ÉVOCATION
ET
DÉDICACE
Depuis de nombreuses années nous voulions réaliser
l'édition intégrale de 1a traduction des articles d’A. Bordiga parus dans la rubrique "Sul filo del tempo".
Ce désir ne me fut pas particulier. Ο.
Ricceri
- camarade
de 1a gauche
communiste
d-Italie
mort en 1976 - me répétait inlassablement dés 1a fin des années cinquante: il faut publier tous les Sul filo del tempo. Aussi nous lui dédions cette publication. Nous le faisons également pour Ε.
Corradi,
L.
Laugier et tant d'autres membres de ce même mouvement dont le souvenir nous fuit οu que
nous n'avons pas
connus directement.
Nous élargissons notre dédicace à
tous ceux qui veulent savoir ce que fut le mouvement prolétarien révolutionnaire et qui comprennent -
même si c'est d"une manière seulement intuitive – qu’il
n’est
pas possible d"entreprendre une autre dynamique - la sortie de ce monde -
sans intégrer son apport.
Dédier c'est également évoquer, ce que nous faisons par un détour.
Un
homme,
une
femme, peut-il, peut-elle témoigner de l"espèpèce?
Peut-elle,
l'espèce, témoigner d -un
homme, d’une femme? Surtout au moment d’une mutation profonde en train de se produire dans le mode de se comporter, dans celui de connaitre, où la réflexion tend à ne plus être séparée de l'intuition, où le posé antagonique d'une intériorité-extériorité devient évanescent.
C'est
ainsi qu’οn peut affronter l'activité des hommes et des femmes une fois qu'on a abandonné
l'anonymat sans retomber dans le culte de l'individu. Nous avions envisagé d'utiliser ce
questionnement pour rédiger un livre sur K. Marx englobant des données biographiques et des extraits de son œuvre (K Marx dans son éternité humaine). La conlusion-réponse était: oui l’espèce
parvenant à l'union, fondée en une Gemeinwesen comprenant une vaste variété de Gemeinwesen unitaires, peut témoigner de la validité de l’œuvre
d'un
homme, d'une femme. Ι1
n’y a pas annihilation de l'individualité.
Nous n-avons pas traduit le titre "Sul filo del tempo" parce qu'il nous a semblé ainsi demeurer plus fidèle à l'intentionnalité de l’œuvre
d’A Bordiga. En
effet il y a une différence entre "Au fil
du temps" et "Sur le fil du temps", deux expressions pouvant traduire le titre italien, 1a première étant la plus correcte la plus idoine à la langue française, la seconde, tout à fait littérale, signale une adhérence plus grande et moins de distanciation. En conséquence afin d’éviter le
mot à mot οu la perte de sens, nous avons décidé de conserver le titre original. Ce faisant nous restons plus proches de celui
qui écrivit, et nous permet plus facilement de penser avec ceux qui sont disparus (l'auteur comme ceux qui désiraient.ardemment 1a diffusion de ses textes), de mê
me
qu’ils pensent encore à travers nous. Ceci était la conviction profonde
d’A Bordiga
qui,
à ce propos, parlait
de
cerveau social, ce que nous
désignerions
plus volontiers
par
cerveau communautaire. Ιl
ne
s’agit pas
simplement de reprendre
des thèmes qui
furent au centre
de
leur réflexion,
mais
de
penser avec leurs
êtres passés (il nous
répugne
de faire
une séparation: nous
pensons
avec tout notre
corps) et, à travers
ces membres
d"une génération donnée, le phénomène se réactualise avec ceux des
générations qui leur sont antérieures.
Pensant en outre
dans la dimension de l'espèce, nous
acquérons aussi une aide de la part de
ceux qui sont à venir.
Ainsi se concentre
en nous une immense
puissance qui nous
permet,
bien qu’étant infiniment
minoritaires, de
maintenir
un potentiel
qu’A. Bordiga caractérisait de révolutionnaire, tandis que nous parlerons plutôt de potentiel de mise hors du
monde, d’échappement qui n’est pas
une fuite.
Ainsi
s’évoque hommes et femmes
du passé ainsi que du futur à qui nous dédions les modestes travaux que nous effectuons, aidés par tous ceux de nos contemporains qui
partagent avec nous la même
vision, la même
aspiration à 1a communauté qui doit advenir.
* * *
La traduction οu la retraduction des divers articles est
due à J.P
Laffitte, tandis que 1a supervision finale et les notes sont de F.
Bochet.
À
1a fin de 1a publication nous ferons une postface
pour situer ces textes dans 1’oeuvre
de
A. Bordiga. En même temps
cela nous
permettra de faire
un historique du développement de 1a société
capitaliste de 1945 à
nos jours. Nous pourrons apporter par 1a même occasion des précisions pour 1a compréhension des
divers articles[1].
CAMATTE Jacques
Mars
1992
[1] Tous les Sul
filo del tempo ont
bien été publiés dans des n° spéciaux d’Invariance puis dans la revue
de F.
Bochet, (Dis)continuité (françois.bochet@free.fr)
Je n’ai pas
réalisé le projet de situer tous ces articles dans l’œuvre de A.
Bordiga. Je ne
pense pas le faire ultérieurement, mais j’espère pouvoir rédiger un
texte de
présentation de toute cette œuvre parce qu’elle présente un intérêt
considérable pour comprendre le passage de la perspective de l’aller à
la
communauté humaine en se fondant sur un développement des forces
productives et sur celui de la conscience, à
un aller à celle-ci, à partir d’une remise en cause fondamentale de
toute
l’errance de l’espèce, et donc en initiant la recherche de
l’affirmation de
Homo Gemeinwesen, réalisant un possible de Homo sapiens ;
possible qui
sera porté à son plein épanouissement grâce à la continuité avec tous
les êtres
vivants et avec le cosmos.
En affirmant, dans un des Sul filo del tempo, l‘alternative : détruire ou disparaître, A. Bordiga, signale, en définitive, le début de la nouvelle dynamique. Il ne s’agit pas seulement de détruire la majeure partie de ce qui a été produit matériellement, mais aussi tout l’édifice psychique de sécurisation, de justification, tout le recouvrement, cequi n'implique pas de repartir à zéro, mais une émergence. En rejetant, d’autre part, l’obsession de l’organisation, il affirmait le rejet de la répression, le mode d’être fondamental dans la dynamique de l’errance et dans la mise en place de la spéciose. (note d’août 2009)