomposer une unité. Ecoutez
Lenz : « Ιl
s’agit de continuer cette économie véritablement politique qui postule
l’unité
de l’État et de l’Économie politique et qu’a détruite
le libéralisme. »
(cité par L. Dupeux
in Stratégie communiste et dynamique
conservatrice, thèse
p. 450).
On
doit noter que la volonté de retrouver des racines, de
poser le peuple, puis la race en tant que médiation de réalisation de
cette
communauté – ce qui s’accompagne de la thématique au sujet de la pureté
qui
implique l’exclusion de ce qui n’appartient
pas au peuple, à plus forte raison à la race – en même temps que le
fait de ne
pas revendiquer une réconciliation réelle avec la nature,
conduisit inévitablement au racisme, forme
foncière du racketisme. En
outre cette même volonté aboutit à la réalisation d’un
compromis entre la propriété foncière, la valeur devenue capital, et le
travail. Ceci est fort bien exprimé par le Groupe des Nationalistes
social-révolutionnaires qui « se réclamait de la
Nation en tant que « valeur ultime », du Peuple,
conçu comme une
« Communauté culturelle spécifique », et du
socialisme. » (O.c.,
p. 362). Certes la dimension capitaliste est quelque peu escamotée ici mais en fait toutes ses
présuppositions
sont conservées.
Un
comprend de ce fait également que la revendication de la communauté
s’accompagne
de celle d’un État absolu,
d’un despotisme,
d’un totalitarisme, etc.
Dans
l’optique de Marx en
revanche il y a le posé de la communauté en tant que totalité,
communauté
universelle de l’espèce, et celui de la communauté en tant que
multiplicité. En
effet la communauté totale
des hommes et
des femmes ne peut se réaliser que comme intégrale de multiples
communautés
différant à cause de données historiques, géographiques, etc, de telle sorte qu’il ne peut pas y
avoir d’exclusion, ce qui élimine toute dynamique raciste, racketiste.
Ainsi
nous voyons qu’au moment déterminant de la crise telle
que l’avait envisagée Marx, il
y eut une
dissociation de ce qu’il avait envisagé comme solution : la
réalisation de
la communauté et le dépérissement de l’État.
En
effet on l’a vu le mouvement de la gauche ne parvint pas à poser la
nécessité
de la première tout en affirmant la nécessité de la réalisation de la
seconde.
En revanche le mouvement d’extrême-droite (bien
plus que la droite elle-même)
théorisa – certes
de façon limitée – l’urgence de l’établissement de la communauté mais
ne put
jamais accepter l’exigence de l’extinction
de l’État. « L’État n’est
pas l’instrument
d’une classe, il ne va pas « dépérir ». La société
bourgeoise est
ennemie de la nation et de l’État. » (Lenz cité par L. Dupeux).
Ce
sur quoi nous voulons insister c’est sur cette revendication
de la communauté de la part des courants de droite, mais surtout d’extrême-droite qui n’a rien à voir avec la théorisation
de Marx à son sujet, mais
qui témoigne de sa nécessité impérieuse. Ce
fut une preuve de faiblesse théorique énorme de la part de tous les
courants de
gauche de ne pas avoir été à même d’affronter la question de la
communauté sur la
base de l’œuvre de Marx. Ils répondirent à côté des
questions
posées, ne saississant pas
leur profondeur,
de même d’ailleurs sur le plan de la connaissance particulièrement
en ce qui concerne le développement scientifique.
Cette
faiblesse théorique consiste en ce que les divers
révolutionnaires n’ont pas compris le phénomène de repli du mouvement
du
capital. Ils théorisèrent en général la phase du déclin du capitalisme.
Les
membres de la gauche communiste d’Allemagne allaient plus loin et
parlaient d’un
effondrement du capitalisme. A noter toutefois que Mitchell
de la gauche communiste d’Italie parlait de
« Crise
et cycle dans l’économie du capitalisme agonisant. » (cf. Bilan,
n°10 et 11).
Les
révolutionnaires ne mirent pas en rapport ce qu’ils dénommaient déclin
du
capitalisme et l’immense résistance à ce dernier –
surtout en Allemagne – provenant de vastes couches de la
population
se mouvant tant à droite qu’à gauche. Ils furent aveugles à la
dimension anti-capitaliste de
l’extrême-droite. La reconnaitre les
auraient conduit à affronter sérieusement, comme nous l’avons dit plus
haut, la
question de la communauté. En revanche il y a reconnaissance
de l’importance de la défaite du prolétariat (mais pas celle de la
mystification du prolétariat érigée en classe dominante)
et le fait qu’il n’existait
plus
en tant que classe. Ainsi Canne-Meijer dans
les Thèses du GIC (Groupes
de Communistes
internationalistes) de 1935 affirmait : « ...
en réalité, la classe οuvrière ne
dit
rien, elle ne fait rien et n’adopte aucun point de vue. Elle n’existe
pas comme
classe active. Elle existe comme toute chose morte passivement. En tant
qu’être
vivant, elle existe seulement dès qu’elle entre
en mouvement et devient consciente d’elle-même. » (cité dans La
Gauche
hollandaise, p. 187).
Un
an auparavant, O. Perrone membre
de la gauche communiste d’Italie avait écrit dans Bilan,
n°6 : « ...la situation actuelle voit la
disparition
provisoire du prolétariat en tant que classe » et il tirait la
conséquence : « ...
le problème
à résoudre consiste dans la reconstitution de cette classe. » (Parti-Internationale-État).
Dix ans après il affirmait à nouveau :
« La classe n’existe
pas socialement depuis 15 ans. » [12].
Le contenu nous semble valable mais la formulation peu adéquate. En
effet en
tant que catégorie sociologique elle était présente, mais système de
domination
en place. On doit ajouter que dès les années 30, pοuvait déjà se poser en Allemagne le
problème de la
délimitation du prolétariat, étant donnée l’importance du développement
des
nouvelles classes moyennes.
On
comprend que le GIC ait
pu individualiser un vieux mouvement ouvrier qui a fait faillitte et mettre en avant la
nécessité de la formation d’un nouveau
mouvement. D’où la formation de
groupes de travail opérant dans
la
perspective de son surgissement. La position de la Gauche Communiste
d’Italie
était similaire mais pour les membres de celle-ci il était question de
la
fraction en tant qu’organe de résistance en attendant que mûrissent des
conditions
favorables à la reformation du
parti.
Ceci permet de comprendre la
position non-interventionniste
de ces courants lors de la guerre d’Espagne .
À
l’approche
de la seconde guerre mondiale la plupart des groupes
reprirent, pour expliquer l’inévitabilité de celle-ci, les
explications
théoriques faisant appel à l’impérialisme ; ce qui était
absolument
insuffisant. Cependant on doit noter la position d’Ο.
Perrone parce qu’elle cerne
la vraie causalité non seulement du conflit qui éclata
ensuite en 1939 mais aussi celui de 1914-18. La guerre
est une lutte
pour détruire la puissance du prolétariat. À noter que le
« Groupe de
discussion prolétarien » convergeait avec Ο.
Perrone puisqu’il déclarait:
« Toutes
les bourgeoisies doivent s’unir pour l’anéantissement partiel du
prolétariat. » (cité dans La Gauche hollandaise,
p. 223) [13].
Répétons-le
nous sommes d’accord avec
cette approche
théorique car ce qui est fondamental dans la dynamique du mode de
production
capitaliste, c’est l’antagonisme
capital-travail. Le premier
ne peut s’assurer la
domination réelle sur tout le
procès de vie de l’espèce que s’il parvient
à domestiquer le prolétariat. Or ce but a été atteint, en grande
partie, grâce
aux deux guerres mondiales auxquelles on peut adjoindre d’autres
conflits plus
localisés mais ayant tout de même une dimension mondiale comme la
guerre d’Espagne,
vis-à-vis de laquelle la Gauche Communiste d’Italie adopta une position
adéquate.
En
outre cette théorisation impliquait que l’URSS
n’était pas considérée comme un État
ouvrier
dont il fallait assurer la défense. À ce propos la Gauche Communiste de
Hollande, celle d’Italie et
divers
groupes à tendances conseillistes eurent
une position conséquente et juste même si elle recèlait
bien des faiblesses.
Pour
en revenir à la guerre à venir, la plupart des
militants de diverses organisations pensaient qu’elle
serait suivie par la révolution comme ce fut le cas avec
celle de 14-18.
C’est là qu’οn
peut noter une faiblesse et un manque de radicalité
de la part de O Perrone :
si la
guerre est un moyen d’écraser le prolétariat, comment à la fin de
celle-ci une
révolution peut-elle éclater ?
Pannekoek
de
son côté ne pensait pas à une
répétition des évènements du
premier
après-guerre comme cela apparaît à la lecture de son livre Les
conseils
ouvriers écrit entre 1941 et 1946 :
« ...contrairement au
précédent historique de l’Allemagne de 1918, le pouvoir politique ne
tombera
pas automatiquement aux mains de la classe ouvrière. Les puissances
victorieuses
ne le permettront pas : toutes leurs forces serviront à la
répression, si
besoin est. ». Ιl
ajoutait : « ...
les armées alliées libèreront l’Europe
pour permettre son
exploitation par le capitalisme américain. » (cité dans La
gauche
hollandaise, p. 239). À ce propos Bordiga
sera
encore plus incisif et parlera de l’agression contre l’Europe.
Position
du parti historique vis-à-vis de la
situation mondiale après 1945 et perspective de la révolution
communiste en
période de domination réelle du capital sur la société
À
l’inverse de ce qui s’était passé lors de la première guerre
mondiale, il n’y eut aucun
mouvement
révolutionnaire de grande amplitude après la seconde, comme beaucoup de
révolutionnaires l’avaient espéré misant sur une répétition du
phénomène de transformation de
la guerre en révolution. Le
stalinisme immobilisa le prolétariat dans
son entier : la masse
comme les groupes qui se posaient en avant-garde (positivement comme en
URSS et
dans tous les pays où il y avait un parti communiste important,
négativement
comme cela fut le cas aux USA). En effet
ceux-ci
se laissèrent fasciner par
le phénomène
stalinien et ne perçurent pas que ce qui était déterminant ce n’était
pas l’URSS,
mais la puissance des USA, comme cela apparaissait pourtant
amplement avec la mise en place du plan Marshall.
Le corollaire était que l’immobilisation du prolétariat était due à la démocratie.
Cependant
lors de la fin de la guerre et immédiatement après
il y eut en quelques régions d’Europe une certaine agitation ouvrière
qui
induisit divers révolutionnaires à reprendre le schéma selon lequel la
guerre
devait être immédiatement suivie par la révolution. Ainsi les membres
du Communistenbond
Spartacus affirmèrent :
« la période capitaliste de l’histoire de l’humanité touche à
sa fin »,
tandis que Pannekoek écrivait :
« Nous sommes aujourd’hui témoins du début de l’effondrement
du
capitalisme en tant que système économique. » (citations
extraites dans
les deux cas de La Gauche hollandaise, p. 272)[14].
Pannekoek
entrait
par là en contradiction avec
ce qu’il avait écrit à peu près à la même époque comme le montre la
citation reportée
plus haut, ainsi que celle-ci extraite du même ouvrage, p.
241 : « Avec
la seconde guerre mondiale, le mouvement ouvrier est tombé encore plus
bas qu’avec
la première... Au cours de la présente
guerre, la classe ouvrière n’avait aucune volonté propre. Elle s’est
montrée
incapable de décider par elle-même de ce qu’elle voulait
faire : elle
était déjà incorporée dans l’ensemble national. Comme les ouvriers sont
traînés d’usine en usine,
qu’ils portent l’uniforme
et font l’exercice, qu’ils sont
envoyés
au front, qu’ils sont mêlés
aux autres
classes, tout ce qui formait l’essence de la classe ouvrière a disparu.
Les
travailleurs ont perdu leur classe. Ils n’existent plus en tant que
classe.
Leur conscience de classe a
été balayée
dans la soumission de toutes les classes à l’idéologie du grand
capital. Le
vocabulaire de classe qui leur était particuliler :
socialisme, communauté, a été adopté par le capital pour
recouvrir des
concepts différents. »
L’agitation
ouvrière
en Italie produisit une
illusion semblable puisque les militants de la Gauche Communiste de ce
pays, à l’exception
notable de Bordiga, fondèrent
le parti
communiste internationaliste en 1943. Ici encore ce fut l’occasion pour
certains militants d’entrer en contradiction avec eux-mêmes, comme ce
fut le
cas d’ Ο.
Perrone qui participa très tôt à ce parti.
Nous
citons ces faits surtout pour montrer le désarroi
profond qui régnait au sein des quelques groupes restés sur des
positions
révolutionnaires. Très vite, comme nous l’avons indiqué, l’action du
stalinisme
éteignit toute vélléité de
révolution. Ce
fut le règne de la
contre-révolution qui
poursuivit son cours, avec l’instauration de la guerre froide. L’URSS apparut alors à beaucoup comme étant le centre de la
contre-révolution.
Le
groupe formé autour de la revue Socialisme οu
Barbarie
exprima de la façon la plus conséquente cette position. Ce
groupe issu de la IV°
Internationale trotskyste publia
dans le premier numéro de sa
revue en 1949, un second Manifeste
conçu de la même façon que le
premier comme l’indiquent les titres des diverses subdivisions :
« Bourgeoisie et bureaucratie -
Bureaucratie et prolétariat -
Prolétariat et revolution ». Une
différence importante : il n’est pas
proposé de programme. De même il n’y a aucun essai de décrire ce que peut être le communisme.
Les
auteurs partent d’un constat : « le mouvement
révolutionnaire semble
avoir disparu. » (p. 7).
Ils
en
expliquent les causes : « .…aussi
bien l’évolution du capitalisme que le développement du mouvement
ouvrier lui-même
ont fait surgir des nouveaux problèmes, des facteurs imprévus et
imprévisibles,
des tâches insoupçonnées auparavant, sous le poids desquels
le mouvement organisé a plié, pour en
arriver à la disparition actuelle. »
(p. 10).
De là
ils passent à l’exposé de la nouveauté qui impose la nécessité de la
rédaction
d’un nouveau manifeste : « En gros on peut dire que
la différence
profonde entre la situation actuelle et celle
de 1848
est donnée par l’apparition de la bureaucratie en tant que
couche
sociale tendant à assurer la relève de la bourgeoisie traditionnelle
dans la
période de déclin du capitalisme. »
Les
auteurs exposent une prévision sur le devenir de la nouvelle
société capitaliste.
« En
effet, le processus de concentration des forces productives ne pourrait
s’achever
que par l’unification du capital et de la classe dominante à l’échelle
mondiale, c’est-à-dire par l’identification des deux systèmes qui
s’opposent aujourd’hui. Cette
unification ne pourrait se
faire que par la guerre, qui est désormais inéluctable. Elle est
inéluctable parce
que l’économie mondiale ne peut pas se maintenir scindée en deux zones
hermétiquement séparées et parce que aussi bien la bureaucratie russe que l’impérialisme
américain ne peuvent que chercher à résoudre leurs
contradictions par l’expansion
à l’extérieur. » (p. 20).
« ...
cette guerre devient le milieu
vital de la société mondiale,
et son
échéance future détermine dès à présent les manifestations de la vie
sociale
dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’économie οu
de la politique, de la technique οu
de la religion. »
(p. 2l).
« Le
sort de l’humanité et de la civilisation dépend
directement de la révolution. » (p. 22). En effet seule la
révolution peut
empêcher que la guerre
n’aboutisse, ce
qui semble bien impliquer que, dans tous les cas, elle aura lieu.
Enfin
il y a l’exposé du but du mouvement
révolutionnaire : « Ιl
apparaît
maintenant objectivement, d’une manière matérielle et palpable pour tous les travailleurs, que
l’objectif
de la révolution socialiste ne peut être simplement l’abolition de la
propriété
privée, abolition que les
monopoles et
surtout la bureaucratie réalisent eux-mêmes graduellement, sans qu’il
en
résulte autre chose qu’une amélioration des méthodes d’exploitation,
mais esssentiellement
l’abolition de la distinction
fixe et stable entre dirigeants et exécutants dans la production et
dans la vie
sociale en général. » (pp. 42-43).
« La
dictature du prolétariat doit être une démocratie
pour le prolétariat... » (p. 44).
« L’organisation
politique de l’avant-garde est
historiquement indispensable car elle repose sur le besoin de maintenir
et de
propager parmi la classe une
conscience
claire du développement de la société... » (p. 45). Au sein de
cette avant-garde
« la distinction entre dirigeants et exécutants doit tendre
dès le début
vers son abolition. » (p. 46).
Nous
avons assez longuement cité ce Manifeste
parce que le groupe Socialisme οu
Barbarie
a synthétisé
diverses idées provenant de groupes ou d’individualités différentes et
édifié
une théorie du totalitarisme
stalinien
qui a diffusé dans l’ensemble social. Elle est l’expression la plus
précise de
cet antistalinisme qui a pleinement profité à l’impérial-gangstérisme
étasunien. C’est aussi parce que les reliquats de ce groupe fournissent
actuellement
une contribution importante à
la représentation
« démocratique » en place.
Quelques
années plus tard Bordiga
écrivit :
« Nous avons
dit
plusieurs fois que le
Manifeste
est une apologie
de la bourgeoisie. Et nous avons ajouté
qu’aujourd’hui, après la seconde guerre
mondiale et la
réabsorption de la
révolution russe,
il fallait en écrire une autre, mais
non pas en fonction des philosophies
des valeurs
qui
projettent dans l’idéologie bourgeoise
l’implacable économisme et l’esprit
boutiquier propres à la classe
et à l’époque.
Nous avons
besoin d’effectuer
l’apologie
de l’accusé pour conclure qu’il est
temps de le condamner
à la peine
maximum. » Battaglia
comunista, n° 8, 1952.
Cependant avant d’analyser
la perspective de Bordiga,
indiquons
que le groupe Fomento obrero revolucionario (Munis, Β.
Perret,
Nathalia
Sedova
Trotsky)
provenant
de la IV° Internationale publia en 1961 Pour un second
manifeste.
Ιl
est important de tenir
compte
que certaines
parties
avaient déjà été publiées en 1949
dans un
texte
Le prolétariat
en face
des deux
blocs. Indiquons les titres de chapitre :
« Décadence du capitalisme -
Stalinisme
et socialisme - Impérialisme et
indépendance
nationale -
Révolution οu
guerre impérialiste -
Les perspectives marxistes - L’organisation révolutionnaire -
Les tâches
de notre
époque ».
Le
dernier chapitre constitue
le programme immédiat. Ιl
n’y a pas de description du communisme. Indiquons quelques formulations
qui nous
semblent compatibles avec
notre approche. Le prolétariat
doit « restaurer
l’unité entre l’homme et la
nature »
(p. l7, éd. Eric
Losfeld).
« Elle [l’organisation révolutionnaire, n.d.r.] doit
préfigurer le futur monde sans
frontière ni classe. »
(p. 63).
Que ce soient
de la part des conseillistes οu
des groupes comme Socialisme
οu
Barbarie
οu
Fomento Obrero la
démocratie est rigoureusement revendiquée comme principe
régissant tant le fonctionnement de
la totalité
sociale que le mode de vie de l’organisation. Ιl
en fut de même pour
le parti communiste internationaliste
fondé en 1943. Voilà pourquoi Bordiga se
tint d’abord éloigné de celui-ci puis participa à son
œuvre éditoriale sans
être inscrit. Entre
temps ce
parti avait
abandonné, bon gré malgré,
ses prétentions à jouer un rôle dans le cirque électoral.
Mais la revendication d’un mécanisme démocratique
comme devant régir la vie interne du
parti persista. En conséquence
la scission était inévitable
et elle se réalisa en 1951. On peut considérer que ce
fut un moment essentiel
dans
le devenir de
la révolution pure, la
révolution
qui devait se réaliser en
domination réelle du capitalisme sur la société.
Revenons à Bordiga.
Ιl
n’est pas question d’exposer
les différents
éléments essentiels
de son œuvre
réalisée
après
1945. Toutefois
il nous faut rappeler
ce qui a
déterminé fondamentalement son
comportement :
les évènements qui se sont produits depuis la révolution russe
jusqu’à la fin de
la seconde
guerre mondiale constituent à la fois
une défaite importante du mouvement révolutionnaire et une éclatante victoire théorique
de celui-ci.
Le marxisme, théorie du prolétariat,
sort renforcé et son invariance réaffirmée.
En conséquence la réécriture
d’un second
manifeste
s’imposer
non pas parce
que quelque chose
de fondamentalement nouveau
se serait manifesté, mais afin de mieux réaffirmer le contenu de celui de
1848 et pour proclamer qu’il n’y
a plus de nécessité à l’échelle mondiale d’une phase de construction
capitaliste.
Seule
l’absence du prolétariat en tant que classe révolutionnaire
explique l’énorme différence entre la période où le Manifeste
fut rédigé et celle où Bordiga eut l’intention d’en
écrire un second ; de même qu’elle explique le fait que la
victoire se
réduise au domaine théorique. Cette dernière n’est pas apparente pour
tous
parce que la représentation dominante au sein de la classe, qui devait
et doit
faire la révolution, consiste en une déformation totale de la théorie
réelle
telle qu’elle fut exposée en 1848. En conséquence il faut restaurer la
théorie
marxiste. Toutefois il n’est pas concevable qu’il puisse y avoir un
divorce
permanent entre la théorie et la pratique. Il est certain que le
prolétariat se
reconstituera en tant que classe et donc en un parti révolutionnaire.
C’est ce
qu’il faudra démontrer, en même temps qu’il s’agira de mettre en
évidence – ce qui est un
corollaire – les obstacles qui
empêchent le prolétariat de retrouver ses bases révolutionnaires. Aussi
la
grande question qui se posa dans les années 50 fut : comment
le
prolétariat pourra-t-il redevenir une classe révolutionnaire ?
Notons
que ce n’est pas une question nouvelle. En effet dans
le bref historique des évènements advenus entre 1917 et 1945, que nous
avons
rédigé précédemment, nous avons souligné que, dans les différentes
gauches et
particulièrement dans celle d’Italie, nous avons vu pointer les termes
de celle-ci.
Bordiga l’expose seulement avec plus de clarté, plus d’ampleur et de
conséquence. En même temps que surgit de son sein une autre question
certainement plus angoissante – tout au moins dans l’immédiat – le
prolétariat
n’est-il pas inéluctablement intégré ? Le posé de cette
question équivaut
à la manifestation d’un doute sur la validité de la théorie du
prolétariat.
Cependant, nous le verrons ultérieurement, il aurait été possible
d’affronter
de façon décisive cette terrible question sans abandonner le projet de
constituer une autre communauté. C’est pourquoi, dit de façon quelque
peu
elliptique, il y a chez Bordiga avec un profond soubassement chez Marx,
tous
les éléments pour fonder notre théorie sur la fin du procès révolution
et la
nécessité d’abandonner ce monde.
Le
phénomène essentiel apte à rendre au prolétariat son caractère
révolutionnaire réside dans la crise qui provoquera la disparition de
la
réserve, de la sécurité que le développement antérieur du capital a pu
assurer
aux prolétaires et qui, en même temps, accusera les heurts entre les
différents
centres capitalistes, les nations.
Il
ne faut pas s’illusionner; la perspective d’une telle
crise n’est pas immédiate de telle sorte que la question devient
alors :
qu’est-ce qui pourra favoriser le déploiement de celle-ci ? Il
y a bien sûr
le développement du capital qui, une fois assurée la reconstitution de
tout ce
que la guerre avait détruit, doit tendre inévitablement à une phase de
surproduction, etc. Mais il y a aussi tout le phénomène des révolutions
anticoloniales qui prend de l’ampleur au début des années 50.
Pour
comprendre la position de à ce sujet il faut tenir compte qu’il ne
pouvait en
aucun cas s’agir d’une intervention qui aurait visé à soutenir un
quelconque
mouvement, étant donné qu’il n’y
avait
plus d’organisation prolétarienne tant dans les métropoles
du capital que dans les pays colonisés. Fidèle à sa
conception des
cycles historiques, Bordiga considère
que, du fait du blocage de la révolution communiste, ces divers pays
vont
obligatoirement connaître un
cycle
historique comparable à celui qu’ont connu les peuples de l’Occident.
Toutefois
il ne peut pas y avoir une simple récapitulation, d’où s’impose la
nécessité
d’étudier le développement des différentes formes de production à
l’échelle
mondiale.
L’intérêt
de
ces mouvements révolutionnaires c’est qu’ils
tendent à affaiblir le système
capitaliste dans son ensemble tel qu’il
s’est
formé antérieurement, ce qui oblige les différentes nations à liquider
leurs
vieilles structures sociales et à devenir plus purement capitalistes de
telle
sorte que pourrait se réaliser une conjonction entre deux
phénomènes :
celui des révolutions des peuples coloniaux qui sont des révolutions
impures
susceptibles de transcroitre en
révolutions pures, communistes, s’il y avait un mouvement
révolutionnaire puissant en Occident et celui des
prolétaires
des métropoles menacés par les restructurations en cours.
Ceci
dit la position vis-à-vis du nationalisme reste la
même : rejet total. Ceci est d’autant plus nécessaire que
persiste encore la
solution du socialisme en un seul pays qui tend à être adoptée par les
pays
parvenant à l’indépendance. De là d’ailleurs l’importance accordée au ΧΧ° congrès du PCUS,
parce que le contenu essentiel de celui-ci consista en la
reconnaissance
de la faillite du socialisme
en un seul
pays dans l’aire slave, et l’accession de l’URSS au marché
mondial, accession nécessitant, comme le montra Bordiga,
la liquidation totale[15].
Ce
qui préoccupe fondamentalement Bordiga c’est
en définitive la réalisation des conditions d’une
révolution pure, la révolution
communiste, la dernière de la série des révolutions ; ce que
nous avons
appelé la révolution communiste en période de domination réelle du
capital sur la
société.
Simultanément
il s’agit de
rejeter les représentations et pratiques qui tendent à inhiber un
mouvement
autonome de la classe prolétarienne, à l’empécher
de se constituer en tant que tel et donc en parti, ainsi
du
nationalisme, de la démocratie, du parlementarisme, etc.
Ιl
y avait aussi les syndicats. Dans ce cas
les positions de Bordiga manquent
de
rigueur et de radicalisme. D’un côté
il y
a reconnaissance du caractère réactionnaire de ceux-ci, d’un autre côté il y a l’affirmation qu’ils peuvent être conquis et servir
ultérieurement à nouveau les
intérêts du prolétariat révolutionnaire. En conséquence les militants
furent
membres des syndicats. Au
début cette
affiliation revêtit simplement un caractère de solidarité avec les
prolétaires,
et témoigna d’une volonté de ne pas se séparer de la
« masse ». Mais
assez vite il y eut un glissement dangereux qui devait aboutir à
abandonner les
violentes critiques faites à ces organisations dites immédiates. Ce fut
la création de fractions au
sein des syndicats avec la
volonté de conquérir la direction de ces derniers[16].
Le
manque de radicalisme en ce qui concerne la question du syndicat se
comprend
très bien parce que le rejet de celui-ci pοuvait
conduire à mettre en cause la théorie du prolétariat. En effet opérer
ainsi n’était-ce
pas reconnaître de fait l’intégration irréversible du
prolétariat ?
Bordiga devait pleinement percevoir ce glissement possible d’autant
plus qu’il
ne se faisait aucune illusion sur la situation politique du
prolétariat.
« Dans la phase actuelle la masse du prolétariat et de ses
partis les plus
importants n’est qu’un réseau d’égouts où circule le liquide noir des
idéologies politiques bourgeoises, de l’apologie du libéralisme, du
pacifisme,
du progressisme, de la prospérité, de la légalité, de la
constitutionnalité et
autres ignominies. » (Compte-rendu de la réunion de Florence,
1958 : Les
luttes de classes et d’États dans le monde des peuples non blancs.).
Notre
exposé est une explication et non une justification.
La position de Bordiga en ce qui concerne le syndicat était erronée.
Cette
erreur importante découle elle-même – comme nous l’avons maintes fois
exposé – du
fait de l’ambiguïté du regroupement de militants autour de lui. Il se
nommait
parti (sa constitution remontait en fait à 1943) et œuvrait en
considérant que celui-ci
ne pourrait renaître que dans un lointain avenir, position en fait
surtout
affirmée par Bordiga, tandis qu’à cause de l’activisme la majeure
partie des
militants rechignait à devoir attendre. Ceci explique la centralité de
la
question de la prévision chez Bordiga, qui est celle de la crise
catastrophique
devant amener la destruction du mode de production capitaliste, et de
la
révolution pure qui lui est liée. Nous l’avons maintes fois exposée,
rappelons qu’elle
fut formulée clairement en 1957.
Succinctement
elle affirmait :
1°
Le développement d’une crise, dite crise d’entre deux
guerres comme celle de l929, devant se manifester au milieu des années
soixante, permettant une première séparation du prolétariat vis-à-vis
des
diverses formes d’intégration capitalistes, ce qui favoriserait le
resurgissement
de positions révolutionnaires au sein de la classe et donc la
reformation du
parti communiste.
2°
L’éclatement d’une crise de type catastrophique
au cours des années 1975 à 1980 qui radicalisera encore plus la classe
ouvrière
qui s’unifiera à l’échelle mondiale. Ce phénomène implique que
s’effectue une
convergence entre les mouvements de libération vis-à-vis des puissances
coloniales avec celui du prolétariat durant les années qui précéderont
cette
crise. Enfin la réunification de l’Allemagne en tant qu’elle aboutira à
celle
du prolétariat le plus puissant, le mieux organisé et ayant la plus
grande
tradition révolutionnaire, sera un moment essentiel de la révolution
mondiale.
Bordiga
était persuadé qu’elle serait la dernière
révolution :
« Dans
cette troisième vague historique de la
révolution, l’Europe deviendra communiste politiquement et socialement,
ou bien
le dernier marxiste aura disparu. » (7 Novembre
l9l7-l957: quarante ans
d’une estimation organique des évènements de Russie dans le dramatique
développement social et historique international, in Russie
et
révolution dans la théorie marxiste, éd. Spartacus, p. 49l).
Le
manifeste de Bordiga consista en définitive en l’exposé
de cette prévision. Seule la réalisation de celle-ci pouvait faire en
sorte que
se maintienne la continuité avec 1848, ce qui mettrait en évidence la
pleine
validité du programme communiste, élément fondamental pour définir le
parti
historique à la fois intégrale et dépassement de tous les partis
formels,
contingents.
Comment
se présente la situation en
1992, et position de notre
phylum.
En
1992 pouvons-nous raisonner comme Bordiga après 1945
étant donné qu’il n’y a plus de classe prolétarienne, de mouvement
prolétarien.
Quel peut donc être le
référent puisque
nous avons affirmé que toute organisation ne pouvait être qu’un
racket ?
En outre nous ne pouvons pas raisonner de façon
immédiate en fonction de quelques individus maintenant une
lignée
théorique donnée, mais nous devons le faire en fonction d’un phylum qui
inclut
tous ceux qui s’opposèrent à la domestication et par là mettre en
évidence les
caractères actuels de celui-ci.
Bien
que notre phylum soit issu du mouvement prolétarien,
nous ne pouvons pas dire que nous sommes en continuité-filiation avec
la
totalité de celui-ci. Nous sommes en continuité avec certaines des ses
composantes (tout en reconnaissant l’importance des autres). Faire un
exposé à
leur sujet serait trop long. Mieux vaut alors caractériser notre phylum
au
travers d’un certain nombre de prises de position effectuées au cours
d’un laps
de temps d’environ cent cinquante ans et que nous n’énonçons pas
obligatoirement dans un ordre chronologique mais en fonction de la
cohérence de
la représentation actuelle.
1.
Qui
a du fer à du pain. Cette affirmation
de Blanqui doit être connectée à celle de Babeuf affirmant que la force
a plus
d’importance que celle de la raison dans la dynamique de libération
révolutionnaire.
2.
Nécessité
de l’union (Flora Tristant).
L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs
eux-mêmes. Rejet
des grands hommes et de tout messianisme.
3.
Possibilité
du communisme dès 1848 [17].
Celui-ci supprime
l’incertitude de la vie, l’insécurité, l’angoisse (Babeuf).
4.
La
loi de la valeur n’est plus opérante dès
le stade du socialisme inférieur.
5.
Nécessité
de sauter le mode de production
capitaliste ou tout au moins d’abréger sa durée.
6.
L’œuvre
de Marx consiste en la des_c_r_i_p_tion
du communisme.
7.
Le
marxisme est une théorie des
contre-révolutions.
8.
Nécessité du parti. Le parti est anticipation de la
société communiste. Le parti ne peut être que le parti communauté.
Cette
dernière proposition est en connexion avec : la
question de la communauté est au centre de l’œuvre
de Marx.
9.
La dictature du prolétariat est nécessaire à cause de l’intervention
qu’il faut faire pour, soit
sauter la
phase capitaliste, soit abréger la durée de celle-ci (ceci doit être
relié à la
question de la tactique directe et à celle indirecte).
Liée
à cette affirmation il y a celle concernant la proclamation
de la nécessité d’une émancipation radicale et non progressive.
10.
La dictature du prolétariat assure la négation de celui-ci
et non son exaltation.
11.
Nécessité du programme qui consiste à déterminer ce qu’est
le communisme et la voie pour y accéder.
Ce faisant on va au-delà de l’opposition but-mouvement,
moyen-fin. Cela implique l’instauration
d’un
pôle reflexif. Le programme
est posé en
tant que dépassement de la science ; il est intégration du
savoir
antérieur. Ιl
est codification du comportement d’une classe
donnée, elle-même héritière des
luttes des classes exploitées antérieures. Ιl
est intégration de toute une
lutte contre
l’oppression, l’exploitation.
12.
Le mouvement communiste, la révolution communiste ne peuvent
se réaliser qu’à l’échelle internationale. C’est
l’Internationale Communiste – considérée comme le parti
communiste
mondial – qui aurait dû diriger l’État russe
et non le parti communiste de Russie.
13.
Anti-individualisme, importance
de l’espèce.
14.
Le développement du capitalisme est lié à une
destruction intense de la nature. On en arrive au stade où les êtres
vivants
vont tendre à éliminer Homo sapiens afin
que la nature demeure.
15.
Reconnaissance de l’importance de la lutte des peuples
non blancs contre leurs colonisateurs. Ceci fut fondé sur les présupposés : 1° tactique
indirecte :
la lutte de ces peuples peut affaiblir les centres capitalistes et
permettre
une reprise de la lutte prolétarienne ; 2° degré de
radicalisation de la lutte ;
3° unification de l’espèce ; 4° nécessité d’abréger la durée
de la phase
de développement du capitalisme.
16.
Reconnaissance de l’importance des procès de
connaissance autres que celui produit par l’Occident.
l7.
Contre la mythologie de la raison, de la science (à bas la
science).
18.
Révolution
anonyme, pas de chefs ; contre la démocratie, le front unique.
Si,
actuellement, on rejette l’anonymat, on maintient le reste. Le rejet de
la première est lié à la
possibilité d’une
affirmation positive dès maintenant de la communauté.
19.
Le procès révolutionnaire consiste en un renversement de
la praxis. Rejet de la théorie de la conscience venant de l’extétérieur ; importane exceptionnelle
de la théorie en rapport avec la nécessité de la prévision et avec
celle de
constituer un pôle reflexif de
grande
puissance.
20.
Tous les moments fondamentaux du développement de l’espèce,
donc toutes les révolutions sont liés à des discontinuités. Le
surgissement du prolétariat
et l’affirmation du communisme
correspondent à un tel moment de discontinuité qui implique un schisme,
une
séparation radicale avec le comportement et la théorie des classes
antérieures
(démocratie, illuminisme, religion, etc.),
qu’il faut absolument maintenir. En particulier il faut affirmer qu’on
ne fait
pas d’expérience, qu’on ne lutte pas.
Prévoir
c’est chercher
à individualiser un moment de discontinuité à venir.
2l.
Rejet de l’innovation, de l’enrichissement : la
théorie est valable depuis le surgissement du prolétariat jusqu’au
triomphe de la
révolution communiste et la disparition de ce dernier. Rejet également
de
toutes les affirmations des épigones du capital sur un soi-disant
dépassement
de Marx, déterminé par une
soi-disant mutation de la
société, et donc de la pression ambiantale
qui conduirait
à vouloir enrichir le marxisme.
22.
Rejet de la théorie du militantisme et surtout de celle
du militant qui se sacrifie : on ne lutte pas, on ne fait pas d’expérience, il n’y a pas de
problème. Ceci a
pour corollaire le rejet de la théorisation de l’avant-garde. La
participation
à l’activité révolutionnaire, l’adhésion au parti est déterminée par
des pulsions
profondes qui dépassent les limites individuelles. Adhérer au parti est
source
de joie puisque c’est déjà participer à la société communiste. En
effet on se comporte comme si la révolution communiste était déjà
advenue ce
qui s’accompagne du rejet de tout immédiatisme.
23.
Le révolutionnaire ne peut pas être un drogué.
24.
Le capitalisme se développe toujours en tant que
monopole, donc aberration de la théorie d’un
capitalisme
monopoliste. Ιl
en est de même de celle de l’impérialisme.
Tout aussi aberrante est la
thèse au
sujet de la décadence du capitalisme ; thèse qui implique que
le
développement des forces productives qu’effectue le mode de production
capitaliste pourrait avoir comme but la satisfaction des besoins
humains.
25.
Le capital peut aller au-delà de ses limites :
échappement de celui-ci.
26.
Fascisme et variantes ainsi que les diverses nationalisations
ont pour contenu de poser le capital constant égal à zéro. Cette
affirmation
doit être mise en relation avec :
-
le fascisme a gagné la guerre ;
-
le
capital ne peut se développer qu’en
provoquant l’homicide des morts et doit s’emparer et capitaliser tout
le
travail universel ;
-
le développement de l’automation ne
contredit en rien les données de la théorie de Marx.
Celui-ci avait parfaitement individualisé la tendance à la
diminution du
travail vivant ;
-
le capital se constitue
en communauté matérielle ;
-
développement d’un capitalisme sans
capital (théorie du diable au corps), de même qu’il peut le faire sans
capitalistes après disparition des bourgeois, sans prolétaires, et
formation
d’une classe universelle ; sa tendance est, à la limite, à se
passer
entièrement des hommes et des femmes.
27.
Le capital s'est échappé de ses limites; il n’est plus qu’une représentation: anthropomorphose et autonomistion de celui-ci.
28.
Ιl
n’y a plus d’État,
mais des bandes, des rackets.
29.
Contre la consommation et la mystique du développement
des forces productives. Celui-ci est déploiement du gaspillage. La consommation est le moyen d’intégrer
le
prolétariat dans la société-communauté du
capital.
30.
Contre le volontarisme : on ne construit pas le
socialisme. Ceci est en liaison avec : le socialisme se
développe au sein
de la société capitaliste.
On
ne construit pas le parti. Celui-ci peut non seulement dégénérer mais disparaitre.
Corollaire :
nécessité de l’union du prolétariat pour
que le parti se constitue, sans qu’il y ait abjuration du schisme lié
au
surgissement de la classe prolétarienne.
D’où
théorisation du parti historique (intégral) non
susceptible de dégénérer, qui est en définitive la Gemeinwesen
du prolétariat (c’est un potentiel de forces qui
demeure au moins tant que la révolution communiste ne s’est
pas réalisée), et du parti formel (contingent) qui peut disparaitre.
3l.
La révolution doit se faire à un titre humain : l’être humain est la véritable Gemeinwesen de l’Homme.
32.
Fin de la validité de la théorie de la valeur, de celle
du prolétariat. Ce qui est en cohérence avec l’affirmation au sujet de
la fin
du procès révolution.
33.
Les
limites de la théorie de Marx sont
liées
au fait que ce dernier raisonnait en acceptant la coupure intérieur-extérieur. Celle-ci est
déterminée
par la séparation de l’espèce vis-à-vis de la nature qui est le
phénomène
essentiel conditionnant tout le développement
de
Homo sapiens et
l’invariance : la nécessité
de retrouver la communauté.
34.
Le phénomène de séparation de la nature s’exprime de
façon percutante dans l’opposition entre les femmes et les hommes et
dans l’assujettisement des
premières par les seconds
qui se réalisa avant que ne se constituassent les communautés abstraisés : les États. Ultérieurement – surtout en
Occident – les luttes de classe
masquèrent l’antagonisme entre les sexes, comme l’opposition à la
nature.
Le
mouvement de libération de la femme (le féminisme sous
toutes ses formes) aboutit à la réduction de la femme à une particule
du
capital.
Corollaire :
élimination de la diversité entre les sexes.
35.
Ιl
faut quitter ce monde.
36.
Mort potentielle du capital.
37.
Fin
de la
culture : la religion, la philosophie, l’art, le théâtre, la littérature sont autant
de
thérapeutiques et parfois de prothèses pour pouvoir assumer la coupure
d’avec la
nature.
38.
Tout le devenir d’Homo
sapiens se caractérise par la transformation
de tout inné en acquis qui permet le déploiement du mouvement de la
valeur
(puis celui du capital) qui à son tour résoud
les
problèmes posés par cette transformation. Elle s’accompagne
d’un phénomène d’expropriation et de substitution qui
aboutit à ce qu’on
ait une agriculture sans sol, une reproduction sans sexualité qui sera
suivie d’une
procréation sans femme, une intelligence sans encéphale (sans être humain-féminin), etc., donc à
l’évanescence de
l’antique Homo sapiens lequel
est devenu
inadéquat à sa nature originelle (aux caractères biologiques qui le
déterminent).
Dans le même temps le monde naturel est remplacé par le monde mercatel.
39.
Le devenir de l’espèce capitalisée met en péril tout le
phénomène vie à la surface du globe, donc du phénomène vie qu’est la
terre. Ce
phénomène tend à réagir en essayant d’éliminer
l’espèce.
De là le grand développemant de
toutes
les thérapeutiques qui sont des techniques pour pallier aux
conséquences
négatives de la sortie de la nature.
40.
Nécessité de rompre avec tout anthropocentrisme. L’être
vivant est la véritable Gemeinwesen de l’espèce qui tend à se
réconcilier
avec la nature.
41.
Développement d’un procès
de dissolution et possibilité de l’émergence de Homo Gemeinwesen.
Nous
pouvons essayer maintenant de caractériser la situation telle qu’elle
se
présente en 1992. Nous l’avons déjà indiqué nous ne pouvons plus parler
en
termes de victoire et de défaite. Toutefois en tenant compte, d’une
part, que
nous déterminons la situation actuelle par rapport au moment de 1848
et, d’autre part, de ce que Marx a appelé le parti historique,
nous pouvons affirmer qu’il y
a eu une grande défaite sur le plan
pratique. Elle consiste dans le fait qu’il a été impossible de sauter
la phase
du mode de production capitaliste en une zone quelconque du globe et
même d’abréger sa durée. En
revanche il y a une
victoire théorique énorme qui
découle de
celle du capital : toute l’investigation théorique de Marx au sujet de ce dernier depuis
1848 à nos
jours a montré que ce qui était déterminant ce n’était pas le pouvoir
politique,
l’État, la démocratie, mais
le mouvement
même du capital. Et c’est parce qu’il en est ainsi que nous avons été
amenés à
poser qu’il n’était plus possible que l’accès
à
une autre forme de convivialité, à
la
communauté, pouvait résulter d’un heurt avec le capital,
ce qui impliquerait que nous devrions l’éliminer pour que
la communauté
puisse s’imposer.
La
victoire apparait également
dans le fait qu’aucun des théoriciens du capital n’a
été capable d’exposer une théorie apte à expliquer son devenir comme l’a fait Marx. Enfin elle s’exprime en négatif
au
travers de l’échec des diverses variantes démocratiques d’organisation des hommes et des
femmes ainsi que dans la destruction
de la nature, le tout posant l’urgence de la communauté où s’affirment
la
Gemeinwesen et l’individualité.
Étant
donné
que, comme le disait Bordiga, nous
ne luttons pas contre le capital,
nous ne parlerons donc pas d’une victoire
théorique. Nous parlerons d’un renforcement
du potentiel théorique, du potentiel réflexif ;
renforcement sans lequel aucune dynamique de sortie de ce
monde ne peut
avoir une quelconque chance de succès.
Dit
autrement : le
mouvement
prolétarien est mort.
Rien ne
pourra le ressusciter. Sa disparition
constitue-t-elle un échec pour tous ceux qui opérèrent pour enrayer le
phénomène de domestication, puis d’éradication
de
l’espèce ? Comment délimiter l’invariance,
serait-elle abolie par les évènements ?
Avant
de répondre à ces questions, il convient de préciser notre position
depuis le
début des années soixante jusqu’à la
période
où devait selon Bordiga se
dérouler la
révolution. Nous avons maintenu la prévision de ce dernier en essayant de déterminer dans un premier
temps s’il
se manifestait οu
non la crise intermédiaire devant se
produire vers le milieu de ces mêmes années soixante, crise qui devait
favoriser la reformation du
parti.
Nous
avons considéré les événements de Mai-Juin
1968 comme confirmant globalement
la prévision de Bordiga ; mais
ils ne pouvaient être considérés que comme le
début d’un
nouveau cycle révolutionnaire où le prolétariat classique
ne constituait
plus l’intégralité de la classe révolutionnaire. Ιl
fallait tenir compte des nouvelles classes moyennes. Ceci nous
conduisit – étant
donné le développement du
mode de
production capitaliste où la distinction entre travail productif et
improductif
tendait à s’abolir – à
parler d’une classe
universelle pour signifier qu’il y avait permanence d’un phénomène de
classe,
mais que finalement l’ensemble de l’humanité
était
assujettie à la domination du capital représenté par des organismes
divers
regroupant une infime minorité d’hommes et de femmes.
En
outre nous mettions en évidence l’immense retard théorique qui
affectait l’ensemble
des éléments anticapitalistes, nous y compris.
Progressivement s’imposa à nous que l’ébranlement de Mai-Juin
1968 consistait
en l’achèvement de l’effectuation d’une
discontinuité qui avait été enrayée οu
masquée par la
seconde guerre mondiale, la guerre froide et tout le phénomène du
socialisme en
un seul pays.
Ultérieurement
(début des années soixante et dix) l’analyse
des réactions des divers groupements s’opposant au capital après 1968, ainsi
que celle du devenir de celui-ci, conduisirent à la constatation
que le procès révolutionnaire était fini, qu’il n’y
avait pas à lutter contre le capital et qu’il fallait
abandonner son
monde (1974).
Ainsi
nous avons maintenu jusqu’au bout la prévision de Bordiga
en essayant, chaque fois que cela était
nécessaire, de surmonter la
contradiction
qui surgissait entre elle et le devenir réel de la société capitaliste,
jusqu’à ce que l’étude
économique, historique
et nous pourrions dire globale, c’est-à-dire
essayant
de cerner tous les aspects de l’activité humaine, nous conduise à
devoir l’abandonner
par suite de la constatation que l’espèce avait été en grande partie
domestiquée.
Un
des
éléments importants qui fut déterminant dans notre prise de position
fut la
constatation que le prolétariat avait été intégré
par l`intermédiaire de
la
consommation, comme nous l’exposâmes
dans
Déclin du mode de production capitaliste οu
déclin de l’humanité,
Invariance, série II, n°3, 1973,
où nous faisions (p. 59) cette
citation de Marx (reportée
ici avec des
remarques entre parenthèses. « Ce qui différencie justement le
capital du
rapport de domination [Herrschaftsverhämtnis : Marx ne donne
aucune
qualification à de
ce terme ; le
fait qu’il le pose dans son universalité implique
selon nous qu’il englobe le problème du pouvoir, de la domination dans
sa
totalité et ce afin de préciser a contrario le rapport économique] que
le
travailleur lui fait face en tant que consommateur,
qu’être affirmant la valeur d’échange [Tauschwertstzender : nous
traduisons le
verbe sitzen, sur lequel est
formé setzender, par
affirmer parce que le fait de
placer, d’installer équivaut bien à affirmer un existant dans un
espace-temps
donné], dans la forme de possesseur d’argent, d’un
simple centre de circulation à
partir du
moment où il devint l’un des multiples centres de celle-ci, dans lequel
sa déterminité de
travailleur s’évanouit (la
construction de la phrase n’est
pas claire chez Marx: il y
a
l’idée que le
travailleur est un simple
centre de circulation,
que
c’est un résultat
;
il l’est devenu
et ce faisant il perd de plus en plus sa déterminité de
travailleur. » (cf. Fondements, t. l. p. 378 ; Grundrisse,
p.
323).
Ce
petit rappel historique et la remarque suivante : l’invariance dont il a été question
est celle du désir de
communauté, du retour à une union avec la nature, fournissent une
première
réponse aux questions précédentes. Celle-ci se révèle d’emblée déterminante surtout si nous ajoutons
que nous
devons tenir compte de l’immense danger actuel résultant du fait que ce
désir
tend à s’évanouir pour une grande partie de l’espèce – celle qui veut à
tous
crins non seulement conserver mais exalter, développer la culture – qui
pose la
nécessité d’une rupture absolue, irrévocable avec la nature.
Il
nous faut maintenant préciser notre réponse en faisant
toutefois auparavant un détour : l’exposé des résultats du
développement
du capital tels qu’on peut les constater à l’heure actuelle en 1992.
Tous
les possibles de 1848 ont été épuisés. L’anticipation
d’alors a été dépassée et nous
nous trouvons devant la question urgente de fonder une autre communauté
dont
les bases soient en rupture avec toutes les formes d’organisation qui
se sont
succédées sur des millénaires depuis la dissolution des communautés
primitives.
Le
possible le plus essentiel fut celui du saut du mode de
production capitaliste, tout
au moins
celui d’abréger sa durée,
dans la mesure
où une classe ayant un contenu universel, le prolétariat, aurait pris
la
direction de la société et impulsé un développement
des forces productives afin d’éliminer la misère humaine
et réaliser le
communisme.
On
n’insistera jamais assez sur la perspective initiale du
mouvement révolutionnaire prolétarien : elle ne consista pas
simplement à
vouloir contester le pouvoir en place, ni la répartition de la plusvaleur (maintenant on devrait
parler d’un pluscapital) mais
en l’affirmation d’un projet d’une toute
autre organisation de l’espèce.
Les
classes telles qu’elles s’affirmèrent en 1848 ont disparu.
Tout d’abord celle des
propriétaires fonciers à la
suite de la guerre de 1914-18 (en ce qui concerne l’aire
euro-nordaméricaine)
et ceci tant sur le plan de la réalité biologique que sur le plan de la
représentation. Ensuite ce fut la disparition de la bourgeoisie
et son remplacement par la classe capitaliste, toujours
en ce qui concerne l’aire euro-nordaméricaine,
car
dans les autres aires la bourgeoisie ne parvint même pas à l’existence.
Ensuite
nous avons également disparition de cette classe parce que s’affirment les véritables acteurs du
procès
capitaliste : les entreprises, sans oublier également le
mouvement d’évanescence
qui affecte ces dernières à l’heure actuelle. Tout est remplacé par des
flux de
capitaux, plus οu
moins fictifs, virtuels, qui n’ont plus
besoin d’être représentés οu,
si l’on veut,
pour qui les représentants deviennent accessoires :
Enfin
on a eu disparition du prolétariat après une phase de
domination mystifiée qui fut
celle en
fait du capital sous le masque du prolétaire : phase du
socialisme en un
seul pays. Ιl
y eut en οutre, ce que nous avons vu,
l’intégration par la
consommation, la dilution dans les nouvelles classes moyennes. À propos
de ce
dernier phénomène, rappelons le moment particulier que nous avons
défini comme
celui de la formation d’une classe universelle
quand
il semblait qu’un phénomène
révolutionnaire était encore possible par ce que régnait une certaine contestation-radicalisation qui avait
pour
fondement idéologique la représentation du prolétariat, d’autant plus que ceci était en
continuité avec ce qui avait éta affirmé dans
le Manifeste de 1848 :
le capital est mis en mouvement par tous les hommes.
La
dernière manifestation du prolétariat ne l’a été que dans
la représentation au cours de tout le mouvement de Mai-Juin
1968 et surtout durant la période qui le suivit jusqu’au
début des années 80. Maintenant tout
est fini.
La
disparition des classes et la victoire du capital
impliquent la fin du procès révolution. Celle-ci apparaît finalement
comme un
procès pour la réalisation du capital, bien que hommes et femmes
opérant en son
sein aient visé un tout autre but. Cependant comme ils œuvraient à l’intérieur
d’un
mouvement de séparation de la nature qu’ils
ne remirent jamais totalement en question, le résultat de leurs actions
ne
pouvait chaque fois que renforcer l’opérateur fondamental de
sortie : le
capital.
La
fin du procès révolution se perçoit nettement dans l’épuisement
du mouvement révolutionnaire surgi avec la révolution russe de 1917 et en relation avec la crise
catastrophique qui commence en 1914. Epuisement
parce
qu’en effet le phénomène révolutionnaire a été fragmenté et ses divers
composants autonomisés, ce
qui est un
moment d’affirmation du capital, car cela facilite le devenir
de séparation.
Ιl
a opéré ainsi : séparation entre
aire allemande et aire slave, entre l’ensemble des deux et la révolte
de l’Orient,
entre lutte immédiate comme celle pour la paix et révolution ;
séparation
au sein de la classe amenant sa désunion :
syndicats, partis, soviets οu
conseils, ceci
renforça ensuite la dynamique de séparation entre réalisation
d’objectifs
immédiats et d’objectifs à
long terme.
Séparation du corpus du mouvement révolutionnaire d’éléments qui s’autonomisent et opèrent plus οu
moins pour leur propre compte : ainsi du féminisme, du
mouvement d’émancipation
juif qu’on ne peut pas réduire au sionisme, du mouvement de la jeunesse
créant
ainsi un hiatus entre les générations, puis tout le mouvement régionaliste, résurgence du mouvement
des
nationalités opprimées. Opérant dans une certaine mesure sur le modèle
d’action
de ces dernières, manifestation de groupes se sentant soit exclus, soit
opprimés du fait même de leur situation minoritaire dans l’ensemble
social,
ainsi des homosexuels. Autrement dit le mouvement révolutionnaire
d’unificateur
qu’il
fut
à son surgissement devenait lui-même un opérateur de séparation. On
comprend
alors qu’il ne put en aucune
façon y
avoir conjonction entre révolutions impures, en acte, et révolution
pure,
potentielle, à venir.
Cette
fragmentation fut due
à l’immense défaite du prolétariat en 1919. Celle-ci à son
tour permit la
fragmentation de la crise catastrophique et
l’on peut dire que les divers segments de crise furent les porteurs des
mouvements contestataires séparés indiqués plus haut. La fragmentation
explique
également le surgissement de divers sujets révolutionnaires acteurs de
divers
mouvements d’autonomisation qui
épuisèrent le procès révolution.
Le phénomène
révolutionnaire s’est terminé
avec la révolution qui ne s’effectue que dans la représentation, avec
la revendication
de l’imagination au pouvoir, puis il y eut
abolition même de la
représentation avec la liquidation de toutes les oppositions au capital
opérant
à ce niveau-là, au cours des années 80. Ceci en ce qui concerne l’Occident
parce qu’ailleurs ; par
exemple en
Iran, le mouvement révolutionnaire fit ressurgir
un phénomène religieux reproposant
une révolution dans le style de la réforme allemande tandis que les
pays de l’Est réactualisaient
la démocratie réimposant un
mouvement de style quarantuitard opérant surtout dans la
représentation
et en tant qu’opérateur en désespoir de cause : la rébellion contre le capital sous sa
forme de
domination par le pôle travail n’étant
pas à même de parvenir jusqu’à la
compréhension de l’ensemble du phénomène qui lui aurait permis de poser
la véritable
question, celle de la future communauté.
Si
on pouvait affirmer l’extinction du phénomène révolution
dès la fin des années soixante, les évènements
ultérieurs
montrèrent phénoménologiquement que
tout
le cycle révolutionnaire avait épuisé ses possibles.
L’impossibilité
de
réaliser la
révolution communiste montre également que la volonté de contrôler
l’utilisation
de la violence (le but était de l’utiliser pour la détruire) s’est
avéré vaine.
Ιl
s’agit évidemment de la violence en tant que phénomène
exacerbé du heurt entre groupements humains. Ce problème de maîtriser
la
violence se posa déjà au sein de la révolution bourgeoise avec Robespierre par exemple. Mais c’est avec le Manifeste
de 1848 qu’il fut réellement
posé dans sa juste
connexion avec la théorie du dépérissement de l’État :
le prolétariat s’érige en classe dominante et donc en
parti, créé un État transitoire
qui permet de mettre fin à
toute forme d’État et de
classe (ceci fut
en fait précisé lors de la Commune de Paris 1871).
À
propos de la violence, il ne faut pas oublier son opérationnalité
et son efficacité en ce qui
concerne la disparition du mouvement prolétarien. Tout au long des
années qui
nous séparent de 1917 il y a eu, à l’échelle mondiale, une répression
féroce
contre ce dernier, ainsi que contre tous les mouvements
révolutionnaires
tendant à confluer avec lui.
Après
la répression physique s’est imposée une répression
dans le domaine de la représentation qui opère pleinement maintenant à
travers
toutes les critiques qui se veulent ridiculisantes de Marx
et de ses adeptes révolutionnaires.
La
disparition des classes,
la non effectuabilité de la
révolution communiste rendent
caduque toute la
thématique du parti en tant que forme, mais n’épuisent pas totalement
son
contenu. En effet le parti communiste ne pouvait exister qu’en tant que préfiguration de la
société
communiste, en tant que communauté. En conséquence l’épuisement de tout
le
mouvement prolétarien – on ne peut pas simplement parler de faillite – car ce serait nier tout l’acquis qui nous a été transmis –
permet une
purification de la représentation de
ce
que peut être la communauté à venir.
L’autre
leçon
que l’on doit tirer de tout ce qui précède c’est
qu’il fut impossible de résister sur la base d’un groupement donné
formant un
noyau d’un futur parti. Cependant la dynamique même de recherche
d’instaurer
une certaine activité en nous maintenant en adéquation avec le
mouvement
futur : la formation du parti communauté,
nous conduisit à une réflexion sur les différentes communautés et sur
celle à
venir ; ce qui nous permit de comprendre à quel point il est
nécessaire
que se fonde un pôle réflexif intense pour éviter l’insidieuse
menace de l’immédiatisme et,
maintenant, celle plus
percutante de la dissolution en cours[18].
Cette
impossibilité de résister sous forme d’un regroupement
conséquent à l’échelle mondiale est liée au phénomène de dissolution de
la
classe, mais aussi à la volonté d’intervenir à tout prix qui fit
sombrer dans l’immédiatisme et
abandonner l’effort réflexif, cause
de la
non compréhension de la transformation énorme qui se produisit dans le
devenir
du capital.
C`est
ici
que l’on peut revenir sur la dimension
prophète de Bordiga en
rappelant que le
prophète n’est pas seulement
celui qui
prédit une certain devenir, mais également celui qui défend un éthos donné.
La
fin du mouvement révolutionnaire est celle aussi de la
contre-révolution,
du compromis fondamental qui fut réalisé dans les annés
vingt, compromis qui permit en définitive de liquider
toutes
les classes ainsi que le phénomène foncier à travers ce qui fut
particulièrement affirmé en 1848 : la nation.
La
fin de la phase de mystification du prolétariat classe dominante avec la socialisation (οu
la nationalisation) et l’État-providence, en
rapport avec l’antique représentation de l’État
en
tant que communauté (externe d’ailleurs) ayant
un rôle thérapeutique est liée à la fin du socialisme en un seul pays.
Cela ne
touche pas seulement les pays de l’Est et les pays ex-colonisés
mais également les pays européens comme la Suède par
exemple. « L’époque du collectivisme
est à sa fin
maintenant. » Carl Bildt, International Herald Tribune du
5-6.10.1991[19].
En
effet la crise qui aboutit à la dissolution de l’URSS et du bloc de l’Est n’est pas un
phénomène local[20]
concernant uniquement ces
pays mais est un phénomène
mondial : la fin de l’opposition capital-travail et
l’évanescence du
phénomène foncier ; l’effectuation
plénière
de l’élimination des
limites au
devenir du capital et la réalisation d’un développement non
antagonique, non dialectique.
Plus exactement il y a dissolution
du conflit par sa généralisation au
sein
de la communauté-société du
capital. Ceci
choque profondément le
cerveau des hommes
habitués à ne penser qu’en terme de conflits et de polarisation entre
deux
camps. Le stade atteint actuellement par le capital impose aux hommes
et aux
femmes de devoir vivre sans ennemis, ce qui mine toutes leurs
représentations
et cause le désarroi actuel qui risque de n’être
que transitoire parce que les ennemis sont transformés en
concurrents,
en de véritables acteurs capitalistes. Il faut un certain temps pour
éliminer
les vieilles représentations.
La
fin du compromis est en réalité opérante
dès le milieu des années 50, par suite du renforcement énorme du
capital. Le XX°
congrès
du parti communiste de l’URSS le
liquide, comme Bordiga le
montra dans Le
dialogue avec les morts.
Cette
fin du compromis coïncide avec ce que nous avons
appelé, avec Bordiga, le
rajeunissement
du capitall. En fait il
y a eu non seulement
rajeunissement du capital mais développement
de
tous ses possibles jusqu’au stade
que
nous avons nommé sa mort
potentielle. Ιl
n’y a plus lieu d’écrire un manifeste dans l’esprit où Bordiga avait songé à le faire.
Le
Manifeste exalta le triomphe du capital en tant
que moment de dépassement des limitations nationales, paysannes et
parce qu’il y avait création
du prolétariat, classe
qui devait abattre le capital et utiliser les éléments matériels,
scientifiques
qui avaient permis son triomphe en tant qu’outils pour former une autre
communauté. On peut même penser que les auteurs du Manifeste songèrent
à
utiliser le capital en tant qu’outil.
Nous
n’écrirons pas non plus un Manifeste pour témoigner de la
naissance d’une nouvelle espèce, signaler l’importance de son émergence.
À l’heure
actuelle étant donnée l’emprise du monde mercatel
sur les hommes et les femmes, rédiger un Manifeste revient
à proclamer
de la publicité ; c’est donc
se
mettre sur le terrain de cette société-communauté.
On n’a pas à faire de prosélytisme, etc.,
ce qui exprime la continuité de notre comportement.
La
période au cours de laquelle fleurit le compromis et s’imposa
l’exaltation du prolétariat fut celle de l’instauration de la structure
capitaliste à l’échelle mondiale et de la mise en place de la
communauté
capital. Ce fut l’époque de
la
glorification de la production. Lorsqu’elle se termina, fin des années
cinquante, se déchaina alors
le mythe de la
consommation.
Nous
pouvons maintenant envisager le phénomène essentiel des
années 80 : la mort potentielle du capital. Nous avons abordé
la question
un peu auparavant dans l’article La séparation nécessaire et l’immense refus,
janvier 1979 : « .. nous
sommes
parvenus au bout du cycle du capital tant du point de vue extensif
qu’intensif. »
« Parvenu
au stade final du cycle capital, le
communisme mystifié, on peut alors poser que s’effectue une sorte
d’évanescence
de celui-ci sans que les hommes et les femmes ne soient capables de réagir. » (n° Spécial, septembre 1986, p.
34).
C’est
en
1983
que l’on a affirmé la mort potentielle du capital dans Gloses
en marge d’une réalité Ι
(cf. n°
Spécial avril 1986). On a apporté une précision dans
Gloses en marge d’une réalité II (Invariance série
IV, n°1, 1986, p. 56) où il
est affirmé que le
capital s’évanouit en tant
que projet de
l’espèce et où le parachèvement de l’anthropomorphose
et la mort potentielle sont mis en relation.
Le
point de départ de cette réflexion qui aboutit à cette affirmation fut
la
constatation que le nombre de travailleurs productifs ne produisant pas
la plusvaleur mais
permettant sa réalisation avait
dépassé celui des productifs en 1956
aux USA. Or à partir de là il apparaissait évident que le mouvement du
capital
dépassait la loi de la valeur, qu’il allait donc au-delà de ses limites, comme Marx
l’avait exposé dans les Grundrisse.
Au
départ il nous semblait opportun pour mettre en évidence la puissance
de la
théorie de dire que la mort théorique du capital remontait à cette date
(déterminante à tous les points de vue puisqu’elle est aussi celle de
la mort
du socialisme en un seul pays). Or, Marx avait
ajouté qu’à partir du moment où les improductifs deviennent plus
nombreux que
les productifs, il y aurait de graves perturbations car cela équivalait
à une révolution[21].
Ceci s’est
vérifié. Cependant dans un premier temps on eut encore des phénomènes réductibles aux phénomènes classiques
abondamment étudiés auparavant. En effet en 1958 on eut ce que Bordiga appela la crisette
et qui fut dénommé par la suite récession par les
économistes officiels. Mais à la fin des années 60 et surtout au début
de
celles de 70 se manifestèrent les
phénomènes qui marquaient un devenir autre. Bien qu’il y eut une
progression globale
du capital, il se produisit ce qu’on peut appeler une crise au sein de
la
représentation. Se posa alors la question de savoir comment représenter
ce qui n’avait
plus de valeur mais qui était capitalisé. Or le phénomène désormais
ne touchait pas uniquement les USA, mais la
Grande-bretagne, le Japon, l’Allemagne
puis les autres pays du bloc occidental. Ιl
est intéressant
de noter que le débat théorique lancé par les membres du club de Rome
sur les
limites du développement commençait à signaler le phénomène de la mort
du
capital.
Nous
avons parlé de mort potentielle pour indiquer que l’âme
du capital : l’extraction de plusvaleur
aux
dépens du travail des hommes et des femmes a disparu. On aurait pu dire
aussi
mort théorique, mort principielle pour
dire que ce qui fait l’essence du capital s’est évanoui mais restent
tout de
même, phénoménologiquement, toutes les infrastructures intimement
mêlées qui
sont le capital aussi. L’âme capital n’étant plus nourrie, ne pourra
plus relancer le cycle. Le
système va vivre par sa
propre inertie. Voilà pourquoi, pour faire saisir que dans l’immédiat
on puisse
percevoir du capital, mais qu’en fait celui-ci n’est
plus opérant, il était bon de parler de mort potentielle
pour signaler
qu’elle n’est pas révélée immédiatement.
Le
capital est mort (il n’y a rien pour le remplacer) en tant que formule
générale, que concept donnant vie, reste tout le corps résultant du
procès d’incarnation
(Einverleibung
οu
Verkorperung)
ainsi que la capitalisation des hommes et des femmes. Leur
représentation
ne leur permet pas d’évacuer le capital et tout ce qui le sous-tend,
comme la
valeur, le travail, éléments aptes à le régénérer tout au moins dans la
représentation.
Faisons
un retour en arrière. Le capital s’est
autonomisé en expulsant les hommes et les
femmes de la production, de même qu’il a expulsé la terre :
culture hors-sol et mise au
point de matériaux nouveaux
tendant à supprimer l’industrie extractive. Dès lors il se développe
dans l’immatérialité,
dans la représentation. Simultanément il
parvenait à installer la seconde nature : le monde mercatel. À ce stade là le capital
anthropomorphisé se crée des
êtres à sa semblance et
c’est la seconde anthropomorphose. Les
robots en constituent un
exemple primitif car maintenant ce sont les hommes et les femmes qui
sont
modifiés pour être à l’image du capital. Le phénomène atteint également
tous
les êtres vivants avec la création des disneylands.
Nous
l’avons vu, la glorification de la consommation a suivi
celle de la production, dès la fin des années soixante, mais c’était
une
consommation médiatisée : diverses représentations
devaient être produites pour faire consommer et c’est là
que s’est
affirmé le despotisme de la publicité.
Maintenant
que la deuxième nature est réalisée s’impose
l’immédiateté
qui élimine la représentation ; la consommation
devient de plus en plus
immédiate. Cete disparition
de la représentation est une
autre expression de la mort potentielle du capital. Une troisième
nature est en
train de s’édifier, une nature virtuelle. Le moyen terme de l’accession
de celle-ci
à son effectivité est la généralisation de
l’informatique. En effet tout devient information et est désubstancialisé : toute
particule
humaine, féminine se réduit à un support d’une information qui peut
changer en
fonction du champ de forces social. La virtualisation
est le triomphe de l’immédiat :
il n’y a plus de distance entre le sujet et l’objet, ce qui supprime
tous les possibles de la représentation et élimine
la réflexivité. Le
despotisme absolu s’installe. En
outre on ne représente plus,
on compte, on numérise. Le
nombre lui-même est ramené à sa dimension immédiate ; il ne
possède plus
celle de la représentation ; par là il est une donnée
immédiate de la
seconde nature, voire de la
troisième[22].
La
virtualité prend de plus en plus d’ampleur à partir de divers
moments du procès social actuel, elle est concomitante à la
dépossession du
procès de connaissance qui va s’effectuer en dehors des hommes et des
femmes.
La dépossession engendre la dépendance ; d’où la virtualité
réalise au
mieux la drogue. Elle effectue aussi le contenu de la
proposition : la vie
est un songe qui exprime bien la perte de certitude à partir du moment
où il y a
séparation d’avec
la nature, en même
temps que l’insatisfaction que produit la
vie éveillée. Dans le rêve un homme οu
une femme est en
contact avec une virtualité. Cependant
si
la thèse de Jouvet sur le
rêve a une
quelconque part de réalité, la virtualité risque de bloquer
définitivement tout développement de l’espèce. En effet au
cours du rêve on récapitulerait le comportement spécifique qui serait
confronté
aux actions nouvelles permettant ainsi soit d’éliminer,
soit d’intégrer tout οu
parties de celles-ci
[23].
Pour
en revenir encore au devenir historique global du
capital rappelons qu’après l’idolâtrie de la production, on a eu celle
de la consommation
avec en même temps
réactivation
de comportement antérieurs tels ceux de la chasse et de la cueillette
qui pouvaient
se déployer grâce à la réalisation de la seconde nature, de même que
l’effondrement
du compromis concrétisé dans le socialisme
en
un seul pays réinjecta l’illusion sur
l’importance
de l’individu. Ιl
en est de même de la prédation sous sa forme de gangstérisme
qui rackette les entreprises comme cela se pratique particulièrement au Japon.
Ainsi
tout ce qui a opéré au cours des millénaires peut être réactualisé dans
une
combinatoire au sein d’un monde
virtuel
(le théâtre du jugement
dernier).
Cependant la mort du capital va entraîner une
dissolution importante de la société-communauté
actuelle, tandis que les
effets historiquement positifs (ainsi de l’élimination de la loi du
talion) qu’avait
pu avoir le mouvement de la valeur vont disparaitre.
L’accès à une immédiateté dans un monde virtuel libérera
toutes les
violences qui avaient été englobées, inhibées.
Originellement
la représentation intervenait nécessairement pour que la
circulation puisse se réaliser ; sans cela toute la dynamique
des prix et
de la monnaie eut été impossible. Avec le capital
ces éléments prirent encore plus d’importance.
D’οù, pour dominer la
circulation,
celui-ci dut devenir lui-même représentation. Ce
fut
le moyen le plus sûr
pour réduire, voire
supprimer le temps de circulation où s’affirme la dévalorisation. Ce faisant il y a
également suppression
de la séparation et tendance à la réalisation d’une
immédiateté qui
devient ultrasensible avec l’instauration de mondes virtuels.
Mais
la suppression de la
séparation est une négation de l’être
du capital.
La
virtualisation
de
la réalité est concomitante à l’artificialisation de tout ce qui
est vivant, ce qui permet de le capitaliser. La médiation
pour passer du vivant
naturel au vivant
artificiel est l’activité humaine, le travail. « Si, jusqu’au vote du Plant
Act (1930), la distinction
vivant/inanimé était unanimement reconnue – seul l’inanimé
pouvant faire l’objet
d’un brevet – en
revanche cette loi avait bouleversé ce rapport en lui substituant la nouvelle
opposition produits de la nature (inanimé
+ vivant
végétal οu
animal) / activité
de l’homme. De ce fait, en se
situant, si l’on peut
dire « hors nature », l’homme pouvait s’en rendre le maître
juridique.
Sur la
base de cette disctinction, le vivant pouvait être décomposé en vivant naturel et vivant
artificiel.
En d’autres termes, il suffisait d’une
intervention active de
l’homme sur la structure du vivant
pour
qu’il prenne, de jure,
le statut de « vivant artificiel » et,
partant, le statut de « chose » οu
de « bien ».
Or, on peut se demander si
le même type de raisonnement n’est
pas à l’œuvre pour séparer l’homme
du matériel humain ;
si,
en réalité, en réduisant
le vivant à une
machine οu,
mieux, à un
artifice, on ne permet point, en retour, de l’envisager comme le produit d’une activité. »
(Bernard Edelman in
L’homme, la nature et le droit,
ouvrage
composé par divers
auteurs, éd.
C.
Bourgois, p. 101-102).
Cela veut dire que
tout
homme pourra capitaliser une
partie quelconque de son organisme : il
vendra un rein,
un poumon, etc.,
ultérieurement des substances que
diverses
manipulations biologiques au
ont pu
lui faire sécréter.
Ainsi se dévoile
un
caractère totalement maléfique du travail absorbé par le capital. Maintenant le travail est immédiatement capital ;
il n’y
a plus
d’antagonisme ; ce qui
est une autre expression de la mort potentielle du capital. Ιl
se présente
comme une
activité immédiate de l’espèce à l’œuvre dans la nature pour la dominer, la réduire, l’éliminer.
Son substitut est le marché. D’ailleurs Β.
Edelman dit
très
bien : « Devenue
appropriable,
la nature apparaït désormais comme
un immense marché et le brevet comme une
technique d’accès
à
ce marché. »
(O.c.,
p. 101).
Plus généralement l’activité humaine, surtout sous sa
forme du travail, apparait comme étant
le moyen de transformer tout ce qui
était
inaliénable parce que
non dissociable, plus οu
moins immuable à l’échelle humaine, considéré comme sacré à
cause d’une puissance
intrinsèque dépassant celle de l’homme, en objets aliénables,
pour ainsi dire
manipulables
par
l’intermédiaire de
représentations de cette activité. Elle fut également le moyen de transsformer l’inné
en acquis avec les mêmes conséquences. Cette activité apparaît
comme distanciatrice, séparatrice, à partir
du moment où elle est assujettie à la valeur puis
au capital. Elle fait passer du monde de la participation au monde
de la
possession, de la
propriété qu’elle soit commune οu
privée[24].
Hommes et femmes
ne peuvent retrouver la participation que dans les mondes virtuels.
Ceci prouve
qu’il faut, d’une part, rejeter le terme de communisme pour désigner le
mode d’être
de l’espèce une fois le capitalisme aboli puisqu’il implique encore la
propriété donc la séparation et, d’autre part,
abandonner la dynamique de ce monde qui ne peut rétablir l’immédiateté
et la
participation qu’au travers d’une illusion et à la suite de la
destruction
de la nature, destruction qui n’épargne pas
l’espèce elle-même. Enfin, cela montre que certains concepts
fondamentaux de l’œuvre de
Marx sont encore opérants au
moment même
où celle-ci s’épuise du fait de la réalisation de la seconde
nature : la
capitalisation du monde.
Avec
la fin du mouvement prolétarien s’achève également la problématique du mouvement intermédiaire
et la
représentation des trois périodes appréhendées dans la
dialectique : état
initial et la catastrophe, un mouvement intermédiaire entre le premier
et le
troisième stade réinstaurant les
conditions de vie de cet état initial (forme
de temps cyclique)[25].
On a souvent dit que le marxisme était
un
messianisme et que les mouvements de libération-émancipation
sociale étaient des laïcisations de mouvements religieux
recherchant la
rédemption. Mais on a occulté les phénomènes fondamentaux à la base qui
n’avaient
pas un contenu religieux : ils vοulaient
rétablir
l’antique communauté, enrayer la domestication. C’est
le mouvement de récupération et d’oppression
qui
a inséré, greffé sur eux les données religieuses. Se remplissant d’un
contenu
qui lui est étranger, la religion reste du domaine de l’État
même si parfois elle s’oppose à lui.
Au
cours de son devenir divers théoriciens du mouvement
prolétarien tentèrent de mettre en évidence le lien réel et profond
reliant
tous les mouvements d’opposition à l’instauration du despotisme de la valeur puis du capital et,
ce
faisant, ils ont dévoilé la mystification religieuse opérante depuis au
moins
trois millénaires (pour ce qui est des aires les plus anciennement
affectées).
Dans
la mesure où l’οn sort
de ce monde en rejetant tout le procès de connaissance tel qu’il s’est
fondé
avec le surgissement de la valeur, on se met en dehors de tout le
devenir
historique dont on est le produit. En même temps la thématique de la
fin de la
préhistoire n’a plus de
raison d’être[26].
Avec
la
mort potentielle du capital qu’on peut présenter comme ayant été
l’outil
nécessaire à l’espèce pour parachever sa sortie de la nature, avec la
fin du
procès révolution, s’opère l’épuisement de l’œuvre de K. Marx. A son
sujet
s’impose l’idée qu’une telle œuvre, engendrée par un individu, est le
produit
de toute l’espèce qui
l’utilise en dépit
du fait qu’une partie de
celle-ci tend à la
nier. Même si sur le devant de la scène prévalent toutes sortes de
théorisations
affirmant la non validité de cette œuvre, l’espèce
en son entier opère avec, jusqu’à ce qu’elle en ait épuisé tous les
possibles. À
partir de ce moment là elle est intégrée dans le cheminement global
avec cette
nuance que Homo sapiens, dans
la mesure
où il est domestiqué, dépossédé de tout, ne peut plus opérer cette
intégration.
Ce sera l’œuvre de
Homo Gemeinwesen.
La
quasi totalité du procès de connaissance a opéré en occident
(en dehors de quelques sphères révolutionnaires) en vue de mettre en
place une
représentation apte à se substituer au marxisrne
soit en l’affrontant directement – en polémiquant avec lui
– soit en l’ignorant.
Dans ce cas les chercheurs furent amenés à faire
substancielleτnent les mêmes découvertes que Marx, mais à les intégrer
dans
une interprétation justificatrice du capital, οu
pire au sein d’une représentation prônant un compromis entre capital et
travail
(social-démocratie et même stalinisme)[27].
Maintenant
les théoriciens proclament la mort du marxisme
(ce qui n’est pas nouveau), mais ils sont toujours incapables de
produire une
théorie explicative du monde actuel non seulement en ce qui concerne
son procès
de vie matériel qu’à propos de celui intellectuel,
spirituel. Et cela parce qu’ils restent infestés par le
paradigme de la
valeur οu
par celui du capital non parvenu à sa
pleine autonomie.
La
lutte pour éliminer le marxisme ne vise pas seulement ce
qui est vulgairement désigné par ce terme, mais aussi toutes les idées
révolutionnaires et plus profondément encore le désir de réaliser une autre communauté
inséparable du refus
plus οu
moins bien explicité de ce monde en place. C’est une
phase dans le procès d’élimination
de la représentation d’autant plus nécessaire que celle-ci fut un
moment
mobilisateur (un mythe selon Sorel) pour
le prolétariat et tous ceux qui, tout en n’appartenant pas à cette
classe, s’unirent
à lui au cours de son soulèvement contre la domination
du capital.
Nous
serons amenés à traiter ultérieurement
cette question de façon détaillée, ne serait-ce que pour
montrer la puissance
de notre phylum, mais ce ne sera pas pour défendre simplement l’œuvre de Marx,
parce que nous opérerons dans le dépassement qu’implique
notre situation
actuelle dont une des caractéristiques est l’épuisement de celle-ci. Or
cet
épuisement est en stricte connexion avec la fin de ce que nous nommons
le mouvement intermédiaire,
dont le mouvement
prolétarien et celui du capital constituent la dernière expression. Étant donné ce fait, les théoriciens
défenseurs
du capital vont tendre à réécrire l’histoire de façon encore plus
conséquente
qu’ils ne le firent jusqu’à présent. De ce fait ils essaieront de
présenter ce
que l’on nomme, peut-être de façon peu rigoureuse, les précurseurs de Marx dans une perspective disjonctée
avec la Weltanschauung de ce
dernier. Ιl
nous faudra le faire également pour éviter les effets de l’immense
régression
théorique, qui a déjà commencée,
liée à l’élimination non seulement du marxisme mais de toute la pensée
révolutionnaire.
En
général nous essaierons de mettre en évidence comment certains
phénomènes ont une prégnance telle que même des théoriciens opérant
dans une
thématique dont ils sont normalement exclus sont contraints à les
affronter. C’est
pouquoi évidemment les
théorisations que
cela engendre peuvent apparaitre en
porte
à faux avec le reste de leur œuvre.
Cela
explique pourquoi nous sommes amenés à les intégrer dans notre
représentation,
non pas par souci de récupération, mais à cause d’un besoin de
cohérence. En
effet nous affirmons que la représentation
que nous tentons d’exposer au mieux est en fait le
produit de l’espèce, même si elle ne peut parvenir à sa
pleine production
qu’à la suite de l’émergence de Homo Gemeinwesen.
L’intégration
que nous faisons laisse donc toute possibilité
à d’autres personnes d’envisager les œuvres que nous abordons dans une
perspective toute autre.
À
partir de là nous pouvons généraliser et affirmer que
notre phylum tel qu’il a été présenté dans ce chapitre ne réclame pas
de livres
sacrés, canoniques et n’en rejette pas d’autres caractérisés
d’apocryphes. Il
ne se fonde pas sur l’interdit[28].
La
mort du capital, l’évacuation de la représentation en rapport
avec l’émergence d’une immédiateté virtuelle, le possible de la
réalisation d’une
unité de compte pour régler les flux de capitaux permettant par là même
de
résoudre le problème financier mondial[29],
l’autonomisation des diverses composantes du procès du capital se
résolvant
dans une dissolution généralisée, place notre phylum devant la tâche
d’abandonner
ce monde en évitant tous les pièges de réalisation virtuelle et, pour
cela, de
retrouver la nature en la régénérant.
Épilogue :
la rupture avec tout le mouvement antérieur.
Nous
ne pouvons qu’effleurer la dynamique de la rupture.
Pour la présenter correctement il nous faudra porter à bout la
rédaction d’Émergence
de Homo Gemeinwesen. Cependant il est nécessaire, afin de
donner toute sa dimension
à notre Épilogue, de tracer quelques lignes du devenir que nous
envisageons.
Depuis
1974
nous affirmons qu’il faut opérer une vaste rupture qui ne se limite pas
à celle
avec la démocratie comme le posa Bordiga, ce qui nécessitait le
schisme, l’abîme,
mais aussi avec tous les présupposés. Elle concerne non seulement le
rapport au
phénomène dominant, le capital ; mais également à celui qui
lui fut
antagoniste : le mouvement prolétarien, ce qui induit donc une
discontinuité
entre nous et ce dernier.
La
véritable discontinuité par rapport à Marx et à tout le mouvement
prolétarien n’est
pas dans le fait de dire que le capital s’est émancipé de la loi de la
valeur,
que donc la théorie de la valeur et celle du prolétariat sont finies.
En effet
tout ceci est contenu dans l’investigation théorique de Marx et dans
celle de
Bordiga comme dans les préoccupations de ce dernier au sujet de tout ce
que cela
impliquait. La discontinuité se fait en refusant tout le procès de
connaissance
tel qu’il s’est édifié à partir du moment où l’espèce se séparait
réellement de
la nature, à partir du moment
où ce
procès devient à la fois procès de sécurisation et de justification
(dans une
certaine mesure une sécurisation réclame une justification). Mais ce
faisant c’est
une discontinuité d’une ampleur encore plus grande que nous faisons
avec toute
la société-communauté en place, avec toutes les représentations
actuelles et
historiques qui la justifient en son advenu comme en son advenir.
Pour
préciser notre prise de position qui pourrait sembler
avoir un aspect uniquement théorique et pâtir d’idéalisme,
nous ajouterons qu’il s’agit
de
rompre avec un comportement donné qui était insuffisant dans sa remise
en cause
du devenir antérieur par ce qu’il était
limité, inhibé par suite de la conservation du procès de connaissance
tel qu’il
fut fondé avec le surgissement de la valeur.
En
effet
se trouvait affirmée, dans le mouvement
prolétarien, l’exigence d’une réconciliation avec la nature, un certain
rejet
du progrès[30],
avec la revendication de la libération de la femme, la reconnaissance qu’il fallait revenir à une phase
antérieure où
celle-ci avait son importance naturelle. Seulement tout cela était
exprimé au
travers des catégories du procès de connaissance formé, conditionné par
la
rupture avec la nature. En outre
il y avait une certaine révérence
vis-à-vis
de la culture posée comme un invariant (cf.
par
exemple, l’admiration qu’on peut dire acritique
de Marx pour l’art grec, Leibnitz, Aristote, etc.).
Les
éléments essentiels du procès de connaissance se sont imposés
à deux moments essentiels. Lors de la dissolution des communautés
initiales qui
engendra les thèmes fondamentaux de la séparation vis-à-vis de la
nature, de la
totalité en tant qu’unité, de la totalité en tant que diversité, de
l’individualité.
Ils furent repris lors du second moment lié à l’émergence du mouvement
de la
valeur dans une dynamique de séparation encore plus intense vis-à-vis de la nature ainsi qu’au
sein de
divers regroupements de l’espèce. De
là
l’instauration des binômes oppositionnels : homme-nature οu
culture-nature, animé-inanimé,
intérieur-extérieur, inné-acquis, préformation-épigénése, continu-discontinu,
propriété commune-propriété privée,
qualité-quantité, espace-temps,
etc.
Dans
le chapitre « Valeur
et procès de connaissance » de Émergence
de Homo Gemeinwesen, nous analyserons tout
particulièrement ces
différents binômes, en insistant sur le fait que le procès de
connaissance a eu pour fonction de sécuriser l’espèce en
train de se
séparer, il devint une immense prothèse. En conséquence il eut tendance
de plus
en plus à s’autonomiser et à
pouvoir être
utilisé par l’organisme dominateur au sein du regroupement humain afin
de perpétuer sa domination
en la légitimant.
Ceci
étant établi et en tenant compte que les diverses représentations qui
se sont
imposées au cours du temps sont celles qui consacrent un compromis
entre les
forces visant à la domestication et celles qui s’opposèrent à elles, il
est
compréhensible que nous rejetions les représentations qui s’édifièrent
il y a
plus de quatre mille ans lors des révoltes contre les diverses États de la première forme. Il en est
de même
pour celles s’élaborant en concomitance avec un autre soulèvement
important aux
alentours du ΧΙΙ° siècle. Enfin
et cela
est plus important, il en est de même pour
tout le mouvement se déployant dès le VIII° siècle et qu’on peut
caractériser
comme étant celui de la tentative
d’utiliser
le mouvement de
la valeur contre la
domination de l’unité supérieure incarnée dans l’État
de la première forme, ainsi que contre diverses
aberrations en rapport
avec la dissolution des communautés initiales. Autrement dit nous
rejetons tout
ce qui a été produit durant ce que K. Jaspers appelle la période axiale.
Nous
ne pouvons pas accepter également les représentations
élaborées en opposition au mouvement de la valeur, même si nous en
reconnaissons
l’importance surtout lorsqu’elles s’édifièrent sur un refus du monde en
place,
sur une tentative de sortir de lui, comme avec le mouvement gnostique,
le monachisme
ou le mouvement bouddhiste.
À
propos du mouvement de sortie du monde, il est évident que le rejet du
procès
de connaissance tel qu’il s’affirme actuellement
en constitue une
composante essentielle. Il ne s’agit pas de l’œuvre de quelques
individus même
si superficiellement cela peut apparaître ainsi à cause du nombre
réduit de
personnes concernées. En effet il s’agit en fait du devenir d’émergence
de ce
que nous nommons espèce afin d’être compris, en mettant en saillance un
élément
donné d’un plus vaste procès. En paraphrasant Marx et ses adeptes on
peut dire
que le mouvement d'émergence de cette espèce sera en même temps celui
de se
supprimer en tant que telle, sinon cela reviendrait à entériner
l’antique
séparation. En effet le concept d’espèce est déterminé par la nécessité
de
justifier la séparation et surtout la supériorité de Homo sapiens, les
deux
étant étroitement liées.
Comme
on l’a déjà indiqué on doit en finir avec tout
anthropomorphisme et toute forme d’anthropomorphose pour permettre un
devenir
rayonnant de toutes les formes de vie.
En
conséquence la sortie de ce monde implique un phénomène d’union tant
avec l’ensemble
des êtres vivants, la nature environnante, qu’avec la dimension
naturelle de l’espèce,
ce qui ne se confond pas avec ce qui a été théorisé de façon
autonomisée :
la nature humaine ; car dans ce cas il s’agissait encore de
déterminer une
distinction séparatrice entre Homo sapiens et le reste du monde vivant.
Ainsi
il ne s’agit plus, comme dans les divers mouvements de sortie du monde,
de
rompre avec la famille en tant que phénomène biologique ; ce
qui n’implique
en aucune façon une acceptation des formes familiales qui se sont
succédées
depuis la dissociation qui s’est opérée au sein des communautés
initiales. On
veut signaler ici le danger du refus du lien biologique qui permet de
fonder n’importe
quel lien artificiel point de départ au déploiement d’une combinatoire
qui s’épanouit
dans la société-communauté du capital. Ceci est étroitement lié au
problème de
la situation des femmes. Disons simplement pour le moment qu’on a
toujours
voulu les forcer à s’adapter aux exigences sociales, tandis qu’on n’a
jamais
essayé, même chez les réformateurs qui leur étaient favorables,
d’adapter les
conditions sociales à leurs déterminations biologiques.
À
l’heure
actuelle on sort du domaine naturel, avec le triomphe de la biologie
qui permet
aux femmes de s’émanciper de ces déterminations. Comme le réclamèrent
certaines
féministes, la société pourra bientôt prendre en charge la fabrication
des
êtres humains.
La
question du rapport de la sortie de ce monde avec le rejet du procès de
connaissance tel qu’il est configuré actuellement nécessite une étude
très
ample[31].
Rappelons encore
une fois que sortir de ce monde implique une mise en discontinuité avec
celui-ci
et une mise en continuité avec le monde naturel. Il semblerait là qu’il
y ait
une simple affirmation de la volonté et que nous rejetterions tout
déterminisme. Pour situer notre approche on doit tenir compte qu’il ne
s’agit
plus désormais de libérer quelque chose de prisonnier au sein de
l’ordre social
actuel, le moment de cet acte dépendant d’une crise catastrophique
catapultant
hommes et femmes dans l’action ; en conséquence il n’y avait
rien à construire
mais seulement à détruire des entraves. Donc il n’y a pas non plus
nécessité d’une
prévision pour déterminer quand une telle intervention devient
possible. Au fond
dans le premier cas la discontinuité s’imposait dans une catastrophe.
En
revanche nous considérons que la discontinuité s’est déjà opérée dans
la mesure
où, d’une part, il y a eu triomphe total du capital en même temps que
sa mort
potentielle et, d’autre part, épuisement de l’œuvre de Marx. Cela
implique que
nous devons faire quelque chose pour révéler la discontinuité, la
rendre
opérante, ce qui veut dire que le déterminisme opère de façon
négative : C’est
l’absence d’un phénomène donné qui oblige à une prise de position, à
une
intervention. On ne peut l’effectuer sans se livrer à une intense
activité
prédictive. On doit essayer de déterminer les conséquences de celle-ci,
en
particulier il nous faut veiller à ce que notre intervention
n’aboutisse pas à
restructurer d’une façon ou d’une autre une solution qui a déjà été
proposée au
cours du devenir d’Homo sapiens et qui nous ferait retomber dans les
divers
pièges de la domestication. La prévision n’est plus nécessaire pour
déterminer
le moment de l’intervention, puisque celle-ci doit s’effectuer dans
l’immédiat,
mais pour être à même de comprendre les conséquences de celle-ci.
Ainsi
la nécessité de reformer la communauté immédiate en
intégrant le mouvement réflexif, nous oblige à demeurer en continuité avec tous ceux qui voulurent
enrayer, détruire la
domestication, dans la mesure où nous voulons réellement réaliser leur
projet
de perfectionnement du phénomène réflexif afin qu’il opère non au
bénéfice de
notre espèce seule, mais pour le devenir de tout le phénomène vie.
Il
y a donc bien une invariance qui ne s’épuisera que le
jour où la réconciliation aura été réalisée. Nous nous sommes libérés
d’une
impasse mais nous avons conservé la voie, celle de l’accès à une
communauté
intégrée dans une nature naturelle.
[1]
- Le chapitre sur le capital
dans Emergence de Homo Gemeinwesen
complètera
les études effectuées dans Capital et
Gemeinwesen, éd. Spartacus ; « Le
développement du
capitalisme » dans Invariance,
série I, n° 6 ; « Transition », série I,
n°8 ; « A
propos du capital », série II, n°1 ;
« Echappement du
capital », n° spécial ; « Ce monde qu'il
faut quitter »,
série II, n°5 ; « C’est ici qu’est la peur, c’est ici
qu’il faut
sauter », série II, n°6 ; « Déclin du mode
de production capitaliste
ou déclin de l'humanité », série II, n°3 ;
« Thèses
provisoires », série III, n°4.
On
doit tenir compte également des articles de Jean-Louis
Darlet: « Au-delà de la valeur, la surfusion du
capital », Invariance,
série II, n°2 ; « Note
au sujet de la composition organique du capital », série II,
n°3. Enfin la
question du devenir du capital est amplement traitée dans les lettres
qui
parurent dans les n°de la série III et dans des n° spéciaux.
En
ce qui concerne l’étude du mouvement prolétarien on peut
consulter : « Bref historique du mouvement de la
classe prolétarienne
dans l’aire euro-nordaméricaine des origines à nos jours », Invariance, série I, n°6, réédition
n°spécial Décembre 1989 ; ainsi que le n°spécial de Décembre
1991 (cf. À
propos de quelques publications, dans ce même n°).
Dans
la mesure où notre investigation intègre l’apport de Bordiga, nous
signalons aux lecteurs que nous republions et publions divers textes de
ce
dernier (cf. A propos de quelques
publications).
[2]
- Il s’agit des
articles suivants : De la révolution,
1972, série II, n° 2 ; Errance
de l’humanité – conscience répressive – communisme,
1973, Série II, n°3 ; Contre
la domestication, 1973, Même n° ; Thèses
provisoires, 1973,
série III, n°4 ; Ce monde qu’il faut quitter,
1974, série II, n°
5 ; C’est ici qu’est la peur, c’est ici qu’il faut
sauter, 1975
série II, n°6 ; La révolution intègre,
1978, série III, n°4 ; L’écho
du temps, 1980, n° spécial octobre 1990 ; Violence
et domestication,
1980, n° spécial, Novembre 1991.
Un
certain nombre d’affirmations essentielles (cf. le
chapitre ultérieur: « Comment se présente la situation en 1992
et position
de notre phylum ») ont été faites durant la période 1972-1975
qui suit
l’ébranlement de 1968, donc durant celle où Bordiga pensait que la
révolution
communiste devait avoir lieu. En conséquence on peut dire qu’il y a une
continuité
depuis 1910 moment où celui-ci parla de la nécessité de créer un abysse
entre
le prolétariat et la démocratie, et 1974 moment où nous affirmâmes la
nécessité
de quitter ce monde. 1974 marque la rupture avec le mouvement
intermédiaire, le
mouvement prolétarien, mais le maintien de la continuité en ce qui
concerne le
phénomène global : l’accession à la communauté humaine. Cela
ne nous
empêche pas de considérer qu’il y a des ratées, des manques dans
l’œuvre de
Bordiga (comme dans celle de Marx), voire des compromis. Ce que nous
voulons
particulièrement souligner c’est que lui, comme Marx et tant d’autres,
sont à
l’origine de notre phylum.
[3]
- Cf. les commentaires de
Bordiga au texte des Grundrisse
traitant cette question : « La guerre doctrinale
entre le marxisme et
l’économie bourgeoise », 1958, dans Textes de la
Gauche communiste
d’Italie, fascicule III, n° spécial Janvier 1992.
[4]
- Cf. Origine
et fonction de la forme parti, 1961, n°spécial Juin 1990.
[5] -
Nous
avons abordé cette question dans Les caractères du mouvement
ouvrier
français (cf. n° spécial Décembre 1991). En ce domaine la
France est entrée
en concurrence avec les USA où le phénomène fut accusé du fait de la
dimension
utopique. Il ne s’agissait pas seulement de créer une nouvelle
organisation des
hommes et des femmes mais une nouvelle humanité. « Les USA
sont une
nouvelle Jérusalem conçue par la providence pour être le théâtre où
l'homme
doit atteindre sa véritable stature. Voilà ce
qu’affirmait
Washington, tandis que Jefferson parlait de la « nation
univers »
celle qui poursuit des idées universellement valables. »
(Citations faites
par A. de Benoist dans son article US go home de L’Idiot International).
Cependant
ce n’est pas la nation qui fut tellement
déterminante mais le peuple. Ceci se comprend puisque ce qui fut
essentiel c’est
la lutte contre les indiens, d’où l’opposition entre un peuple défini
par sa
médiation avec un dieu transcendant et dont le lien entre les
différents
éléments est constitué par la raison et un peuple vivant encore en
liaison avec
la nature. D’où une dimension raciste et antinature très poussée dans
l’idéologie étasunienne, sous-tendue par le mouvement du capital. La
prépondérance de plus en plus grande de celui-ci confine de plus en
plus
l’idéologie dans le domaine de l’archaïsme.
A
ce
propos nous aborderons ultérieurement l’étude d’ouvrages d’Élise
Marienstras,
particulièrement Nous le peuple, éd. Gallimard, où
elle affirme :
« Les américains se sont fait nationalistes avant même d’avoir
une
nation. ». Grâce à la dynamique de réalisation du marché
intérieur,
l’artificialité tendra à prendre une réalité concrète mais hors nature.
En ce
sens les étasuniens bien qu’ayant un territoire ne forment pas
effectivement
une nation. Ils forment un peuple, un peu comme les hébreux ;
un peuple
dont la communauté est structurée par le capital et qui devient la
communauté
du capital. Ils sont donc le peuple élu de ce dernier. C’est une des
raisons
des frictions actuelles avec le peuple élu par antonomase, les juifs.
Cependant
nous n’accordons pas une importance déterminante à
ces phénomènes parce que le capital peut reconnaître tous les élus et
les
insérer dans sa combinatoire.
[6] - Je pense en fait que
ceci relève encore du
phénomène de la valeur dans sa
phase où
l’argent accomplit sa troisième fonction de monnaie universelle qui est
bien
une présupposition essentielle au surgissement du capital. (note
2009).
[7]
- Nous préférons
traduire Mehrwert par plusvaleur afin d’être
plus compatible avec l’exposé
de Marx utilisant divers mots allemands formés à partir de Wert = valeur.
Notons
que maintenant il vaudrait mieux parler de plus
capital, de même qu’à la place de dévalorisation il faudrait parler de
décapitalisation (Entkapitalisierung) et, à la place de valorisation,
de capitalisation
(Verkapitalisierung).
[8]
- « Sans
nationalisme, c’est-à-dire une conscience de nos racines et de notre
identité,
il ne peut y avoir d’internationalisme. » (Shintaro Ishihara, Le
Japon
sans complexe, éd. Dunod).
On
voit à quel point le manque de rigueur empêche le
maintien d’une ligne théorique fondamentale sur un laps de temps très
important
et permet la récupération la plus poussée.
En
voici un autre exemple : dans Le Monde du
27.0l.92 on pouvait lire ce « slogan » dans une page
publicitaire :
« Ne laissons pas la morosité tuer le désir et l’absence de
désir tuer
l’économie. ». En lui confluent le cheminement de
l’Internationale
Situationniste et celui de Deleuze et Guattari apologètes des machines
désirantes.
Terminons
avec le slogan tant prisé en 1968 : l’imagination
au pouvoir qui puait l’immédiatisme. Leurs auteurs
n’imaginaient pas que
tout ce qui parvient au pouvoir est despotique !
[9]
- Voici un exemple en ce qui
concerne la
France. « On a dit souvent : il faut une religion
pour un peuple !
Je laisse de côté ce qu il y a de scepticisme railleur au fond de cette
formule ; je la prends dans son sens élevé et je dis, moi
aussi : il
faut des sentiments élevés, une pensée unique, il faut une foi commune
pour un
peuple, sans quoi il ne serait qu’une agrégation d’hommes juxtaposés
par des
intérêts communs. Mais cette pensée unique et cette foi commune, il
n’est pas
nécessaire qu’il aille les chercher dans des dogmes qui, du reste,
chaque jour,
s’évanouissent ne pouvant supporter l’éclair de la raison. Il faut
qu’il les
trouve en lui-même, dans le sentiment de sa dignité, dans ses
espérances, dans
son ferme propos d’être prêt à périr plutôt que de cesser de vivre
libre et
d’être honoré.
C’est
cette religion de la Patrie, c’est ce culte et cet amour à la fois
ardent et
raisonné, dont nous voulons pénétrer le coeur et l’esprit de l’enfant,
dont nous voulons l’imprégner jusqu’aux moelles ; c’est ce que
fera
l’Enseignement civique. » Paul Bert, De l’éducation
civique, 1882,
cité dans L’évènement du jeudi, 12 au 18 décembre
1991.
Ce
discours montre à quel point la science ne peut triompher
qu’en se posant comme la
vraie religion
et à quel point la démocratie peut
être
despotique. Sur ce dernier plan il n’y a que des différences
infimes avec le discours fasciste οu
stalinien.
[10]
- Cette confusion entre État et nation, l’un et l’autre posés
en tant qu’unité supérieure,
se vérifie en France avec par exemple le pétainisme
et la glorification de l’État
français,
avec le gaullisme et son exaltation de la nation.
Les
évènements depuis
1945 ont montré l’effondrement de ces unités supérieures par suite de
la
réalisation de la communauté du capital. Ceci a permis la réaffirmation
(phénomène non particulier à la France) de groupements humains plus
réduits,
des antiques provinces, d’οù le
régionalisme des années soixante et soixante et dix. Etant
donnée l’ambiance capitaliste dominante, ces groupements
prirent assez vite une dimension rackettiste.
En
Allemagne également on a eu, avec le nazisme, une
exaltation de la nation placée au-dessus de tout : Deutschland tiber alles. Par suite de
sa structure fédérale le
mouvement régionaliste y eut peu d’importance.
Quoiqu’il
en soit avec l’unification de l’Europe, il va
s’imposer une nouvelle
dynamique entre
unité supérieure à établir (l’Europe) et
les différentes unités régionales qui d’ailleurs tendent à se regrouper
en
dehors des unités nationales actuelles, mais en fonction des impératifs
des
flux de capitaux. Nous n’aurons pas une récapitulation du phénomène d’union qu’il y eut lors de la
révolution
française parce que maintenant il y a une unité supérieure ainsi qu’une
communauté qui sont celles du capital.
[11]
- Nous
serons amenés à faire une étude exhaustive de la Révolution
conservatrice et de
tous les mouvements d’extrême-droite allemands anti-capitalistes, en
particulier en ce qui concerne le rapport de l’État
à la communauté, l’importance du prolétariat (certains
théoriciens
anticipèrent sur ceux de Potere Operaio, sur
M. Tronti οu
Toni Negri). Ces courants
connnurent une
intense activité théorique
où s’ébaucha une
certaine combinatoire, ainsi il y eut une tentative d’opérer une
synthèse avec Marx et Nietzsche.
Il
nous faudra envisager les œuvres
de Spengler, Moeller van
den Bruck,
Paul
de Lagarde, Fried, Sombart, Simmel,
Rausching,
Κlages, Rosenberg, Niekische, Rathenau, Keyserling, etc., mais
aussi des
ouvrages généraux sur les courants de droite dans l’Allemagne du début
de ce siècle comme Doctrinaires
de la révolution allemande
de 1918-1938,
de Ed.
Vermeil (qui a écrit d’autres livres intéressants sur
l’Allemagne), Stratégie
communiste et dynamique conservatrice -
Essai sur
les différents sens de l’expression « National-Bolchevisme »
en Allemagne sous la République de Weimar
(1919-1939) de L. Dupeux
ou se
trouve une abondante bibliographie fort intéressante,
Destruction de la raison de Lukacs,
etc.
On
trouve également des renseignements du plus haut intérêt dans les
revues d`extrême-droite comme
Vouloir, Troisième voie, Krisis,
etc.
En
ce qui concerne les problèmes de la communauté et de l’État, on doit tenir compte d’autres
courants et
de théoriciens isolés, les
uns et les
autres surtout d’origine juive,
s’étant manifestés
en Allemagne. À ce propos le livre de M. Lowy, Rédemption et utopie
apporte beaucoup
de renseignements sur Μ.
Buber
(partisan d’un renouvellement total, mit
en évidence la permanence d’une
tendance chez le peuple juif
d’un refus
de sortir de la nature, d’un refus de la communauté artificielle
s’imposant
avec la coupure d’avec cette dernière, terrain d’émergence de la
rationalité,
de l’intellectualisme juifs, pp. 63-75), F. Rosenzweig,
G. Sholem, L. Löwenthal, W. Benjamin (« lie
étroitement
l’abolition de l’exploitation de l’homme sur l’homme à la fin de
l’exploitation
de la nature » p. 149 ; est pour « la
rédemption révolutionnaire
de l’humanité », p. 161), G. Lukacs,
Β.
Bloch, G. Landauer
(prônait la communauté qui devait tendre
vers
« la communauté la plus ancienne et la plus
universelle : avec
l’espèce humaine et avec le cosmos »,
p.
65), etc.
La
communauté eut une grande importance tant en théorie que
sur le plan pratique à la fin du siècle dernier et au début de
celui-ci. Nous
ferons une étude de tous les courants qui s’en préoccupèrent,
dans le chapitre « Réaction au devenir du
capital ».
Avant
et à la suite du second ébranlement
dont l’apex fut Mai-Juin 968, on n’a pas eu un apport théorique
fondamental,
particulièrement aux USA où tout ce qui a été produit apparait
comme une copie de ce qui fut engendré au cours des années
vingt en Allemagne. Cf. le
livre de M.C. Granjon L’Amérique
de la contestation
les années 60
aux USA, éd. Presses
de la fondation nationale des sciences politiques, qui
est surtout intéressant pour la masse de documents qui s’y trouvent
exposés.
[12]
- Cf.
Bulletin
international de discussion n°5,
mai
1944, p. 2. Ceci est indiqué dans la thèse de Roger sur la Gauche
communiste
d’Italie. Ιl
en est de même question dans la brochure
du CCI au sujet du même mouvement. Ici encore,
c’est une
question sur laquelle
nous reviendrons.
[13]
- « Les principes
marxistes indiquent
scientifiquement que la lutte entre les classes constitue le moteur de
l’évolution historique. Cela s’applique surtout aux formes extrêmes de
la vie
sociale : à la guerre, et il serait bien étrange de se baser
sur la lutte
de classe pour expliquer les situations précédant la guerre et de s’en
éloigner
lorsqu’il s’agit de cette dernière. Les compétitions inter-impérialistes
sont un élément secondaire et jamais fondamental.
En 1914, elles ont joué un rôle
important, mais encore une fois, accessoire : l’essentiel
étant représenté
par la lutte entre le
capitalisme et le
prolétariat. » (Ο.
Perrone,
Pour le bureau International des fractions
communistes de gauche,
Bilan, p. l405).
[14]
- Ιl
est intéressant
de noter qu’ils pensaient que le parti ne pouvait pas avoir une
existence
immédiate : « Le Bond est une organisation provisoire
de marxistes,
orientée vers la formation d’un véritable parti communiste
international,
lequel doit surgir de la lutte de la classe ouvrière. » (La
Gauche
Hollandaise, Brochure du CCI, p.
259).
Ils
en minimisèrent l’importance : « Le rôle du
parti est maintenant restreint à celui d’une organisation de
clarification. Il
n’aspire pas davantage à instaurer une domination sur la
classe. » (O.c., p. 252).
Cette dernière
proposition est l’expression de la pression de l’antistalinisme
ambiental, car
le but du parti ne fut jamais celui d’imposer une telle domination.
[15]
- Voir à ce sujet : Dialogue
avec les
morts mais aussi Structure économique et sociale de
la Russie d’aujourd’hui
de Bordiga.
On
doit noter que la fin du socialisme en un seul pays signe
l’échec de la réalisation d’une solution moyenne, entre celle
d’Occident et
celle de l’Orient, telle que la rêvaient divers théoriciens russes du
siècle
dernier.
On
assiste également depuis deux ou trois ans à la fin de la
solution islamique qui elle aussi se voulait voie moyenne, originale.
[16]
- Étant donnée que la
détermination des
salaires était en relation avec le mécanisme de la détermination du
taux de
profit moyen lui-même en relation avec les différentes compositions
organiques
du capital à l’échelle mondiale, ce n’est qu’à la même échelle qu’il
aurait été
possible d’aborder sérieusement la question syndicale. Faire autrement
ne
pouvait que renforcer l’idéologie nationale et maintenir une régression
profonde au sein de la classe ouvrière.
[17]
- Cette affirmation ne fit pas
l’unanimité au
sein du parti. Voilà pourquoi la traductrice de : Les
fondements du
communisme révolutionnaire, où on la trouve clairement
exprimée, a modifié
le texte afin d’escamoter la question. Cf. notre traduction dans Textes
de
la Gauche communiste d’Italie, fascicule II, n° spécial,
Janvier l992.
[18]
- On était persuadé que sans
une haute rigueur
théorique unie à une absence de compromis, il n’était pas possible de
maintenir
un certain regroupement apte à opérer en tant que pôle positif,
nécessaire, non
pas parce qu’il devrait prendre la direction d’un mouvement, mais parce
que
c’était grâce à lui que ce dernier pourrait, immédiatement s’enraciner
dans le
devenir révolutionnaire.
[19]
- L’élimination de tout résidu
socialiste cause
le heurt entre Israël et les USA. En effet ces derniers, partisans du
marché
libre concurrentiel total, ne peuvent pas accepter le domaine
socialiste
constitué par les kibboutz ainsi que l’énorme intervention de l’État
israélien
dans les divers domaines du procès économique et social. Éliminer le
résidu
socialiste et l’interventionnisme étatique revient à en finir
totalement avec
le mouvement prolétarien et avec le vaste mouvement révolutionnaire des
années
vingt de ce siècle.
En
se
mettant du côté des étasuniens, les israéliens ont pensé pouvoir sauver
leur
État. Ils ont donc pris la position inverse de celle de leurs ancêtres
qui
s’opposèrent à Rome et au mode de production esclavagiste. Mais en fait
ils
risquent une destruction encore plus grave que celle subie il y a près
de deux
mille ans, parce qu’il y a le péril qu’ils fassent les frais d’un autre
regroupement des forces au Moyen-Orient où celles des USA pourront leur
faire
défaut.
En
ce qui concerne l’élimination des résidus socialistes, on
peut considérer que la terrible intervention des USA en Irak alors que
l’armée
de ce pays était en débandade est probablement due à la peur d’un
mouvement
prolétarien. En effet il y eut une vaste mouvement de désertion qui
aurait pu
connaître une certaine transcroissance révolutionnaire (Cf. à ce sujet
le texte
à notre avis trop optimiste en ce qui concerne cette
dernière : Ten
days that shook Irak, BM Cat, London WC1N 3XX, UK, ou PO Box
3305, Oakland
CA 94609, USA).
[20]
Ne serait-ce que
parce qu’une des causes importantes de celle-ci est due à la
concurrence
effrénée effectuée par ce que l’on a appelé les dragons du sud-est
asiatique
qui opérèrent une sorte de dumping qui ruina celui qu’opéraient
jusque-là les
satellites européens de l’URSS. (Note de 2009).
[21]
- cf. Remarques,
Invariance, série
III ; n° 2, pp. 89-93. (Quand j’ai rédigé La mort
potentielle du
capital, j’avais oublié que j’avais déjà, en fait, traité en
grande partie
la question ici. D’où des redites regrettables. Note de 2009).
[22]
- « Les conséquences
de cette fusion [entre
film de fiction et image digitale, n.d.r.]
sont considérables : elle anéantit la frontière entre image de
synthèse – monde
de fantasmagorie abstraite – et prise de vues réelle, fût-ce dans la
fabrication des univers les plus oniriques. Elle anéantit le sens même
de la
prise de vue réelle : dès lors que tout le contenu d’une image
(acteurs humains,
décors, costumes, etc.) est susceptible d’être décomposé en
micro-éléments tous
équivalents pour constituer une « pâte numérique »
qu’un technicien
modèle à sa convenance, toute notion de représentation disparaît. La
numérisation est très exactement la bombe atomique des
images. », Ch.
Guillou. Le même auteur dans le même n° du Monde
(30.0l.92) affirme
qu’on a le passage « de l’ère de la représentation à celle de
la sensation
et de la simulation. ».
Dans
la mesure où le spectateur devient protagoniste, il y a
également évanescence de la représentation. La disparition du scénario
opère
dans le même sens.
Enfin
il convient de signaler que le monde virtuel est un
monde totalitaire et que dans l’immédiateté virtuelle tout se
dissout :
unité supérieure, communauté, multiplicité, individualité, conquête du
futur, utopie,
etc. Il y a fin de l’aliénation, de
l’appropriation en créant une
participation.
Un
autre phénomène d’immédiatisation nous est fourni par Ph.
Manoury : « Avec les techniques électroacoustiques,
on n’a pas de
recul, pas de mémoire, pas d’histoire. On ne peut donc plus travailler
en
amont, on est sur le matériau. » (Le musicien et
l’ordinateur
article du Nouvel Observateur n°1422).
En
même temps qu’il y a une tendance à une immédiatisation,
une autre s’affirme qui aboutit à la formation d’élites sans continuité
avec le
reste des hommes et des femmes. Elle est due à l’autonomisation d’un
procès de
connaissance devenant de plus en plus ésotérique, constitué par des
techniques
pointues mais vide de contenu (plus
de
théorie) par exemple en informatique ou en physique.
On
a
donc coexistence entre la permissivité et le despotisme qui s’instaure
de plus
en plus par exemple par l’intermédiaire de la médecine.
Il
y a une convergence entre ce mouvement tendant à réaliser
certains phénomènes de cette société-communauté et ce que désirent des
théoriciens apologètes de cette dernière. Ainsi un philosophe étasunien
Richard
Rorty déclare, au cours d’un entretien, publié dans Le Monde
du
03.03.92 : « Or, c’est le lien entre connaissance et
représentation
qui est aujourd’hui remis en cause. ».
Il
fait l’apologie de l’immédiateté, de l’établi :
« Il faudra que la gauche sache devenir plus
modeste : personne, de nos
jours, ne propose mieux que l’économie de marché », et prône
un
néo-maccartisme : « Les
intellectuels doivent cesser d’adopter une critique radicale envers les
institutions de la société. Ils doivent cesser de refuser la
réalité. ».
L’utilitarisme,
le pragmatisme sont synonymes d’apologie de
l’immédiatisme, de l’identité immédiate qui est le fondement du
despotisme de
la société actuelle comme le démontra Th. Adorno.
Il
laisse apparaître une menace despotique : « J’espère
que nous arriverons à nous débarrasser de ce genre de convictions. (Le
renversement du capitalisme, par exemple). ».
Le
despotisme et l’affirmation d’un immédiatisme posent
obligatoirement le problème du langage : « Le langage
est devenu la
question centrale, le noyau de la philosophie
contemporaine. ». C’est une
affirmation du solipsisme de l’espèce, voire de son autisme :
elle s’est
enfermée en elle-même, prisonnière de la seconde nature, et est en voie
de
régression.
À
propos du langage nous pouvons noter que l’utilisation des analogons
et surtout leur autonomisation pose en germe le phénomène de la
simulation.
[23]
- La vie est un songe c’est un
thème que l’on
retrouve un peu partout dans la littérature universelle,
particulièrement en
Occident. Il en est de même pour la comparaison entre le monde et le
théâtre
et, dans une moindre mesure, entre le monde et le marché (Calderon par
exemple).
Il est intéressant de constater qu’à l’heure actuelle, avec la
réalisation des
mondes virtuels, il y a unification des deux premières
assertions : par là
s’effectue la fin du théâtre.
C’est
une tendance et non une réalité effective. Pour l’heure on a une
floraison du
théâtre soit sous sa forme habituelle de divertissement soit sous sa
forme
juridique : les procès judiciaires. Et l’on doit noter que
l’on peut avoir
redoublement du phénomène avec les procès portés au théâtre, au cinéma
ou à la
télévision. Le développement de ces deux formes est lié à celui du
mouvement de
la valeur. La première surtout prit de l’importance dans toutes les
aires où
celui-ci s’est imposé chaque fois que les conditions furent favorables
à son
développement. Nous aborderons plus tard cette étude qui n’est pas
secondaire.
En ce qui concerne le théâtre juridique il connaît un plein boom aux
USA, comme
ce fut le cas dans la Rome antique à l’époque de l’Empire. Le tribunal
est
aussi un lieu de théâtre où se fait la représentation de ce qui est
advenu. Le
lieu n’est pas absolument fixe puisque la reconstitution de l’évènement
criminel peut se faire en dehors du tribunal lui-même. Mais celui-ci en
tant
qu’entité existe dans ce cas même hors de ses propres murs où l’on juge
un ou
plusieurs acteurs du drame. Donc on a l’activité de représenter et de
juger qui
sont parmi les fondements du mouvement de la valeur. En effet le marché
est le
lieu où sont représentées, grâce aux prix, les divers quanta de valeur.
C’est
celui où ce qui est caché est rendu présent. En effet le jugement
permet de
faire passer de la virtualité, de la potentialité, à l’effectivité. Il
actualise. L’analogie entre représentation
théâtrale et
représentation juridique devient plus évidente si l’on tient compte
qu’une pièce
est jugée, ce qui implique tout le champ des possibles de la critique.
Or ce
n’est pas un hasard si la philosophie critique avec son représentant le
plus
éminent, I. Kant, utilise beaucoup l’analogie du tribunal.
Dans
la représentation théâtrale comme dans celle judiciaire
le jeu intervient. Or celui-ci a été totalement modifié avec
l’affirmation du
mouvement de la valeur qui lui apporte une dimension de probabilité et
d’incertitude ; beaucoup de jeux apparus avec ce mouvement
étant liés au
hasard.
Le
songe et le droit ont en commun l’incertitude de la réalité. Pour le
songe
c’est évident. En ce qui concerne le droit cela semble un paradoxe. En
fait un
droit n’est jamais acquis définitivement. Il faut toujours prouver
qu’on le
détient, le possède ; d’où les cascades de procédures
juridiques aux USA
où tout est fondé sur un droit, parce que tout a été séparé, fragmenté.
Enfin
le droit et la science participent à la même pratique : la
nécessité de
prouver toute affirmation. Ainsi pour peu que l’on prône une certaine
transitivité entre le songe, le droit et la science, on se demande si
tout cela
n’est pas fondé sur l’incertitude, l’insécurité due à la séparation
d’avec la
nature.
Le
théâtre et le tribunal sont des institutions liées au mouvement de la
valeur
qui a besoin de représentation parce qu’il y a un décalage entre une
idéalité
et une réalité. Dans la mesure où il y a élimination de la
représentation,
elles vont obligatoirement régresser, leur contenu passant dans la
virtualité
qui expose des possibles.
Le
sport est également lié au mouvement de la valeur. Il renferme la
dimension du
jeu – dans son antique acception, mais aussi dans celle qui s’est
imposée avec
l’instauration de la valeur puisqu’il permet les paris – de la
représentation,
de la justice (à travers l’activité des arbitres mais aussi à travers
l’œuvre
des critiques) ; en outre il intègre les conflits (il est
guerre).
[24]
- Il ne peut y avoir de droit
– comme Marx l’a
bien mis en évidence – que si est intervenue la séparation. En effet
tout
élément qui devient séparable, sécable, discrétable, doit être
déterminé,
c’est-à-dire que ses conditions de cession, livraison etc., doivent
être
précises. En même temps le droit est le garde-fou momentané qui empêche
tout
emballement. C’est un frein à la dépossession ; on peut
ajouter : une
rationalisation de la dépossession afin qu’elle puisse jouer dans le
cadre du
mouvement de la valeur, du capital. C’est le grand justificateur avec,
bien
sûr, la notion de justice en son centre : rendre juste, légal,
faire
accepter, rendre valable ce qui est.
La
médiation fondamentale dans le procès de dépossession,
privatisation (au sens de rendre séparé, privé, ôté d’une ensemble apparaissant indissociable,
indissoluble), c’est le
travail. C’est pour rétribuer, valoriser,
capitaliser une activité interventionniste que
l’on est amené à poser un droit. Ainsi si quelqu’un peut
« améliorer » un embryon humain grâce à une technique
définie
permettant l’ajout de particules norrnalements
absentes
dans celui-ci, on délivrera une espèce de brevet et la capitalisation
sera
rendue possible.
En
généralisant, et en intégrant le droit dans le grand
devenir de transformation de tout inné en acquis, on peut affirmer que
le droit
est la légitimation de l’acquis et qu’il
constitue la pratique qui
tend à lui
donner une certitude, une sécurité. En effet l’existence de l’acquis doit être
fondée afin
d’ôter tout doute sur sa réalité. La légitimation à la suite d’une spoliation, donc d’une
intervention de
type guerrier n’est finalement
qu’un cas particulier et
emblématique.
La
disparition de la représentation fondée sur la séparation
implique une perte de nécessité et d’efficience du droit.
Un
autre aspect de la question mérite d’être souligné. En
effet pour que se fonde la possibilité de la capitalisation du corps
humain, il
faut au préalable que soit
dépassée,
abolie, l’opposition entre animé et inanimé, fondement de la
représentation
globale prévalent en Occident, en particulier dans la biologie. Ce
faisant le
terrain de la science comme celui de la religion vient à être miné.
Elles
perdent leur assise.
En
dépit de ce que désirent les hommes, la totalité du
procès de connaissance en arrive à réaffirmer une immédiateté
comparable à celle
que vivaient nos lointains ancêtres, mais c’est une immédiateté et une
continuité possibles que parce qu’il y a élimination de la nature et de
l’espèce.
Grâce
au christianisme il y eut destruction de ce que les
chrétiens nommaient l’idolâtrie
de la
nature. La science a parachevé et
justifié cette élimination. Maintenant c’est
au
tour de la vie. « La vie, c’est comme un matériau qu’il faut la considérer désormais [...].
Loin de l’idolâtrer, il faut la gérer. » (Article d’un médecin dans Le Monde
du 20.08.87 cité par G. Berthoud dans
Le corps humain comme marchandise, Revue du Mauss, n°3, 1989). Or idolâtrer la
nature c’était
au fond affirmer la
continuité de l’espèce avec
elle, sa
participation. Idolâtrer la vie revient au même.
Quand
les chrétiens poussaient à la séparation en détruisant
l’idôlatrie, ils pensaient en
même temps
que leur dieu pouvait servir d’opérateur compensateur d’union. À
l’heure
actuelle, dans la mesure où ils s’opposent aux manipulations génétiques
dérivant de la destruction de l’idolâtrie de la vie, c’est qu’ils
pensent que
leur dieu ne peut plus rien compenser. Le capital est plus fort que
n’importe
quel dieu, et les chrétiens n’en sont pas à une contradiction près.
Pour
en
revenir à l’idolâtrie de la nature, Marx l’a
souvent dénoncée : « Donc de même que la production
fondée sur le
capital crée d’un côté l’industrie universelle – c’est-dire le surtravail, le
travail créateur de valeur – de même, d’un
autre
côté, un système d’exploitation général des propriétés de la nature et
de
l’homme, un système de l’utilité générale [qui fonde donc
l’utilitarisme et le
pragmatisme, n.d.r.] [...]. Ainsi le
capital crée la société bourgeoise et l’appropriation
universelle de la nature comme
de
la relation sociale à travers les membres de la société. De là la
grande influence
civilisatrice du capital : la production d’un stade de société
vis-à-vis
de laquelle tous ceux antérieurs apparaissent seulement en tant que développements
locaux de l’humanité,
et en tant que idolâtrie
de la nature. La nature devient un pur objet pour les hommes,
une pure chose
de l’utilité. » (Fondements,
éd.
Anthropos, t.1, pp. 366-367, Grundrisse, p. 313).
Cette
citation prouve bien que nous trouvons dans l’œuvre de
Marx des éléments fondateurs
de notre
représentation, mais pas sa totalité. Précisons qu’il y a une certaine ambiguïté chez Marx
au sujet de la nature. En effet il a toujours reconnu son
importance,
soit directement
comme dans les Manuscrits
de 1844, soit
indirectement au travers de la question agraire qui était déterminante pour lui.
La
position de Marx s’explique
dans le cadre de sa lutte contre le féodalisme et ce qu’il denomma l’anthropomorphose de
la propriété foncière. Ιl
fallait rejeter la nature en tant que principe justificateur de
l’ordonnancement
social.
Pour
en finir avec cette question et pour signaler certaines
directions de notre recherche, indiquons que nous accordons beaucoup
d’importance à J.J. Rousseau
à cause de
sa position au sujet de la nature, bien que nous refusons toute sa
conception
de l’individu, du contrat
social, etc., bref sa
conception démocratique.
Dans
tous les cas, ceci ne pourra être vraiment exposé
correctement que dans le cadre plus vaste d’une
investigation
sur les diverses prises de
position
vis-à-vis du féodalisme et sur les réactions au devenir
du capital.
Une
autre approche de la question se fera avec l’étude sur l’incapacité
de Marx et de tant d’autres
à dépasser la
science, même quand ils reconnaissaient qu’elle relevait de la
représentation
bourgeoise. Voilà pourquoi beaucoup de concepts ont été repris tels
que, alors
qu’ils sont déterminés par le mouvement de la valeur
lui-même une des bases essentielles pour le surgissement
de la science.
Ainsi le concept de besoin qui implique une séparation et qui est
utilisé parce
qu’il permet une certaine mesure.
On
ne saurait conclure cette note sans signaler que le
résultat de l’action du mouvement écologique, qui accède plus ou moins
directement au pouvoir, sera de rendre vénales, donc capitalisables les
derniers domaines de la nature qui restaient inviolables. Ils la
livreront donc
au droit et au capital.
Plus
globalement l’œuvre de Marx sera examinée au sein de
la vaste praxis qui a tendu à realiser
la
distanciation de l’espèce vis-à-vis de la nature, praxis remise en
cause à
l’heure actuelle. « Jusqu’où la société peut-elle résister au
dépassement
des distinctions entre
nature et humanité
vers lequel la science nous pousse toujours plus
avant ? » (Denis
Duclos La peur et le savoir. La société face à la science, la
technique et
leurs dangers, éd. La Découverte, cité dans Le Monde
(p. 16) du
21.07.1989 où il y était également fait référence à un ouvrage abordant
des
thèmes voisins : Le risque technologique majeur
de P. Lagadec, éd.
Pergamon Press).
[25]
- La dissolution de la
communauté initiale
permit l’élaboration des concepts de temps et d’espace. Dans un premier
moment
on a eu celui de temps cyclique qui implique une phénomène d’enrayement
de
l’autonomisation (il en est de même pour l’espace). Le temps apparaît
comme un
concept de justification de ce qui s’émancipe du tout, qui s’autonomise
(formation de l’acquis). L’autonomisation tend à apparaître dans le
temps
historique, même s’il n’est pas encore linéaire. Dans ce cas c’est
l’advenu qui
donne sens aux évènements passés qui sont envisagés dans une dynamique
de
justification. En revanche avec le temps cyclique dans la mesure où
l’on pense
qu’il y a réintégration dans un moment antérieur qui est celui
essentiel, la
justification peut opérer en posant que ce qui advient n’est fait que
d’accidents sans conséquence ne remettant pas en cause le tout originel.
Plusieurs
fois nous avons souligné qu’il ne fallait pas
fétichiser l’histoire et nous avons tout autant insisté sur le fait que
pour
Marx elle est un moyen de dévoiler les magies.
Dans
la mesure où s’instaure un autre procès de connaissance
qui n’escamote plus le devenir en ne se préoccupant que du résultat,
l’histoire
en tant que représentation apte à recomposer ce qui a été occulté
devient
secondaire. Restera déterminante la mémoire des évènements de la vie de
ceux
qui nous précédèrent.
C’est
à
propos d’un concept comme celui de temps que nous pouvons montrer de
façon
prégnante à quel point le procès de connaissance tel qu’il s’est établi
depuis
des millénaires est un obstacle à un devenir tout autre.
« Ainsi,
réduisant à son minimum le temps de travail, le capital contribue
malgré lui à
créer du temps social disponible
au
service de tous, pour l’épanouissement de chacun.
Mais, tout en créant du temps disponible, il tend à
le transformer en
surtravail. Plus il réussit dans cette tâche, plus il
souffre de
surproduction ; et sitôt qu’il n’est pas en mesure d’exploiter
du
surtravail, le capital arrête le travail nécessaire. Plus cette
contradiction
s’aggrave, plus on s’aperçoit que l’accroissement des forces
productives doit
dépendre non pas de l’appropriation du travail par autrui, mais par la
masse
ouvrière elle-même. Quand elle y sera parvenue – et le temps disponible
perdra
du coup son caractère contradictoire – le temps de travail nécessaire
s’alignera d’une part sur les besoins de l’individu social, tandis
qu’on
assistera d’autre part à un tel accroissement des forces productives
que les
loisirs augmenteront pour chacun, alors que la production sera calculée
en vue
de la richesse de tous. La vraie richesse étant la pleine puissance
productive
de tous les individus, l’étalon de mesure en sera non le temps de
travail mais
le temps disponible. Adopter le temps de travail comme étalon de la
richesse,
c’est fonder celle-ci sur la pauvreté ; c’est vouloir que le
loisir n’existe
que dans l’opposition au temps de surtravail ; c’est réduire
le temps tout
entier au seul temps de travail et dégrader l’individu au rôle exclusif
d’ouvrier,
d’instrument de travail. » (Marx, Principes d’une
critique de l’économie politique,
éd. Gallimard, pp. 307-308, Grundrisse,
pp. 595-596).
Selon
nous, dans une communauté réconciliée avec la nature,
il n’y a plus d’autonomisation du
temps
parce qu’il n’y a plus de nécessité de mesurer. Or
la mesure est indissocialement liée
au mouvement de la valeur
qui selon Marx devait
justement être
aboli dès le socialisme inférieur. En conséquence le concept de
richesse
disparaît également (on peut parler d’une abondance s’opposant
à une rareté). En revanche Marx
est amené à revendiquer un concept de la vraie richesse
qu’il
oppose à la fausse. C’est
une opération
qu’ il renouvelle en d’autres occasions le conduisant, ainsi que nombre
de ses
continuateurs, à poser que le communisme réalise la vérité du mode de
production capitaliste, ce
qui introduit
une continuité profonde
entre les deux.
Certes
ce que Marx affirme
ici est très important vis-à-vis des divers apologistes du travail, de
l’ouvrier en tant que travailleur. Elle manque de radicalité.
L’exaltation du temps disponible
a une certaine parenté avec celle de l’exaltation de la
paresse opérée par P. Lafargue
dans Le droit à la paresse. Cependant
revendiquer cette dernière
revient à réaffirmer une exigence féodale. C’est donc ne pas être à même de poser
ce qu’est
le communisme. En outre parler de droit c’est
entériner toute la représentation bourgeoise. Le pamphlet de P. Lafargue vaut donc surtout en tant
que
dénonciation de l’idéologie du travail. Pour vraiment fonder une autre
représentation il faut montrer que les concepts de travail et de
paresse,
d’oisiveté, de loisir naissent à partir du moment où la séparation
d’avec la
nature devient telle qu’il est nécessaire d’opérer
une production alternative à la sienne (même si hommes et
femmes
dépendent encore beaucoup de la nature).
[26]
- Nous avons déjà affirmé qu’il était
vain
de parler d’une fin de la
préhistoire. Ne
serait-ce que parce qu’actuellement cette
dernière inclut toute l’anthropogénèse et
non seulement une simple phase antérieure à l’histoire ; celle
où il n’y avait pas
l’écriture et où l’on pensait que
l’Homme était encore « bestial ». Or les découvertes
faites au cours
de ce siècle ont mis en évidence que des activités hautement élaborées
eurent
lieu au cours du paléolithique et il semblerait que dès cette époque l’humanité ait connu une phase
d’union,
peut-être plus puissante que celle actuelle, due en particulier à
l’existence d’une écriture
comprise sur une vaste partie de
l’Europe. De même on parle
d’une écriture
balkanique
antérieure à celle de Sumer et dont la mise au point ne
serait pas liée
au phénomène de la valeur. Voilà pourquoi le rejet de la séparation préhistoire-histoire équivaut à celui
de la
théorie du progrès.
En
outre nous ne pensons plus que le phénomène d’anthropogénèse
qui se caractérise par l’acquisition de la station
verticale soit
terminée avec Homo sapiens actuel. En effet il y a des possibles
d’amélioration
notable de cette station avec des conséquences importantes sur le plan
du faire
manuel (comme l’accession à une plus grande rayonnance,
et non pas se limiter à une simple unilatéralité
comme à l’heure actuelle où nous avons en majorité soit
des droitiers
soit des gauchers), que sur le plan des capacités intellectuelles. À ce
propos
il sera important d’étudier l’analogie, possible en tant que
convergence
profonde entre le port des arbres (verticalité) et la station des Homo sapiens, et quels sont les potentialités qu’il y a en nous et qui
pourront
s’effectuer à la suite d’une meilleure verticalité. R. Steiner a comparé l’homme à la plante
mais c’est pour indiquer la
supériorité du premier qui aurait ses
racines dans le ciel et non comme la seconde dans la terre.
La
théorie de la fin de l’histoire que certains disent avoir
été adoptée par Marx – ce
qui est faux – est
en fait une représentation justificatrice de la réalisation de la
deuxième
nature dont parla Hegel. C’est l’idée que les évènements,
qui constituent la trame de vie de l’espèce jusqu’à
maintenant, sont déterminés par des antagonismes qui s’évanouissent
avec le
triomphe actuel de la démocratie. Or celle-ci comme nous l’avons déjà
indiqué
n’existe plus parce qu’il n’existe plus d’individus.
La
disparition des antagonismes est traumatisante pour
beaucoup parce que cela détruit toutes leurs représentations et remet
en cause
leur mode d’être : ils
ne peuvent
exister que par séparation. Or l’ennemi est
bien celui dont on est séparé. Ce qui crée d’ailleurs des relations
ambiguës de
haine et d’amour, de fascination le plus souvent...
Fukuyama,
grand
théoricien de la fin de
l’histoire, fonde en partie son œuvre sur
celle de Kojève qui écrivit
ceci :
« Pour rester humain l’hοmme
doit rester un
sujet
opposé
à l’objet » (Introduction à
la philosophie de Hegel,
p.437). En bref, cela entérine ad aeternurn
la dialectique du maître et de
l’esclave et donc la servitude volontaire ; ce qui s’exprime
fort bien
dans le dialogue platonicien s’effectuant entre le maître et le
disciple. Ce
dernier ne découvre jamais que ce que le premier veut qu’il trouve
(despotisme
et servitude volontaire).
En
guise de conclusion provisoire et en connexion avec la
note 11, voici une citation de W.
Benjamin. « L’adepte du
matérialisme
historique n’approche d’un objet
historique que lorsqu’il le rencontre en tant que monade. Dans cette
structure
il reconnaît le signe d’un
arrêt
messianique des événements, en
d’autres
mots d’une chance de
révolution dans la
lutte pour un passé opprimé. Il la saisit pour faire surgir de façon
explosive
une époque déterminée hors du cours homogène de
l’histoire... » (Sur
le concept d’histoire).
[27]
- Ceci a déjà été affirmé
ailleurs. Nous ne l’avons pas démontré substanciellement.
Ce sera une tâche prochaine à accomplir. Le résultat
constituera en
quelque sorte le pendant au chapitre : « Littérature socialiste et communiste »
du Manifeste.
[28]
- Nous avons déjà
abordé l’étude d’un livre
sacré, le
Coran (cf. Invariance, série IV, n°8),
nous y reviendrons et nous ferons de même
pour tous les autres comme la Bible, la Baghavad-Gita,
les Gatha, etc. Nous y
ajouterons
des livres qui n’ont pas le caractère du sacré mais qui sont tout
de même
fondateurs οu
qui mettent en scène des personnages archétypiques
comme Ulysse, Tristan, Don
Juan, etc. Mais aussi la
production littéraire des pays hors Occident,
pour montrer à quel point ils sont déterminés par le phénomène de la
valeur. On
verra alors qu’est-ce que cela veut dire la prétendue éternité des
caractères
de l’espèce que ces livres exposeraient.
En outre, il sera tenté de montrer que l’art, la littérature (dans laquelle nous incluons les
textes sacrés) ayant épuisé
leurs possibles et permis l’autonomisation
des
différents moments du procès de vie intellectuel de l’espèce,
facilitent eux
aussi l’instauration d’un monde virtuel.
A
propos de l’art on doit noter que depuis le début de ce
siècle divers courants artistiques vantent l’artéfact,
la mécanisation. Pour nous l’art
n’est
plus en dehors de la dynamique de la capitalisation. Ιl
est immergé dans la combinatoire capitaliste et contribue à son
maintien et à
son expansion.
[29]
- La tendance à réaliser une
immédiateté
s’opère à travers celle à
réduire à zéro
le temps de circulation, ce qui peut être facilité par le développement
de la
télématique. Déjà cette dernière permet l’élimination
de la monnaie s_c_r_i_p_turale. Elle
devrait rendre possible l’instauration d’une unité de compte apte à
mesurer les
flux de capitaux. Cette instauration est un possible contenu dans le
fait qu’il
y a un dépassement de la valeur et que l’ensemble social est
capitalisé. Sa
réalisation serait le parachèvement du communisme
mystifié et la fin de l’intégration du marxisme.
On
peut penser que la résolution des problèmes financiers
peut conduire à l’établisement de
l’unité
de compte. En effet les énormes déficits tant des USA que d’autres pays
comme
le Mexique, le Brésil οu
les pays de l’Est constituent des éléments pertubateurs
pas tellement pour le procès du capital mais pour les
représentations de
ses adeptes. Or, si les dettes étaient abolies il y aurait une décapitalisation et simultanément une
levée de
verrou à une capitalisation ultérieure. Cela reviendrait à faire
prévaloir le
principe de gratuité et cela réaliserait un moment de l’élimination de la représentation et un
moment de
l’affirmation du devenir à l’immédiateté. Toutefois étant donné que le
phénomène d’accumulation, de
rétention en
un point donné du système social, lié à un monopole quelconque n’est
pas aboli,
cela n’implique aucunement qu’on sorte du domaine de la valeur et du
capital.
Cela confirme l’analyse de Marx et
de Bordiga sur le bon de
travail : il ne peut
être un moyen d’éliminer la loi de la valeur que s’il
n’est pas accumulatif, s’il ne
peut pas circuler. Ainsi toute la théorisation opérée dans les années
cinquante
et soixante en ce qui concerne la caractérisation du socialisme
inférieur en
tant que stade excluant la valeur prendra à nouveau de l’importance
mais, cette
fois, à propos des formes de dissolution du capital.
En
conséquence nous aurons encore affaire pendant longtemps
à des affirmations contradictoires entre devenir à l’immédiateté
tendant à réaliser la
participation par
l’entremise des systèmes de réseaux et divers moments d’autonomisation.
[30]
- En rapport avec ce qui a été
affirmé dans la
note 27, on peut dire que la notion de progrès ne peut se poser qu’à partir
du moment de la dégradation de la situation des hommes et des femmes
avec la
dissolution des communautés primitives. En acceptant cette thèse pour
cette
période il faut tenir compte du fait que le progrès n’a jamais été un
phénomène
linéaire parce qu’il y eut également des phases d’ample régression.
Enfin il
n’est pas possible de parler de progrès dans un sens générique niais du
progrès particulier,
dans tel ou tel
domaine.
La
théorie du progrès étant liée à celle de la supériorité
de Homo sapiens ainsi qu’à
celle de la
démocratie, il est évident qu’elle ne puisse en aucun cas prendre place
dans
notre représentation.
En opposition aux
théoriciens qui fustigent les prolétaires, Marx
et
les révolutionnaires d’avoir eu
foi dans
le progès, il faut tout de
même rappeler
que les données n’étaient pas comparables au XIX°
siècle ; ainsi la notion de progrès impliquait le
possible de
l’amélioration d’une situation en opposition à la théorie fixiste
postulant que
cette dernière était une donnée immuable, un produit de la destinée, de
dieu, etc.
Ici
encore nous constatons la faiblesser de
la critique du féodalisme.
[31]
- Notons en particulier qu’il n’y a plus de médiation fondamentale à proposer, mais une
immédiateté. Toutefois le posé de
celle-ci implique toute la réfléxivité du procès de développement antérieur, toute celle
du phylum
qui s’est opposé à la
domestication.
En
conséquence nous examinerons comment la réalisation d’une
totalité autre, avec le devenir à la communauté humaine, impose une
approche différente de
l’immédiateté, de la réflexivité,
de la représentation, etc.
Bordiga
disait
que la connaissance progressait par
révolutions. Ιl
voulait indiquer par là que ce n’était
qu’à la suite de l’intervention
de
la classe opprimée qu’il pouvait réellement se produire un
bouleversement dans
la connaissance. C’était une affirmation profondément antiélitiste,
antibourgeoise. Marx d’un
autre côté considérait qu’un bouleversement dans l’ordre de la
représentation
avait un effet révolutionnaire. Le lien entre Marx
et Bordiga peut
s’établir en
faisant remarquer que ce ne fut qu’à la suite de l’intervention
de la classe opprimée qu’une révolution put réellement
s’imposer.
Dans
tous les cas avec l’instauration de la communauté, il ne s’agira pas
d’un
progrès dans l’ordre de la
connaissance,
mais de l’établissement d’un autre procès de connaissance intégré dans
une
autre dynamique de vie. La dimension de la discontinuité demeure mais
elle s’affirme dès
maintenant, dès que l’on tend à
quitter ce monde.