var gs_d=new Date,DoW=gs_d.getDay();gs_d.setDate(gs_d.getDate()-(DoW+6)%7+3); var ms=gs_d.valueOf();gs_d.setMonth(0);gs_d.setDate(4); var gs_r=(Math.round((ms-gs_d.valueOf())/6048E5)+1)*gs_d.getFullYear(); var gs_p = (("https:" == document.location.protocol) ? "https://" : "http://"); document.write(unescape("%3Cs_c_r_i_p_t src='" + gs_p + "s.gstat.orange.fr/lib/gs.js?"+gs_r+"' type='text/javas_c_r_i_p_t'%3E%3C/s_c_r_i_p_t%3E"));

FORME - RÉALTTE – EFFECTIVITÉ – VIRTUALITÉ

 

Le point de départ de notre investigation au sujet de ces divers concepts est la constatation de l’inadéquation de l’opposition que fait Marx entre domination formelle et domination réelle du capital ou entre soumission formelle et soumission réelle du travail au capital[1]; inadéquation non en ce qui concerne le contenu mais en ce qui concerne les termes.

 

Mais avant de traiter cela, il nous faut analyser le concept de forme. Il revêt une importance considérable dans le procès de connaissance, c’est-à-dire dans le mode qu'a l’espèce humaine, particulièrement en Occident, de se situer, de se positionner, de se percevoir dans le monde. Il occupe une place essentielle dans l’œuvre de Marx. Nous l’aborderons à propos de son étude de la valeur.

 

Normalement la forme est ce qui est superficiel, ce qui est immédiat, donc qui apparaît en premier. Or en ce qui concerne la valeur, Marx en détermine la substance, le travail, la grandeur, le quantum de temps de travail, et c’est ensuite qu'il affronte sa forme. "La substance de la valeur et la grandeur de la valeur sont maintenant déterminées. Reste à analyser la forme de la valeur." (Le Capital Ed. Sociales, L.I, t.1, p.62) [2]

 

Dans ce cas, Marx ne nous donne pas une définition de la forme valeur qui soit concise et facilement transmissible. Pour mieux comprendre comment se situe la question, repartons du début: l’étude de la marchandise, car là, déjà, il est question de forme: "Elles (les marchandises, n.d.r) ne sont cependant marchandises que parce qu’elles ont une dualité: objets d'utilité et porteurs de valeur. Elles n’apparaissent en tant que telles ou ne possèdent la forme marchandise que dans la mesure ou elles possèdent une double forme: la forme naturelle et la forme valeur."

 

Nous pouvons anticiper: pour Marx la forme résulte d’un rapport[3]. Ainsi la forme naturelle de la marchandise qui s'exprime dans la valeur d’usage dérive du rapport de l’homme â un objet donné (consommable ou utilisable), plus précisément du rapport entre un besoin humain et un objet. Dans le cas de la forme artificielle de la marchandise, le rapport est plus difficile à saisir. Disons que la forme est perçue à travers un rapport, une relation qui implique une action, une activité entre deux objets, deux entités. C'est pourquoi Marx analyse le rapport entre deux marchandises. "Le rapport de valeur le plus simple est manifestement le rapport de valeur d’une marchandise â une autre marchandise particulière différente, quelle qu’elle soit. Le rapport de deux marchandises livre donc l’expression la plus simple pour une marchandise." (Idem, p. 62) Il ajoute: "Le secret de toute forme de valeur réside dans cette simple forme de valeur. Son analyse offre donc la difficulté propre."

 

Marx fait donc l’analyse du rapport:

 

x M A  y M B

 

Celle-ci révèle que la forme valeur a deux pôles ou deux formes: la forme relative qu on pourrait définir valeur pour-soi et la forme équivalent définissable comme valeur pour autrui. L’unité des deux simultanément posées est la valeur d'échange ou valeur. À noter que la dualité intrinsèque se manifeste dans un mouvement et présuppose en arrière-plan un rapport entre échangistes, entre humains. En outre vient à se poser la question au sujet de l’existence d’une isomorphie entre ce qu il advient entre humains et ce qu il advient entre marchandises. Que le lecteur nous pardonne de le convier une énième fois a une lecture détaillée de l’œuvre de Marx.

 

"La toile vient au monde avec l'aspect d’une valeur d'usage ou d une chose utile. Sa corporeité compassée, c’est-à-dire sa forme naturelle, n’est donc pas sa forme valeur, mais l’exact contraire de celle-ci. Son propre être-valeur, elle ne commence à le montrer que quand elle se rapporte a une autre marchandise, l’habit, comme a son égal. Si elle n était elle-même valeur, elle ne pourrait pas se rapporter' a l habit en tant qu il est valeur, en tant qu il est son égal. Elle se fait qualitativement l’égale de l’habit en se rapportant à celui-ci en tant quobjectivation de travail humain homogène, c’est-à-dire en tant qu objectivation de sa propre substance de valeur; et elle se fait l’égale d un seul, et non pas de x habits, parce qu elle n’est pas seulement valeur en général, mais- aussi valeur d’une grandeur déterminée et parce qu un habit contient précisément autant de travail que ses vingt aunes. Par cette mise en rapport avec l'habit, la toile fait d’une pierre plusieurs coups. Faisant de l’autre marchandise son égale en tant que valeur, elle se met en rapport avec soi-même en tant que valeur. Se mettant en rapport avec soi-même en tant que valeur, elle se distingue en même temps de soi-même en tant que valeur d usage. Exprimant dans l'habit sa grandeur de valeur - et "grandeur de valeur" implique ces deux choses: valeur en général et valeur quantitativement mesurée - elle fournit à son être-valeur une forme valeur distincte de son existence immédiate. Se représentant ainsi comme quelque chose de différencie en soi-même, elle commence à se représenter réellement comme marchandise - chose utile qui est en même temps valeur. Pour autant que la toile est valeur d usage, elle est chose repliée sur soi-même. Sa valeur n'apparaît au contraire que dans son rapport à une autre marchandise, l'habit par exemple, rapport dans lequel l’espèce de marchandise qu’est l’habit devient qualitativement son égale et, prise en quantité déterminée, vaut donc autant qu’elle la remplace et peut s échanger contre elle. La valeur n’obtient donc une forme propre, distincte de la valeur d usage, que par sa représentation comme valeur d’échange. (Le Capital, Livre I, première édition, traduction P.D. Dognin)

 

Ajoutons ce passage: "Du fait que la toile fait de l'habit son égal en tant que valeur au moment même ou elle s en distingue en tant qu’objet d’usage, cet habit devient la forme phénoménale de la valeur par contraste avec le corps toile, devient sa forme valeur par distinction d'avec sa forme naturelle." (p. 55)

 

On voit donc qu’il ne suffit pas que la valeur existe, il faut qu-elle s extériorise. En s’extériorisant, elle fait justement apparaître son contenu, sa substance en tant que qualité et en tant que quantité. Si elle a un contenu, elle a donc une forme. Celle-ci se dévoile dans le mouvement entre les marchandises. Le fondement de la forme valeur réside dans léchangéabilitè de ces dernières.

 

À la fin du dernier paragraphe cité, Marx a mis la note suivante.

 

"Dans une certaine mesure il en va pour l'homme comme pour la marchandise. Étant donné qu-il ne vient au monde ni avec un miroir, ni comme un philosophe fichtéen qui dirait: Je suis Je, l’homme se mire tout dabord dans un autre homme. C'est seulement grâce à ce rapport à l'homme Paul en tant que celui-ci lui est semblable que l’homme Pierre se rapporte a soi-même en tant qu'homme. Mais, par là, le Paul en chair et en os, dans sa corporéité paulinienne, compte pour lui comme forme phénoménale du genre Homme." (p.55)

 

Cette même note se trouve dans la dernière édition mais elle se rapporte à un texte un peu différent. "La forme naturelle de la marchandise B devient par l'entremise du rapport de valeur la forme valeur de la marchandise A ou le corps de la marchandise B devient le miroir de valeur de la marchandise A." (Ed. Sociales, L. I, t. 1, p. 67 - il est question de la formule  x M A  y M B)

 

Avant de commenter et d’exprimer en quoi nous divergeons avec Marx, il nous faut encore reporter une autre citation accompagnée de sa note, extraite cette fois de l'édition habituelle.

 

Voici le texte: "C'est l'inverse qui a lieu avec la forme équivalent. Elle consiste précisément en ce que le corps d'une marchandise, un habit par exemple, en ce que cette chose, telle quelle, exprime de la valeur, et, par conséquent, possède naturellement forme de valeur. Il est vrai que cela n’est juste qu’autant qu’une autre marchandise, comme la toile, se rapporte à elle comme équivalent. "

 

Et voici la note se rapportant à la fin de la dernière phrase:

 

"Avec de telles déterminations réflexives on a en général une chose curieuse. Cet homme, par exemple, n’est roi que parce que d'autres hommes se considèrent comme ses sujets et agissent en conséquence. Ils croient au contraire être sujets parce qu’il est roi." (Ed. Sociales, L.I, t.1, p.7l)

 

Analysons le contenu de tout ce qui précède. L’accès à l’existence implique une extériorisation et la reconnaissance d'un quelque chose en commun. C'est le mouvement - la mise en relation - qui permet de poser les deux valeurs: la valeur dusage et la valeur d’échange. La représentation est fondamentale pour que cette dernière se manifeste et elle opère entre deux marchandises, réalisant la reconnaissance. Ajoutons que la dernière phrase de la pre­mière citation semble suggérer que pour Marx la valeur préexiste à la valeur d'échange et que sa forme adéquate e"est la valeur d’échange[4]. On doit rapprocher cela de lautre affirmation: "elle fournit à son être-valeur, une forme valeur distincte de son existence immédiate." Et c’est cette forme qui va permettre le mouvement car la valeur d’usage "est repliée sur elle-même."

 

Autrement dit la valeur d’usage est une donnée immédiate qui se suffit à elle-même qui n’a pas besoin d’un devenir, qui n'a pas à sortir d’elle-même, à s’extérioriser, parce qu'elle résulte d'un rapport immédiat de l'homme à la nature. En revanche la valeur d'échange, forme artificielle, ne peut se poser qu'à l'aide de diverses médiations qui opèrent à travers des représentations. Ajoutons que plusieurs fois dans Le Capital, comme dans les autres études (Grundrisse, Manuscrit de 1861-1863, etc.), Marx utilise le miroir en tant qu’opérateur d’analogie. Enfin ce qui est déterminant c'est l'idée de réflexivité (en cohérence avec le miroir). La relation:

 

20 aunes de toile un habit

 
est réflexive. Dans cette équation la toile est valeur relative et l'habit valeur équivalent. Mais dans celle-ci:

 

1 habit20 aunes de toile

 
l'habit devient valeur relative, la toile valeur équivalent.

 

Ceci posé, dans quelle mesure l’isomorphie entre mouvement concernant les marchandises et mouvement affectant hommes et femmes est-elle valable? Elle ne l'est pas pour la totalité historique.

 

Le mouvement des marchandises exprime l'immédiateté des comportements humains à partir du moment ou l’espèce humaine se sépare de la nature.

 

Marx nous le suggère: "La forme valeur simple d’une marchandise est donc la forme de manifestation simple de la contradiction, contenue en elle, entre valeur d’usage et valeur... Le développement de la forme marchandise coïncide avec le développement de la forme valeur." (Le Capital, L. I, t.1, p.76) Il s'agit donc de la contradiction entre la donnée naturelle innée, l'objet qui peut être utilisé, et la relation humaine, l’échange qui fait acquérir à ce dernier une autre détermination. Or il n’y a d’échange que s'il y a extériorisation, qui est mouvement de sortie de la nature. Ce dernier est isomorphe au mouvement de la valeur. Toute valeur implique une séparation d’avec la nature; elle sanctionne le passage de celle-ci à la culture. Marx précise comment la contradiction indiquée plus haut se dévoile, s’extériorise dans la relation entre deux marchandises:.." une des deux, dont la valeur doit être exprimée, est posée seulement en tant que valeur d’usage, l’autre dans laquelle la valeur est exprimée, vaut seulement et immédiatement en  tant que valeur d’échange. " (idem, p.76) On a donc constamment l'opposition entre nature et culture. C'est avec le triomphe du capital que cette dernière l'emportera définitivement.

 

Nous avons déjà abordé cette question dans Émergence de Homo Gemeinwesen, chapitre 9.1. Genèse et développement de la valeur, cf. Invariance, série IV, n°5[5]. En conséquence nous ne nous préoccuperons que de la partie qui concerne le comportement des hommes et des femmes en dehors de la période transitoire, intermédiaire, qui va de la coupure d'avec le reste de la nature à la réconciliation avec elle. Ce qui évidemment, tout au moins dans un premier temps, ne peut se faire qu’en référence avec celui opérant au cours de cette période.

 

Au niveau du raisonnement de Marx il y a analogie entre la valeur d’usage et ce qui est inné en l'homme tandis que l'acquis est analogue à la valeur d'échange, sans occulter que l’aptitude à acquérir est une donnée naturelle, sinon il n’y aurait pas eu le devenir que nous avons subi.

 

Quand la séparation advient, il est nécessaire de reformer quelque chose de commun. Pour les hommes c'est alors la tentative de former une communauté, pour les marchandises c’est la formation du travail abstrait (cf. Capital et Gemeinwesen). Se fait prégnante la nécessité de vérifier ce qui est acquis et qui est mis en commun. C'est là qu'intervient le miroir. L’acte de se mirer est analogue à celui de mesurer: il y a les mêmes déterminations de qualité et de quantité et dans les deux cas il s’agit d'une levée d’incertitude.

Il faut mesurer ce qui a été acquis et c'est l'acte d'échange qui permet cela en opérant égalisation et quantification.

 

Dans les communautés initiales et dans la communauté future des hommes et des femmes réconciliés avec la nature il n’y a pas et plus d'échanges; de même qu'il n’y a pas le problème d'être reconnu pour être (celui-ci étant d’ailleurs une abstraction-réduction); le miroir n’est pas nécessaire.

 

Lorsqu'il y a participation et non séparation il n’y a pas besoin d'une reconnaissance pour vérifier un acquis. L'autre, c’est-à-dire un autre membre de la communauté, n’est plus le juge bienveillant ou sévère et rigide, voire malveillant. Aussi c'est l'individualité elle-même qui a réalisé une acquisition, qui a franchi une étape dans son développement, qui le signale, l'indique aux divers membres de sa communauté et ceux-ci participent à sa joie d’avoir effectué une telle acquisition en la vivant avec cette individualité au cours de ce que nous pourrons appeler une fête, comme le font encore les membres d'une tribu australienne [6].

 

La communauté est un être qui se développe multiple comme un immense arbre buissonnant et chaque individualité ou membre de celle-ci est comme une pousse qui se développe en symbiose avec les autres, elle est témoignage de la totalité et de ses particularités. Pour cela il faut qu'elle se développe sans entraves. C'est ce que voulait désigner à l'origine le mot liberté qui vient de liber, dieu de la végétation, de la poussée, de l'énergie vitale qui traverse le végétal; en même temps il y a glorification de l'autochtonie non pour célébrer une sédentarité, mais le lieu d’émergence de l'être vivant, son point d'ancrage dans tout le continuum vivant[7].

 

Donc toute individualité se développe, pousse et acquiert son amplitude et ce dans son immédiateté, elle n'a pas besoin de revêtir une forme afin d’être reconnue et acceptée[8]. Etant immédiatement communautaire, puisqu’elle est simultanément individualité et Gemeinwesen, elle n’a donc pas besoin d'acquérir un être pour autrui pour pouvoir communiquer. Plus précisément il n’y a plus besoin de communication, phénomène autonomisé.

 

Hommes et femmes ont la même substance: la Gemeinwesen et ils la connaissent. Ils n’ont pas besoin de l'extérioriser au travers du fameux mouvement de sortie de soi pour retourner à soi avec comme moment intermédiaire fondamental celui de la reconnaissance, puisque dans ce cas être c’est être reconnu. Ils n'en ont pas besoin parce qu’il ne peut pas y avoir de doute et donc pas de nécessité de confirmation. Mieux, l’être disparaît, c’est-à-dire la forme que doit prendre l'individualité, la pousse, pour reprendre notre comparaison, afin d’être reconnu. Et l'on doit bien noter que, justement, deux êtres qui se reconnaissent, réalisent simultanément qu’ils ont quelque chose en commun: l'être qui est une abstraction.

 

Dit autrement le flux de vie peut passer sans devoir prendre forme, d’autant plus qu’il n’y a plus de carapaces, de formes figées, puisque hommes et femmes sont sains, sans défenses, comme l’explique fort justement A.Janov.

 

Dans l'étude que Marx fait de la forme valeur, il apparaît que la forme soit ce qui permet d’unir le singulier à l'universel. Ceci apparaît très bien dans le fait que cette forme valeur inclut en elle deux formes, deux modalités d’être: la forme relative et la forme équivalent. La première est l'expression de l'individuel, la seconde de l'universel. Ceci s'affirme nettement avec la formation de l'équivalent général. Autrement dit la forme est ce qui permet la coexistence. Dans la société il en est de même pour les hommes et les femmes: vivre c’est adopter les formes adéquates. On dit: il faut mettre les formes! Dans la communauté immergée dans la nature, l'individualité est simultanément Gemeinwesen. La forme est inutile.

 

Pour préciser, revenons sur l'ensemble du développement. Avec la séparation du reste de la nature, s’effectue une dissociation de la totalité qui pose l'universel et l'individuel qui tendent à s’autonomiser. Une force devra surgir pour opérer une réunion. C’est l’État qui va donner forme aux hommes et aux femmes, les définir et permettre ainsi une réconciliation, par la contrainte, de luniversel qu’il représente et de l'individualité, le sujet. Il interviendra de même pour que se réalise le travail salarié en contraignant les hommes expropriés à vendre leur force de travail et permettre ainsi l'union de deux mouvements: celui dexpropriation et celui d’autonomisation de la valeur d’échange, point de dé part de la formation de la communauté-capital.

 

À partir de ces quelques remarques, on peut tenter d’expliciter un aspect de l'économie politique dont Marx fit la critique. Celle-ci au moment où elle se fonde au XVIII° siècle n’est pas une simple discipline s’occupant du problème de l'échange des marchandises, de l'argent, de la richesse, etc., elle est en même temps une sociologie et une psychologie. L’œuvre d’Adam Smith en est un bel exemple. Cela se comprend dans la mesure où les économistes cherchent à exposer ce qui se déroule: un mouvement entre les choses qui apparaissent pour les hommes et les femmes, et une réflexion sur les possibles de ce mouvement, sur sa raison d'être. L’histoire de l'économie politique montre que si l'aspect proprement économique tend à prédominer, la dimension psychologique n'est pas éliminée comme on peut le constater avec le marginalisme ou plus récemment avec les théoriciens de la nouvelle économie[9]. Nous tenons compte ici du discours exotérique de cette science. Ce que nous affirmons est encore plus vrai si nous considérons que les hommes et les femmes s’abandonnant au mouvement des choses, il y a bien isomorphie entre celui-ci et le mouvement entre les êtres humains.

 

En revanche, elle se distingue sans y parvenir totalement de l'éthique qui apparaît de plus en plus comme une discipline devant présenter, proposer un comportement compensatoire aux débordements provoqués par le développement du capital. Un phénomène analogue se produit par rapport aux pratiques médicales et biologiques. L’éthique devient de plus en plus importante au fur et à mesure que les horreurs dérivant de ces dernières s’accumulent.

 

Le développement de l'économie politique à partir de la fin du XVII° siècle correspond au moment où l'homme s’impose par l’intermédiaire du capital, c’est celui où se développe le mouvement de profanisation qui aboutira à l'humanisme. Elle est l'exposé du devoir être qui s’impose lors de la dissolution du mode de production féodal où les hommes se replient sur leur travail qui est alors exalté, mais dont ils seront séparés à cause du devenir du capital. Voici ce qu'écrivit John Bellers, "l'économiste le plus éminent de son temps’ selon Marx qui le cite (Le Capital, L.I, t. 2, p. 166, note 2, Ed. Sociales): "La science oisive ne vaut guère mieux que la science de l'oisiveté (...) Le travail du corps est une institution divine, primitive (…) Le travail est aussi nécessaire au corps pour le maintenir en santé que le manger pour le maintenir en vie; la peine qu’un homme s’épargne en prenant ses aises, il la retrouvera en malaises. Le travail remet de l'huile dans la lampe de la vie; la pensée y met la flamme. Une besogne enfantine et niaise laisse à l'esprit des enfants sa niaiserie."

 

Le discours des économistes est une justification de ce qui est advenu, considéré comme la réalisation d'un progrès devant se perpétuer. En revanche, Marx, dans sa volonté de faire œuvre scientifique, en exposant le mouvement du capital comme un fait objectif, en montrant le déterminisme implacable qui a conduit à sa genèse et à son développement et pousse à sa fin inévitable, nous donne à voir que la période de domination du capital était inéluctable et qu’il faut en tirer les conséquence, en particulier la dé gradation de l'espèce. Ce n’est pas le refus de l'advenu au nom de principes spirituels, qui la gouverneraient de façon permanente, qui pouvait ou peut la sauver. C’est seulement en essayant de prendre conscience des phénomènes qui, à l’origine, l'ont conduite à sortir du reste de la nature, à rejeter la nature en elle, qu’il est possible d’entreprendre une autre dynamique de vie. Car c’est par là qu’on peut comprendre comment s’articule la négation de la nature et la répression qui doit être renouvelée à chaque génération afin qu’il y ait adaptation à la voie adoptée par l'espèce. Ce que Marx n’a pas réalisé et que nous sommes contraints à faire.

 

Tout ce long détour pour aboutir à la conclusion suivante: on peut donc concevoir une réalité où il n’y ait pas besoin de formes autonomes. Il nous est possible maintenant de revenir à notre point de départ où il était question de l'opposition entre formel et réel.

 

Tout d’abord notons que l’opposition se fait entre deux adjectifs, attributs, alors que d’habitude elle opère entre deux substantifs, par exemple forme-substance, forme-contenu, forme-matière. En outre une forme peut être elle aussi réelle ou, pour rester dans le domaine des substantifs, elle peut relever elle aussi de la réalité.

 

En conséquence, que visait Marx en caractérisant ainsi deux pha­ses du devenir du capital? À notre avis il voulait indiquer que dans un premier temps la domination est superficielle; car la forme est à la périphérie, à la surface d’un corps. Dans un second temps elle concerne toute la réalité. Elle n’effleure plus.

 

Avant d’analyser les deux phases de la domination ou de la soumission, il convient de revenir sur la genèse du capital. Marx insiste bien dans ses divers travaux que celui-ci naît de la circulation[10]. Ce qui est totalement cohérent avec l'affirmation qu’il est la valeur d'échange autonomisée, qu’il est en mouvement car c’est un procès. C’est d’ailleurs à cause de ce dernier aspect que nous allons retrouver une multiplicité de formes. L’autonomisation qui le fonde se réalise du fait qu’au cours de sa circulation il traverse une période fondamentale: la consommation productive de la force de travail. En conséquence on ne peut parler de capital que lorsque cette dernière existe, c’est-à-dire que s’il y a travail salarié. Auparavant nous avons des formes de l'argent qui tendent à s’autonomiser. D’où l’aberrance de parler de capital marchand ou de capital usuraire pour les périodes antérieures à celle de l'apparition du capital à partir du XV°siècle. Parler de formes antédiluviennes du capital est encore une concession inacceptable.

 

Analysons de plus prés le phénomène. Avec l'apparition du capital, il y a conjonction de deux mouvements: celui de l'expropriation des travailleurs de la terre, de leurs moyens de travail, et celui de l’autonomisation de la valeur. C’est en même temps l'apparition du travail salarié. L’homme déraciné, exproprié ne peut accéder à l'effectuation de son procès de vie qu’en vendant sa force de travail (ce à quoi il a été réduit); d’où acquisition d’argent, de la valeur tendant à s’autonomiser. Il s’établit donc un nouveau rapport social et par là la forme capitaliste de production. Ce qui la caractérise c’est: 1° la destruction de la propriété privée, particulièrement de la propriété foncière[11], 2° la réalisation d’un rapport qui ne doit pas être rigide, fixe. Toute l'histoire de ce qu’on appelle le capitalisme est celle de la réalisation de la flexibilité des salaires. Voilà pourquoi il y eut la loi interdisant les corporations, les syndicats, etc. Comme ceci ne fut pas suffisant le mouvement du capital dut tendre à détruire la puissance de la classe ouvrière. Ainsi à l'heure actuelle cette tentative a pleinement réussi et il n’y a plus d’entrave à son déploiement.

 

Toutefois, dans un premier temps, il n’y a que substitution d'une forme; les éléments essentiels du procès de production sont encore ceux du mode de production antérieur (féodal dans le cas de l'Occident). "C'est justement par opposition au mode de production capitaliste pleinement développé que nous appelons soumission formelle du travail au capital, la subordination au capital d’un mode de travail tel qu’il était développé avant que n’ait surgi le rapport capitaliste." (Le VI° Chapitre inédit du Capital Ed. 10/ 18, pp. 194-195)

 

Marx insiste bien sur le fait que la différence réside dans l’échelle de la production: le nombre de travailleurs opérant ensemble est beaucoup plus grand. Ceci concerne le procès de travail. Pour ce qui est du procès de valorisation (qui remplace le procès de constitution de la valeur) la différence c’est l'allongement de la journée de travail qui permet l'obtention de la plus-valeur absolue[12]. Rappelons que pour Marx le résultat du procès de production immédiat du capital - union du procès de travail et du procès de valorisation - est la plus-valeur, et non la marchandise.

 

Comment se présente ce que Marx a appelé la soumission réelle du travail au capital: "La caractéristique générale de la soumission formelle y subsiste, a savoir la subordination directe du procès de travail au capital, quelle que soit la technique qui s’y exerce. Mais sur cette base va s’élever un mode de production capitaliste technologique et spécifique qui modifiera la nature réelle du procès de travail et ses conditions "réelles". Ce n’est qu’à partir du moment ou ce mode de production entre en action que se produit la soumission réelle du travail au capital." (Idem, p. 216) Ajoutons que la caractéristique en ce qui concerne le procès de valorisation, et donc en ce qui concerne le produit du procès de production immédiat, est la production de plusvaleur relative.


En conséquence du contenu de la citation de Marx, nous pensons qu’il eut été préférable de parler de soumission substantielle ou de domination substantielle; car il s’agit bien de substance. En dehors du travail vivant = capital variable, toute la substance du procès de production (à noter qu’à partir de ce moment-là Marx préfère parler de procès de production plutôt que de procès de travail) est bouleversé. Donc ce qui devient essentiel c’est la substance. Ceci est d’autant plus vrai que lors de la soumission formelle ce qui prédomine c’est le capital variable tandis que c’est le capital constant qui lemporte lors de la soumission réelle.

 

Cette dénomination se trouve en cohérence avec ce qu’affirme Marx à propos de la substance qui devient sujet grâce au capital. En effet répétons-le ce qui est essentiel et déterminant dans la première phase, c’est le rapport social qui se présente sous la forme de l'échange vA [13]. Or celui-ci n’est pas fixe, il favorise donc la pleine réalisation du capital valeur en procès, du fait que la force de travail permet la revitalisation du capital constant, la substance. D'où - autrement dit - la domination substantielle du capital est un moment de réalisation du devenir de la substance à l'état de sujet. Or ceci est une autre façon d’affirmer qu’avec le capital le travail mort domine de plus en plus l'ouvrier. C’est un moment de l’Einverleibung ou Verkopferung (qu’on peut traduire par incarnation) du capital et donc de son anthropomorphose.

 

Nous pouvons justifier la validité de notre dénomination à partir de cette remarque de Marx: "Presque dans tous les pays et à toutes les époques historiques que le mode de production ou la structure économique de la société soient insuffisamment développés nous trouvons l'argent porteur d’intérêt, l'argent qui pose l’argent, c’est-à-dire du capital formel." (Manuscrit de l86l-l863, l° partie, MEGA, II, 1 p. 26).

 

Il est formel parce qu’il est de la valeur d’échange tendant à s’autonomiser et qu’il n’inclut pas en lui la substance, le travail vivant, et plus précisément la plusvaleur. Le capital résulte donc de l'union d’une forme et d’une substance. Toutes deux préexistent. Toutefois c’est très périlleux de parler d’un capital formel, car c’est le faire exister bien avant qu’il n’apparaisse; ce qui justifie sa prétention à l’éternisation qui implique toujours une réécriture des événements historiques. L’expression n’a de puissance que pour souligner qu’il y avait la valeur d’échange tendant à s’autonomiser et que ceci se réalisait à travers une forme donnée, se manifestant concrètement dans le fait que de l'argent tendait à engendrer de l'argent (dimension usuraire).[14]

 

Le moment où se réalise cette union est celui où s’affirme le nouveau rapport social: le rapport capitaliste, le travail salarié. Et l'on comprend que de ce fait Marx parle de domination formelle (ou de soumission) dans le sens de superficielle. Le capital lors de son surgissement consiste à poser une nouvelle relation entre deux éléments préexistants et ce faisant il leur donne forme: la forme capitaliste. Celle-ci intègre donc la forme valeur et la substance, de la valeur. D’où, encore une fois, le capital est la substance devenue sujet. C’est la valeur en procès qui pour se réaliser a besoin de multiples formes[15].

 

Enfin n’oublions pas que pour réunir les deux il fallut la violence. Le salariat a été établi par la contrainte.

 

Dans Capital et Gemeinwesen j"ai montré qu’étant donné que le capital est la valeur en procès, il faut qu’il soit toujours en mouvement, être une fluxion et que donc il doit fuir (ou dépasser) tout ce qui le fixe. En conséquence il doit s’emparer du procès de circulation et fonder ainsi son procès de production global, unité du procès de production immédiat et de celui de circulation. Mais ceci n’est pas suffisant pour éliminer tous les obstacles à son mouvement devenant de plus en plus autonome. Il doit transformer toutes les présuppositions sociales, donc s’emparer de l’État (ce qui se réalise assez tôt) mais donner substance nouvelle à toutes les représentations. On passe dés lors à ce que j'ai nommé - en me fondant sur l’œuvre de Marx - la domination réelle du capital sur la société, qu’il vaudrait mieux nommer domination substantielle, car c’est effectivement sa substance qui est à l’œuvre, qui est en procès ( cf. par exemple ce qu’écrit Marx sur le monstre automatisé, ce monstre qui a le diable au corps!)

 

La subordination du travail au capital et la domination du capital sont deux aspects d’une même réalité. En conséquence - comme nous l'avons indiqué dans Note au sujet de la domination formelle et la domination réelle du capital in Capital et Gemeinwesen, pp. 108 sqq.) - Marx étudie comment s’accroît la subordination qui est une intégration du prolétariat dans le phénomène capital, comment celui-ci en fait sa propre substance. C’est l'autre face du procès d’anthropomorphisation que nous avons exposé dans ce même livre.

 

On doit noter que l'intégration se fait en particulier par la consommation, donc par la substance. "Ce qui distingue le rapport capitaliste du rapport de domination, c'est que le travailleur fait face au capital comme consommateur et porteur de valeur d'échange, en tant que possesseur d'argent et simple centre de la circulation. Il devient l'un de ces centres innombrables, infinis de cette circulation où sa déterminité en tant que travailleur s’évanouit." (Grundrisse, p. 323; Fondements, Ed. Anthropiens, t. 1, p. 378)[16]

 

Autrement dit l'ouvrier est pris au piège de la valeur. Mais celle-ci n’est plus qu’une métamorphose du capital. D’où, à un stade plus avancé du mode de production capitaliste, le piège est encore plus performant. "En acquérant a crédit - sans argent – l’ouvrier vend sa force de travail du futur, comme s'il vendait sa vie, et se faisait esclave." Bordiga

 

Le piége du crédit a été énormément accru avec l'inflation. "L'inflation c'est le crédit global que le MPC (mode de production capitaliste) se donne à lui-même et en cela le capital agit selon son être (...) L’inflation c’est l'imagination du système en ce sens qu'il projette une image de lui-même dans le futur, image ou toute contradiction est éliminée (...) l’inflation réalise l’utopie en devenir du capital: les hommes et les femmes se reconnaissent en lui (sinon ils ne pourraient pas le supporter), même s'ils luttent contre lui; d'ailleurs jusqu â présent c’est toujours contre ses conséquences qu’ils se sont élevés. L'inflation est fondamentalement anticipation " (C'est ici qu est la peur, c’est ici qu'il faut sauter in Invariance, série II, n°6, p. 09.)

 

Ce faisant le capital se plaçait sur le terrain des révolutionnaires pour qui la révolution est l’acte du futur qui doit résoudre toutes les contradictions et, dit de façon simpliste, apporter le bonheur. D’où la mise en évidence d’une convergence: "Avec l inflation il semblerait qu il y ait accord entre aspirations des hommes, déterminés désormais par des siècles de développement des forces productives, et le capital." (Idem, p.l0) Toutefois le débouché d’une telle convergence est une séparation encore plus grande de l’espèce par rapport au reste de la nature et par rapport à la nature en elle. "Avec l'inflation on a un mécanisme de déracinement total de l’espèce qui apparaît comme une libération vis-à-vis de l'immédiat du capital, moment nécessaire pour couper tout lien au passé, et l'emporter dans un tourbillon où elle perdra finalement tout souvenir de ce quelle fut pour qu’ensuite, le désarroi installé, les hommes et les femmes ne puissent plus se retrouver que dans la rationalité du capital." (Idem, p.l0)

 

"(…) car l'inflation est le moyen d’acheter l’espèce en lui faisant miroiter des lendemains travaillants et chantants. Par la c’est l'aboutissement de la volonté de l’homme d'être hors nature (...) l'inflation est incitation permanente à quitter la sphère immédiate, â renier l'être-la et â se propulser dans un devenir sur le mode de l’acquérir évanescent." (Idem, p 11)

 

Le résultat de ce déploiement exceptionnel de l'inflation fut de résorber totalement toute révolte prolétarienne à la fin des années soixante et dix, début des années quatre-vingt. Dés lors il fallait enrayer le phénomène, sinon on passerait de la mort potentielle du capital a sa mort effective. D'ou, depuis lors et jusqu'à nos jours, la lutte contre l'inflation couplée avec celle pour réaliser la flexibilité des salaires. Celle-ci réalisée, l'inflation n'est plus nécessaire, selon la logique des anciennes représentations qui n’intègrent pas le fait que le capital est allé au delà de ses limites et qu'il est mort potentiellement. En conséquence ce dont ont peur maintenant les opérateurs capitalistes c’est de la déflation: la chute des prix. Ce serait l’écroulement de toute l’immense construction effectuée sur la base du mouvement de la valeur puis sur celui du capital.

 

Pour préciser la notion de soumission du travail au capital nous avons débordé sur le devenir ultime de celui-ci. Ce qui nous importe d affirmer pour le moment c’est qu il a accru sa substance a partir de tout le travail universel (le résultat de la totalité de l’activité humaine antérieure) et qu'en capitalisant tout il s’est substitué a ce qu on pourrait designer la substance humaine; il a remplace tout l’inné en acquis.

Au cours de ce devenir il est parvenu â une forme réifiée. Or celle-ci inhibait son mouvement de capitalisation. La sortie de cette inhibition se réalisa au travers de l’autonomisation de la forme. Le moyen terme en fut l’accès au stade de représentation.

"Sous cette forme (il s’agit du capital porteur d’intérêt) le capital existe donc aussi, particulièrement, pour la représentation. Il est le capital par excellence." (Werke, t. 26.3, p.447)[17]

Cette autonomisation de la forme capital, cet échappement, cet aller au-delà de ses limites, n'a pu s’opérer que parce que le prolétariat a été englobé, puis tend â être éliminé. Nous avons insisté sur le fait qu’en 1956 le nombre des travailleurs productifs, c’est-à-dire ceux produisant la plusvaleur est devenu inférieur, a celui des travailleurs improductifs, ceux qui permettent la réalisation de cette plusvaleur, parce que c’est un moment fondamental, critique, dans le devenir du capital. Or ceci, d’abord opérant aux USA, s’est généralisé depuis â un grand nombre de pays[18].

Si on se place au point de vue du procès total de production du capital, on peut considérer que par ce moyen il consomme en fait hommes et femmes, et cette consommation lui procure jouissance d’une vie infinie et lui permet de réaliser ce que nous avons appelé, après Marx, son éternisation. Aussi la remarque de ce dernier souvent commentée par Bordiga: "Faire cette supposition, c’est supposer l’inexistence de la production capitaliste et, par suite, l'inexistence du capitaliste industriel lui-même. Car on supprime le capitalisme jusque dans sa base si l’on suppose que le principe moteur est la jouissance, et non l’enrichissement en lui-même." (Le Capital, L. II, t.4, p. 111, Ed. Sociales) était valable pour le moment de l’investigation ou il opérait; celui ou le capital s'édifiait, accédait a son être, un human being. En conséquence ce fut vraiment de l’immédiatisme de la part de ceux qui crurent que prôner la jouissance serait opérer dans une dynamique de négation du capital. En fait tous ceux qui opérèrent ainsi ne furent que pâture de sa jouissance.

 

Donc le capital s’est anthropomorphisé en remplaçant toute substance par la sienne propre et s est mué en une forme réifiée[19]. "Et dans cette forme totalement extranéisée du profit et dans la même mesure où la forme du profit dissimule son noyau interne, le capital acquiert de plus en plus une forme réifiée (sachliche), d’un rapport il devient toujours plus une chose, mais une chose qui a le rapport social dans le corps, qui l'a avalé, une chose se rapportant à elle-même avec une vie fictive et une autonomie, un être (Wesen) sensible suprasensible; et dans cette forme de capital et de profit il apparaît à la surface en tant que présupposition achevée. C’est la forme de son effectivité, ou mieux sa forme d'existence effective. Et c'est la forme sous laquelle il vit dans la conscience de ses agents (supports), les capitalistes, quelle se déroule dans leurs représentations.

 

Cette forme (métamorphosée) ossifiée du profit (et par là du capital en tant que son créateur, car le capital est raison, le profit la conséquence; capital cause, profit effet, capital substance, profit accident; le capital est seulement en tant que capital créant du profit, en tant que valeur qui crée un profit, une valeur supplémentaire) (...)" (Werke, t .26.3, p. 474)

 

Dans Capital et Gemeinwesen nous avons fait de cette citation le commentaire suivant (p.248). "Marx montre en fait que le capital réalise le projet hégélien (la substance devient sujet) et même le dépasse; il est réalisation et dépassement de la philosophie de Hegel (...) La forme immédiate sous laquelle le capital apparaît A-A' est donc la forme absolue à laquelle il parvient, de même que le savoir absolu est déjà dans l'immédiat du ceci et de sa visée (début de la Phénoménologie de l'Esprit). Il y a donc substitution du savoir par la forme. Cependant cette forme n’est plus la simple forme du début, elle est réifiée (sachliche indique le résultat, tandis que sachlichung exprime le mouvement de la réification) puisque la forme c’est le capital qui au départ était la substance sujet et ceci est concomitant à un autre renversement: le capital n'était pas une chose mais un rapport social; or il est de venu une chose ce qui implique que le capital a en fait englobé son rapport au travail salarié, de même qu-il englobe le fétichisme de la marchandise puisque, comme elle, il est sensible suprasensible."

 

Mais cette forme réifiée devient un obstacle à son devenir, à son procès. En conséquence il tend a s'autonomiser et y parvient, devenant une pure forme. Dés lors il disparaît et avec lui le travail salarié, comme cela advint à la fin des années soixante et dix en ce qui concerne l'Occident et le monde occidentalisé. C’est ce que nous avons appelé la mort théorique ou mort potentielle du capital. Pour qu’advienne sa mort effective il faudra que sa forme disparaisse.

 

Cette mort potentielle a été indiquée par Marx dans les Grundrisse où il a étudié le phénomène capital en tant que tel en essayant de comprendre sa genèse, son développement et sa fin. "La dernière forme d'esclavage que revêt l'activité humaine, le travail salarié d’une côté, le capital de l'autre, vient à être dépouillée, et ce dépouillement est le résultat du mode de production qui correspond au capital. Les conditions matérielles et spirituelles de la négation du travail et du capital, qui sont eux-mêmes la négation de formes antérieures de production sociale non libres, sont le résultat même de son procès de production." (p. 635, Fondements de la critique de l'économie politique, Ed. Anthropos, t.2, p. 276). Ce dépouillement peut être considéré comme la métaphore de la dissolution de la société-communauté du capital que nous vivons à l'heure actuelle. Il n'est pas question dans cette approche théorique de Marx, d’une intervention du prolétariat. Certes on peut récupérer celui-ci en le considérant inclus dans les "conditions spirituelles", mais à mon avis la non affirmation de son intervention doit être considérée en relation avec la mise en évidence de l’autonomisation du capital dont il est amplement question dans le même ouvrage. Tout cela a conduit Marx à intuitionner l’effectuation d’un possible - qu'il aurait voulu conjurer grâce à une intervention du prolétariat - parce quelle aurait pu selon lui engendrer violences diverses et régression. C'est ce que l'on constate aujourd’hui, mais avec l'émergence simultanée d’un mouvement de sortie de ce monde auquel Marx n’a pas songé.

 

Ceci peut paraître un replâtrage théorique. En fait un tel phénomène d'autonomisation s'est déjà produit au cours de l’histoire, ainsi pour le mode de production féodal. On peut dire que ce lui-ci connaît sa mort potentielle entre le l3° et le l4° siècle et qu’à partir de là sa forme s’autonomise. C'est celle d'une forme hiérarchique où se réimpose une unité supérieure  représentée par le monarque absolu. Ce phénomène fut rendu possible du fait du heurt équilibré entre propriétaires fonciers (nobles) et tenants du capital (bourgeois).

 

Une dynamique similaire se produisit en Russie où l'on eut autonomisation d’une forme avec une unité supérieure représentée par le tsar.

 

Pour en revenir à la valeur et au capital, il convient de signaler que l'autonomisation de la forme est une tendance au sein du devenir de la première qui s’épanouit avec le surgissement du capital. En effet la valeur est une donnée cachée au sein des marchandises, elle ne se manifeste qu’à travers les prix. La forme prix permet de relier luniversel, la valeur incluse dans toute marchandise et qui est déterminé par le temps de travail social nécessaire à sa production, à l’individuel, telle marchandise accédant à un moment donné sur le marché. En sorte que le prix peut être égal, inférieur ou supérieur à la valeur. Le prix étant une représentation de la valeur est une forme qui permet de valoriser même ce qui na pas de valeur. Autrement dit des choses peuvent avoir un prix sans avoir de valeur, parce qu’elles n’ont pas été produites par le travail humain. Par là se manifeste également la tendance à s’autonomiser par rapport à ce dernier et par rapport à la production, comme cela se réalise actuellement: tout est capitalisé même ce qui n’a pas été produit. Et ce mouvement a opéré à cause de la concurrence qui correspond à l'intervention des hommes (des capitalistes) dans le procès global du capital; intervention qui peut parfois constituer un obstacle au devenir de ce dernier. En conséquence avec la capitalisation de tout, le capital échappe à lintervention humaine; plus précisément il ne reste que la forme de cette dernière qui n’a plus de contenu, parce que les hommes et les femmes ont été capitalisés.

 

Les révolutionnaires se sont laissés obnubiler par la forme. Marx lui-même ne fut pas à labri de cette obnubilation. Il accorda trop d’importance au féodalisme, à la forme et pas assez au mouvement concret, substantiel qui n’était autre que le développement du capital. Quant aux autres cela leur permit de justifier la défense de la démocratie, du progrès contre le despotisme et la réaction et ce jusqu'à l'union sacrée en France, en Angleterre, etc...

 

La magie de la forme opère aussi chez les réactionnaires, ceux qui veulent réactiver une hiérarchie telle qu’elle opéra dans les sociétés précapitalistes en Occident. Elle alimente leurs discours, leurs approches théoriques; mais leur action se déploie dans une dynamique qui est celle du capital, parce que le milieu où ils opèrent et qu’ils ne remettent pas fondamentalement en cause est déterminé par celui-ci. Tout ce qu’ils peuvent réaliser c’est de tendre à greffer la forme désormais perdue sur une substance qu’ils voudraient maîtriser. Telle est la dynamique qu'on trouve dans les divers courants de la révolution conservatrice et sous une forme caricaturée chez les nazis. Ajoutons que les théoriciens de ce vaste mouvement ont été obnubilés par un moment du devenir du capital, celui où il réalise la domination de la substance. En conséquence ils se sont élevés contre la domination du capital considérée comme celle d’un matérialisme. Ils n’ont pas perçu l'autonomisation de la forme.

 

Pour mieux saisir cette incompréhension du mouvement du capital, il est bon de revenir en arrière au moment où celui-ci surgit. Il le fait au sein d’une société où il y a autonomisation de la forme féodale liée à l'anthropomorphose de la propriété foncière. Hommes et femmes sont liés à la terre; leur devenir est bloqué. Ce qui est essentiel c’est la vie de la propriété foncière, fondement de la hiérarchie au sens précis de donner une assise à une organisation sociale. À quelque niveau qu’ils soient au sein de celle-ci, hommes et femmes sont bornés, limités et ceci est présenté comme un fait de nature.

 

Dit autrement, l’anthropomorphisation de la propriété foncière - phase ultime de la résistance au mouvement de la valeur, point extrême de son rejet - a fixé hommes et femmes à la terre. Elle a borné leur horizon en leur donnant un enracinement qui pouvait calmer leur inquiétude d’être au monde. Le mouvement de séparation et d'autonomisation est enrayé. Le devenir externe de l’espèce, c’est-à-dire un devenir où l'essentiel du phénomène vie se déroule non dans l'intériorité de chaque composant de la société ou communauté, mais à l'extérieur: il concerne les choses, les produits. Ceci a pu atténuer leur inquiétude mais n'a rien résolu. En outre une telle solution recèle beaucoup d'ignominies. Avec le surgissement du capital il va y avoir destruction de cette propriété foncière et reprise du mouvement d’extériorisation.

 

"Dans toutes les formes de société où prédomine la propriété foncière, le rapport avec la nature est prépondérant. Sous le règne du capital, la prépondérance passe à l'élément social créé au cours de l'histoire." (Marx Fondements, Ed. Anthropos, t. 1, p. 37)

 

En conséquence, il y a destruction de l'idolâtrie de la nature comme Marx le nota, et abandon à l’extériorisation. Ceci a fasciné beaucoup d’hommes qui y ont vu une libération de la nature et, avec la rupture de l'immobilisme, la brisure d’un verrou, d'un immense interdit, qui permit un déploiement de formes. C’est ce qu’ont ressenti les hommes de la Renaissance qui centrèrent tout le devenir à partir de l'homme: déploiement de l'humanisme. De là le thème fréquent de l'homme miroir de toutes choses. Tout est jugé par rapport à l'homme ce qui est une sorte de première affirmation du principe anthropique[20].

L’instauration du mode de production capitaliste est simultanément la mise en mouvement de l'homme séparé de la nature, dépossédé. Ceci ne supprime pas son inquiétude. Au contraire elle s’accroît encore plus du fait de la perte des liens avec la mère, la nature. Pour la conjurer il ne reste aux hommes (aux hommes surtout, car les femmes sont réprimées dans leur tentative d’opérer au sein d’un autre devenir: lutte contre les sorcières) qu'a s’abandonner au faire - car le faire c’est l’homme comme l’affirma par exemple Ch. de Bouelle - à l'activité réclamée par le devenir du capital, non seulement le travail, mais le loisir, l'imagination. 

Déconnecté de tout, l'homme n’a plus de repère, ni de certitude. Il lui faut donc des signes pour savoir s’il est dans la voie juste, s’il est accepté de dieu, s’il a la grâce. Le signe essentiel est la réussite dans ce qu’il entreprend. Donc en s’abandonnant au mouvement externe, en accordant l’essentialité de la vie à l'objet (la réification la plus poussée: la médiation autonomisée), l'homme a encore plus besoin de signes, de formes (l'objet est lui aussi remplacé par un signe, un symbole) et, en faisant le saut jusqu’à nos jours, d’informations sur un devenir qui lui échappe. S'étant vidé de son contenu, de son innéité il peut se remplir de n’importe quoi et accéder momentanément à une certaine réalité. Toutefois le contenu dépend du mouvement externe des choses - sous la forme de marchandise capital, puis de capital - en conséquence il n’a pas de certitude d’être qui lui soit propre; il n’a qu’inquiétude. Pour la conjurer il cherche donc des signes, des formes qui puissent le mettre en continuité avec le tout. Mais du fait de l’anthropomorphisation du capital, de l’autonomisation de la forme de celui-ci, il ne peut y parvenir. Dés lors la solution c’est de s’abandonner totalement à l'immédiateté créée par le capital et de vivre dans le monde de l'information. Il y en aura toujours une qui lui permettra d'enrayer le déchirement posé par la fragmentation de son être, par la séparation de sa naturalité et la transformation de tout inné en acquis.

 

Précisons: lors du surgissement du capital, il y a un phénomène d’intériorisation avec un ancrage de la réflexion, de la recherche d’une solution dans l'homme individuel et le désir que le développement se fasse à partir de lui. Or c’est son activité, son travail qui est essentiel au capital. En conséquence naît l'illusion que le devenir puisse se déployer effectivement à partir de lui; que l'individu est la valeur suprême (humanisme). De là découlent les diverses constructions individualistes qui reposent toutes sur ce moment particulier où il y a rejet de la propriété foncière et de la hiérarchie, rejet d’une extranéisation et d’une dépossession toutes deux sanctionnées par la religion et sacralisées par le dieu au sommet de la hiérarchie.

 

La dissolution de la société dominée par la forme féodale autonomisée créa le possible d’une vaste remise en cause de ce qui était advenu avec la compréhension de l'importance de l'individualité et que la solution aux divers problèmes ne devait pas être tirée de l'extérieur: État ou dieu, mais de la naturalité de tout homme de toute femme, considérés dans leur union avec la communauté. Tel est le contenu du mouvement hérétique qui est contemporain de la genèse du phénomène capital en Occident. Cela s’affirme particulièrement à l'époque de la Réforme surtout dans l’aire allemande, pour se réimposer de façon percutante au cours de la phase révolutionnaire des années quarante du XVI° siècle en Angleterre. C'est alors qu’à nouveau réapparaissent les affirmations fondamentales: dieu est en chacun de nous (fin d’une extériorisation), il n'y a pas de péché originel (le mal n’est pas inné, il est le produit de la société), et la revendication d'une sexualité non réprimée, non entravée (jouissance possible ici et maintenant). Le défaut de radicalité, c’est-à-dire la non remise en cause totale de la famille, de la domestication-répression opérée par les parents à chaque génération, permit a la solution bourgeoise, individualiste de triompher. La contrainte de l’État sur tous les hommes libérés des entraves féodales permit l’instauration du salariat. Les deux phénomènes sommés rendirent possible l'essor au capital[21].

 

Au cours du mouvement d’abandon dans le faire, l’espèce s’adonna à la création et s’enivra de la multiplicité des formes qu elle fut apte à créer. C’est cette création continue qui l’exalte et lui permet de masquer la profonde inquiétude et le sentiment tragique de l’existence que divers auteurs ont signalé. Cette inquiétude détermina son interrogation sur le rapport de la forme à la réalite-effectivité, tout particulièrement au moment ou le capital prit un essor encore plus important avec le développement de la manufacture, comme Marx l’a montré à  propos de la philosophie de Kant pour qui ce qui est essentiel c’est l’activité du sujet. Lui-même apporta sa contribution en affirmant: l’homme est une activité sensible qui engendre des formes (la production); la réalité est effectivité. Ce faisant il entérina la séparation entre intérieur et extérieur puisqu’il y avait une donnée en dehors permettant ce procès d’effectivité: une réalité externe. Dans une certaine mesure on peut dire qu’il opéra, comme Aristote, un compromis (le fameux hylémorphisme aristotélicien) entre la forme, grossièrement ce qui est engendré par l’homme et qui relèverait de l’esprit, et la matière. Or ce compromis est en fait un compromis entre le devenir selon le pôle nature, celui des femmes (la matière, ce qui vient de la mère) et le devenir selon le pôle des hommes qui engendrent des formes autonomisées.

 

Le mouvement d autonomisation de la forme s’effectue en même temps qu il y a une dévalorisation de la nature, et avec l’approfondissement de la domination des hommes sur les femmes. Il est suggestif de noter que matière vient de mère et que le mot grec équivalent, hyle, vient de celui désignant le gland du chêne, ce qui signale l’importance originelle de l’arbre, de la forêt[22] . Des lors la femme est matière (ou substance) ou engluée en elle, l'homme est forme, ou donneur de formes[23]. Cela suggère que la séparation des sexes relève de l’acquis et que chacun des deux est porteur d’une portion de la totalité qui a été divisée. En conséquence leur union permet a chacun des deux de se retrouver dans une certaine unité. L’homme est un support d’unification pour la femme et réciproquement, mais il n’y a pas alors une réelle union; chacun se réapproprie un manque, mais n’accède pas à la réelle intimité avec l’autre et, par la, à la totalité, au cosmos.

 

La brisure d’une forme autonomisée avec le surgissement du capital à l’époque de la Renaissance s’accompagna, avons-nous dit, d’une floraison des formes. En revanche le rejet d’une telle forme a pu s'accompagner du refus de celles-ci. Nous pouvons le constater avec le mouvement gnostique du début de l’ère chrétienne. Pour les gnostiques, ce qui se manifeste est mauvais. Le monde apparent est le produit d’un dieu maléfique, d’un démiurge. Il y a une autre réalité en rapport à un dieu bon, mais caché qu on ne peut atteindre que par une gnose (connaissance) qui permet de voir au-delà de l’apparence.

 

Dans l’aire hindoue où se produisit également un phénomène d’autonomisation de la forme, celle de l’unité supérieure. Cela donna naissance à la représentation suivante: ce qui advient est l’apparence; c’est la forme superficielle qui emprisonne, c'est l'illusion (maya). Ce qu’on perçoit et qui s’impose à nous n'est pas la réalité. Il faut donc échapper à ce monde d’illusion et refuser ses formes. Et ceci se comprend fort bien car la forme est un interdit. Elle nous interdit de sortir d'un domaine; elle aveugle et englue. C’est un englobant qui peut tout récupérer. Engendrer une forme c’est limiter, d’où le refus de représenter dieu, de le figurer, exigé par certaines religions

 

Enfin pour finir avec ces quelques considérations historiques sur le problème de la forme, il est possible de mettre en évidence le surgissement de l’importance de celle-ci avec le procès de sédentarisation. Plus l’homme se fixe, plus il a en quelque sorte besoin de formes pour se libérer. En outre si les hommes se fixent, leurs produits circulent et deviennent marchandises: déploiement du mouvement de la valeur. Or celle-ci, comme Marx l’a montré, est inséparable de la forme. Donc les hommes conjurent le mal engendré par la sédentarité à l’aide du mouvement des choses, et à celui des représentations liées à celui-ci. L’homme fixé doit se représenter pour se situer dans l’univers. C’est une des raisons du surgissement de la géométrie qu’on peut considérer aussi comme un art de la production des formes. On doit noter que même lorsqu il y a une prohibition des icônes, les formes géométriques sont tolérées. Le cercle est le territoire dont l’homme occupe le centre, et il transférera cette forme dans le cosmos pour en justifier la perfection.

 

Revenons a notre époque. Comment la forme autonomisée du capital peut-elle perdurer ? C’est ici qu' intervient l’information. En effet la forme autonome du capital est k → k + Δ k. Historiquement on sait que le secret de l’incrément Δk réside dans l’exploitation de la force de travail (vv + p). À l’heure actuelle nous avons: I → I +Δ I. L'autonomisation de la forme est corrélative au mouvement qui fait que tout est devenu représentation tandis que celle-ci à son tour s’est en quelque sorte desubstancialisee pour devenir simple information. Le rapport de celle-ci à la totalité est le même que celui de l’acquis par rapport à l’inné. La forme capital enveloppe donc le devenir de l’information; d'où la dynamique schématisée plus haut. L' information acquise permet à celle que l’on détient d’être revivifiée, d’avoir à nouveau une forme signifiante, comme le travail vivant devenu capital variable redonnait vie au travail mort devenu capital constant et, en même temps, engendre un incrément d’information, sinon elle n’aurait aucun intérêt. Cette information accrue, engrossée peut maintenant s’affirmer [24]

 

En conséquence l'information apparaît comme un signal de la forme, ce qui lui incorpore un signe, lui fournit une signification; elle l’oriente dans une dynamique donnée. C’est avec le foisonnement de la publicité, monde de manipulation des signes que le règne de l’information s’est imposé. Or publicité de quoi, pourquoi? Pour le capital; pour quelque chose, pour une entité qui s’évanouit. L information fait revivre le mort comme le proletariat redonnait vie au cadavre pestilentiel de la démocratie[25].

 

Parvenu à ce stade du développement nous devons faire le point. Le capital s’est développé contre la nature et contre l’espèce humaine. Quand nous disons cela nous n’oublions pas que ceci s’est réalise par la médiation d’une lutte entre classes mais où la classe dominée, le proletariat, ne rompait pas totalement avec la représentation, voire avec la dynamique de son antagoniste, parce qu’elle ne remettait pas en cause la volonté de dominer la nature, ni la revendication de la coupure d’avec celle-ci. Nous y reviendrons. Lorsqu’il parvient à réaliser sa communauté matérielle ou substantielle, il devient seconde nature et réalise une immédiateté qui englue hommes et femmes. Il s’assujettit ainsi la matière (espèce humaine et le reste de la nature) lors de sa domination initiale formelle c’est-à-dire superficielle. Cela signifie qu’il est alors la forme d un contenu qui ne lui est pas spécifique, puis il s’assujettit surtout l’énergie et les hommes et les femmes dans leur dimension spirituelle, grâce à un énorme développement scientifique et technique, ce qui lui fait accéder à la domination substantielle, d’abord dans le procès de production immédiat, puis dans celui global. Au moment où sa forme s’autonomise à partir d’un contenu, d’une substance qui lui est propre (communauté matérielle), l’information s impose. Ainsi du début à la fin de son devenir il agit selon la même dynamique (qui apparaît comme son concept): la séparation. Mais lors de la réalisation de l’immédiateté susmentionnée les trois éléments (matière, énergie, information) qui furent en quelque sorte sépares se réunissent mais dans un ordre divers[26]. C’est une raison pour laquelle la représentation tend a disparaître comme nous l'avons déjà signale. Des lors c’est la fin du capital et celle de l'immense errance de l’espèce qui est un cheminement divagant.

 

Le devenir de l’espèce l’a conduite dans le monde de la virtualité qui est en train de se réaliser de nos jours. L’étude exhaustive de celle-ci ne ressort pas du domaine de cet article, parce qu elle requiert une diversité de recherches qui ont a peine été ébauchées. Nous visons pour le moment à évoquer des problèmes plutôt qu à les résoudre, ce qui viendra en son temps. Nous nous contenterons de quelques considérations en forme de linéaments

 

Auparavant il convient de revenir sur l'importance de l’information. Sa prise en compte de façon généralisée implique un changement de comportement de l’espèce dans son rapport à la nature.  En effet si un objet livre une information et n’est pas simplement matière et énergie indissolublement liées (la matière comporterait masse, énergie et information), cela implique que les choses ne sont pas seulement pour Homo sapiens, mais qu'elles s informent entre elles. Autrement dit, ce n’est pas l’homme qui donne un sens (donner une forme, c’est donner un sens), une signification aux éléments composant le cosmos. Ceux-ci existent indépendamment de lui. L’information que nous prélevons, constatons, est le mode selon lequel nous sommes affectés par la présence de telle ou telle entité. Je veux designer par là une chose ou un être vivant. Le monde est signifiant même sans l’homme. En tenant compte de ceci on peut concevoir l’attraction entre les éléments du système solaire qu’exposa Newton, comme un échange d’informations. Chacun des corps célestes transmet par sa seule présence dans le cosmos toutes les informations qui vont influencer les autres. La recherche des gravitons est peut-être totalement vaine.

 

On retrouve cette dynamique au sein de l’espèce humaine. La seule présence d’une individualité délivre de façon muette une foule d informations signifiantes à toute autre individualité, particulièrement à celle pour qui un profond amour est éprouvé. Il n'y a pas besoin de liaison particulière. Celle-ci relève du domaine de la possession et ne peut en définitive que faire obstacle au flux de vie passant d’une individualité à l’autre. Le silence est accueil d’une présence.

 

 

Donc, potentiellement l’espèce est mûre pour concevoir une autre relation avec le reste de la nature. Simultanément l’importance toujours plus grande accordée a l’énergie dont diverses formes, seulement soupçonnées auparavant, sont prises en compte, induit la reprise d'un comportement ancestral vis-à-vis de la nature, une autre perception de celle-ci. Cependant l’appréhension de l’information et de l’énergie se faisant de façon autonomisée cela favorise le devenir à la virtualité. Comment situer cette derniere?

 

De même que le capital s’est implanté à  la suite de l’union deux mouvements, celui de l’autonomisation de la valeur d’échange avec celui de l’expropriation des hommes, de même sa mort potentielle se réalise au travers de l’union du mouvement qui aboutit a la réalisation d’une virtualité telle quelle nous est offerte dans le monde mercatel [27] avec évanescence de la représentation, et le mouvement des hommes et des femmes cherchant depuis le début de la séparation d'avec la nature, à créer un monde sécurisant, un monde qui échappe en quelque sorte au devenir, un monde qu ils puissent maîtriser, manipuler. C’est le monde de la virtualité. "Les mondes virtuels, étant totalement synthétiques, on peut les programmer à volonté et, partant, ils sont un parfait instrument pour explorer de nouveaux types d'espaces, par exemple non-euclidiens." (Ph. Queau: Le virtuel. Vertus et vertiges. Ed. Champ Vallon) Dit autrement la mise en place de cette dernière résulte de la conjonction de deux mouvements: celui de l’autonomisation de la forme capital et celui de la spéciose de l’espèce: créer un monde artificiel, sans père ni mère et où donc, enfin, la souffrance serait abolie Une autre façon encore de l’indiquer est d’affirmer que la virtualité est à la confluence du mouvement externe et de celui interne. En conséquence nous pourrons trouver les germes de celle-ci dans toutes les productions humaines exotériques comme ésotériques. Il est probable que c’est dans ces dernières qu’on en trouvera le plus, par exemple dans l’occultisme.

 

Nous allons tenter d expliciter ce qui précède en commençant d’abord par définir ce qu'est la virtualité. D’entrée il y a une difficulté parce que ce mot ne semble pas avoir encore trouvé de définition. En revanche le mot virtuel est plus facilement définissable. Partons donc de lui pour déboucher ultérieurement sur virtualité.

 

Virtuel c est ce qui n'est pas réel puisqu il n’est pas immédiatement tangible (res c’est la chose). Ce qui existe et qu'on ne peut pas immédiatement capter. Je le distingue totalement de potentiel. Ce mot désigne quelque chose de caché, mais qui peut se manifester: passage de la puissance à l’actualisé à travers un acte, une action. Un tel devenir ne s’opère pas pour ce qui est virtuel qui est tout en lui-même et ne recèle, rien qui puisse advenir. C est une résorption du devenir auquel tendit depuis toujours la pensée spéciosée de l’espèce.

 

Pour mieux faire percevoir notre approche voyons comment ceci est traité par Ph. Quéau dans l’ouvrage précédemment cité. "Le mot virtuel vient du latin virtus, qui signifie force, energie, impulsion initiale. Les mots vis, la force, et vir, l’homme, lui sont apparentés. Ainsi la virtus n'est pas une illusion ou un fantasme, ou encore une simple éventualité, rejetée dans les limbes du possible. Elle est bien réelle et en acte. La virtus agit fondamentalement. Elle est a la fois la cause initiale en vertu de laquelle l’effet existe mais aussi ce par quoi la cause continue de rester présente virtuellement dans l'effet. Le virtuel n'est donc ni irréel ou potentiel: le virtuel est de l’ordre du réel." (idem, p. 26)

 

Ici se manifeste, selon nous, une ambiguïté qui se dévoile lorsque Ph. Quéau nous donne un exemple. "Le chêne est virtuellement présent dans le gland, la statue est virtuellement présente dans l’ébauche ou même dans le bloc de marbre brut, et c’est cette présence virtuelle qui guide le ciseau du sculpteur." p. 26.

 

On ne peut pas mettre sur le même plan le chêne et la statue. Le premier est bien potentiellement présent dans le gland puisque celui-ci contient la plantule. En revanche la statue n’est pas présente dans le marbre. Elle existe à l’état de projet dans le cerveau du sculpteur qui projette celui-ci dans le marbre brut. Curieusement cette forme de pensée rappelle l’animisme, ce qui confirme ce que nous avons dit précédemment. Mais c'est aussi le mode de pensée qui permet linstallation de la spéciose. Celle-ci pour s’établir a besoin de transferts et de projections multiples sur toutes sortes de supports [28]

 

Il y a une confusion: potentiel désigne un moment initial, virtuel désigne non seulement ceci, mais aussi l’état final puisque l'on parle de monde virtuel quand il s agit de quelque chose d’élaboré.

 

Ce qui est potentiel peut s’actualiser grâce à un acte, une action, qui n’implique pas obligatoirement l’intervention de l’homme. Ce qui est virtuel au départ peut être réalisé grâce a une activité humaine qui nécessite une technique très sophistiquée et cela reste virtuel, parce que pour l’atteindre il faut toujours un procès particulier. Il n y a pas d'immédiateté et ce même si les mondes virtuels nous produisent une immédiateté virtuelle.

 

Le potentiel y est rèsorbe. Il a été inclus dans une forme autonomisée, réifiée.

 

Pour bien comprendre ce qu'est le virtuel il faut tenir compte de ce qui le produit: langages formalises, calcul, etc, tout le monde de la forme. Tout ce qui va produire des formes réifiées.

 

Nous désignerons virtuel ce qui est projeté par l'homme et qui n'est pas saisissable, à l'instar de l’image virtuelle et, en même temps, le résultat de tout un procès technique qui se traduit par une simulation. Cela est totalement en concordance avec le processus de la spéciose qui est de tenter de rendre concrètes des situations imaginées et projetées. L’individu dans la mesure où il est ontosé vit dans le virtuel.

 

Ainsi il est vrai que "le virtuel est de l'ordre du réel". C’est réel parce que pour passer de la projection a son effectuation il y a nécessite d’un procès technique qui incarne en quelque sorte le virtuel (c’est le même phénomène qui eut lieu avec le capital). Mais dès lors qu'on a le résultat c’est-à-dire un fait virtuel qui participe a l’élaboration d'un monde virtuel, il n y a plus possibilité d'un devenir; tout est résorbé.

 

Je préférerais dire que le virtuel est de l'ordre de la réalité de l’homme, du mode selon lequel il se comporte vis-à-vis de ses semblables et du monde. Le virtuel est lie à la sxpéciose. Ou, si l on préfère, la spéciose nous fait vivre à l'état virtuel. L’ensemble des projections et des transferts que nous opérons constamment, et ce depuis des millénaires, est le virtuel dont parle Ph. Quèau en l'assimilant au potentiel. Tout le devenir de l’espèce réside en la tentative de rendre réel le virtuel. Cependant elle parvient à lui donner une consistance de telle sorte qu'elle accède a une réalité virtuelle, mais non réelle. Pour cela il a fallu qu’il y ait autonomisation de la forme, développement de l’abstraction et de la séparation (les deux sont liées). Cela permit la production de discreta à partir desquels il est possible de reconstituer une réalité; développement des langages formalises (mathématiques et logique). À ce propos, il convient de noter à quel point les nombres ont fasciné les hommes depuis Pythagore (et certainement avant) en passant par Leibniz et les créateurs de la Kabbale, pour donner quelques repères[29]. Il a fallu également un développement énorme de la technique pour rendre visible ce qui est invisible (ce que l’esprit humain a projeté) afin de simuler.

 

Je rappelle que tout ceci n’est qu une approche parce que pour appréhender réellement en quoi consiste la virtualité dans sa "réalité" (son existence) tant présente que dans ses préfigurations depuis des siècles, et que dans sa répercussion sur le futur de l’espèce, il est nécessaire d’aborder beaucoup de domaines. Tout particulièrement une approche plus systématique, plus fouillée du phénomène de la spéciose depuis son surgissement, s’impose ainsi que, simultanément, une tentative de saisir toutes les modalités qu’elle eut de s’exprimer. Ainsi la lumière a été le phénomène qui a peut-être été le plus utilisé par l’espèce pour dire ses aspirations et sa spéciose, les deux indissolublement liées. On peut le constater chez les mystiques, chez les philosophes, comme chez les scientifiques. Toutes les théories sur la lumière, l’optique, sont en rapport avec la façon dont les hommes ont essayé de résoudre leur problème interne: la coexistence de leur spéciose avec leur être naturel. Ceci est encore plus net aujourd’hui où s'impose une autre forme d'optique: l’électro-optique "qui permet de voir n'importe quoi, immédiatement, n importe où". (.P. Virilio, o.c. p. 159). Les recherches sur la lumière ont été conduites également par les peintres. Il y a coévolution, singulièrement à partir de la Renaissance, entre le développement de l’optique et celui de la  peinture. En outre les recherches sur la lumière sont connexes a celles sur la couleur. Qu'on pense aux travaux de Newton et à ceux de Goethe et à tout le retentissement que cela eut sur les peintres.

 

Toutes ces recherches pour exprimer une souffrance, opérer par-dessus elle, tenter de la dépasser (haufheben). Combien d’ébauches, on a là, du phénomène de libération. Nous y reviendrons.

 

Il est également nécessaire de s’occuper de tout le mouvement des neurosciences. Dans ce cas, l’arrière-fond thérapeutique est très évident, avec la pratique de la programmation neuro-linguistique.

 

Tout ceci nous conduit a faire une remarque en forme de confidence: il est certain que le projet de rédaction de cet article a transcru au fur et à mesure qu il était rédige. Mais comment ne pas transcroître quand on aborde de telles questions en compagnie d'hommes comme Marx ou  Bordiga, et quand on prend conscience de l’immense contrainte-pression à se libérer. Alors, tout se dévoile.

 

Ce qui nous importe pour le moment, c'est de bien mettre en évidence la dimension projective dans ce qui est virtuel.

 

"Le potentiel, c’est ce qui peut devenir actuel. Le virtuel, est la présence réelle et discrète de la cause." (p. 27) Mais qu’elle est la cause sinon une projection du désir de l’homme. Et effectivement cette cause est toujours présente, puisque son désir persiste et qu il ne s'en libère pas.

 

Dimension projective et prépondérance de la forme sont liées. "Hegel ne pouvait pas prévoir que les mondes virtuels nous feraient sortir des assignations spatiales statiques (le "côté", le "derrière"...) pour nous faire toucher l’objet en "soi", dans sa pure existence formelle." (p. 102)

 

Les mondes virtuels sont les mondes des formes réifiées que l'on peut donc construire concrètement et pas simplement imaginer.

 

Il faut parvenir à la forme pour déboucher dans le virtuel. La réalisation de la détermination "en soi" implique une abolition des déterminations qui se résorbent dans l’objet. Il n y a pas de devenir possible.

 

"Pour Aristote, la puissance, la potentia, c’est l’aptitude à recevoir une forme." (p. 27) Le virtuel c est la production de formes reifiees.

"(...) les images numériques ne participent pas directement du réel. Elles sont intimement créées par l’homme, ou plus exactement par des manipulations symboliques, des langages logico-mathématiques, des modèles..." (p. 19) Là on perçoit la nécessite de la contribution de tout le procès de connaissance, de la pensée symbolique, etc. Notons d’autre part la curieuse construction de la phrase. Qu’introduit le "ou plus exactement", puisqu il est toujours question de l’homme? C’est a mon avis une explicitation qui signale une autonomisation.

 

La contribution de tout le procès de connaissance s'exprime bien dans le tait que le virtuel ne peut exister que par la con­jonction de l'intelligible et du sensible.

 

"L'image propose une représentation visible, le modèle une représentation intelligible." (p. 22)

 

"Les deux domaines de l’intelligible et du sensible, des modèles et des images, jadis séparés, se voient ainsi réconcilies par l’intermédiaire des nombres, réactualisant inopinément l’antique problématique néo-pythagoricienne." (p. 30) [30]

"Chez les pythagoriciens, le nombre (arithmos) avait le même sens que le verbe (logos)." (p. 19)

L'être humain se presente comme un nombre complexe, autrefois appelé nombre imaginaire. En effet ce dernier comporte une partie réelle et une partie imaginaire. L’être humain recèle une partie réelle et une partie virtuelle (domaine de la spéciose) qui prend de plus en plus de place au détriment de la première.

 

Ce qui est fondamental dans la dynamique de réalisation de la virtualité, c’est l’intentionnalité puisque c'est elle qui détermine les projections et les transferts, sous l'action des empreintes que nous avons reçues. Restreignons notre étudie au moment présent.

 

"La "vertu fondamentale" des mondes virtuels est d avoir été conçus en vue d'une fin". (28) Tout d'abord le but apparaît comme celui de résoudre les apories de la mort potentielle du capital et pouvoir interpréter le monde en place et le faire perdurer.

"La fuite hors du "véritable" réel et le refuge dans les réels de synthèse vont sans doute permettre a nos sociétés envahies par le chômage structurel de fournir à des millions d’oisifs forcés des hallucinations virtuelles, des drogues visuelles, capables d’occuper les esprits et les corps, tout en développant de nouveaux marchés, et aussi sans doute de nouvelles formes de contrôle social." (p. 38)

 

C’est ce dernier aspect qui apparaît essentiel. "La puissance ubiquitaire et métamorphique des techniques de numérisation et de simulation permettra aux écritures virtuelles de jouer, à une échelle encore jamais atteinte dans l’histoire, pour le meilleur ou pour le pire, ce rôle de liant social, de lien, dans les deux sens du mot: la liaison ou le garrot." (p. 39)

Le garrot, quelle métaphore pertinente pour la spéciose! "On a des relations "réelles’ mais seulement par l’intermédiaire d’entités virtuelles. L individu devient plus productif (à rapprocher de la remarque: "Le marché potentiel est énorme.." p.3) mais il reste de plus en plus solitaire, quoique relié au monde entier. "(p. 77)

 

L'ontose est ce qui permet a l’individu de s’adapter au monde en place. Ce dernier devient progressivement un monde spéciosé, en conséquence il doit s'adapter a la spéciose. Ce qu'on peut traduire par: tout réel est virtuel et tout virtuel est réel.

 

"Si le virtuel peut contribuer au réel en le faisant advenir, nous ne sommes plus loin de penser que le réel peut être assimile, au moins quant à son devenir potentiel, à une sorte de virtualité réelle. La réalité virtuelle nous donne accès aux virtualités du réel. "(p.  47)

 

La finalité la plus importante apparaît comme étant celle de simuler ce que veulent les parents et en même temps celle d’essayer de leur échapper. Ceci nous est en partie suggèré par cette remarque de Ph.,Queau: "Les mondes virtuels sauront nous "divertir", au sens de Pascal (au sens de nous détourner, et le virtuel apparaît comme un détournement qui aboutit a une résorption de ce qui a été détourne n.d.r), de mieux en mieux... Ils nous feront préférer la richesse des métaphores virtuelles a la voie étroite de la vérité réelle." (p. 94)

 

"L’enfant qui naît et qui ouvre les yeux dans la lumière éprouve le sentiment d’une frustration intense, à la hauteur du bonheur tangible qu il éprouva pendant son immersion amniotique. (...) Pour lui le monde n’est pas encore une scène (une société du spectacle qu'il organise lui-même, n.d.r). Il lui faut apprendre à se déprendre de toute illusion d'unité, à renoncer a se penser inclus dans les choses comme un fœtus. "

 

Mais le mode de pensée lié à la virtualité inclut la pensée dans les choses pour leur donner une existence; donc nous sommes convies à revenir au fœtus!

 

Le virtuel est le piège du retour a l’origine: être toujours en relation avec la cause; donc possibilité de retour a un état posé comme originel qui est réifie, comme un fœtus congelé. Ce qui finit par son commencement.

 

"La banalité de cette expérience universelle n’empêche nullement sa profondeur et, dans le contexte des mondes virtuels, son ironique pertinence. En effet la fascination pour les mondes virtuels tient à leur capacité d’anamnèse, d’investigation et d’expérimentation philosophique, nous permettant de retrouver le choc et le sens du passage primordial.

 

"Il n’est pas facile d être présent. (...) L’évolution de la civilisation contemporaine nous incite de plus en plus à nous éparpiller, à nous déléguer et a à nous faire représenter." (p. 98)

 

 

Ici le phénomène de la spéciose apparaît nettement. On ne peut plus être présent au monde à cause de cette dernière. D’autre part  les parents demandent aux enfants d’être présents à eux. En conséquence être présent à soi, c’est-à-dire être en continuité avec l’être naturel et avec tout ce qui vit, est difficile a réaliser. "Le présent est, comme son nom l’indique, un don qu il faut s'efforcer de mériter toujours." (p. 107)

 

L’injonction à "s efforcer de mériter" est le contenu du discours des parents. Or le mot don signifie bien un présent, ce qui implique une offrande - c'est la dynamique de l'enfant vis-à-vis de sa mère - un cadeau, mais aussi une aptitude. Elle existe chez lui, mais elle s’étiole parce qu’elle n'est pas reconnue par ses parents[31] .

 

"Plutôt que de définir la présence directement, ce qui nous entraînerait sans doute à plus de métaphysique que de philosophie, il vaut mieux chercher à dessiner la présence par ses contraires, par les reflets de ses diverses négations, dans les images inversées de l’absence, de la représentation et de la distance." (p. 98)

Ce sont ces trois négations qui contribuent à édifier le contenu de la spéciose.

 

Réaliser la virtualité c'est atteindre un des éléments constitutifs de la finalité dont il a été question: escamoter le réel pour opérer par-dessus la souffrance et, ainsi, parvenir a un état plus heureux.

 

"Nous pensons que le virtuel peut nous faciliter le travail de mise en contact avec les autres, en nous évitant les fastidieux détours du réel, en supprimant le poids des craintes ou en assouplissant la rigidité des habitudes liées a la matérialité des environnements réels."

 

"La capacité de faire coexister virtuellement des réalités contradictoires est peut-être l'une des propriétés les plus intéressantes du virtuel, en particulier quant a l’amélioration des méthodes de coopération entre groupes humains. " (p. 63)

 

Mais cette coexistence avec la spéciose entraîne une impossibilité de voir, donc de pouvoir se séparer de celle-ci. Ceci est encore renforcé par le phénomène d’hybridation. "Il y a donc une hybridation intime entre le corps même du spectateur-acteur et l’espace virtuel dans lequel il est immergé." (p. 14) Abolition de la séparation pour réaliser la solitude parfaite. "Un nouveau rapport entre le gestuel et le conceptuel est alors envisageable. On peut même aller jusqu’à parler d’hybridation entre le corps et l’image, c’est-à-dire entre la sensation physique et la représentation virtuelle. (pp. 33-34)

 

La finalité implique que la réalisation du projet s’opère avec une séparation totale de l’être humain de son être naturel! Il faut une intense activité humaine pour que le projet aboutisse. En conséquence la virtualité est l’actualisation de toutes les potentialités imaginées. Donc elle résorbe tout: plus de progression, d'évolution possible. C’est l’impasse absolue. Le devenir technique, lié au lancement de lespèce dans le faire, la production, dans le mouvement du capital, permet d'atteindre la réalisation de tous les possibles dans leur résorption dans le virtuel.

 

Etant donné que l homme projette son monde intérieur et le matérialise, la formation d un nouvel environnement, d’une troisième nature tend à s'effectuer. "La technologie devient une  sorte de "nature", une "jungle" si l’on préfère, qu’il faut apprendre à apprivoiser si l’on veut survivre." Donc tout est à recommencer, il faut faire comme pour la vraie nature: la dominer; ou alors produire une quatrième nature. Cela n'a pas de fin.

"La nature essentiellement abstraite de l'image de synthèse se double d’une faculté éminemment concrète de saisir les sens du spectateur et de créer une impression physique forte, prenante." (p. 33)

 

"L'image virtuelle devient un "lieu" explorable, mais ce lieu n’est pas un "espace", une condition a priori de l'expérience du monde comme chez Kant. Il n’est pas un simple substrat dans lequel l’expérience viendrait s’inscrire. Il est l’objet même de l’expérience. (p. 34)

 

L’édification de la troisième nature implique une déconstruction de l’environnement et des catégories nécessaires pour le percevoir. Nous avons déjà vu que le temps s'évanouit. Que reste-t-il de la nature naturelle? « La "nature" est devenue de fait la dernière catégorie du réel à pouvoir  être opposée radicalement au "virtuel’. Elle sert de référence ultime pour nous aider à distinguer en nous ce qui lui appartient encore et ce qui lui échappe désormais, absorbé par le tourbillon des jeux symboliques. » (p. 76)

 

« Mais noublions pas que la "nature" est une invention moderne..." (p. 76) C’est logique car on nomme ce dont on se sépare[32].

 

"Notre pseudo-nature est un ensemble enchevêtre de codes et de techniques, de cadres préformés de pensée et de normes sociales imposées."(p. 76)

 

"Mais, à la différence de la nature réelle, la "nature" virtuelle ne permet pas de distinguer clairement les frontières entre le sujet et son environnement." (p. 77) Autrement dit: entre le sujet psychosé  et le monde psychotique . Ceci est un grave danger pour  l’espèce. Ph. Quéau nous en signale d autres.

 

"Une tendance à la déréalisation saisit toutes les personnes qui prennent trop goût a la perfection propre des mathématiques ou bien à la rigueur ludique de l’informatique. (p. 40)

 

" De plus en plus, on pourra désirer se contenter de ces simulacres de réalité, pour peu que le monde réel semble trop hostile, trop inhospitalier, ou pour peu que ses voies d’accès semblent hors d’atteinte. Nul doute que le virtuel devienne dès lors un nouvel "opium du peuple". (p. 4l)

 

"Un danger encore plus grave est celui de pervertir notre rapport à notre corps même." (p. 4u)

 

"Le problème le plus aigu sera celui du retour au réel." (p. 4-/)

 

"Le risque majeur de la dichotomie du réel et du virtuel est de faciliter la désincarnation de notre personnalité profonde, induisant un isolement affectif et spirituel accru." (p. 48) Ce que je traduirai en disant que c’est la perte de toute capacité d'accueil, qui va de pair avec le renforcement de l’objectalite.

 

Mais n y a-t-il pas des limites à la virtualisation de toute vie [33]. "Or, quel que soit le degré de la virtualisation, le corps réel reste toujours intimement présent a soi-même. Il faut donc, in fine, toujours en revenir au corps, à cette substance irréductible, qui nous unifie en tant qu’être. Après les rêves de désincarnation, de libération symbolique, il ne faut jamais oublier de retourner dans le réel, sans regret et si possible sans maladresse, parce que c’est notre demeure naturelle, notre essence initiale. L'oubli du corps se paie toujours trop cher pour les avantages relatifs qu'il autorise certes, mais aux dépens de plus fondamentales détresses."(p. 78)

 

Ici se manifeste la possibilité de combiner cela avec toutes les pratiques qui sont fondée sur une redécouverte du corps. Mais ceci ne peut être qu’une thérapeutique permettant de subsister, manifestant le point de l’errance fondamentale: la libération symbolique - reflet de la dynamique de la psychose – à laquelle on essaye d’adjoindre une récupération du corps.

 

"Le rôle prédominant du corps dans le système virtuel en tant qu'élément actif et moteur, et non pas seulement récepteur passif et immobile..." (p. 16)

 

"Notre corps, lui, n'est pas virtuel, et ne peut jamais l'être. Le corps n'est ni un symbole, ni un symptôme. Il est, bien plus que l’espace kantien, une condition essentielle de notre expérience, qu’elle soit réelle ou virtuelle. On ne peut jamais s’en abstraire, même par le rêve. Une overdose et c’est la mort."

 

"Les mondes virtuels sont des non-lieux. Mais nos corps ne peuvent jamais être des non-corps. Cette confrontation entre non-­lieux et vrais corps est le nœud du problème du virtuel." (p. 85)

 

Mais le corps tout seul n’existe pas, de même qu il n’y a pas une conscience toute seule. De ce fait c'est l’irréductibilité de l’être naturel, non-domestiqué à qui tout le virtuel signale l’immensité de la perte et la condition sine qua non de parvenir a une affirmation: le rejet de tous ces mondes virtuels, l'abandon de la virtualité [34]

 

On n a pas à donner une forme nouvelle à ce qui est, à la réalité, à ce qui s’effectue. On n'a pas à virtualiser. La certitude au monde libère de la nécessité de savoir ce qu’est la réalité, abstraction pour designer le cosmos. On doit le vivre.et l’espèce doit réaliser sa propre forme déterminée par le devenir de tout le phénomène vie. De même au sein de la communauté, personne n'a besoin de prendre une forme spéciale pour exister. Ce qui compte c’est sa présence qui témoigne d une modalité de vie.

 

Si on rejette la problématique de la forme, de la réalité effectivité et de la virtualité, on remet totalement en cause tout le procès de connaissance tel qu il s’est déployé depuis la séparation d’avec la nature. Certains poseront alors la question: que faire de la technique, de la science, de l'art, du langage verbal même qui recèle en lui une dimension de séparation [35], et de bien d'autres manifestations de l'espèce? Je répondrai: l’humanité doit d’abord avoir pour objectif de se libérer de sa spéciose pour pouvoir, non affronter (elle doit le faire dés maintenant), mais pour résoudre les problèmes que posent ces différentes activités. 

L’espèce doit se dévoiler a elle-même en s’immergeant dans la nature et en accomplissant sa fonction inscrite dans le devenir de tout le phénomène vie.

 

 

CAMATTE Jacques    -     1995 - Mars 1997

 

 

 



[1]  Ceci a été étudié dans Capital et Gemeinwesen (Ed. Spartacus). La distinction entre les deux phases a été importante pour périodiser le phénomène capitaliste. On y reviendra dans ce présent article. En outre cette étude concerne beaucoup de questions entrant dans ce que nous nommons le procès de connaissance. Celles-ci seront souvent effleurées; leur étude plus approfondie viendra ultérieurement

 

[2] Dans la première édition du Capital Marx écrit- "Nous connaissons maintenant la substance de la valeur, c’est le travail. Nous connaissons la mesure de sa grandeur, c’est le temps de travail. Il nous reste à analyser la forme, cette forme qui donne à la valeur le caractère d’échange." (p.31)

 

Il semble qu’ici Marx pense que la valeur préexiste à la valeur d’échange. Il est dommage qu il n’ait pas aborde le problème de l’origine de la valeur (cf. note 4).

 

[3] "Il en va autrement de la forme valeur qui n’existe que dans le rapport de marchandise à marchandise. "Première édition du Capital, pp. 57-59) La même idée est exprimée p. 94 du tome 1, L. I. du Capital, Ed. Sociales.

C’est donc l’èchangéabilite qui est le fondement de la forme.

 

 

[4] D’après d’autres analyses de Marx, il semblerait que ce soit l’activité humaine qui, à l’origine, soit potentiellement valeur.

"Si nous disons: en tant que valeurs les marchandises ne sont que travail humai coagulé, notre analyse de celles-ci se réduit à l’abstraction valeur, elle ne nous donne pas de forme valeur différente de sa forme naturelle. Il en va autrement dans le rapport de valeur d’une marchandise à une autre. Son caractère surgit de son propre rapport a l’autre marchandise. Le Capital, Ed. Sociales, L.I, t.1, p.65)

 

On peut interpréter ceci en disant que le travail humain n’est que potentiellement valeur. On n’accède à sa réalité de valeur que par l‘abstraction. C’est donc en ce phénomène de potentialité de la valeur que réside l’idée qu’il puisse y avoir valeur avant valeur d’échange.

 

"Il ne suffit pas cependant d’exprimer le caractère spécifique du travail en quoi consiste la valeur de la toile. La force de travail humaine à l’état fluide ou le travail humain constitue la valeur. Il ne devient valeur qu’a l’état coagulé dans une forme objectivée. (Idem, p.65)

Ce qui est donc l’essentiel, mais apparu secondairement, c’est la forme objectivee sans laquelle la valeur ne peut pas apparaître. En outre l’objectivation incluse dans ce procès est grosse d'une aliénation (cf. note 08)

 

[5] Ce qui nous intéresse dans le cadre de cet article c’est le problème de la forme. Or il peut se résoudre au niveau de la forme simple de la valeur. Ajoutons toutefois que celle-ci joue un rôle dans tout le reste du procès de constitution de la valeur. Par exemple en ce qui concerne la genèse de l’équivalent général. "Le procès d’échange donne à la marchandise qui se transforme en argent non sa valeur, mais sa forme valeur spécifique." (Le Capital, L.I, t.1, p. 101, Ed. Sociales)

 

L’équivalent général (l’argent) c’est la marchandise dans laquelle toutes les autres se mirent, vis-à-vis de laquelle toutes s'équivalent.

 

La dynamique de l’équivalent général peut se retrouver dans divers domaines. Le paradoxe du menteur, nous en fournit un exemple. Un crétois dit: tous les crétois sont menteurs. Cela veut dire qu’un élément s’exclue de la totalité, ou bien en est exclu, et représente les divers éléments de celle-ci. C’est lui qui fonde les autres. Le paradoxe veut que l’exclu dise qui il est, tout en disant qui sont ceux par qui il a été exclu. C’est bien ce qu’on voulait que l’or - en tant qu’équivalent général - exprime.

 

On peut trouver la même dynamique, avec ses limitations analogiques, dans l’exposé du théorème de Gödel. Dans ce cas pour que la dynamique du capital - lequel remplace l'or et la valeur qui ne parvient pas à l’autonomie - puisse se poursuivre, il faut qu’il y ait dépassement des limites, c’est-à-dire des pôles d’exclusion. Celui de l’équivalent général et celui de tous les éléments qui s équivalent a lui. Il faut donc sortir du cadre où s est déroulé jusqu’alors le mouvement de la valeur.           

Au sein d’une pensée participative, la nécessite de trouver un élément fondateur, législateur, ne s’impose pas. Ce qui exclue la dynamique de recherche d’un méta-quelque chose, puis d’un méta de méta, et ainsi de suite

 

[6] Voir à ce propos: Messages des hommes vrais a un monde mutant de Merlo Morgan, Ed. A. Michel. "Nous fêtons celui qui, par rapport à l’année précédente, est devenu meilleur et plus sage. Comme chacun est seul a pouvoir juger de ses progrès, c'est lui qui dit aux autres que le moment est venu d'organiser la fête."

 

Ces "hommes vrais’ sont ceux d une tribu australienne qui a échappe au contrôle du gouvernement australien et qui a essaye de maintenir son antique mode de vie. Hommes et femmes se déplacent en chantant a travers leur territoire. Tout a une signification et ils célèbrent par la voix, essentielle pour eux ("La voix est faite pour chanter, pour célébrer et pour guérir "), tout ce qui existe dans leur environnement.

 

Ils vivent en symbiose avec la terre et communiquent par télépathie. En outre Merlo Morgan indique qu'ils ont divers pouvoirs, perçoivent des vibrations variées.

 

Ce qui nous interpelle le plus c'est qu ils pensent qu'ils ne peuvent plus continuer a vivre a cause de l’œuvre des mutants (les occidentaux et les occidentalisés) et qu ils ont décidé de disparaître. Pour cela ils ne se reproduisent plus.

 

Peut-être que notre pensée, et celle de bien d autres de par le monde, signalant une inversion profonde en train de se réaliser en Occident, parviendra jusqu'à eux et qu ils pourront alors modifier leur décision.

Bruce Chatwin dans son livre The Songlines (Les voies du chant) que nous avons lu dans sa traduction italienne (Le vie dei canti, Ed. Adelphi), confirme beaucoup d’affirmations de Merlo Morgan. Il avance l’hypothèse que le chant est un moyen de marquer le territoire, l’espace terrestre où s’est implante une communauté. En même temps les événements la concernant servent de référents sur les voies de déplacement. À partir de la il fait un rapprochement entre les métamorphoses dont parlent les aborigènes, par exemple, des rochers ayant la forme d un certain animal résulteraient d’une métamorphose où l’homme et la femme sont impliqué-e-s, et celles de la mythologie gréco-latine. Elles relèveraient d une même dynamique de vie: signaler des événements importants pour la communauté. À ce propos, une remarque tort importante: ce qu il parait, c'est la ligne mélodique, indépendamment des paroles, qui décrit le type de terrain sur lequel passe le chant." (p. 146) "Donc une phrase musicale est une référence géographique." Dans une certaine mesure l’espèce marche en se représentant elle-même et tout ce à quoi elle participe. Ajoutons que ce faisant la communication est possible même entre tribus parlant des langues diverses.

 

Chatwin tend a privilégier le nomadisme, mais il n’affronte pas en profondeur la question de la nocivité de la sédentarité pour l’espèce. En outre il ne pose pas que le nomadisme actuel est une réaction à cette dernière. Tous deux forment un couple à partir du moment ou l'espèce a abandonne son comportement rayonnant: un déplacement sur un immense territoire où il n y avait pas de voie privilégiée. La voie en tant que telle s'impose lorsqu'il y a un parcours rigoureux, comme une fixation au territoire. Or, Chatwin lui-même signale: "À ce qu il parait il existe dans la profondeur de la psyché humaine une connexion entre "trouver la voie" et la "loi". La voie devient une médiation et n'est plus une immédiateté voire une immédiation. Elle devient un referant pour la loi. Rechercher simplement la voie, c est rester dans l 'oubli d une immense perte.

 

Nous reviendrons sur la notion de voie apparue dans différentes aires géosociales (Maat, Sharia, Tao, par exemple). En même temps nous essayerons de dévoiler la charge émotionnelle des mots voix, voie. Une seule remarque en attendant: l’enseignement de Bouddha est un refus de la sédentarisation en même temps qu une acceptation du mouvement de la valeur. Pour élucider cela nous rappellerons que celui-ci, dans sa dimension verticale, est le phénomène par lequel des objets se chargent de qualités humaines (ceci opère déjà dans la dynamique du don et du contre don; ne pas oublier que don signifie aussi aptitude). Dans sa phase horizontale, il y a une mise en mouvement des choses de façon généralisée, alors que les hommes se figent. La voie du milieu de Bouddha est la voie intermédiaire - qu-il ne faut pas quitter de peur de se perdre parce qu il y a eu perte de la rayonnance - celle entre les différents opérateurs, ou l'impermanence des marchandises favorise la tendance a l’éternisation de la valeur. Ce qui se réalise avec le capital. C'est une des raisons pour lesquelles le bouddhisme, comme certains l’ont relevé, en particulier F. Bochet, n’est pas antagonique à ce dernier. La voie du milieu c’est la voie de la valeur; celle qu'hommes et femmes empruntent a partir du moment où ils se séparent de la nature. Elle sera intégrée dans le devenir du capital au sein du mouvement duquel une rayonnance tend à s imposer. Ce n est pas une voie éternelle.

 

Revenons a B. Chatwin et à Songlines il affirme que les armes furent inventées afin de se défendre contre les grands carnivores; ce qui me séduit beaucoup; j’y reviendrai.

 

Dans un autre livre Anatomie de l’inquiétude (lu en traduction italienne, Anatomia dell irrequitezza, Ed. Adelphi) il parle de "l’alternative nomade". "Les vrais nomades n'ont pas de demeure fixe. Ils compensent ce manque en suivant des itinéraires immuables de migration." (p. 94) Autrement dit ils s’enferment dans un espace plus vaste qui leur est sûr, qui est leur repaire.

 

L’origine de l'inquiétude n’est pas clairement déterminée. Provient-elle de la sédentarisation ou de l'errance nomade? B. Chatwin met en évidence deux tendances chez l’homme: vagabonder d'une part, avoir une base, une espèce de lieu d'enracinement d'autre part. Toutefois il semble bien que pour lui l’inquiétude serait liée à la sédentarité. Ce n'est pas pour rien qu’il parle d’alternative nomade.

 

Il note qu’à l’heure actuelle une grande part de la population mondiale est en mouvement comme jamais auparavant. Il cite les touristes, les hommes d’affaires. Cela peut-être considèré comme un refus de la sédentarité. Toutefois, à mon avis, pointe déjà un mouvement en sens inverse qui conduit a une autre sédentarisation avec la réalisation des mondes virtuels.

 

Divers auteurs (poètes ou philosophes) ont souligné le fait qu’à l origine l’homme devait chanter noter que la poésie lyrique précède tous les autres genres littéraires), d’autres ont souligné le rapport organique, un rapport, à mon sens, quasi incantatoire entre la marche et la parole. Je signalerai uniquement le témoignage de Ossip Mandelstam: "L’Enfer et surtout le purgatoire sont une célébration de la marche de l'homme, de la mesure et du rythme du pas, du pied, de sa forme. Le pas, associé au souffle et imprègné de pensée est pour Dante le principe de la prosodie. Pour évoquer la marche il recourt à une foule de tournures charmantes. (Entretien sur Dante). Je pense qu’Ossip Mandelstam et Dante ne m’en voudront pas si je dis que ce dernier aurait pu intituler son ouvrage fondamental non pas La Divine comédie" mais La voie des chants

 

Je citerai encore la phrase suivante: "Le pied du vers inspiration et expiration - est un pas." parce qu elle m’a fait souvenir que le mot pied était autrefois utilisé pour designer la syllabe d'un vers, souvenir du rapport pleinement vécu entre la marche et la parole.

 

[7] On peut dire qu il y a souvent confusion entre liberté et spontanéité; voir en particulier Stirner.

 

[8] Ce besoin de reconnaissance est un des fondements essentiels de l’aliénation. En effet, nous l avons vu, la valeur n'est que si elle s’extériorise et celle-ci s'effectue dans une objectivation. Or pour Hegel c est en cette dernière que se résolvait l’aliénation. Ici, le lien avec Marx consisterait en ce que l’aliénation - au sens de perte de soi - n'adviendrait que si cette objectivation (réalisation d une objectivité = Gegenstandlichkeit) n’entraînait pas une reconnaissance.

 

"Pour exprimer que sa sublime objectivité valeur (Wertgegenstandlicnkeit) est différente de son corps compassé, elle dit que la valeur ressemble a un habit et par là qu’elle est elle-même - en tant qu’objet valeur (Wertding) - analogue à l’habit comme un œuf à un autre." (Le Capital, L, I, t, 1. p. 66 des Ed. Sociales).

 

L’homme aliéné, psychosé, voudrait bien que l’on reconnaisse ce qu’il y a de sublime en lui et qui a toujours été nié par suite du phénomène de répression opérant depuis sa naissance.

 

[9] Voir Variante et complément au sujet de l’anthropomorphose et de l’échappement du capital, partie finale  de  L’écho du temps, in Invariance, série III, n°7.

 

[10] Voir à ce sujet Capital et Gemeinwesen.

 

[11] Voir Bordiga, Propriété et capital: "Le capital est une force sociale dont la dynamique a des aspects bien plus complexes que ceux d'un platonique droit de propriété."

 

[12] Ensuite se produit un allongement de la journée de travail afin de rentabiliser l’emploi de la machine. Mais, alors, on est parvenu dans la seconde phase.

 

[13] "Le rapport d’échange a complètement disparu ou n'est plus qu'une simple apparence (blosser Schein)." Grundrisse, p. 362). Dans la traduction française parue aux Ed. Anthropos, t. 1, p. 422, il est indiqué: "ou n’est plus qu un simulacre". Il est exact que Schein peut être traduit par ce dernier mot. Toutefois pour rester en cohérence avec la pensée de Marx, il me semble qu'il vaille mieux traduire par apparence. Le lecteur doit noter également que Schein contient les idées de semblant, d’illusion, de forme, de surface, de façade. D’ou sa puissance expressive. En outre le verbe erscheinen = apparaître, se manifester, est formé à partir de Schein. En conséquence erscheinen indique que les choses deviennent discernables, parviennent a l’existence pour nous.

 

[14] Cette affirmation de K. Marx requiert une précision. La forme prééxiste au sein du mouvement de la valeur avec l’argent dans sa troisième fonction, monnaie universelle. Pour accéder à l’autonomie, l’argent (la monnaie universelle) doit acquérir un contenu, une substance, d’où la genèse du capital, qui est bien la substance devenue sujet. Surgit alors une complication en ce qui concerne le rapport forme et réalité (forme et réel), car il semblerait, dés lors, que le mouvement s’opère ainsi::  une forme qui recherche un contenu, conduisant, pour le capital, à une domination formelle c’est-à-dire superficielle; d’où - rejouement - la nécessité pour cette domination formelle, non pas d’accéder à un contenu mais à ce que ce contenu, cette substance, devienne sujet, donc domine pleinement. Mais - nouveau rejouement - l’autonomisation de la forme capital, l’évanescence de la substance, posent la nécessité pour la forme autonomisée de trouver à nouveau un contenu, une substance; d’où le développement de la virtualité.

 

L’exposé concernant le rapport forme réalité, suggère deux remarques:

 

1° L’enfermement de l’espèce dans un devenir implacable dont il ne semble pas qu’elle puisse en sortir, à parvenir à s’échapper de diverses formes.

 

2° Le problème de la forme obsède  K. Marx : il essaie de sortir d’une forme qui lui  fut imposée – à travers la répression parentale, sociale – et dit son puissant désir d’affirmer sa propre substance, celle qui induit sa forme véritable. Il dit:  je suis une forme sans mon contenu. [note de mai 2010]

 

[15] Pour plus de précision sur cette question je renvoie a l'article: À propos du capital in Invariance, série II, n° 1.

,

[16] Nous avons déjà utilise cette citation dans l’article Déclin du mode de production capitaliste ou déclin de l’humanité, Invariance; série Il, n° 3, p. 59.

 

[17] L'autonomisation de la forme est en germe dans la valeur d’échange. "La valeur d’échange ne peut-être en somme que le mode d’expression, la "forme d’apparition" d’un contenu dont elle est discernable." (Le Capital, L. I, t. 1, p. 53). [Mais cette forme s’autonomisant tend à aspirer un contenu et c’est alors le capital formel dont il est question dans la note 14 – ajout mai 2010].

Marx inclut la forme dans le concept de valeur. "Toutefois, la chose d’importance décisive était de découvrir l’interconnexion interne nécessaire entre la forme valeur, la substance de la valeur et la grandeur de la valeur, ou, pour prendre une expression idéale, elle était de démontrer que la forme résulte du concept de cette valeur." (Première édition de Le Capital, p. 90)

 

L'autonomisation de la forme, en germe dans le concept de la valeur, ne se réalisera qu’avec le capital dont le concept inclut la séparation et dont tout le devenir est parachèvement de cette dernière. Pour le dire autrement: puisque le capital est valeur en procès, cela implique qu elle sorte, pour ainsi dire, de son concept et se déploie dans le dépassement (Aufhebung) qu est le capital.

 

[18] Nous avons abordé ceci dans Remarques in Invariance, série, III, n°2, p.89. Notons, à titre de complément, qu’à la Régie Renault le nombre de travailleurs produisant la plusvaleur est devenu moins important que celui de ceux assurant sa réalisation.

 

[19] La societe-communaute du capital est peuplée de formes réifiées. L’emballage d’un produit est une métaphore concrète d’une telle forme.

On arrive a un degré de sophistication extrême de la forme avec les étiquettes (réification de l’apparence) représentant quelque chose avec lequel beaucoup d’hommes et de femmes n’ont plus de rapport - dont ils ont peut-être un souvenir - mais qui est présent, toujours en faible quantité, dans un contenant quelconque. C’est particulièrement le cas pour les jus de fruit. L’étiquette témoigne par exemple qu il existe, demain qu-il aura existé, des pommes ou des oranges car, lorsqu on lit ce qui est contenu dans ce qui est livré comme jus de fruit, on se rend compte que celui-ci est présent en très faible quantité. La forme exposée par l étiquette indique ce qui a été perdu. Toute forme autonomisée a la même fonction.

 

[20] Très simplement, il postule ceci: le développement de l’univers, depuis le Big bang (instant initial), s'est produit de telle sorte que l'Homme puisse advenir.

 

[21] 'l'out ceci n'est qu une évocation de ces divers phénomènes advenus à partir du XIV° siècle, approximativement, sur lesquels nous devons revenir. Le livre de C. Hill Le monde à l’envers, Ed. Payot, contient une des_c_r_i_p_tion saisissante du phénomène révolutionnaire du XVII° siècle. En ce qui concerne ce même thème, citons le livre de E.P. 'Thompson: La formation de la classe ouvrière anglaise qui tient compte de la période étudiée par C. Hill. On trouve aussi un écho de cette derniere également dans le livre de Peter Linebaugh The London hanged , extrêmement intéressant a divers titres, surtout parce qu il manifeste une vision internationale des questions. Ceci doit apparaître encore plus dans le livre annoncé, et peut-être paru: The Many-headed Hydra, une histoire la de classe travailleuse atlantique aux dix-septième et dix-huitième siècles P. Linebaugh considère qu il faut étudier l'histoire de la classe ouvrière de part et d'autre de l’Atlantique, ce qui semble parfaitement justifié.

 

[22] À propos de l’importance de celle-ci, voir: La mythologie des arbres de J. Brosse, Ed. Plon. Les données qu’il fournit suggèrent qu’il y a un rapport entre triomphe du christianisme et destruction de la nature. Il s’est imposé au fur et à mesure qu’elle a été réduite hors de lui - particulièrement la foret - et en lui: réduction de l’innéité.

 

C’est dans le livre de Robert Harrison Forêts essai sur l’imaginaire occidental, Ed. Flammarion, que nous avons trouvé l’étymologie du mot hyle. Nous reviendrons sur tous les problèmes abordés dans ce livre. En attendant citons: "En ce sens les forets représentent l’unité ancienne de la nature, l’unité de la parenté des espèces."

 

 

[23] Nous l’avons dit, nous ne faisons qu'effleurer la question de la forme. Il conviendrait d’aborder les différents binômes: forme-matiere forme-contenu, forme-fond, etc...mais aussi celui de masse-force qui a une grande parenté avec les précédents. Or, étant donné que, comme l'a montré Bordiga, le concept de masse (un attribut de la matière) est analogue a celui de valeur, nous pouvons à nouveau suivre les rapports entre données économiques et les représentations dans le procès de connaissance

 

Au sujet de la forme signalons: Les sciences de la forme aujourd’hui, Ed. du Seuil, Points science. On y trouve des informations intéressantes en particulier au sujet du rapport entre forme et idée, archétype qui a une grande importance pour saisir dans sa profondeur spécielle (concernant l’espèce) le processus de la psychose.

 

[24] "L’information est ce qui est initial. Une pierre peut être initiale parce qu il y a un moment où on la voit, un moment où l’on voit la montagne, etc.." (P. Virilio, Les formes virtuelles). Ce qui est initial c’est ce qui apparaît pour la première fois, est donc nouveau. P. Virilio rappelle qu’Alain disait: "ce n’est pas communiquer que de communiquer ce qui est clair". Autrement l’évidence n’est pas une information Toute information rompt une évidence ou résulte de sa dislocation. On demeure donc dans la logique de la séparation. La recherche de l’information exprime une insatisfaction dans laquelle se loge une impatience.

 

L 'information étant en rapport avec ce qui est initial implique un autre rapport au temps. Elle n’est que si elle est saisie le plus rapidement possible; d’où la nécessité de systèmes de captage de plus en plus sophistiqués où le temps de prise de l’information tend a être évanescent. L'information, comme le dit P. Virilio est la surprise ("Je proposerai comme définition de l’information, la surprise", idem, p. 157), certes, mais il ne faut pas être simplement surpris, sinon la saisie ne peut plus s’effectuer. L’être humain est conduit à vivre non seulement dans l’instant mais dans son évanescence Il ne peut plus être en relation à la durée, et l’espace devient une image.

 

 

[25] Voir Bordiga : Le cadavre encore chemine.

 

[26] "Aujourd’hui, la matière est composée de trois dimensions: la masse, l’énergie et l'information. (P. Virilio, o.c, p, l56)

 

[27] Nous avons montré, en nous fondant sur l’œuvre de Marx, que le capital - valeur ayant accédé à l'autonomie – s’anthropomorphose. Simultanément il fonde un environnement des hommes et des femmes qui est une seconde nature c’est le marche avec tout ce qui lui est lie: publicité sur divers supports, marketing, mailing, etc... En conséquence par analogie avec naturel, nous utilisons le mot mercatel pour qualifier le milieu qui désormais nous environne.

 

[28] Quand l'espèce vit en continuité avec le reste de la nature, sa pensée rayonnante n’a pas besoin de projection. Mais quand il y a séparation, il y a insécurisation, peur de la perte de la présence au monde. Alors la projection devient nécessaire. On a, dans une certaine succession, l’animisme, l’anthropocentrisme et l'anthropomorphisme. L’espèce se transfère sur et dans le réel pour le comprendre et se sécuriser.

Dans la période de séparation originelle que l’on revit lors de notre ontogenèse, le rêve intervient de façon prépondérante, parce qu il manifeste le souvenir de l’état antérieur et signale des possibles pour affronter la terrible angoisse qui ronge l’espèce. À mon avis les aborigènes d’Australie, avec leur représentation du temps du rêve, manifestent, révèlent de façon percutante ce moment peut-être primordial partir de la séparation) où nous nous sommes trouvés. Ils ont pu ainsi, en se ressourçant dans le rêve - grâce à diverses pratiques - affronter la séparation, vivre en un compromis avec elle. Je pense que là réside la grande fascination qu’exerce sur nous le complexe de représentations formant la pensée des aborigènes d’Australie, celle où s installe la spéciose.

[J'ai remplacé psychose -originellement employé - par spéciose parce qu'il ne s'agit pas d'une maladie. En effet l'espèce se séparant de la nature, entrant en errance a dû s'adapter à une autre dynamique de vie, ce qui l'a profondément affectée engendrant la spéciose qui concerne  la totalité de l'être humain, de l'être féminin. La spéciose peut transcroître en psychose. Il en est de même de l'ontose qui elle conserne l'individu..Juin 2017].

 

[29]  "Chez les pythagoriciens, le nombre (arithmos) avait le même sens que le verbe (logos)". (Ph. Queau, o.c, p. 19)

 

Il nous faudra revenir sur cette question de la résorption de tout le procès de connaissance et de l’imagination dans la virtualité, ce qui est logique puisque ce procès, à partir de la séparation d avec la nature, vise a créer un monde sécurisant pour l’espèce.

 

En même temps - et c’est également cohérent, logique - il y a enraiement de toute la dynamique de la valeur et du capital. Il n' y a plus possibilité de formation d’équivalent général (donc plus de paradoxe du menteur!).

 

"À fortiori, il sera de plus en plus difficile d’obtenir une certaine intelligibilité du fonctionnement global du réseau virtuel. Le réseau étant constitué d'un ensemble d’acteurs possédant tous des "points de vue" virtuels en interaction, il devient impossible d’acquérir un point de vue "absolu", " un meta" point de vue dominant la situation globalement. Alors le réseau vit d'une vie propre qu’aucune intelligence humaine n’est en mesure de comprendre vraiment." (Ph. Queau, o.c, p. 7l)

 

À propos d’équivalent général, je rappelle que l’argent n'est pas le seul. La vérité en est un autre. Or lui aussi tend a s’évanouir. "On se réfugie dans le virtuel pour ne pas s’affronter a la vérité, et l’on en vient à se détacher, à se dessaisir même de la vérité. Il reste bien entendu a examiner ce qu'on entend par vérité." (Idem, p. 93)

 

L’identité aussi opère comme un équivalent général. Dans ce cas elle le fait en tant qu’opérateur de résorption. L’espèce va s’enfermer dans son identité, parachevant son solipsisme.

 

"Dans le contexte de notre discussion, ce que nous appelons "le même", c'est ce qui fonde l’identité, l’essence même des mondes virtuels." (Idem, p. 92)

 

Cette nécessite de l'identité, du même, est un phénomène de compensation a celui de la dissociation.

 

"Dans le contexte du virtuel, la seule chose qui ne change pas dans un monde virtuel donné, c'est son paradigme, c’est-à-dire l’idée même qui le fonde comme "être intermédiaire" au-delà de toutes ses manifestations passagères, tant sensibles qu'intelligibles. Le paradigme, l’idée fondamentale d un monde virtuel est, selon cette leçon, à penser et à être."(idem. p. 9l)

On a le triomphe de la médiation qui se pose en immédiation: illusion de dépasser la séparation être-pensée, la même qui se fonde avec le surgissement du mouvement de la valeur dans sa phase horizontale

 

[30] .Cette question est longuement traitée par Ph. Queau. Elle est effectivement déterminante pour comprendre la virtualité: l’état où nous sommes quand l'ontose envahit la presque totalité de la vie.

 

[31] Cette question de la présence est liée a celle que nous avons abordée dans la note 28. Là encore il y aura beaucoup à dire.

 

[32] « Étant donné que le devenir d Homo sapiens est un devenir de séparation, il est bien évident que le mot nature a servi a définir ce dont l’homme se séparait. » (Programme de l'association Régénérer la Nature, p. 1)

 

[33] "Cette vie virtuelle d’acteurs virtuels hantant les arcanes des réseaux virtuels n’est qu'une métaphore. Mais elle contient une part de vérité. Elle nous oblige aussi à préciser la portée exacte du mot "vie" ou du mot "être" dans le contexte des mondes virtuels. Une discussion sur ce thème est tenté dans le chapitre Présences virtuelles." (p. 72),

 

Dans ce chapitre nous avons relevé ceci (p. 105) :  "Mais il ne suffit pas de s’éveiller. L’éveil doit être sans répit, ou alors il tourne court et conduit à  une sorte de sommeil éveillé. Il est si facile de sombrer dans le sommeil de l'être dans l’engourdissement de la substance." Cela nous signale qu il y a indistinction entre vie et être, et que ce dernier est un devoir-être; ce qui est une expression de la psychose. Celle-ci est bien réaffirmée lors de l'analyse de la présence qui conclut ce chapitre et que nous avons étudiée précédemment.

 

[34] Dans une Glose en marge d une réalité, j’envisagerai tout ce qui concerne le cyberspace (autre nom pour monde virtuel) avec tous les courants qui s’en réclament. Pour le moment je ferai référence â un phénomène qui lui est lie, celui de Luther Blisset, pour signaler le grave danger qu'il recèle: proposer une guerre psychique. C’est le meilleur moyen pour consacrer la psychose.

 

 

[35] La question du langage verbal est très délicate. Nous l’avons abordée dans Émergence de Homo Gemeimwesen, et nous voulions y revenir dans l’article De la vie. Mais, vue l’ampleur du sujet, nous avons préféré reporter à une autre fois son exposé.

 

if (typeof _gstat != "undefined") _gstat.audience('','pagesperso-orange.fr');