GLOSES
EN MARGE D' UNE RÉALITÉ
III
La
fin d'Homo sapiens impose de se préoccuper
fondamentalement du procès de connaissance, ce qui pourra laisser
penser que
nous donnons la priorité aux superstructures, que nous adoptons une
position et
une démarche idéalistes... Ce serait absurde
en évidence le danger de l'immédiatisme. En effet se préoccuper du
procès de
connaissance, c'est accepter la donnée immédiate actuelle qui est la
mise au
premier plan de celui-ci, à cause de la fin du cycle de vie de Homo
sapiens :
le procès qui lui servait de moment médiateur de réinsertion dans la
monde
s'autonomise et se dissout. Pour ne pas être pâture de l'immédiat, il
faut donc
intégrer ce moment dans tout le devenir de l'espèce et en même temps
poser
celui d'une autre. On traitera de tous ces phénomènes dans d'autres
travaux;
nous voulons simplement indiquer, rappeler, pour le moment, que ce
phénomène
d'autonomisation du procès de connaissance est en relation avec celui
de
l'autonomisation, de l'anthropomorphose et de l'échappement du capital,
phénomènes qui ne peuvent à leur tour se comprendre qu'au sein de la
dynamique
de la représentation et de la domestication. En outre, il est important
de
rappeler que le but du mouvement révolutionnaire fut, tout au moins
pendant sa
période florissante, de créer une autre représentation exprimée dans le
concept
de Weltanschauung (conception du monde) parce que la classe
prolétarienne
saisie dans son mouvement révolutionnaire ne pouvait pas avoir la même
représentation que celle de la classe dominante. Toutefois, la
réalisation
d'une telle représentation fit faillite, ne serait-ce que parce que les
révolutionnaires, comme leurs adversaires bourgeois, acceptèrent la
science en
tant que représentation commune ou neutre. Rares furent ses remises en
cause,
même si sa relation-dépendance à la classe bourgeoise ou au
capital fut
envisagée. En revanche, on a eu plutôt tendance à la formation d'une
représentation-idéologie fondée sur certains domaines scientifiques,
ainsi du
darwinisme social développé par Kautsky.
La
question n'est plus d'opposer une conception du monde à une autre, de
faire
fonctionner le procès de connaissance d'une autre façon, etc.. En
effet, il ne
peut plus y avoir un tel procès, séparé ou plus ou moins lié à la vie
immédiate; il ne s'agit plus de trouver un expédient pour se réinsérer
dans la
nature et se sécuriser. Un autre procès de vie est nécessaire.
L'étude
de
l'autonomisation du procès de connaissance permet de comprendre la
séparation
entre l'existence et la connaissance, celle
entre les divers domaines de celle-ci aboutissant aux multiples
disciplines et
sciences et comment chaque domaine séparé, fondé en science
particulière, tend
à envahir tout le champ du savoir comme pour le fonder de son point de
vue; ce
qui en même temps montre à quel point le procès de
purification (cf.
ci-dessus, note 10,
p. 44) a
séparé des éléments qui normalement devraient être unis. Ainsi ce que
l'on
désigne comme l'impérialisme des mathématiques traduit en fait que dans
tout
domaine du connaître et du faire il y a de la mathématique. Ce qui est
absurde
c'est de l'avoir séparé pour
constituer un domaine à part
(peut-être que ce ne fut qu'à cette condition qu'il put y avoir un
développement des connaissances). Ainsi, si on prend un
cas particulier,
une production particulière comme le langage verbal,
on constate
qu'il fait intervenir physique, biologie, mathématique, logique, etc..
Le seul
fait de parler devrait permettre simultanément d'atteindre à la
connaissance de
ce qui relève actuellement de domaines séparés.
La
perspective n'est pas de réunir ce qui a été séparé. I1
faut retrouver
un mode de participation à la nature, au cosmos.
C'est ce qu'on essaiera
d'exposer en précisant la genèse de Homo Gemeinwesen. Pour l'heure nous
voulons
exposer un procès de dissolution qui nous interpelle
sur notre devenir.
*
* *
"La peste de 1502 en Provence,
qui fournit à Nostradamus l'occasion d'exercer
pour la première fois ses facultés de guérisseur,
coïncida
aussi dans l'ordre politique avec les bouleversements les
plus profonds,
chutes ou morts de rois, disparition et destruction
de provinces,
séismes, phénomènes magnétiques de toute sorte,
exodes de juifs,
qui précèdent ou suivent dans l'ordre politique ou cosmique,
des
cataclysmes ou des ravages dont ceux qui les
provoquent sont trop
stupides, et ne sont pas assez pervers pour désirer réellement les
effets.
Quels
que soient les errements des historiens ou de la médecine sur
la peste,
je crois qu'on peut se mettre d'accord sur l'idée
d'une maladie qui
serait une sorte d'entité psychique et ne serait pas rapportée à un
virus. Si
l'on voulait analyser de près tous les faits de
contagion pesteuse que
l'histoire ou les Mémoires nous présentent, on
aurait du mal à isoler un
seul fait véritablement avéré
de contagion par contact..."
(Antonin Artaud, Le
théâtre et son double, Ed.
Idées-Gallimard, pp. 24-25).
"De
ce fait
deux remarques importantes doivent être tirées, la première est que les
syndromes de la peste sont complets sans gangrène des poumons et du
cerveau, le
pesteux a son compte sans pourriture d'un membre quelconque. Sans la
sous-estimer, l'organisme ne revendique pas la présence d'une gangrène
localisée et physique pour se déterminer à mourir.
La
seconde
remarque est que les deux seuls organes réelle ment atteints et lésés
par la
peste : le cerveau et les poumons, se trouvent tous deux sous la
dépendance
directe de la conscience et de la volonté." (Idem,
p. 28)
"De
ces bizarreries, de ces mystères, de ces contradictions et de ces
traits, il
faut composer la physionomie spirituelle d'un mal qui creuse
l'organisme et la
vie jusqu'au déchirement, comme une douleur qui, à mesure qu'elle croit
en
intensité et qu'elle s'enfonce, multiplie ses avenues et ses richesses
dans
tous les cercles de la sensibilité.
Mais
de
cette liberté spirituelle, avec laquelle la peste se développe, sans
rats, sans
microbes et sans contacts, on peut tirer
le jeu absolu et
sombre d'un spectacle que je m'en vais essayer d'analyser." (Idem,
p. 31)
"Dans
les maisons ouvertes, la lie de la
population immunisée, semble-t-il par sa frénésie cupide, entre et
fait main
basse sur des richesses dont elle sent bien qu'il est inutile de
profiter. Et
c'est alors que le théatre s'installe. Le théâtre, c'est-à-dire la
gratuité
immédiate qui pousse à des actes inutiles et sans profit pour
l'actualité." (Idem, pp. 32-33)
"L'état
du pestiférés qui meurt sans
destruction de matière, avec en lui tous les stigmates d'un mal absolu
et
presque abstrait, est identique à l'état de l'acteur que ses sentiments
sondent
intégralement et bouleversent sans profit pour la réalité." (Idem,
pp.
33-34)
"Saint-Augustin
dans la Cité de Dieu accuse cette similitude
d'action entre la peste qui
tue sans détruire d'organes et le théâtre qui, sans tuer, provoque dans
l'esprit non seulement d'un individu mais d'un peuple, les plus
mystérieuses
altérations." (Idem, pp. 35-36)
Ensuite
A.
Artaud précise sa comparaison entre théâtre et peste. Indiquons, en
particulier, ceci :
"Comme
la peste, le théâtre est donc un formidable appel de formes qui
ramènent
l'esprit par exemple à la source de ses conflits." (Idem,
p. 42)
"Comme
la peste il est le temps du mal, le triomphe des forces noires, qu'une
force
encore plus profonde alimente jusqu'à l'extinction." (Idem,
p. 42)
"Le
théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou la
guérison." (Idem, p. 44)
A.
Artaud
conclue son article "Le théâtre et la peste" de la façon
suivante :
"Et
la
question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui
glisse, qui
se suicide sans s'en apercevoir, il se trouvera un noyau d'hommes
capables
d'imposer cette notion supérieure du théâtre, qui nous rendra à tous
l'équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons
plus."
(Idem, p. 45)
Nous
pouvons résumer l'ensemble de ces citations en disant que selon A.
Arhaud la
représentation est déterminante chez les hommes et les femmes; qu'elle
est
créatrice et qu'il y a une forme de représentation qu'on peut manipuler
afin de
pouvoir exercer un effet salutaire sur eux : le théâtre.
Dans
d'autres essais de son recueil, il exprime bien la
pérennité du théâtre : "Je ne suis pas de ceux qui croient que la
civilisation doit changer pour que le théâtre change..." (Idem,
p.
120), et que la société est arrivée à un stade de pourrissement:
"Notre
théâtre ne va jamais jusqu'à se demander si ce
système social et moral ne serait par hasard pas inique.
Or
je dis
que l'état social actuel est inique et bon à détruire.
Si
c'est
le fait du théâtre de s'en préoccuper, c'est encore plus celui de la
mitraille." (Idem, p. 60)
Ayant
ainsi précisé la pensée d'A. Artaud nous pouvons d'autant mieux poser
la
question de savoir s'il ne faut pas remettre en cause, en réalité,
toutes les
formes de représentation, en raison des effets nocifs qu'elles
provoquent au
sein de l'espèce et, en outre -étant donné qu'Homo sapiens a produit
des représentations
en tant que phénomènes compensateurs au sein de son procès de vie- dès
lors que l'on pose la nécessité de l'abandon d'une errance à
laquelle a abouti ce procès, ne faut-il pas abandonner ces
représentations, ou mieux, ne disparaîtront-elles pas d'elles-mêmes?
Je
n'ai
pas l'intention d'affronter ces questions qui nous amèneraient à
analyser entre
autres, les positions de Platon ou de Rousseau au sujet des arts et
tout
particulièrement à propos de la littérature; je veux simplement
signaler la
problématique qui s'impose si l'on réfléchit en profondeur sur
l'importance et
le rôle de la représentation, en ajoutant que justement Platon et
Rousseau sont
restés à la superficie du phénomène. C'est pour le montrer et montrer
en même
temps la pertinence des remarques de A. Artaud que je voudrais indiquer
quelques faits d'ordre psychologique et biologique qui mettent en
évidence à
quel point la représentation est déterminante pour l'espèce.
Avec
G.
Groddeck on constate que la représentation est fondamentale et surtout
qu'elle
n'est pas un simple produit du cerveau, mais qu'elle est engendrée par
tout le
corps par un mécanisme non dévoilé dont l'opérateur est le Ça.
"Je
pense que l'homme est vécu par quelque chose d'inconnu. I1 existe en
lui un
"Ça", une sorte de phénomène qui préside à tout ce qu'il fait et à
tout ce qui lui arrive." (Le livre du Ça, Ed.
Gallimard, p. 20)
"…
l'être
humain est vécu par le Ça."
"...
Nous
ne connaissons de ce Ça
que ce qui s'en
trouve
dans notre conscient." (Idem)
Il
en découle
que la maladie non seulement est en rapport avec la représentation
(toute
maladie est psychosomatique) mais est une représentation engendrée par
l'organisme dans son entier. Ce qui conditionne une attitude tout à
fait
différente vis-à-vis d'elle.
"Pour
qui,
comme moi, voit dans la maladie une manifestation de vie de
l'organisme, elle
n'est plus une ennemie. I1 ne lui vient plus à l'esprit de vouloir
combattre la
maladie, il n'essaie pas de la guérir, je vais plus loin, il ne la
traite même
pas...
"Dès l'instant où j'ai
constaté que la maladie est une création du malade, elle devient pour
moi la
même chose que sa démarche, sa manière de parler, le jeu de physionomie
de son
visage, ses gestes de mains, le dessin dont il est l'auteur, la maison
qu'il a construite,
l'affaire qu'il a conclue ou le cours de ses pensées: un symbole
significatif
des puissances qui le régissent et que je chercherai à influencer si je
considère que c'est nécessaire....
"Je
tâcherai de découvrir pourquoi et dans quel
but son Ça a recours au moyen de mal parler, mal écrire, mal
construire, en un
mot à la maladie et ce qu'il entend exprimer par là..." (Idem,
pp. 292-293)
"La
maladie ne vient pas de l'extérieur, l'être humain l'a produite
lui-même; il
n'utilise le monde extérieur que comme un instrument pour se rendre
malade,
choisit dans son inépuisable arsenal d'accessoires tantôt le spirochète
de la
syphilis, demain une écorce d'orange, après demain une balle de fusil
et dans
une semaine un refroidissement pour se procurer à lui-même une
douleur. Il le
fait toujours avec l'intention d'en éprouver une jouissance, car en sa
qualité
d'être humain, il est dans sa nature de se sentir coupable et vouloir
écarter
ce sentiment de culpabilité par l'autopunition; parce qu'il veut éviter
Dieu
sait quelle incommodité." (Idem, p.
295)
Pour
comprendre la théorisation de Groddeck, il faut tenir compte qu'il
n'accepte
que comme un pis aller la conception individualiste de la vie, selon
laquelle
le monde vivant serait formé d' un ensemble d'individus.
Pour
commencer je vais vous faire une communication affligeante: à mon avis
il n'y a
pas de Ça tel que je l'ai supposé; je l'ai fabriqué de toutes pièces.
Mais
parce que je m'occupe essentiellement et exclusivement de
l'humanité, des
êtres humains, je suis obligé d'agir comme s'il existait, détachés du
Dieu-nature, des individus appelés hommes. Je dois faire comme si cet
individu
était isolé du reste du monde par une espace vide, afin qu'il prenne
vis-à-vis
des choses qui sont en dehors des limites qu'il s'est lui-même fixées
une
position indépendante. Je sais que c'est faux; je ne m'en tiendrai pas
moins
fermement à l'hypothèse que chaque être humain est un Ça individuel,
avec des
limites définies, un commencement et une fin." (Idem,
p. 279)
L'affirmation
d'un continuum, d'une communauté, confère à
la
représentation selon Groddeck une vaste ampleur, mais elle demeure dans
l'indéterminé et, à la limite, dans la mystique [1].
Dans
les travaux
de A. Janov (dont l'œuvre, comme celle de A. Lowen, ne peut se
comprendre sans l'étude
de celle de W. Reich, et que nous citons à titre d'exemple), il y a une
tendance à expliciter comment la représentation peut affecter
l'organisme.
H.B.
Miller rapporte dans Science Digest (juillet 1970):
"Je
soupçonne que le cancer est en réalité un trouble
généralisé, la tumeur elle-même étant une manifestation locale du
processus
tout entier". Il explique de quelle façon la tension affecte
l'hypophyse
et l'hypothalamus, qui produisent alors des sécrétions qui affectent
finalement
les cellules du corps. Il attribue l'éventualité du développement d'une
tumeur
à des troubles métaboliques (d'origine émotionnelle) qui stimulent de
façon
excessive les tissus et les
cellules jusqu'à la désorganisation
des structures. I1 envisage l'inversion de la croissance la tumeur
grâce à des
traitements émotionnels. J'ai souvent pensé que le cancer était "la
folie" de la cellule"; des cellules qui ont échappé à tout contrôle à
cause de la pression primale. Cette pression doit finalement nous
affecter sur
le plan cellulaire." (L'amour et l'enfant, Ed.
Champs Flammarion,
p. 110)
Il
serait
intéressant de trouver comment l'émotion peut parvenir à perturber à ce
point
le mécanisme biologique. Ceci réside, au moins en partie, dans une
dérégulation
du mécanisme immunitaire.
Une
expérience décrite dans un article de l'International Herald
Tribune du
10.01.85: "Les réflexes conditionnés montrent que le cerveau
contrôle
les défenses immunitaires", permet de comprendre comment la
représentation peut agir. Elle consiste à faire sentir à des souris une
certaine odeur (celle du camphre) et de leur injecter immédiatement
après une
substance (Poly I.A = polyinosinic-polycytidilic acid) qui a comme
propriété de
provoquer l'apparition de cellules tueuses (lymphocytes T qui
détruisent les
cellules) et de les activer. Au
bout de 10
séances, les souris étaient exposées uniquement à l'odeur du camphre.
Dans tous
les cas, elles présentaient un accroissement de l'activité des cellules
tueuses.
L'auteur
de l'article reportait ensuite d'autres travaux mettant en évidence le
rôle du
cerveau et celui de la dominance (ainsi il a été remarqué que les
gauchers
souffraient plus souvent que les droitiers de troubles du système
immunitaire).
L'article se terminait par l'affirmation que le cerveau contrôlait
l'ensemble
de la vie de l'être humain et par une remarque sur l'importance de la
représentation: un docteur peut induire la mort d'un patient en
convaincant ce
dernier qu'il est en train de mourir, ou qu'il peut guérir à l'aide de
placebos [2]
En
rester
là est insuffisant car ce n'est pas prendre en considération la
totalité de la
représentation. Tout d'abord nous avons une représentation du système
immunitaire qui est déterminé par 1'ensemble des schèmes cognitifs
prévalant
dans la communauté actuelle et qui sont le produit d'un long passé. En
effet,
cette représentation est fondée sur la mise en évidence qu'il y aurait
un Soi
formé de l'ensemble des cellules composant l'être vivant. Ces dernières
posséderaient des marqueurs dits marqueurs du Soi leur permettant de se
reconnaître et d'être identifiées. Tout élément non porteur d'un tel
marqueur
serait un non-Soi. Cela concerne aussi bien les éléments venant de
l'extérieur,
les allogènes: antigène et allergènes (la différence entre les deux
dérivant
des diverses réactions qu'engendre leur pénétration dans l'organisme)
que des
éléments internes: cellules mal formées ou dégénérescentes par exemple.
Une
première
remarque s'impose: cette représentation dérive du fait que nous avons
accepté
depuis longtemps la dichotomie intérieur-extérieur et que nous
considérons
fondamentalement que les rapports entre êtres vivants sont des rapports
de
conflits. La représentation immunitaire dépend de celle de l'extranéité
de l'espèce
par rapport â la nature.
Acceptons
cette représentation et voyons comment des perturbations en son sein
vont déterminer
des réactions chez les hommes et les femmes.
Des
enfants élevés dans une communauté où soit l'individu n'existe pas (là
où il y
a communauté, il n'y a pas d'individu), soit il n'est pas encore
autonomisé, le
système immunitaire ne va pas être activé, exalté de la même façon que
celui
des enfants élevés dans des sociétés où l'individu est devenu
prépondérant.
Dans ce dernier cas, il y a une exaltation du Soi telle qu'il y a
sécrétion
pour ainsi dire d'une intolérance qui fait que la moindre variation par
rapport
â la norme (définie par les marqueurs du Soi) peut entraîner une
hyperactivité
du système immunitaire qui opérera contre ce qui vient de l'extérieur,
pouvant
conduire à divers types d'allergie, mais également contre les éléments
internes,
pouvant aboutir aux maladies auto-immunes. Dans ce cas, des cellules
immunitaires s'attaquent à d'autres cellules de l'organisme et les
détruisent
provoquant des déficits fonctionnels importants: le diabète juvénile
serait dû
à une destruction des cellules béta de Langerhans du pancréas.
Il
est
clair que ceci n'agit pas de façon automatique et qu'il y a divers
systèmes
médiateurs. Toutefois il est remarquable de constater â quel point,
dans nos
sociétés occidentales hyperindividualisées, on a des maladies
auto-immunes, en
même temps que règne le délire de l'ego [3].
Le
phénomène peut opérer en sens inverse c'est-à-dire qu'au lieu d'une
exaltation
on a une dépression du système immunitaire. Dans ce cas l'élément
déterminant
provient du conflit entre la représentation instillée en l'individu et
la
réalité ou entre représentations.
Au
sein de
la représentation politique il y a exaltation de l'individu tandis que
la
réalité montre à quel point il est écrasé par la communauté du capital
(ou
dissout en elle). Cette contradiction paralyse en quelque sorte le
système
immunitaire. Il nous faut ajouter, toutefois, qu'on peut avoir l'effet
contraire: un raidissement de l'individu qui s'autonomise toujours plus
en
édifiant des barrières, en augmentant son intolérance.
Le
conflit
entre représentations peut s'opérer entre celle en place et celle
déterminée
par un comportement non accepté ou simplement toléré par cette
dernière. Le
SIDA est l'exemple parfait d'une maladie découlant d'un tel conflit. Le
syndrome du déficience d'immunité acquise a d'abord été trouvé chez les
homosexuels qui sont des gens en bute avec la représentation dominante
et une
pratique qui les tolère. Ensuite on a découvert cette maladie dans des
pays qui
ont été totalement bouleversés par de vastes conflits au cours de ces
dernières
années, comme le Zaïre. Les vieilles communautés se sont effondrées
avec leurs
représentations; hommes
et femmes se sont entassés dans
des bidonvilles, en une promiscuité difficilement supportable. Comment
le
système immunitaire n'aurait-il pas sombré dans ce cas?
On
doit
toutefois signaler qu'il est fort curieux de constater avec quel
acharnement
les savants étasuniens veulent démontrer que l'agent causal (un ou
plusieurs
virus) serait originaire de l'Afrique et non des USA, afin de ne pas
ternir
l'image du pays. Là encore la représentation est déterminante: elle
doit
sécuriser.
Il
est
certain que les maladies "modernes" seront de moins en moins les
maladies cardio-vasculaires qui sont les conséquence d'un mode de
nourriture
aberrant et d'un tempo de vie trop frénétique, mais les maladies de la
représentation
comme le Sida. Aussi cela ne nous étonne
pas qu'il progresse de façon irrésistible.
La
crise de la représentation opère à deux niveaux: individuel comme nous
l'avons
mentionné plus haut, communautaire dans la mesure où ce qui fondait la
communauté,
le capital, est mort.
Il
n'en reste pas moins dira-t-on qu'il y aurait un agent causal organique
au Sida
(le virus lab par exemple) qui détruirait les lymphocytes T tueurs ou
les
lymphocytes T auxiliaires ayant pour rôle d'activer les lymphocytes B
aptes à
produire les anticorps etc., et qu'ainsi l'élément déterminant serait
de nature
biologique. Reste alors à expliquer l'origine de ce virus. Cette
dernière ne
peut être envisagée qu'en relation avec une dérégulation du procès
de vie total qui engendre une dissolution de l'être vivant -comme on
l'a déjà
exposé- et ceci est la conséquence du mode de vie hors nature de
l'espèce. En
outre, il faut comprendre pourquoi est-ce le système immunitaire qui
est le
plus touché.
Certains
ont avancé que le Sida pourrait être la conséquence d'une pratique
médicale: la
recherche sur le cancer. Des savants australiens auraient fait
remarquer que
les premiers cas de cette maladie auraient été signalés près de centres
de
primatologie où l'on expérimente le cancer sur des singes. Le virus Lab
ou son
concurrent serait un rétrovirus qui aurait échappé au contrôle
humain [4]
Quoi
qu'il
en soit cela ne remet pas en cause l'importance de la représentation.
En effet
les travaux récents sur l'immunité ont montré la multiplicité de
relations qui
existent entre le système nerveux et le système ou réseau immunitaire,
comme
l'expose G. Gachelin dans "Emotions et immunité" (La
Recherche, n° 177)
qui
écrit :
"Le
lien entre émotion et immunité est sans doute là, dans cette capacité
d'intégration des cellules lymphoïdes, de signaux émis par le système
nerveux
et d'autres organes, en réponse à des informations -émotionnelles ou
non-
extérieures. Reprenant ici une opinion de C.B. Pert, il semble que si
les
neuropeptides sont les messagers d'un réseau psychosomatique, leurs
effets
s'appuient sur le réseau immunitaire." (p.
666)
De
l'ensemble des articles de ce n° consacré à Les défenses du
corps humain,
il émerge en définitive que le réseau immunitaire ne sert pas
uniquement à la
défense de l'organisme, mais serait un système d'intégration, de
positionnement
de celui-ci dans le continuum vital, qui fonctionnerait d'ailleurs en
symbiose
avec les milliards de microorganismes (principalement des bactéries)
présents
dans le corps de tout homme et de toute femme.
Si
le système nerveux, surtout par l'intermédiaire
du cerveau, intervient dans le procès de l'évolution (cf. Prélude),
son
action est probablement relayée par le système immunitaire, car c'est
le
système qui permet de produire une réponse à l'environnement, réponse
qui n'est
pas seulement de l'ordre du rapport de l'être vivant au milieu, mais du
rapport
de ce dernier au premier et même une réponse interne, c'est-à-dire
opérant dans
les limites de l'être vivant. C'est grâce à lui que se réalise
l'intégration de
ce
dernier dans le
milieu; il signifie une adaptation
puisqu'une adaptation est une modalité d'intégration dans la totalité.
On
peut le
concevoir comme étant le support du Ça de G. Groddeck, parce que
toutes les cellules ont
en fait des aptitudes immunitaires. Elles ont toutes la possibilité de
se
situer dans le tout de l'organisme en même temps qu'elles sont
l'expression de
celui-ci [5].
Le
système immunitaire opère en tant que système de défense quand
l'équilibre est
détruit par un accident tel qu'une blessure, une agression psychique,
etc..
L'importance
de
la représentation se décèle également dans le fait qu'elle constitue un
piège
où hommes et femmes s'empêtrent. Ce dernier joue de façon à ce qu'ils
se
conduisent de manière à entrer en contradiction avec la dynamique de la
vie.
La
représentation du système immunitaire dépend de celle des relations
entre êtres
vivants qui seraient régies par la concurrence, l'antagonisme. Or les
recherches scientifiques tendent à montrer qu'un grand nombre de
relations
relèvent plutôt de la symbiose, c'est-à-dire d'une entraide. On a déjà
signalé
la théorie endosymbiotique de la formation de la cellule; on voit
poindre une
théorie similaire en ce qui concerne la formation du noyau. En effet on
a mis
en évidence que beaucoup de transposons (gènes baladeurs,c'est-à-dire
gènes n'ayant
pas une position fixe sur les chromosomes) pourraient être des virus.
De même
on a observé des virus incorporés au génome d'une bactérie, etc..[6]
En
conséquence il y a heurt entre le procès réel et le procès de
représentation.
En outre, le mode de vie actuel favorise la dissolution du premier,
accéléré
par le heurt sus indiqué. Ainsi dans le cas du Sida on peut penser que
le
rétrovirus est un transposon autonomisé et qu'il résulte non d'une
agression,
mais d'un dérèglement du fonctionnement dans lequel opèrent système
nerveux et
système immunitaire et qui acquiert une importance considérable à cause
de la
pratique des greffes.
On
doit
noter en premier lieu que le phénomène du rejet, chaque fois que le
greffon ne
provient pas d'un être ayant même génotype (cas où il provient du
porte-greffe
lui-même ou de son jumeau) montre bien le rôle intégrateur du système
immunitaire. Toutefois on ne s'est pas demandé pourquoi il n'en est pas
de même
chez les végétaux...
En
second
lieu, on doit signaler que les savants tendent à donner une base
naturelle au
phénomène, à lui trouver une justification naturelle, pour pouvoir
ensuite
l'autonomiser. Pour cela ils ont fait appel à la relation essentielle
entre le
fœtus et la mère.
Á
ce
propos, il convient de noter à quel point la représentation est ici
déterminante. Prenons le cas de la relation au cours de la parturition.
Si le
fœtus est considéré comme passif, c'est le "travail" de la
femme qui est fondamental; s'il est considéré comme actif et la femme
seulement
comme un réceptacle, c'est son activité qui le sera, les contractions
de
l'utérus n'étant qu'un adjuvant; si enfin on considère que le
fœtus et la
mère sont actifs, la parturition résulte d'une coopération synergique
entre les
deux au cours de laquelle le phénomène de contact est prépondérant .
En
ce qui concerne les relations fœtus-mère durant tout le cours de la
gestation,
il y a eu un certain nombre de savants pour considérer le premier comme
un
parasite de la seconde. De nos jours -et nous revenons au cœur de notre
sujet-
on tend à considérer la gestation comme relevant d'un phénomène de
greffe qui
ne serait pas accompagné de rejet. La mère
tolèrerait le fœtus
et ceci s'effectuerait grâce au placenta (cf. La
défense du
foetus contre sa mère de G. Chaouat, La
Recherche n°177).
Le
concept de tolérance acquiert ici une dimension
opératrice déterminante, comme il l'a dans d'autres domaines. Il
indique
l'addition au sens assembliste du terme entre l'ensemble mère et
l'ensemble
fœtus et le ET de cette intersection est incarné par le
placenta, ce qui
montre à quel point le savoir actuel est dominé par une vaste
manipulation
tautologique inavouée et difficilement avouable [7].
Il
est
clair que de telles représentations ne furent possibles qu'à partir du
moment
où l'on a perdu la compréhension que si l'embryon puis le
fœtus ont besoin
de la femme pour advenir à la pleine réalisation de l'enfant, la femme,
à son
tour, a besoin de l'embryon puis du fœtus pour advenir à sa
pleine
réalisation tant sur le plan biologique que psychologique (je me limite
à
dessein à la relation mère-enfant; mais je n'occulte en rien
l'importance du
père et des relations réciproques entre lui et les deux autres).
S'il
existe donc à l'état naturel un cas de greffe réussie, on peut
justifier toutes
les greffes comme étant des cas analogues, mais où l'homme intervient
pour
provoquer une inmuno-dépression qui permet la tolérance d'un greffon.
Ceci
posé,
le procès d'autonomisation peut s'enclencher. I1 conduit déjà à des
manifestations spectaculaires dont une qui, si elle parvient
prochainement à sa
pleine réalisation, ridiculisera par son effectivité le débat sur la
maternité:
la greffe d'un embryon chez un homme. La paternité aurait dès lors sa
concrétude immédiate comme dans le cas de la maternité. La gestation
sera une
tolérance, expression parfaite de la domestication, en même
temps son effectuation sera le résultat d'une combinatoire
reproductive-reproductrice qui, dans tous les cas, peut aller très
loin, puisqu'une
jument a pu accoucher d'un zèbre. Qui nous dit que demain les hommes et
les
femmes devenus misanthropes, au sens plein, ne pourront pas engendrer
leurs
animaux favoris.
Si
on
tient compte en outre de la pratique de la location d'utérus et de
l'utilisation
d'embryons congelés, on comprend qu'alors le phénomène de tolérance
devra
opérer sur une vaste échelle puisqu'il n'y aura plus aucun lien naturel
fondant
les relations entre les êtres. Ce sera encore plus nécessaire lorsque
la
génération in vitro aura été mise au point et diffusée.[8]
Notons
simultanément la contradiction entre l'exaltation de l'unicité de
l'individu
qui implique de lui reconnaître des limites strictes et un système
immunitaire
puissant et la nécessité de déprimer ce dernier afin de rendre les
individus
interchangeables, c'est-à-dire qu'ils peuvent échanger et changer les
pièces-organes dont ils sont composés. Il faut qu'ils se tolèrent. Dès
lors
pourra pleinement se développer le théâtre de la démocratie (comme
pourrait le
dire A. Artaud!) désormais évanouie, les individus, son support, ayant
eux-mêmes disparu. Le théâtre est représentation de l'advenu. De nos
jours, il
est d'autant plus nécessaire qu'il faut apprendre à vivre au sens
strictement
littéral du terme. Toute innéité est transformée en acquis, soit par
élimination (qui peut impliquer un refoulement) soit par une mise en
évidence,
avec extériorisation, qui permet d'autonomiser et de manipuler; toute
immédiateté est supprimée, il faut donc apprendre, acquérir. C'est ici
que
réside une autre manifestation hypertélique du devenir de Homo sapiens:
il y a
hyperdéveloppement de l'acquis, de la réflexivité. L'espèce n'est plus
à même de
comprendre l'immédiat; il faut toujours qu'elle se le représente; elle
tend de
plus en plus à vivre à posteriori, dans le théâtre qui va être enseigné
de
façon systématique.
Ici
nous avons la convergence avec la publicité qui est mise en spectacle
de
l'activité de l'espèce et dont le développement implique que tous les
hommes et
toutes les femmes deviennent ses acteurs. Alors, la tautologie sera
pleinement
réalisée.
La
greffe
devient la pratique paradigmatique par excellence de la communauté
actuelle,
car elle autorise la combinatoire la plus complète. Elle permet de
surmonter en
outre une contradiction entre le fait d'affirmer l'importance de
l'immunité en
tant qu'aptitude à discerner le Soi du non-Soi et la pratique de la
vaccination
en masse. Il devrait y avoir, au contraire, une hyperindividualisation
des
traitements médicaux afin de mieux préserver le Soi. Si on tend à
aborder la
pratique médicale à partir d'une mise en place de greffes, on exalte à
la fois
le Soi et on le manipule afin qu'il y ait tolérance et jeu possible de
relations entre les membres de la
communauté.
Notre
époque se
caractérise par le triomphe de la combinatoire, la perte des
stéréotypes
anciens et, de ce fait, le développement d'un mobilisme. Nous l'avons
déjà
envisagé. Ajoutons seulement qu'en ce qui concerne les rapports entre
les
hommes les femmes on en arrive à l'heure actuelle à un stade de plus ou
moins
grande indifférenciation sur le plan biologique lui-même. En
conséquence la
représentation acquiert toujours plus d'importance pour permettre aux
membres
de la communauté d'accomplir leur cycle de vie. Celle-ci a été produite
à
partir du début de ce siècle à l'aide de l'apport de différentes
théories psychologiques,
tout particulièrement par 1a psychanalyse qui a permis un déracinement,
une
dépossession de l'espèce. L'inconscient qu'on peut considérer comme un
complexe
de défense et de maintien de l'être contre ce qui tend à le nier, à le
domestiquer, a été dévoilé et mis sur le marché. Nous l'avons vu
ailleurs, le
procès du capital s'est emparé de cette dimension notamment au travers
de la
publicité. Hommes et femmes ne sont plus protégés par cet écran. Les
maladies
atteignent directement le système immunitaire.
Au
sujet
de l'inconscient il s'agit aussi bien de celui individuel que de celui
collectif selon Jung, compendium d'archétypes qui guideraient hommes et
femmes
dans leur pratique vitale. Ce dernier a non seulement été banalisé,
consommé, mais
rendu absolument inopérant par suite de l'interchangeabilité. Reste une
solution: opérer une combinatoire au niveau des archétypes et
donc
produire une autre représentation du cheminement de l'espèce.
Divers
psychanalystes démontrèrent que pour pouvoir vivre en société, hommes
et femmes
devaient ériger des barrières, et l'on pourrait ajouter qu'ils devaient
élaborer des systèmes de compatibilité leur permettant de reconnaître
ce qui
leur était proche de ce qui leur était hostile: des espèces de
marqueurs.
Pendant quelques années on a considéré que l'érection de barrières
était
l'apanage de sujets sains puisque effectivement cela leur permettait de
s'intégrer dans l'ensemble social. En revanche, A. Janov -avec juste
raison-
démontre que cela traduit la maladie mentale. L'être sain est sans
défense.
L'individu
doit
se défendre contre une agression perpétuelle engendrée par le milieu où
il vit.
Plus il érige une carapace, plus il parvient à subsister et plus il
devient
malade et irréel. Son irréalité est par rapport à un procès naturel
(les
besoins réels dont parle A. Janov), tout ce qui est encore en
continuité avec
la dimension biologique. Or dans la mesure où ce procès est manipulé,
que
peut-il advenir? Opérer une tolérance entre les deux procès. En outre,
il est
même concevable que les barrières puissent être manipulées comme des
prothèses
dans une combinatoire où l'être humain pourra tour à tour être
sain et
malade ou les deux à la fois (théâtralisation de la vie).
Il
est clair que
ce qui permet à Homo sapiens de survivre c'est l'imagination, faculté
qui
engendre une réalité représentative et concède à l'espèce la capacité
de
s'intégrer. Grâce à elle cette dernière produit des symboles -quantités
discrètes qu'elle peut manipuler pour construire la représentation.
Cette
faculté opère dans tous les domaines et ce d'autant plus que la coupure
avec la
nature est puissante. Elle est à la base de l'art, de la philosophie,
des
mathématiques, de la maladie. Pendant une longue période de l'histoire
de Homo
sapiens, cette faculté a bien opéré en tant qu'intermédiaire. La
méfiance
qu'elle suscitait chez les hommes et les femmes contribuait à la
limiter dans
ce rôle, mais depuis quelques années elle s'est autonomisée et devient
despote
des deux extrêmes : Homo sapiens d'une part, la nature d'autre part.
C'est
au
moment où l'on parvient à faire sauter les barrières dont se hérissent
les
hommes et les femmes, qu'elles sont peut-être le plus nécessaires du
fait de la
promiscuité qui devient de plus en plus oppressante à[9] cause
de l'accroissement énorme de la population et surtout en raison de sa
concentration en des agglomérations immenses et fort denses. Mais
peut-être
est-ce une nécessité au niveau de la communauté en place afin qu'il y
ait
tolérance entre tous.
Si
l'on pose
l'existence d'une communauté humano-féminine en liaison immédiate avec
la
nature, toute la problématique immunitaire actuelle disparaît. Alors le
toucher
étant réactivé, en tant que fonction déterminante au sein du procès de
vie de
l'espèce, un nouveau lien peau-système nerveux (particulièrement le
cerveau) se
produira.
La
peau a
elle aussi un rôle dans le phénomène immunitaire. Actuellement elle
opère dans
la mécanique du rejet (il est question, ici, de l'organisme en son
entier),
elle opèrera ultérieurement dans le sens de l'intégration non seulement
au
niveau des membres de la communauté immédiate, mais à celui de la
totalité
englobant celle-ci et la nature. La jonction à cette dernière, au
cosmos pourra
s'effectuer. Ceci implique que la représentation qui a servi de
référentiel,
celle du réseau immunitaire c'est-à-dire celle qui est fondée sur les
concepts
d'attaque et de défense (donc d'adversaire, d'ennemi, etc..) dérivant
de l'
arsenal militaire aura totalement été abandonnée.
Il
nous
faut vivre en adéquation avec les autres espèces. Le réseau immunitaire
envisagé non plus à l'échelle individuelle mais à l'échelle de l'espèce
apparaît (comme on l'a déjà noté) comme un moyen de positionnement dans
le
continuum vital qui résulte autant d'une lutte-limitation du
développement de
certaines espèces, que d'une entraide avec d'autres.
En
revanche au
sein de la communauté actuelle où l'individu se dissout, en même temps
qu'il y
a absorption de l'Etat, disparition des classes, le système intégrateur
est la
publicité.
*
* *
Comme
on l'a vu
dans Gloses en marge d'une réalité II,
la publicité intègre un
grand nombre de pratiques. Dans un premier
temps
l'intégration a porté sur un ensemble de conduites en rapport avec le
mouvement
de la valeur (qui sera étudié dans 1e chapitre 9 de Emergence
de Homo
Gemeinwesen). En conséquence, nous n'indiquerons aujourd'hui
que les
éléments nécessaires à la compréhension de notre approche du phénomène
publicitaire.
Tout
d'abord il convient de citer la question du rapport ainsi que du
passage de
l'immédiateté à la médiateté, et la nécessité d'une représentation pour
que le
mouvement de la valeur se développe.
Lorsqu'il
y a un simple don qui fait passer un objet d'un membre à un autre
d'une communauté, il y a immédiateté; il y a plus exactement
réalisation-actualisition
d'une participation et 1'essentiel, c'est la relation affective: le
maintien de
la participation.
Dès
qu'il y a
échange, l'immédiateté n'est plus suffisante; la réalité de la chose
doit être
complétée par
un autre élément afin
de mettre le
tout en mouvement.
Il
semblerait que ce soit dans le cas de l'échange entre communautés très
différentes qu'il put y avoir une simple exposition des produits.
Certains
membres d'un peuple commerçant disposaient les biens sur une plage, par
exemple, et se retiraient. Ultérieurement les membres du peuple
autochtone
venaient prendre ce qui leur convenait et mettaient à la place certains
de
leurs produits.
Pour
que
la valeur surgisse, puisse se réaliser ( une fois qu'elle s'est
incarnée dans
un produit donné), il faut que les produits soient montrés,
exposés [10],
ce qui impliquera:
1.
L'organisation de lieux de rencontre où acheteurs et vendeurs (à
l'origine la
séparation entre les deux pouvait ne pas jouer: un même personnage
pouvant tour
à tour être acheteur et vendeur) pouvaient entrer en contact avec les
divers
produits.
2.
L'établissement de signes pour repérer les points particuliers où se
faisaient
les échanges et signifier ce qu'était l'objet de l'échange, d'où la
pratique de
mettre une enseigne au-dessus de l'entrée d'un magasin par exemple (à
ce propos
il est important de noter la parenté entre enseigne et
enseigner [11]).
Par
suite de l'élargissement du champ de production de la valeur, donc des
produits
qui l'incarnent, il fallut rendre ceux-ci de plus en plus
concurrentiels
(c'est-à-dire aptes à triompher au cours d'une lutte qui est la
concurrence)
c'est pourquoi fallut-il rendre plus attractifs tant les produits que
les
organismes qui les engendraient (ceci se manifeste en grand à l'heure
actuelle
avec la question des marques). Ainsi au sein du procès de circulation
du capital
s'individualisa une sorte de procès de valorisation (ce qui implique
que c'est
parfaitement explicable en termes marxiens), qui se présente sous
l'aspect de
marchandage avec baratin, charlatanisme, etc..
Le
phénomène de
la valeur s'enclenche sur celui du pouvoir qui, au départ, est
puissance
d'exister, de signifier une présence, pour devenir
ensuite
puissance d'exercer une action sur les hommes et
les femmes. Les deux
phénomènes s'imbriquent et on va avoir, en tenant compte simultanément
du
devenir considéré dans sa totalité, le pouvoir que
confèrent les choses
grâce à leur acquisition (donc problème de la propriété privée) et le
pouvoir
sur les choses, sur les hommes et les femmes. Dès lors
la simple
existence ne suffit plus, il doit s'ajouter l'opinion sur cette
existence, le
prestige qu'elle engendre, la renommée, ce qui a pour complémentaire la
propagande pour l'accroître, l'ostentation et le prosélytisme (le
racolage);
dans tous les cas la manipulation de l'idéologie (segment de la
représentation totale
visant à avoir un impact, à assurer une
justification).
Cette
interaction entre divers pouvoirs explique la consommation ostentatoire
-phénomène opérant encore- qui réactualise dans une certaine mesure la
pratique
du potlach, sans oublier toutefois que dans le cas de ce dernier se
manifeste
également une dynamique de négation de l'autonomisation de la valeur.
Ainsi
ce qui
s'ajoute à la réalité immédiate du produit n'est pas seulement ce que
G.
Lagneau appelle un "faire-valoir" (La sociologie de la
publicité, QSJ
n° 1478) mais également un pouvoir d'attraction apte à se transformer
en
incrément de pouvoir, de puissance pour celui qui s'approprie ce
produit.
Les
deux types de pouvoir, politique et économique,
ne vont pas -en dehors de certaines périodes- avoir un devenir séparé.
Il y eut
des phénomènes d'union dont les plus importants se produisirent lorsque
la
monnaie fut frappée à l'effigie d'un potentat, indiquant par là que le
pouvoir
politique reconnaissait, garantissait le pouvoir économique et tentait
de
l'annexer, puis lors de la naissance du capitalisme industriel avec le
salariat
qui implique l'union du mouvement de la valeur et celui de
l'expropriation des
hommes et des femmes. Alors: "La valeur d'échange s'est assujetti le
mouvement
social. Les hommes entrent dans des rapports de production dont le but
n'est
plus la valeur d'usage, mais la valeur d' échange." (J. Camatte, Capital
et Gemeinwesen, Ed. Spartacus, p. 160).
Dès
lors va
s'initier la réalisation de la domination formelle du capital sur la
société,
qui est grosse de la domination réelle car ce n'est qu'en produisant
l'État qui
lui est adapté que le capital peut dominer hommes et femmes et
l'ensemble de
leurs relations.
Toutefois
même dans ce cas une certaine extranéité s'impose entre le pouvoir
économique
et le pouvoir politique et donc le phénomène social continue à
persister. Ceci
s'abolit avec l'apparition du marketing, espèce de phénomène de
rétrocontrôle
apte à opérer dans la sphère économique, comme dans celle politique et
qui
permet à la publicité d'atteindre sa forme achevée tandis qu'elle est à
son
tour l'expression la plus parfaite de la représentation, englobant les
représentations politique, économique, artistique, scientifique, etc..
Dans le
marketing s'exprime parfaitement le phénomène de l'autonomisation à
partir de
la phase intermédiaire, le marché, puisqu'on peut considérer qu'avec
lui, ce
dernier -surtout dans sa dimension représentative- devient l'élément
central
des divers faits économiques actuels.
Rappelons
en outre qu'à la base de tout nous avons la réification et
l'anthropomorphose
du capital avec l'évanescence actuelle de la première et la réalisation
d'une
combinatoire où sont mis en mouvement sur le même plan pouvoir sur les
choses
et pouvoir sur les hommes, pouvoir des hommes et pouvoir des choses.
Lors
de la
domination formelle du capital sur la société, le pouvoir politique
tend à être
englobé dans des phénomènes économiques, ou si l'on veut 1'accès à ce
pouvoir
se fait par la médiation du phénomène économique. Mais cela n'abolit
pas les
classes et la structure hiérarchique sociale d'où, en même temps qu'il
y a
prolétarisation, massification et homogénéisation, une réaction se
produit
consistant en une tentative de différenciation: les individus veulent
sauver
leur pouvoir. On doit noter que curieusement, il y a naissance, à peu
près
simultanément, à la fin du XVIII° siècle de la mode et de l'esthétisme,
ce qui
ne fut possible que parce qu'il y avait encore des rôles assez
distincts au
sein de la société.
Lors
du
passage de la domination formelle à la
domination réelle
entre 1914
et 1945, tout particulièrement
aux USA, tout va être bouleversé; ce qui ne veut pas
dire que les antiques pratiques vont être éliminées. Elles vont être
intégrées
dans un autre système. Le livre de Stuart Ewen, Consciences
sous influences:
publicité et genèse de la société de consommation,
Ed. Aubier
Montaigne, le montre fort bien.
Au
sortir
de la guerre de 1914-18, les problèmes suivants se posent aux USA:
liquider le
mouvement révolutionnaire en rapport avec la révolution de 1917;
intégrer le
flot d'immigrants -intégration d'autant plus nécessaire que ce sont les
ouvriers fraîchement arrivés qui sont souvent les plus à la pointe de la
lutte contre le
capital; faire pénétrer la consommation
des produits
engendrés par le capital
dans tous les foyers parce que la production est devenue une production
de
masse et ne peut pas être résorbée par une seule classe (ce qui est un
présupposé à la dissolution des classes). Pour les résoudre il faut
produire un
déracinement total (la séparation est un procès essentiel dans le
concept de
capital) des hommes et des femmes afin qu'ils abandonnent leurs
antiques
rapports sociaux, leurs modes de faire, tout particulièrement au sein
des
foyers; en même temps ce déracinement permet de détruire les bases
révolutionnaires des divers groupes s'opposant au capital.
L'objectif
sera atteint non pas par une démarche purement réactionnaire, en tant
que
s'opposant au mouvement révolutionnaire, grâce à une féroce répression
comme ce
fut le cas au début des année 20, mais en intégrant certaines
revendications de
ce mouvement.
Les
idéologues
du capital présentèrent la production de masse -la seule apte à
permettre la
consommation pour tous- comme étant la réalisation de la société
d'abondance et
presque celle du communisme où prendrait effectivité la formule A
chacun
selon ses besoins, à chacun selon ses capacités. Ils
présentèrent aux
femmes ce
même phénomène comme étant celui apte à les libérer des
antiques sujétions et, dans cette démarche, ils rencontrèrent l'aide de
certaines féministes.
Quel
fut
le médium pour accéder aux cerveaux des hommes et des femmes: la
publicité. Les
publicitaires sont les vrais missionnaires du capital.
"L'ambition
qu'elle [la publicité, n.d.r] s'était fixée
consistait à abolir les
coutumes ancestrales, (à) faire tomber les barrières des habitudes
individuelles." (affirmation reportée par Stuart Ewen dans 1e livre
cité,
p. 33)
Durant
tout le
XIX° siècle le salariat avait été remis en cause de façon parfois
violente. La
riposte des capitalistes et de l'État fut toujours très virulente, mais
elle ne
suffisait pas à produire la stabilité, comme cela se vérifia encore
dans les
années 20 de ce siècle. D'autres méthodes étaient nécessaires.
"C'est
après 1910 qu'on voit apparaître les programmes dits de "bien-être",
lancés par les industries pour stabiliser les masses laborieuses....
leur
véritable objectif est d'activer le zèle des travailleurs; ils incluent
des
cours de langue et de civisme destinés aux immigrés, où l'on ne manque
pas de
mettre l'accent sur la discipline dans l'industrie." (p. 30)
En
liaison avec
l'expansion de la notion de contrôle, on se mit à explorer activement
les
moyens de faire participer les gens au système industriel en dehors du
travail
à l'usine. Les sociologues de la belle époque, tout comme les critiques
sociaux
progressistes commencèrent à répandre l'idée que le
contrôle social des
travailleurs devait déborder le cadre professionnel et s'exerce jusque
dans les
communautés locales et les structures où vivent les populations
laborieuses". (p. 30)
On
a là
une belle des_c_r_i_p_tion du passage à la domination réelle du capital sur
la
société:
"C'est
dans ce contexte que la publicité moderne prit ses véritables
dimensions et
qu'on vit émerger un marché de consommation de masse. Jusqu'alors, la
classe
ouvrière avait préservé en grande partie sa culture spécifique" (pp.
32-33)
On
voit
donc apparaître avec netteté la notion de contrôle qui doit affecter la
totalité de la vie en premier lieu des prolétaires, en second lieu de
tous les
hommes et de toutes les femmes. Sa forme la moins contraignante et la
plus
efficace, la régulation, est assurée par la publicité.
Elle
va
opérer de la façon suivante: déraciner hommes et femmes de leurs
anciens
rapports sociaux et adapter ces déracinés à l'univers implacable dans
lequel
ils sont: la société capitaliste.
"Alors
que les annonces ne cessaient de brosser un tableau où chacun ne
pouvait plus
faire confiance à personne (même pas à soi-même) dans son entourage
immédiat,
les grandes sociétés étaient présentées comme une alternative aux
communautés
qu'on désignait comme rongées par le soupçon: les gens s'y protégeaient
les uns
des autres...
Le monde familier au "consommateur"
était en fait présenté sous le signe d'une peur justifiée."
(p.
103)
À
l'époque des
années vingt, les annonceurs cherchaient souvent à se donner une
réputation de
philanthropes. Ils présentaient la vie privée comme une série de
catastrophes
imprévisibles; en même temps des campagnes "d'images" cherchaient à
montrer l'entreprise comme lieu
où
s'étaient
réfugiées la stabilité et la confiance: c'est ce qu'on appelait la
publicité de
"bonne volonté."" (p. 106)
Pour
réaliser leurs objectifs les publicitaires firent appel à la
psychologie:
"Seule
une théorie générale des instincts pouvait atteindre un public de
masse, avec
un seul type de messages. Comme ils avaient pour tâche de bâtir une
publicité
de masse pour écouler une production de masse, les publicitaires
accueillirent
avec plaisir les travaux des psychologues qui mettaient en forme ces
conceptions générales." (p.
47)
"Pour
justifier la thèse selon laquelle l'homme développe dès l'enfance son
sens de
l'identité, Allport [psychologue social n.d.r]
soutenait que "notre
conscience réflexive reflète surtout celle que les autres ont de
nous... L'idée
que j'ai de moi-même est faite de celle que je me figure que mon voisin
a de
moi." Cette conception des individus comme objets permanents d'un
examen
social critique et minutieux, on la retrouve en filigrane dans un
nombre
d'argumentaires des annonces de l'époque." (p.
47)
Cette psychologie est celle de l'homme de la
concurrence, de la
méfiance, du doute de soi, etc.. Elle récupère le vieil examen de
conscience
jésuitique, l'antique introspection, etc..
"Les
annonces tiraient systématiquement parti des angoisses qu'éveille
"instinctivement"
la vie sociale" (p. 51) Stuart Ewen cite (même page) une telle annonce:
"Vous
serez étonnée de voir combien de fois en une seule journée on regarde
vos
ongles. Derrière chaque coup d'œil il y a un jugement sur
vous... En
effet, il y a des gens qui ont pris l'habitude de juger leurs nouvelles
connaissances surtout à ce détail là."
L'autocritique,
la critique réciproque, le mouchardage qui sévirent et, surtout,
qui
furent prônés lors de la révolution culturelle en Chine (et bien avant
en URSS)
avaient aussi pour but de déraciner de vieux comportements. Ils ne
furent
probablement pas aussi efficaces que la publicité étasunienne.
Dans
les deux
cas, le résultat visé était de mettre hors circuit, d'exclure celui ou
celle
qui ne se plie pas aux impératifs de la nouvelle société.
Cette
autocritique généralisée :
"La
publicité mettait en scène des femmes qui s'observaient en permanence,
et
toujours avec un regard critique." (p. 173),
s'accompagne
d'un envahissement de la psychologie avec épanouissement d'une
psychologie
directive:
"Si nous comprenons les
mécanismes et les mobiles propres au
fonctionnement de l'esprit de groupe, il devient possible de contrôler
et
d'embrigader les masses selon notre volonté et sans qu'elles
en prennent conscience..." (E. Bernays, neveu de S.Freud cité par S.
Ewen,
p. 91)
Les
psychologues seraient alors les véritables directeurs de conscience
occultes.
C'est ce que tendent à devenir (tout au moins vouloir
le devenir)
les publicitaires actuels.
La
cible la plus visée fut la femme:
"Les
publicitaires étaient sensibles aux statistiques que, en 1929,
80
pour cent des achats
familiaux étaient
l'affaire des femmes, et sentaient que c'était par l'intermédiaire des
femmes
que la nouvelle culture de masse se diffuserait le mieux." (p. 164)
La
publicité opéra en faisant une glorification profonde de la femme, en
exaltant,
par exemple, sa puissance sexuelle :
"Elle
usait sans vergogne du nu voilé et montrait des figures féminines dans
des
poses auto-érotiques de manière à encourager les femmes à prendre
conscience d'elles-mêmes
et à leur rappeler la primauté de leur sexualité." (p.
175)
En
même
temps que s'effectuait cette exaltation des femmes afin de mieux les
séparer,
les autonomiser du corpus social, une opération de culpabilisation
était mise
au point en ce qui concerne toutes celles qui conservaient leurs
antiques
comportements les rendant inaptes à leur intégration dans la société du
capital. Dans ce cas, la publicité a utilisé la même stratégie et la
même
tactique que vis-à-vis des immigrés.
"La
"publicité anti-dote", et autres procédés empiriques, furent mis au
point pour chasser de vieux préjugés qui n'avaient plus leur place dans
le
style de vie de la société moderne et industrielle.
Souvent, ces
annonces étaient conçues de façon à rendre le lecteur honteux de ses
origines
et, par conséquent, des réflexes et des conduites qui trahissaient son
appartenance étrangère." (p.
55)
"L'école
Sherwin Cody, où l'on apprenait l'anglais, avertissait qu'il était
légitime de
se voir tenu à l'écart en raison d' un langage imparfaitement maîtrisé…"
(p.55)
En
ce qui
concerne les femmes, il s'agissait d'un phénomène d'une
plus grande
portée encore car il s'agissait réellement du sort de la production des
marchandises du capital:
"Parlant
du pain cuit à la maison, le journaliste G.A. Nichols disait que
c'était 1e plus grand obstacle au progrès qu'ait rencontré la
boulangerie
industrielle, et il conseillait que les campagnes publicitaires
proposent des
"antidotes" pour venir à bout
de la panification
à domicile." (p.
159)
Le
grand
slogan sera celui de la libération, par la réduction du temps de
travail. Mais
en fait cette libération s'accompagnera d'une dépendance plus puissante
vis-à-vis de la nouvelle société. Ainsi Stuart Ewen fait
remarquer:
"Alors
que
les épouses de la génération précédente se fiaient à leur expérience
personnelle pour la plupart de leurs travaux ménagers, des annonces
comme
celle-ci réduisaient ce mode de connaissance à l'état de superstition."
(p. 160)
L'opération
de déracinement-libération se fît en deux temps: d'abord il s'est agi
de faire
honte [12]
(d'où l'utilisation de
l'autocritique et de l'espionnage mutuel) afin de provoquer un abandon
de la
conduite ancienne, puis on présenta ce dernier comme une libération
(qui crée
une dépendance). Stuart Ewen cite ce slogan: "Notre rôtisseuse a libéré
465
000
foyers... pour toujours du soin de surveiller et de
retourner les rôtis." (p.
159)
L'objectif,
répétons-le, était de provoquer le passage de la vieille économie
domestique à
une économie où la technique, voire la science, aurait une importance
essentielle :
Christine
Frederik, l'idéologue de cette économie à la fois domestique et
scientifique,
écrivait:
"J'affirme
que la vraie réussite d'une marque se mesure au fait que la
propriétaire, ou
l'utilisatrice de l'objet en question, a été capable de passer
d'elle-même
d'une technique artisanale à un processus mécanique."
"Qui
se chargera d'apprendre aux femmes à sortir de l'âge artisanal pour
devenir des
opératrices, sinon les fabricants?" demandait-elle (p. 161).
Ceci
fait
écho à cette affirmation : "que la consommation de masse a fait de la
"ménagère moderne" [...] beaucoup moins une ouvrière spécialisée
qu'une entrepreneur en mode de vie." (p.
165)
Ainsi
on a deux
glorifications de la femme: une sur le plan de la sexualité ce qui
permet de l'utiliser
en tant qu'objet de séduction, et une autre sur le
plan
de la nouvelle activité consommatrice où elle est exaltée en opposition
à
l'homme. Cette double opération permettra de mieux la séparer (en la
privant de
sa base) et de l'autonomiser en détruisant les reliquats de la
structure
sociale patriarcale.
Dès
cette
époque se manifeste également la volonté d'intégration de la créativité
:
"Vers
la fin des années vingt, la littérature économique marque une tendance
de plus
en plus nette à présenter les conduites de consommation sous les dehors
d'une
activité créatrice." (p. 165)
La
culpabilisation dont il a été question plus haut n'infirme pas ce que
nous avons
dit dans Gloses en marge d'une réalité II au sujet
de l'action
fondamentalement déculpabilisatrice et briseuse
d'interdits
de la publicité. Il s'agit en fait de deux moments se complétant.
Il
y a
culpabilisation de la femme afin de lui faire abandonner la vieille
structure,
les vieilles conduites. Elle a un effet de distanciation, séparation.
La
déculpabilisation en revanche opère avec une plus vaste ampleur car
elle
s'affronte à un comportement qui a ses racines dans un lointain passé
et surtout
elle permet l'acquisition ininterrompue de nouvelles conduites,
permettant et
justifiant la consommation effrénée.
C'est
surtout dans cette dernière entreprise que les féministes collaborèrent
avec
les publicitaires, car il s'agissait de détruire les anciens rôles et
les
anciennes images de la femme; voilà pourquoi la publicité intègre dès
lors une
dimension révolutionnaire. Particulièrement révélatrice est cette
annonce
datant de 1920:
"Dans
le
coin supérieur droit est dessiné un nu féminin, les bras ouverts et
tendus vers
le soleil, mais la figure principale et centrale montre une femme
allongée au
bord de sa baignoire, robe de chambre ouverte, offrant sa nudité à la
nourrissante caresse de la lampe solaire Alpine et à son "message d'un
intérêt vital", comme on va le voir:
Si
vous
aviez une vie libre... si vous pouviez aujourd'hui vous débarrasser des
contraintes du conformisme social, ne satisferiez-vous pas d'abord ce
désir
inné d'ultraviolet? Ne déjoueriez-vous pas les pièges de la
civilisation pour
passer des jours de vigueur et de santé dans la bienfaisante lumière du
soleil?
Les
non-conformistes n'ont généralement pas les moyens de se conduire
ainsi. Mais
les rayons ultraviolets qui forment la partie vitale du rayonnement
solaire
peuvent être apportés directement chez vous grâce à la Lampe
solaire Alpine,
si justement réputée." (pp. 191-192)
Il
est
amusant de constater à quel point la publicité a repris le comportement
illuministe, soit de la science, soit de la religion chrétienne, pour
triompher
des vieilles représentations, quitte à les utiliser à ses fins, une
fois
qu'elle en a triomphé. Ainsi après avoir ridiculisé les confitures
faites par
les
grands-mères lorsqu'elles empêchaient la diffusion
des confitures faites industriellement, la publicité restaure la figure
de la
grand-mère et s'en sert comme référent de qualité qu'elle exhibe dans
des
slogans où il est question de confitures faites comme les réalisaient
grand-mère,
etc.. (à noter en même temps la transformation d'une pratique en
représentation, ce qui permet la meilleure autonomisation).
Un
autre
élément de la publicité que Stuart Ewen met en évidence c'est
l'utilisation
d'une opposition entre les générations pour faire triompher les
produits
nouveaux, etc., dans un chapitre dont le titre est très évocateur La
jeunesse comme idéal industriel.
"La
publicité adressait directement aux enfants certains de ces messages,
préférant
ces "pages blanches" à l'univers de leurs parents dont les préjugés
étaient souvent plus tenaces."
(p. 145)
Elle
jouait sur une opposition des enfants aux parents.
En
1922,
la société Pepsodent interpellait les parents par une annonce
qui disait: "Souffriront-ils du tartre comme vous en avez souffert? "
(p.
146)
Déjà
se
profilait une "filiarchie" ou gouvernement par les jeunes!
Enfin
la
publicité, en ces années vingt, se proposa de réaliser le grand rêve de
presque
tous ceux qui étaient venus aux USA: réaliser l'utopie, en revendiquant
un
changement social, un monde meilleur ce qui effectivement, au niveau le
plus
bas, définit le désir d'utopie.
Les
publicitaires se présentèrent également comme les vrais
révolutionnaires:
"En
prenant pour cible les "révolutionnaires" qui menaçaient le
capitalisme de l'intérieur, White retourna complètement la notion qu'on
s'en
faisait alors. I1 soutenait que les "vrais révolutionnaires" étaient
les publicitaires qui redonnaient une valeur actuelle à la tradition
insurrectionnelle de l'Amérique." (pp. 54). En soutenant le New-Deal,
les
publicitaires pensèrent mettre en pratique cette prétention.
Ainsi
la
publicité devait remplacer les discours pompeux des "Pères
fondateurs": "White comptait la publicité au nombre des institutions
culturelles sacrées et confiait à ses officiants la garde du patrimoine
national." (p.
54)
Ainsi
les phénomènes essentiels se sont déjà produits dans ces années vingt;
toutefois il semble qu'un certain compromis se soit en définitive
instauré
entre les exigences de la société capitaliste et l'antique tradition.
"L'idéologie
publicitaire opposait les hommes aux femmes sur le point de savoir qui
devait
assurer les revenus, mais elle les rapprochait à travers une conception
marchande de la sexualité. C'est en cela que le salariat se combinait
avec une
économie domestique à base de troc." (p.
177)
Dans
les
années 60 ce compromis allait sauter. Les rapports vraiment
capitalistes
déterminèrent alors la conduite de tous les acteurs de la société.
Entre-temps
la guerre avait enrayé le phénomène publicitaire.
Nous
avons déjà en d'autres articles insisté sur la fonction domesticatrice
de la
seconde guerre mondiale. On peut ajouter ici qu'elle fut une publicité
intégrale effective puisqu'elle mobilisa l'ensemble de la population,
tandis
que ceux qui furent réfractaires à sa persuasion furent éliminés.
La
seconde guerre mondiale opère une brisure dans un développement qui ne
reprend
vraiment puissamment que dans les année 60,
On
a signalé ce phénomène dans d'autres domaines, de telle sorte que l'on
peut
dire que la société permissive, dont parla H. Marcuse à la fin des
années 60,
a
ses présuppositions dans la décennie 20 de ce siècle.
On
doit
noter qu'il y a un élément de continuité: l'exaltation de la femme. En
effet
les impératifs de 1a guerre conduisirent à glorifier sa
fonction génitrice et à
contribuer à son
émancipation en provoquant l'entrée de beaucoup de femmes dans le
circuit de la
production.
Tous
ces
phénomènes contribuèrent en même temps à diminuer l'importance de
l'homme et ce
n'est pas étonnant si, à l'heure actuelle -en fonction également
d'autres
facteurs au sujet desquels nous reviendrons- de
plus en plus de foyers
étasuniens sont privés de pères [13].
La
fin de la seconde guerre mondiale marque l'initiation
de la phase de domination réelle du capital sur la société et ce à
l'échelle
mondiale à cause, en particulier, de 1a réalisation de la domestication
du
prolétariat et par suite de la généralisation des formes,
originellement
développées aux USA, dans tout l'Occident; ce qui fait que l'élément
déterminant est bien le capital. Deux phénomènes successifs vinrent
renforcer
sa domination: les révolutions anti-coloniales dont la phase
essentielle
s'effectua entre 1945
et
1962,
le
développement de ce,que faute de mieux on peut nommer
urbanisation en Occident ainsi que dans les pays africains ou en Asie
et
Amérique latine.
En
ce qui concerne ce dernier phénomène il convient de le considérer
séparément en
fonction de deux groupes de pays: ceux qui ont déjà un long passé
capitaliste
et ceux qui soit n'en ont pas ou en possèdent un réduit.
Envisageons
le premier groupe. Il est bien difficile de parler d'urbanisation
puisqu'il n'y
a pas de ville. Celle-ci impliquait l'existence d'un territoire bien
défini. De
nos jours on devrait parler de réseaux urbains soit le long des côtes,
en
rapport avec le tourisme (exemple le pourtour méditerranéen, d'abord de
façon
assez lâche depuis le sud de l'Espagne jusqu'à la frontière
hispano-française,
puis de façon plus dense jusqu'à Marseille, pour devenir très dense de
cette
ville jusqu'au sud de Naples), le long des anciennes voies routières,
comme
c'est le cas pour la nationale 7
en
France ou le
long des autoroutes qui, au départ, relient des centres essentiels et
deviennent des axes de cristallisation d'unités urbaines. Le phénomène
concerne
toute l'Europe, par exemple avec le réseau de la Ruhr, mais on pourrait
multiplier les exemples car il en est de même pour les USA ou le Japon,
etc..
Il
est
important de noter que dans ces pays à vieille tradition capitaliste,
ce sont
surtout les agglomérations moyennes et petites qui se sont accrues
entre 1950
et
actuellement (pour les autres pays ce sont les
grosses). Ainsi, et en considérant le phénomène à l'échelle mondiale,
"...alors qu'il a fallu plus de trente siècles pour que la plus grande
ville du monde passe de 100.000 habitants à un million, le passage de 1
à 10
millions s'est fait en un siècle." (Les grandes villes du monde
in
Problèmes économiques, n° 1726,
1981). Des
différents tableaux reportés dans cette revue nous pouvons extraire ces
indications: en 1950,
il y
avait deux
villes de plus de 10 millions d'habitants, en
1975 i1
y en avait 7
tandis
qu'en 1974
34 villes
comptaient plus de 5
millions
d'habitants; enfin il est prévu qu'en l'an 2000 25
villes
atteindraient les 10 millions tandis que Mexico à elle seule en
compterait 32.
En outre en 1950 la ville arrivant en trente cinquième position dans le
classement en fonction du nombre d'habitants, Hong-Kong, en avait 1,7
millions,
en 1975 c'était Naples qui en comptait 3,9 en l'an 2,000 ce sera Lagos
avec 7,6
millions. A cette date certains pensent que la moitié de la population
mondiale
sera urbaine[14].
En
ce qui
concerne les pays à vieille structure capitaliste, l'accroissement du
réseau
urbain a surtout des conséquences sur la nature, hommes et femmes sont
domestiqués depuis longtemps; en revanche en ce qui concerne tout
particulièrement les pays africains comme le Zaïre et la Nigeria, elles
opèrent
surtout sur le plan humain. On a un déracinement brutal (réalisé en
quelques
années, alors qu'il fallut des siècles en Occident) favorisé par les
luttes intestines
et les guerres entre États. Nous avons un télescopage de divers
phénomènes. On
ne doit pas oublier qu'en Occident il y eut une foule de mouvements
d'opposition au surgissement du capital qui permirent d'amortir le
choc. [15].
Dès
lors il
n'est plus possible comme nous l'avons maintes fois affirmé d'avoir un
devenir
qui n'emprunte pas la voie du capital.
L'Obchtchina
a été éradiquée par l'urbanisation en URSS. Il en est de même
actuellement pour
les diverses communautés africaines. Il n'y a plus de phénomènes
communautaires
de type immédiat pour protéger hommes et femmes qui deviennent très
fragiles,
sans parler que leur entassement en un lieu donné, quel qu'il soi,
introduit un
déséquilibre biologique favorisant le parasitisme (même phénomène
qu'avec les
monocultures de végétaux).
Homo
sapiens sapiens est parvenu à l'échelle mondiale à un moment
d'irréversibilité:
plus rien ne peut empêcher le développement du capital (ce qui
n'implique pas
qu'il puisse le faire de façon cohérente et comparable ou ce qui se
produisit
en Occident, i1 peut y avoir des impasses). L'espèce perd totalement
ses
racines. C'est la raison pour laquelle nous assistons à une grande
accélération
du procès global de dissolution tant au niveau de l'espèce qu'à celui
du monde
vivant en sa totalité.
L'espèce
humaine est condamnée à lutter contre le surgissement d'une foule de
formes de
vie qui tendent à l'éliminer parce qu'il est l'élément qui inhibe le
procès
total. Ceci n'est pas absolument
nouveau car on peut penser que
l'augmentation des maladies est allée de pair avec les déséquilibres
écologiques provoqués par l'intervention d'Homo sapiens: déboisement et
élimination de certaines espèces animales et végétales au néolithique,
à la fin
de l'empire romain, au Moyen Age, à la fin du XVIII° siècle, etc., sont
plus ou
moins contemporains de diverses épidémies.[16]
Comment
faire coexister hommes et femmes dans ces vastes agglomérats?
Dans
les pays
accédant au capitalisme, les convulsions qui les agitent actuellement
se
poursuivront et c'est par un compromis entre le reliquat de leurs
traditions et
le mouvement du capital que se conclura dans un premier temps la
régulation des
populations. En revanche dans les autres pays c'est grâce au phénomène
publicitaire que cette dernière s'effectuera.
Rappelons
qu'en
Occident, grâce au marketing, la publicité a accédé à une maîtrise
cybernétique
de tout impact sur les hommes et les femmes. Il est dès lors
intéressant de
montrer à quel point elle opère une isomorphie
avec le réseau immunitaire. Mais auparavant, il nous faut envisager un
présupposé à cette nouvelle fonction de la publicité.
On
a vu
que durant les années vingt, cette dernière s'est attaqué à la femme en
tant
que porteuse de la tradition; elle a donc visé la fonction de
continuité, ce
qui permit l'instauration des comportements nécessaires au procès de
vie du
capital. elle se préoccupa également des enfants afin de s'en faire des
alliés
contre les parents porteurs de vieilles traditions. Ainsi elle
contribua à la
dislocation de la vieille structure familiale.
Cette
remise en
question a été actualisée après la seconde guerre mondiale, et
particulièrement
ces dernières années, de telle sorte qu'il est possible de se rendre
compte
maintenant de l'impact de la publicité sur l'enfant, ce dont s'occupe
J.N.
Kapferer dans son livre L'enfant et la publicité - Les
chemins de la
persuasion, Ed. Dunod.
Il
expose
d'abord les deux conceptions qui s'affrontent au sujet de cet impact de
la publicité
sur l'enfant ainsi que leur rapport avec la théorie de
Piaget:
"Comme on le constate le modèle de l'enfant manipulable reposait sur
une
des deux facettes de la théorie piagétienne: celle des limites à la
compréhension induites par l'absence de structures cognitives
suffisantes chez
l'enfant. Le modèle de l'enfant critique repose sur l'autre facette: la
capacité d'avancer l'âge de cette compréhension par l'expérience et la
pratique." (p. 12)
Ce
qui nous
intéresse d'entrée c'est que dans le cas du deuxième modèle qu'on
pourrait
caractériser de publiphile, on constate qu'elle est grosse d'un grave
danger:
le raccourcissement de la phase juvénile.
Notre
appréhension est confirmée par ce qu'exprime le même auteur au sujet de
la promotion
d'une "pédagogie de la consommation" .
"Cette
action devrait s'organiser selon deux axes: d'une part développer la
capacité
critique de l'enfant face aux messages des medias et de la publicité,
d'autre
part développer les compétences d'acheteur chez l'enfant. Quand nous
parlons de
développer la capacité critique de l'enfant, il ne s'agit pas de créer
en lui
une haine de la publicité. Nous ne souscrivons pas à l'idée suivant
laquelle la
publicité serait une mauvaise chose dont la fréquentation ne serait que
porteuse de mal. Le premier objectif vise à permettre à l'enfant de
prendre une
certaine distance par rapport aux messages. A cette fin on lui
apprendra à
mieux décoder les images qu'il ne le fait spontanément, à repérer les
techniques
de mises en valeurs visuelles ou sonores. On lui apprendra aussi à
remonter à
l'intention publicitaire. (...) On peut aussi apprendre à l'enfant à
repérer
les stéréotypes, en n'oubliant pas cependant que les stéréotypes des
uns sont
les idéaux des autres".
"Le
second objectif consiste à apprendre à acheter de façon rationnelle
(…), on
apprendra à l'enfant par exemple:
à
retarder son
désir, à différer sa résolution…" (p. 180)
On
doit
donc intensifier l'accession à la réflexivité, non pas par un procès en
continu, c'est-à-dire par acquisitions de capacités toujours plus
puissantes
d'abstraire à partir de l'immédiateté, mais par une distanciation qui
est un
processus de mise en discontinuité, avec prise en considération que son
environnement immédiat est peut-être fallacieux, ce qui engendre une
insécurisation qui oblige à la production de défenses, de mécanismes de
sécurisation grâce à des représentations qui instillent des compromis
(domestication). En outre, il doit accéder à la figure-rôle-personnage,
essentiel en ce monde, de consommateur.
"Nous
mésestimons le rôle essentiel d'une formation précoce de l'enfant dans
une
activité de téléspectateur et de petit consommateur. C'est par cette
formation
que 1'enfant prend ses distances vis-à-vis de la publicité et devient
un
pres_c_r_i_p_teur plus raisonnable. Cette formation peut-être prise en
charge par
l'école mais elle est avant tout entre nos mains. Appartenir à une
société
d'incitations, qu'on le veuille ou non, c'est une obligation
pédagogique
vis-à-vis de l'enfant si l'on désire le rendre moins sensible à ces
incitations."
(p. 182)
Remarquons,
car
ceci
s'avérera important pour la suite
de notre étude, que pour rendre moins sensible il faut diminuer
certaines
réactions et que ceci fait immédiatement penser à un phénomène
immunitaire. En
outre, il s'agit bien d'intériorisation: on parle d'incitations. Ceci
est en
rapport avec le phénomène d'introversion de l'espèce.
Nous
constatons qu'il y a continuité de la stratégie de la publicité depuis
plus de
soixante ans. Le livre de Stuart Ewen analysé plus haut nous a montré
qu'il a
fallu apprendre aux femmes à consommer afin de déraciner les vieilles
coutumes,
les antiques comportements; maintenant ce sont les enfants qui sont
visés et
l'on peut noter que dans les deux cas, l'homme adulte est un personnage
subalterne. Il est un produit induit. La publicité est le
dieu inversé
d'Israël, elle fait l'homme à partir
de la femme.
Á
partir
de ces quelques considérations on comprend qu'en définitive peu importe
que
l'on soit publiphile ou publiphobe, sensible à la publicité. Ce qu'il
faut
c'est que tout le monde y soit exposé, car elle doit constamment faire
écran
entre hommes et femmes à différentes périodes de leurs vies et la
réalité
quelle qu'elle soit. Alors, inévitablement, de façon négative ou
positive
s'opère une intégration.
Pour
mettre en évidence le rôle intégrateur de la publicite il nous faut
analyser:
1.
Comment les
divers comportements entre mère et enfant et entre hommes et femmes
sont
interprétables en termes d'immunité.
2.
Comment le processus persuasif peut être homologué à celui
immunologique.
3.
Comment
les différents comportements peuvent être segmentés, séparés,
autonomisés puis
réordonnés et mis en mouvement par la publicité qui opéré également par
une
régulation (comme le fait le système immunitaire).
Les
relations mère-enfant, comme celles entre fœtus et mère
analysées plus
haut, sont essentielles parce qu'elles sont paradigmatiques: elles
servent de
modèles à toutes les autres.
Prenons
le cas de l'attachement: la mère doit accepter l'enfant et l'enfant
doit
accepter la mère; le dernier mouvement se pose surtout à un certain
âge, parce
qu'au début cela n'a pas de sens. Il doit y avoir aussi - j'expose la
donnée
sociale - possibilité de détachement, d'une autonomisation de l'enfant,
afin
qu'il puisse accéder au statut d'adulte; donc il faut qu'il y ait levée
de
l'obstacle: mère abusive, enfant abusif, sinon l'un ou l'autre des
protagonistes ne peut accomplir son cycle de vie (ceci peut se
retrouver en ce
qui concerne les relations homme femme: problème de l'asphyxie de l'un
des
partenaires).
Nous
retrouvons la paradigme de la greffe: il doit y avoir tolérance.
En
ce qui
concerne les relations amoureuses, on peut ajouter ceci: le fait d'être
sensibilisé à quelqu'un peut être interprété non seulement comme une
levée
d'inhibition, mais comme une baisse d'activité des mécanismes
d'immunité, de
l'affirmation du soi. Il y a naissance d'une dépendance. Par
glissement, on
peut arriver à produire une théorie selon laquelle l'autre est une
drogue !!
Voyons
maintenant le rapport publicité/immunité.
"De
nombreuses recherches ont montré qu'il existait un parallèle
entre la persuasion et les épidémies. Pour résister à un virus, la
meilleure
prévention consiste à injecter une partie du virus: c'est ce qu'on
appelle en
médecine comme en persuasion, l'inoculation." (J.N. Kapfererk, L'enfant
et la publicité, p. 156)
En
fait
-et l'on peut le démontrer sur la base même de l'œuvre de cet auteur-
le
parallèle va plus loin.
Le
modèle
expérimental du processus psychologique de la persuasion tel qu'il est
exposé
dans Les chemins de la persuasion (p. 63)
comporte
des processus que l'on peut retrouver dans le
phénomène immunologique. En effet, tout d'abord on a un processus
d'exposition
qui est également nécessaire sur le plan biologique, ensuite vient le
processus
de décodage qui du point de vue immunitaire implique la reconnaissance
du
non-soi par rapport au soi, enfin on a le processus d'acceptation qui
se
réalise biologiquement s'il y a présence du soi; dans l'autre cas, il y
a rejet.
C'est
ici
qu'intervient la dimension manipulatrice tant en ce qui concerne la
persuasion
que l'immunité. Il faut en général provoquer une dépression du système
immunitaire
afin d'accroître l'acceptation ou la tolérance; il faut diminuer les
réactions
de rejet afin que la greffe prenne, de même qu'il faut provoquer un
effondrement des barrières, dues en particulier à des données
cognitives
préexistantes au sein du sujet sur qui tente d'opérer la persuasion,
afin que
le message soit accepté.
I1
faut en
général briser l'indifférence. Pour cela il faut augmenter la puissance
du
stimulus qui doit provoquer attention puis acceptation. On comprend de
ce fait
que cela puisse parvenir jusqu'à l'agressivité et pourquoi le
terrorisme est un
système de propagande dans les
périodes où
l'indifférence sociale est profonde, au moment où le seuil de tolérance
est
augmenté et où le corpus social accepte l'établi.
De
même en
ce qui concerne la séduction: il faut provoquer une rupture du
continuum de vie
de l'être à séduire afin d'introduire un élément d'insécurisation qui
fait
diminuer les possibilités d'indifférence, donc augmenter la réceptivité.
En
dernier
lieu, "le modèle expérimental du processus psychologique de la
persuasion" comporte le processus de persistance temporelle qui
entraîne
un changement d'attitude qui, en tant que phénomène acquis, peut se
perdre. Il
en est de même dans le cas de l'immunité.
Il
est
bien évident que nous n'avons pas à faire ici à des processus naturels,
c'est-à-dire opérant dans la nature, mais à des processus manipulés. En
effet
en ce qui concerne l'immunité on constate que ce qui est exalté à
l'heure
actuelle ce n'est pas tellement le processus naturel de "défense"
qui, en définitive serait secondaire, mais celui d'acceptation quand
justement
on diminue les réactions immunitaire. Or, c'est la même démarche
qu'entreprend
la publicité: il faut faire accepter même ce qui est
inacceptable. Voilà
pourquoi est-elle supérieure à toutes les autres formes d'intervention
sur
l'activité des hommes et des femmes.[17]
Ainsi
puisque les phénomènes publicitaires peuvent être interprétés en termes
d'immunité et puisque les relations interindividuelles sont
interprétables en
ces mêmes termes (cf. la question de la tolérance exposée plus haut),
on
comprend que la publicité puisse jouer un rôle de régulation à l'instar
du
système immunitaire. Plus exactement il nous faut dire que la
communauté actuelle a engendré un système
intégrateur-régulateur
qui est comparable sous bien des aspects au système immunitaire opérant
dans
organisme des vertébrés supérieurs.
Ceci
ne
fut rendu possible que parce que les comportement humains ont pu être
segmentés
et leurs segments autonomisés et qu'une combinatoire a pu dès lors
s'installer.
C'est
J.N. Kapferer qui nous donne encore un bel exemple:
"La
famille
ne se limite pas vraiment au couple parental, mais inclut désormais à
part
entière la télévision: il ne s'agit pas de couple mais de trouple". (L'enfant
et la publicité, p. 50;
à ce point Kapferer
fait référence au livre Le Trouple de G. Rapaillé,
Ed.Menges, que nous
n'avons pas lu). A l'appui de cette affirmation il donne comme exemple
le fait
que la télévision remplace les grands-parents et que la publicité se
substitue
aux contes et aux comptines. La télévision apparaît souvent comme une
nurse,
pouvons-nous ajouter.
La
nouvelle convivialité sera une combinatoire entre
hommes, femmes, enfants, animaux, végétaux (tous domestiques et de
moins en
moins nombreux), diverses prothèses comme la télévisions, des robots
pouvant
remplacer les poupées d'antan -pour les enfants comme pour les adultes,
etc..
Au
sein de
cette communauté saoule de messages, pratiquant le voir sans regarder,
l'entendre sans écouter, où l'indifférence est immense, la publicité
est
toujours plus nécessaire pour stimuler, inciter, donner vie à divers
projets,
attitudes, induire des comportements, en inhiber d'autres, en fonction
non
seulement des impératifs de diverses marques, entreprises, mais aussi
en
fonction de ceux de la communauté (plus de séparation entre politique
et économie
qui, en tant que telles, deviennent de plus en plus évanescentes). Elle
devra
devenir de plus en plus agressive, ce qui
à son
tour rendra les hommes et les femmes encore plus dépendants; deux
caractéristiques d'un totalitarisme "souple = soft", tolérant; sans
oublier que l'autre possible se vérifiera également c'est-à-dire la
perte
d'énergie de la part des hommes et des femmes ce qui consentira un
pouvoir
également souple, une répression douce.
Pour
que
vivent communautés, puis sociétés humaines, il faut que les hommes et
les
femmes aient un impact les uns sur les autres au
cours
des relations permettant d'accomplir les "fonctions" aptes à réaliser
le procès de vie d'ensemble. Il faut donc qu'il puisse y avoir
intervention des
uns sur les autres; de même il y eut nécessité de transmettre un
ensemble de
connaissances aux jeunes générations. Tout ceci existe de nos jours en
tant que
racines
du phénomène publicitaire. En
outre on peut noter (comme l'a fait J.N. Kapferer) que
l'instruction-enseignement
est une forme de persuasion où les mécanismes critiques des enfants
sont mis
entre parenthèses afin qu'ils
acceptent
ce qui
leur est enseigné. Ceci explique qu'il y ait un certain antagonisme
entre la
transmission par l'enseignement scolaire et celle opérée par les médias
comme
la télévision où la publicité intervient de façon déterminante.
Ces
constatations nous renforcent dans notre volonté de ne plus accepter le
mode
actuel de transmission des connaissances.
De
façon plus globale nous pouvons dire que la publicité a
une fonction éminemment intégratrice sans laquelle la fragmentation
dont parle
Vance Packard dans Une société d'étrangers
aboutirait à une dissolution
totale de la communauté actuelle.[18]
Il
ne faut pas,
toutefois, considérer la publicité comme étant l'unique opératrice, un
deus-ex-machina. Elle n'a une puissance effective que parce qu'elle va
dans le
sens du développement d'abord
du capital (réalisation de la
domination réelle sur la société) puis de celui de la réalisation d'une
communauté en laquelle le phénomène capital se dissout. En outre nous
avons vu
qu'elle a pu profiter de l'aide d'opposants au capital.[19]
En
ce qui
concerne les femmes, il est important de noter que la publicité a opéré
au sein
d'un vaste phénomène dont le résultat est leur destruction et
l'engendrement
d'une misogynie plus grande et plus diffuse. Ceci s'est réalisé avec
l'élimination de leur fonction de continuité, la rupture du lien
enfant-femme,
l'autonomisation de leur fonction sexuelle avec sa réification en tant
qu'objet
sexuel, les réduisant à des référents d'attraction de séduction pour
toute
consommation, l'autonomisation de leur fonction productrice et
consommatrice
(comme pour les hommes).
Cette
interaction entre la publicité et une tendance profonde (un trend)
déterminé
par le devenir de la communauté actuelle est bien mis en évidence par
cette remarque
de J.N. Kapferer (L'enfant et la publicité, p.
147)
"La persuasion la plus
efficace est celle qui ne s'affiche pas comme
telle. Aujourd'hui, nous l'avons montré au chapitre 2, les enfants
regardent
les émissions pour adultes, les feuilletons pour adultes, les films
pour
adultes. Or ceux-ci proposent des modèles d'imitation en matière de
consommation d'alcool et tabac, bien plus puissants que les acteurs
inconnus de
la publicité. Dans une série comme Dallas ou Dynastie
ou dans
n'importe quel film policier ou d'action, les acteurs principaux
sacrifient à
tous les rituels; liés à l'alcool et au tabac.
"Fumer,
boire, s'habiller, le type de voiture sont considérés comme des actes
"reflets": ils communiquent aux autres qui on est, quelle est notre
singularité. Au sortir de l'enfance, l'adolescent veut montrer qu'il
n'en fait
plus partie. Il construit son identité en s'identifiant à des modèles
adultes,
et faute d'en accaparer l'être, il ne prélève que leur paraître: leurs
comportements (gestes, marques ou produits possédés, vêtements...). La
publicité n'est pas le lieu où l'adolescent puise ses modèles adultes:
les
héros sont ailleurs, avant ou après l'écran publicitaire."
Ceci
appelle deux remarques. Tout d'abord, pour être complet J.N Kapferer
aurait dû
signaler la volonté qu'ont les publicitaires de créer des modèles, ce
qui
n'enlève rien à 1a pertinence de ses affirmations; ensuite, puisque la
publicité est persuasion, on peut dire que dans tous les cas la
meilleure publicité
est celle qui opère par l'exposition du système lui-même, par sa
représentation; et là nous pouvons retrouver A. Artaud et son
exaltation du
théâtre [20].
Il y aurait comme
résorption du phénomène et retour au stade primitif où la seule
exposition du
produit était déterminante pour provoquer son acquisition. On peut y
voir
également un phénomène d'imitation chez les hommes et les femme (cf. Les
lois de l'imitation de G. Tarde).
On
assiste aussi au triomphe de la transparence vertu prônée par la
publicité.
Tout ce qui concerne un produit doit être exposé; les consommateurs
doivent
tout connaître. Or, cette revendication de la transparence retentit
dans tous
les domaines et aboutit finalement à un voyeurisme obscène qui est une
forme
caricaturale de l'abolition de la séparation entre vie publique et vie
privée,
la vie quotidienne tant exaltée ces dernières années.
Si
une
évanescence de la publicité peut advenir, c'est parce qu'elle aura
été
non seulement adsorbée (phénomène de coalescence entre
particules et une surface) mais absorbée (phénomène de pénétration à
l'intérieur, ce qui implique le franchissement de la surface), autre
façon de
dire qu'elle aura été intériorisée.
Parvenu
à
ce stade c'est tout le procès de connaissance de Homo sapiens qui
risque la
dissolution totale. En effet cette intériorisation sera la conséquence
de 1a
disparition de toute différence entre référant et référé sur laquelle
se fonde
1e procès de connaissance [21].
Il y aura une
impasse qui se manifeste déjà, comme nous le montrerons ultérieurement,
en même
temps que nous aborderons la question de la publicité selon une
détermination
paléoanthropologique.
Indiquons
brièvement pour le moment que toute la représentation de Homo sapiens
est
déterminée par la nécessité d'expliciter la séparation, de l'exalter ou
de la
conjurer afin de pouvoir se situer dans le cosmos. Ainsi
les
concepts d'attraction et d'affinité, opérationnels en ce qui concerne
les
masses stellaires ou les molécules comme au niveau des hommes et des
femmes
sont déterminants au sein des différentes théories explicatives en
physique ou
en chimie. La publicité en intégrant la psychologie, la biologie, l'art
etc...
se présente comme l'opérateur le plus efficace du positionnement de
l'espèce
séparée de la nature.[22]
Enfin
il
est nécessaire de situer la biologie à laquelle nous faisons maintes
fois
référence. Ce n'est pas nous qui avons opéré la transcroissance du
domaine de
cette science mais les divers théoriciens de ce monde. Ceci dérive du
fait
qu'étant donné qu'elle s'occupe de la vie caractérisée par
les phénomènes
de genèse, de reproduction, de
croissance, etc., elle peut devenir par la médiation de l'explication
de ces
derniers, un opérateur de connaissance dans tout domaine où s'affirment
également de tels phénomènes. Voilà pourquoi, en particulier, les
mathématiciens après les physiciens sont fascinés par la biologie parce
qu'ils
se trouvent confrontés à des problèmes de genèse de structure, de
croissance,
etc..
Le
phénomène
n'est pas nouveau et l'on peut dire qu'il y eut une biologie avant que
celle-ci
ne naisse effectivement au début du XIX° siècle [23].
Il suffit de lire la Métaphysique d'Aristote pour
se rendre compte
qu'elle inclut une biologie théologique, et l'on peut se demander si
l'intérêt
qu'éprouvait ce philosophe pour ce que nous nommons actuellement
biologie ne
venait pas du fait qu'il cherchait chez les êtres vivants des processus
aptes à
lui fournir des schèmes d'explication à sa métaphysique. Le phénomène
s'est
répété ultérieurement et il y eut diverses "biologies".
Lorsque
nous
parlons de dimension biologique du devenir humain, nous voulons
seulement
indiquer qu'on ne doit pas escamoter un certain nombre de phénomènes
qui
concernent la vie et qui sont étudiés par la biologie, ce qui
n'implique
en aucune façon que nous acceptions
cette science en tant que
représentation effective du devenir de la vie et donc de celui de Homo
sapiens.
Notre
démarche
est en réalité de montrer l'immense tautologie incluse dans le procès
de
connaissance ainsi que la dissolution de celui-ci, comme l'analyse du
phénomène
publicitaire a tenté de le perceptibiliser [24].
CAMATTE
Jacques
Juillet
1986
[1]
R.Lewinter dans sa préface à L'art, la
maladie et le symbole
fait ressortir l'analogie entre l'œuvre de G. Groddeck et celle de
Baruch
Spinoza : le Ça et
la substance dieu, et
celle de J.W Gœthe : théorisation du dieu nature. On pourrait ajouter
dans ce
dernier cas que l'importance accordée à la femme par G. Groddeck (alors
que S.
Freud privilégie l'homme) correspond à l'éternel féminin de Goethe.
Au
delà de ces remarques, ce qui nous semble important de noter c'est que
l'œuvre
de G. Groddeck marque la fin d'une thématique problématique
particulière à
l'aire allemande. Il en est de même d'ailleurs en ce qui concerne celle
des
nazis, dans la mesure justement où elle est un syncrétisme de diverses
œuvres
comme celle de G. Groddeck.
R.
Lewinter indique (p. 17) que G. Groddeck a écrit
un livre intitulé Der Mensch als Symbol (L'
Homme en tant que
symbole) que nous n'avons pas lu. Divers
penseurs au début de ce
siècle se sont beaucoup préoccupés du symbole (cf. E. Cassirer par
exemple).
Cela nous semble naturel car tout comme l'homme s'est domestiqué en
domestiquant plantes et animaux, il s'est symbolisé en symbolisant la
réalité,
son environnement. Le symbole est alors le résultat d'une abstraïsation
voulant
signifier la totalité, ce qui est en cohérence avec la dynamique de
séparation,
par une représentation qui se veut adéquate.
[2]
La remarque suivante de H. Laborit (in Le
Monde du
16.12. 80)
"Le psychotique attrape difficilement
la grippe, le
cancer, maladies psychosomatiques... i1 vit dans son imaginaire et il
vit dans
un
imaginaire gratifiant", met
bien en évidence la relation étroite entre cerveau (et donc
représentation) et
système immunitaire (et donc la maladie).
[3]
On peut considérer l'autisme comme une
conséquence de cette exaltation de l'ego.
[4]
Certains ont affirmé que le sida viendrait en
fait de Haïti et
font le rapprochement avec le fait que durant les années 60
et
70 cette île a exporté du sang et des cadavres à
destination des universités et des hôpitaux des USA (cf. Umanità
nuova,
02.06.85).
[5]
Ceci n'est -dans tous les cas- qu'une approximation parce
que
l'organisme n'est pas obligatoirement composé de cellules. Il existe
des
formations organiques non décomposables en cellules. Dans le cas de
certains
êtres vivants c'est leur totalité qu'on peut difficilement réduire à un
ensemble de cellules (les champignons par exemple).
[6]
Á l'heure actuelle on ne connaît pas le cycle de
vie des virus;
voilà pourquoi toutes sortes d'hypothèses sont possibles. Ajoutons que
certains
savants pensent même que des gênes peuvent migrer de certains
groupements
d'animaux à d'autres. C'est ainsi que les gènes codant le développement
de
l'œil camérulaire auraient pu passer des céphalopodes aux vertébrés.
Cette
migration permettrait d'expliquer la similitude de constitution de
l'œil dans
ces deux grands groupes, classes. Jusqu'à présent on parlait
de
convergence. Ainsi de façon bricoleuse la continuité est réintroduite
dans le
monde animal.
Notons qu'il y a déjà quelque temps, certains penseurs
marginaux avaient
émis l'idée que les virus étaient des gènes autonomisés.
[7]
Á l'époque actuelle, il se fait une
exaltation de la tolérance, de l'incertitude, de l'indéterminé. Ceci
se
manifeste également en mathématique et en logique avec les ensembles
flous ou la
logique floue; ce qui traduit la tentative toujours renouvelée de
réduire le
langage naturel, parlé, à un calcul. Il y a prise en compte de
l'indéterminé
pour opérer un contrôle plus rigoureux en même temps qu'il est stipulé
qu'il
est impossible à un quelconque membre de la communauté en place de
parvenir à
une connaissance ayant une certitude.
On
a également glorification du jeu au sens mécanique du terme (quand on
dit
qu'une pièce a du jeu, par exemple), autre façon de revendiquer une non
rigidité, une tolérance. Ceci se conçoit fort bien dans la mesure où
tout
membre de la communauté apparaît en tant que matérialisation d'un nœud
au sein
de plusieurs réseaux. D'où l'on peut dire qu'hommes et femmes ne jouent
plus
mais sont joués par un mécanisme qui les domine.
Enfin dernier avatar de cette tolérance c'est la flexibilité,
concept qui
implique que tout membre de la communauté doit être disponible pour
accepter
toute modification de son statut au sein de cette dernière, afin que le
jeu
communautaire, de l'unité supérieure puisse s'effectuer sans heurt.
[8]
Ce qu'il y a de fascinant dans tout cela - même si
c'est horrible -
c'est de constater qu'il n'y a plus de frontière, ni de hiatus entre la
technique opérante, la science et la science-fiction. Ici encore on
voit se
mettre en place une combinatoire du réel, de l'irréel, du fantasmé, du
fonctionnel, du pulsionnel, du rationnel, de l'irrationnel, etc., qui
exprime
que tout contrôle sur 1'activité de l'espèce est perdu. Plus exactement
chaque
dynamique propre à un secteur de production donné s'est autonomisé et
doit
produire ne serait-ce que pour justifier son
existence et celle de
la science. Ainsi on peut produire in vitro des embryons humains pour
faire des
manipulations génétiques, immunologiques, etc. Cela semble aberrant
mais on
peut toujours justifier la pratique en exhibant quelques maladies rares
qui
nécessitent des recherches de pointe. Mieux, dans le cas où
l'on fait porter un
embryon d'une espèce par la
femelle d'une autre, on peut hausser la justification au niveau de la
défense
et de la préservation de la nature: il serait possible par ce moyen de
lutter
contre la disparition d'espèces menacées d'extinction (cf. le cas du
grand
panda mentionné dans l'article déjà cité de La Recherche
n° 177).
De nos jours, à tous les niveaux, tout paraît
possible!
Où peut se loger la dynamique d'une régulation? C'est là que
nous
retrouvons la nécessité de l'étude du système immunitaire.
[9]
La tolérance est étudiée également par
les éthologues. En effet la théorisation sur la ritualisation, les
comportements d'évitement, etc., permettent de mettre en évidence
comment les
membres d'une espèce, dans un groupement donné, se tolèrent
mutuellement.
Au niveau strictement humain, l'éthologie apparaît comme la
science de
l'interprétation de la domestication, de l'intériorisation de toutes
les
répressions. En outre, plus le comportement est acquis, plus une étude
scientifique rigoureuse est possible puisqu'il est alors loisible
d'expérimenter, c'est-à-dire de manipuler.
[10]
On
doit noter qu'en italien mostra veut dire foire et que le verbe
mostrare
signifie montrer, indiquer.
Le
support
de l'annonce de la marchandise, de son exposition change au cours des
siècles.
Ce furent d'abord des matériaux durs comme pour celles vendues au
marché ou
dans des magasins; des matériaux fragiles comme le papier en ce qui
concerne
l'affiche -qui a besoin encore d'un autre support- et le journal. A
l'heure
actuelle son support peut-être le vêtement. En outre il peut être
mobile:
voiture ou car etc.. Enfin avec la radio, le cinéma et la télévision on
a une
réorganisation de tout.
Au
sujet
de l'annonce, il est important de faire remarquer que ce mot eut une
très
grande utilité dans le domaine politique (publication des décisions des
représentants du pouvoir) ou dans le domaine théologique l'évangile est
la
parole qui annonce une venue! La publicité actuelle se veut aussi
annonce de la
venue de quelque chose de meilleur! Tout le monde pense que c'est faux
mais
opère comme si cela pouvait être vrai (logique floue?).
[11]
Autrement dit, dans la communauté actuelle, tout enseignement a une
dimension
publicitaire. D'où la concurrence que ressentent les enseignants dans
l'existence de la télévision grosse diffuseuse de publicités. Leur
monopole est
aboli.
[12]
Ici encore la publicité n'innove pas. Les
révolutionnaires
s'étaient eux aussi proposés d'utiliser la honte pour provoquer, chez
leurs
contemporains, l'abandon et le rejet de la société qu'ils voulaient
détruire.
Ainsi le jeune K. Marx écrivit qu'il ne suffisait pas de mettre en
évidence les
chaînes qui entravent hommes et femmes mais qu'il fallait de plus faire
en
sorte qu'ils aient honte de ces chaînes afin qu'ils se rebellent.
Au
sujet
de la dépendance des femmes provoquée par la société "de
consommation", ajoutons ces deux citations :
"Privée
de subsister par ses propres moyens, la femme vantée par la
publicité
demandait aux marchandises de servir de lien social permettant de
communiquer
avec une famille qui avait perdu sa structure productive et
relationnelle
interne" (p. 177)
"Elle
[Anna E. Richardson de l'association américaine des arts ménagers, n.d.r]
écrivait en 1929, que les procédés industriels mettaient "la maîtresse
de
maison dans l'incapacité de maîtriser la totalité de l'information
nécessaire
pour faire ses achats en connaissance de cause."" (p. 162)
Nous
citons abondamment le livre de Stuart Euwen afin de montrer à quel
point le
phénomène publicitaire est plus ancien que ce qu'on peut penser en
Europe
Occidentale et à quel point les diverses questions avaient déjà été
affrontées
dans les années vingt.
[13]
Cf.
International Herald Tribune du 28.01.56: America
becomes a nation of fatherless families (L'Amérique
devient une nation
de familles sans pères) de David S. Broden. Ce journaliste
cite un livre où
il est affirmé : "une portion croissante des jeunes d'Amérique - une
large
majorité chez les noirs et plus d'un tiers chez les blancs- passe une
substantielle partie de leurs dix-huit premières années dans une
"famille
qui n' a pas d'homme à sa tête.""
Il insiste sur le fait que le phénomène ne concerne pas seulement les
noirs et
que "la désorganisation de la famille est devenue un caractère général
de
la population américaine...''
En ce qui
concerne l'enfance, la théorisation d'une phase particulière la
caractérisant
s'effectue au début de ce siècle avec, en particulier, les travaux de
M.
Montessori. Le Dr. Spoke, dans les années d'après la seconde guerre
mondiale,
ne fera que reprendre l'essentiel de l'oeuvre de celle-ci, en
lui
ajoutant une dimension non autoritaire.
[14]
Nous utilisons en fait diverses informations
provenant de: National
Geographic, août 1984: The World's urban explosion,
La Recherche,
n° 103, 1980, Problèmes économiques, n° 1 982,
juillet 1986: Population
mondiale : vers les six milliards. Dans tous ces articles, il
ressort
nettement qu'un grand bouleversement s'est produit dans les années
1960-1980.
La
surpopulation est envisagée dans ces articles uniquement en rapport â
Homo
sapiens et jamais en rapport à la totalité du monde vivant. Voilà
pourquoi (et,
ici, on peut généraliser à
tous ceux qui
s'occupent
de la démographie) n'y a-t-il pas de remise en cause de la ville et de
l'architecture. Or c'est pourtant à travers elles que la folie de
l'espèce
voulant dominer la nature s'exprime peut-être de la façon la plus
percutante.
[15]
Nous
avons abordé
l'étude de ces mouvements avec celle du mouvement prolétarien. Nous
serons
amenés à revenir sur cette question en partant d'un point de vue plus
vaste:
les remises en causes du devenir d'errance. Cela nous permettra de
mieux situer
l'importance des divers messianismes révolutionnaires en Afrique ou en
Amérique
latine ainsi que celle du mouvement islamique actuel. En même temps
nous
essayerons de déterminer dans quelle mesure - à l'heure actuelle -
certains
mouvements se placent consciemment ou non au-delà du
procès révolution.
[16]
La compréhension de ce phénomène ne
pourrait s'effectuer
sans la prise en compte de la destruction de la biosphère en Afrique.
En effet
la disparition de diverses espèces de mammifères oblige les divers
commensaux,
symbiotes ou parasites de ceux-ci, de se rabattre sur Homo sapiens afin
de
continuer leur cycle de vie. En conséquence la théorie selon laquelle
un des
virus du sida serait un hôte du singe vert devrait obliger les savants
à se
pencher sur ces divers rapports écologiques et surtout cela devrait
amener tout
le monde à réfléchir sur la
nécessité d'enrayer
l'extension explosive d'Homo sapiens.
[17]
C'est la raison pour laquelle la vision de G.
Orwell exposée dans
1984
ne
s'est pas réalisée et ne se
réalisera pas. On tend non pas vers un État de plus en plus puissant
au-dessus
du corpus social, mais vers sa dissolution et la multiplication des
rackets
luttant pour affirmer leur pouvoir (phénomène très bien perçu par les
auteurs
récents de science-fiction).
À ce propos l'I.S. a eu une position assez ambiguë. D'un
côté elle
perçut l'importance de la publicité en rapport d'ailleurs avec
l'urbanisme
(qu'elle exalte alors qu'il faut le supprimer).
"On peut estimer que l'urbanisme est capable de fonder les
publicités anciennes en une seule publicité de l'urbanisme."
(Internationale Situationniste, n°6, p. 9)
D'un autre côté elle a soutenu une position orwellienne totalement
erronée.
"On peut déjà constater que là où le capitalisme
bureaucratique
planificateur a déjà construit son décor, le conditionnement est si
perfectionné, la marge de choix des individus réduite à si peu, qu'une
pratique
aussi essentielle pour lui que la publicité, qui a correspondu à un
stade
anarchique de la concurrence, tend à disparaître sous la plupart de ses
formes
et supports." (Idem, p. 9)
Un
phénomène global de dissolution est compatible non avec un État fort
mais avec
une multiplication de sectes, de rackets qui ont énormément besoin de
publicité.
[18]
Dans
ce livre Vance Pacard décrit
le déracinement, la destruction de la communauté naturelle et celle des
rapports de parenté, en un mot la fragmentation généralisée et conclut
son
livre en indiquant ce que devrait être "une communauté humaine
naturelle".
"Nous avons vu que dans de nombreuses régions, la communauté
humaine
naturelle est en danger. Dans presque toute 1'Amérique, elle est
menacée par la
turbulence de l'environnement, l'accroissement de l'anonymat,
l'affaiblissement
des liens de parenté, le déracinement qui frappe de plus en plus
d'individus.
Le
progrès technologique n'est pas une panacée si nous devons lui
sacrifier la communauté
humaine naturelle. Cet avertissement vaut pour de nombreuses sociétés,
à
l'étranger comme en Amérique
Mais nous avons vu également que des millions d'individus s'acharnent à
combattre cette destruction. Nous apprenons graduellement ce que nous
devons
faire pour retrouver quelque chose qui ressemble à la communauté
humaine
naturelle. Par exemple nous réalisons que:
-
la communauté humaine naturelle est une communauté
assez petite pour être à l'échelle humaine;
-
elle procure les moyens naturels de rencontre aux
individus qui le souhaitent;
-
elle offre un
cadre naturel dans lequel les individus peuvent faire valoir leurs
talents,
partager les expériences, trouver l'assurance d'un soutien affectif et
développer des amitiés durables;
-
sa
stabilité et sa diversité procurent un sentiment d'équilibre et de
cohérence
aux participants, le sentiment que la situation actuelle fait partie
d'un
processus historique;
-
elle
procure aux individus le sentiment qu'ils exercent un contrôle sur les
événements à venir qui peuvent affecter leur vie;
-
et elle
offre à l'individu un groupe spécial et un endroit spécial qu'il peut
faire
sien, un environnement qu'il cherche à améliorer et dont il
est fier de
faire partie ." (O.c, Ed. Calmann-Lévy, p. 305)
Il
est toutefois curieux que
ni la question de la
séparation d'avec la nature ni celle de l'individu - qui est
incompatible avec
une communauté naturelle - ne sont posées; ce qui nous fait penser que
Vance
Packard ne fait que nier les aspects délétères de notre monde - ce qui
le rend
éminemment sympathique, comme tous ceux au nom de qui il parle - mais
ne
pose
pas les éléments d'un devenir réellement autre.
Toutefois
il est important que ceci ait été écrit en 1972 au moment où le
mouvement
communautaire se développait dans le monde On peut penser que les
diverses
réalisations positives et négatives permettront d'aller au-delà des
affirmations théoriques de Vance Packard.
"L'homme a besoin de faire partie d'une communauté; il a besoin de
continuité. Le fait d'appartenir à une communauté n'est pas
incompatible - comme
certains l'affirment - avec la liberté individuelle. " (p. 263)
Ou
de celles de John Gardner directeur de Cause Commune,
cité
par V. Packard à la page 204
de
son livre:
"Dans un sens, la société moderne emprisonne l'individu dans un carcan
trop rigide mais dans un autre, elle l'enserre dans des liens trop
lâches
-cette dernière attitude est aussi douloureuse pour l'individu que la
première. L'individu sent peser sur lui la conformité qu'exige
une société
hautement organisée mais il se sent également anonyme et sans attaches.
Ces
deux sentiments proviennent de la même cause: la disparition de la
communauté
humaine naturelle et son remplacement par des contrôles
arbitraires qui
ne font qu'irriter l'individu sans lui donner un sentiment de sécurité.
Nous devons employer toute la créativité dont nous somme capables pour
trouver
un moyen de redécouvrir la communauté humaine naturelle. Nous devons
mettre au
point -et au besoin inventer des modèles sociaux qui nous permettent
d'éprouver
un sentiment de continuité pour que nous puissions sentir que nous
avons notre
place dans le courant de l'histoire."
David
Riesmann a lui aussi en 1948
abordé
le déracinement
dans son livre La foule solitaire, Ed. Arthaud.
Deux affirmations nous
semblent importantes.
"Ce sont donc, aujourd'hui, les hommes et les
relations humaines qui
constituent le
problème
central" (p. 181)
"Pour plusieurs raisons, les communications de masse ont créé une
attitude
tolérante dans tous les domaines, y compris la politique"
(p.
262)
D.
Riesmann avait donc compris 1'émergence de la tolérance mais il la
concevait
seulement selon une positivité exprime alors qu'elle au mieux la
domestication
des hommes et des femmes.
[19]
Les
révolutionnaires
ont toujours, malgré eux, favorisé le développement du phénomène
capital et
donc la domestication. On ne peut pas, toutefois, se contenter de les
caractériser par le résultat obtenu; ce serait les réduire
outrageusement.
C'est pourquoi, on ne peut pas accepter l'injonction de K. Marx de ne
pas tenir
compte des projets, des désirs des hommes, de leur conscience
immédiate. Il
faut au contraire les prendre également en considération afin de savoir
ce que
l'espèce pouvait engendrer.
[20]
Le
théâtre est une
technique de réacquisition de ce dont on a été séparé. Dans ce cas la
représentation est une actualisation. Il a une fonction médiate. Il en
est de
même lorsqu'il permet de familiariser tout membre de la communauté avec
la
combinatoire qui le fonde.
Le théâtre a également une fonction immédiate de
représentation de
ce qu'est la communauté. I1 n'y a plus réflexion sur un devenir parce
qu'il y a
coalescence entre le vécu (Erlebnis) et la représentation. Cette
dernière étant
devenue la vie: maximum de séparation d'avec la nature avec
l'instauration d'un
tout s'autosuffisant en dehors de cette dernière. C'est une preuve
parmi tant
d'autres que l'art effectue une vaste opération d'adaptation à la
dynamique de
séparation, ainsi que d'insertion dans un tout séparé de la nature.
Nous
reviendrons ultérieurement de façon plus détaillée sur cette question.
Insistons seulement sur la différence entre l'acquisition à partir d'un
ensemble déterminé constituant un comportement et la réacquisition de
ce qui
faisait partie de ce dernier qui était spontané, inné.
[21]
Ce qui ne supprime pas le phénomène de
représentation mais
permet son autonomisation, laquelle est un autre fondement du phénomène
hypertélique de la formation de l'acquis et de la réflexivité qui dès
lors a
pour substrat la réflexion de n'importe quel composant de la
combinatoire sur
n'importe quel autre.
[22]
Ici se place une vaste contradiction
qu'il nous faudra
expliciter longuement. En se séparant de la nature Homo sapiens a eu
tendance à
réduire toujours plus l'importance du toucher (Cf. Emergence
de Homo
Gemeinwesen, Invariance, série IV, n°1). Le phénomène de
compensation a
fait en sorte qu'il a développé énormément un comportement magique
contre
lequel s'est édifié la science pour qui toute explication de phénomènes
à
distance relèverait de ce
dernier et qui
privilégie l'explication locale (de voisinage, cf. la topologie) sauf
pour
certains phénomènes astronomiques, ce qui a d'ailleurs embarrassé
pendant
longtemps... L'on peut se demander si la hardiesse de I. Newton ne lui
est pas
venue de sa préoccupation astrologique, métaphysique, magique.
La contradiction peut, en première approximation,
s'énoncer ainsi:
limitation du toucher - exaltation de celui-ci dans la mesure où il y a
suspicion vis-à-vis de ce qui se manifeste à distance, qui ne peut pas
être touché et donc avoir une réalité tangible. Elle exprime
bien la
perte de toute participation à la nature et au cosmos et le déchirement
qu'elle
opère au sein de l'espèce.
[23]
La
négation d'une
séparation entre matière inerte et matière animée à laquelle aboutit le
développement de la biologie actuelle ne conduit pas simultanément à la
réacquisition d'une continuité; mais est au contraire le fondement
d'une
indifférenciation, et d'une séparation plus subtile, permettant une
combinatoire d'objets à quoi se réduirait tout l'univers. Autrement dit
il y a
disparition d'une séparation entre deux domaines, considérés en tant
que
totalités, mais elle a été
multipliée
au
niveau de tous les éléments qui les constituent de façon discontinue ou
non.
Ainsi C. Paul Bruter dans Topologie et perception
(Ed. Maloine, tome 1)
affirme:
"Définition: Un objet est un objet " (p. 16)
"Observation première (OPO): La nature est composée d'objets"
(p. 17)
"Observation première 9
(OP9):
Les objets
n'ont pas fait leur apparition dans l'univers au
même
moment." (p. 22)
"Théorème 1.2. Héraclite : " La guerre est le père de toutes
choses et le roi de toutes choses." " (p. 24)
"Proposition
1.3: La capture entre objets de même nature débouche sur la
socialisation et la
complexification" (p. 26)
"Théorème
1.6 : Un objet étant donné, il peut agir sur d'autres objets par
capture,
annihilation ou répulsion." (p.
29)
Ces
quelques citations permettent de comprendre qu'il est possible dès lors
de
produire une représentation de toute la réalité où semblent
s'interpénétrer
philosophie, mathématique, biologie, etc., alors qu'en définitive cela
se
résout en un exposé mathématique, en une formalisation mathématique du
plus
grand nombre de faits possibles. En outre il y a sous-jacent la thèse
que toute
pensée peut être ramenée à une forme de calcul, comme l'affirme D.
Hofstadter
dans son livre Gödel, Escher, Bach les brins d'une guirlande
éternelle,
Interédition.
Une
importante possibilité de produire des objets, de les concevoir, de les
représenter (cf. l'importance du thème de l'objet dans l'art actuel)
c'est de
transformer tout ce qui est inné en acquise car ce dernier peut-être
séparé,
autonomisé, manipulé.
"C'est-à-dire
nous inclure dans l'ensemble du mouvement évolutif qui se situe
désormais dans
le socioculturel, et pour cela larguer les
ultimes entraves qui nous
tiennent encore prisonniers de l'animalité. Débarrassés de nos derniers
instincts ancestraux, accéder pleinement à
la condition humaine" (J. Ruffié, Le sexe et la
mort, Ed. du
Seuil, p. 270)
Ce
biologiste était encore plus précis dans un article de Le
Monde du
21.06.86 dans lequel il affirmait clairement la nécessité
de tout transformer en acquis, et pour cela de détruire la dépendance
vis-à-vis
de l'ADN!!
A
noter que J. Ruffié s'appuie sur l'affirmation de Jérome Lejeune :
"La
découverte extraordinaire de l'espèce humaine est d'avoir tout à coup
réalisé
que l'individu est premier par rapport à l'espèce",
ce
qui est en fait un axiome valable seulement au sein de la
représentation d'un
Homo sapiens séparé de la nature, et l'on peut ajouter que c'est
l'axiome
fondamental de la catastrophe; car poser l'individu (une abstraction
réductionnelle) premier par rapport à l'espèce ne peut conduire qu'à un
tel
résultat.
[24]
Il
est clair que nous n'avons pas abordé toutes les questions que pose
l'existence
de la publicité considérée en tant que phénomène ayant de lointaines
présuppositions. Ainsi il aurait été important de montrer le rapport
qu'entretiennent chroniques, annales, histoire ainsi que la recherche
de la
gloire, de la renommée de l'immortalité avec la publicité.
En
outre, mais cette fois en considérant un phénomène plus récent, il
aurait été
intéressant d'analyser les liens qu'il peut y avoir entre le vide créé
par la
dissolution du capital dans sa communauté et la frénésie publicitaire
visant à
le combler et à le conjurer.
Autre donnée concernant le domaine biologique: avec la publicité, les
systèmes
nutritionnel et reproducteur d'affirmation de soi sont perpétuellement
excités
et ce de façon à ce que l'un
renforce
l'autre. Cela
peut, à la longue, aboutir à une atonie physiologique, à une
évanescence des
fonctions vitales.
Á titre
de final provisoire et en guise de divertissement nous pouvons signaler
le
rapport de J. Lacan à la publicité. En effet comme l'inconscient, les
données
publicitaires (publi s'y terrent ou publi s'y tairent) sont cachées et
se
taisent. Il faut quelqu'un qui les dévoile et les révèle grâce au
langage qui
les publicise.
Pour J. Lacan, en définitive, le langage nousSinon, autre méthode, je
peux te changer le nom du fichier déposé sur le serveur Gloses.III.htm
en gloses.III.htm, et là, le lien actuel fonctionnera. C'est sans doute
mieux car les autres gloses sont nommées avec des g minuscules
parle, tout est caché en lui. Sa dimension magique réside en sa
capacité de
révélation (par l'intermédiaire d'un opérateur, d'un maître!!); il a
une double
fonction: il masque et révèle!! Toutefois dès que les éléments ont été
dévoilés, ils peuvent être extraits de leur domaine et ordonnés dans
une
combinatoire qui permettra de produire un discours. C'est ce qu'opère
la
publicité.
Les
publicitaires ont la prétention de nous faire découvrir ce qui nous
semble
souvent évident afin de le réordonner autrement pour nous orienter vers
une
consommation donnée.
Ainsi tout ce qui est publicisé était caché (d'une façon au
d'une
autre); c'était de l'indistinct, du non sens. En conséquence la
publicité opère
comme la psychanalyse: Wo Es war, soll Ich werden, qu'on peut traduire
par: là
où
était le ça je dois devenir ( ou je dois advenir).
if (typeof _gstat != "undefined") _gstat.audience('','pagesperso-orange.fr');