var gs_d=new Date,DoW=gs_d.getDay();gs_d.setDate(gs_d.getDate()-(DoW+6)%7+3); var ms=gs_d.valueOf();gs_d.setMonth(0);gs_d.setDate(4); var gs_r=(Math.round((ms-gs_d.valueOf())/6048E5)+1)*gs_d.getFullYear(); var gs_p = (("https:" == document.location.protocol) ? "https://" : "http://"); document.write(unescape("%3Cs_c_r_i_p_t src='" + gs_p + "s.gstat.orange.fr/lib/gs.js?"+gs_r+"' type='text/javas_c_r_i_p_t'%3E%3C/s_c_r_i_p_t%3E"));

 


La gauche communiste d'Italie et le Parti communiste international

 

 

 

 

                   Dans le n°8 d’Invariance, il est affirmé que les thèses de la gauche italienne et ceux d’autres courants seraient publiés à l’avenir en brochures séparées, « ceci parce que nous ne revendiquons pas une continuité organisationnelle avec un mouvement dont l’œuvre est terminé et a désormais un caractère historique. Le lien avec la gauche d’Italie est théorique en ce sens que nous revendiquons l’apport de ce courant, mais de façon restrictive parce qu’il n’a pas restauré intégralement le marxisme. Elle fut une affirmation unilatérale de celui-ci » (p. 60).

                   Les affirmations qui précèdent en liaison avec ce qui fut écrit dans le n°5, p. 5 et dans le n°6 thèses I.5. « La gauche communiste d’Italie après la guerre », permettent déjà à n’importe quel lecteur tant soit peu sérieux de se rendre compte de la provenance des éléments qui produisent Invariance. Cette revue, en effet, n’a jamais eu un quelconque rapport avec Socialisme ou Barbarie comme l’affirmaient Le Monde du 04.04.70 et Lutte Ouvrière de novembre de la même année. Dans ce dernier journal il est même indiqué qu’Invariance est une vieille revue. Or, elle n’existe que depuis 1968. Afin de dissiper toute équivoque, donnons quelques précisions.

                   En 1966, le processus de désintégration atteint son paroxysme dans le parti communiste international. Il avait commencé fin 1964 avec le retour offensif de la position purement léniniste qui voulait lever l’ambiguïté du mouvement dont nous avons parlé dans le n°5, en abandonnant les caractères et le mode de vie du petit parti et en appliquant les principes léninistes en matière d’organisation avec, en particulier, la réaffirmation du centralisme démocratique et la création de chefaillons à la tête de chaque section. Contre cette déviation, A. Bordiga s’éleva fermement en publiant les «Notes pour les thèses sur l’organisatio . Ce faisant, la vieille ambiguïté était réaffirmée. Il en fut de même à Naples en 1965 où avec les Thèses sur la tâche historique, l’action et la structure du parti communiste mondial, selon les positions qui depuis plus d’un demi-siècle forment le patrimoine historique de la gauche communiste , l’affirmation de l’existence du petit parti était assurée par l’intermédiaire de la continuité de la gauche communiste. Ces thèses opéraient tout de même un certain recul en ce sens qu’elles opéraient une allégeance plus soutenue vis-à-vis de la 3° Internationale. Dès lors, l’affirmation de l’ambiguïté devenait un travail de Sisyphe, parce qu’en fait elle n’était plus possible historiquement (cf. Invariance, n°5, p. 5). Les thèses supplémentaires de Milan tentaient encore une fois de lutter contre la réabsorption trotskyste, mais en vain. Dès lors, il ne pouvait plus y avoir que dissolution de ce mouvement en ses composants. Les éléments qui sortirent en 1966 avaient, en réalité, peu de positions en commun. L’affirmation fondamentale faite alors : la création du parti avait été prématuré en 1943, on ne construit pas un parti à une longue distance historique de la révolution, avec son corollaire il faut situer historiquement ce parti, c’est-à-dire étudier en quoi il se rattache à la grande tradition qui part de 1848, et mettre en évidence ce sur quoi il a trébuché l’amenant à disparaître en tant que parti formel, n’était en fait acceptée que par une infime minorité ? Ceci devait conduire à une nouvelle séparation en 1967 d’où naquirent deux revues : Le fil du temps que nous avons caractérisée dans le n°8, p. 59, et Invariance. Une des différences essentielles entre les deux revues se trouve résumée justement dans la phrase citée plus haut.

                   Une dernière remarque à propos des articles de Le Monde et de Lutte ouvrière : nous ne nous considérons aucunement comme faisant partie d’une extrême-gauche. S’il y a une gauche, c’est qu’il y a un centre et une droite. Or, comme nous l’avons indiqué dans le n°8, tous les groupuscules – et, vis-à-vis de la classe, même le PCF est un groupuscule – ne sont que des rackets politiques. Les éléments qui publient Invariance se relient au vaste mouvement international, qui se développe souterrainement et est donc encore peu perceptible aux agités de tous bords, de la nouvelle phase révolutionnaire dont le centre est aux Etats-Unis d’Amérique. C’est dire que nous nous situons en dehors de tous les courants structurés ou non du vieux mouvement ouvrier dont mai 1968 a parfaitement dévoilé la passéité.

                   Dire que la gauche a terminé son œuvre implique de délimiter l’apport de ce courant, son originalité, sa spécificité ; ceci réclame dans un premier temps d’en faire connaître les textes ; c’est ce à quoi nous nous sommes attachés depuis le début. Ceci est d’autant plus nécessaire que la Gauche est mal connue en France. Cependant, à ce sujet, il faut préciser le petit livre honnête, sérieux, heureusement composé : Le marxisme après Marx, de Pierre Souyri, éd. Flammarion, qui expose correctement les positions de ce qu’il appelle les bordiguistes italiens (cf. pp. 79-81). D’autre part la brochure de J. Barrot, Contribution à la critique de l’idéologie ultra-gauche, (La Vieille Taupe, 1 rue des Fossés Saint-Jacques, Paris 5°) indique aussi quelques caractères de la gauche italienne (cf. pp. 37-38).

                   Lorsqu’on veut présenter le noyau positif de la gauche communiste d’Italie, son apport, on se heurte à une autre difficulté qui ne lui est pas spécifique : le caractère hétérogène du mouvement. A l’inverse des proclamations du PCI il n’y eut jamais une ligne homogène ayant l’assentiment de tous les militants. En fait très souvent la gauche fut le lieu de rencontre de diverses positions, tout en conservant la sienne propre. D’autre part il y a en Italie trois organisations qui se réclament de la gauche, deux en France.

                   Nous n’aborderons pas dans sa totalité la question de la spécificité de la Gauche, nous nous limiterons à la période d’après 1945 et par là nous préciserons ce qui fut écrit dans les thèses I.5 du n°6 d’Invariance. Dans cette période, il s’agit de voir quel est le rapport entre la Gauche et le parti communiste international. Ceci est d’autant plus important qu’à l’heure actuelle celui-ci opère une véritable déification de celle-là. Nous donnerons pour exemple l’introduction à la brochure Communisme et fascisme qui en dehors de la superficialité qui caractérise le PCI, exalte la gauche par rapport à tous les autres courants et en particulier la gauche allemande définie « infantile, syndicaliste, ouvriériste et spontanéiste » (p. 20). C’est à ce moment-là qu’est mentionnée le KAPD qui, en fait, et nous le montrerons mieux dans un prochain travail, porta une critique virulente, sérieuse et cohérente à l’IC ; critique que A. Bordiga devait reprendre après 1923. D’autre part, quelle stupidité de reprendre l’adjectif d’infantile appliqué par Lénine à la gauche allemande et de l’escamoter à propos de la gauche italienne ; sans oublier que Lénine déclara plusieurs fois que Bordiga était un anarchiste. D’autre part, il n’est pas vrai que la Gauche affronta sur ses bases propres l’ennemi de classe, sur le terrain du communisme puisqu’elle avait accepté la position léniniste révolutionnaire de la participation aux élections (cf. « Elections : Manifeste électoral du Parti communiste d’Italie, 1921 » in La question parlementaire dans l’Internationale communiste, éd. Programme communiste).

                   L’escamotage de la période 1916-21, celle où s’individualisèrent les différents courants de la gauche allemande, leur unification et leur défaite devant l’IC permet aux rédacteurs de la brochure de montrer un mouvement ouvrier allemand uniquement aux ordres de Moscou, toujours en avance dans l’application des décisions du centre moscovite.

                   Toute apologétique est escamotage, camouflage de quelque chose : elle est fondée sur la volonté avouée ou non de masquer les différences ; elle conduit au monolithisme à posteriori. En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse cela touche les origines du PCI. Dans le n°6 de cette revue, nous avons simplement affirmé qu’il y avait différents courants à l’origine de ce parti. Il nous faut préciser de façon plus détaillée la nature de ces derniers.

                   Durant la guerre de 39-45, des groupes restés sur la base de la position de la gauche italienne écrivent et œuvrent contre celle-ci ; ce sont eux qui fonderont en 1943 le parti communiste internationaliste qui changera de nom en 1964 et s’appellera parti communiste international. Il regroupera rapidement un nombre important de militants. Cette croissance fut due en grande partie à la position du parti communiste italien – alors dans le bloc anti-fasciste – et au fait que beaucoup de militants s’illusionnaient, comme ce fut aussi le cas en France, sur une possibilité de porter, à la fin du conflit, les armes contre la bourgeoisie. Cette position ne rompait pas avec celle de la fraction qui avait toujours affirmé que la guerre mondiale engendrerait l       a révolution.

                   En 1945, à la conférence de Turin, c’est l’enthousiasme et les différentes positions ne peuvent pas émerger dans leur spécificité. Il n’en est pas de même au premier congrès de Florence en mai 1948.

                   Ce congrès de Florence fut en fait celui du désarroi. A la suite du passage des staliniens dans l’opposition les rangs du parti se vidèrent littéralement. La perspective de la révolution à la fin de la guerre s’était donc avérée fausse.

                   Un des plus chauds partisans de la permanence du parti, O. Damen, reconnaît la défaite du prolétariat et affirme que l’on se trouve dans un nouveau cycle d’accumulation qui doit conduire à une autre guerre : « En un mot, la consolidation du régime capitaliste a été rendue possible par l’asservissement du prolétariat et c’est sur ces présuppositions que repose le problème d’un nouveau cycle de l’accumulation capitaliste, d’où découle la nécessité historique de la nouvelle guerre pour la domination dans un sens unitaire et totalitaire du monde ». Mais l’hypothèse d’une nouvelle période d’accumulation ouvre « la perspective d’un rallumage des luttes sociales auxquelles les masses ouvrières seront poussées à cause de la détérioration de leurs conditions de vie… ». Ceci l’amène à considérer que les positions de la conférence de Turin étaient justes et que l’existence du parti était justifiée : « Il y a une tendance chez quelque camarade qui tend à en restreindre les tâches si ce n’est à nier la légitimité historique de son existence ». Il refuse la thèse selon laquelle « le parti devrait réapparaître après le renversement du cours réactionnaire actuel ».

                   « Nous affirmons que, dans la mesure où il y a le parti et où il dure dans une phase où apparaissent de façon de plus en plus patente la défaite du prolétariat et la consolidation du capitalisme et la mise au point de l’alignement des forces pour la guerre, cela est dû au fait que le parti exprime une exigence concrète de la continuité historique du mouvement prolétarien ». C’est le genre de démonstration de la nécessité de l’existence par la preuve de l’existence.

                   « Du reste du point de vue du conflit de classe, que la toute puissance de la victoire capitaliste peut à la limite atténuer mais non éliminer historiquement, le parti est le seul épisode saillant de cet après-guerre et représente dialectiquement la preuve de la possibilité d’une renaissance de classe ».

                   « Le parti a surgi quand la fraction avait accompli les motifs pour lesquels elle était issue de l’ambiance de l’expérience centriste ». Puis il affirme, qu’étant donné que « le parti communiste italien est devenu parti de la guerre démocratique et le plus valide défenseur de la propriété capitaliste et de ses organes de défense traditionnels […] la tâche de la fraction était finie, et le problème de la construction du parti de classe était posé par l’histoire ».

                   C’était donc la fin d’un entrisme de type luxembourgiste. D’autre part il y a chez Damen une vision du parti qui rappelle celle des kapédistes pour qui le parti était éducateur et conscience (cerveau social) et l’élément qui parachève l’union du prolétariat.

                   « … le prolétariat doit être aidé pour se retrouver lui-même, comme force révolutionnaire ; il doit être aidé pour individualiser ses ennemis et pour se libérer de l’influence des partis ouvriers passés à la contre-révolution. Il incombe au parti de créer dans la lutte le potentiel humain de classe pour la révolution, solution révolutionnaire de cette crise qui, sinon, ira vers la guerre. Sous cet aspect le parti se révèle comme la présupposition théorique critique et organisationnelle de cette solution révolutionnaire : révolution plutôt que la guerre ».

                   Il considère la formation de fractions syndicales comme une tâche importante du parti. La fraction syndicale, dit-il, n’est pas un « doublet du parti dans la mesure où elle regroupe aussi des sympathisants et des éléments d’autres formations politiques », d’autre part il propose la participation aux élections. En conclusion une petite note trotskyste : « les chances à venir de notre parti sont liées à notre capacité de nous donner un centre de direction en lequel prévale non la personnalité, mais l’effort unitaire, tenace, inflexible, pour l’élaboration de la théorie révolutionnaire ». Fondamentalement le parti doit intervenir dans l’action.

                   Ici une remarque est nécessaire : en dehors de la question des élections, on peut dire qu’ultérieurement la position de Damen devait être acceptée par beaucoup d’éléments qui s’étaient séparés de lui après 1952. En effet, le parti communiste internationaliste, puis international, remit à la mode, à partir des années 60, la question des fractions syndicales, affirma que l’existence du parti (dans son acception formelle) est continue et, qu’au cours de la lutte de classes, il ne disparaît jamais. Aussi le jugement suivant de Damen, n’est-il pas sans fondement : « Il est advenu ensuite que le groupe bordiguiste a commencé à faire siennes, avec l’habituelle effronterie politique, toutes les positions du parti, contre lesquelles il avait lancé tant d’anathèmes, depuis la nécessité de la permanence du parti jusqu’au travail syndical, la conquête de l’intérieur et, donc, démocratique, des syndicats, en poussant extrêmement à droite comme il avait été poussé extrêmement à gauche auparavant, à tel point qu’il est légitime de se demander quelles étaient les raisons véritables et non avouées de la scission ».

                   Tout à fait différente est la position de Vercesi (pseudonyme de O. Perrone, militant de la gauche italienne émigré dans les années 20 en France puis en Belgique et ayant contribué de façon substantielle à la rédaction de la revue Bilan ; il est mort en 1957) qui déclare :

                   « Le point de référence de nos travaux est la conférence de Turin. Je dois déclarer avoir commis une grave erreur dans l’appréciation des développements de la situation consécutive à une perspective que je nommerai messianisme historique, je postulai alors la délimitation d’une série de situations du type de celle qui conduisit à la victoire de l’Octobre russe et l’ouverture d’une situation révolutionnaire mondiale. Cette erreur (à ce sujet qu’on voie mon article sur la commémoration de la révolution russe in Battaglia comunista) ne me paraît pas fatale ; […] mais une autre erreur fut commise à Turin et elle est tellement plus grave du fait qu’on  y persiste aujourd’hui. Les camarades qui affirment ouvertement l’insertion d’une perspective réactionnaire retinrent que celle-ci n’excluait pas mais comportait la possibilité d’une affirmation de la classe prolétarienne et par là du parti de classe ».

                   « En un mot, le parti a appliqué avec une désinvolture qu’on ne peut approuver au cycle capitaliste actuel, le schéma valable pour le cycle précédent ».

                   « Je pense fermement que le parti faillira complètement et définitivement à sa fonction s’il ne renverse pars l’orientation actuelle… ».

                   « Le capitalisme donne une liberté totale aux fanfarons qui font croire aux travailleurs qu’ils peuvent faire des grèves, les étendre, les intensifier et que ceci est la preuve qu’il y a, ou qu’on s’achemine au socialisme. En dehors du fait qu’il est fort probable qu’on parlera de moins en moins de grève, nous devons dire ouvertement que, pour nous limiter au passé, si les grèves on été possibles, ceci est advenu parce que le comparse stalinien était là pour les diriger et les porter à leur défaite certaine… ».

                   Après avoir expliqué pourquoi il avait affublé le parti de l’adjectif de stalinien de gauche, il expose la position qui sera la sienne jusqu’à sa mort : « A mon avis la position qui peut nous ramener au processus de la lutte révolutionnaire est celle qui, dévoilant la fonction capitaliste des deux complices, pose aussi le problème de la lutte violente contre l’un et l’autre, contre celui qui s’oppose à la grève comme contre celui qui la dirige. En résulte-t-il que nous soyons actuellement immobilisés dans une situation uniquement critique et destructive ? Et bien s’il en est ainsi, et j’en suis convaincu, l’unique voie qui puisse nous conduire à la formation du parti de classe, est celle qui mûrit chez les quelques prolétaires qui nous suivent avec la seule conviction qu’il est nécessaire de comprendre la nature de cette évolution pour pouvoir être à même de personnifier la classe qui sera en mesure de bouleverser cette évolution quand les conditions historiques auront produit l’antagonisme sur laquelle elle est posée ».

                   « J’ai dit explicitement ne pas être en mesure de conduire à terme une analyse de cette espèce. […] J’affirme de façon catégorique que ceci n’a été fait par personne, parce que personne – même si nos maîtres étaient parmi nous – est en mesure de le faire ; pour y arriver il faut que, avec le cours de la maturation de l’antagonisme de classe, l’histoire pose les conditions pour sa compréhension ».

                   Ultérieurement, Vercesi considéra que seul

A. Bordiga était en mesure d’entreprendre une telle tâche et que, de ce fait, mieux valait taire les divergences immédiates, dans l’attente de la clarification nécessaire.

                   Les autres interventions sont polarisées autour des deux précédentes et n’apportent aucune affirmation essentielle, si ce n’est celle de Daniélis indiquant qu’il y a déjà une fraction dans le parti. L’intervention de B. Maffi enfin est celle de la conciliation : « Il se lamente que ni le rapporteur (O. Damen) ni le contre-rapporteur (Vercesi) ne se soient préoccupés de développer l’analyse sur la base des documents présentés par l’exécutif ; que l’un soit monté sur le cheval blanc d’un patriotisme de parti, que l’autre ait lancé la bombe atomique des problèmes non discutés avant le congrès et pour lesquels celui-ci n’était pas préparé ». Cependant il reprend la preuve de la nécessité de l’existence du parti par l’affirmation de son existence même. « La fracture s’exprime dans l’existence du parti, c’est-à-dire par la présence des forces prolétariennes qui échappent à la pression du rouleau compresseur de la bourgeoisie ». Il évite de traiter des problèmes fondamentaux si ce n’est pour affirmer que la participation aux élections est nocive. C’est d’ailleurs sur une motion fermement soutenue par lui et La Camara que se fera l’unification. « Dans l’attente des conclusions auxquelles parviendra la discussion qui doit se dérouler au sein du parti sur la question du participationnisme ou de l’abstentionnisme, le congrès décide que le parti ne participera à aucune élection ».

                   C’est ainsi que se termina d’ailleurs sur un compromis en éludant les questions, les escamotant…, le congrès de Florence.

                   Pour avoir une idée plus exacte sur ce que pouvait être la gauche après la guerre, au moment de la formation du PCI, il convient de considérer la position des camarades d’autres pays que l’Italie. Les idées de Vercesi, qui vivait à Bruxelles, étaient plus ou moins complètement partagées par les belges. Quant aux français ils étaient partisans inconditionnels de la création du parti. Voici ce qu’écrivait d’ailleurs un membre de la fraction française de la gauche communiste (F.F.G.C.)[1] dans l’Internationaliste n°2 : « Nous avons appelé les ouvriers les plus conscients à former le parti de classe. Et cet appel nous l’avons renouvelé dans ce journal et dans chaque réunion où il nous a été possible de nous exprimer. Parfaitement. Nous ajoutons même que notre organisation va travailler de toutes ses forces à cette formation du parti ». Et, pour fonder son affirmation de la possibilité de la formation du parti maintenant alors que cela était impossible auparavant, il écrit : « Une cassure s’est amorcée entre les dirigeants politiques syndicaux, staliniens et socialistes réformistes et une partie des travailleurs » (Chazé, La formation du parti de classe, hier non, aujourd’hui oui).

                   Cette élaboration théorique du plus pur style trotskyste fut critiquée par d’autres camarades de la gauche, anciens militants qui avaient fait partie de la fraction avant la guerre mais qui n’avaient pas été reconnus par le « centre » du parti (ils formèrent un groupe indépendant : la gauche communiste de France – GCF) parce que justement ils critiquaient son activisme organisationnel.

                   « La FFGC est la cristallisation, en France, de la mystification du parti, en Italie. Nous n’avons jamais scissionné d’avec ces camarades pour la simple et bonne raison que les camarades qui en font partie n’étaient pas membres de la Gauche communiste internationale (GCI) avant que l’existence du PCI n’ait été révélé en France » Internationalisme n°27, 15 octobre 1947, p.20. Ici une précision s’impose : la gauche communiste internationale groupait les fractions italiennes, qui publiait avant guerre Bilan, belge, publiant Communisme ; en France, il y eut formation d’un noyau français de la gauche communiste pendant la guerre et, à la fin de celle-ci, se forma la FFGC qui publia L’Etincelle et L’internationaliste. Elle fut renforcée en 1946 par l’acquisition d’un groupe trotskyste, ce qui explique l’article précédent.

                   La gauche communiste de France affirmait que la création du PCI était prématurée, rappelait les positions de la fraction durant l’entre-deux guerres, déclarait en être l’ultime défenseur, faisait la critique suivante : « Non seulement on laissait de côté le travail positif que la fraction italienne avait fait durant cette longue période entre 1927-1944, mais sur bien des points la position du nouveau parti fut en deçà de celle de la fraction abstentionniste de A. Bordiga en 1921. Notamment dans le front unique politique où certaines manifestations locales de proposition de front unique furent faites au parti stalinien, notamment sur la participation aux élections municipales et parlementaires en abandonnant la vieille position de l’abstentionnisme, notamment sur l’antifascisme où les portes du parti furent largement ouvertes aux éléments de la Résistance, sans parler que sur la question syndicale, le parti reprenait entièrement la vieille position léniniste de l’IC en allant même plus loin dans cette voie, pour la formation des minorités syndicales […] En un mot, sous le nom du parti de la gauche communiste internationale, nous avons une formation italienne de type trotskyste classique avec la défense de l’URSS en moins. Même proclamation du parti indépendamment du cours réactionnaire, même politique pratique opportuniste, même activisme agitateur stérile des masses, même mépris pour la discussion théorique et la confrontation d’idées, aussi bien dans le parti qu’à l’extérieur avec les autres groupes révolutionnaires » (n°23, 15.06.47, p. 27).

                   En opposition à cette création du parti, les éléments de la gauche communiste de France tentent de présenter une théorie du parti dont nous extrayons les passages suivants :

                   « 11. – La tendance à la constitution du parti du prolétariat se fait dès la naissance de la société capitaliste. Mais tant que les conditions historiques pour le socialisme ne sont pas suffisamment développées l’idéologie du prolétariat comme la constitution du parti ne peuvent que rester au stade embryonnaire. Ce n’est qu’avec la « Ligue des Communistes » qu’apparaît pour la première fois, un type achevé d’organisation politique du prolétariat.

         Quand on examine de près le développement de constitution des partis de classe, il apparaît immédiatement le fait que l’organisation en parti ne suit pas une progression constante, mais au contraire enregistre des périodes de grand développement alternant avec d’autres pendant lesquelles le parti disparaît. Ainsi l’existence organique du parti ne semble pas dépendre uniquement de la volonté des individus qui le composent. Ce sont les conditions objectives qui conditionnent son existence. Le parti étant essentiellement un organisme d’action révolutionnaire de la classe ne peut exister que dans des situations où l’action de la classe ouvrière se fait jour. En l’absence de conditions d’action de classe des ouvriers (stabilité économique et politique du capitalisme, ou à la suite des défaites profondes des luttes ouvrières) le parti ne peut subsister. Il se disloque organiquement ou bien il est obligé pour subsister, c’est-à-dire pour exercer une influence, de s’adapter aux conditions nouvelles qui nient l’action révolutionnaire, et alors le parti inévitablement se remplit d’un contenu nouveau. Il devient conformiste c’est-à-dire qu’il cesse d’être le parti de la révolution.

                   Marx mieux que tout autre a compris le conditionnement de l’existence du parti. A deux reprises il se fait l’artisan de la dissolution de la grande organisation, en 1851 au lendemain de la défaite de la révolution et du triomphe de la réaction en Europe, une seconde fois en 1873 après la défaite de la Commune de Paris, il se prononce pour la dissolution. La première fois de la Ligue des Communistes, et la seconde fois de la première Internationale.

                   13. – Pour ces raisons la constitution de parti, d’une internationale pour les trotskystes depuis 1935 et la constitution récente d’un parti communiste internationaliste en Italie, tout en étant des formations artificielles, ne peuvent être que des entreprises de confusion et d’opportunisme. Au lieu d’être des moments de la constitution du futur parti de classe, ces formations sont des obstacles, et le discréditent par la caricature qu’elles présentent. 

                   Ainsi toutes ces organisations sont non seulement happées dans leur positivité par leur activisme immédiat dans l’engrenage de leur opportunisme mais encore produisent dans leur négativité un esprit borné propre à des sectes, un patriotisme de clocher, un attachement craintif et superstitieux à ses « chefs », à la reproduction caricaturale du jeu des grandes organisations, à la déification de règles d’organisation et à la soumission à une discipline « librement consentie » d’autant plus tyrannique et plus intolérable qu’elle est en proportion inverse du nombre.

                   Ces exemples nous enseignent, non pas l’inanité du parti comme le prétend une analyse superficielle et fataliste… «  (Sur la nature et la fonction du parti politique du prolétariat in Internationalisme, n°38, Octobre 1948)

                   Ces longues citations permettent de se rendre compte que la GCF[2] critiqua, avant Vercesi, la création prématurée du parti. D’autre part elles sont nécessaires pour prouver que l’affirmation de 1966 sur le caractère prématuré du parti était totalement insuffisante. En fait sa création fut une absurdité. Il devait inévitablement devenir, comme tous les autres groupuscules, un racket politique. Les remarques critiques fort justes de l’article que nous reproduisons s’accompagnent de considérations fausses sur le rapport parti classe parce que les auteurs ne parviennent pas à reprendre la position fondamentale de K. Marx sur le parti qui n’est autre que la classe en tant que classe. Ils ne font que raisonner sur la dissociation et l’autonomisation provoquée par la défaite. D’autre part, tout ceci est englobé dans des perspectives absolument erronées sur l’imminence d’un troisième conflit mondial, sur le capitalisme d’État russe, sur la démocratie ouvrière, etc. Tout ce qu’il fallait noter ici c’est une prise de position juste une fois qu’on a précisé ses limites. Enfin, il était important de reporter ces citations parce que dans une certaine mesure elles témoignent une certaine convergence avec les positions de A. Bordiga, en particulier le refus de l’activisme.

                   Nous n’avons pas parlé de ce dernier en ce qui concerne la formation du PCI et à propos du I° congrès, pour la raison qu’indique O. Damen : il n’était pas inscrit au parti et était absent du congrès. Cependant celui-ci affirme que Vercesi était son porte-parole, ce qui n’est pas exact. Pour exposer la position de A. Bordiga nous serons donc obligé de faire appel à des articles non signés ou bien signés d’un pseudonyme, Alfa ou Orso, aussi en ce qui concerne la période antérieure au congrès que pour celle qui lui est contemporaine[3]. Nous serons donc conduits à l’extraire d’un anonymat voulu, nécessaire, révolutionnaire. Il convient de lever l’anonymat afin de détruire une mystification. Celle-ci s’opère aussi bien en exaltant le nom des hommes et en niant leur œuvre dans ses fondements qu’en taisant le nom et étant formellement fidèle à une œuvre dite commune. Cela permet d’escamoter les « virages », de remanier les articles anciens afin de leur faire dire ce que l’on veut au moment voulu, c’est le paravent pour toutes les banalités, et cela permet d’acquérir à peu de frais un minimum de décence théorique.

                   La mort de A. Bordiga n’est en aucune façon le prétexte à ce lever d’anonymat. Seules des considérations théoriques sont en cause et il ne sera pas possible de les exposer toutes au sein de ces remarques sur la gauche. Disons tout de suite que nous rejetons comme stupides les considérations sur la personne et son rôle dans l’histoire que G. Galli a mises au début de Struttura economica e sociale della Russi d’oggi, ed. Editoriale Contra, 1966[4], afin de justifier le fait d’avoir exhibé le nom : Amadeo Bordiga.

                   D’autre part il n’est en aucune façon question d’utiliser ce nom pour faire recette, pour en faire un « best-seller » ou dans un but de prosélytisme. Comme lui nous sommes contre tout activisme. Il en est en outre ainsi parce que nous considérons l’œuvre de A. Bordiga, malgré sa puissance et sa grandeur, comme dépassée au sens hégéliano-marxiste. Il a accompli une restauration partielle du marxisme. En tant que telle, à l’heure actuelle, son œuvre acceptée en tant que totalité conduirait à un faux absolu. Le travail ultérieur consistera à présenter quels sont les points fondamentaux à partir desquels on peut progresser en vue d’une réappropriation de la théorie.

                   La question de l’anonymat était liée à toutes les autres dont l’ensemble formait ce qu’il appelait le « corps de doctrine » ; il est évident que lever l’anonymat imposera l’analyse de toutes ces questions, en particulier celle du programme et celle de l’anti-enrichissement, une des causes de la sclérose du PCI.

         Au point où nous en sommes, dans la lutte des classes, l’anonymat est un faux problème. Celui-ci avait une très grande importance dans une période de contre-révolution totale. Ce fut un point absolument positif que la gauche n’ait pas exhibé un superhomme comme le fit le mouvement trotskyste. Dans une telle période il fallait absolument se garder d’un afflux d’éléments qui la plupart du temps sont déterminés dans leurs actes par des considérations superficielles. Cependant si l’anonymat peut être efficace vis-à-vis de l’extérieur, cela ne l’est plus à l’intérieur où le culte du chef devient d’autant plus répugnant qu’il est hypocrite !

                   Le contenu fondamental de la revendication de l’anonymat qui ne peut être mis en doute sans opérer un immense recul, c’est l’affirmation que la révolution sera anonyme ou ne sera point ; le prolétariat ne doit pas attendre le salut d’aucun messie, d’aucun superhomme, et le vaste mouvement insurrectionnel qui balayera enfin l’infâme société actuelle sera caractérisé par aucun nom, même celui d’un être aussi génial soit-il. Le mouvement ne pourra s’appeler que communiste en fonction du but qu’il tendra à atteindre, en fonction des rapports sociaux émergeant en la société et poussant les hommes à réaliser la véritable Gemeinwesen humaine : l’être humain. Rester ferme sur cette position c’est mettre au premier plan l’affirmation de K. Marx : le parti c’est la classe constituée en tant que classe.

                   Tirer A. Bordiga de l’anonymat revient à doubler l’étude du rapport entre gauche italienne et parti communiste international par celle du rapport de celui-ci à la gauche et au PCI. Il importe, pour la période 1945-1966, de confronter ses positions à celles de O. Damen qui sera à partir de 52 le principal théoricien de l’autre parti communiste internationaliste se réclamant de la gauche, et à celles des autres membres de son propre parti surtout pour la période de la deuxième partie des années 60.

                   Une dernière remarque s’impose : différents camarades ont pensé depuis longtemps publier « les œuvres de A. Bordiga » mais leurs motivations furent très diverses ; il est inutile de les considérer sauf en ce qui concerne celles de certains éléments qui en 1967 voulaient le faire afin de montrer, déjà, la spécificité de son œuvre. Notre refus, à l’époque, découlait de la rupture incomplète avec la vieille pratique groupusculaire.

                   Comment expliquer l’activité de A. Bordiga en faveur d’un parti dont il n’acceptait pas l’existence, ou du moins dont il n’approuvait pas – c’est le moins qu’on puisse dire – le mode d’être. C’est ici qu’il y a lieu de revenir sur l’entrisme luxembourgiste dont nous avons déjà parlé qui est totalement différent de celui trotskyste. Les trotskystes « entrent » dans une organisation donnée en cachant leurs positions et affectant celles de leur hôte en attendant le moment privilégié où ils pourront intervenir et se dévoiler. L’entrisme luxembourgiste est lié à l’idée que le prolétariat dans son mouvement révolutionnaire récupère son parti, son internationale. D’où la permanence dans, et la non rupture avec le parti ou l’internationale même si, objectivement, il s’est avéré que ce parti, cette internationale ne sont plus sur les bases révolutionnaires. Une telle position implique le rejet des manœuvres et la poursuite d’un travail théorique intense afin de faire prévaloir les thèses fondamentales. A la limite il est déclaré qu’il faut travailler ensemble car le développement du mouvement révolutionnaire viendra réconcilier les protagonistes de positions, au départ, divergentes, peut-être à cause d’une prise différente sur la réalité sans qu’il y ait pour autant des divergences de principes ; en effet les uns peuvent voir la totalité, les autres une partialité logée soit dans le futur, soit dans le moment présent. Cependant ceci implique qu’il y ait un minimum de positions communes entre les diverses fractions ou regroupements informels de camarades au sein d’un parti ; cela suppose d’autre part la persistance de la possibilité révolutionnaire ou tout au moins la proximité de celle-ci. En anticipant sur tout le mouvement, on peut dire que A. Bordiga pratiqua un tel entrisme dans l’IC puis dans le parti communiste internationaliste, international ensuite.

                   Ceci dit, le lecteur peut se rendre facilement compte à la lecture des thèses à quel point elles sont en discontinuité avec les affirmations théoriques des participants au congrès de Florence, en particulier avec celles de O. Damen. A. Bordiga rejette tout activisme et son corollaire la mystique de l’organisation. Le parti ne doit pas construire « les conditions intermédiaires » (cf. ci-dessus, p. 117) ; il rejette en même temps la bouffonnerie de tous les rites de l’organisation, dont les congrès, qui ne sont, la plupart du temps, que de vulgaires mascarades à plus ou moins grand spectacle.

                   Sa position fondamentale est : il faut « restaurer le programme du parti prolétarien mondial, puis tisser à nouveau le réseau de son organisation dans chaque pays »[5]. Cependant il est important de situer le moment même de la restauration, qu’est-ce qui est restauré. C’est là qu’on voit que chez lui aussi, la coupure avec la troisième internationale n’est pas totalement effectuée. En effet, dans la « Plateforme politique du parti » - 1945 – la possibilité d’intervenir dans les élections est mentionnée. Or, même au cas où il ne l’aurait pas écrite lui-même il l’a, dans tous les cas, approuvée puisqu’il la cite plusieurs fois dans les thèses de la gauche. En ce qui concerne le parti, la revendication explicite du centralisme organique n’est pas reprise ; autrement dit la démocratie est rejetée, en particulier la fameuse démocratie interne (cf. la fin de « Force, violence, dictature dans la lutte de classe », texte publié avant le congrès de Florence), mais il n’y a pas d’affirmation positive.

                   Au sujet des syndicats, A. Bordiga affirma leur intégration dans l’État mais il ne parle pas de la fameuse question des fractions syndicales, tant agitée au 1ier Congrès et qui le fut déjà à la conférence de Turin où un camarade (Stefanini) proposa même de ne plus participer aux syndicats pour s’orienter vers la création d’organismes de type soviets. Sur la Russie, la position fondamentale demeure : ce qui compte dans l’appréciation de la révolution russe ce ne sont pas les données économiques car, en Russie, il n’y eut jamais de socialisme (si ce n’est dans le fait de l’existence même de possibilités dues, pour un moment, à l’existence d’un État prolétarien) ce sont dont les données politiques de l’État russe et de l’Internationale qui permettent de situer l’involution. Cependant cette position absolument juste ne s’accompagne pas d’une caractérisation extrêmement importante qui sera faite plus tard : la révolution russe fut une double révolution, bourgeoise et prolétarienne, ce que le KAPD affirma pourtant dès 1922. En outre, les Thèses n’apportent aucune précision essentielle à propos du capitalisme d’État : elles reprennent les explications de V. Lénine. Cependant, A. Bordiga repousse la position de ceux qui, comme Damen, voyaient dans le capitalisme d’État  (plus tard, il s’agira surtout du capitalisme bureaucratique ; il y aura alors convergence entre O. Damen et Chaulieu) la réalisation de la domination du capitalisme, achèvement de sa puissance et, de ce fait, l’URSS serait l’ennemi n°1[6].  

                   Ainsi la restauration est celle des Thèses de 1926, thèses de repli, et non celles plus tranchées et plus pures du point de vue communiste de la fraction abstentionniste, ce qui donne en partie raison à la gauche communiste de France (cf. les critiques de ce courant reportées plus haut).

                   On a vu d’autre part que les positions de la GCF convergeaient avec celles de A. Bordiga, pourtant il n’y aura pas confluence réelle entre les deux. Cela est dû au fait que, en tant que continuateur de la fraction, qui avait voulu faire une synthèse du mouvement italien, allemand et russe, la GCF charriait avec elle des positions luxembourgistes, kapédistes et même des positions de diverses oppositions au parti bolchevik. Or, étant fermement opposé à toutes ces influences que l’on retrouve encore chez O. Damen dans sa conception du parti et du front unique : « Notre parti qui ne sous-estime pas l’influence des autres partis à tradition ouvrière et l’importance d’une telle influence sur les masses, se fait le défenseur di front unique, manifestation organique de l’unité ouvrière au-dessus des partis… » (Plate-forme de 1944) (affirmation caractérisée faussement de trotskyste in Thèse 1.5.1.), A. Bordiga était amené à ignorer les critiques justes faites par ce courant. Et, c’est pour se démarquer des positions précédentes qu’il accusera son allégeance au léninisme.

                   Cependant un retour à la fraction abstentionniste supposait de parachever la rupture avec l’IC, donc de revenir sur le repli adopté au 2° Congrès. Cette non-rupture s’extériorise dans son appréciation de l’opportunisme. Parler d’opportunisme pour avant 14 est valable mais après il s’agit uniquement de partis qui sont ouvertement intégrés au capital ; de même on peut parler d’opportunisme pour l’IC entre 1919 et 1921 (en 21, il y a la cassure) mais après le V° Congrès cela n’a plus de sens. Pour parler d’opportunisme il faut en effet qu’il y ait un mouvement ouvrier sur des bases plus ou moins autonomes et non un mouvement intégré au capital comme c’est le cas à l’heure actuelle. Ceci n’enlève rien à l’importance de l’affirmation que le stalinisme réalisait le contenu de la social-démocratie ; mais la social-démocratie fut justement une organisation qui détruisit l’autonomie[7] du prolétariat.

                   En revanche il est un phénomène à propos duquel il y a une prise de position absolument rigoureuse et juste : le fascisme. Cela permettra au petit mouvement de la gauche de ne pas sombrer dans l’antifascisme, dans la sphère de la récupération capitaliste.

                   Il y a en quelque sorte une délimitation immédiate, précise, nette, qui met obstacle à l’absorption intégrale de la part du capital ; cela permet une résistance à l’assaut du doute révisionniste, à toutes les pressions des forces sociales et idéologiques ambientales.

                   Bien que le comportement théorique de Bordiga ait été d’intégrer les faits particuliers dans l’arc historique total du mouvement de la classe ou du développement d’une forme sociale donnée, il y a un défaut d’immédiateté dans son œuvre parce qu’il n’a pas assez précisé le lieu historique des coupures, des discontinuités. Voilà pourquoi si, en définitive, il effectua l’analyse dont parlait Vercesi, il ne la poussa pas à bout peut-être à cause de sa position anti-créativité, anti-enrichissement, à son affirmation parfois très étroite de l’invariance, à sa conception du programme. Le doute révisionniste ne pouvait pas être combattu simplement par une réaffirmation d’un « corps de doctrine » mais il fallait aussi extérioriser la théorie en s’attaquant aux faits dont il est question ci-dessus page 19[8]. Mais si ces faits n’étaient pas perçus dans toute leur spécificité, cela revenait à répéter, pour les expliquer, les éléments du vieux bagage théorique ; si on dévoilait pleinement leur spécificité on courait, alors, le risque de voir réapparaître la théorie du chef génial nécessaire pour résoudre les nouvelles énigmes de l’histoire. Cette possibilité inhiba en quelque sorte le travail de Bordiga qui resta à mi-chemin.

                   Nous parlons ici d’immédiateté vis-à-vis de toute une phase historique et non d’immédiatisme dans le sens qu’il donnait à ce mot, en particulier dans les textes publiés dans le n°3 d’Invariance.

                    Anticipons quelque peu : A. Bordiga reconnut l’importance décisive de la défaite de 1914, qui n’a pas encore été surmontée, mais il n’expliqua jamais de façon claire, nette, que le marxisme, théorie du prolétariat, avait été en fait détruit avant cette date et que la révolution russe avait été incapable de le réimposer. Lui-même par suite du compromis de 1920 avec les bolchéviks n’effectua pas le travail nécessaire. Pourtant sa position n’était pas tributaire de celle de Moscou, elle n’était pas née brusquement en 17, comme il l’affirmait à G. Berti – alors encore à la fraction abstentionniste – en 1920, avant de partir pour la Russie, afin d’assister au 2° Congrès de l’IC :

                   « Nos thèses découlent du marxisme, d’un marxisme rigoureux et non dilué comme celui qui domina durant de longues années dans la 2° internationale, et si même, un jour, la révolution russe disparaissait et si les soviets et les bolchéviks prouvaient qu’ils ne sont pas en mesure d’accomplir correctement leur fonction, nous ne changerions pas une virgule à notre programme… »

                   Affirmer que le marxisme n’avait pas été restauré (les réflexions de G. Lukacs en 22 et de K. Korch en 23 sur la question philosophique le montraient déjà de façon percutante) aurait conduit A. Bordiga à remettre en cause la thèse kautsko-léniniste de la conscience venant de l’extérieur. Alors, en fonction de telles présuppositions et en fonction de l’effroyable défaite du prolétariat en 1945, non seulement toute possibilité de formation du parti eût été repoussée, ce qu’il fit, mais, aussi, tout entrisme de type luxembourgiste eût été abandonné. En revanche, il eut l’illusion de pouvoir établir un pont organisationnel entre la contre-révolution et la révolution, d’où toutes les déclarations sur l’importance de la continuité organisationnelle, tout en s’opposant à l’agitation organisationnelle. Voilà pourquoi trouve-t-on si souvent l’idée que le vrai parti viendra demain. Cependant par son travail, il cautionnait l’existence du PCI et permettait aux adeptes de l’organisation immédiate de prospérer dans son anonymat.

                   Cette négativité de la position de A. Bordiga fournit la raison et explique le porte à faux des diverses polémiques dirigées contre lui par la gauche communiste de France (par personne interposée très souvent), par Vega dans Socialisme ou Barbarie, par exemple. Le parti pouvait continuer à vivre tant que les partisans à tout prix d’un vrai parti ne s’extériorisaient pas au point de mettre en cause tout le travail sérieux de réflexion théorique. C’est à cette négativité que le PCI doit la possibilité de le revendiquer, de s’affirmer comme étant son continuateur. Il pourrait au cas où quelqu’un soulèverait une polémique à ce sujet montrer qu’il est fidèle à son œuvre.

                   Si nous mettons en évidence et publions cette dernière, ce n’est nullement pour conduire une telle polémique car la question du rapport actuel de A. Bordiga au PCI nous importe fort peu. Ce qui nous intéresse c’est de cerner son œuvre dans sa spécificité parce qu’elle a un caractère original (et par là-même une importance indéniable) lié à un moment bien défini de l’histoire du prolétariat et de la lutte du communisme contre le capitalisme. Il est le représentant le plus conséquent de l’ultime résistance contre l’accession du capital à sa domination réelle, sans arriver à la délimiter, à la décrire de façon rigoureuse ; l’œuvre de A. Bordiga tout en étant engluée dans la position théorique corrélative à la révolution en domination formelle du capital, pose déjà les bases pour la formulation théorique correcte de ce que sera la révolution en domination réelle du capital, la révolution communiste pure, celle où le prolétariat peut immédiatement se nier. Ces bases sont dues à tout son travail pour réimposer la critique de l’économie politique conduite selon K Marx. Il reprit une à une toutes les catégories et montra en quoi le communisme se distinguait du capitalisme ainsi que des soi-disant socialismes. Toute son œuvre est déterminée par la vision du communisme.

                   Il n’est pas question non plus pour nous d’opposer à certaines affirmations que le PCI puise chez A. Bordiga (par exemple ce qu’il a écrit dans « Le texte de Lénine sur La maladie infantile du communisme (le gauchisme) » écrit en 1960 qui est son plus mauvais ouvrage, comme le « texte » de V Lénine est son écrit le plus déplorable) des citations qui diraient le contraire. Il ne s’agit pas de choisir son A. Bordiga, mais de montrer que l’ambiguïté inscrite dans la totalité de l’œuvre est liée à la période historique qu’il vécut, toute entière dominée, depuis la catastrophe de 1914, par la question : comment être un parti quand les conditions historiques sont défavorables, comment être séparé de la gangrène qui ravage la classe et être pour l’unification de cette classe ?

                   Il ne s’agit pas d’autre part d’escamoter certaines affirmations au profit d’autres considérées comme essentielles pour le point de vue où l’on se place ; ainsi, on ne doit pas oublier que la critique fondamentalement juste de toute théorie gestionnaire dont celle du KAPD avec ses Betriebsorganisation, s’accompagne d’une apologie acritique du parti bolchévik, qui empêcha toute coupure non seulement avec le léninisme mais avec le trotskysme et dans une certaine mesure avec le stalinisme lui-même.

                   Ceci dit, il est possible en complément des thèses I.5.1 à I.5.22 de définir la position de A.Bordiga dans l’histoire du mouvement prolétarien. Ce qui est fondamental, à ce propos, c’est son rapport à la conception bolchévique, lequel est déterminé par son souci de maintien de continuité révolutionnaire. C’est là que surgit sa contradiction essentielle : d’un côté, il affirme de façon réitérée que théorie, principes, tactique, sont indissolublement liés et, d’autre part, lorsqu’il affronte la question de l’IC il parle des erreurs tactiques des bolchéviks tout en exaltant leur « restauration des principes » (cf. par exemple Le danger d’opportunisme et l’Internationale  - 1925 ; Nature, fonction, tactique du parti révolutionnaire de la classe ouvrière, Les Thèses de Naples – 1965). De même il affirme toujours que la révolution n’est pas un problème de formes d’organisation tout en se délimitant des bolchéviks uniquement sur la question de la tactique et de l’organisation, considérant que les erreurs dans ces deux domaines ont conduit à la défaite. Ici encore la contradiction se retrouve dans toute l’œuvre post-1923.

                   La nécessité de la délimitation historique de l’œuvre de A. Bordiga – qui requerrait la publication d’un ouvrage plus conséquent que ces quelques notes – découle non seulement d’une réflexion théorique mais de la pratique même. Le mouvement de mai 68, en mettant un terme à la contre-révolution, en étant émergence de la révolution, était la critique active de l’ambiguïté ; en faisant une critique pratique de tous les groupuscules qu’il rejetait dans leur exhibition passéiste, il posait, évidemment encore de façon non positive, ce que sera mouvement futur du prolétariat qui ne peut se reconnaître dans aucun de ces rackets. De plus, les émeutes grandioses de Pologne 1970 viennent rappeler que la contre-révolution est finie et qu’inexorablement le nouveau cycle est dans son devenir. Pologne 1920 : arrêt de la révolution devant Varsovie ; Pologne 1970 : effectuation de la critique radicale que la plupart des groupuscules hésitent à envisager : la destruction du parti communiste, comme moment de la révolution, ainsi que, pour l’Occident, celle de tous les syndicats. Dès lors les éléments anticipateurs (en particulier l’affirmation de la révolution anonyme) de l’œuvre de A.Bordiga apparaissent lumineusement, tant il est vrai comme le dit K. Marx que ce n’est qu’à partir de la forme supérieure que l’on peut comprendre celle inférieure. Ce qui, d’autre part, donne en partie raison à Vercesi disant qu’il fallait attendre la maturation de la situation pour en théoriser les fondements réels. Cela permet, en outre, d’accorder l’importance qu’elles méritent à toutes sortes de tentatives théoriques comme celle de Socialisme ou Barbarie ou de l’Internationale Situationniste qui ont souvent individualisé les grandes questions du moment. Les producteurs de ces revues, comme P.J. Proudhon au siècle dernier, sont sensibles aux nouveautés que présentent la société de leur époque mais, comme ils n’ont pas fait leur le comportement théorique de K. Marx de considérer tout immédiat comme produit de médiations, ils ne parviennent à intégrer ces faits dans le tout du développement historique. Ils sont portés à n’en voir que l’aspect extraordinaire, magique et presque scandaleux.

                   Tout ceci implique que pour mener à bien cette tâche de délimitation il faille en intégrant l’œuvre de A. Bordiga accomplir le travail défini dans Transition (cf. Invariance, n°8). La force matérielle de la contre-révolution et toute son idéologie a englué le mouvement prolétarien dans le passé ; la pensée qui se veut révolutionnaire retarde énormément sur la réalité du développement économico-social. Et, ceci, paradoxalement parce qu’elle a été séparée de la théorie, du fait de sa négation à la fin du siècle dernier. Dès le début celle-ci résolut le problème essentiel : la suppression du prolétariat. Or, telle est la tâche pratique actuelle du mouvement révolutionnaire.

                   Affirmer l’invariance de la théorie c’est se la réapproprier. C’est de la réappropriation par le mouvement prolétarien plutôt que de sa restauration qu’il s’agira dans les travaux ultérieurs[9].

 

 

***

 

 

« … la critique socialiste […] représente la méthode d’emploi la plus heureuse et la plus sûre de la raison humaine ; c’est seulement lorsqu’elle s’identifie à la cause de ceux qui n’ont rien et sont dominés, en dehors et contre les règnes du dogme et de l’autorité, qu’elle est libre de toutes les influences et de tous les préjugés »

A. BORDIGA, La révolution russe, 1917

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]           A l’époque il n’y avait de parti qu’en Italie. Ce n’est qu’en 1963 que subrepticement celui-ci apparaît en France ; avec le n°25, Programme Communiste  devenait tout d’un coup la revue du parti communiste internationaliste (programme communiste). Le changement de nom ultérieur du parti ne fut pas dû comme il est écrit dans le n°30 de la même revue, à la découverte subite d’un autre PCI en France, mais trotskyste, et donc de la peur tout aussi soudaine de la confusion entre les deux organisations, mais à un évènement en Italie même : la séparation d’un certain nombre de camarades qui revendiquèrent être le parti communiste internationaliste et publièrent Rivoluzione comunista. C’est à partir de là que le parti s’appela parti communiste international ; il fallut en faire autant en France.

 

[2]           En ce qui concerne les courants opposés aux positions de la gauche italienne, il y avait aussi, en France, un groupe publiant le journal « Le prolétaire » qui se définissait anti-bordiguiste !

 

[3]           Ce que fit déjà A. Véga dans Socialisme ou barbarie n°11, novembre-décembre 1952.

 

[4]           Structure économique et sociale de la Russie d’aujourd’hui. Ceci était paru sous forme anonyme dans le journal « il programma comunista » du n°10, 1955 au n°12, 1957, et a été effectivement écrit par Bordiga aidé par d’autres camarades surtout en ce qui concerne la documentation historique et statistique.

 

[5]           Ce travail de restauration sera surtout accompli dans la série d’articles de la rubrique « Sul filo del tempo » (d’où la revue Le fil du temps tire son nom). Ainsi les diverses questions abordées dans les Eléments d’orientation et dans les Thèses seront traitées de façon séparée et détaillée, ainsi que diverses questions touchant de plus près l’actualité telle L’agression à l’Europe de la part des USA.

 

[6]           Á ce sujet il convient de rectifier l’erreur de caractérisation théorique effectuée dans la thèse 1.5.1. in n°6 d’Invariance : il ne s’agissait pas du capitalisme d’Etat conçu comme stade intermédiaire entre capitalisme et communisme.

 

[7]           Dans le sens que nous nui donnons dans le n°8, cf. Transition.

 

[8] Il s’agit des événements : crise de l’Internationale, « manifestation en Italie et dans d’autres pays de nouvelles formes totalitaires et dictatoriales de domination bourgeoise », la seconde guerre mondiale et l’alignement des partis socialistes et communistes sur la propagande de guerre des démocraties capitalistes, le désastre militaires de l’État italien – Préambule à Les thèses de la Gauche 1945 (Note de 2009)


[9]      En ce qui concerne l’ « Invariance historique du marxisme » article d’où a été tiré le nom de la présente revue, cf. Invariance, n°3, pp. 1-6.


if (typeof _gstat != "undefined") _gstat.audience('','pagesperso-orange.fr');