GLOSES EN MARGE D’UNE
RÉALITÉ
VII
Dans
la présentation de la rubrique Gloses en marge d’une réalité,
rédigée en
juillet 1983, j’écrivis ceci.
“ Afin de faciliter le
déchiffrage
de ces gloses j’indique en fonction de quoi, principalement et pour le
moment,
elles vont être rédigées :
– réalisation de la
communauté capital à l’échelle mondiale et les différentes modalités de
refus
de la voie occidentale, donc de la dynamique du capital ;
– réalisation de la
mort potentielle du capital, en Occident ;
– le deuxième
ébranlement de notre siècle au cours des années 60 et ses conséquences au niveau de
la représentation ;
– le règne de la représentation
autonomisée. [1]
* * *
Nous n’avons pas
voulu faire une critique de l’Internationale situationniste comment on
nous y a
souvent convié[2]
Tout d’abord parce qu’elle
exprimait le mouvement immédiat des années soixante et qu’il fallait
que
celui-ci aille jusqu’au bout de ses possibles. D’autre part, parce
qu’elle effleurait
d’immenses questions sur lesquelles elle donnait parfois des aperçus
fort
intéressants et pertinents. En ce sens on peut comparer l’œuvre de
l’I.S. à
celle de P. Lafargue. Celui-ci souleva des questions importantes - tout
en
demeurant un bon français chauvin - comme, par exemple, celle du
travail, ou de
la religion. Il opéra en restant toujours dans le cadre conceptuel de
la
société capitaliste. Ainsi parler du droit à la paresse, c’est
entériner un
fondement de la société bourgeoise. En ce qui concerne la religion, il
aurait
dû parler non de la religion du capital, mais de la religion capital,
le
capital en tant que religion. Dans ce cas il aurait pu fonder son
pamphlet sur
les remarques suivantes de K. Marx: “Si dans la circulation simple, la
valeur
des marchandises acquiert vis-à-vis de leur valeur d’usage au maximum
la forme
autonome de l’argent, elle se présente ici, soudainement, comme
substance en
procès, se mouvant elle-même, pour qui argent et marchandises sont de
simples
formes. Mais il y a plus. Au lieu de représenter les rapports de
marchandises,
elle entre maintenant, pour ainsi dire, dans un procès privé avec
elle-même. En
tant que valeur originelle, elle se différencie d’elle-même en tant que
plusvaleur, en tant que dieu le père se distingue lui-même en tant que
dieu le
fils, et tous deux sont du même âge et constituent en fait une seule
personne;
car ce n’est que par la plusvaleur de 10 livres sterling que les 100 avancées deviennent capital et
dés que cela est devenu, dés que le fils a engendré le père et le père
le fils,
leur différence disparaît de nouveau et toutes deux sont un, 110 livres sterling”[3].
P. Lafargue a décrit quelque
chose de plaqué sur le devenir social, un phénomène superficiel; il
n’est pas
parti de l’intérieur du phénomène; autrement il aurait pu mettre en
évidence le
capital en tant que théophanie[4]. comme cela s’impose
aujourd’hui.
Pour en revenir à l’I.S, nous
ajouterons que nous ne voulons pas faire de critique parce que “La
critique a
un lien indéniable avec la concurrence et la publicité”[5],et que “La publicité est
l’extériorisation positive de la critique”[6]
Nous refusons toute critique,
toute publicité, toute polémique. Un des reproches que nous avons pu
faire à
l’I.S, c’est que le courant qu’elle exprimait avait voulu faire de la
publicité
pour la révolution et nous avons ajouté que la publicité a utilisé
cette
dernière pour justifier sa réalité-fonctionnalité.
Si nous nous occupons quelque
peu, aujourd’hui, du mouvement situationniste, c’est surtout pour
préciser
notre cheminement et c’est à cause de l’obstination de divers
théoriciens qui
veulent absolument faire un amalgame entre l’I.S. et Invariance et, ce,
en
dépit de toutes les remarques distanciatrices dont nous avons parsemé
nos
articles. Un exemple d’amalgame est celui de l’affirmation que
spectacle et
représentation sont la même chose et, qu’en conséquence, nous aurions
une dette
envers ce courant. En outre divers courants ou individualités se
caractérisent
par leur affirmation selon laquelle le mouvement situationniste a
produit un
apport théorique fondamental, ce qui crée une divergence entre eux et
nous qui
avons toujours pensé que le maximum de sa grandeur résidait dans le
fait
d’avoir été l’expression importante de l’immédiateté du mouvement de
rébellion
dont la crête fut Mai-Juin 1968. Il nous faut donc expliciter
cette divergence et la
rendre effective et puissante.
Les concepts de spectacle et de
représentation ne sont pas superposables. Dans notre conception le
spectacle
est un cas particulier de la représentation. Quoi qu’il en soit, il
n’est pas
clairement délimité par G. Debord. “Il (le spectacle, n.d.r) est bien
plutôt
une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C’est
une vison
du monde qui s’est objectivée”[7].
Comment concilier ceci avec la
thèse 1 - paraphrase
du premier paragraphe du chapitre 1, du Livre I de Le
Capital:
“Toute la vie des sociétés dans
lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce
comme une
immense accumulation de spectacles”.
Voyons ce que
dit K. Marx: “La richesse des sociétés dans
lesquelles règne le mode de production capitaliste apparaît comme une
immense
accumulation de marchandises[8].”. Il est curieux que richesse
ait été remplacé par un mot qui ne dénote rien de précis tant il est
polysémique, surtout dans le sens figuré où il est employé. On reste
dans
l’imprécision quand on nous parle de “conditions modernes de
production”. On
peut y mettre ce qu’on veut; le mot moderne implique à lui tout seul
une
immense imprécision. Peut-être G. Debord pensait qu’on ne pouvait plus
parler
de mode de production capitaliste. Comme dans son œuvre, il est
impossible de
trouver une nette démarcation entre ce que, superficiellement, on peut
appeler
le mode de production marchand où les marchandises sont prépondérantes,
et le
mode de production capitaliste où c’est la plusvaleur qui est
déterminante, on
peut difficilement envisager cette hypothèse.
Comment se fait-il qu’il y ait
accumulation de spectacles, visions du monde, Weltanschauungen,
devenues
effectives, alors que ce
monde, celui déterminé par la société capitaliste s’annonce très pauvre
en de
telles visions, même devenues... En outre on ne nous précise pas de
quelles
sortes de visions du monde il s’agit.
G. Debord écrit s’annonce là où
K. Marx écrit apparaît (erscheint que Roy, il est vrai, a traduit
par s’annonce). On pourrait donc penser
qu’il s’agit de la même démarche. Pour K. Marx cela implique que la
marchandise
est la forme apparente, mais que la substance de la richesse de la
société,
comme il le démontrera, c’est le capital qui s’est emparé du travail
vivant. En
outre on constate que dans la suite de son œuvre, le concept de
richesse est de
plus en plus abandonné. La dynamique du capital n’est pas une quête de
la
richesse (il est vrai qu’on peut reprocher à K. Marx de ne pas avoir
été assez
explicite à ce sujet).
Par analogie (n’oublions pas
qu’il est question d’une paraphrase), on pourrait s’attendre que
derrière l’annonce
(forme ancienne de la publicité): le spectacle, il y ait quelque chose,
un
phénomène qui détermine. Or lorsque G. Debord essaie de fonder la
dynamique du
spectacle, il nous parle de la marchandise, c’est-à-dire qu’il en reste
au
phénomène de l’apparence indiqué par K. Marx. Certains diront que G.
Debord
avait raison de procéder ainsi. Nous ne voulons pas en discuter, bien
que nous
pensons que cela prouve sa superficialité. Si nous insistons sur ce
point,
c’est pour mettre en évidence notre extranéité par rapport au courant
situationniste qui a entériné l’analyse que nous rejetons car, pour
nous (au
moins en 1967 date où parut La
société du spectacle),
ce qui détermine la société actuelle, c’est le
mode de production capitaliste où domine, il faut y insister, le
capital et non
la marchandise.
Poursuivons la citation de la
thèse 1: “Tout ce qui
était directement vécu s’est éloigné dans une représentation”. C’est
absolument
faux, car la dynamique qu’a subi l’espèce est une dynamique
d’expropriation et
ce qui lui est restitué en représentations n’est pas ce qu’elle a
directement
vécu. La représentation est celle du phénomène qui l’a expropriée: le
capital.
Certes, celui-ci dans sa combinatoire, peut même intégrer divers vécus
humains.
C’est secondaire, mais c’est suffisant pour donner une certaine
consistance à
l’affirmation de G. Debord, ce dont se contentent la plupart des gens
infestés
de superficialité et d’immédiatisme. Enfin quel rapport entre
représentation et
spectacle?
Passons à la thèse 3: “Le spectacle se présente à la
fois comme la société même, comme une partie de la société et comme instrument
d’unification”. En
conséquence il aurait mieux valu parler de société spectacle que de
société du
spectacle. A noter cependant que la suite de la thèse escamote le
spectacle en
tant que société. De plus la thèse 4 dit: “Le spectacle n’est pas un
ensemble
d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des
images”. Ici encore aucune explication sur le spectacle en tant que
rapport
social et en tant que société. Enfin la thèse 6: “Le spectacle compris dans sa
totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production
existant”. Tout d’abord est-ce que cela implique une dynamique entre le
spectacle totalité et les spectacles particuliers, comme K. Marx a
étudié les
rapports entre la totalité capital et les capitaux particuliers. On
demeure
dans l’indifférencié, et l’on ne sait toujours pas quel est le mode de
production existant. Enfin si le spectacle est le projet de ce dernier,
cela
implique qu’il l’avait au moment de son surgissement. De cela pas
question. On
demeure dans l’allusion, l’évocation. De même et encore: “Le spectacle
constitue le modèle présent de la vie socialement
dominante”. Autre exemple, thèse 16: “Le spectacle se soumet les
hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis”.
Mais
l’économie, comme l’histoire, ne peut rien faire! Dans ce monde dominé
par le
capital, rapport social qui s’est autonomisé, valeur en procès, etc.,
ce sont les
forces exercées par ce dernier qui se soumettent les hommes. Ajoutons
qu’ici
encore nous ne pouvons pas comprendre s’il y a un lien entre l’économie
et le
spectacle. Il semblerait qu’originellement la première soit
déterminante. Quel
était le rôle du spectacle à ce moment-là?
Nous en restons là en ce qui
concerne la mise en évidence de ce qui nous apparaît comme
l’incohérence de la
théorie de l’Internationale Situationniste. Ce qui fait la difficulté
d’une
telle entreprise, c’est qu’il y a une apparence de vrai, d’effectif
dans ce qui
est affirmé. Dans chaque thèse il y a toujours quelque chose qui tient
debout.
Cette théorie est une combinatoire de données autonomisées, prises dans
des
domaines divers. On ne peut donc pas, à la limite, parler d’erreurs. Il
y a un
exposé théorique qui n’a rien à voir avec nos préoccupations. Il est
évident
que même autonomisé, un tel exposé n’est pas sans rapport avec des
questions
importantes qui affectent la société-communauté du capital. Il nous
semble plus
important de traiter directement ces dernières. Ce faisant il sera
possible au
lecteur intéressé de se rendre compte de l’extranéité de notre devenir
par
rapport à celui de l’I.S. et de ce qui est advenu.
Ce même lecteur devra tenir
compte que s’opère une certaine inhibition de la pensée lors de la
prise en
compte d’œuvres de personnes ayant un cheminement divergeant. En
conséquence
mieux vaut simplement signaler notre mode d’appréhender telle ou telle
question
abordée également par celles-ci. Ainsi il nous est possible d’éviter de
tomber
dans le piège de la critique, que nous avons antérieurement signalé.
“L’I.S. n’est qu’un style” a
écrit François Bochet. Nous ajouterons, elle n’est donc qu’une forme;
son
essence c’est l’apparence, dans l’autonomisation.
Le détournement permet de
récupérer et, en même temps, de justifier, la fascination par rapport à
ce qui
a été détourné. C’est une modification de la mise en scène établie. Les
situationnistes, ce faisant, demeurent dans la dynamique du spectacle
parce
qu’ils restent prisonniers de celle du faire, d’une praxis. Or, il ne
s’agit
pas seulement de faire autrement, mais d’abandonner toute dynamique
cherchant
une solution pour le devenir de l’humanité, dans une activité donnée,
parce
qu’il faut que la nouvelle activité soit l’expression de l’être
nouveau,
résultat de la mise en continuité avec la naturalité interne, ce qui
implique
un vaste mouvement partant pour ainsi dire de l’intérieur de chaque
femme, de
chaque homme.
Toutes les sociétés,
particulièrement celles fondées sur le mouvement de la valeur, sont des
sociétés “du spectacle”. En conséquence le spectacle opère également
dans la
société-communauté du capital. Mais avec la mort potentielle de ce
dernier et
avec le triomphe de la virtualisation le spectacle s’évanouit.
Ce qui demeure essentiel en ce
qui concerne le mouvement de Mai-Juin 1968 et la théorie situationniste c’est
la mise en
évidence du détournement. C’est une limite dans leur apport parce qu’en
fait le
détournement s’accompagne ensuite d’un renversement, comme les
événements
ultérieurs le montrèrent: la propagande pour la révolution fut
renversée, grâce
à la publicité, en propagande pour la société-communauté du capital[9]Au cours des âges ce qui opérait
initialement dans la dynamique de libération-émergence des hommes et
des
femmes, vint à servir leur mise en domestication.
Les adeptes de l’Internationale
Situationniste, comme un certain nombre de théoriciens hors de la
mouvance de
celle-ci, prétendirent tendre à établir d’autres rapports entre hommes
et
femmes. En réalité, ils demeurèrent, là plus qu’ailleurs, dans la
dynamique de
ce monde, du fait qu’ils exaltèrent l’invective, la ridiculisation des
autres
et entérinèrent la combinatoire sexuelle de la société-communauté telle
qu’elle
se mettait en place dans les années soixante.
Ce que dévoile le mouvement
situationniste en sa totalité c’est un indifférencié, ce en quoi s’est
présenté
le mouvement de Mai-Juin 1968 lui-même. Ce qui tend à se
réaliser depuis lors c’est une sortie de l’indifférenciation
avec le posé d’une évidence: la spéciose et l’ontose et, simultanément,
le
devenir de libération-émergence. C’est dans cette affirmation que se
place
notre divergence intégrale avec tous les courants théoriques
actuellement
opérant. [10]
1995-2001
* * *
François Langlet vient de publier
un livre[11].
contenant des œuvres de Lucien Laugier, militant de la
gauche communiste
italienne, du parti communiste international dont il sortit en 1971. Je l’ai beaucoup aimé, mais
nous n’avons jamais eu réellement une entente théorique parfaite, au
moins
durant une certaine période, comme ce fut le cas avec Otello Riceri
(appelé
Piccino). Il eut toujours une réticence vis-à-vis de moi. De mon côté
je ne
pouvais pas admettre sa tendance profonde au compromis telle qu’elle
s’imposa
lors de sa militance au sein du parti communiste international et même
après.
Je ne pus non plus, ultérieurement, entériner sa phénoménologie de
l’échec. Je
me souviens des conversations intenses, denses où il exposait, au
travers d’une
analyse extrêmement fine, les raisons de l’échec, et les fondements de
son
pessimisme. Il s’était pour ainsi dire réfugié sur un îlot éthique d’où
il
pouvait opérer son investigation sur toutes les inconséquences des
révolutionnaires et, plus généralement, de ses semblables. Toutefois il
ne
s’excluait pas du champ de cette investigation, d’où son “indulgence”,
sa
“tolérance”, manifestations d’un être désabusé, mode de se comporter au
monde,
avec ses semblables, où l’impuissance est constamment rejouée sans
s’exprimer
clairement. Il ne recelait aucune rancoeur, aucune agressivité, mais
une
profonde souffrance. Derrière tout cela on sentait une ample aptitude à
percevoir les autres, aptitude utilisée principalement à se défendre,
ce qui
pouvait amener à des distorsions sur cette perception. Très tôt j’ai
senti que
ce qui le gênait en moi c’était ma certitude. Étant donné, que j’ai
rencontré
la même gène chez un grand nombre de personnes, tout particulièrement
François
Bochet, je pense que cela peut être fort éclairant de publier un
extrait de son
journal où il se positionne quelque peu par rapport à moi.
En 1991, je suis allé voir la femme de
Lucien Laugier. Elle m’a donné accès à ses écrits et, en particulier, à
son
journal. Étant donnée la masse de documents, j’ai pu seulement
parcourir J’ai
trouvé un passage de ce dernier que j’ai alors recopié. Je l’ai ensuite
égaré
et ne l’est retrouvé qu’il y a un an, comme j’en ai fait part à
Flaviano Pizzi
dans une lettre du 11 septembre 2000 en laquelle je transcrivais à
nouveau ce passage que voici.
Collobrières
08 juillet 1978
Plus
de six mois que je n’ai plus écrit dans ces pages. Mon irritation
contre
Jacques C. et ses “contradictions” est liquidée, mais pas la
désaffection, non
seulement à son égard, mais aussi à l’égard de ma conviction ancienne
qu’il
était possible à travers accord entre principes et comportement,
d’établir un
rapport logique rentre ce qu’on souhaite et l’évolution du monde et le
“projet
théorique” de cette évolution. Jacques C. s’est fait un personnage,
celui du
théoricien penseur anticipant et rêvant la retrouvaille par l’homme
moderne de
ce qu’il appelle, lui, la “Gemeinwesen”. Plus exactement, ce
personnage,
peut-être depuis la sortie de l’adolescence, l’a envahi, est devenu
lui-même,
n’a plus laissé place apparente à un autre dont il rêve peut-être - ce
qui
alourdit encore le corset de l’être qu’il est réellement. A quoi bon
s’indigner
des contrastes toujours plus frappants, entre ce que théorise cette
armure-robot et ce que fait effectivement l’individu qui y est enfermé
- comme
le mollusque dans sa carapace. La constatation de ce fait incline à
l’indulgence et à la tolérance; mais aussi entraîne une opinion encore
plus
désabusée quant à l’accord pensée-action dont il est question plus
haut. Pis
encore, elle conduit à envisager cette hypothèse plus débilitante: il
doit en
être ainsi pour tous les individus: moi-même, qui pensait sincèrement
autrefois
être attaché de façon désintéressée à une “perspective
révolutionnaire”, ne
faisait que vivre un personnage qui était devenu moi-même et qui
trouvait son
équilibre relatif dans la rêverie d’un monde meilleur, prosaïquement
étayée par
les satisfactions - et plus encore les épreuves - d’une activité
militante."
Je suis heureux que soient
publiées les œuvres de Lucien. Cela me donne l’occasion d’affirmer
qu’il n’y
eut jamais de convergence entre nous deux et que, pour moi, son
investigation
demeure au coeur du monde que je quitte. Cela n’entame en rien la
profonde
affection qui me lia à lui jusqu’à sa mort le 01 avril 1989.
* * *
Dans le n° 12 de sa revue (Dis)continuité,
François Bochet a publié 12 lettres que j’ai envoyées à divers
correspondants entre 1959 et 1994. Avant d’indiquer ce que cela a
provoqué
en moi, je donnerai quelques précisions au sujet de François Bochet qui
fut un
collaborateur efficace d’Invariance, tout particulièrement entre 1992 et 1996, comme ce fut indiqué dans Dire,
Voir, Dire [12]. A partir de la fin 1996 il a abandonné toute
collaboration et rompu avec moi. Il a fondé (Dis)continuité
dans le n°1 de laquelle il dit sa rupture
déterminée selon lui par des raisons théoriques et des raisons
personnelles. En
ce qui me concerne je n’avais aucune divergence importante avec lui,
sauf celle
qui concernait la fondation de l’association Régénérer
la Nature.
Toutefois ce désaccord ne gêna
en rien notre collaboration car, tout en n’étant pas membre de cette
association, F. Bochet continua à me fournir une foule de documents qui
m’ont
aidé à étoffer ma réflexion sur le thème de la séparation de Homo
sapiens
vis-à-vis du reste de la nature. En ce qui concerne les questions
personnelles,
je n’avais rien à lui reprocher au moment où il s’éloigna d’Invariance.
Je ne
pouvais alors que me réjouir de son amitié pleine de générosité. Depuis
lors il
opère en fonction de sa perspective, de sa représentation etc.; je le
fais de
même. Je n’éprouve aucune nécessité de répondre aux critiques qu’il a
formulées, à mon encontre, dans ses écrits. Sa thématique théorique ne
m’intéresse pas du fait qu’elle demeure à la superficie des phénomènes
concernant l’espèce[13]. Tout ce qu’il expose est juste,
mais demeure dans l’apparence et ne parvient pas à l’évidence, et
escamote la
profonde souffrance des hommes et des femmes essayant d’œuvrer dans une
dynamique de libération-émergence et condamnés à rejouer.
Ceci dit, la constatation de la
publication de mes lettres a fait monter en moi l’idée que je serais
mort et,
qu’alors, on serait en train de publier une œuvre posthume. En même
temps j’ai
ressenti un profond sentiment de dépossession. Je suis allé voir en
quoi tout
ceci était un support pour revivre des événements douloureux. Ce n’est
pas de
cela que je veux m’entretenir avec les lecteurs, mais de la partialité
de la
présentation de ma position du fait de la publication de lettres sans
qu’elles
soient accompagnées de précisions importantes. C’est surtout le cas de
la
lettre à Fredy Perlman du 15.07.1984 et relative
à des articles de John Zerzan. En effet cette lettre n’exprime qu’une
partie de
ma prise de position en rapport à ce dernier. Étant donné qu’on m’a, à
plusieurs reprises, demandé d’exprimer mon opinion au sujet de son
œuvre, et
étant donné également que je suis pour ainsi dire utilisé au sein de la
mouvance
primitiviste, je veux en profiter pour me positionner. Pour cela je
désire
présenter chronologiquement comment s’est imposé ma relation à John
Zerzan.
Il prit contact avec moi avec une
lettre du 03.12.1983, dont je présente la traduction.
Professeur
Camatte
Je
t’avertis qu’utiliser fidèlement le langage [14]et
les catégories de Marx te rend A. suspect et, conséquemment B. non lu
par ceux
qui recherchent la radicalité. On a l’impression, également, qui tu
viens
seulement maintenant de découvrir un phénomène bien connu tel la
rébellion des
années 60 et le mouvement féministe.
Considéré
par certains comme la voix la plus avancée de l’ultra-gauche (ce qui
peut-être
justement le problème), tu ne me sembles pas être à la hauteur de
l’époque dans
des affirmations telle celle qui commence ainsi, dans ‘L’écho du temps’
(p. 39) [15] “Penser qu’un paradis
terrestre pourra être
instauré…”. Le pape Jean-Paul pourrait être considéré comme l’auteur de
telles
déclarations conservatrices.
J’ai
déjà commencé un assaut au temps et au langage (vois les parutions
récentes de
“Fifth Estate”) et je ne vois aucune raison pour être rappelé à l’ordre
par
d’autres vues de l’“humaine nature” ou de ses fac-similés en théorie.
Pour
un monde nouveau"
Cela était suivi de la signature
et de l’adresse de John Zerzan.
Je répondais par la lettre
suivante datée du 09.03.1984.
Bonjour
Ta
lettre du 03 décembre 1983 m’a mis dans un certain embarras car elle
est fort ambiguë.
Elle semble, d’une part, ne réclamer aucune réponse se présentant comme
une
déclaration de ce qu’est la personne J. Zerzan qui, dans son
affirmation
d’être, exprime une opinion condescendante sur une autre personne, moi
en
l’occurrence, et, d’autre part, semble désirer une réponse, puisqu’elle
se
termine avec l’indication de l’adresse du même J. Zerzan.
Alors?
J’ai pris finalement le parti de répondre en demandant quelques
explications.
"Pourquoi
éprouver la nécessité d’insulter la personne à qui on écrit en
l’interpellant
dans sa détermination réductrice liée à son statut social? Tu écris:
Professor
Camatte. Il y a là une distanciation profonde et une ironie péjorative
qu’il
t’est loisible d’exhiber mais qui contraste avec ta préoccupation
finale: “For
a new world”. Comment concilier les deux: vouloir s’adresser à un être
englué
en ce monde, puisqu’on le désigne par sa glue
sociale, et vouloir un nouveau monde? A mon avis, il valait
mieux ne pas m’écrire.
Tout
le reste de ta lettre est du même style.
Peut-être
pourras-tu m’expliquer ce tu voulais me signifier. N’hésite pas à être
franc et
violent, s’il le faut. La clarté ne peut être que dans ces conditions.
Enfin
le final de ta lettre m’indique tes travaux. Je pense que tu veux me
signifier
par là en quoi je mérite d’être désigné par “Professor Camatte”. Alors
j’ai
écrit à Fredy Perlman pour avoir le n° du “Fifth Estate” où tu traites
du
temps. J’ai eu et lu le n° où tu abordes la question du langage. Je
pense
pouvoir peut-être t’écrire à propos de tout cela quand j’aurais pris
connaissance de tous ces écrits.
En
attendant je demeure très perplexe et j’ai l’impression que tu as une
connaissance superficielle de ce que j’ai pu écrire.
`
Éclaire
ma lanterne si tu en as envie. Peut-être pourrai-je, alors, mieux
comprendre ce
que tu entend par: For a new world."
Avant de poursuivre mon exposé
chronologique, je désire reporter en entier la phrase dont John ne cita
que le
début. “Penser qu’un paradis terrestre pourra être instauré après une
révolution ou une catastrophe c’est penser que devra s’instaurer un
négatif de
ce qui est; c’est faire œuvre réductrice car c’est viser à éliminer des
données
essentielles de la vie, comme le font ceux qui pensent qu’il n’y aura
plus de
douleur, plus de souffrance, etc…”. Ceci était accompagné de la note
suivante:
“Voilà pourquoi, nous avons depuis longtemps fait ressortir les graves
dangers
que recèle la formule “abolition du travail””.
Le même jour, 09 mars 1984, j’écrivais à Fredy Perlman.
[…] En
décembre l’an dernier j’ai reçu une lettre de John Zerzan à laquelle je
ne
pensais pas répondre, mais les informations que tu me communiques et ce
que
j’ai lu de lui m’ont conduit à modifier mon attitude. Celle-ci était
déterminée
par le fait que je percevais une ambiguïté étrange dans sa lettre qui
d’une
part m’insultait et ne réclamait aucune réponse et d’autre part
m’invitait à
lire les écrits de l’expéditeur de la lettre et me sollicitait de
répondre
puisqu’il était indiqué en fin de missive l’adresse de l’épistolier. La
lettre
était insultante dans la mesure, en particulier, où elle commençait
ainsi:
“Professor Camatte”…
Je
viens d’écrire à John Zerzan en lui signalant ce que je viens de te
rapporter
en lui demandant de clarifier ce qu’il veut par rapport à moi. En même
temps je
veux mieux comprendre sa pensée, aussi je serais content si tu pouvais
m’envoyer le n° Summer ’83 du “Fifth Estate” où se trouve son article
contre le
temps.
Je
lui
écrirai alors, si cela en vaut la peine…
Je
te tiendrai au courant de mes réflexions et te répondrai mieux à ta
lettre du
15 février. Je puis te dire déjà que pour moi cela ne veut rien dire
d’être
contre le temps ou le langage verbal (à ce sujet dans l’article de
Zerzan
l’adjectif “verbal” manque trop souvent; le langage n’est pas que
verbal!). Il
est question pour moi de réaliser une autre vie. Je m’expliquerai mieux
ultérieurement. Tu as déjà des linéaments de réponse dans mes remarques
sur le
livre de Lévy-Bruhl.
Te
remercie d’avance et sois persuadé que je ne veux aucune polémique. Je
veux
seulement des explications pour comprendre quelle est la position de J.
Zerzan
vis-à-vis de moi. S’il veut m’insulter c’est son affaire, mais que la
chose soit
claire. Je ne m’en plaindrai pas. Je prendrais acte, c’est tout.
Bien
amicalement à vous deux, salutations à tes amis du “Fifth Estate”.
Dis-leur que
je suis très content de lire ce qu’ils font.
Le 29 mars 1984, Fredy me répondit. J’extrais
ceci qui concerne J. Zerzan.
Merci
pour ta lettre. Nous étions épouvantés d’apprendre des lettres [16]:que
tu as reçu de John Zerzan. La salutation “Professeur Camatte” est
vraiment
insultante venant de lui, parce qu’il nourrisse une haine contre les
professeurs. L’ironie, c’est que tous ces articles ne sont que des
compilations
de citations tirées des livres des Professeurs. nous t’envoyons
l’article
contre le temps; j’espère qu’il arrive avant que nous.
Nous
avons fait la connaissance de John Zerzan seulement une fois, il y a
cinq ou
six ans, quand Lorraine et moi avons visité San Francisco (où il
habitait à
l’époque). C’était juste après que nous avions imprimé ton essai sur
L’errance
de l’humanité. Sa réaction à ton essai était tout à fait bizarre; je te
raconterai
les détails si tu me les demandes quand nous te voyons; les décrire
dans une
lettre m’est impossible. Comme tu peux voir des derniers numéros, les
gens qui
font le Fifth Estate ont des relations difficiles avec Zerzan, des
amitiés-enmitiés. (Avec moi aussi, pour des raisons différentes.
D’ailleurs les
gens du FE ont aussi des problèmes l’un avec l’autre; ce n’est pas
heureusement, un groupe politique avec des positions fixes). Mais rien
dans
tout cela n’explique pourquoi Zerzan s’adresse à toi maintenant. Je
pourrai
spéculer sur cela si je savais le contenu de ces lettres. Zerzan est
têtu,
isolé, contradictoire, souvent original et intéressant, souvent
emmerdant et
insultant. Je pense qu’il n’y a aucune raison de communiquer avec lui
s’il
t’insulte!
Je ne retrouve pas trace de
lettres où je signalais à Fredy que je considérais que John abordait
des
questions importantes et qu’il fallait en tenir compte. Quoi qu’il en
soit,
Fredy le perçut fort bien comme cela apparaît dans sa lettre du 8 octobre 1984, dont j’extraie ceci:
Ta
critique des essais de Zerzan sur le langage et le temps a été lu avec
immense
intérêt par Lorraine et moi, et
aussi par David et Marilyn Watson,
le couple qui t’a visité à Toulon (les seuls autres parmi nos amis qui
peuvent
lire le français). nous étions tous d’accord avec tes critiques, dont
quelques
unes avaient été touchées
par David dans ses articles critiquant les
positions de Zerzan, et par moi dans ‘Against His-story, Against
Leviathan’. Une
chose de première importance que nous n’avions pas mentionné est la
question de
la mesure; tes quelques remarques sur ce sujet nous intéressaient
beaucoup.
C’est
peut-être ironique que l’effet de ta lettre sur moi était de me faire
apprécier
plus qu’avant le travail de Zerzan. Avant de lire tes remarques, je
pensais que
Zerzan était en quête de diable, qu’il cherchait le Mal original, la
serpente
responsable pour la chute d’Adam, et que, comme les Chrétiens, il
trouvait
cette serpente dans la condition humaine elle-même (temps, langage,
culture,
mythologie) Après de te lire, je me rends compte que, même si ses
propos sont
mal exprimés et ses généralisations superficielles, au moins les
questions
qu’il touche sont importantes. Une autre ironie reste que le suivant
essai
envoyé par Zerzan au Fifth Estate, un essai qui n’a pas été publié (et
peut-être ne le sera jamais, si le journal cesse de publier) portait le
titre
“The idea of number”. je n’ai pas lu cet essai, mais si cela peut
t’intéresser,
je peux en faire une copie et te l’envoyer”.
Dans une lettre du 03 janvier 1985, je réponds ceci à Fredy: "ce
serait vraiment dommage que le “Fifth Estate” cesse de paraître.
j’espère que
vous trouverez le moyen de le maintenir même si c’est avec une
périodicité plus
réduite. Dans tous les cas, le texte de Zerzan m’intéresse: “The idea
of
number”. C’est une question énorme”.
Dans cette même lettre je lui
parle de Situation
au sein d’un procès
qui sera ultérieurement publié
avec un autre titre Émergence
de Homo Gemeinwesen, le
titre précédent devenant
sous-titre. Ultérieurement je lui ai envoyé les 6 premiers chapitres. Dans sa
lettre du 6 avril 1985 il m’en accuse réception et
m’indique qu’il en a envoyé des photocopies à
diverses personnes dont John Zerzan. Ceci explique le fait que celui-ci
m’ait
écrit le 25 avril 1985.
Salutations
fraternelles:
Fredy
m’a envoyé ton manuscrit sur les origines de Homo sapiens sapiens. Mon
amie
Alice Cairnes en fait une traduction et nous te l’enverrons soit en
totalité dans
un mois ou deux soit une partie, tout d’abord, pour que tu te fasses
une
opinion. Je me réjouis beaucoup de la lire.
Après
mes essais sur le temps et le langage de ces dernières années, “Fifth
Estate”
publiera, bientôt,
je l’espère celui sur le langage[17].
Toute critique ou commentaire que tu prendrais soin d’envoyer me serait
fort
bienvenu.
Il
semble vraiment que cette époque présente un avantage: son extrémisme
nous
amène de façon inévitable à
considérer plus profondément les
origines, et toutes les manières conventionnelles d’exister. De telles
nouvelles explorations, c’est ce qui est exaltant pour moi.
`
Meilleure
santé à toi et merci pour le manuscrit.
Sincèrement,"
Je répondais le 09 mai 1985.
Cher
camarade
Grand
merci pour ta gentille lettre et pour la traduction que fait ton amie
Alice.
Cela me fait infiniment plaisir. Je pense que cela nous permettra de
mieux
saisir nos différents modes de poser les diverses questions
essentielles pour
le devenir de notre espèce.
J’ai
lu tes articles dans le “Fifth Estate” sur le temps et sur le langage,
mais
j’ai eu aussi par Fredy ton texte sur le nombre. Tu abordes là toutes
les
questions fondamentales de notre devenir et je suis fort content qu’un
journal
veuille bien publier tout cela, même si un certain nombre de personnes
ne se
rendent pas compte de l’importance de tes travaux.
Je
n’ai pas de critiques à faire. Je pense que tu comprendras ma position
en
lisant le texte qu’Alice est en train de traduire. Ainsi nous pourrons
situer
nos cheminements. Tout ce que je puis dire c’est qu’il est important
que tu
continues à œuvrer comme tu le fais parce que tu poses des questions
essentielles.
Encore
une fois merci à toi et à Alice; bonne continuation de ton œuvre.
Fraternellement
Le même jour j’écrivais à Fredy
et lui communiquais ceci:
John
Zerzan m’a écrit une très gentille lettre où il me dit qu’il est
content d’avoir
reçu le manuscrit et que son amie Alice est en train de le traduire. Je
lui ai
répondu en le remerciant (et je le fais aussi vis-à-vis de toi qui est
le
démiurge du fait). D’autre part je lui dis que j’ai effectivement lu
tous ses
articles y inclus celui sur le nombre; que je n’ai pas de critiques à
faire car
il lira mon texte et pourra se rendre compte du cheminement différent.
Dans
tous les cas, je lui dis que son approche est importante parce qu’il
touche des
questions essentielles. Le reproche de “superficialité” que j’ai fait
dans mes
lettres que je t’ai envoyées, n’est pas essentiel dans la mesure où il
peut
justement approfondir, ultérieurement, tout cela. En conséquence
j’espère que
vous pourrez continuer à publier le “Fifth Estate” car je pense que ce
doit
être un des rares journaux à aborder des problèmes aussi essentiels.
Je tiens à souligner ici mon
approche: je refuse d’opérer une critique qui relève en partie de la
dynamique
de la négation. Je préfère opérer dans une dynamique d’affirmation en
présentant la façon dont j’aborde la question exposée par l’autre.
Cependant la
réalisation de mon exposé se heurte souvent à beaucoup de difficultés
du fait
que je me rends compte que je ne suis pas moi-même allé assez loin dans
la
perception radicale de ce qui est étudié. En conséquence, cela prend du
retard
ou c’est mis de côté parce que je suis sollicité par d’autres thèmes
qui,
momentanément, peuvent apparaître sans rapport mais qui, en réalité,
sont en
connexion profonde. Ainsi la recherche de ce qui est à la racine du
devenir de
l’espèce se séparant de la nature m’a amené à mettre en évidence la
spéciose et
l’ontose. C’est à partir de là que je puis fonder mon affirmation sur
la
superficialité.
J’ai accumulé des notes sur les
divers articles de J. Zerzan, particulièrement sur celui sur le nombre,
elles
me servent pour fonder mon propre cheminement. Ainsi je me sens
cohérent en
affirmant l’importance de son œuvre. Je dois ajouter que je suis loin
d’avoir
traité à ma façon les diverses questions qu’il a affrontées. De ce fait
je puis
donner l’impression de ne pas exécuter ce que je dis, mais je ne suis
pas
obligé de répondre immédiatement aux sollicitations des autres. Encore
une
fois, j’affirme mon cheminement et je ne sens pas d’urgence à prendre
position
au sujet de ce que d’autres produisent. En revanche j’enregistre les
productions dans la mesure où ce qui me semble essentiel a été abordé.
Depuis 1985 je n’ai plus de contacts avec
John Zerzan et l’ambiguïté posée par sa lettre initiale n’a pas été
levée. Le 24 août 1986, Alice Cairnes m’écrivit ceci,
en français:
Je
ne
peux que présenter mes excuses. Je ne suis pas capable de traduire
votre œuvre.
J’ai préparé 16 pages du manuscrit. Je les envoyées à David Lonergan et
à un
groupe de San Francisco qui étudie vos textes. Dans les deux cas, je
n’ai reçu
que des remarques décourageantes. Évidemment il faudrait mieux
connaître vos
œuvres et mieux connaître le français, pour faire une traduction qui
vaut la
peine. J’en suis désolée.
Je
vous envoie les pages achevées de Situation, qui me
semble très
intéressant. J’espère qu’il sera publie bientôt en France et que vous
trouverez
quelqu’un pour le traduire.
Je lui ai répondu le 08 octobre 1986. Ce à quoi elle me répondit à
son tour le 28 octobre 1986. Et c’est tout...en
ce qui
concerne mon rapport à J. Zerzan, mais ce n’est peut-être pas le cas
pour les
autres destinataires de mes lettres publiées dans (Dis)continuité,
d’autant
plus qu’elles le furent sans qu’ait
été omis des “passages personnels” qui peuvent prêter à confusion. Leur
non
omission témoigne d’une dynamique de viol.
Depuis les événements de Seattle,
John Zerzan a pris une importance certaine et son œuvre a été traduite
en
français. Diverses personnes m’ont demandé de prendre position à son
sujet. Je
pense que ce qui précède leur permettra de comprendre pourquoi je ne
l’ai pas
fait. Encore une fois, il s’agit pour moi d’affirmer sans nier l’autre
et je
pense que ceux qui lisent doivent être capables par eux-mêmes de voir
les
convergences, les différences, les désaccords, etc… En fonction des
prises de
position de John, ces dernières années, je ne puis que constater que
nous
divergeons. Je constate, et j’essaie de mieux affirmer mon approche du
devenir
de l’espèce, afin d’être perceptible.
Jacques CAMATTE
Août 2001
[1]
Gloses en marge
d’une réalité I”,
in “Invariance”, série IV, nº spécial, avril 1986 (Le
texte fut rédigé en 1983).
[2] “. La rédaction de ce texte a “été
entreprise en 1995, et abandonnée par la suite. Les
dernières Gloses
parurent dans Invariance, série IV, n°8.
[4]. Les adeptes de la révolution
conservatrice ne
perçurent pas la dimension spiritualiste du capital et jusqu’à quel
point, on
pourrait dire, il réalise une idée, ce en quoi dieu peut se résoudre.
K. Marx
fit maintes remarques visant à révéler cette dimension. “La production
capitaliste est, comme le christianisme, essentiellement cosmopolite.
C’est
pourquoi la religion chrétienne est la religion spéciale du capital.
Tous deux
ne considèrent que l’homme, et tous les hommes ont en soi la même
valeur. L’un
a plus de foi, l’autre plus de crédit. Ajoutez chez l’un la grâce, chez
l’autre
le hasard, c’est-à-dire s’il a ou non l’argent chez lui”. Histoire
des doctrines
économiques,
Éd. A. Costes, 1949, t, VIII, p. 121. Werke, Dietz
Verlag, t. 26, 3, pp. 441-442.
[9]. Au début des années soixante, A.
Bordiga eut
l’intuition du concept de renversement (cf. Le
renversement de la praxis). Cependant
opérer un contre-renversement est insuffisant.
[10] .Lors de la rédaction définitive
de cette glose, nous
avons omis d'intégrer ce paragraphe.
"Parler du spectacle en opérant
avec la catégorie
de la marchandise, c'est ne pas atteindre l'invisible, le capital, qui
tend, à
travers la consommation des marchandises-capital à se perpétuer et à
s'accroître. Le spectacle détourne les hommes et les femmes de ce qui
est
effectivement déterminant, mais invisible." (Note de février 2008).
[11]. Le livre peut être commandé à
François Langlet, 26 rue G. Bizet, 91 460 Marcoussis. Dans le n°13 de
(Dis)continuité, se trouve également un long texte de Lucien Laugier
concernant
la crise de 1966 dans le PC international (cf. F.
Bochet - 27 rue d’Ermont, 95210 Saint
Gratien
[13]. J’expliciterai
cette affirmation en exposant comment, selon moi, hommes
et femmes ont
vécu dans une immense contradiction due à l’affirmation simultanée de
la
dynamique de libération-émergence et de celle des rejouements.
[14]. John emploie le mot langage. J’ai traduit par langage bien
qu’à mon avis, le mot
langue conviendrait beaucoup mieux, mais le mot tongue
(langue) est
beaucoup moins usité en anglais qu’en français. Autrement dit la
confusion
entre langage et langue est plus manifeste dans le discours anglais que
dans le
discours français.
[15]. Il s’agit de
la version anglaise: Echoes
of the past,
publiée par BOJYJOB
Press, c/ - 417 King Street, Newtown, NSW 2042, Australia, 1983.
[16]. Il s’agit en fait d’une seule
lettre. Fredy écrivit
ses lettres en français. Je n’ai pas cru devoir rectifier quoi que ce
soit dans
la rédaction de sa lettre car je pense que ce qu’il dit est fort
compréhensible.
[17]. John écrivit
“ the piece
on langage”. Je
pense qu’il s’agit en
fait de son essai sur “L’idée de nombre”.