FORME
- RÉALTTE
– EFFECTIVITÉ
– VIRTUALITÉ
Le
point de départ de notre investigation
au sujet de ces divers concepts est la constatation de l’inadéquation
de l’opposition
que fait Marx entre domination formelle et domination réelle du capital
ou
entre soumission formelle et soumission réelle du travail au capital[1];
inadéquation non en
ce qui concerne le contenu mais en ce qui concerne les termes.
Mais
avant de traiter cela, il nous faut
analyser le concept de forme. Il revêt une importance considérable dans
le
procès de connaissance, c’est-à-dire dans le mode qu'a l’espèce
humaine,
particulièrement en Occident, de se situer, de se positionner, de se
percevoir
dans le monde. Il occupe une place essentielle dans l’œuvre de Marx.
Nous l’aborderons
à propos de son étude de la valeur.
Normalement
la forme est ce qui est
superficiel, ce qui est immédiat, donc qui apparaît en premier. Or en
ce qui
concerne la valeur, Marx en détermine la substance, le travail, la
grandeur, le
quantum de temps de travail, et c’est ensuite qu'il
affronte sa
forme. "La substance de la valeur et la grandeur de la valeur sont
maintenant déterminées. Reste à analyser la forme de la valeur." (Le
Capital Ed. Sociales, L.I, t.1, p.62) [2]
Dans
ce cas, Marx ne nous donne pas une
définition de la forme valeur qui soit concise et facilement
transmissible.
Pour mieux comprendre comment se situe la question, repartons du début:
l’étude
de la marchandise, car là, déjà, il est question de forme: "Elles (les
marchandises, n.d.r) ne sont cependant marchandises que parce qu’elles
ont une
dualité: objets d'utilité et porteurs de valeur. Elles n’apparaissent
en tant
que telles ou ne possèdent la forme marchandise que dans la mesure ou
elles
possèdent une double forme: la forme naturelle et la forme valeur."
Nous
pouvons anticiper: pour Marx la
forme résulte d’un rapport[3].
Ainsi la forme
naturelle de la marchandise qui s'exprime dans
la valeur d’usage
dérive du rapport de l’homme â un objet donné (consommable ou
utilisable), plus
précisément du rapport entre un besoin humain et un objet. Dans le cas
de la
forme artificielle de la marchandise, le rapport est plus difficile à
saisir.
Disons que la forme est perçue à travers un rapport, une relation qui
implique
une action, une activité entre deux objets, deux entités. C'est
pourquoi Marx
analyse le rapport entre deux marchandises. "Le rapport de valeur le
plus
simple est manifestement le rapport de valeur d’une marchandise â une
autre
marchandise particulière différente, quelle qu’elle soit. Le rapport de
deux
marchandises livre donc l’expression la plus simple pour une
marchandise."
(Idem, p. 62) Il ajoute: "Le secret de toute forme de valeur réside
dans
cette simple forme de valeur. Son analyse offre donc la difficulté
propre."
Marx
fait donc l’analyse du rapport:
x
M A y
M B
Celle-ci
révèle que la forme valeur a deux pôles ou deux formes:
la forme relative qu on pourrait définir valeur pour-soi et la forme
équivalent
définissable comme valeur pour autrui. L’unité des deux simultanément
posées
est la valeur d'échange ou valeur. À noter que
la dualité
intrinsèque se manifeste dans un mouvement et présuppose en
arrière-plan un
rapport entre échangistes, entre humains. En outre vient à se poser la
question
au sujet de l’existence d’une isomorphie entre ce qu il advient entre
humains
et ce qu il advient entre marchandises. Que le lecteur nous pardonne de
le
convier une énième fois a une lecture détaillée de l’œuvre de Marx.
"La
toile vient au monde avec
l'aspect d’une valeur d'usage ou d une chose utile.
Sa corporeité compassée,
c’est-à-dire sa forme naturelle, n’est donc pas sa forme
valeur, mais
l’exact contraire de celle-ci. Son propre être-valeur,
elle ne commence à
le montrer que quand elle se rapporte a une autre
marchandise, l’habit,
comme a son égal. Si elle n était elle-même valeur,
elle ne pourrait pas
se rapporter' a l habit en tant qu il est valeur, en tant qu il est son
égal.
Elle se fait qualitativement l’égale de l’habit en se
rapportant à celui-ci
en tant qu’objectivation de travail
humain homogène, c’est-à-dire
en tant qu objectivation de sa propre substance de valeur;
et elle se
fait l’égale d un seul, et non pas de x habits, parce qu elle n’est pas
seulement valeur en général, mais- aussi valeur d’une grandeur
déterminée
et parce qu un habit contient précisément autant de
travail que ses
vingt aunes. Par cette mise en rapport avec l'habit,
la toile fait
d’une pierre plusieurs coups. Faisant de l’autre marchandise
son égale
en tant que valeur, elle se met en rapport avec soi-même en
tant que
valeur. Se mettant en rapport avec soi-même en tant que valeur,
elle se distingue
en même temps de soi-même en tant que valeur d usage.
Exprimant
dans l'habit sa grandeur de valeur -
et "grandeur de
valeur" implique ces deux choses: valeur en général et valeur
quantitativement mesurée - elle fournit à son être-valeur une
forme
valeur distincte de son existence
immédiate. Se représentant ainsi
comme quelque chose de différencie en soi-même, elle commence à se
représenter
réellement comme marchandise - chose utile qui est
en même temps valeur.
Pour autant que la toile est valeur d usage, elle est chose
repliée sur soi-même.
Sa valeur n'apparaît au
contraire que dans son rapport à
une autre marchandise, l'habit par
exemple, rapport dans lequel l’espèce
de marchandise qu’est l’habit devient qualitativement son
égale et,
prise en quantité déterminée, vaut donc autant
qu’elle la remplace et
peut s échanger contre elle. La valeur n’obtient
donc une forme propre,
distincte de la valeur d usage, que par sa
représentation comme valeur
d’échange. (Le Capital, Livre I, première
édition, traduction P.D.
Dognin)
Ajoutons
ce passage:
"Du fait que la toile fait de l'habit son égal en tant que
valeur au moment même ou elle s en distingue en
tant qu’objet d’usage,
cet habit devient la forme phénoménale de
la valeur par
contraste avec le corps toile, devient sa forme
valeur par
distinction d'avec sa forme naturelle." (p. 55)
On
voit donc qu’il ne
suffit pas que la valeur existe, il faut qu-elle
s extériorise. En s’extériorisant,
elle fait justement apparaître son contenu, sa
substance en tant que
qualité et en tant que quantité. Si elle a un contenu, elle
a donc une
forme. Celle-ci se dévoile dans le mouvement entre les marchandises. Le
fondement
de la forme valeur réside dans l’échangéabilitè
de ces dernières.
À
la fin du dernier
paragraphe cité, Marx a mis la note suivante.
"Dans
une certaine mesure il en va pour l'homme
comme pour la marchandise. Étant donné qu-il ne
vient au monde ni
avec un miroir, ni comme un philosophe fichtéen qui dirait: Je suis Je,
l’homme
se mire tout d’abord dans un autre homme. C'est
seulement
grâce à ce rapport à l'homme Paul en tant que celui-ci lui est semblable
que l’homme Pierre se rapporte a soi-même en tant qu'homme.
Mais,
par là, le Paul en chair et en os, dans sa corporéité paulinienne,
compte pour
lui comme forme phénoménale du genre Homme." (p.55)
Cette
même note se trouve dans la dernière édition mais elle se
rapporte à un texte un peu différent. "La forme naturelle de la
marchandise B devient par l'entremise du rapport
de valeur la forme
valeur de la marchandise A ou le corps de la marchandise B devient le
miroir de
valeur de la marchandise A." (Ed. Sociales, L. I, t. 1, p. 67 - il est
question de la formule x
M A y M B)
Avant
de commenter et d’exprimer en quoi nous divergeons avec
Marx, il nous faut encore reporter une autre citation accompagnée de sa
note,
extraite cette fois de l'édition habituelle.
Voici
le texte: "C'est l'inverse
qui
a lieu avec la forme équivalent. Elle consiste précisément en ce que le
corps d'une
marchandise, un habit par exemple, en ce que cette chose, telle quelle,
exprime
de la valeur, et, par conséquent, possède naturellement forme de
valeur. Il est
vrai que cela n’est juste qu’autant qu’une autre marchandise, comme la
toile,
se rapporte à elle comme équivalent. "
Et
voici la note se rapportant à la fin de la dernière phrase:
"Avec
de telles déterminations réflexives on a en général
une chose curieuse. Cet homme, par exemple, n’est roi que parce que
d'autres
hommes se considèrent comme ses sujets et agissent en conséquence. Ils
croient
au contraire être sujets parce qu’il est roi." (Ed. Sociales, L.I, t.1,
p.7l)
Analysons
le contenu de tout ce qui précède. L’accès à l’existence implique une
extériorisation et la reconnaissance d'un
quelque chose en commun.
C'est le mouvement - la mise en relation - qui permet de poser les deux
valeurs: la valeur d’usage et la valeur
d’échange. La représentation
est fondamentale pour que cette dernière se manifeste et elle opère
entre
deux marchandises, réalisant la reconnaissance. Ajoutons que la
dernière phrase
de la première citation semble suggérer que pour Marx la valeur
préexiste à la
valeur d'échange et que sa forme adéquate e"est
la valeur d’échange[4].
On doit rapprocher cela de l’autre affirmation:
"elle fournit à
son être-valeur, une forme valeur distincte de son existence
immédiate."
Et c’est cette forme qui va permettre le mouvement car la valeur
d’usage
"est repliée sur elle-même."
Autrement
dit la valeur d’usage
est une donnée immédiate qui se suffit à elle-même qui n’a pas besoin
d’un
devenir, qui n'a pas à sortir d’elle-même, à
s’extérioriser, parce
qu'elle résulte d'un
rapport immédiat de l'homme
à la nature. En revanche la valeur d'échange,
forme artificielle, ne
peut se poser qu'à l'aide
de diverses médiations qui
opèrent à travers des représentations. Ajoutons que plusieurs fois dans
Le
Capital, comme dans les autres études (Grundrisse,
Manuscrit de 1861-1863,
etc.), Marx utilise le miroir en tant qu’opérateur d’analogie. Enfin ce
qui est
déterminant c'est l'idée
de réflexivité (en cohérence
avec le miroir). La relation:
20
aunes de toile un habit
est
réflexive. Dans cette équation la
toile est valeur relative et l'habit valeur
équivalent. Mais dans
celle-ci:
1
habit20 aunes
de toile
l'habit
devient valeur relative, la toile valeur
équivalent.
Ceci
posé, dans quelle mesure l’isomorphie entre mouvement
concernant les marchandises et mouvement affectant hommes et femmes
est-elle
valable? Elle ne l'est pas pour la totalité
historique.
Le
mouvement des marchandises exprime l'immédiateté des
comportements humains à partir du moment ou l’espèce humaine se sépare
de la
nature.
Marx
nous le suggère: "La forme valeur simple d’une
marchandise est donc la forme de manifestation simple de la
contradiction,
contenue en elle, entre valeur d’usage et valeur... Le développement
de la
forme marchandise coïncide avec le développement de la forme valeur." (Le
Capital, L. I, t.1, p.76) Il s'agit
donc de la contradiction
entre la donnée naturelle innée, l'objet qui
peut être utilisé, et
la relation humaine, l’échange qui fait acquérir à ce dernier une autre
détermination. Or il n’y a d’échange que s'il y
a extériorisation,
qui est mouvement de sortie de la nature. Ce dernier est isomorphe au
mouvement
de la valeur. Toute valeur implique une séparation d’avec la nature;
elle
sanctionne le passage de celle-ci à la culture. Marx précise comment la
contradiction indiquée plus haut se dévoile, s’extériorise dans la
relation entre
deux marchandises:.." une des deux, dont la valeur doit être exprimée,
est
posée seulement en tant que valeur d’usage, l’autre dans laquelle la
valeur est
exprimée, vaut seulement et immédiatement en
tant que valeur d’échange. " (idem, p.76) On a donc
constamment l'opposition
entre nature et culture. C'est avec le triomphe
du capital que cette
dernière l'emportera définitivement.
Nous
avons déjà abordé
cette question dans Émergence de Homo Gemeinwesen,
chapitre 9.1. Genèse
et développement de la valeur, cf. Invariance,
série IV, n°5[5].
En conséquence nous ne nous préoccuperons que de la partie qui concerne
le
comportement des hommes et des femmes en dehors de la période
transitoire,
intermédiaire, qui va de la coupure d'avec le
reste de la nature à
la réconciliation avec elle. Ce qui évidemment, tout au moins dans un
premier
temps, ne peut se faire qu’en référence avec celui opérant au cours de
cette
période.
Au
niveau du raisonnement de Marx il y a analogie entre la
valeur d’usage et ce qui est inné en l'homme tandis que l'acquis
est
analogue à la valeur d'échange, sans occulter que l’aptitude à acquérir
est une
donnée naturelle, sinon il n’y aurait pas eu le devenir que nous avons
subi.
Quand la séparation advient, il est nécessaire de reformer quelque chose de commun. Pour les hommes c'est alors la tentative de former une communauté, pour les marchandises c’est la formation du travail abstrait (cf. Capital et Gemeinwesen). Se fait prégnante la nécessité de vérifier ce qui est acquis et qui est mis en commun. C'est là qu'intervient le miroir. L’acte de se mirer est analogue à celui de mesurer: il y a les mêmes déterminations de qualité et de quantité et dans les deux cas il s’agit d'une levée d’incertitude.
Il
faut mesurer ce qui a été acquis et c'est l'acte
d'échange qui permet cela en opérant égalisation et quantification.
Dans
les communautés initiales et dans la communauté future des
hommes et des femmes réconciliés avec la nature il n’y a pas et plus
d'échanges; de même qu'il n’y a pas le problème d'être reconnu pour
être
(celui-ci étant d’ailleurs une abstraction-réduction); le miroir n’est
pas
nécessaire.
Lorsqu'il
y a participation et non séparation il n’y a pas besoin
d'une reconnaissance pour vérifier un acquis. L'autre,
c’est-à-dire
un autre membre de la communauté, n’est plus le juge bienveillant ou
sévère et
rigide, voire malveillant. Aussi c'est l'individualité
elle-même qui
a réalisé une acquisition, qui a franchi une étape dans son
développement, qui
le signale, l'indique aux divers membres de sa communauté et ceux-ci
participent à sa joie d’avoir effectué une telle acquisition en la
vivant avec
cette individualité au cours de ce que nous pourrons appeler une fête,
comme le
font encore les membres d'une tribu australienne [6].
La
communauté est un être qui se développe multiple comme un
immense arbre buissonnant et chaque individualité ou membre de celle-ci
est comme
une pousse qui se développe en symbiose avec les autres, elle est
témoignage de
la totalité et de ses particularités. Pour cela il faut qu'elle
se
développe sans entraves. C'est ce que voulait désigner à l'origine
le
mot liberté qui vient de liber, dieu de la végétation, de la poussée,
de l'énergie
vitale qui traverse le végétal; en même temps il y a glorification de l'autochtonie
non pour célébrer une sédentarité, mais le lieu d’émergence de l'être
vivant, son point d'ancrage dans tout le continuum vivant[7].
Donc
toute individualité se développe, pousse et acquiert son
amplitude et ce dans son immédiateté, elle n'a pas besoin de revêtir
une forme
afin d’être reconnue et acceptée[8].
Etant immédiatement communautaire, puisqu’elle est simultanément
individualité
et Gemeinwesen, elle n’a donc pas besoin d'acquérir
un être pour
autrui pour pouvoir communiquer. Plus précisément il n’y a plus besoin
de
communication, phénomène autonomisé.
Hommes
et femmes ont la même substance: la Gemeinwesen et ils la connaissent.
Ils n’ont
pas besoin de l'extérioriser au travers du fameux mouvement de sortie
de soi
pour retourner à soi avec comme moment intermédiaire fondamental celui
de la
reconnaissance, puisque dans ce cas être c’est être reconnu. Ils n'en
ont pas besoin parce qu’il ne peut pas y avoir de doute et donc pas de
nécessité de confirmation. Mieux, l’être disparaît, c’est-à-dire la
forme que
doit prendre l'individualité, la pousse, pour
reprendre notre
comparaison, afin d’être reconnu. Et l'on doit
bien noter que,
justement, deux êtres qui se reconnaissent, réalisent simultanément
qu’ils ont
quelque chose en commun: l'être qui est une
abstraction.
Dit
autrement le flux de vie peut passer sans devoir prendre
forme, d’autant plus qu’il n’y a plus de carapaces, de formes figées,
puisque
hommes et femmes sont sains, sans défenses, comme l’explique fort
justement
A.Janov.
Dans
l'étude que Marx fait de la forme valeur, il apparaît
que la forme soit ce qui permet d’unir le singulier à l'universel.
Ceci apparaît très bien dans le fait que cette forme valeur inclut en
elle deux
formes, deux modalités d’être: la forme relative et la forme
équivalent. La
première est l'expression de l'individuel, la seconde de l'universel.
Ceci s'affirme nettement avec la formation de l'équivalent
général. Autrement dit la forme est ce qui permet la coexistence. Dans
la
société il en est de même pour les hommes et les femmes: vivre c’est
adopter
les formes adéquates. On dit: il faut mettre les formes! Dans la
communauté
immergée dans la nature, l'individualité est
simultanément
Gemeinwesen. La forme est inutile.
Pour
préciser, revenons sur l'ensemble du
développement. Avec la séparation du reste de la nature, s’effectue une
dissociation de la totalité qui pose l'universel
et l'individuel
qui tendent à s’autonomiser. Une force devra surgir pour opérer une
réunion. C’est
l’État qui va donner forme aux hommes et aux femmes, les définir et
permettre
ainsi une réconciliation, par la contrainte, de l’universel
qu’il
représente et de l'individualité, le sujet. Il interviendra de même
pour que se réalise le travail salarié en contraignant les hommes
expropriés à
vendre leur force de travail et permettre ainsi l'union de deux
mouvements: celui d’expropriation et celui
d’autonomisation de la
valeur d’échange, point de dé part de la formation de la
communauté-capital.
À partir de ces quelques
remarques, on peut tenter d’expliciter un aspect de l'économie
politique dont Marx fit la critique. Celle-ci au moment où elle se
fonde au
XVIII° siècle n’est pas une simple discipline s’occupant du problème de
l'échange
des marchandises, de l'argent, de la richesse, etc., elle est en
même temps une sociologie et une psychologie. L’œuvre d’Adam Smith en
est un
bel exemple. Cela se comprend dans la mesure où les économistes
cherchent à
exposer ce qui se déroule: un mouvement entre les choses qui
apparaissent pour
les hommes et les femmes, et une réflexion sur les possibles de ce
mouvement,
sur sa raison d'être. L’histoire de l'économie
politique montre que
si l'aspect proprement économique tend à prédominer, la dimension
psychologique n'est pas éliminée comme on peut
le constater avec le
marginalisme ou plus récemment avec les théoriciens de la nouvelle
économie[9].
Nous tenons compte ici du discours exotérique de cette science. Ce que
nous
affirmons est encore plus vrai si nous considérons que les hommes et
les femmes
s’abandonnant au mouvement des choses, il y a bien isomorphie entre
celui-ci et
le mouvement entre les êtres humains.
En
revanche, elle se distingue sans y parvenir totalement de l'éthique
qui apparaît de plus en plus comme une discipline devant présenter,
proposer un
comportement compensatoire aux débordements provoqués par le
développement du
capital. Un phénomène analogue se produit par rapport aux pratiques
médicales
et biologiques. L’éthique devient de plus en plus importante au fur et
à mesure
que les horreurs dérivant de ces dernières s’accumulent.
Le
développement de l'économie politique à partir
de
la fin du XVII° siècle correspond au moment où l'homme s’impose par
l’intermédiaire
du capital, c’est celui où se développe le mouvement de profanisation
qui
aboutira à l'humanisme. Elle est l'exposé du
devoir être
qui s’impose lors de la dissolution du mode de production féodal où les
hommes
se replient sur leur travail qui est alors exalté, mais dont ils seront
séparés
à cause du devenir du capital. Voici ce qu'écrivit
John Bellers,
"l'économiste le plus éminent de son temps’ selon Marx qui le
cite (Le Capital, L.I, t. 2, p. 166, note 2, Ed.
Sociales): "La
science oisive ne vaut guère mieux que la science de l'oisiveté
(...) Le travail du corps est une institution divine, primitive (…) Le
travail
est aussi nécessaire au corps pour le maintenir en santé que le manger
pour le
maintenir en vie; la peine qu’un homme s’épargne en prenant ses aises,
il
la retrouvera en malaises. Le travail remet de l'huile
dans
la lampe de la vie; la pensée y met la flamme. Une besogne enfantine et
niaise
laisse à l'esprit des enfants sa niaiserie."
Le
discours des économistes est une justification de ce qui est
advenu, considéré comme la réalisation d'un progrès devant se
perpétuer. En revanche, Marx, dans sa volonté de faire œuvre
scientifique, en
exposant le mouvement du capital comme un fait objectif, en montrant le
déterminisme implacable qui a conduit à sa genèse et à son
développement et
pousse à sa fin inévitable, nous donne à voir que la période de
domination du
capital était inéluctable et qu’il faut en tirer les conséquence, en
particulier la dé gradation de l'espèce. Ce n’est pas le refus de l'advenu
au nom de principes spirituels, qui la gouverneraient de façon
permanente, qui
pouvait ou peut la sauver. C’est seulement en essayant de prendre
conscience
des phénomènes qui, à l’origine, l'ont conduite à sortir du reste de
la nature, à rejeter la nature en elle, qu’il est possible
d’entreprendre une
autre dynamique de vie. Car c’est par là qu’on peut comprendre comment
s’articule
la négation de la nature et la répression qui doit être renouvelée à
chaque
génération afin qu’il y ait adaptation à la voie adoptée par l'espèce.
Ce que Marx n’a pas réalisé et que nous sommes contraints à faire.
Tout
ce long détour pour aboutir à la conclusion suivante: on
peut donc concevoir une réalité où il n’y ait pas besoin de formes
autonomes. Il
nous est possible maintenant de revenir à notre point de départ où il
était
question de l'opposition entre formel et réel.
Tout
d’abord notons que l’opposition
se fait entre deux adjectifs, attributs, alors que d’habitude elle
opère entre
deux substantifs, par exemple forme-substance, forme-contenu,
forme-matière. En
outre une forme peut être elle aussi réelle ou, pour rester dans le
domaine des
substantifs, elle peut relever elle aussi de la réalité.
En
conséquence, que visait Marx en caractérisant ainsi deux phases
du devenir du capital? À notre avis il voulait indiquer que dans un
premier
temps la domination est superficielle; car la forme est à la
périphérie, à la
surface d’un corps. Dans un second temps elle concerne toute la
réalité. Elle n’effleure
plus.
Avant
d’analyser les deux phases de la domination ou de la soumission, il convient de revenir sur la genèse du capital. Marx insiste
bien
dans ses divers travaux que celui-ci naît de la circulation[10].
Ce qui est totalement cohérent avec l'affirmation qu’il est la
valeur d'échange autonomisée, qu’il est en
mouvement car c’est un
procès. C’est d’ailleurs à cause de ce dernier aspect que nous allons
retrouver
une multiplicité de formes. L’autonomisation qui le fonde se réalise du
fait qu’au
cours de sa circulation il traverse une période fondamentale: la
consommation
productive de la force de travail. En conséquence on ne peut parler de
capital
que lorsque cette dernière existe, c’est-à-dire que s’il y a travail
salarié.
Auparavant nous avons des formes de l'argent qui
tendent à s’autonomiser.
D’où l’aberrance de parler de capital marchand ou de capital usuraire
pour les
périodes antérieures à celle de l'apparition du
capital à partir du
XV°siècle. Parler de formes antédiluviennes du capital est encore une
concession inacceptable.
Analysons
de plus prés le phénomène. Avec l'apparition
du capital, il y a conjonction de deux mouvements: celui de l'expropriation
des travailleurs de la terre, de leurs moyens de travail, et celui de
l’autonomisation
de la valeur. C’est en même temps l'apparition du travail salarié.
L’homme
déraciné, exproprié ne peut accéder à l'effectuation
de son procès
de vie qu’en vendant sa force de travail (ce à quoi il a été réduit);
d’où
acquisition d’argent, de la valeur tendant à s’autonomiser. Il
s’établit donc
un nouveau rapport social et par là la forme capitaliste de production.
Ce qui la
caractérise c’est: 1° la destruction de la propriété privée,
particulièrement
de la propriété foncière[11],
2° la réalisation d’un rapport qui ne doit pas être rigide, fixe. Toute
l'histoire
de ce qu’on appelle le capitalisme est celle de la réalisation de la
flexibilité des salaires. Voilà pourquoi il y eut la loi interdisant
les
corporations, les syndicats, etc. Comme ceci ne fut pas suffisant le
mouvement
du capital dut tendre à détruire la puissance de la classe ouvrière.
Ainsi à l'heure
actuelle cette tentative a pleinement réussi et il n’y a plus d’entrave
à son
déploiement.
Toutefois,
dans un
premier temps, il n’y a que substitution d'une forme; les éléments
essentiels du procès de production sont encore ceux du mode de
production
antérieur (féodal dans le cas de l'Occident). "C'est
justement par opposition au mode de production capitaliste pleinement
développé
que nous appelons soumission formelle du travail au capital, la
subordination
au capital d’un mode de travail tel qu’il était développé avant que
n’ait surgi
le rapport capitaliste." (Le VI° Chapitre inédit du Capital
Ed. 10/
18, pp. 194-195)
Marx
insiste bien sur le fait que la différence réside dans l’échelle
de la production: le nombre de travailleurs opérant ensemble est
beaucoup plus
grand. Ceci concerne le procès de travail. Pour ce qui est du procès de
valorisation (qui remplace le procès de constitution de la valeur) la
différence c’est l'allongement de la journée de travail qui permet l'obtention
de la plus-valeur absolue[12].
Rappelons que pour Marx le résultat du procès de production immédiat du
capital
- union du procès de travail et du procès de valorisation - est la
plus-valeur,
et non la marchandise.
Comment
se présente ce que Marx a appelé la soumission réelle du
travail au capital: "La caractéristique générale de la soumission
formelle
y subsiste, a
savoir
la subordination directe du procès de
travail au capital, quelle
que soit la technique qui s’y exerce. Mais sur cette base va s’élever
un mode
de production capitaliste technologique et spécifique
qui modifiera
la nature réelle du procès de travail et ses conditions "réelles".
Ce n’est
qu’à partir du moment ou ce mode de production entre en action que se
produit
la soumission réelle du travail au capital." (Idem,
p. 216)
Ajoutons que la caractéristique en ce qui concerne le procès de
valorisation,
et donc en ce qui concerne le produit du procès de production immédiat,
est la
production de plusvaleur relative.
En
conséquence du contenu de la citation de Marx, nous pensons qu’il
eut été préférable de parler de soumission substantielle ou de
domination substantielle;
car il s’agit bien de substance. En dehors du travail vivant = capital
variable, toute la substance du procès de production (à noter qu’à
partir de ce
moment-là Marx préfère parler de procès de production plutôt que de
procès de
travail) est bouleversé. Donc ce qui devient essentiel c’est la
substance. Ceci
est d’autant plus vrai que lors de la soumission formelle ce qui
prédomine c’est
le capital variable tandis que c’est le capital constant qui l’emporte
lors de la soumission réelle.
Cette
dénomination se trouve en cohérence avec ce qu’affirme
Marx à propos de la substance qui devient sujet grâce au capital. En
effet
répétons-le ce qui est essentiel et déterminant dans la première phase,
c’est
le rapport social qui se présente sous la forme de l'échange
vA [13].
Or celui-ci n’est pas fixe, il favorise donc la pleine réalisation du
capital
valeur en procès, du fait que la force de travail permet la
revitalisation du
capital constant, la substance. D'où - autrement dit - la domination
substantielle du capital est un moment de réalisation du devenir de la
substance
à l'état de sujet. Or ceci est une autre façon
d’affirmer qu’avec le
capital le travail mort domine de plus en plus l'ouvrier.
C’est un
moment de l’Einverleibung ou Verkopferung (qu’on peut traduire par
incarnation)
du capital et donc de son anthropomorphose.
Nous
pouvons justifier la
validité de notre dénomination à partir de cette remarque de Marx:
"Presque dans tous les pays et à toutes les époques historiques que le
mode de production ou la structure économique de la société soient
insuffisamment
développés nous trouvons l'argent porteur
d’intérêt, l'argent
qui pose l’argent, c’est-à-dire du capital formel." (Manuscrit
de l86l-l863,
l° partie, MEGA, II, 1 p. 26).
Il
est formel parce qu’il est de la valeur d’échange tendant à
s’autonomiser
et qu’il n’inclut pas en lui la substance, le travail vivant, et plus
précisément la plusvaleur. Le capital résulte donc de l'union
d’une
forme et d’une substance. Toutes deux préexistent. Toutefois c’est très
périlleux de parler d’un capital formel, car c’est le faire exister
bien avant qu’il
n’apparaisse; ce qui justifie sa prétention à l’éternisation qui
implique
toujours une réécriture des événements historiques. L’expression n’a de
puissance que pour souligner qu’il y avait la valeur d’échange tendant
à s’autonomiser
et que ceci se réalisait à travers une forme donnée, se manifestant
concrètement dans le fait que de l'argent
tendait à engendrer de l'argent
(dimension usuraire).[14]
Le
moment où se réalise cette union
est celui où s’affirme le nouveau rapport social: le rapport
capitaliste, le
travail salarié. Et l'on comprend que de ce fait
Marx parle de
domination formelle (ou de soumission) dans le sens de superficielle.
Le
capital lors de son surgissement consiste à poser une nouvelle relation
entre
deux éléments préexistants et ce faisant il leur donne forme: la forme
capitaliste. Celle-ci intègre donc la forme valeur et la substance, de
la valeur.
D’où, encore une fois, le capital est la substance devenue sujet. C’est
la
valeur en procès qui pour se réaliser a besoin de multiples formes[15].
Enfin
n’oublions pas que pour réunir les deux il fallut la violence.
Le salariat a été établi par la contrainte.
Dans
Capital et Gemeinwesen j"ai montré qu’étant
donné que le capital est la valeur en procès, il faut qu’il soit
toujours en
mouvement, être une fluxion et que donc il doit fuir (ou dépasser) tout
ce qui
le fixe. En conséquence il doit s’emparer du procès de circulation et
fonder
ainsi son procès de production global, unité du procès de production
immédiat
et de celui de circulation. Mais ceci n’est pas suffisant pour éliminer
tous
les obstacles à son mouvement devenant de plus en plus autonome. Il
doit
transformer toutes les présuppositions sociales, donc s’emparer de
l’État (ce
qui se réalise assez tôt) mais donner substance nouvelle à toutes les
représentations. On passe dés lors à ce que j'ai nommé - en me fondant
sur
l’œuvre de Marx - la domination réelle du capital sur la société, qu’il
vaudrait mieux nommer domination substantielle, car c’est effectivement
sa
substance qui est à l’œuvre, qui est en procès ( cf. par exemple ce
qu’écrit
Marx sur le monstre automatisé, ce monstre qui a le diable au corps!)
La
subordination du travail au
capital
et la domination du capital sont deux aspects d’une même
réalité. En conséquence - comme nous l'avons
indiqué dans Note au
sujet de la domination formelle et la domination réelle du capital
in Capital
et Gemeinwesen, pp. 108 sqq.) - Marx étudie comment s’accroît
la
subordination qui est une intégration du prolétariat dans le phénomène
capital,
comment celui-ci en fait sa propre substance. C’est l'autre
face du
procès d’anthropomorphisation que nous avons exposé dans ce même livre.
On
doit noter que l'intégration
se fait en particulier par la consommation, donc par la substance. "Ce
qui
distingue le rapport capitaliste du rapport de domination, c'est que le
travailleur fait face au capital comme consommateur et porteur de
valeur d'échange,
en tant que possesseur d'argent et simple centre de la circulation. Il
devient l'un
de ces centres innombrables, infinis de cette circulation où sa
déterminité en
tant que travailleur s’évanouit." (Grundrisse, p.
323; Fondements,
Ed. Anthropiens, t. 1, p. 378)[16]
Autrement
dit l'ouvrier est pris au piège de la
valeur. Mais celle-ci n’est plus qu’une métamorphose du capital. D’où, à
un stade
plus avancé du mode de production capitaliste, le piège est encore plus
performant. "En acquérant a crédit - sans argent – l’ouvrier vend sa
force
de travail du futur, comme s'il vendait sa vie, et se faisait
esclave." Bordiga
Le
piége du crédit a été énormément accru avec l'inflation.
"L'inflation c'est le crédit global que le MPC (mode
de production capitaliste) se donne à lui-même et en cela le capital
agit selon
son être (...) L’inflation c’est l'imagination du système en ce sens qu'il
projette une image de lui-même dans le futur, image ou toute
contradiction est éliminée
(...) l’inflation réalise l’utopie en devenir du capital: les hommes et
les
femmes se reconnaissent en lui (sinon ils ne pourraient pas le
supporter), même
s'ils luttent contre lui; d'ailleurs jusqu â présent c’est toujours
contre ses
conséquences qu’ils se sont élevés. L'inflation
est fondamentalement
anticipation " (C'est ici qu est la peur, c’est ici qu'il
faut sauter in Invariance, série II, n°6,
p. 09.)
Ce
faisant le capital se plaçait sur le terrain des révolutionnaires
pour qui la révolution est l’acte du futur qui doit résoudre toutes les
contradictions et, dit de façon simpliste, apporter le bonheur. D’où la
mise en
évidence d’une convergence: "Avec l inflation il semblerait qu il y ait
accord entre aspirations des hommes, déterminés désormais par des
siècles de développement
des forces productives, et le capital." (Idem,
p.l0) Toutefois
le débouché d’une telle convergence est une séparation encore plus
grande de l’espèce
par rapport au reste de la nature et par rapport à la nature en elle.
"Avec l'inflation on a un mécanisme de
déracinement total de l’espèce
qui apparaît comme une libération vis-à-vis de l'immédiat
du
capital, moment nécessaire pour couper tout lien au passé, et l'emporter
dans un tourbillon où elle perdra finalement tout souvenir de ce quelle
fut
pour qu’ensuite, le désarroi installé, les hommes et les femmes ne
puissent
plus se retrouver que dans la rationalité du capital." (Idem, p.l0)
"(…)
car l'inflation
est le moyen d’acheter l’espèce en lui faisant miroiter des lendemains
travaillants
et chantants. Par la c’est l'aboutissement de la volonté de l’homme d'être hors
nature (...) l'inflation est incitation
permanente à quitter la sphère
immédiate, â renier l'être-la et â se propulser
dans un devenir sur
le mode de l’acquérir évanescent." (Idem, p 11)
Le
résultat de ce
déploiement exceptionnel de l'inflation fut de
résorber totalement
toute révolte prolétarienne à la fin des années soixante et dix, début
des
années quatre-vingt. Dés lors il fallait enrayer le phénomène, sinon on
passerait de la mort potentielle du capital a
sa
mort effective. D'ou, depuis lors et jusqu'à nos
jours, la lutte contre l'inflation couplée avec celle pour réaliser la
flexibilité des salaires. Celle-ci réalisée, l'inflation
n'est plus
nécessaire, selon la logique des anciennes représentations
qui n’intègrent pas le fait que le capital est allé au delà de ses
limites et
qu'il est mort potentiellement. En conséquence ce dont ont peur
maintenant les
opérateurs capitalistes c’est de la déflation: la chute des prix. Ce
serait l’écroulement
de toute l’immense construction effectuée sur la base du mouvement de
la valeur
puis sur celui du capital.
Pour
préciser la notion de soumission du travail au capital
nous avons débordé sur le devenir ultime de celui-ci. Ce qui nous
importe d
affirmer pour le moment c’est qu il a accru sa substance a partir de
tout le
travail universel (le résultat de la totalité de l’activité humaine
antérieure)
et qu'en capitalisant tout il s’est substitué a ce qu on pourrait
designer la
substance humaine; il a remplace tout l’inné en acquis.
Au
cours de ce devenir il est parvenu â une forme réifiée.
Or celle-ci inhibait son mouvement de capitalisation. La sortie de
cette
inhibition se réalisa au travers de l’autonomisation de la forme. Le
moyen
terme en fut l’accès au stade de représentation.
"Sous
cette forme (il s’agit
du capital porteur d’intérêt) le capital existe donc aussi,
particulièrement,
pour la représentation. Il est le capital par excellence." (Werke, t.
26.3, p.447)[17]
Cette
autonomisation de la forme capital, cet échappement,
cet aller au-delà de ses limites, n'a pu s’opérer que parce que le
prolétariat
a été englobé, puis tend â être éliminé. Nous avons insisté sur le fait
qu’en 1956
le nombre des travailleurs productifs, c’est-à-dire ceux produisant la
plusvaleur est devenu inférieur, a celui des travailleurs improductifs,
ceux
qui permettent la réalisation de cette plusvaleur, parce que c’est un
moment
fondamental, critique, dans le devenir du capital. Or ceci, d’abord
opérant aux
USA, s’est généralisé depuis â un grand nombre de pays[18].
Si
on se place au point de vue du procès total de production
du capital, on peut considérer que par ce moyen il consomme en fait
hommes et femmes, et cette consommation lui procure jouissance
d’une vie infinie et lui permet de réaliser ce que nous avons appelé,
après
Marx, son éternisation. Aussi la remarque de ce dernier souvent
commentée par
Bordiga: "Faire cette supposition, c’est supposer l’inexistence de la
production capitaliste et, par suite, l'inexistence du capitaliste
industriel
lui-même. Car on supprime le capitalisme jusque dans sa base si l’on
suppose
que le principe moteur est la jouissance, et non l’enrichissement en
lui-même." (Le Capital, L. II, t.4, p. 111, Ed.
Sociales) était
valable pour le moment de l’investigation ou il opérait; celui ou le
capital
s'édifiait, accédait a son être, un human being. En conséquence ce fut
vraiment
de l’immédiatisme de la part de ceux qui crurent que prôner la
jouissance
serait opérer dans une dynamique de négation du capital. En fait tous
ceux qui
opérèrent ainsi ne furent que pâture de sa jouissance.
Donc
le capital s’est anthropomorphisé
en remplaçant toute substance par la sienne propre et s est mué en une
forme réifiée[19].
"Et dans cette forme totalement extranéisée du profit et dans la même
mesure où la forme du profit dissimule son noyau interne, le capital
acquiert
de plus en plus une forme réifiée (sachliche), d’un rapport il devient
toujours
plus une chose, mais une chose
qui a le rapport
social dans le corps, qui l'a avalé, une chose
se rapportant à
elle-même avec une vie fictive et une autonomie, un être (Wesen)
sensible
suprasensible; et dans cette forme de capital et
de profit il apparaît à
la surface en tant que présupposition achevée. C’est la forme de son
effectivité, ou mieux sa forme d'existence
effective. Et c'est
la forme sous laquelle il vit dans la conscience de ses agents
(supports), les
capitalistes, quelle se déroule dans leurs représentations.
Cette
forme (métamorphosée) ossifiée du profit (et par là du
capital en tant que son créateur, car le capital est raison, le profit
la conséquence; capital cause, profit effet, capital substance, profit
accident; le
capital est seulement en tant que capital créant du profit, en tant que
valeur
qui crée un profit, une valeur supplémentaire) (...)"
(Werke, t .26.3, p. 474)
Dans
Capital et Gemeinwesen nous avons fait de cette
citation le commentaire suivant (p.248). "Marx montre en fait que le
capital
réalise le projet hégélien (la substance devient sujet) et même le
dépasse; il
est réalisation et dépassement de la philosophie de Hegel (...) La
forme
immédiate sous laquelle le capital apparaît A-A' est donc la forme
absolue à laquelle il parvient, de même que le savoir absolu est déjà
dans l'immédiat
du ceci et de sa visée (début de la Phénoménologie de l'Esprit).
Il y a donc substitution du savoir par la forme. Cependant cette forme
n’est
plus la simple forme du début, elle est réifiée (sachliche indique le
résultat,
tandis que sachlichung exprime le mouvement de la réification) puisque
la forme
c’est le capital qui au départ était la substance sujet et ceci est
concomitant
à un autre renversement: le capital n'était pas une chose mais un
rapport
social; or il est de venu une chose ce qui implique que le capital a en
fait
englobé son rapport au travail salarié, de même qu-il
englobe le
fétichisme de la marchandise puisque, comme elle, il est sensible
suprasensible."
Mais
cette forme réifiée devient un obstacle à son devenir, à
son procès. En conséquence il tend a s'autonomiser
et y parvient,
devenant une pure forme. Dés lors il disparaît et avec lui le travail
salarié,
comme cela advint à la fin des années soixante et dix en ce qui
concerne l'Occident
et le monde occidentalisé. C’est ce que nous avons appelé la mort
théorique ou
mort potentielle du capital. Pour qu’advienne sa mort effective il
faudra que
sa forme disparaisse.
Cette
mort potentielle a
été indiquée par Marx dans les Grundrisse où il a étudié le phénomène
capital
en tant que tel en essayant de comprendre sa genèse, son développement
et sa
fin. "La dernière forme d'esclavage que revêt
l'activité
humaine, le travail salarié d’une côté, le capital de l'autre,
vient
à être dépouillée, et ce dépouillement est le résultat du mode de
production
qui correspond au capital. Les conditions matérielles et spirituelles
de la
négation du travail et du capital, qui sont eux-mêmes la négation de
formes
antérieures de production sociale non libres, sont le résultat même de
son procès
de production." (p. 635, Fondements de la critique de l'économie
politique, Ed. Anthropos, t.2, p. 276). Ce dépouillement peut
être considéré
comme la métaphore de la dissolution de la société-communauté du
capital que
nous vivons à l'heure actuelle. Il n'est
pas question
dans cette approche théorique de Marx, d’une intervention du
prolétariat. Certes
on peut récupérer celui-ci en le considérant inclus dans les
"conditions
spirituelles", mais à mon avis la non affirmation de son intervention
doit être
considérée en relation avec la mise en évidence de l’autonomisation du
capital
dont il est amplement question dans le même ouvrage. Tout cela a
conduit Marx à
intuitionner l’effectuation d’un possible - qu'il aurait voulu conjurer
grâce à
une intervention du prolétariat - parce quelle aurait pu selon lui
engendrer
violences diverses et régression. C'est ce que l'on
constate aujourd’hui, mais avec l'émergence
simultanée d’un mouvement
de sortie de ce monde auquel Marx n’a pas songé.
Ceci
peut paraître un
replâtrage théorique. En fait un tel phénomène d'autonomisation s'est
déjà produit au cours de l’histoire, ainsi pour le mode de production
féodal. On
peut dire que ce lui-ci connaît sa mort potentielle entre le l3° et le
l4°
siècle et qu’à partir de là sa forme s’autonomise. C'est celle d'une
forme hiérarchique où se réimpose une unité supérieure représentée
par le
monarque absolu. Ce phénomène fut rendu possible du fait du heurt
équilibré
entre propriétaires fonciers (nobles) et tenants du capital (bourgeois).
Une
dynamique similaire
se produisit en Russie où l'on eut
autonomisation d’une forme avec
une unité supérieure représentée par le tsar.
Pour
en revenir à la valeur et au capital, il convient de signaler
que l'autonomisation de la forme est une
tendance au sein du devenir
de la première qui s’épanouit avec le surgissement du capital. En effet
la
valeur est une donnée cachée au sein des marchandises, elle ne se
manifeste qu’à
travers les prix. La forme prix permet de relier l’universel,
la
valeur incluse dans toute marchandise et qui est déterminé par le temps
de
travail social nécessaire à sa production, à l’individuel, telle
marchandise
accédant à un moment donné sur le marché. En sorte que le prix peut
être égal,
inférieur ou supérieur à la valeur. Le prix étant une représentation de
la
valeur est une forme qui permet de valoriser même ce qui n’a
pas de
valeur. Autrement dit des choses peuvent avoir un prix sans avoir de
valeur,
parce qu’elles n’ont pas été produites par le travail humain. Par là se
manifeste également la tendance à s’autonomiser par rapport à ce
dernier et par
rapport à la production, comme cela se réalise actuellement: tout est
capitalisé
même ce qui n’a pas été produit. Et ce mouvement a opéré à cause de la
concurrence qui correspond à l'intervention des
hommes (des
capitalistes) dans le procès global du capital; intervention qui peut
parfois
constituer un obstacle au devenir de ce dernier. En conséquence avec la
capitalisation de tout, le capital échappe à l’intervention
humaine;
plus précisément il ne reste que la forme de cette dernière qui n’a
plus de
contenu, parce que les hommes et les femmes ont été capitalisés.
Les
révolutionnaires se sont laissés obnubiler par la forme. Marx lui-même
ne fut
pas à l’abri de cette obnubilation. Il accorda
trop d’importance au
féodalisme, à la forme et pas assez au mouvement concret, substantiel
qui n’était
autre que le développement du capital. Quant aux autres cela leur
permit de
justifier la défense de la démocratie, du progrès contre le despotisme
et la réaction
et ce jusqu'à l'union sacrée en France, en
Angleterre, etc...
La
magie de la forme opère aussi chez les réactionnaires, ceux
qui veulent réactiver une hiérarchie telle qu’elle opéra dans les
sociétés
précapitalistes en Occident. Elle alimente leurs discours, leurs
approches théoriques;
mais leur action se déploie dans une dynamique qui est celle du
capital, parce
que le milieu où ils opèrent et qu’ils ne remettent pas
fondamentalement en cause
est déterminé par celui-ci. Tout ce qu’ils peuvent réaliser c’est de
tendre à
greffer la forme désormais perdue sur une substance qu’ils voudraient
maîtriser.
Telle est la dynamique qu'on trouve dans les
divers courants de la
révolution conservatrice et sous une forme caricaturée chez les nazis.
Ajoutons
que les théoriciens de ce vaste mouvement ont été obnubilés par un
moment du devenir
du capital, celui où il réalise la domination de la substance. En
conséquence
ils se sont élevés contre la domination du capital considérée comme
celle d’un
matérialisme. Ils n’ont pas perçu l'autonomisation
de la forme.
Pour
mieux saisir cette incompréhension du mouvement du capital,
il est bon de revenir en arrière au moment où celui-ci surgit. Il le
fait au
sein d’une société où il y a autonomisation de la forme féodale liée à l'anthropomorphose
de la propriété foncière. Hommes et femmes sont liés à la terre; leur
devenir
est bloqué. Ce qui est essentiel c’est la vie de la propriété foncière,
fondement de la hiérarchie au sens précis de donner une assise à une
organisation sociale. À quelque niveau qu’ils soient au sein de
celle-ci,
hommes et femmes sont bornés, limités et ceci est présenté comme un
fait de
nature.
Dit
autrement, l’anthropomorphisation
de la propriété foncière - phase ultime de la résistance au mouvement
de la
valeur, point extrême de son rejet - a fixé hommes et femmes à la
terre. Elle a
borné leur horizon en leur donnant un enracinement qui pouvait calmer
leur
inquiétude d’être au monde. Le mouvement de séparation et d'autonomisation
est enrayé. Le devenir externe de l’espèce, c’est-à-dire un devenir où l'essentiel
du phénomène vie se déroule non dans l'intériorité
de chaque composant
de la société ou communauté, mais à l'extérieur: il concerne les
choses, les
produits. Ceci a pu atténuer leur inquiétude mais n'a
rien résolu.
En outre une telle solution recèle beaucoup d'ignominies.
Avec le
surgissement du capital il va y avoir destruction de cette propriété
foncière
et reprise du mouvement d’extériorisation.
"Dans
toutes les formes de société où prédomine la
propriété foncière, le rapport avec la nature est prépondérant. Sous le
règne
du capital, la prépondérance passe à l'élément
social créé au cours
de l'histoire." (Marx Fondements,
Ed. Anthropos, t. 1,
p. 37)
En conséquence, il y a destruction de l'idolâtrie de la nature comme Marx le nota, et abandon à l’extériorisation. Ceci a fasciné beaucoup d’hommes qui y ont vu une libération de la nature et, avec la rupture de l'immobilisme, la brisure d’un verrou, d'un immense interdit, qui permit un déploiement de formes. C’est ce qu’ont ressenti les hommes de la Renaissance qui centrèrent tout le devenir à partir de l'homme: déploiement de l'humanisme. De là le thème fréquent de l'homme miroir de toutes choses. Tout est jugé par rapport à l'homme ce qui est une sorte de première affirmation du principe anthropique[20].
L’instauration du mode de production capitaliste est simultanément la mise en mouvement de l'homme séparé de la nature, dépossédé. Ceci ne supprime pas son inquiétude. Au contraire elle s’accroît encore plus du fait de la perte des liens avec la mère, la nature. Pour la conjurer il ne reste aux hommes (aux hommes surtout, car les femmes sont réprimées dans leur tentative d’opérer au sein d’un autre devenir: lutte contre les sorcières) qu'a s’abandonner au faire - car le faire c’est l’homme comme l’affirma par exemple Ch. de Bouelle - à l'activité réclamée par le devenir du capital, non seulement le travail, mais le loisir, l'imagination.
Déconnecté
de tout, l'homme n’a plus de repère, ni de
certitude. Il lui faut donc des signes pour savoir s’il est dans la
voie juste,
s’il est accepté de dieu, s’il a la grâce. Le signe essentiel est la
réussite
dans ce qu’il entreprend. Donc en s’abandonnant au mouvement externe,
en
accordant l’essentialité de la vie à l'objet (la
réification la plus
poussée: la médiation autonomisée), l'homme a
encore plus besoin de
signes, de formes (l'objet est lui aussi remplacé par un signe, un
symbole) et,
en faisant le saut jusqu’à nos jours, d’informations sur un devenir qui
lui
échappe. S'étant vidé de son contenu, de son
innéité il peut se
remplir de n’importe quoi et accéder momentanément à une certaine
réalité.
Toutefois le contenu dépend du mouvement externe des choses - sous la
forme de
marchandise capital, puis de capital - en conséquence il n’a pas de
certitude d’être
qui lui soit propre; il n’a qu’inquiétude. Pour la conjurer il cherche
donc des
signes, des formes qui puissent le mettre en continuité avec le tout.
Mais du
fait de l’anthropomorphisation du capital, de l’autonomisation de la
forme de
celui-ci, il ne peut y parvenir. Dés lors la solution c’est de
s’abandonner
totalement à l'immédiateté créée par le capital
et de vivre dans le
monde de l'information. Il y en aura toujours une qui lui permettra
d'enrayer le déchirement posé par la
fragmentation de son être, par
la séparation de sa naturalité et la transformation de tout inné en
acquis.
Précisons:
lors du surgissement du capital, il y a un phénomène d’intériorisation
avec un ancrage de la réflexion, de la recherche d’une solution dans l'homme
individuel et le désir que le développement se fasse à partir de lui.
Or c’est
son activité, son travail qui est essentiel au capital. En conséquence
naît l'illusion
que le devenir puisse se déployer effectivement à partir de lui; que l'individu
est la valeur suprême (humanisme). De là découlent les diverses
constructions
individualistes qui reposent toutes sur ce moment particulier où il y a
rejet
de la propriété foncière et de la hiérarchie, rejet d’une
extranéisation et d’une
dépossession toutes deux sanctionnées par la religion et sacralisées
par le
dieu au sommet de la hiérarchie.
La
dissolution de la
société dominée par la forme féodale autonomisée créa le possible d’une
vaste
remise en cause de ce qui était advenu avec la compréhension de l'importance
de l'individualité et que la solution aux divers
problèmes ne devait
pas être tirée de l'extérieur: État ou dieu,
mais de la naturalité
de tout homme de toute femme, considérés dans leur union avec la
communauté.
Tel est le contenu du mouvement hérétique qui est contemporain de la
genèse du
phénomène capital en Occident. Cela s’affirme particulièrement à
l'époque de la
Réforme surtout dans l’aire allemande, pour se réimposer de façon
percutante au
cours de la phase révolutionnaire des années quarante du XVI° siècle en
Angleterre. C'est alors qu’à nouveau
réapparaissent les affirmations
fondamentales: dieu est en chacun de nous (fin d’une extériorisation),
il n'y a
pas de péché originel (le mal n’est pas inné, il est le produit de la
société),
et la revendication d'une sexualité non réprimée, non entravée
(jouissance
possible ici et maintenant). Le défaut de radicalité, c’est-à-dire la
non
remise en cause totale de la famille, de la domestication-répression
opérée par
les parents à chaque génération, permit a la solution bourgeoise,
individualiste de triompher. La contrainte de l’État sur tous les
hommes libérés
des entraves féodales permit l’instauration du salariat. Les deux
phénomènes
sommés rendirent possible l'essor au capital[21].
Au
cours du mouvement d’abandon
dans le faire, l’espèce s’adonna à la création et s’enivra de la
multiplicité
des formes qu elle fut apte à créer. C’est
cette création continue qui l’exalte et lui permet de
masquer la profonde inquiétude et le sentiment tragique de l’existence
que
divers auteurs ont signalé. Cette inquiétude détermina son
interrogation sur le
rapport de la forme à la réalite-effectivité, tout particulièrement au
moment
ou le capital prit un essor encore plus important avec le développement
de la
manufacture, comme Marx l’a montré à propos
de la philosophie de Kant pour qui ce
qui est essentiel c’est l’activité du sujet. Lui-même apporta sa
contribution
en affirmant: l’homme est une activité sensible qui engendre des formes
(la production);
la réalité est effectivité. Ce faisant il entérina la séparation entre
intérieur
et extérieur puisqu’il y avait une donnée en dehors permettant ce
procès d’effectivité:
une réalité externe. Dans une certaine mesure on peut dire qu’il opéra,
comme
Aristote, un compromis (le fameux hylémorphisme aristotélicien) entre
la forme,
grossièrement ce qui est engendré par l’homme et qui relèverait de
l’esprit, et
la matière. Or ce compromis est en fait un compromis entre le devenir
selon le
pôle nature, celui des femmes (la matière, ce qui vient de la mère) et
le
devenir selon le pôle des hommes qui engendrent des formes autonomisées.
Le
mouvement d autonomisation de la forme s’effectue en même
temps qu il y a une dévalorisation de la nature, et avec
l’approfondissement de
la domination des hommes sur les femmes. Il est suggestif de noter que
matière
vient de mère et que le mot grec équivalent, hyle, vient de celui
désignant le
gland du chêne, ce qui signale l’importance originelle de l’arbre, de
la forêt[22]
. Des lors la femme est matière (ou substance) ou engluée en elle, l'homme est
forme, ou donneur de formes[23].
Cela suggère que la séparation des sexes relève de l’acquis et que
chacun des
deux est porteur d’une portion de la totalité qui a été divisée. En
conséquence
leur union permet a chacun des deux de se retrouver dans une certaine
unité. L’homme
est un support d’unification pour la femme et réciproquement, mais il
n’y a
pas alors une réelle union; chacun se réapproprie un manque, mais
n’accède pas
à la réelle intimité avec l’autre et, par la, à la totalité, au cosmos.
La
brisure d’une forme autonomisée
avec le surgissement du capital à l’époque de la Renaissance
s’accompagna,
avons-nous dit, d’une floraison des formes. En revanche le rejet d’une
telle
forme a pu s'accompagner du refus de celles-ci. Nous pouvons le
constater avec
le mouvement gnostique du début de l’ère chrétienne. Pour les
gnostiques, ce
qui se manifeste est mauvais. Le monde apparent est le produit d’un
dieu maléfique,
d’un démiurge. Il
y
a une autre réalité en rapport à un dieu
bon, mais caché qu on ne peut atteindre que par une gnose
(connaissance) qui
permet de voir au-delà de l’apparence.
Dans
l’aire hindoue où se produisit également un phénomène d’autonomisation
de la forme, celle de l’unité
supérieure. Cela donna naissance à la représentation
suivante: ce qui advient est l’apparence; c’est la forme superficielle
qui
emprisonne, c'est l'illusion (maya). Ce qu’on perçoit et qui s’impose à
nous n'est pas la réalité. Il faut donc échapper à ce monde d’illusion et
refuser ses
formes. Et ceci se comprend fort bien car la forme est un interdit.
Elle nous
interdit de sortir d'un domaine; elle aveugle et englue. C’est
un
englobant qui peut tout récupérer. Engendrer une forme c’est limiter,
d’où le
refus de représenter dieu, de le figurer,
exigé par
certaines religions
Enfin
pour finir avec ces quelques considérations historiques
sur le problème de la forme, il est possible de mettre en évidence le
surgissement de l’importance de celle-ci avec le procès de
sédentarisation.
Plus l’homme
se fixe, plus il a en quelque sorte besoin de formes pour
se libérer. En outre si les hommes se fixent, leurs produits circulent
et
deviennent marchandises: déploiement du mouvement de la valeur. Or
celle-ci,
comme Marx l’a montré, est inséparable de la forme. Donc les hommes
conjurent le
mal engendré par la sédentarité à l’aide
du mouvement des
choses, et à celui des représentations liées à celui-ci. L’homme fixé
doit se représenter
pour se situer dans l’univers. C’est
une des raisons du surgissement
de la géométrie qu’on peut considérer aussi comme un art de la
production des
formes. On doit noter que même lorsqu il y a une prohibition des
icônes, les
formes géométriques sont tolérées. Le cercle est le territoire dont
l’homme
occupe le centre, et il transférera cette forme dans le cosmos pour en
justifier la perfection.
Revenons
a notre époque.
Comment la forme autonomisée du capital peut-elle perdurer ? C’est
ici
qu' intervient l’information.
En effet la forme autonome du capital est k → k
+
Δ k.
Historiquement on sait que le secret de l’incrément
Δk réside dans
l’exploitation
de la force de travail (vv + p). À
l’heure
actuelle nous avons: I
→ I +Δ
I. L'autonomisation de la forme est corrélative
au mouvement qui fait que tout est devenu représentation tandis que
celle-ci à
son tour s’est en quelque sorte desubstancialisee pour devenir simple
information.
Le rapport de celle-ci à la totalité est le même que celui de l’acquis
par rapport à l’inné.
La forme capital enveloppe donc le devenir de l’information;
d'où la dynamique schématisée plus haut. L' information acquise permet à
celle
que l’on
détient d’être revivifiée, d’avoir à nouveau une forme signifiante,
comme le travail vivant devenu capital variable redonnait vie au
travail mort
devenu capital constant et, en même temps, engendre un incrément
d’information,
sinon elle n’aurait aucun intérêt. Cette information accrue, engrossée
peut maintenant
s’affirmer [24]
En
conséquence l'information apparaît comme un signal de la forme, ce qui lui incorpore
un
signe, lui
fournit
une signification; elle l’oriente
dans une dynamique donnée. C’est avec le foisonnement de
la publicité, monde de manipulation des signes que le règne de l’information
s’est imposé.
Or publicité de quoi, pourquoi? Pour le capital; pour quelque chose,
pour une
entité qui s’évanouit. L information fait revivre le mort comme le
proletariat
redonnait vie au cadavre pestilentiel de la démocratie[25].
Parvenu
à ce stade du développement
nous devons faire le point. Le capital s’est développé contre la nature
et
contre l’espèce
humaine. Quand nous disons cela nous n’oublions pas que ceci s’est
réalise par
la médiation d’une lutte entre classes mais où la classe dominée, le
proletariat,
ne rompait pas totalement avec la représentation, voire avec la
dynamique de
son antagoniste, parce qu’elle ne remettait pas en cause la volonté de
dominer
la nature, ni la revendication de la coupure d’avec celle-ci. Nous y
reviendrons. Lorsqu’il
parvient
à réaliser sa communauté matérielle ou substantielle,
il devient seconde nature et réalise une immédiateté qui englue hommes
et
femmes. Il
s’assujettit
ainsi la matière (espèce humaine et le reste de la nature) lors de sa
domination
initiale formelle c’est-à-dire superficielle. Cela signifie qu’il
est
alors la forme d un
contenu qui ne lui est pas spécifique, puis il s’assujettit surtout
l’énergie et
les hommes et les femmes dans leur dimension spirituelle, grâce à un
énorme
développement scientifique et technique, ce qui lui fait accéder à la
domination substantielle, d’abord dans le procès de production
immédiat, puis
dans celui global. Au moment où sa forme s’autonomise à partir d’un
contenu, d’une
substance qui lui
est
propre (communauté matérielle), l’information s impose.
Ainsi du début à la fin de son devenir il agit selon la même dynamique
(qui apparaît
comme son concept): la séparation. Mais lors de la réalisation de
l’immédiateté
susmentionnée les trois éléments (matière, énergie, information) qui
furent en
quelque sorte sépares se réunissent mais dans un ordre divers[26].
C’est
une
raison pour laquelle la représentation tend a disparaître comme nous l'avons
déjà signale. Des lors c’est la fin du capital et celle de l'immense
errance de l’espèce
qui est un
cheminement divagant.
Le
devenir de l’espèce l’a conduite dans le monde de la virtualité
qui est en train de se réaliser de nos jours. L’étude exhaustive de
celle-ci ne
ressort pas du domaine de cet article, parce qu elle requiert une
diversité de
recherches qui ont a peine été ébauchées. Nous visons pour le moment à
évoquer
des problèmes plutôt qu à les résoudre, ce qui viendra en son temps.
Nous nous
contenterons de quelques considérations en forme de linéaments
Auparavant
il convient de
revenir sur l'importance de l’information. Sa prise en compte de façon
généralisée
implique un changement de comportement de l’espèce dans son rapport à
la
nature. En effet si
un objet livre une
information et n’est pas simplement matière et énergie indissolublement
liées (la matière
comporterait masse, énergie et information), cela implique que les
choses ne
sont pas seulement pour Homo sapiens, mais qu'elles s informent entre
elles.
Autrement dit, ce n’est pas l’homme qui donne un sens (donner une
forme, c’est
donner un sens), une signification aux éléments composant le cosmos.
Ceux-ci
existent indépendamment de lui. L’information que nous prélevons,
constatons,
est le mode selon lequel nous sommes affectés par la présence de telle
ou telle
entité. Je veux designer par là une chose ou un être vivant. Le monde
est
signifiant même sans l’homme.
En tenant compte de ceci on peut concevoir l’attraction entre
les éléments du système solaire qu’exposa Newton, comme un échange
d’informations.
Chacun des corps célestes transmet par sa seule présence dans le cosmos
toutes
les informations qui vont influencer les autres. La recherche des
gravitons est
peut-être totalement vaine.
On
retrouve cette
dynamique au sein de l’espèce humaine. La seule présence d’une
individualité délivre
de façon muette une foule d informations signifiantes à toute autre
individualité, particulièrement à celle pour qui un profond amour est
éprouvé. Il
n'y a pas besoin de
liaison particulière. Celle-ci relève du domaine de la possession et ne
peut en
définitive que faire obstacle au flux de vie passant d’une
individualité à l’autre.
Le silence est accueil d’une présence.
Donc,
potentiellement l’espèce est mûre pour concevoir une autre
relation avec le reste de la nature. Simultanément l’importance
toujours plus
grande accordée a l’énergie dont diverses formes, seulement soupçonnées
auparavant,
sont prises en compte, induit la reprise d'un comportement ancestral
vis-à-vis
de la nature, une autre perception de celle-ci. Cependant l’appréhension
de l’information
et de l’énergie se faisant de façon autonomisée cela favorise le
devenir à la virtualité.
Comment situer cette derniere?
De
même que le capital
s’est implanté à la
suite de l’union deux
mouvements, celui de l’autonomisation de la valeur d’échange avec celui
de l’expropriation
des hommes, de même sa mort potentielle se réalise au travers de
l’union du mouvement
qui aboutit a la réalisation d’une virtualité telle quelle nous est
offerte dans
le monde mercatel [27]
avec évanescence de la représentation, et le mouvement des hommes et
des femmes
cherchant depuis le début de la séparation d'avec la nature, à créer un
monde sécurisant,
un monde qui échappe en quelque sorte au devenir, un monde qu ils
puissent maîtriser,
manipuler. C’est le monde de la virtualité. "Les mondes virtuels, étant
totalement synthétiques, on peut les programmer à volonté et, partant,
ils sont
un parfait instrument pour explorer de nouveaux types d'espaces, par
exemple
non-euclidiens." (Ph. Queau: Le virtuel. Vertus et vertiges.
Ed.
Champ Vallon) Dit autrement la mise en place de cette dernière résulte
de la
conjonction de deux mouvements: celui de l’autonomisation de la forme
capital
et celui de la spéciose de l’espèce: créer un monde artificiel, sans
père ni mère
et où donc, enfin, la souffrance serait abolie Une autre façon encore
de l’indiquer
est d’affirmer que la virtualité est à la confluence du mouvement
externe et de
celui interne. En conséquence nous pourrons trouver les germes de
celle-ci dans
toutes les productions humaines exotériques comme ésotériques. Il est
probable
que c’est dans ces dernières qu’on en trouvera le plus, par exemple
dans l’occultisme.
Nous
allons tenter d expliciter ce
qui précède en commençant d’abord par définir ce qu'est la virtualité.
D’entrée
il y a une difficulté parce que ce mot ne semble pas avoir encore
trouvé de définition.
En revanche le mot virtuel est plus facilement définissable. Partons
donc de
lui pour déboucher ultérieurement sur virtualité.
Virtuel
c est ce qui n'est pas réel puisqu il n’est pas immédiatement tangible (res c’est la
chose).
Ce qui existe et qu'on ne peut pas immédiatement capter. Je le
distingue totalement
de potentiel. Ce mot désigne quelque chose de caché, mais qui peut se
manifester:
passage de la puissance à l’actualisé à travers un acte, une action. Un
tel
devenir ne s’opère pas pour ce qui est virtuel qui est tout en lui-même
et ne
recèle, rien qui puisse advenir. C
est
une résorption du devenir auquel tendit depuis toujours la
pensée spéciosée de l’espèce.
Pour
mieux faire percevoir notre approche voyons comment ceci
est traité par Ph. Quéau dans l’ouvrage précédemment cité
Ici
se manifeste, selon nous, une ambiguïté qui se dévoile
lorsque Ph. Quéau nous donne un exemple.
On
ne peut pas mettre sur
le même plan le chêne et la statue. Le premier est bien potentiellement
présent
dans le gland puisque celui-ci contient la plantule. En revanche la
statue n’est
pas présente dans le marbre.
Elle
existe à l’état de projet dans le
cerveau
du sculpteur qui
projette
celui-ci dans le
marbre brut.
Curieusement
cette forme
de
pensée rappelle l’animisme, ce qui confirme
ce que nous avons
dit
précédemment. Mais c'est aussi le mode de pensée qui permet l’installation
de la spéciose. Celle-ci
pour
s’établir a besoin de transferts et de projections
multiples sur toutes sortes de supports [28]
Il
y a une confusion:
potentiel désigne un moment initial, virtuel désigne non seulement ceci,
mais
aussi l’état final puisque l'on parle de monde virtuel quand il s agit
de
quelque chose d’élaboré.
Ce
qui est potentiel peut
s’actualiser grâce à un acte, une action, qui n’implique pas
obligatoirement l’intervention
de l’homme. Ce qui est virtuel au départ peut être réalisé grâce a une
activité
humaine qui nécessite une technique très sophistiquée et cela reste
virtuel,
parce que pour l’atteindre il faut toujours un procès particulier. Il n y
a pas d'immédiateté
et ce même si les mondes virtuels nous produisent une immédiateté
virtuelle.
Le
potentiel y est rèsorbe. Il
a été inclus dans une forme autonomisée, réifiée.
Pour
bien comprendre ce qu'est le virtuel il faut tenir compte
de ce qui le produit: langages formalises, calcul, etc, tout le monde
de la
forme. Tout ce qui va produire des formes réifiées.
Nous
désignerons virtuel ce qui est projeté par l'homme et qui n'est pas
saisissable, à l'instar de l’image virtuelle et, en même temps,
le résultat
de tout un procès technique qui se traduit par une simulation. Cela est
totalement
en concordance avec le processus de la spéciose qui est de tenter de
rendre concrètes
des situations imaginées et projetées. L’individu dans la mesure où il
est ontosé vit dans le virtuel.
Ainsi
il est vrai que "le virtuel est de l'ordre du réel".
C’est réel parce que pour passer de la projection a son effectuation il
y a nécessite
d’un procès technique qui incarne en quelque sorte le virtuel (c’est le
même
phénomène qui eut lieu avec le capital). Mais dès lors qu'on a le
résultat
c’est-à-dire un fait virtuel qui participe a l’élaboration
d'un monde virtuel, il n y a plus possibilité d'un
devenir; tout est résorbé.
Je
préférerais dire que le virtuel est de l'ordre de la réalité
de l’homme,
du mode selon lequel il se comporte vis-à-vis de ses semblables et du
monde. Le
virtuel est lie à la sxpéciose. Ou, si l on préfère, la spéciose nous
fait vivre à l'état
virtuel. L’ensemble des projections et des transferts que nous opérons
constamment, et ce depuis des millénaires, est le virtuel dont parle
Ph. Quèau
en l'assimilant au potentiel. Tout le devenir de l’espèce réside en la
tentative de rendre réel le virtuel. Cependant elle parvient à lui
donner une
consistance de telle sorte qu'elle accède a une réalité virtuelle, mais
non
réelle. Pour cela il a fallu qu’il y ait autonomisation de la forme,
développement de l’abstraction et de la séparation (les deux sont
liées). Cela
permit la production de discreta à partir desquels il est possible de
reconstituer une réalité; développement des langages formalises
(mathématiques
et logique). À ce propos, il convient de noter à quel point les nombres
ont
fasciné les hommes depuis Pythagore (et certainement avant) en passant
par Leibniz
et les créateurs de la Kabbale, pour donner quelques repères[29].
Il a fallu également un développement énorme de la technique pour
rendre
visible ce qui est invisible (ce que l’esprit humain a projeté) afin de
simuler.
Je
rappelle que tout ceci
n’est qu une approche parce que pour appréhender réellement en quoi
consiste la
virtualité dans sa "réalité" (son existence) tant présente que dans
ses préfigurations depuis des siècles, et que dans sa répercussion sur
le futur
de l’espèce, il est nécessaire d’aborder beaucoup de domaines. Tout
particulièrement
une approche plus
systématique,
plus fouillée du phénomène de la spéciose depuis
son surgissement, s’impose ainsi que, simultanément, une tentative de
saisir
toutes les modalités qu’elle eut de s’exprimer. Ainsi la lumière a été
le
phénomène qui a peut-être été le plus utilisé par l’espèce pour dire
ses
aspirations et sa spéciose, les deux indissolublement liées. On peut le
constater chez les mystiques, chez les philosophes, comme chez les
scientifiques. Toutes les théories sur la lumière, l’optique, sont en
rapport
avec la façon dont les hommes ont essayé de résoudre leur problème
interne: la
coexistence de leur spéciose avec leur être naturel. Ceci est encore
plus net
aujourd’hui où s'impose une autre forme d'optique: l’électro-optique
"qui
permet de voir n'importe quoi, immédiatement, n
importe où". (.P.
Virilio, o.c.
p.
159). Les recherches sur la lumière ont été conduites également
par les peintres. Il y a coévolution, singulièrement à partir de la
Renaissance,
entre le développement de l’optique et celui de la peinture.
En outre les recherches sur la lumière
sont connexes a celles sur la couleur. Qu'on pense aux travaux de Newton et à
ceux de Goethe et à tout le retentissement que cela eut sur les
peintres.
Toutes
ces recherches pour exprimer une souffrance, opérer par-dessus
elle, tenter de la dépasser (haufheben). Combien d’ébauches, on a là,
du phénomène
de libération. Nous y reviendrons.
Il
est également nécessaire de s’occuper de tout le mouvement
des neurosciences. Dans ce cas, l’arrière-fond thérapeutique est très
évident,
avec la pratique de la programmation neuro-linguistique.
Tout
ceci nous conduit a faire une remarque en forme de confidence:
il est certain que le projet de rédaction de cet article a transcru au
fur et à
mesure qu il était rédige. Mais comment ne pas transcroître quand on
aborde de
telles questions en compagnie d'hommes comme Marx ou Bordiga,
et quand on prend conscience de l’immense
contrainte-pression à se libérer. Alors, tout se dévoile.
Ce
qui nous importe pour le moment, c'est de bien mettre en évidence
la dimension projective dans ce qui est virtuel.
"Le
potentiel, c’est
ce qui peut devenir actuel. Le virtuel, est la présence réelle et
discrète de
la cause." (p. 27) Mais qu’elle est la cause sinon une projection du
désir
de l’homme. Et effectivement cette cause est toujours présente,
puisque son désir
persiste et qu il ne s'en libère pas.
Dimension
projective et prépondérance de la forme sont liées.
Les
mondes virtuels sont les mondes des formes réifiées que l'on
peut
donc construire concrètement et pas simplement imaginer.
Il
faut parvenir à la
forme pour déboucher dans le virtuel. La réalisation de la
détermination
"en soi" implique une abolition des déterminations qui se résorbent
dans l’objet. Il n y a pas de devenir possible.
"Pour
Aristote, la puissance, la potentia,
c’est
l’aptitude à recevoir une forme." (p. 27) Le virtuel c est la
production
de formes reifiees.
"(...)
les images numériques
ne participent pas directement du réel. Elles sont intimement créées
par l’homme,
ou plus exactement par des manipulations symboliques, des langages
logico-mathématiques, des modèles..." (p. 19) Là on perçoit la
nécessite
de la contribution de tout le procès de connaissance, de la pensée
symbolique,
etc. Notons d’autre part la curieuse construction de la phrase. Qu’introduit
le "ou plus
exactement", puisqu il
est
toujours question de l’homme? C’est a
mon avis une explicitation qui signale une autonomisation.
La
contribution de tout le procès de connaissance s'exprime bien
dans le tait que le virtuel ne peut exister que par la conjonction de
l'intelligible et du sensible.
"L'image propose une représentation visible, le modèle une
représentation intelligible." (p. 22)
"Les
deux domaines de l’intelligible
et du sensible, des modèles et des images, jadis séparés, se voient
ainsi réconcilies
par l’intermédiaire des nombres, réactualisant inopinément l’antique
problématique
néo-pythagoricienne." (p. 30) [30]
"Chez
les pythagoriciens, le nombre (arithmos) avait le même
sens que le verbe (logos)." (p. 19)
L'être humain se presente comme un nombre complexe, autrefois appelé
nombre imaginaire. En effet ce dernier comporte une partie réelle et
une partie
imaginaire. L’être humain recèle une partie réelle et une partie
virtuelle
(domaine de la spéciose) qui prend de plus en plus de place au
détriment de la première.
Ce
qui est fondamental dans la dynamique de réalisation de la virtualité,
c’est l’intentionnalité puisque c'est elle qui détermine les
projections et les
transferts, sous l'action des empreintes que nous avons reçues.
Restreignons
notre étudie au moment présent.
"La
"vertu fondamentale" des mondes virtuels est
d avoir été conçus en vue d'une fin". (28) Tout d'abord le but apparaît
comme
celui de résoudre les apories de la mort potentielle du capital et
pouvoir interpréter
le monde en place et le faire perdurer.
"La
fuite hors du "véritable" réel et le refuge
dans les réels de synthèse vont sans doute permettre a nos sociétés
envahies
par le chômage structurel de fournir à des millions d’oisifs forcés
des
hallucinations virtuelles, des drogues visuelles, capables d’occuper
les
esprits et les corps, tout en développant de nouveaux marchés, et aussi
sans
doute de nouvelles formes de contrôle social." (p. 38)
C’est
ce dernier aspect qui apparaît essentiel.
Le
garrot, quelle métaphore
pertinente pour la spéciose
L'ontose est ce qui permet a l’individu de s’adapter au monde en place. Ce dernier devient progressivement un monde spéciosé, en
conséquence il doit s'adapter a la spéciose. Ce qu'on peut traduire
par: tout
réel est virtuel et tout virtuel est réel.
"Si
le virtuel peut contribuer au réel en le faisant
advenir, nous ne sommes plus loin de penser que le réel peut être
assimile, au
moins quant à son devenir potentiel, à une sorte de virtualité
réelle. La
réalité virtuelle nous donne accès aux virtualités du réel. "(p. 47)
La
finalité la plus importante apparaît comme étant celle de
simuler ce que veulent les parents et en même temps celle d’essayer de
leur échapper.
Ceci nous est en partie suggèré par cette remarque de Ph.,Queau: "Les
mondes virtuels sauront nous "divertir", au sens de Pascal (au sens
de nous détourner, et le virtuel apparaît comme un détournement qui
aboutit a
une résorption de ce qui a été détourne n.d.r), de mieux en mieux...
Ils nous
feront préférer la richesse des métaphores virtuelles a la voie étroite
de la vérité
réelle." (p. 94)
"L’enfant
qui naît et qui ouvre les yeux dans la lumière
éprouve le sentiment d’une frustration intense, à la hauteur du bonheur
tangible qu il éprouva pendant son immersion amniotique. (...) Pour lui
le
monde n’est pas encore une scène (une société du spectacle qu'il
organise lui-même,
n.d.r). Il lui faut apprendre à se déprendre de toute illusion d'unité,
à renoncer a se penser inclus dans les choses comme un fœtus. "
Mais
le mode de pensée lié à
la
virtualité inclut la pensée dans les choses pour leur donner
une existence; donc nous sommes convies à revenir au fœtus!
Le
virtuel est le piège du retour a l’origine: être toujours en
relation avec la cause; donc possibilité de retour a un état posé comme
originel qui est réifie, comme un fœtus congelé. Ce qui finit par son
commencement.
"La
banalité de cette expérience universelle n’empêche
nullement sa profondeur et, dans le contexte des mondes virtuels, son
ironique
pertinence. En effet la fascination pour les mondes virtuels tient à
leur capacité
d’anamnèse, d’investigation et d’expérimentation philosophique, nous
permettant
de retrouver le choc et le sens du passage primordial.
"Il
n’est pas facile
d être présent. (...) L’évolution de la
civilisation contemporaine nous
incite de plus en plus à nous éparpiller, à nous déléguer et a
à nous faire représenter."
(p. 98)
Ici
le phénomène de la spéciose apparaît nettement. On ne peut plus être présent au monde à
cause
de cette dernière. D’autre
part les parents
demandent aux enfants
d’être présents à eux. En conséquence être présent à soi, c’est-à-dire
être en
continuité avec l’être naturel et avec tout ce qui vit, est difficile a
réaliser.
L’injonction à "s efforcer de mériter" est le contenu
du discours des parents. Or le mot don signifie bien un présent, ce qui
implique une offrande - c'est la dynamique de l'enfant
vis-à-vis de
sa mère - un cadeau, mais aussi une aptitude. Elle existe chez lui,
mais elle
s’étiole parce qu’elle n'est pas reconnue par ses parents[31]
.
"Plutôt
que de définir la présence directement, ce qui nous
entraînerait sans doute à plus de métaphysique que de philosophie, il
vaut
mieux chercher à dessiner la présence par ses contraires, par les
reflets de ses
diverses négations, dans les images inversées de l’absence,
de la représentation
et de la distance." (p. 98)
Ce
sont ces trois négations qui contribuent à édifier le contenu
de la spéciose.
Réaliser
la virtualité c'est atteindre un des éléments constitutifs
de la finalité dont il a été question: escamoter le réel pour opérer
par-dessus
la souffrance et, ainsi, parvenir a un état plus heureux.
"Nous
pensons que le virtuel peut nous faciliter le travail
de mise en contact avec les autres, en nous évitant les fastidieux
détours du réel,
en supprimant le poids des craintes ou en assouplissant la rigidité des
habitudes
liées a la matérialité des environnements réels."
"La
capacité de faire coexister virtuellement des réalités
contradictoires est peut-être l'une des
propriétés les plus intéressantes
du virtuel, en particulier quant a l’amélioration des méthodes de
coopération
entre groupes humains. " (p. 63)
Mais
cette coexistence avec la spéciose entraîne une impossibilité
de voir, donc de pouvoir se séparer de celle-ci. Ceci est encore
renforcé par
le phénomène d’hybridation.
La
finalité implique que
la réalisation du projet s’opère avec une séparation totale de l’être
humain de
son être naturel! Il faut une intense activité humaine pour que le
projet
aboutisse. En conséquence la virtualité est l’actualisation de toutes
les potentialités
imaginées. Donc elle résorbe tout: plus de progression, d'évolution
possible.
C’est l’impasse absolue. Le devenir technique, lié au lancement de l’espèce
dans le faire, la production, dans le mouvement du capital, permet d'atteindre
la réalisation de tous les possibles dans leur résorption dans le
virtuel.
Etant
donné que l homme
projette son monde intérieur et le matérialise, la formation d un
nouvel
environnement, d’une troisième nature tend à s'effectuer.
"La
nature
essentiellement abstraite de l'image de synthèse se double d’une
faculté éminemment
concrète de saisir les sens du spectateur et de créer une impression
physique
forte, prenante." (p. 33)
"L'image virtuelle
devient un "lieu" explorable, mais ce lieu n’est
pas un
"espace", une condition a priori de l'expérience du
monde
comme chez Kant. Il n’est pas un simple substrat dans lequel
l’expérience
viendrait s’inscrire. Il est l’objet même de l’expérience. (p. 34)
L’édification
de la troisième
nature implique une déconstruction de l’environnement et des catégories
nécessaires
pour le percevoir. Nous avons déjà vu que le temps s'évanouit. Que
reste-t-il de
la nature
naturelle?
« Mais
n’oublions
pas que la "nature" est une invention moderne..." (p. 76) C’est
logique car on nomme ce dont on se sépare[32].
"Notre
pseudo-nature
est un ensemble enchevêtre de codes et de techniques, de cadres
préformés de pensée
et de normes sociales imposées."(p. 76)
"Mais,
à
la différence de la nature réelle, la "nature" virtuelle
ne
permet
pas
de distinguer clairement les frontières entre
le
sujet et son environnement." (p. 77)
Autrement dit: entre le
sujet
psychosé et le
monde psychotique
. Ceci
est un grave danger
pour l’espèce.
Ph. Quéau nous en signale d autres.
"Une
tendance à la
déréalisation saisit toutes les personnes qui prennent trop goût a la
perfection propre des mathématiques ou bien à la rigueur ludique de
l’informatique.
(p. 40)
"
De plus en plus,
on pourra désirer se contenter de ces simulacres de réalité, pour peu
que le
monde réel semble trop hostile, trop inhospitalier, ou pour peu que ses
voies
d’accès semblent hors d’atteinte. Nul doute que le virtuel devienne dès
lors un
nouvel "opium du peuple". (p. 4l)
"Un
danger encore plus grave est celui de pervertir notre
rapport à notre corps même." (p. 4u)
"Le
problème le plus aigu sera celui du retour au réel."
(p. 4-/)
"Le
risque majeur de la dichotomie du réel et du virtuel
est de faciliter la désincarnation de notre personnalité profonde,
induisant un
isolement affectif et spirituel accru." (p. 48) Ce que je traduirai en
disant que c’est la perte de toute capacité d'accueil, qui va de pair
avec le
renforcement de l’objectalite.
Mais
n y a-t-il pas des limites à la virtualisation de toute vie
[33].
Ici
se manifeste la possibilité de combiner cela avec toutes les
pratiques qui sont fondée sur une redécouverte du corps. Mais ceci ne
peut être
qu’une thérapeutique permettant de subsister, manifestant le point de
l’errance
fondamentale: la libération symbolique - reflet de la dynamique de la
psychose
– à laquelle on essaye d’adjoindre une récupération du corps.
"Le
rôle prédominant du corps dans le système virtuel en
tant qu'élément actif et moteur, et non pas seulement récepteur passif
et
immobile..." (p. 16)
"Notre
corps, lui, n'est pas virtuel, et ne peut jamais l'être.
Le corps n'est ni un symbole, ni un symptôme. Il est, bien plus que
l’espace
kantien, une condition essentielle de notre expérience, qu’elle soit
réelle ou
virtuelle. On ne peut jamais s’en abstraire, même par le rêve. Une
overdose et
c’est la mort."
"Les
mondes virtuels sont des non-lieux. Mais nos corps ne
peuvent jamais être des non-corps. Cette confrontation entre non-lieux
et vrais
corps est le nœud du problème du virtuel." (p. 85)
Mais
le corps tout seul n’existe pas, de même qu il n’y a pas
une conscience toute seule. De ce fait c'est l’irréductibilité de
l’être
naturel, non-domestiqué à qui tout le virtuel signale l’immensité de la
perte
et la condition sine qua non de parvenir a une affirmation: le rejet de
tous
ces mondes virtuels, l'abandon de la virtualité [34]
On
n a pas à donner une
forme nouvelle à ce qui est, à la réalité, à ce qui s’effectue. On n'a
pas à
virtualiser. La certitude au monde libère de la nécessité de savoir ce
qu’est
la réalité, abstraction pour designer le cosmos. On doit le vivre.et
l’espèce doit réaliser sa
propre forme déterminée par le devenir de tout le phénomène vie. De
même au
sein de la communauté, personne n'a besoin de prendre une forme
spéciale
pour exister. Ce qui compte c’est sa présence qui témoigne d une
modalité de
vie.
Si on rejette la problématique de la forme, de la réalité effectivité et de la virtualité, on remet totalement en cause tout le procès de connaissance tel qu il s’est déployé depuis la séparation d’avec la nature. Certains poseront alors la question: que faire de la technique, de la science, de l'art, du langage verbal même qui recèle en lui une dimension de séparation [35], et de bien d'autres manifestations de l'espèce? Je répondrai: l’humanité doit d’abord avoir pour objectif de se libérer de sa spéciose pour pouvoir, non affronter (elle doit le faire dés maintenant), mais pour résoudre les problèmes que posent ces différentes activités.
L’espèce doit se dévoiler a elle-même
en s’immergeant
dans la nature et en accomplissant sa fonction inscrite dans le devenir
de tout
le phénomène vie.
CAMATTE
Jacques -
1995 - Mars 1997
[1] Ceci a été étudié
dans Capital et Gemeinwesen (Ed. Spartacus). La
distinction entre les
deux phases a été importante pour périodiser le phénomène capitaliste.
On y
reviendra dans ce présent article. En outre cette étude concerne
beaucoup de
questions entrant dans ce que nous nommons le procès de connaissance.
Celles-ci
seront souvent effleurées; leur étude plus approfondie viendra
ultérieurement
[2] Dans la première édition du Capital Marx écrit- "Nous connaissons
maintenant la substance de la valeur, c’est le
travail. Nous connaissons
la mesure de sa grandeur, c’est le temps de
travail. Il nous reste à
analyser la forme, cette forme qui
donne à la valeur le caractère d’échange."
(p.31)
Il
semble qu’ici Marx pense que la valeur préexiste à la
valeur d’échange. Il est dommage qu il n’ait pas aborde le problème de
l’origine de la valeur (cf. note 4).
[3]
"Il en va autrement de la forme valeur qui n’existe
que dans le rapport de marchandise à marchandise. "Première édition du Capital,
pp. 57-59) La même idée est exprimée p. 94 du tome 1, L. I. du Capital,
Ed. Sociales.
C’est
donc l’èchangéabilite qui est le fondement de la
forme.
[4]
D’après d’autres analyses de Marx, il semblerait que ce
soit l’activité humaine qui, à l’origine, soit
potentiellement valeur.
"Si
nous disons:
en tant que valeurs les marchandises ne sont que travail humai coagulé,
notre
analyse de celles-ci se réduit à l’abstraction valeur, elle ne nous
donne pas
de forme valeur différente de sa forme naturelle. Il en va autrement
dans le
rapport de valeur d’une marchandise à une autre. Son caractère surgit
de son
propre rapport a l’autre marchandise. Le Capital,
Ed. Sociales, L.I,
t.1, p.65)
On
peut interpréter ceci en disant que le travail humain
n’est que potentiellement valeur. On n’accède à sa réalité de valeur
que par
l‘abstraction. C’est donc en ce phénomène de potentialité de la valeur
que
réside l’idée qu’il puisse y avoir valeur avant valeur d’échange.
"Il
ne suffit pas
cependant d’exprimer le caractère spécifique du travail en quoi
consiste la
valeur de la toile. La force de travail humaine à l’état fluide
ou le travail humain constitue la valeur. Il ne
devient valeur qu’a l’état coagulé dans une forme objectivée. (Idem,
p.65)
Ce
qui est donc l’essentiel, mais
apparu secondairement, c’est la forme objectivee sans laquelle la
valeur ne
peut pas apparaître. En outre l’objectivation incluse dans ce procès est
grosse
d'une aliénation (cf. note 08)
[5]
Ce qui nous intéresse dans le cadre de cet article c’est le
problème de la forme. Or il peut se résoudre au niveau de la forme
simple de la
valeur. Ajoutons toutefois que celle-ci joue un rôle dans tout le reste
du
procès de constitution de la valeur. Par exemple en ce qui concerne la
genèse
de l’équivalent général. "Le procès d’échange donne à la marchandise
qui
se transforme en argent non sa valeur, mais sa forme valeur
spécifique." (Le
Capital, L.I, t.1, p. 101, Ed. Sociales)
L’équivalent
général
(l’argent) c’est la marchandise dans laquelle toutes les autres se
mirent,
vis-à-vis de laquelle toutes s'équivalent.
La
dynamique de l’équivalent général
peut se retrouver dans divers domaines. Le paradoxe du menteur, nous en
fournit
un exemple. Un crétois dit: tous les crétois sont menteurs. Cela veut
dire
qu’un élément s’exclue de la totalité, ou bien en est exclu, et
représente les
divers éléments de celle-ci. C’est lui qui fonde les autres. Le
paradoxe veut
que l’exclu dise qui il est, tout en disant qui sont ceux par qui il a
été
exclu. C’est bien ce qu’on voulait que l’or - en tant qu’équivalent
général -
exprime.
On
peut trouver la
même dynamique, avec ses limitations analogiques, dans l’exposé du
théorème de
Gödel. Dans ce cas pour que la dynamique du capital - lequel remplace l'or
et la valeur qui ne parvient pas à l’autonomie - puisse se poursuivre,
il faut
qu’il y ait dépassement des limites, c’est-à-dire des pôles
d’exclusion. Celui
de l’équivalent général et celui de tous les éléments qui s équivalent
a lui.
Il faut donc sortir du cadre où s est déroulé jusqu’alors le mouvement
de la
valeur.
Au
sein d’une pensée
participative, la nécessite de trouver un élément fondateur,
législateur, ne
s’impose pas. Ce qui exclue la dynamique de recherche d’un méta-quelque
chose,
puis d’un méta de méta, et ainsi de suite
[6]
Voir à ce propos: Messages
des hommes vrais a un monde mutant de Merlo Morgan, Ed. A.
Michel.
"Nous fêtons celui qui, par rapport à l’année précédente, est devenu
meilleur et plus sage. Comme chacun est seul a
pouvoir
juger de ses progrès, c'est lui qui dit aux autres que
le moment est venu d'organiser la fête."
Ces
"hommes vrais’ sont ceux d une tribu australienne qui a
échappe au contrôle du gouvernement australien et qui a essaye de
maintenir son
antique mode de vie. Hommes et femmes se déplacent en chantant a
travers leur
territoire. Tout a une signification et ils célèbrent par la voix,
essentielle
pour eux ("La voix est faite pour chanter, pour célébrer et pour
guérir "), tout ce qui existe dans leur environnement.
Ils
vivent en symbiose
avec la terre et communiquent par télépathie. En outre Merlo Morgan
indique qu'ils ont divers pouvoirs, perçoivent des vibrations variées.
Ce
qui nous interpelle le plus c'est qu ils pensent qu'ils ne
peuvent plus continuer a vivre a cause de l’œuvre des mutants (les
occidentaux
et les occidentalisés) et qu ils ont décidé de disparaître. Pour cela
ils ne se
reproduisent plus.
Peut-être que notre pensée, et celle de bien d autres de par le monde, signalant une inversion profonde en train de se réaliser en Occident, parviendra jusqu'à eux et qu ils pourront alors modifier leur décision.
Bruce
Chatwin dans son
livre The Songlines (Les voies du chant)
que nous avons lu dans
sa traduction italienne (Le vie dei canti, Ed.
Adelphi), confirme
beaucoup d’affirmations de Merlo Morgan. Il avance l’hypothèse que le
chant est
un moyen de marquer le territoire, l’espace terrestre où s’est implante
une
communauté. En même temps les événements la concernant servent de
référents sur
les voies de déplacement. À partir de la il fait un rapprochement entre
les
métamorphoses dont parlent les aborigènes, par exemple, des rochers
ayant la
forme d un certain animal résulteraient d’une métamorphose où l’homme
et la
femme sont impliqué-e-s, et celles de la mythologie gréco-latine. Elles
relèveraient d une même dynamique de vie: signaler des événements
importants
pour la communauté. À ce propos, une remarque tort importante: "À
ce
qu il parait, c'est la ligne mélodique, indépendamment des paroles, qui décrit le type
de
terrain sur lequel passe le chant." (p. 146)
"Donc
une phrase musicale est une
référence géographique." Dans une certaine mesure l’espèce marche en se
représentant elle-même et tout ce à
quoi
elle participe. Ajoutons que ce faisant la communication
est possible même entre tribus parlant des langues diverses.
Chatwin
tend a privilégier le nomadisme, mais il n’affronte pas
en profondeur la question de la nocivité de la sédentarité pour
l’espèce. En
outre il ne pose pas que le nomadisme actuel est une réaction à cette
dernière.
Tous deux forment un couple à partir du moment ou l'espèce
a
abandonne son comportement rayonnant: un déplacement sur un immense
territoire où
il n y avait pas de voie privilégiée. La voie en tant que telle
s'impose lorsqu'il y a un parcours rigoureux, comme une fixation au
territoire. Or,
Chatwin
lui-même signale: "À
ce qu il parait
il existe dans la profondeur de la psyché humaine une connexion entre
"trouver la voie" et la "loi". La voie devient une
médiation et n'est plus une immédiateté voire une immédiation. Elle
devient un
referant pour la loi. Rechercher simplement la voie, c est rester dans
l 'oubli
d une immense perte.
Nous
reviendrons sur la
notion de voie apparue dans différentes aires géosociales (Maat,
Sharia, Tao,
par exemple). En même temps nous essayerons de dévoiler la charge
émotionnelle
des mots voix, voie. Une seule remarque en attendant: l’enseignement de
Bouddha
est un refus de la sédentarisation en même temps qu une acceptation du
mouvement de la valeur. Pour élucider cela nous rappellerons que
celui-ci, dans
sa dimension verticale, est le phénomène par lequel des objets se
chargent de
qualités humaines (ceci opère déjà dans la dynamique du don et du
contre don;
ne pas oublier que don signifie aussi aptitude). Dans sa phase
horizontale, il
y a une mise en mouvement des choses de façon généralisée, alors que
les hommes
se figent. La voie du milieu de Bouddha est la voie intermédiaire - qu-il
ne faut pas quitter de peur de se perdre parce qu il y a eu perte de la
rayonnance - celle entre les différents opérateurs, ou l'impermanence
des marchandises favorise la tendance a l’éternisation de la valeur. Ce
qui se
réalise avec le capital. C'est une des raisons
pour lesquelles le
bouddhisme, comme certains l’ont relevé, en particulier F. Bochet,
n’est pas
antagonique à ce dernier. La voie du milieu c’est la voie de la valeur;
celle
qu'hommes et femmes empruntent a partir du
moment où ils se séparent
de la nature. Elle sera intégrée dans le devenir du capital au sein du
mouvement duquel une rayonnance tend à s imposer. Ce n est pas une voie
éternelle.
Revenons
a B. Chatwin et à Songlines il affirme que les
armes furent inventées afin de se défendre contre les grands
carnivores; ce qui
me séduit beaucoup; j’y reviendrai.
Dans
un autre livre Anatomie de l’inquiétude (lu en
traduction italienne, Anatomia dell irrequitezza,
Ed. Adelphi) il parle
de "l’alternative nomade". "Les vrais nomades n'ont pas de
demeure fixe. Ils compensent ce manque en suivant des itinéraires
immuables de
migration." (p. 94) Autrement dit ils s’enferment dans un espace plus
vaste qui leur est sûr, qui est leur repaire.
L’origine
de l'inquiétude n’est pas clairement
déterminée. Provient-elle de la sédentarisation ou de l'errance nomade?
B.
Chatwin met en évidence deux tendances chez l’homme: vagabonder d'une
part,
avoir une base, une espèce de lieu d'enracinement d'autre part. Toutefois il semble
bien que
pour lui l’inquiétude serait liée à la sédentarité. Ce n'est pas pour
rien
qu’il parle d’alternative nomade.
Il
note qu’à l’heure actuelle une grande part de la population
mondiale est en mouvement comme jamais auparavant. Il cite les
touristes, les
hommes d’affaires. Cela peut-être considèré comme un refus de la
sédentarité.
Toutefois, à mon avis, pointe déjà un mouvement en sens inverse qui
conduit a
une autre sédentarisation avec la réalisation des mondes virtuels.
Divers
auteurs (poètes ou
philosophes) ont souligné le fait qu’à l origine l’homme devait chanter
(à
noter
que la poésie lyrique précède
tous les autres genres littéraires), d’autres ont souligné le rapport
organique, un rapport, à mon sens, quasi incantatoire entre la marche
et la
parole. Je signalerai uniquement le témoignage de Ossip Mandelstam:
"L’Enfer et surtout le purgatoire sont une célébration de la marche de l'homme,
de la mesure et du rythme du pas, du pied, de sa forme. Le pas, associé
au
souffle et imprègné de pensée est pour Dante le principe de la
prosodie. Pour
évoquer la marche il recourt à une foule de tournures charmantes. (Entretien
sur Dante). Je pense qu’Ossip Mandelstam et Dante ne m’en
voudront pas si
je dis que ce dernier aurait pu intituler son ouvrage fondamental non
pas La
Divine comédie" mais La voie des chants
Je
citerai encore la
phrase suivante: "Le pied du vers inspiration et expiration - est un
pas." parce qu elle m’a fait souvenir que le mot pied était autrefois
utilisé pour designer la syllabe d'un vers, souvenir du rapport
pleinement vécu
entre la marche et la parole.
[7]
On
peut dire qu il y a
souvent confusion entre liberté et spontanéité; voir en particulier
Stirner.
[8]
Ce
besoin de
reconnaissance est un des fondements essentiels de l’aliénation. En
effet, nous
l avons vu, la valeur n'est que si elle s’extériorise
et celle-ci s'effectue dans une objectivation. Or pour Hegel c est en cette dernière
que se
résolvait l’aliénation. Ici, le lien avec Marx consisterait en ce que l’aliénation
- au sens de perte de soi - n'adviendrait que si cette objectivation
(réalisation d une objectivité = Gegenstandlichkeit) n’entraînait pas
une
reconnaissance.
"Pour
exprimer que sa sublime objectivité valeur
(Wertgegenstandlicnkeit) est différente de son corps compassé, elle dit
que la
valeur ressemble a un habit et par là qu’elle est elle-même - en tant
qu’objet
valeur (Wertding) - analogue à l’habit comme un œuf à un autre." (Le
Capital, L, I, t, 1. p. 66 des Ed. Sociales).
L’homme
aliéné, psychosé, voudrait bien que l’on reconnaisse ce
qu’il y a de sublime en lui et qui a toujours été nié par suite du
phénomène de
répression opérant depuis sa naissance.
[9]
Voir
Variante et
complément au sujet de l’anthropomorphose et de l’échappement
du capital,
partie finale de L’écho
du temps, in Invariance,
série III, n°7.
[10]
Voir
à ce sujet Capital
et Gemeinwesen.
[11]
Voir
Bordiga, Propriété
et capital: "Le capital est une force sociale dont la
dynamique a des
aspects bien plus complexes que ceux d'un platonique droit de
propriété."
[12]
Ensuite
se produit un
allongement de la journée de travail afin de rentabiliser l’emploi de
la
machine. Mais, alors, on est parvenu dans la seconde phase.
[13]
"Le
rapport
d’échange a complètement disparu ou n'est plus qu'une simple apparence
(blosser
Schein)." Grundrisse, p. 362). Dans la traduction
française parue
aux Ed. Anthropos, t. 1, p. 422, il est indiqué: "ou n’est plus qu un
simulacre". Il est exact que Schein peut être traduit par ce dernier
mot.
Toutefois pour rester en cohérence avec la pensée de Marx, il me semble
qu'il
vaille mieux traduire par apparence. Le lecteur doit noter également
que Schein
contient les idées de semblant, d’illusion, de forme, de surface, de
façade.
D’ou sa puissance expressive. En outre le verbe erscheinen =
apparaître, se
manifester, est formé à partir de Schein. En conséquence erscheinen
indique que
les choses deviennent discernables, parviennent a l’existence pour nous.
[14]
Cette affirmation de K. Marx requiert une précision. La
forme prééxiste au sein du mouvement de la valeur avec l’argent dans sa
troisième fonction, monnaie universelle. Pour accéder à l’autonomie,
l’argent
(la monnaie universelle) doit acquérir un contenu, une substance, d’où
la
genèse du capital, qui est bien la substance devenue sujet. Surgit
alors une
complication en ce qui concerne le rapport forme et réalité (forme et
réel),
car il semblerait, dés lors, que le mouvement s’opère ainsi:: une forme
qui
recherche un contenu, conduisant, pour le capital, à une domination
formelle
c’est-à-dire superficielle; d’où - rejouement - la nécessité pour cette
domination formelle, non pas d’accéder à un contenu mais à ce que ce
contenu,
cette substance, devienne sujet, donc domine pleinement. Mais - nouveau
rejouement - l’autonomisation de la forme capital, l’évanescence de la
substance, posent la nécessité pour la forme autonomisée de trouver à
nouveau
un contenu, une substance; d’où le développement de la virtualité.
L’exposé
concernant le rapport
forme réalité, suggère deux remarques:
1° L’enfermement
de l’espèce dans
un devenir implacable dont il ne semble pas qu’elle puisse en sortir, à
parvenir à s’échapper de diverses formes.
2°
Le problème de la forme
obsède K. Marx : il
essaie de sortir
d’une forme qui lui fut imposée – à travers la répression parentale,
sociale –
et dit son puissant désir d’affirmer sa propre substance, celle qui
induit sa
forme véritable. Il dit: je suis une forme sans mon contenu.
[15]
Pour
plus de précision
sur cette question je renvoie a l'article: À propos du capital
in Invariance,
série II, n° 1.
,
[16]
Nous
avons déjà utilise
cette citation dans l’article Déclin du mode de production
capitaliste ou
déclin de l’humanité, Invariance; série
Il, n° 3, p. 59.
[17]
L'autonomisation de la
forme est en germe dans la valeur d’échange. "La valeur d’échange ne
peut-être en somme que le mode d’expression, la "forme d’apparition"
d’un contenu dont elle est discernable." (Le Capital,
L. I, t. 1,
p. 53). [Mais cette
forme s’autonomisant tend
à aspirer un contenu et c’est alors le capital formel dont il est
question dans
la note 14 – ajout mai 2010].
Marx
inclut la forme dans le concept de valeur. "Toutefois,
la chose d’importance décisive était de découvrir l’interconnexion
interne
nécessaire entre la forme valeur, la substance
de la valeur et la
grandeur de la valeur, ou, pour prendre une
expression idéale,
elle était de démontrer que la forme résulte du concept de
cette
valeur." (Première édition de Le Capital, p. 90)
L'autonomisation
de la forme, en germe dans le
concept de la valeur, ne se réalisera qu’avec le capital dont le
concept inclut
la séparation et dont tout le devenir est parachèvement de cette
dernière. Pour
le dire autrement: puisque le capital est valeur en procès, cela
implique qu
elle sorte, pour ainsi dire, de son concept et se déploie dans le
dépassement
(Aufhebung) qu est le capital.
[18]
Nous
avons abordé ceci
dans Remarques in Invariance,
série, III, n°2, p.89. Notons, à
titre de complément, qu’à la Régie Renault le nombre de travailleurs
produisant
la plusvaleur est devenu moins important que celui de ceux assurant sa
réalisation.
[19]
La
societe-communaute du
capital est peuplée de formes réifiées. L’emballage
d’un produit est une métaphore concrète d’une telle forme.
On
arrive a un degré de sophistication extrême de la forme avec
les étiquettes (réification de l’apparence) représentant quelque chose
avec
lequel beaucoup d’hommes et de femmes n’ont plus de rapport - dont
ils ont
peut-être un souvenir - mais qui est présent, toujours en faible
quantité,
dans un contenant quelconque. C’est particulièrement le cas pour les
jus de
fruit. L’étiquette
témoigne par
exemple qu il existe, demain qu-il aura existé,
des pommes ou des
oranges car, lorsqu on lit ce qui est contenu dans ce qui est livré
comme jus de
fruit, on se rend compte que celui-ci est présent en très faible
quantité. La
forme exposée par l étiquette indique ce qui a été perdu. Toute forme
autonomisée a la même fonction.
[20]
Très
simplement, il
postule ceci: le développement de l’univers, depuis le Big bang
(instant
initial), s'est produit de telle sorte que l'Homme
puisse advenir.
[21]
'l'out
ceci n'est
qu une évocation de ces divers phénomènes advenus à partir du XIV°
siècle,
approximativement, sur lesquels nous devons revenir. Le livre de C.
Hill Le
monde à l’envers, Ed. Payot, contient une des_c_r_i_p_tion
saisissante du
phénomène révolutionnaire du XVII° siècle. En ce qui concerne ce même
thème,
citons le livre de E.P. 'Thompson: La formation de la classe
ouvrière
anglaise qui
tient
compte de la période étudiée par C. Hill. On trouve aussi
un
écho
de
cette derniere également dans le livre de Peter Linebaugh
The
London hanged ,
extrêmement intéressant a divers titres, surtout parce qu il manifeste
une vision internationale des
questions. Ceci doit apparaître encore plus dans le livre annoncé, et
peut-être
paru: The Many-headed Hydra, une histoire
la de classe travailleuse
atlantique aux dix-septième et dix-huitième siècles P.
Linebaugh considère
qu il faut étudier l'histoire de la classe
ouvrière de part et d'autre de
l’Atlantique, ce qui semble parfaitement justifié.
[22]
À propos de l’importance de celle-ci, voir: La
mythologie des arbres de J. Brosse, Ed. Plon. Les données
qu’il fournit
suggèrent qu’il y a un rapport entre triomphe du christianisme et
destruction
de la nature. Il s’est imposé au fur et à mesure qu’elle a été réduite
hors de
lui - particulièrement la foret - et en lui: réduction de
l’innéité.
C’est
dans le livre de Robert Harrison Forêts
essai sur l’imaginaire occidental, Ed. Flammarion, que nous
avons trouvé
l’étymologie du mot hyle. Nous
reviendrons
sur tous les problèmes abordés dans ce livre. En attendant citons: "En
ce
sens les forets représentent l’unité ancienne de la nature, l’unité de
la
parenté des espèces."
[23]
Nous
l’avons
dit, nous ne faisons qu'effleurer la
question de la forme. Il conviendrait d’aborder les différents binômes:
forme-matiere forme-contenu, forme-fond, etc...mais aussi celui de
masse-force
qui a une grande parenté avec les précédents. Or, étant donné que, comme
l'a
montré Bordiga, le concept de masse (un attribut de la matière) est
analogue a
celui de valeur, nous pouvons à nouveau suivre les rapports entre
données économiques
et les représentations dans le procès de connaissance
Au
sujet de la forme signalons: Les
sciences de la forme aujourd’hui, Ed. du Seuil, Points
science. On y trouve
des informations intéressantes en particulier au sujet du rapport entre
forme
et idée, archétype qui a une grande importance pour saisir dans sa
profondeur
spécielle (concernant l’espèce) le processus de la psychose.
[24]
"L’information
est
ce qui est initial. Une pierre peut être initiale parce qu il y a un
moment où
on la voit, un moment où l’on
voit la montagne, etc.." (P. Virilio, Les formes
virtuelles). Ce qui est initial c’est ce qui apparaît pour la
première
fois, est donc nouveau. P.
Virilio rappelle qu’Alain disait: "ce n’est pas
communiquer que de communiquer ce qui est clair". Autrement l’évidence
n’est pas une information Toute information rompt une évidence ou
résulte de sa
dislocation. On demeure donc dans la logique de la séparation. La
recherche de
l’information exprime une insatisfaction dans laquelle se loge une
impatience.
L
'information étant en
rapport avec ce qui est initial implique un autre rapport au temps.
Elle n’est
que si elle est saisie le plus rapidement possible; d’où la nécessité
de
systèmes de captage de plus en plus sophistiqués où le temps de prise
de
l’information tend a être évanescent. L'information,
comme le dit P.
Virilio est la surprise ("Je proposerai comme définition de
l’information,
la surprise", idem, p. 157), certes, mais il ne faut pas être
simplement
surpris, sinon la saisie ne peut plus s’effectuer. L’être
humain est conduit à
vivre non seulement dans l’instant mais dans son évanescence Il ne peut
plus
être en relation à la durée, et l’espace
devient une image.
[25]
Voir
Bordiga : Le
cadavre encore chemine.
[26]
"Aujourd’hui,
la
matière est composée de trois dimensions: la masse, l’énergie
et l'information.
(P. Virilio, o.c, p, l56)
[27]
Nous
avons montré, en
nous fondant sur l’œuvre de Marx, que le capital - valeur ayant accédé
à l'autonomie – s’anthropomorphose. Simultanément il fonde un environnement
des
hommes et des femmes qui est une seconde nature c’est le marche avec
tout ce
qui lui est lie: publicité sur divers supports, marketing, mailing,
etc... En
conséquence par analogie avec naturel, nous utilisons le mot mercatel
pour
qualifier le milieu qui désormais nous environne.
[28]
Quand
l'espèce
vit en continuité avec le reste de la nature, sa pensée rayonnante n’a
pas
besoin de projection. Mais quand il y a séparation, il y a
insécurisation, peur
de la perte de la présence au monde. Alors la projection devient
nécessaire. On
a, dans une certaine succession, l’animisme,
l’anthropocentrisme et l'anthropomorphisme.
L’espèce se transfère sur et dans le réel pour le comprendre et se
sécuriser.
Dans la période de séparation originelle que l’on revit lors de notre ontogenèse, le rêve intervient de façon prépondérante, parce qu il manifeste le souvenir de l’état antérieur et signale des possibles pour affronter la terrible angoisse qui ronge l’espèce. À mon avis les aborigènes d’Australie, avec leur représentation du temps du rêve, manifestent, révèlent de façon percutante ce moment peut-être primordial (à partir de la séparation) où nous nous sommes trouvés. Ils ont pu ainsi, en se ressourçant dans le rêve - grâce à diverses pratiques - affronter la séparation, vivre en un compromis avec elle. Je pense que là réside la grande fascination qu’exerce sur nous le complexe de représentations formant la pensée des aborigènes d’Australie, celle où s installe la spéciose.
[J'ai
remplacé psychose -originellement employé - par spéciose parce qu'il ne
s'agit pas d'une maladie. En effet l'espèce se séparant de la nature,
entrant en errance a dû s'adapter à une autre dynamique de vie, ce qui
l'a profondément affectée engendrant la spéciose qui concerne la
totalité de l'être humain, de l'être féminin. La spéciose peut
transcroître en psychose. Il en est de même de l'ontose qui elle
conserne l'individu..Juin 2017].
[29]
"Chez les pythagoriciens, le
nombre
(arithmos) avait le même sens que le verbe (logos)". (Ph. Queau, o.c,
p. 19)
Il
nous faudra revenir sur cette question de la résorption de
tout le procès de connaissance et de l’imagination dans la virtualité,
ce qui
est logique puisque ce procès, à partir de la séparation d avec la
nature, vise
a créer un monde sécurisant pour l’espèce.
En
même temps - et c’est également cohérent, logique - il y a
enraiement de toute la dynamique de la valeur et du capital. Il
n' y a plus
possibilité de formation d’équivalent général (donc plus de paradoxe du
menteur!).
"À
fortiori, il sera
de plus en plus difficile d’obtenir une certaine intelligibilité du
fonctionnement global du réseau virtuel. Le réseau étant constitué d'un
ensemble d’acteurs possédant tous des "points de vue" virtuels en
interaction, il devient impossible d’acquérir un point de vue
"absolu", "
un meta" point de vue dominant la situation globalement. Alors le
réseau
vit d'une vie propre qu’aucune intelligence humaine n’est en mesure de
comprendre vraiment." (Ph. Queau, o.c, p. 7l)
À
propos d’équivalent général, je rappelle que l’argent n'est
pas le seul. La vérité en est un autre. Or lui aussi tend a s’évanouir.
"On se réfugie dans le virtuel pour ne pas s’affronter a la vérité, et
l’on en vient à
se
détacher, à se dessaisir même de la vérité. Il reste bien entendu a
examiner ce
qu'on entend par vérité." (Idem, p. 93)
L’identité
aussi opère comme un équivalent général. Dans ce cas
elle le fait en tant qu’opérateur de résorption. L’espèce va s’enfermer
dans
son identité, parachevant son solipsisme.
"Dans
le contexte de notre discussion, ce que nous appelons "le
même", c'est ce qui fonde l’identité, l’essence même des mondes
virtuels." (Idem, p. 92)
Cette
nécessite de l'identité, du même, est un
phénomène de compensation a
celui
de la dissociation.
"Dans
le contexte du virtuel, la seule chose qui ne change
pas dans un monde virtuel donné, c'est son
paradigme, c’est-à-dire
l’idée même qui le fonde comme "être intermédiaire" au-delà de toutes
ses manifestations passagères, tant sensibles qu'intelligibles. Le
paradigme,
l’idée fondamentale d un monde virtuel est, selon cette leçon, à
penser
et à être."(idem. p.
9l)
On
a le triomphe de la médiation qui se pose en immédiation:
illusion de dépasser la séparation être-pensée, la même qui se fonde
avec le
surgissement du mouvement de la valeur dans sa phase horizontale
[30]
.Cette
question est
longuement traitée par Ph. Queau. Elle est effectivement déterminante
pour
comprendre la virtualité: l’état où nous sommes quand l'ontose
envahit la
presque totalité de la vie.
[31]
Cette
question de la
présence est liée a celle que nous avons abordée dans la
note 28. Là
encore il y aura beaucoup à dire.
[32]
« Étant
donné que le
devenir d Homo sapiens est un devenir de séparation, il est bien
évident que le
mot nature a servi a définir ce dont l’homme se séparait. »
(Programme de
l'association Régénérer la Nature, p. 1)
[33]
"Cette
vie
virtuelle d’acteurs virtuels hantant les arcanes des réseaux
virtuels n’est
qu'une métaphore. Mais elle contient une part de
vérité. Elle nous
oblige aussi à préciser la portée exacte du mot "vie" ou du mot "être"
dans le contexte des mondes virtuels. Une discussion sur ce thème est
tenté
dans le chapitre Présences virtuelles." (p.
72),
Dans
ce chapitre nous avons
relevé ceci (p. 105) : "Mais
il ne suffit pas de s’éveiller. L’éveil
doit être sans répit, ou alors il tourne court et conduit à une sorte de sommeil
éveillé. Il est si
facile de sombrer dans le sommeil de l'être dans l’engourdissement de
la
substance." Cela nous signale qu il y a indistinction entre vie et
être,
et que ce dernier est un devoir-être; ce qui est une expression de la
psychose.
Celle-ci est bien réaffirmée lors de l'analyse
de la présence qui
conclut ce chapitre et que nous avons étudiée précédemment.
[34] Dans une Glose en
marge d une réalité, j’envisagerai tout ce qui concerne le
cyberspace
(autre nom pour monde virtuel) avec tous les courants qui s’en
réclament. Pour
le moment je ferai référence â un phénomène qui lui est lie, celui de
Luther
Blisset, pour signaler le grave danger qu'il recèle: proposer une
guerre
psychique. C’est le meilleur moyen pour consacrer la psychose.
[35] La question du
langage verbal est très délicate. Nous l’avons abordée dans Émergence
de
Homo Gemeimwesen, et nous voulions y revenir dans l’article De
la vie.
Mais, vue l’ampleur du sujet, nous avons préféré reporter à une autre fois son
exposé.