8.5. La Commauté abstraïsée; l'État
8.5.1.
Á
divers degrés à l’échelle mondiale, le développement de l’élevage, de
l’agriculture, de la métallurgie, ont abouti à des tensions qui
risquèrent de
faire éclater la communauté immédiate parce qu’en même temps, il y eut
tendance
à une autonomisation des individus, du pouvoir ; mais la
communauté
résista et finalement intégra les diverses tensions en devenant la
communauté
despotique : communauté abstraïsée sous forme d’Etat,
représentation
vivante du procès de vie total de la communauté, des divers rapports
entre
hommes et femmes, etc..
C’est
un appareil d’intervention
collectif, un outil complexe de la communauté apte à opérer sur la
nature.
Avant
d’apparaître en tant que
tel, il est un comportement de la communauté vis à vis d’une activité
donnée,
par exemple quand elle doit se situer dans le cosmos et pour cela
édifier des
constructions plus ou moins imposantes, comme les mégalithes.
Il
est donc en rapport avec
l’intervention, ce qui nécessite une représentation apte à lier tous
les
aspects du procès de vie de la communauté, et à poser les rapports à la
nature.
C’est
un phénomène de synthèse de
divers phénomènes plus élémentaires de représentation où la projection
s’opère
dans les deux sens, de la communauté vers le cosmos, et celui-ci vers
la communauté,
plus exactement sur ses représentants, ou son représentant, et ce, en
fonction
du comportement dans le milieu où elle opère, afin d’assurer son
intervention
et opérer son rétrocontrôle.
Á ce point il est important de noter
l’ambiguïté-dualité de l’État car il est à la fois la situation que
s’est
donnée la communauté en sa totalité, et la fraction de celle-ci qui
représente
de façon plus ou moins autonomisée cette communauté.
Cette
fonction de situer, de
positionner la communauté implique un procès de séparation. l’État
présuppose
un territoire plus ou moins bien délimité en regroupant une ou
plusieurs
ethnies, ce qui fonde, structure, un intérieur et un extérieur, et pose
ceux
qui sont de l’intérieur comme les autochtones, ceux du lieu,
et ceux de
l’extérieur, comme les étrangers. Différence qui existait, certes,
auparavant,
mais qui renforcée - voire constituée - par la
médiation de l'État.
La
tendance à la formation de ce
dernier se manifeste en ceci : la médiatisation de toutes les
relations
immédiates. Cela ne veut pas dire que le phénomène aboutit à chaque
fois à sa
réalisation-instauration. C’est dans chaque cas une de ses
présuppositions. La
rupture définitive de l’immédiateté fonde la dualité
intérieur-extérieur. Et
notons en outre que toute médiation qui s’autonomise engendre la
dépendance - procès non réellement décrit par Hegel.
Etant
donné qu’il est en rapport
avec une intervention déterminée et de grande ampleur, il doit être à
même de
prévoir ; on peut même dire que c’est en particulier en tant
qu’appareil
prévisionnel impersonnel qu’il se constitue et s’abstraïse du reste de
la
communauté. En même temps il doit être permanent, stable, puisqu’il
instaure le
référentiel fondamental, tant que la valeur ne s’est pas imposée.
8.5.2.
Le
mouvement de production de l'État,
de la propriété privée, des classes, de
la valeur, de l’individu et des représentations qu’ils induisirent
(philosophie, sciences,etc.), est difficilement divisible quand on le
considère
en tant que phénomène affectant une aire géo-sociale donnée. Toutefois,
il n’y
a réellement coévolution des ces éléments qu’en Occident, et en outre,
même au
sein de ce dernier, l'Ètat
s’est manifesté bien avant que la valeur
et l’individu fussent à même de s’autonomiser, en sorte qu’il est
possible de
dire qu’il y a deux surgissements de celui-ci : le premier se
fait sur la
même base qu’en Orient, le second s’effectue à partir du mouvement de
la valeur
d’échange. Ceci ne veut pas dire qu’il y ait une coupure radicale entre
les
deux ; en particulier, la valeur tend à opérer au sein de la
première
forme étatique, mais elle est un des éléments qui sont intégrés par
cette
dernière ; elle n’est pas le mouvement créant, ce n’est pas
elle qui fonde l'Ètat.
La
valeur d’échange a eu
plusieurs tendances à s’autonomiser en Chine, mais elle a été chaque
fois
enrayée et résorbée dans la communauté despotique ; elle n’est
jamais
parvenue à devenir le fondement de la société chinoise. Dans ce cas, la
communauté despotique a une telle puissance qu’elle peut tolérer en son
sein le
développement d’éléments contradictoires à son être, ce qui aboutit
tout de
même, à la suite de plusieurs siècles, à une modification de celle-ci,
mais non
à un bouleversement fondamental. Ce n’est qu’actuellement que ceci tend
à
s’effectuer réellement. En conséquence, nous examinerons l'Ètat
en tant que
communauté abstraïsée, le mouvement de la valeur d’échange, l'État
en tant que
médiateur de la valeur d’échange et son représentant, puis le mouvement
du
capital.
8.5.3.
Parmi
le intermédiaires opérateurs d’unité
surgissant de la rupture de l’immédiateté et de la communauté, de la
liaison
avec la nature, se place l'État.
Dans un premier temps celui-ci ne peut
s’étudier qu’en relation avec le pouvoir, c’est à dire en rapport avec
ce qui
fonde l’existence de la communauté et de ses membres. il a maintes fois
eu
tendance à se réaliser et il y eu maints enraiements.
L'État
apparaît fondamentalement comme un organe
de représentation de la communauté qui permet une
intégration-coordination de
toutes les activités, surtout lorsqu’il vint à se trouver à la tête de
diverses
communautés qui avaient fusionné. Il exprime le pouvoir de toute la
communauté
sur son environnement, sur son comportement, particulièrement en ce qui
concerne ses relations avec d’autres communautés. Il n’est pas, au
départ, un
mal en soi ; c’est à dire, par exemple, un organisme destiné à
exploiter,
à écraser les hommes, les femmes. On ne peut pas dire non plus que l'Ètat
détruit la
communauté, car il est le produit du devenir de celle-ci dans des
conditions
bien déterminées. 1
8.5.4.
Le
surgissement de la première forme d'État
peut s’étudier en Mésopotamie, en Égypte,
en Grèce, en Chine. Cela est plus difficile pour l’Inde. En revanche,
divers
travaux concernant l’Afrique noire, l’Amérique (Aztèques, Incas)
permettent de
la comprendre et de percevoir les similitudes et les différences. C’est
donc un
phénomène non limité à une aire géographique donnée ; cela
implique
l’existence d’une tendance profonde au sein de l’espèce déterminée,
nous
l’avons vu, par le devenir hors-nature.
Cet
Etat a surgi sous forme de
cité-Ètat
dans des aires géographiques où il y avait une certaine variété
écologique permettant un devenir diversifié apte à engendrer un
ensemble de
phénomènes, analysés précédemment, dont la synthèse est justement l'État.
Cela veut
dire que toute la zone en question est concernée par le devenir à ce
dernier,
même s’il n’apparaît en définitive qu’en un endroit précis. En outre,
on
comprend la tendance à ce que la cité-État,
une fois instaurée, tende à unifier
l’ethnie, et donc à dominer toute l’aire géographique où celle-ci s‘est
installée pour, ensuite, tenter de soumettre d’autres ethnies. D’où,
dès lors,
les multiples luttes non plus entre cités-États, mais entre Empire
dérivant de
l’absorption d’un certain nombre de ces derniers.
8.5.5.
Les
réquisits à la naissance de l'État
sont nombreux 2.
On peut les
étudier en tenant compte qu’il est en définitive la résultante de deux
mouvements : celui de la concentration et autonomisation du
pouvoir, et
celui de la mise en place d’un mécanisme de contrôle, de régulation,
d’organisation. Ce que l’on peut également exprimer ainsi : l'État
surgit au
point de confluence de deux mouvements : de
séparation - entre les
sexes, entre les membres de la communauté et leurs participations,
entre les
membres eux-mêmes, entre formes communautaires liées à un type de vie
donnée
(sédentaire en rapport à l’agriculture, nomade en rapport à l’élevage )
-
et d’union.
En
ce qui concerne
l’autonomisation du pouvoir, elle s’effectue avec le passage de la
participation à la dépendance, et ce, sous toutes ses formes. 3
Avec
la séparation d’avec la
nature, il y a perte de l’immédiateté qui engendre l’insécurité, ce qui
pose
déjà le problème du pouvoir, ceci surtout pour les hommes, parce que
les femmes
gardent une immédiateté qui est ravivée dans tous les cas par la
maternité. En
outre, par suite de l’opérationnalité analogique, la femme est nature.
Elle est
engendreuse comme la terre. C’est pourquoi on pourrait tout aussi bien
dire
mère-terre que terre-mère. Il en découle que la femme reste longtemps
réfractaire au problème du pouvoir.
La
séparation entre les sexes
accuse encore la perte d’immédiateté. Les hommes doivent en quelque
sorte
fonder leur pouvoir, le créer ou le ravir à qui que ce soit, afin
d’avoir puissance
et certitude de vie. (cf. la question de la magie abordée dans le
chapitre 7)
Le
devenir de séparation augmente
aussi bien en ce qui concerne la communauté, qu’en ce qui concerne ses
membres ; tandis que celui entre ceux ci et leurs
participations fonde le
possible d’un flux de produits dont l’accumulation va déterminer le
pouvoir.
Dans
la phase initiale, vivre
c’est tout simplement participer à un processus qui est intégré dans
celui
total de l’écosystème, où se trouve la communauté. Une fois la coupure
se
réalisant, vivre se fera par des médiations, mais cela tendra toujours
à
participer. Cela va prendre un aspect quantitatif, parce que participer
apparaîtra comme résultant de pouvoirs de réalisations, ce ne sera plus
une
simple puissance, une énergie. Le pouvoir implique des pouvoirs divers.
8.5.6.
La
séparation entraîne la déconnection par rapport à la fonction de la
continuité, au contact, à la jonction immédiate laquelle
amène
plaisir-plénitude 4.
Ceci isole le pouvoir en tant que seul fait d’exister -
impliquant
l’aptitude à le faire, à intervenir dans la nature, à avoir une
certaine
jonction au cosmos - et pose le surgissement de l’amour en
tant que
substitut à l’immédiateté continuité perdue. Il y a surgissement d’une
conduite
particulière qui permet de maintenir le contact, d’autant plus
nécessaire que
les diversités sont devenues des différences.
La
séparation peut alors être
surmontée soit en exaltant la fonction de continuité au travers de
l’amour,
soit en essayant d’avoir plus de pouvoir, ce qui colmate la brèche et
pose à
nouveau la participation ; mais cette fois elle est orientée,
c’est à dire
fondée à partir du membre communautaire qui opère.
Nous
sommes ici au point
d’articulation du naturel et du culturel. En effet, c’est par des
pratiques
inventées que les rapports entre les membres de la communauté pourront
dès lors
s’effectuer. Et c’est ici également, qu’il faut, réciproquement,
insister sur
le fait que les phénomènes culturels doivent résoudre les problèmes
biologiques, psychologiques, immédiats ou déformés par le comportement
de
rupture d’avec la nature. Ils ne naissent pas arbitrairement ;
ils ne sont
pas le produit de conventions. Toutefois, au fur et à mesure que la
culture
l’emporte, hommes et femmes sont déterminés par elle, et donc leurs
besoins
biologiques sont eux-mêmes affectés, orientés, ce qui donne
l’impression de la
primauté absolue de la culture. Elle est renforcée du fait que jusqu’à
ces
dernières années, les phénomènes biologiques ont été masqués. Toutefois
avec le
mouvement de mai-juin 1968, la dimension biologique s’est faite
nettement
sentir. Ce qui nous impose de comprendre comme elle a pu
progressivement être
masquée, d’autant plus que c’est dans ce masquage que consiste le
devenir
d’Homo sapiens.
Dans
une phase ultérieure, on
aura un antagonisme entre les deux modalités, de telle sorte que le
membre
communautaire ne parvenant pas à être pleinement aimé, recherchera le
pouvoir
afin de réaliser sa certitude au monde, sa participation.
On
doit bien tenir compte de
l’intrication entre l’amour et le pouvoir. En effet, c’est seulement
l’acceptation par les autres qui engendre la certitude au monde, la
sécurité. Vivre,
à ce stade là, c’est être reconnu, car cela permet de participer. Il en
résulte
des conduites pour forcer la reconnaissance : la séduction, ou
une
démarche différente, au contraire : l’amour chrétien ou celui
prôné par Mo
Ti. Il se présente comme une sorte de potlatch :donner aux
autres, quels
qu’ils soient. Cela conduit à s’affirmer dans une immédiateté, en
absence de
pouvoir ; mais c’est en réalité une affirmation totale car les
autres sont
dépendants de ce flux qui ne demande pas de retour.
8.5.7. En
même temps s’opère un phénomène d’une amplitude aussi vaste. Avec la
séparation, l’encéphale de l’espèce n’est plus branché sur la nature,
et celui
du membre communautaire sur l’espèce, ainsi au lieu d'avoir une
réflexivité
concernant une totalité, on a une réflexivité affectant une
particularité, une
individualité. Dès lors, Homo sapiens, en tant qu'espèce et en tant
qu'individu
n'a plus un vaste substrat - de la réalité de laquelle il
doute - à
partir duquel édifier ses représentations. Il entre dans la dynamique
de
l'édification d'un substitut dont la réalisation concrète se perçoit
aujourd'hui.
Au
cours de celle-ci il y a
production de l'État
et de la société. Le premier s'impose comme
organe de coordination de la seconde, qui regroupe une portion de
l'espèce en
un lieu donné. Il assure sa liaison avec la nature et sa sécurisation
vis-à-vis
d'elle dont il garantit la réalité. Il fonde aussi le rapport à
l'espèce qui
est représenté comme un être particulier, absolument divers, supérieur,
etc..
Mais
l'État ne peut opérer cette
fonction qu'au travers d'une représentation qui soit à même de poser
des
référents plus ou moins stables conduisant à définir correctement ce
qu'est
l'espèce, son devenir, son vouloir, son but, etc.. Ce qui ne peut pas
s'effectuer
de façon immédiate; d'où, le plus souvent, le délire extraordinaire des
premiers Ètats,
leur démesure qui stupéfie, et que l'on comprend d'autant mieux
que l'on tient compte que ceux-ci sont liés à des membres
communautaires qui
sont l'individualisation de la communauté; ce qui leur fait perdre
toute
perception des limites.
Ultérieurement, l'État,
devenant de
plus en plus un appareil, acquiert des organes qui lui permettent un
certain
rétrocontrôle. La dimension du délire ne disparaît pas et se manifeste
lors de
diverses crises, quand un Ètat
tend à vouloir englober d'immenses
territoires, voire la totalité de la planète, par exemple, en Occident,
lors
des épopées napoléonienne et nazie, et où réaffleurent des hommes
providentiels, d'exception, des chefs charismatiques, prédestinés,
etc.. 5
Ici
deux remarques s'imposent :
Il
s'agit pour le moment de
saisir les données du surgissement de l'Ètat.
Toutefois pour faire comprendre
l'importance de certaines d'entre elles, il faut les présenter jusque
dans leur
développement ample qui a pu s'effectuer plusieurs siècles après ce
surgissement. Dans le chapitre 9 nous tiendrons compte du phénomène
historique
postérieur à l'émergence de l'Ètat
sous sa première forme et nous pourrons
mieux étayer certaines affirmations.
Ensuite
il découle de ce
qui précède que la nouvelle espèce, Homo Gemeinwesen, ne pourra
s'implanter
qu'en connexion immédiate avec tout le phénomène vie, et par là
réaliser
effectivement la réflexivité à tous les niveaux : pour la vie, pour
l'espèce,
pour l'individualité, conservant leur continuité et permettant à cette
dernière
de jouir de la totalité vivante, de celle du cosmos, et à la biosphère
de se
réaliser pleinement. Ce sera le seul moyen pour que le procès de vie
terrestre
se poursuive dans le cosmos en rapport aux autres parties de celui-ci.
8.5.8.
Le
pouvoir dont il s'agit pour le moment n'est pas encore devenu le
pouvoir
politique, c'est à dire un pouvoir de coercition, un pouvoir de
médiation.
C'est un pouvoir immédiat, le pouvoir-reconnaissance, le prestige, la
renommée;
le pouvoir en tant que quantum de possibilité d'exister6.
Mais fonder
le prestige implique déjà de rendre les autres dépendants; c'est en
cela qu'il
s'agit bien du pouvoir parce que la détermination de la dépendance est
incluse
dans le concept de ce dernier. Un certain nombre de femmes, d'hommes,
ne
subissent un pouvoir que s'ils sont dépendants de ce dernier. La
coercition
peut l'accroître, mais ne peut pas le créer, bien qu'elle puisse
parfois
l'imposer : assujettissement d'une ethnie à une autre.
Dit
autrement, le mouvement de
formation de l'État
n'est possible que parce qu'il y a passage de
la participation où le contact est multiple-rayonnant, à la dépendance
où il
est orienté, fondant la dynamique ultérieure de la servitude volontaire.
Le
posé du pouvoir est en même
temps celui de l'obéissance. À travers l'un et l'autre, les hommes et
les
femmes accèdent à une réalisation de leur vie qui peut sembler
antagonique mais
qui est en fait complémentaire.
Celui
qui a le pouvoir réalise au
mieux la relation de l'homme à la nature, aux autres hommes et femmes;
il accomplit
au mieux le procès de vie. Celui qui obéit vie, par la participation,
la même
relation; il n'en est pas exclu. En conséquence, la servitude
volontaire
n'apparaît en tant que telle que pour celui qui remet en cause l'ordre
établi.
Pour les autres, ce qu'elle désigne est vécu comme une espèce de
symbiose où
une minorité effectue le procès réel et la majorité le vit dans la
représentation.
Dans
le « Discours
sur la servitude volontaire »,
La Boétie fait la constatation suivante : « Pour ce coup je ne
voudrais
rien entendre, s'il est possible, et comme il se peut faire, que tant
d'hommes,
tant de bourgs, tant de villes, tant de nations, endurent quelques fois
un
tyran seul, qui n'a puissance, que celle qu'on lui donne; qui n'a
pouvoir que
de lui nuire, sinon de tant qu'ils ont le pouvoir de l'endurer; ce qui
ne
saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu'ils aiment mieux le
souffrir, que
lui contredire. » (Ed. Sociales, pp. 42-43)
Elle
lui apparaît tellement
extraordinaire, irrationnelle, inadmissible, qu'il se pose la question
suivante
: « quel malencontre a été cela, qui a tant pu dénaturer
l'homme, seul né
pour vivre franchement, de lui faire perdre la souvenance de son
premier être,
et le désir de la reprendre? » (idem, pp. 52-53)
P.
Clastres la commente ainsi :
« La
Boétie ne peut nommer
autrement que malencontre la destruction de la première société, où la
jouissance de la liberté n'exprimait que l'être naturel des hommes.
Malencontre,
c'est à dire événement fortuit qui n'avait aucune raison de se produire
et qui
s'est pourtant produit. Aussi le discours de la servitude volontaire
formule-t-il explicitement deux questions : pourquoi d'abord la
dénaturation de
l'homme a-t-elle eu lieu, pourquoi la division s'est-elle installée
dans la
société, pourquoi le malencontre est-il advenu ? Ensuite, comment les
hommes
persévèrent-ils dans leur être dénaturé, comment l'inégalité se
reproduit-elle
constamment, comment le malencontre se perpétue-t-il au point de
paraître
éternel ? » (« Liberté,
malencontre, innommable », in
recherches d'anthropologie
politique, Ed. Du Seuil, p. 116)
Puis
il essaie de situer le
moment du « malencontre » en distinguant des
« sociétés à État » où il y a « refus d'obéissance ». À
la suite de quoi il
affirme : « Les sociétés primitives refusent la relation au
pouvoir,
empêchant le désir de soumission de se réaliser. »
(idem, p. 119)
En
réalité, ce qui est
déterminant - même si c'est inconscient parce que cela
faisait partie de
la totalité unitaire de tout homme et de toute femme - c'est
le refus de
perdre l'aptitude à être Gemeinwesen et donc à la représenter. C'est le
refus
de la scission. Or, c'est par elle que se fonde la dynamique de
l'individu et
de l'Ètat,
qui est la Gemeinwesen dont se sont dépouillés tous les membres de
la communauté. Mais ces derniers, tendant à devenir des individus,
peuvent
accéder à celle-ci grâce à la représentation et il est certain qu'à
l'origine,
il y eut une situation en laquelle hommes et femmes n'eurent pas la
sensation
de se dépouiller de quelque chose, jusqu'à ce que l'unité supérieure
représentant la communauté - en laquelle ils avaient tous
délégué leur
dimension Gemeinwesen - ne se soit autonomisée et devenue
plus ou moins
despotique. Ils furent piégés par la représentation.
8.5.9.
Une
cause essentielle de la perpétuation de l'obéissance (et de son
surgissement) réside dans l'utilisation de la langue que les dominants
ont en
commun avec les dominés, les asservisseurs avec les asservis.
« La
raison de cette
endurance et de cette ubiquité, c'est que le pouvoir est le parasite
d'un
organisme trans-social, lié à l'histoire entière de l'homme, et non pas
seulement à l'histoire politique, historique. Cet objet en quoi
s'inscrit le
pouvoir, de toute éternité humaine, c'est le langage - ou
pour être plus
précis, son expression obligée : la langue.
Le
langage est une législation,
la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la
langue,
parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout
classement est oppressif : ordo veut dire à la fois répartition, et
commination. Jakobson l'a montré, un idiome se définit moins par ce
qu'il
permet de dire que par ce qu'il oblige à dire. Dans notre langue
française (ce
sont là des exemples grossiers), je suis astreint à me poser d'abord en
sujet,
avant d'énoncer l'action qui ne sera plus dès lors que mon attribut :
ce que je
fais n'est que la conséquence et la consécution de ce que je suis; de
la même
manière, je suis obligé de toujours choisir entre le masculin et le
féminin, le
neutre ou le complexe me sont interdits ; de même encore, je suis
obligé de
marquer mon rapport à l'autre en recourant soit au tu
soit au vous
: le suspens affectif ou social m'est refusé. Ainsi, par sa structure
même, la
langue implique une relation fatale d'aliénation. Parler, et à plus
forte
raison discourir, ce n'est pas communiquer, mais on le répète trop
souvent,
c'est assujettir : toute langue est une réaction
généralisée. » (Barthes :
« Leçon »,
Ed. Du
Seuil, pp. 12-13)
La
langue traduit, reflète la
dynamique du pouvoir, parce qu'elle s'est édifiée lors de son
autonomisation.
Dès lors, au moment où il se révolte, où il pense rompre, l'asservi
demeure
enchaîné par une langue qui lui impose soumission.
Pouvoir
et servilité7-
que ce soit
pour le dominant, que ce soit pour le dominé - sont liés. Cela pose le
problème
de savoir qui détient réellement le pouvoir et qui fait réciter le
pouvoir
polarisé par certains; et la servitude polarisée par d'autres.
Cette
même dynamique donne
également naissance à une représentation transcendante de la
transmission du
pouvoir. Celui-ci réside en dehors de la sphère immédiate de la société
et il aurait
un représentant terrestre qui n'est que son premier esclave, son
esclave
privilégié, celui par qui il advient à l'immanence.
Il
en résulte aussi la nécessité
d'établir des pratiques qui signifient bien le pouvoir, au sein de la
langue
même (les diverses formules selon lesquelles les dominés doivent
s'adresser aux
dominants, ultérieurement les diverses formules de politesse), comme au
sein de
la pratique relationnelle d'un membre dominé au membre dominant : les
courbettes et les prosternations, etc.. En un mot, ces pratiques
doivent toutes
exprimer la séparation et donc l'abolition du toucher, du contact,
comme nous
l'avons déjà affirmé auparavant. Réciproquement, on peut dire que la
séparation
doit opérer au niveau de toutes les activités : se vêtir, se parer,
manger,
etc.
On
doit noter, en opposition à la
théorisation de R.Barthes, que des mouvements révolutionnaires peuvent
remettre
en cause le pouvoir, tel qu'il s'exprime dans la langue à un moment
donné.
Ainsi les révolutionnaires français abolirent les titres de noblesse
qui
signifiaient le positionnement des hommes et des femmes dans la
structure
verticale de l'ancien régime.
De
nos jours, la généralisation
du tutoiement exprime la volonté d'abolir les barrières, de réaliser
une
meilleure jonction. C'est certes insuffisant. Pour que la langue ne
piège plus,
il faut qu'elle exprime un autre comportement des hommes et des femmes
où la
question du pouvoir ne se pose plus.
Il
restera alors de savoir si le
langage verbal impose ou non un réduction à la possibilité de
représenter le
continuum, ce qui a déjà été abordé dans les premiers chapitres.
8.5.10.
Une
fois que s'est opérée la scission au sein de la communauté, il n'y a
plus que deux possibilités pour accéder à la Gemeinwesen : par le
pouvoir qui
s'enfle et se pose Gemeinwesen, ou par l'obéissance et le procès de
représentation. Le pouvoir et le désir de soumission naissent
simultanément ;
il n'y a pas d'extériorité de l'un par rapport à l'autre.
Egalité,
inégalité, ainsi que
liberté sont également engendrées par le procès de scission.
Auparavant, il y a
participation. Comment parler de dénaturation si dans la nature il n'y
a pas de
liberté ?
Reste
à comprendre qu'est ce qui a
conduit à la scission dans la communauté, qui, au départ, peut ne pas
apparaître en tant que telle, dans la mesure où elle n'est pas
immédiatement
effective, et que l'organicité de la communauté est conservée. Ce qui
fait que
celui qui tend à se rebeller contre l'Ètat, vit une immense
coupure-déchirure,
parce qu'il lui semble qu'il s'oppose à lui-même. Il est difficile de
poser une
autre Gemeinwesen.
En
revanche, dès que la scission
s'est instaurée, fondant le « malencontre » de La
Boétie, la
perpétuation de l'obéissance se comprend facilement en fonction de
l'habitude
(en liaison au fait qu'hommes et femmes n'ont rien connu
d'autre), comme
il l'avait bien individualisé, en diminuant la puissance des membres de
la
société, en les opposant les uns aux autres, en pratiquant une
politique de
faveurs, etc. Toutefois là encore, il manque la dimension de la
Gemeinwesen - qui se manifeste également dans la langue dont
nous avons
déjà parlé - et la dynamique de la représentation. En effet,
pour remettre
l'Ètat en question, qui s'est emparé de la Gemeinwesen, et surtout le
détruire,
il faut édifier une autre Gemeinwesen, la réintroduire en chacun. Mais
ceci est
difficile du fait de la perte de puissance des hommes et des femmes,
qui se
contentent dès lors de retrouver cette dernière par la représentation.
En
conséquence, ils deviennent dépendants, et, tôt ou tard, l'Ètat
menacé ou
détruit se réimpose.
Précisons
que plus que d'édifier
une nouvelle Gemeinwesen, il s'agit de trouver d'autres référents et
d'autre référentiels
pour la fonder et la dynamiser; car la Gemeinwesen est une qualité, on
peut
dire une modalité, un mode d'affirmation des membres de l'espèce ;
c'est une
dimension d'universalité participative. En conséquence, il ne peut pas
y avoir
différentes Gemeinwesen (au sein d'une communauté). Il y en a une se
réalisant
différemment et pouvant être accaparée par suite du dépouillement de la
masse
des hommes et des femmes. Toutefois dans l'immédiat elle peut
apparaître dans
une concrétude donnée, d'où l'idée qu'il faille en élaborer une autre.
C'est
justement parce qu'il est difficile de trouver les référents et les
référentiels qui la déterminent, qu'hommes et femmes restent sur le
plan de la
représentation. Par là, ils ont l'illusion de récupérer la dimension
perdue,
alors que, encore une fois, ils retombent dans la dépendance, parce
qu'il y a
médiation.
Indiquons
une dernière
difficulté - découlant du phénomène que nous exposons
- à refuser
l'obéissance: la scission engendre une incertitude au monde ; par
l'intermédiaire de la vie médiatisée, le serviteur accède à la
certitude, en
vivant la vie du chef, en se modelant sur lui qui est son paradigme.
Enfin,
on peut considérer qu'il y
a une dernière possibilité d'accéder à la Gemeinwesen, mais de façon
passive,
illusoire, en n'entrant pas dans la dynamique de la relation
interhumanoféminine, grâce au procès de connaissance, dans la mesure où
celui-ci détermine de plus en plus l'espèce. En effet, par le procès de
connaissance, que ce soit à travers l'art, la philosophie, etc., il est
possible d'imaginer et de se représenter la dimension Gemeinwesen. Mais
cette
dernière n'est pas vécue et pour cause. C'est la Gemeinwesen illusoire,
un
refuge qui permet à un homme, à une femme, d'éviter la relation
maître-serviteur,
sans la remettre en cause de façon effective.
On
peut schématiser en quoi
consiste la réalisation d'une telle Gemeinwesen: accéder par une voie
quelconque à une puissance d'absorption de la multiplicité des
phénomènes qui
donne l'illusion de retrouver la participation originelle où il y avait
relation sans dépendance. On a la sublimation du pouvoir.
8.5.11.
Il y a dépendance dès qu'un membre de la communauté occupe une position
centrale dans le déroulement d'un procès, position qu'il a
acquise -
momentanément, à l'origine - à la faveur justement de la
rupture au sein
de ce procès. Or ceci peut se comprendre, ne serait-ce qu'à cause du
phénomène
de cumul des connaissances et de celui de l'accroissement des objets
engendrés
par la communauté, il est possible que, des conditions écologiques
ayant
momentanément varié, l'accession de certains membres à ces situations
centrales
a pu être favorisée.
Ceci
implique - étant donné
que le pouvoir ne peut se constituer que par concentration de pouvoirs
-
que le phénomène d'individuation atteigne un certain niveau.
Dans
ce cas, l'individu tendant à
émerger, ne dérive pas d'un procès de séparation-division posant des
particules. On a plutôt un processus d'individuation de la communauté
dans la
mesure où certains membres tendent à se poser comme ses représentants.
C'est en
tant que totalité qu'ils veulent s'abstraire, rendant les autres
dépendants
d'eux, qui deviennent comme leurs participations, réalisant au mieux
une
incarnation de la communauté.
Sous
l'effet de la séparation
tout membre de la communauté (les hommes, surtout) se polarise en
individu
potentiel et en Gemeinwesen (communauté subjectivisée) et c'est de ce
second
pôle que va s'opérer le procès d'individuation. La dimension
Gemeinwesen de celui
qui tend à devenir chef va s'enfler pour représenter la communauté dans
sa
totalité et c'est en tant qu'individualité, au sens où nous l'entendons
maintenant.
Le
processus de l'autonomisation du
pouvoir, de la formation de l'État, réside dans le mouvement de
dépossession
des membres de la communauté de leur dimension Gemeinwesen, au profit
d'un des
leurs qui va de ce fait représenter la communauté, tandis
qu'eux-mêmes -
tendant de plus en plus à être réduits - ne pourront plus
atteindre la
Gemeinwesen que par médiation de celui qui s'instaure chef. Ils ne sont
pas
encore individualisés ; ils sont seulement, si l'on peut dire,
« dépendicisés ». Ils ne participent que par la
représentation8.
8.5.12.
« Cette
étymologie suggère que l'esprit indigène est conscient de
ce (...) que le chef apparaît comme la cause du désir du
groupe de se
constituer comme groupe, et non comme l'effet du besoin d'une autorité
centrale,
ressenti par un groupe déjà constitué. » (Levi-Strauss, « Tristes
tropiques », p. 356)
C'est
donc bien la communauté qui
s'individualise ; ce qui se révèle dans le fait que « chaque
homme reçoit
sa femme d'un autre homme, mais le chef reçoit plusieurs femmes du
groupe » et « c'est le groupe considéré comme un tout
qui a suspendu
le droit commun à son profit. » (idem, p. 363)
A
ce propos, il convient de noter
une inversion fondamentale : à l'origine ce sont les hommes qui
allaient d'une
communauté à l'autre et c'était logique, dans la mesure où les femmes
sont la
permanence, la continuité. Ultérieurement, quand le pouvoir
s'autonomise, ce
sont les femmes qui subissent ce mouvement (d'échange disent les
anthropologues) mais c'est parce qu'elles représentent la puissance et
non pas
uniquement parce qu'elles seraient les objets d'échange ou de simples
forces de
travail. Ces deux aspects ne passeront au premier plan qu'à la suite
d'une
longue période au cours de laquelle les femmes seront domestiquées. 9
Dans
les cas signalés par
Cl.Lévi-Strauss, M Sahlins, etc., les femmes vont apporter au chef un
surcroît
de puissance, un facteur de continuité, et vont l'aider à assurer sa
tache qui
est finalement de donner, de redistribuer les produits, de même qu'il
« oriente les occupations en fonction des besoins et des
possibilités
saisonnières. » (idem, p. 356) Et Levi-Strauss ajoute :
« Le consentement
est à l'origine du pouvoir. » et « Le premier et
principal instrument
du pouvoir consiste dans la générosité. » (idem, p. 357)
Or,
la faculté de donner est
fondamentalement apanage des femmes puisqu'elles donnent la vie et la
nourriture. Ainsi le chef par l'intermédiaire de la polygynie
s'accapare de
cette aptitude et peut ainsi se substituer à la communauté. Il peut la
représenter concrètement et pas seulement idéalement.
En
outre, il ne s'agit pas ici du
pouvoir dans son sens politique comme le montre Cl.Levi-Strauss
lui-même :
« il y a des chefs parce qu'il y a dans tout groupe humain,
des hommes qui
à la différence de leurs compagnons aiment le prestige pour soi-même,
se
sentent attirés par les responsabilités, et pour qui la charge des
affaires
publiques apporte avec elle sa récompense. » (idem, p. 364)
On
a affaire au pouvoir en tant
qu'affirmation, que présence : le prestige qui est celui de représenter
la
communauté. C'est là une thématique fondamentale dans la mesure où la
communauté n'est plus vécue de façon immédiate, où il y a déjà une
certaine
séparation.
Normalement,
la tendance à une
orientation de la communauté en groupement (dont parle Cl.Lévi-Strauss)
en vue
d'une action donnée posant un membre communautaire précis dans une
position
particularisée, se fait maintes et maintes fois au sein de la
communauté, avec,
chaque fois, changement de ce dernier en fonction de l'activité qui
s'accomplit. Autrement dit, la communauté n'est pas un tout
indifférencié,
amorphe, mais c'est un tout plastique apte à prendre diverses
configurations
selon l'intervention qu'elle doit effectuer.
L'émergence
du chef s'effectue
quand ce procès se fixe sur un seul membre de la communauté ; quand il
n'y a
plus de rotation spontanée.
8.5.13.
Ceci
étant, il nous faut envisager l'autonomisation plus ou moins grande
du chef à un moment précis comme étant en relation avec la volonté que
celui-ci
peut avoir d'orienter la communauté dans une direction donnée afin
d'acquérir
plus d'ascendant, d'avoir plus de prestige, d'exercer une fascination
majeure,
etc.. Ce qui implique qu'il puisse avoir recours à la magie. En effet,
la
formation de chef telle que la décrivent Cl.Lévi-Strauss, M.Sahlins, ou
P.Clastres par exemple, implique une orientation déterminée du flux de
vie
communautaire, afin de réaliser une action donnée. La prééminence du
chef ne
pourra s'établir qu'à partir du moment où il pourra imposer lui-même
l'orientation, la direction. 10
Etant
donnés les mécanismes de
régulation, on comprend que ce ne peut être qu'à l'occasion de
circonstances
exceptionnelles que le chef puisse accéder à une autonomisation.
Toutefois,
étant donné l'état de guerre plus ou moins permanent qui prévaut à
partir d'un
certain développement de l'agriculture, la métallurgie, etc., on
comprend que
cette autonomisation ne fut pas le fruit d'un hasard.
On
peut considérer que le chef
est produit en tant qu'outil de la communauté. Il faut qu'il y ait
conjonction entre
le besoin de cette dernière et le désir de prestige d'un membre de
celle-ci,
pour qu'il y ait une exsudation du chef par la communauté. Le chef est
un outil
: il opère, mais il est manipulé par la communauté. Toutefois, cette
opération
est engendreuse de prestige, ce qui va le transformer en attracteur,
rendant
les autres dépendants.
Il
en est du chef comme du sujet.
Ce dernier indique aussi bien un élément dominant, dirigeant,
distribuant des
affectations, qu'un élément dominé, affecté. En effet le sujet d'une
action
relève de la maîtrise, mais être le sujet de quelque chose implique
qu'on est
assujetti. De fait, on est alors l'objet de réalisation d'un procès
qu'on ne
domine pas. Le chef, apparemment, le peut. En réalité, il est lui aussi
sujet, il
ne domine pas.
On
a là le point d'ancrage de
l'ambiguïté logique d'Aristote, qui remplaçait l'affirmation simple, je
marche,
par celle où l'on trouve les éléments principaux de la proposition
(sujet,
verbe-copule, prédicat) : je suis marchant. Dans le premier cas, le
« je » apparaît comme étant l'opérateur du procès,
dans le deuxième
comme affecté par ce procès. En conséquence c'est ce dernier qui est le
sujet,
le « je » n'est que le sujet apparent. 11
8.4.14.
Le
chef est celui qui a un comportement médiatisé. Il ne se contente pas
du plaisir comme attestation de sa réalité au monde, témoignage de sa
participation ; il lui faut une affirmation plus
éclatante,
permettant une confirmation plus puissante de son être : le prestige.
C'est par
une attitude orientée des membres de la communauté qu'il obtient ce
résultat.
Dès lors sa puissance a été accrue par celle des autres mais, en contre
partie,
il a une dette, disent M. Sahlins et P.Clastres ; d'où sa générosité.
Il donne
tout ce qu'il a produit avec ses femmes, ses proches.
En
fait ce n'est pas une dette au
sens économique du terme ; c'est une compensation, et en même temps, un
mécanisme de rétrocontrôle afin de limiter l'accroissement de la
puissance,
d'empêcher l'autonomisation. Car au travers du chef, c'est toujours de
la
communauté qu'il s'agit. Il ne doit pas se substituer à elle. C'est
également
une façon de faire circuler des produits. Nous avons une orientation
donnée en
flux.
Mais
ce qui demeure essentiel c'est
: « En dernière analyse, l'idéal de réciprocité et celui de la
prodigalité
du chef servent à masquer l'état de dépendance du peuple. »
(M.Sahlins, « Age
de pierre, âge d'abondance »,
p. 190)
En
réalité, il n'y a pas de réciprocité,
car on a une mise en rapport de deux ordres de choses : une circulation
de
produits, un concentration de pouvoir sous forme de prestige. Nous
sommes
encore, plutôt, dans la dynamique du sacrifice : le chef sacrifie ses
biens
afin d'accéder à un maximum de prestige. Dit autrement : celui qui
donne est
celui qui a la puissance. Celle-ci n'est réelle que si elle
s'extériorise, d'où
le fait que le chef doit donner au maximum. C'est la pratique du
potlatch. Mais
par là, il y a compensation, équilibration, c'est à dire qu'il n'y a
pas
accumulation de produits.
Ultérieurement,
on a un
renversement : celui qui a la puissance est celui à qui on donne. Il y
a une
attraction qui permet une accaparation. Or nous avons vu que le chef
tendait à
devenir un attracteur. On a une compensation dans la représentation ;
celui à
qui l'on donne vit ce que les autres voudraient vivre. Par là, il leur
donne
vie. C'est ce qu'on note au niveau des communautés étudiées par P.
Clastres :
« Culture indiennes, cultures inquiètes de refuser un pouvoir
qui les
fascine: l'opulence du chef est le songe éveillé du groupe. » (« Le société contre
l'État »,
Ed. De Minuit, p. 42)
Cette
dette est une dépendance
qui compense en une certaine mesure celle des membres de la communauté
vis-à-vis
du chef. Toutefois celui-ci joue le rôle d'un distributeur qui confère
aux
produits une importance plus grande ; ceux-ci acquièrent le statut de
produits
consommables seulement à travers la médiation du chef. Ils sont alors
validés,
consacrés.
Cette
dynamique est en liaison
avec le fait que le chef accède le plus souvent au sacré avec toute
l'ambiguïté
que cela comporte. Il est à la fois profondément respecté en tant que
représentant de la communauté et possesseur du pouvoir, et bafoué parce
qu'il relève
de l'impur. Ce caractère peut s'accuser dans la mesure où il peut
servir de
bouc émissaire. Si les choses tournent mal, c'est à lui qu'on
attribuera la
faute.
En
conséquence, l'équilibration à
l'intérieur de la communauté pourra, dans certaines conditions, être
remise en
cause, et le pouvoir, tant dans sa forme sacrée que dans sa dimension
politique, encore en germe, pourra s'autonomiser.
Grâce
au sacré, la communauté
investit un de ses membres d'un immense pouvoir - en tant que
puissance
d'exister - afin qu'il le restitue à des moments déterminés.
En même
temps le chef ainsi constitué devient un organe d'excrétion de la
communauté :
par lui, peut s'évacuer ce qui est impur.
L.L.
Makarius a bien noté
l'importance du sacré : « La fonction violatrice du roi est
l'essentiel de
la royauté. » (Le
sacré et la violation
des interdits), p. 155)
8.5.15.
Le
commerce simple, le troc, a pu être au départ un système
d'équilibration entre communautés. Le fait que souvent il s'effectuait
entre communautés
ennemies, tend à prouver que c'était une pratique pour éviter des
conflits et
peut être également pour éviter la prépondérance d'une communauté sur
une
autre, en même temps qu'il y ait une dynamique d'affirmation de pouvoir
sous
forme de prestige. Le potlatch concerne, au départ, un affrontement
entre
tribus. Ultérieurement cela affectera les membres. Á ce propos on peut
noter
que nous avons là un phénomène général. Il y a intériorisation des
phénomènes
qui auparavant s'opéraient à l'interface des communautés. C'est
pourquoi il est
impossible d'étudier le devenir d'une communauté de façon isolée.
Ceci
dit pour signaler que le
mouvement de la valeur n'a pas une part déterminante dans le
surgissement de
l'Etat sous sa première forme. Il en est de même pour la propriété
privée. Sa
tendance à se manifester va tout de même favoriser le surgissement de
celui-ci
qui aura la propriété du territoire où se trouve la communauté, tandis
que les
membres de celle-ci auront la disposition de fractions de celui-là.
Il
convient toutefois d'indiquer
qu'au stade où nous sommes, il y a une particularisation d'un flux
d'objets de
la communauté de telle sorte que, si les hommes et les femmes disposent
de ces
derniers, les objets disposent également d'eux. C'est quand il y a
réellement
réciprocité que le mouvement de la propriété s'installe ; avant on
avait
seulement appropriation. La propriété apparaît comme la faculté d'être
inhérent
à quelque chose, à quelqu'un. Elle est alors comme un ersatz de la
participation; d'une participation orientée et non plus
multidirectionnelle, à
cause de l'autonomisation d'un sujet. C'est une participation rendue
discrète,
quantifiée.
Le
mouvement de séparation fonde
la propriété relative au membre individuel (ce qui deviendra la
propriété
privée) et celle relative à la communauté (qui deviendra propriété
publique,
par exemple l'ager publicus dont parle K.Marx).
La
formation de la première forme
d'État c'est l'accession de la propriété de la communauté au stade de
sujet
dominant par l'intermédiaire du chef, du roi. C'est
l'autonomisation-séparation
de la substance qui devient sujet. Nous reviendrons sur ces phénomènes
dans le
chapitre sur la valeur, car c'est avec elle que la propriété privée
prend toute
son importance.
8.5.16.
On
peut comprendre la naissance de l'État en examinant ce que fut le roi
agraire, le roi divin, etc., qui a un comportement similaire et des
attributions semblables au chef dont il a été question plus haut, mais
qui
intègre en plus la dimension reproductrice de la communauté. Celle-ci
se donne
une représentation, une espèce d'outil qui contient sous forme de
diverses
projections, l'ensemble de ce qu'elle contient, possède, et peut ainsi
se voir
opérer et donc intervenir sur son procès de vie. Il est son procès en
réduction, d'où la dimension de spectacle et de simulation qu'a
obligatoirement l'État
dans la mesure où il montre symboliquement le devenir de la
communauté. Mais c'est un symbolisme très concret, c'est une analogie,
une
espèce de métaphore concrète. L'État
est également outil d'intervention de la
communauté sur l'environnement. Il n'est pas étonnant qu'il puisse
utiliser la
magie pour augmenter sa puissance d'intervention.
« La
coutume de déclarer que
« le roi n'a pas de parent », et, comme nous l'avons
vu, d'origine
magique: elle tend à repousser des liens d'interdépendance avec les
individus
comme porteurs de danger de sang. Mais cette coutume d'origine magique
a aussi
une fonction de réconcilier les sujets avec le crime d'inceste que
commet le roi,
en faisant valoir que, n'ayant pas de clan, le chef n'a pas à se
soumettre à
l'exogamie clanique. A cela s'ajoute l'idée que le chef sans parent
considérera
ses sujets comme égaux et gouvernera sans népotisme. » (L.L.
Makarius : « Le
sacré et la violation des interdits »,
pp. 193-194)
On
a la même dynamique qu'avec
les tabous lorsqu'un de ceux-ci est exclu, et se charge de tous les
interdits,
devenant une sorte d'équivalent général. Ici un membre de la communauté
est exclu
des relations de parenté et peut donc se charger de tout le sacré et
représenter l'ensemble de la communauté, ce qui favorise le phénomène
de
distribution-répartition, et donc celui de régulation. Un phénomène
semblable
opérera au sein du mouvement de la valeur avec la formation de
l'équivalent
général. Ce qu'il y a de commun entre les trois (tabou, royauté,
équivalent
général), c'est la nécessité d'une représentation.
Le
roi devient le référentiel
essentiel rendant possible une unification : « Ces trois
fonctions
différentes d'une même coutume - repousser l'interdépendance,
rendre
acceptable l'inceste du roi, placer celui-ci au dessus des liens de
parenté
- jouant tous les trois en même temps, viennent s'insérer
dans le
processus d'unification qui fait d'un chef de clan ou de tribu, le chef
d'un
nombre de clans ou de tribus, ou encore de divers villages -
processus
favorisant la formation des Ètats tribaux. » (Il s'agit ici de l'État
sous sa
première forme – n.d.r – idem, p. 194)
Par
le mécanisme de formation d'une clientèle, d'un
groupe de personnes qui dépendent directement du chef, du roi, celui-ci
donne à
sont tour du prestige, du pouvoir. C'est le moment de l'inversion
fondamentale
: on lui donne (antique forme d'attribut) et il redistribue, devenant
le
pourvoyeur de ses sujets (de ceux qui sont assujettis à sa
générosité!). Il va
progressivement acquérir pouvoir sur autrui par l'entremise de cette
clientèle
qui en même temps constitue un corpus/base d'édification de l'État.
Il
y eut certes toutes sortes de
mécanismes de rétrocontrôle, en particulier dans le cas où,
parallèlement au
roi, il y avait un système du type matriarcal qui assurait la
continuité totale
de la communauté. Le roi représentait le procès de vie ; en conséquence
il était
mis à mort lors de la moisson. Mais il est certain que divers facteurs
firent
sauter le verrou barrant l'autonomisation, parmi lesquels on peut
justement
ranger le phénomène de clientèle et l'accumulation de produits au
sommet
(inhibant un déploiement de la valeur) qui, accroissant la dépendance
des
sujets, rendit possible l'abolition de la mise à mort, etc.
8.5.17.
Parmi
les réquisits de la première forme d'État,
il y a aussi des contraintes naturelles
comme le manque d'eau pour cultiver, ce qui entraînera la mise au point
de
l'irrigation. On peut constater que l'État
qui s'est formé est en général d'autant
plus fort que la contrainte naturelle a été puissante. Ainsi, en Chine,
où la
nécessité d'intervenir dans la régulation des cours des fleuves
dérivait
également de celle de se protéger contre les divagations génératrices
de
catastrophes. À quoi on doit ajouter une autre impulsion : le besoin de
créer
des voies de transport pour acheminer les produits de leur lieu de
production à
ceux de concentration des hommes et des femmes, particulièrement à ceux
concentrant le pouvoir.
Comme
l'on bien montré K.Marx et
K;Wittfogel (« Le
despotisme
oriental ») l'irrigation a nécessité la
formation d'une unité
supérieure qui a contrôlé la répartition des eaux, et qui a fait opérer
les
grands travaux tels que canaux, digues, etc.. Celle-ci s'est manifestée
avec
plus ou moins de puissance en Mésopotamie, en Egypte, en Inde (tout
d'abord à
Mohenjo-Daro et à Harappa), en Chine ainsi qu'en Grèce, Crète, Etrurie
et enfin
Amérique.
Cette
unité supérieure n'est
toutefois pas obligatoire. Il y eut des zones irriguées sans que
celle-ci
surgisse. Mais l'existence de telles zones facilita l'intervention
ultérieure
d'un pouvoir centralisé qui put, par la conquête, s'approprier ce qui
avait été
édifié, et faire régner son pouvoir.
Au
stade où l'État consiste en
cette unité supérieure qui contrôle, il n'est plus un simple outil,
mais une
combinaison d'outils et donc une machine comme l'a bien montré L.
Mumford (« Le
mythe de la machine »).
Toutefois, il est nécessaire de préciser que les hommes et les femmes
ont pu
édifier des sortes de machines humaines sans créer d'État,
comme ce
fut le cas des peuples qui édifièrent les mégalithes. Cela veut dire
que le
déterminant de la genèse de l'État
n'est pas strictement lié à une
détermination naturelle ou productrice. En outre, il y a une
discontinuité
totale entre la mégamachine dont parle L.Mumford, et la machine, ou
mieux, le
complexe machinique, le monstre autonomisé décrit par K.Marx, qui se
développe
avec le mode de production capitaliste.
Il
y a simplement un phénomène de
convergence, comme cela se produit - et nous l'avons déjà
signalé -
entre les sociétés hydrauliques décrites par Wittfogel, et les sociétés
occidentales
actuelles qui doivent à leur tour contrôler de plus en plus l'eau, afin
de la
répartir entre divers groupements exerçant des activités parfois
antagoniques;
de même qu'il y a convergence entre communauté despotique de la forme
asiatique
et communauté despotique du capital.
L'élimination
de cette dernière
ne peut pas se faire par une lutte frontale, mais par un changement de
mode de
vie qui implique un rapport différent à la nature et donc à l'eau
elle-même, à
sa répartition.
8.5.18.
Afin
d'assurer l'activité essentielle de la communauté, il est
nécessaire, pour l'agriculture, d'avoir un calendrier apte à déterminer
les
saisons, les dates des divers travaux agricoles, ainsi que celles de
l'advenue
des crues (C'est là-dessus que Wittfogel insiste également pour
caractériser la
société hydraulique).
« C'est
seulement après la
fin de ce travail (sélection des plantes, n.d.r) que débute la seconde
phase de
l'activité agricole, pendant laquelle la fixité périodique de la
culture des
plantes peut suggérer une étude numérique plus précise des rythmes
astronomiques.
Cette
étude supposait l'emploi de
l'écriture, sans laquelle l'accumulation d'observations n'aurait pu
avoir lieu
; l'existence de sociétés sédentaires et stables où l'on pouvait
procéder à
cette accumulation de documents écrits à travers des générations
successives ;
enfin, l'existence d'une architecture urbaine déjà développée, de la
construction des grands temples-observatoires, comme la pyramide de Sin
à Our,
et celle de Bel à Babylone, ce qui impliquait des États
administratifs dont l'administration
s'appuyait également sur des documents écrits : toute condition
réalisée en
Chaldée, comme plus tard en Chine, et qui supposaient elles-mêmes une
agriculture déjà puissante. Les chaldéens d'ailleurs avaient conscience
de ces
liaisons. Le dieu Ea aurait suivant eux, révélé à la fois aux hommes
l'écriture, l'astronomie, l'agriculture, les lois, l'art de bâtir
villes et
temples. » (René Berthelot : « La
pensée de l'Asie et l'astrobiologie »,
Ed. Payot, p. 68)12
Ceci
montre bien que l'Ètat
est une
synthèse, et a posteriori, les différents réquisits à sa formation.
Un
organisme comparable à l'État,
c'est à
dire un organisme de coordination en rapport avec la guerre sous sa
forme la
plus simple peut s'imposer, mais de façon transitoire chez les nomades.
C'est
un organisme qui vient coiffer l'ensemble des tribus et qui dérive en
général
de l'une d'elle devenue dominante. Cette ébauche d'Ètat
peut se greffer ensuite sur un groupement
sédentaire et devenir alors véritablement, Ètat.
C'est
ce qu'on peut constater en
étudiant l'histoire de l'aire chinoise. Un phénomène semblable s'est
déroulé en
Afrique du Nord, qui connut une grande instabilité politique et qu'Ibn
Khaldoun
essaya d'expliquer dans son « Discours
sur l'histoire universelle », éd.
Sindbad. Il en ressort que
cela est dû à la puissance des formes communautaires, lesquelles sont
en liaison
avec des données écologiques particulières.
L'État
qui se forme au sein des
communautés nomades est un état dérivé, en ce sens qu'il ne peut
apparaître que
s'il a en marge des ces dernières des groupements sédentaires ayant
plus ou
moins accédé à l'Etat et ayant engendré un important commerce. L'État
nomade se
forme en tant que pilleur, rançonneur, pour contrôler des routes
commerciales
importantes comme celle de la soie en Asie ou celle de l'or en Afrique.
13
En
conclusion et afin de
préciser, il faut noter que l'autonomisation du pouvoir - le
fondement de
l'Etat - s'opère d'abord dans des communautés de pasteurs
plus ou moins
nomades. Mais cet Etat ne parvient à une existence effective qu'en
s'insérant
dans des communautés sédentaires agricoles.
8.5.19.
Pour
s'autonomiser, l'État
a besoin d'un centre d'enracinement, un
centre pour faire attraction et d'où pourront se produire diverses
radiations :
commandements. Voilà pourquoi la sédentarisation est une présupposition
à la
naissance de l'État.
La participation de ce dernier (son
prolongement) c'est le territoire ; en conséquence également, les
rapports
entre membres de la communauté vont tendre de plus en plus à ne plus
être
déterminés fondamentalement par la parenté mais par la territorialité:
accroissement de la fonciarisation et éclatement des classifications.
Avec
la sédentarisation, on a
formation d'isolats qui sont d'abord les villages du néolithique,
période où la
femme prédomine, puis ce sont les villes dont la réalisation est
concomitante à
la concentration-autonomisation du pouvoir, au surgissement de l'État
(il est
évident que les stades intermédiaires sont nombreux).
La
ville est un lieu de synthèse,
de rassemblement de divers phénomènes nés antérieurement. Elle
regroupe, du
moins en Occident, les activités artisanales, les lieux de culte, ceux
du
pouvoir, tout particulièrement sur la campagne avoisinante. Et on
notera la
simultanéité d'apparition des métaux, de la pratique de l'esclavage et
celle des
villes. 14
Avec
elles on a formation d'un
milieu intérieur. Il y a une intériorisation qui va permettre un
accroissement
du développement de la culture laquelle aura toujours besoin d'un
organisme de régulation
et de protection pour empêcher qu'hommes et femmes ne
« régressent »
à la nature; ce qui pose encore l'Ètat.
8.5.20.
La
nécessité de l'écriture a déjà été signalée (cf. 8.4. Ainsi
que la citation précédente). Or
celle-ci sera liée à la formation d'un corpus dont nous avons parlé. En
outre
il convient de mettre ce phénomène en relation avec le
transport - forme
culturelle de la locomotion ; en effet l'écriture est le moyen de
transport de
la pensée. Au début on a surtout transport des produits, car les hommes
et les
femmes qui se déplacent dans ce cas ne le font que pour s'occuper de
ces
derniers. Ensuite, on a le transport des hommes et des femmes, enfin,
le
transport qui concerne surtout les messages, les informations.
Au
stade où nous sommes de notre
étude, l'information n'est véhiculée que de façon écrite -
l'écriture
étant la forme sous laquelle se manifeste le langage verbal dans la
communauté
s'abstraïsant. Il y a installation d'un système élaboré de transmission
de
messages comme par exemple en Chine ou en Perse ; l'usage du cheval se
révèlera
ultérieurement fondamental. Toutefois dans l'empire Inca, cela put se
faire
avec des coureurs qui par des relais bien disposés permettaient de
transmettre
rapidement les ordres.
On
a alors dépendance vis-à-vis
des instructions, des transports, etc.
8.5.21.
Un
autre réquisit, lié au développement de la métallurgie, c'est la
formation d'un corps de guerriers qui défendront la concentration du
pouvoir,
et maintiendront la séparation. Ils ont le monopole de la violence.
La
question de la guerre a déjà
été abordée (cf. 8.3.),
il nous
faut y revenir afin de préciser le rapport du conflit - sous
toutes ses
formes - au pouvoir. Pour expliciter cela il nous faut tenir
compte de
deux faits : la guerre est une forme intériorisée de la lutte entre
espèces
pour se maintenir dans l'écosystème (mais elle ne se réduit pas à cela)
; cette
intériorisation est corrélative d'une perte d'immédiateté, ce qui
implique une
difficulté pour tout membre de la communauté à se positionner en elle,
et à
assurer sa réalité, sa puissance, son pouvoir. Dès lors ce n'est pas
seulement
la guerre, mais toute les formes antagoniques plus ou moins violentes
qui vont
être déterminantes pour que se réalise la nouvelle dynamique
communautaire.
L'antagonisme
peut se manifester
dans la guerre entre communautés, dans la diplomatie, dans le potlatch,
mais
aussi dans la magie ou dans l'oralité. Il est évident que lors du
surgissement
de l'Ètat, tous ces éléments sont peu développés et nous verrons
ultérieurement
l'ampleur que prendront la guerre et la diplomatie - en
liaison avec le
développement de la stratégie - ou celle de l'oralité avec la
rhétorique,
etc..
Mais
la guerre doit également être
envisagée comme étant le comportement le plus compatible avec la
séparation
d'avec la nature. Homo sapiens se pose en antagoniste vis-à-vis d'elle;
il veut
la dominer d'où l'exaltation de la violence.
Le
phénomène d'intériorisation va
s'opérer une nouvelle fois et la guerre devient une relation à
l'intérieur de
la communauté (elle se greffe sur un phénomène déjà en acte à
l'intérieur de
cette dernière). En effet le pouvoir établi, l'État,
devra se défendre contre toute menace.
En conséquence les guerriers, l'armée seront nécessaires contre les
membres de
la communauté: ce que Machiavel dira plus tard en affirmant que
garnisons et
fortifications sont dirigées contre l'ennemi intérieur. En même temps,
la
stratégie fondamentale de cet État
visera à détourner le conflit, c'est à
dire à le faire opérer contre une autre communauté; d'où la nécessité
permanente d'une xénophobie.
La
guerre a permis à des
communautés ayant engendré l'Ètat
de s'imposer sur d'autres demeurées à un
stade en deçà, ce qui provoqua des transformations extraordinaires,
même si,
ultérieurement, les peuples conquis finirent par faire triompher leur
mode de
vie. 15
En
conséquence, le conflit-guerre
se généralise et se diversifie au sein des communautés.
Enfin,
en dernier lieu, il faut
insister sur une détermination en rapport à la guerre: le monopole.
Celui-ci
est essentiel parce qu'il ne peut pas y avoir propriété privée sans
qu'il n'y
ait monopole, et la relation entre personnes ayant accédé à la
propriété privée
ne peut être qu'une forme de guerre: la concurrence. Ceci implique que
la
généralisation de la propriété privée ne peut intervenir que s'il y a
désagrégation de la communauté qui permet la généralisation de la
concurrence,
comme nous le verrons ultérieurement.
Dit
autrement, le monopole que
s'est arrogé l'État
communauté abstraïsée va être généralisé,
« démocratisé » à l'ensemble des membres de la
société (à ce moment
là, il n'y a plus de communauté).
8.5.22.
Enfin
il faut noter la grande diversification des activités qui est une
tendance normale, naturelle, puisque Homo sapiens est l'espèce de
l'intervention. Et, à ce niveau, on ne doit pas faire l'erreur de
parler de
division du travail, car on a affaire en réalité à un procès
d'adjonctions
d'activités nouvelles et non à la fragmentation d'une activité totale.
Cet
accroissement entraîne la formation d'un grand nombre d'artisans,
d'hommes et
de femmes consacrés au faire, à la mise en jeu du champ manuel, ce qui
aurait
pu engendrer un déséquilibre au sein de la communauté qui fut évité par
la mise
en place de corpus adonnés à la parole, à la magie, au mythe, etc..
Cependant
- et ceci a une
importance pour la formation de l'État
- la condition d'artisan n'est pas
considérée comme ayant autant de prestige que celle d'agriculteur ou de
chasseur. Dans la mesure où la dynamique d'acquisition de prestige va
tendre à
prévaloir, cette situation est essentielle pour hiérarchiser la
communauté
devenant société.
On
peut penser que ce statut
inférieur vient du fait que les artisans n'ont plus de contact intime
avec la
terre comme c'était le cas pour les chasseurs ou les agriculteurs et
surtout - comme on le verra ultérieurement - parce
qu'ils étaient
dépendants. Peut être que Homo sapiens percevait que c'était à travers
la
pratique de cette activité artisanale qu'allait s'affirmer la béance de
la
séparation.
Tous
ces groupements
humanoféminins vécurent en équilibre pendant des siècles (période des
communautés agraires matriarcales, au sens où c'était les femmes qui
déterminaient le devenir de la communauté). Ce n'est que plus tard, (l'État
a pu
apparaître) que la division du travail s'opère. En engendrant alors
d'autres
groupements humains, elle va renforcer la nécessité d'un corpus
d'individus
unificateurs : l'Ètat.
8.5.23.
En
dernier lieu on doit tenir compte de l'augmentation de la population.
Une liaison entre les membres d'une communauté peut de plus en plus
difficilement s'effectuer de façon immédiate, et ceux-ci perçoivent en
eux-mêmes et se représentent de façon de moins en moins nette la
communauté. Il
leur faut un médiateur pour accéder à la Gemeinwesen.
C'est
ici que nous retrouvons la
guerre comme moyen de faire vivre la communauté devenant société.
« Ce
problème du nombre,
l'Inde s'y est attaquée il y a quelques 3 000 ans en cherchant, avec le
système
des castes, un moyen de transformer la quantité en qualité, c'est à
dire de
différencier les groupements humains pour leur permettre de vivre côte
à côte. »
(Lévi-Strauss, Tristes
tropiques
p. 168)
« Lorsque
les hommes
commencent à se sentir à l'étroit dans leurs espaces géographique
social et
mental, une solution simple risque de les séduire : celle qui consiste
à refuser
la qualité humaine à une partie de l'espèce. » (idem, p. 169) 16
Ce
n'est probablement pas
l'unique raison de la formation des castes, sinon elles auraient dû
surgir
également en Chine, mais il est certain qu'elle a dû opérer fortement
parce
qu'elle correspond bien au phénomène d'intériorisation examiné plus
haut. Ici,
on a le posé d'une cladisation qui ne s'autonomise pas : les
différentes castes
sont envisagées comme diverses espèces qu'il convient de maintenir
séparées
afin de préserver la société. La différence ne peut être maintenue que
par une
lutte continuelle entre elles. 17
La
perte de la dimension de la
Gemeinwesen de la part des hommes et des femmes vivant dans une société
est ce
qui permet toutes les manipulations. En conséquence, pour que se
réalise une
véritable communauté humanoféminine en continuité avec les communautés
vivantes, il faut retrouver le sens de la perception de la communauté,
non
grâce à une simple faculté intellectuelle, mais réellement par une
espèce
d'intuition qui rende immédiatement présente et nécessaire la totalité
de la
communauté. On n'aura plus affaire alors à des individus.
8.5.24.
Tous
ces réquisits
ne se sont pas développés de façon harmonieuse; il y avait de fortes
tensions
dans la communauté. Il fallait alors, d'une part, concilier, intégrer,
et
d'autre part, empêcher l'autonomisation de l'individu, du pouvoir, de
la
valeur, tous agents destructeurs de la communauté.
Or,
qui avait intérêt à la
permanence de celle-ci, à sa non fragmentation, ou à son orientation
dans un
sens opposé à celui d'un développement de la domination qui fera que
l'antique
continuité entre les membres disparaîtra: ce sont les femmes. Et c'est
ainsi
qu'en arrière fond, parce que souvent masquée par les phénomènes
indiqués plus
haut, la lutte contre ce qui allait devenir l'État fut celle des femmes
contre
les hommes. Elles luttèrent pour ne pas être dépossédées de leur
puissance, de
leur fonction de continuité, et pour maintenir celle avec les cosmos.
Des
variations climatiques
provoquant des désastres sur le plan agraire ont pu affaiblir la
structure des
communautés matriarcales, minant leur force nécessaire pour enrayer le
surgissement de l'État; mais ce sont principalement les heurts avec
d'autres
communautés, où, bien que l'État n'ait pas encore surgi - les
hommes
devenaient prépondérants, qui provoquèrent leur destruction permettant
le
surgissement de l'État.
Car à ce moment là, plus rien ne pouvait
faire obstacle au mouvement d'autonomisation dont nous avons parlé, qui
fut
renforcé du fait que les hommes devant justifier leur intervention
visant à les
poser en tant qu'éléments déterminants de la communauté, cherchèrent à
détruire
les antiques représentations inhibitrices du devenir de l'État.
Il
faut y insister : il n'y a pas
eu d'État matriarcal. Ce que F. D'Eaubonnes appelle gynocratie peut se
comprendre en tant que phénomène négatif. C'est une certaine
concentration de
la puissance des femmes afin d'enrayer la montée du pouvoir des hommes.
Cependant,
même dans le cas où il
y eut conquête militaire (en Grèce par exemple), la domination des
hommes est apparue
comme une solution à diverses tensions; en conséquence on peut dire
qu'il y a
eu un compromis qui apparaît bien dans la mythologie. Ensuite se
développa
réellement une oppression des femmes, entrecoupée de moments de
rééquilibration.
8.5.25.
Pour
bien comprendre cette formation de l'État, il faut envisager le
mouvement en rapport aux différentes formes de communautés. On a le
mouvement
suivant : réunion de petites communautés immédiates qui vont fonder des
communautés plus ou moins médiatisées, au sein desquelles il n'y a pas
encore
de division réelle. Ces grandes communautés ont des contacts multiples.
Il n'y
a pas un monde strictement autarcique comme on l'a représenté parfois.
L'humanité atteint alors un certain équilibre et une unification, même
si nous
avons des zones de discontinuité isolant l'Afrique Noire ou les deux
Amériques,
etc..
Á partir de ce stade va s'opérer
le mouvement de scission tendant à produire sous l'impulsion du
mouvement de la
valeur, de la propriété privée, l'individu, l'État,
les classes ( en tenant bien compte que
la première forme d'État
se développe directement à partir de la
communauté). Toutefois, ce mouvement rencontrera différents obstacles,
engendrant divers stades de développement, comme nous le verrons.
En
outre, il ne faut pas perdre
de vue - il faut y insister - qu'on ne doit pas
envisager des
communautés mais l'ensemble des communautés implantées dans une zone
géographique déterminée ayant des caractères écologiques bien précis,
qui
peuvent conditionner un type analogue (plus ou moins commun) de
développement,
sans le déterminer en totalité. Ainsi en ce qui concerne les
communautés de la
Mésopotamie, on a le problème du recul du rivage en rapport avec une
avancée
transgressive de la mer obligeant le repli vers l'intérieur des
sumériens, qui
s'installèrent dans des zones plus ou moins marécageuses et qui furent
en
liaison avec des peuples montagnards en ce qui concerne la bordure nord
(et ce
jusqu'à la Turquie actuelle), tandis qu'ils étaient en communication
avec des
peuples situés plus au sud jusqu'à Mohenjo-Daro et Harappa.
Une
certaine diversité au sein
d'une aire donnée permet donc le développement de différents types de
communautés, et ce sont celles situées au noeud de divers flux, qui
sommèrent
un grand nombre d'apports leur permettant de briser l'antique équilibre.18
Ainsi,
il n'y a pas un phénomène
unique affectant une communauté donnée. Il concerne en fait toutes les
communautés mais elles sont plus ou moins réceptives, c'est à dire
qu'elles
vont répondre par une réaction plus ou moins ample et se modifier en
conséquence. Le phénomène de surgissement de l'État par exemple n'est
pas
strictement localisé; il affecte une vaste zone tout en ne parvenant à
son effectuation
que dans des lieux bien déterminés.
Nous
avons vu que les premières
communautés étaient caractérisées par la non-séparation forme-contenu,
forme-substance. Ultérieurement avec l'agriculture sous sa forme
simple, nous
avons déjà un certain nombre de tensions avec polarisation des
appartenances,
paricipations posant la propriété commune et la propriété privée. Mais
la
première prédomine, ainsi que la femme. En revanche, dans les zones où
prédomine l'élevage, c'est plutôt la propriété privée qui l'emporte,
ainsi que
l'homme : c'est le patriarcat. Nous avons signalé de multiples
oppositions
entre les deux, et le triomphe final des communautés patriarcales;
triomphe qui
ne fut pas partout intégral, car des restes plus ou moins importants de
l'antique prépondérance des femmes sont présents dans maintes nouvelles
communautés. Celles de types matriarcal (Jéricho, Catal-hüjuk, etc.)
ont duré
des siècles avant qu'elles ne se transforment sous la pression de
divers
phénomènes qui favorisèrent une autonomisation du pouvoir voulu par les
hommes
de telle sorte que, à ce moment là, les femmes, pour défendre
l'ancienne
communauté, en arrivèrent à lutter sur le plan de ces derniers; ce qui
put, à
son tour, renforcer les pouvoir.19
Le
passage à la domination
patriarcale a pu se faire de façon endogène et le plus souvent à la
suite
d'invasions par des communautés patriarcales. C'est au sein des
communautés
nouvelles que s'opéra le phénomène de l'autonomisation du pouvoir et la
fondation
de l'État en tant que communauté abstraïsée (sans que cela ne réussisse
pour
toutes).
Cet
exposé extrêmement succinct
ne vise qu'à indiquer le devenir essentiel et à marquer qu'il en est de
même
dans la zone du Proche Orient comme en Europe occidentale et en
diverses zones
d'Asie. En ce qui concerne le devenir à la communauté despotique qui se
réalise
dans les cités-Ètats de la Mésopotamie, en Égypte, en Turquie (empire
du
Mittani, Hittite, etc..) mais aussi en Grèce (avec Mycènes et Tyrinthe,
etc..),
la forme asiatique20
de la Chine se particularisera au cours d'un devenir assez complexe et
se
distingue nettement de ce qui se réalisa en Occident où la communauté
despotique avec son État
disparaîtra assez vite. En revanche, elle
persistera plus longtemps avec l'empire perse et celui des parthes.
8.5.26.
Á ce stade de développement, nous n'avons plus de communauté, car dès
qu'il y a État, nous avons la société. Ce n'est que pour faire
comprendre la
continuité que nous avons parlé de communauté despotique (tout en ne
niant pas
que ce soit une dimension de son devenir), mais en soulignant que
c'était l'État
qui avait la
prétention d'être la communauté. On a société même si la division en
classes
n'est pas réelle, mais seulement tendancielle.
État
et société se posent antagonistes mais sont les deux termes d'une
même réalité. Il ne peut pas y avoir de société sans État.
La société
implique la réalisation de la séparation des hommes et des femmes de la
nature,
une séparation entre eux d'où la nécessité d'une médiation, surtout
parce que
société et État
prétendent chacun être la vraie communauté.
Dit
autrement, on part d'une
unité initiale : la communauté immédiate qui subit une séparation entre
substance et forme : la communauté médiatisée où va s'enraciner une
dynamique
de pouvoir. Toutefois la forme communautaire englobe. On a formation
d'une
unité qui la représente et fonde une communauté illusoire pour
l'ensemble des
hommes et des femmes : l'État.
Nous
avons alors une domination
formelle de ce dernier (durant cette période la forme communautaire
garde
encore une forte prégnance) qui s'est simplement substitué à un réseau
de
relations qui maintenaient la forme communautaire. Cependant il se crée
assez
rapidement un corpus (scribes, lettrés) qui représente l'État,
c'est son
incarnation (Einverleibung), qui apparaît comme un intermédiaire mais
qui est,
en fait, un organe de l'unité supérieure qui fait agir l'ensemble de la
société, la contrôle, la fonctionnalise. On a alors domination réelle,
qui
permet à l'État d'englober un grand nombre de communautés situées dans
des
lieux où les conditions géographiques, les données économiques sont
diverses et
seraient susceptibles d'engendrer des dynamiques divergentes.
En
se posant comme foyer de la
communauté, de la société, son élément stable fondateur, il s'empare de
la
fonction de continuité de la femme. De ce fait il a le pouvoir de vie
ou de
mort. Il fait exister et il définit hommes et femmes. D'où
l'intransigeance
accrue vis à vis des ressortissants d'autres sociétés ou communautés,
posés
comme n'étant pas des hommes, des femmes. On a en même temps,
dépassement de la
dynamique de l'alliance avec la nature qui se trouve totalement
déformée, avec
la représentation du mandat du ciel en lequel s'imposent tous les
pouvoirs qui
ont été ravis aux membres communautaires. À partir de ce stade, l'État
va se
renforcer au travers de la lutte qu'il va mener contre le procès de
désagrégation du corpus social, donc contre la valeur, l'individu, ou
contre
tout groupement qui essaie de se poser en tant que communauté (la
classe par
exemple). On a alors le despotisme.
8.5.27.
La
formation de l'État
est corrélative d'une réorganisation
intense de la communauté devenant société. On a accumulation de
pouvoirs à un
pôle, ce qui retentit sur le mode de réalisation des fonctions
biologiques. Dit
autrement : la communauté abstraïsée implique un ordonnancement
totalement
différent de celui de l'antique communauté. Celle-ci devient
progressivement un
organisme pour faire vivre l'État
qui la fonde.
Il
y a modification profonde, du
fait qu'il y a une fixation des hommes et des femmes non seulement à
cause de
la sédentarisation, mais parce qu'il y a maintien dans une
détermination
donnée: formation des rôles.
En
outre, si le toucher est le
sens prépondérant au cours de la période où règne la communauté
immédiate, avec
la naissance de l'État,
il est inhibé afin de fomenter la
séparation au sein de la communauté, ou de la fonder, tandis que le
représentant du pouvoir devient intouchable, inaccessible. La chiralité
est
également importante durant la première période ainsi que lors de la
chasse ou
celle de la pratique agricole. Ces deux périodes se distinguent par la
prédominance de l'oralité en ce qui concerne la période de la chasse,
et celle
de la sexualité en ce qui concerne l'implantation de l'agriculture.
Avec la
formation de l'État,
ce qui va être exalté c'est la cérébralité,
c'est à dire l'activité du cerveau, afin d'élaborer des
représentations. C'est
l'imagination qui va devenir essentielle. Toutefois ceci se fait de
façon
inégale, en ce sens que la production de la représentation va être
accaparée
par l'État
devenant un cerveau social à la fois connecté à, et séparé du corpus
social parce qu'il a fonction de dominer.
Le
retentissement sur les
activités biologiques se perçoit fortement dans la ritualisation des
différentes conduites, dans la production des règles de conduite (codes
et
rôles), ce qui accélère le remplacement du spontané par l'acquis. l'État
apparaîtra
comme le gardien d'un ensemble de rites, et le mot État
désigne bien alors le posé d'une
situation donnée: celle de la sortie de la nature qui fonde l'humanité.21
Les
diverses fonctions seront
accomplies de façon plus ou moins différenciée par des groupes divers,
d'où
pour accéder à celles-ci, et par là accomplir le procès de vie, hommes
et
femmes doivent passer par un phénomène de représentation, qui est, en
germe,
celui du théâtre. Le pouvoir concentré en l'État est représentation et
domine
par la représentation, ce faisant il accapare l'imagination des hommes
et des
femmes, c'est à dire qu'il leur impose une orientation de celle-ci qui
est de
ce fait bloquée dans un devenir donné. Ceci peut être intériorisé à un
point
tel que toute imagination opérant en dehors du canal donné est vue
comme
déviation et, en tant que telle, dangereuse. C'est la folle du logis:
l'homme,
la femme domestiqué(e), a peur de l'imagination parce qu'elle
bouleverse la
sécurité pour laquelle hommes et femmes ont souvent aliéné leur pouvoir.
Cette
imagination bridée opère,
comme on l'a suggéré plus haut, non seulement entre hommes ou femmes et
l'Ètat,
mais entre les membres de la société, car la régression du toucher crée
un vide
qui est comblé par la représentation qui implique la mise en jeu
orientée de
l'imagination jouant en tant qu'opérateur pour surmonter la séparation.
Ainsi
hommes et femmes ont été
dépossédés de leur imagination. Revendiquer, comme en
Mai-Juin 1968
« l'imagination au pouvoir », c'est demeurer sur le
plan de la
domestication et de la domination. L'imagination ne doit en aucune
façon
accéder au pouvoir (sans oublier que dans une certaine mesure, elle y a
déjà
été). On risquerait un énorme run away, un échappement qui -
étant donné
ce que sont les hommes et les femmes à l'heure actuelle -
aboutirait à
une combinatoire dissolutrice et finalement à une négation même de
l'imagination. Femmes et hommes doivent en revanche se la réapproprier,
ce qui
permettra la dissolution de tout pouvoir concentré, dominateur et
créateur de
dépendance.
Les
évènements post-68 - au
cours desquels on a pu constater que, de divers côtés, en particulier
chez les
publicitaires, on réclamait le pouvoir pour l'imagination -
ont bien
montré le danger de ce slogan. Toutefois le fait de l'avoir lancé en
1968 a
dévoilé le phénomène de dépossession qui s'était accompli au cours des
millénaires
et la volonté de réacquérir une totalité biologique et, de façon moins
perceptible, celle d'en finir avec une errance, dans la mesure où
l'imagination
devait permettre de découvrir une nouvelle voie (tao).
Cette
réorganisation de la
communauté s'exprime très bien quand on compare les préoccupations
fondamentales des communautés successives. Pour celle vivant de la
chasse-cueillette, c'est l'appartenance et le rapport à la terre-mère.
Avec les
communautés vivant de l'agriculture, c'est la sexualité-fécondité qui
devient
essentielle; ce qui ne nie pas la problématique de l'appartenance mais
la
médiatise; la terre-mère est devenue la terre féconde. Avec le
surgissement de
l'État, c'est le pouvoir qui est la question centrale. Là encore, cela
n'élimine
pas la sexualité. Elle devient dépendante et, dans certains cas, un
moyen de
réaliser le pouvoir, de l'acquérir, etc.
Le
mouvement de concentration du
pouvoir de la communauté pose la nécessité d'une initiation pour son
obtention
car il est trop important, trop lié encore à sa vie immédiate. Grâce à
cette
pratique, la communauté se donnait des garanties afin de mettre en
place celui
qu'elle considérait comme étant le plus apte à l'exercice du pouvoir.
Ceci
explique la recherche de signes pouvant aider à sa reconnaissance. Des
malformations à la naissance, des particularités lors de
l'accouchement, ou
bien des manifestations atmosphériques étranges à ce moment là, etc.,
pouvaient
servir à déterminer l'élu ou le récuser. L'ensemble des pratiques de la
communauté
immédiate sont à ce niveau réorientées, restructurées. Elles reçoivent
un
contenu nouveau: déterminer qui mérite le pouvoir... 22
Le
surgissement de l'État impose
aussi une réorganisation des rapports aux ancêtres. On n'a plus une
simple
parenté, mais une généalogie, en ce qui concerne les personnes détenant
le
pouvoir. Elle est un système qui vise à fonder l'ancienneté, voire la
pérennité
du chef, du roi. Plus ce dernier possède d'ancêtres, plus il a de
puissance.
D'où la mise en place de parentés fictives, impliquant une succession
de
générations pouvant se dérouler, parfois, sur des milliers d'années.
Au-delà
de l'aspect immédiat
susmentionné, cela traduit la nécessité d'un enracinement, d'un
maintien de la
continuité, fondement d'une sécurité surtout nécessaire dans les
premiers
moments d'affirmation de l'Etat, quand il n'y a pas eu encore
production de
diverses médiations aptes à garantir sa permanence; une phase de
domination
formelle, où il y a nécessité de légitimation.
Il
en découle que ceci se produit
à un autre moment de l'édification de l'État puisque nous avons vu
qu'au
départ, le roi est celui qui n'a pas de parenté. Quand il s'est
autonomisé,
rendu indépendant du substrat qui l'a produit, l'enracinement est
nécessaire.
Il y a alors fabrication d'une parenté artificielle, culturelle; car
avoir un
grand nombre d'ancêtres, c'est avoir de multiples participations, donc
avoir un
important pouvoir. Le roi se subordonne alors la parenté. Il assure son
ascendant
(dans le sens parental et dans le sens autoritaire; par exemple quand
on dit :
avoir de l'ascendant sur quelqu'un), et devient le père de son peuple;
tandis
que par sa multiple descendance, il témoigne de sa fertilité et de sa
puissance.
8.5.28.
L'État
résultant d'un procès d'autonomisation a besoin pour se
pérenniser d'une justification. D'où, nous allons avoir redoublement de
la
représentation (puisque l'État en est déjà une), avec accaparement du
procès de
connaissance nécessaire pour situer et sécuriser Homo sapiens dans la
nature et
le cosmos. La pensée est, dès lors, orientée unilatéralement; la pensée
rayonnante est progressivement éliminée même si son influence persiste
longtemps après le surgissement de l'État.
La
justification essentielle est
contenue dans l'affirmation de la sortie de l'animalité qui est
simultanément
la fin du chaos. C'est peut être en Chine que l'on trouve cette
représentation
la plus élaborée, produite d'une préoccupation constante. En revanche
dans
l'antique Égypte, l'État n'a pas atteint cette dimension; il apparaît
dans une
certaine mesure comme étant celui non seulement des hommes et des
femmes, mais
également celui des animaux. Ce qui implique que la formation de l'Ètat
ne
s'est pas réalisée dans un moule unique. 23
Pour
justifier l'État, il y a
dans un premier temps réélaboration des mythes de fondation, de
création, qui
incluent le fait nouveau: le surgissement de ce dernier. Ensuite émerge
une représentation
plus en adéquation avec son existence même: l'astrobiologie. 24
L'État
concentré de pouvoir, de
puissance, est obligatoirement en rapport au sacré. Sous sa première
forme
d'apparition il est une totalité au sein de laquelle ce que l'on
nommera
ultérieurement la politique - technique de domination des
hommes et des
femmes - est unie à ce que sera la religion. Le représentant
de l'unité
supérieure accomplit les sacrifices fondamentaux (Sumer, Égypte,
Chine), il est
le fils du ciel (Chine). Le point d'articulation essentiel entre la
partie
humaine de la communauté et celle divine, entre les vivants et les
morts.
Plus
tard en Occident, il y aura
éclatement de cette unité en rapport au mouvement de la valeur, à la
naissance
de l'individu, etc. Surgirent alors les diverses religions qui auront
un double
fondement: justification de l'établi avec compromis pour unir ce qui a
été
divisé, refus de ce même établi 25.
Dès lors la remarque de K.Marx (lettre à Ruge, septembre 1843) :
« De même
que la religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité,
l'Etat
politique est le sommaire des luttes pratiques. », acquiert
toute son
importance et sa pertinence.
À ce propos, la représentation de
la tripartition (sacré, pouvoir, production en rapport avec les trois
corps
fondamentaux de la société : brahman, ksatriya, vaisya) peut être
considérée
comme étant l'expression d'une volonté d'équilibrer les puissances de
la
communauté se muant en société, équilibration nécessaire pour empêcher
l'autonomisation qui fonde l'État. Mais en même temps elle peut opérer
la
justification du pouvoir; d'un pouvoir affecté d'une scission (sacré et
politique), comme cela se manifeste avec la double royauté à Sparte ou
à Rome.
Dit autrement, dans ce cas la communauté est bicéphale. C'est un stade
qui
permettra l'autonomisation du pouvoir politique, qui pourra
s'extérioriser. Dès
lors un élément médiateur est nécessaire pour opérer le lien à la
divinité,
rétablissant ainsi la continuité avec un principe transcendant,
fondateur.
Ceci
exprime que le phénomène de
l'État sous sa première forme est plus élaboré en Chine qu'en Inde ou
en Grèce.
Le cas de l'Inde peut être considéré comme intermédiaire entre celui de
la
Chine et celui de l'Occident. On y trouve des tendances à la formation
d'une
communauté despotique aussi puissantes qu'en Chine et par moments une
réalisation identique (cf. l'empire Maurya par exemple) mais en même
temps
l'expression d'un éclatement, d'une fragmentation posant les fondements
mêmes
de l'individuation (ce qui transparaît à travers les représentations
atomistes). La castisation de la société hindoue résulte peut-être d'un
compromis entre les deux tendances et avec la relique de communauté
immédiate
dont la puissance n'a jamais été totalement abolie. Ce compromis opère
de même
si on considère que les castes sont en fait diverses ethnies plus ou
moins
agglomérées au cours de la réalisation d'empires.
L'État
s'est donc emparé du
procès de connaissance et le fait fonctionner à sa convenance, ce qui
implique
que certaines représentations sont développées aux dépens d'autres et,
pour ce
faire, il a besoin d'un corpus social : les scribes, les lettrés 26. À ce stade
il est bien clair que savoir c'est pouvoir. Plus précisément, un savoir
détenu
en accord avec la représentation de l'État est un pouvoir.
8.5.29.
L'État,
centre de concentration du pouvoir, devient un organisme qui attribue
et définit. C'est là qu'on retrouve le phénomène de la parole
incorporée au
pouvoir 27. À l'origine de l'État il y a une explosion orale qui opère peut-être en
compensation à celle de la chiralité (l'activité technique qui
s'effectue lors
de la phase d'implantation de l'agriculture). Mais cette explosion est
pour
ainsi dire détournée et canalisée dans l'État.
Il
est également captage de la
parole écrite grâce à laquelle il fonde une irrévocabilité, ce qui ne
peut pas
être modifié. Elle va servir également au procès de justification grâce
aux
chroniques, aux annales qui recueillent les faits significatifs de la
vie de
l'État, qui permettront ensuite le développement de l'histoire.
Celle-ci
implique qu'il y ait représentation d'un moment fondateur, initiateur
d'un
phénomène déterminé, dont elle a pour objet de justifier la validité.
Toutefois
elle n'apparaît en tant que telle qu'à partir du moment où il y a
rupture avec
une représentation circulaire des évènements, ce qui implique parfois
le posé
d'un événement dans le futur qui rompe avec le devenir en cours, jugé
comme
mauvais. Voilà pourquoi l'apport des prophètes juifs est-il déterminant
dans la
fondation de l'histoire: ils lui ont apporté la dimension thérapeutique
sans
laquelle celle-ci n'aurait pas pu se réaliser.
Cette
faculté d'attribuer,
variante de celle de commander, se retrouve dans la question des rites,
de
l'étiquette - l'art de se bien comporter - dont
nous avons
précédemment parlé. L'État est celui qui distribue les rôles.
Sanctionnant
le mouvement de
séparation qui opère sur tous les plans du procès de vie et opérant en
même
temps une synthèse des divers procès de justification, l'État fonde
l'être et
l'avoir, ainsi que l'espace et le temps, en institutionnalisant la
coupure
extérieur-intérieur dérivant de la rupture du phénomène de
participation des
membres de la communauté à celle-ci et de celle-ci au cosmos. 28
Toutefois
ceci ne parviendra à
une extériorisation telle qu'il sera possible, dès lors, de fonder les
concepts
de la philosophie, qu'avec le mouvement de la valeur qui amplifie
jusqu'à
fonder logiquement la problématique du mouvement de l'être au non-être,
le
devenir, etc..
Toute
philosophie est philosophie
de l'État. Ceci n'est pleinement vrai que référé à l'État fondé sur la
valeur.
La réflexion au sujet du premier type d'État ébauche une partie
seulement de la
thématique philosophique, comme nous verrons ultérieurement. Elle
concerne
surtout la question de la stabilité, de la permanence. En effet, l'État
est ce
qui est né, qui est parvenu à un stade déterminé, à une situation
donnée, à
partir de laquelle tout se définit. Dès lors se pose la question de le
pérenniser; d'où la revendication de la stabilité, celle, pour ce
faire, d'un
souverain apportant paix et équilibre à la société.
C'est
là que la justification de
l'État s'articule avec l'englobement-récupération du culte des
ancêtres, qu'on
doit distinguer du culte des morts, et l'absorption de la mort.
Le
culte des ancêtres réel ou
mythique fonde l'acte d'origine de l'État; la réactivation de leurs
actions
fonde les rites qui permettent d'assurer la stabilité.
L'escamotage
de la mort dérive de
la volonté d'assurer la stabilité en deçà et au-delà de la durée de vie
du
représentant de la communauté abstraïsée. Il est posé immortel et
divinisé : le
pharaon en Egypte par exemple.
Cela
n'abolit pas la mort. En
conséquence, une série de pratiques tendent à réduire celle-ci à un
moment de
mutation dans le statut de l'être se posant immortel (cf. les pyramides
et le
livre des morts). Mieux, cela l'exalte. 29
Il
est important de noter que
cette volonté d'accéder à l'immortalité peut être mise en relation avec
la
démesure qui affecte toutes les royautés originelles, qu'on peut
expliquer par
la perte d'immédiateté, de contact avec le concret, par
l'autonomisation (un
membre de la communauté tend à se poser en tant que telle). Cette
dernière
s'exprime aussi dans la violence inouïe qu'elles développèrent
engendrant des
génocides sans nombre.30
Dit
autrement, la fascination du
pouvoir, c'est le désir d'éternité. Les hommes aimeraient pouvoir fixer
leur
« faire »en un paradigme afin que leurs semblables
voient ce qu'ils
ont fait comme un modèle devant lequel ils tombent en arrêt, parce
qu'il
fascine; ce qui implique qu'il renferme une dimension spectaculaire ,
magique
(envoûteuse). Le pouvoir, c'est cela : une irradiation qui va au-delà
du moment
présent, et qui n'est pas de ce fait limité à un pouvoir sur les
hommes, sinon
il ne viserait pas à l'absolu. Il se manifeste en tant que potentialité
d'un
faire, d'une dynamique de celui-ci, qu'un membre de la communauté
s'arroge, ou
qu'il a. À partir de là, divers subterfuges pourront être utilisés pour
rendre
encore plus évident, plus patent ce pouvoir.
Cette dynamique n'est pas en rupture avec celle de la communauté
immédiate où
le mythe exposait un « faire » s'étant déroulé in
« illo
tempore » et que femmes et hommes devaient réactualiser. Le
chef ou le roi
s'arroge donc les capacités des ancêtres, des héros fondateurs. Il y a
une
fondation historique, une discontinuité, en même temps qu'une tentative
de la
résorber dans le continuum, donc dans l'éternité. Posséder le pouvoir
c'est
accéder à la possibilité de déplacer le « illo
tempore » au sein
duquel on place soi en tant que référent fondamental. C'est bien la
démesure
dans tous les sens puisque cela implique d'aller au-delà des mesures
caractérisant un membre de la communauté, de faire varier la mesure,
par
substitution du référent et l'apport d'un autre référentiel.
8.5.30.
La
dimension esthétique de l'espèce est accaparée par l'État pour
glorifier ce qui le fonde: la séparation d'avec la nature, d'où le
développement de l'art, tout particulièrement de l'architecture, qu'on
peut
considérer comme un véritable fléau cause de catastrophes écologiques.
Dans
la communauté ancienne, la dimension
esthétique se manifestait au travers de représentations, de rythmes de
la
nature en laquelle Homo sapiens était immergé. Cela exprimait des
modalités de
participer à celle-ci, les pulsions affectant l'espèce, etc.. Avec le
surgissement de l'État il faut en quelque sorte remplacer la nature.
Aussi les
divinités qui étaient célébrées au sein de cette dernière sont, à
partir de ce
moment, enfermées (domestication) dans des constructions diverses,
aboutissant
à la forme de temple.
En
outre, le représentant de la
communauté est logé dans un édifice spécial qui tend à être le plus
somptueux
possible. Ce n'est donc pas un hasard si le développement de la ville
est
parallèle à l'émergence de l'Etat.
Dès
lors l'architecture exprime
au mieux la séparation de Homo sapiens vis à vis de la nature, sa
volonté de
dominer et son implacable action destructrice qui implique une non
prise en
compte de l'existence d'un foule d'êtres vivants que la réalisation des
projets
déments condamnent à la mort. Par l'intermédiaire de l'architecture,
l'espèce
écrit sa démesure, sa volonté de puissance.
On
comprend de même que ceux qui
s'élevèrent contre l'État, fuirent la ville, refusèrent les
constructions, et
particulièrement les temples; ils voulaient la communion immédiate avec
la
nature ou avec leur divinité.
L'architecture
est l'art de la
domestication, de l'oppression, comme on le verra mieux par la suite.
Homo
Gemeinwesen à venir ne pourra que l'ignorer. Il lui faudra même
déconstruire...
8.5.31.
L'accaparement
du procès de connaissance s'exprime de façon tangible
dans l'édification du système scolaire inséparable de l'instauration du
pouvoir
en État. Ici interviennent à nouveau les scribes, les lettrés, etc.,
c'est à
dire un corpus intermédiaire qui va permettre de transmettre ce qui est
compatible avec les exigences de l'État. L'école exprime au mieux
l'autodomestication.
L'ancienne
communauté
transmettait elle-même en sa totalité l'ensemble du savoir au travers
de
l'initiation. Celle-ci n'était pas un acte passif de simple
transmission de
donneurs à receveurs, mais c'était une réactivation de ses moments de
vie
fondamentaux. La fondation de l'école indique l'incapacité des membres
de la
communauté à dominer leur procès de vie qui devient trop complexe parce
qu'ils
n'y participent pas, du fait même qu'il se compose de plus en plus
d'éléments
juxtaposés qui forme certes un tout, mais en quelque sorte en dépit de
la
volonté des hommes et des femmes.
Ce
phénomène ira en s'accroissant
au cours du temps. Le problème n'est donc pas - nous le
verrons par
l'étude historique - d'améliorer l'école. Il faut trouver une
autre
modalité de transmettre non la connaissance, mais le procès total de
vie de
générations en générations, en fonction du devenir de la biosphère et
de la
terre dans le cosmos.
8.5.32.
La
formation de l'État correspond à un mouvement d'unification au sein
de l'espèce. Cela s'effectue au travers d'un déchaînement de violence
(oppositions
entre communautés à des stades divers de développement). Ce mouvement
s'amplifiera avec la formation des empires, tentative d'unifier à
partir d'une
ethnie, la totalité de l'aire où la communauté s'est imposée, en se
séparant
des autres. Il y a comme un mécanisme visant à surmonter la division
(empires
hittite, égyptien, sumérien, chinois...). Ensuite on a le heurt entre
ces
empires en vue encore d'une unification.
Se
pose dès ce moment la
dynamique de l'homogénéisation et celle du refus de cette dernière qui
va être
un élément de l'histoire.
Corrélativement
à cette
unification, un double mouvement s'impose: une exacerbération des
heurts, des
conflits entre divers éléments du procès total de vie de la communauté,
et une
tendance à les surmonter, soit grâce à une coercition violente, soit
par divers
compromis, parce que l'État ne peut persister que s'il parvient à
équilibrer
les conflits, tout en ayant besoin de ceux-ci pour être.
8.5.33.
Ainsi
de la période où les hommes et les femmes vivaient dans des
communautés où ils étaient substance de la Gemeinwesen, en même temps
que leur
procès de vie donnait forme à celle-ci - d'où l'unité
indissociable entre
les deux - on est passé à un mode de vie où il y a séparation
entre la
substance et la forme, qui est corrélative du posé d'une propriété
commune et
privée, d'un intérieur et d'un extérieur, de représentants et de
représentés,
etc.. Le dernier couple est déterminant pour l'affirmation de l'État,
car il
est l'unité supérieure dans le sens vertical qui représente la
Gemeinwesen, et
il peut être supporté soit par un membre de la communauté, soit par
plusieurs.
Autrement dit, la Gemeinwesen va être représentée par un souverain ou
par un
groupement plus ou moins étendu d'hommes, d'où, comme dit K.Marx,
« une
forme soit plus despotique, soit plus démocratique de cette
Gemeinwesen. »
(Fondements de
la critique de l'économie
politique, éd. Anthropos, t. 1 p. 438). Il faut
noter toutefois que
ces expressions ne valent qu'analogiquement et de ce fait sont
superficielles
et inexactes. La démocratie implique la séparation, la propriété
individuelle,
la liberté, etc.. Ce qui n'existe pas dans les communautés dont il
s'agit31.
En fait il
faut en rester à la détermination suivante: soit l'État est une unité
représentant la totalité qui s'est abstraïsée en lui, soit une
pluralité qui
est elle-même une autre modalité d'abstraïsation de la totalité. Les
déterminités de despotisme et de démocratie ne peuvent opérer qu'à
partir du
moment où l'État lui-même est parvenu à une certaine autonomisation.
L'État
en s'autonomisant risque
de perdre toute substance, d'où le phénomène d'incarnation
(Verköpferung) dont
nous avons parlé, ce qui impulse sur le plan de la représentation, la
thématique du rapport de la substance à la forme (particulièrement chez
Aristote), de la substance au sujet (problématique hégélienne dans La phénoménologie de l'esprit).
Mais ceci
apparaîtra surtout dans le devenir de l'État en rapport avec la valeur.
8.5.34.
L'instauration
de la première forme d'Ètat
est déterminante pour tout le devenir de l'espèce parce que c'est elle
qui
fonde la coupure, même si elle est escamotée par diverses pratiques;
tandis que
le mouvement qui tend à poser cet Etat (même s'il ne parvient pas à
triompher)
est ce qui bouleverse totalement les diverses communautés plus ou moins
immédiates et explique leurs particularités.
Il
n'est pas du tout un mal en
soi, car il est apparu en tant qu'organe ou outil d'intervention, c'est
pourquoi peut-il coexister au départ avec l'organisation de la
communauté. À
l'origine probablement, celle-ci est représentés par une femme,
réplique
terrienne de la terre-mère qui renferme en elle toute la puissance et
donc le
pouvoir dans sa détermination continue. Le roi n'est tel que parce
qu'il est
l'époux de cette femme. Il représente alors le pouvoir dans sa
dimension
discontinue, tout d'abord en étant personnification d'un cycle végétal
puis,
par autonomisation, celui proprement dit de l'intervention de la
communauté à
un moment donné.
Etant
données les diverses
conditions géographiques et écologiques, il y eut une grande variété
dans les tentatives
d'implantation de cet État. L'Égypte présente un cas extrême de
réorganisation
de toute la communauté avec la formation d'une sorte de combinaison
d'outils
d'intervention dans le milieu (formant une espèce de mégamachine, selon
L.
Mumford). Avec l'autonomisation de l'État, cette mégamachine ne sert
plus les
divers intérêts des membres de la communauté. Sous d'autres formes
c'est ce
qu'il advient partout où la communauté se posa en tat.
Ce
dernier tend à apparaître tant
au sein des communautés agricoles que pastorales, mais il ne parvient à
s'imposer que lorsqu'il y a fusion plus ou moins violente d'une
communauté
pastorale patriarcale avec une communauté agraire matriarcale (c'est à
dire à
prédominance féminine). Ceci sera à nouveau étudié dans le chapitre sur
l'assujettissement de la femme.
Le
mouvement de la valeur viendra
ensuite perturber l'organisation de cet État (Orient) ou bien il sera
la base
de la réalisation d'une autre forme d'État (Occident).
Jacques
CAMATTE – Octobre 1987.
1
Comme le prouvent les
anarchistes, ce qui leur interdit de donner une explication de
l'émergence de
l'État, mais leur permet d'exhiber un discours moralisateur. Or la
morale est
le domaine de l'enlisement et de la justification de l'impuissance.
Cette dynamique est compréhensible parce que la représentation
anarchiste rompt
difficilement avec celle bourgeoise, ainsi comporte-t-elle une
exaltation de la
liberté. Or, comme nous l'avons souvent signalé, celle-ci présuppose la
séparation qui est fondamentale pour le surgissement du capital.
A.Toynbee parle d' « institutions impersonnelles »
comme fondement de
l'État, ce qui renvoie au problème de leur émergence.
La réflexion sur l'émergence de l'État s'est toujours accompagnée d'un
discours
sur l'état de nature : les sophistes, Hobbes, Rousseau. D'une façon
moins
philosophique, la question a été abordée aux USA depuis leur
surgissement
jusqu'à nos jours, avec peut être une exacerbération à l'heure
actuelle. Nous
pouvons citer, parmi les auteurs qui nous sont connus : Frederic Turner
« Beyong
geography-The western spirit against
the wilderness » Ed.The Viking Press,
dont nous reportons au
moins une remarque : « La grande question de la nouvelle
science de la
Renaissance européenne fut : qui vit et qui ne vit pas. »
p.176; Richard
Drinnon « Facin
West : the metphysics
of indian hating and empire building »
Ed. New american
library.
2
Dans Le
despotisme oriental. Ètude comparative du pouvoir total,
Ed. De Minuit, 1957, Karl Wittfogel n'envisage pas la genèse du pouvoir
autonomisé formant l'État. Il l'aborde presque comme une donnée
immédiate, c'est
pourquoi son analyse est surtout intéressante en ce qui concerne l'Ètat
despotique tel qu'il naquit en Chine, par exemple, à la fin de la
période des
royaumes combattants. (Cf. à ce sujet particulièrement le chapitre :
« Un Ètat plus fort que la société ».) Nous reviendrons sur cette
question dans
le chapitre 9 consacré au phénomène de la valeur. Toutefois, nous
pouvons dès
maintenant, reporter quelques citations importantes :
« Comme nous le verrons plus loin, les grandes routes romaines
furent le
fruit d'une inévitable évolution qui fit de l'empire romain un Etat
despotique
hellénistique (à l'orientale). » (p. 93)
Ici est posée l'importance de l'évolution des transports dans le
bouleversement
social, leur lien avec l'Ètat, parce qu'aucun particulier n'est apte à
conduire
de grands travaux; cela n'adviendra qu'avec l'instauration du mode de
production capitaliste; enfin le phénomène de convergence entre empire
romain
et empire chinois, est déterminé en particulier par ce problème des
transports.
K.Wittfogel parle de période « quasi hydraulique »
pour caractériser
la période mycénienne en Grèce (p. 100). En fait on assiste à Mycènes,
comme
dans les zones de la Chine ancienne à la formation de la communauté
abstraïsée,
ce qui implique qu' Occident comme Orient présentent une période où
leur
évolution est fortement similaire.
Enfin, deux citations viennent conforter la thèse de K.Marx sur
l'absence de la
propriété foncière réelle en Chine :
« Du point de vue de la bureaucratie absolutiste, la propriété
tant celle
des artisans que celle des paysans était une propriété au rabais, une
propriété
économiquement fragmentée et politiquement impuissante. »
(p. 398)
« Dans tous les cas, elle (la propriété privée, n.d.r) n'est
pas source de
pouvoir mais source de revenu. » (p. 402)
Cette dernière citation illustre bien notre affirmation que la
propriété privée
individuelle, si elle existe, ne parvient jamais à s'autonomiser. Elle
est
toujours insérée dans la forme communautaire despotique. Voilà pourquoi
également la valeur ne peut pas tendre à former une communauté comme on
le
constate en Occident à partir du XIV° siècle, et y parvient à partir du
XIX°
avec la formation du mode de production capitaliste.
Dans Du pouvoir,
Ed. Hachette,
Bertrand de Jouvenel n'aborde pas réellement non plus, la genèse du
pouvoir.
Toutefois sa remarque que l'idée du souverain, de nature, fonde le
pouvoir,
montre que l'on a un reliquat du tout, un avatar de la déesse mère, et
même de
la communauté. Cela signifie que Homo sapiens parvient tout de même
difficilement à briser l'immersion.
Bertrand de Jouvenel commence son analyse en se posant le problème de
l'aptitude des hommes à l'obéissance. Or la question doit être abordée
de façon
plus complexe : qu'est ce qui fait que dans une communauté, de façon
simultanée, surgisse un phénomène d'accumulation de pouvoir d'un côté,
et de
dépendance de l'autre, qui se manifestera ultérieurement sous forme
d'obéissance ?
La genèse du pouvoir n'est pas non plus abordée par G. Balandier dans Anthropologie politique,
Ed. PUF. Il
affirme :
« Le pouvoir politique est inhérent à tout société : il
provoque le
respect des règles qui la fondent; il la défend contre ses propres
imperfections; il limite en son sein, les effets de la compétition
entre les
individus et les groupes. » (p. 43)
Cependant il reconnaît que le politique n'est pas partout et en tout
lieu déterminant
:
« Dans les sociétés dites segmentaires, la vie politique
diffuse se révèle
plus par les situations que par les institutions politiques. »
(p. 77)
Tout le développement qui suit peut servir de preuve à notre thèse (et
avec ses
variantes à celle de P.Clastres) sur la lutte au sein des communautés
en vue
d'enrayer l'autonomisation du pouvoir.
3
Le passage à la dépendance
transparaît parfaitement dans la représentation quand on passe de
l'astrobiologie à la science: surgissement de la causalité linéaire.
4
C.f. Loewen : « Le
plaisir » éd. Tchou qui
analyse les rapports du plaisir à la puissance, au pouvoir qu'il
définit ainsi
: « En un sens large, le pouvoir est l'aptitude à manipuler le
milieu et à
le contrôler » (p. 83) ce qui exprime bien la séparation; et
il affirme
que le besoin de pouvoir est le reflet de l'insécurité de l'individu,
l'insuffisance
en son moi (p. 93). Il est dommage qu'il n'analyse pas réellement en
profondeur
et ne met pas en évidence que le plaisir est ce qui met en continuité
avec la
totalité, abolit toute brisure possible.
Il serait important, en outre, d'envisager la représentation
réductionniste
avec l'hédonisme où le plaisir tend à être une médiation.
5
La tendance à la disparition de
ce type de marionnettes historiques indique que le phénomène État dans
sa
vieille détermination est fini; ce qui n'élimine pas la démesure, le
délire qui
sont liés au pouvoir autonomisé.
6
« On décèle ici la
confusion, à peu près générale dans la littérature ethnologique, entre
le
prestige et le pouvoir. » (P. Clastres, préface du livre de
Marshal
Sahlins Age de
pierre, âge d'abondance,
p. 23)
« C'est cette incapacité à penser le prestige sans le pouvoir
qui grève
tant d'analyses d'anthropologie politique et qui se révèle
singulièrement trompeuse
dans le cas des sociétés primitives. » (idem, p. 23)
Nous sommes d'accord avec ces affirmations, mais nous considérons que
l'analyse
de P.Clastres manque d'une dimension biologique. En outre, il est
important
d'élargir le discours au sujet du prestige en le connectant à la
gloire, à la
renommée, à l'honneur. On peut affirmer que chacune de ces
déterminations
englobe une volonté de mise en continuité avec une communauté plus ou
moins
vaste, dans certains cas avec tous les membres de l'espèce conçue dans
son
devenir total. Mais cela traduit un doute sur la communauté en place,
une
sensation de ne pas être en adéquation avec elle. En règle générale,
l'élément
fondamental est la séparation qui gît à la base et donc la volonté de
la
surmonter. À ce niveau se manifeste également la dynamique
continuité-discontinuité.
7
« Dans la langue, donc,
servilité et pouvoirs se confondent inéluctablement. Si l'on appelle
liberté,
non seulement la puissance de soustraire au pouvoir, mais aussi et
surtout
celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que
hors du
langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur: c'est
un huis
clos. » (R. Barthes, « La
leçon », p. 15)
La solution on l'a vu est de recourir à littérature (cf. note 22 du
chapitre
précédent).
Ce qu'il y a de profondément ennuyeux dans la théorisation de R.
Barthes c'est
qu'il fait du langage et du pouvoir des maux absolus, transhistoriques
(ou
anhistoriques), ce qui revient à poser de façon structurale un péché
originel.
En outre, il a besoin comme tous les démocrates et divers gauches d'un
référentiel absolu du mal, le fascisme, à qui il donne par là une
dimension
également transhistorique; ce qui fait que, dès lors, il ne peut être
affecté
qu'uniquement à un peuple donné, à un moment donné : les allemands de
1933 à
1945.
« Mais la langue, comme performance de tout langage, n'est ni
réactionnaire, ni progressiste; elle est tout simplement : fasciste;
car le
fascisme ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à
dire. » (idem,
p. 14)
8
« La Société primitive est
une totalité en ce sens que le principe de son unité ne lui est pas
extérieur:
elle ne laisse aucune figure de l'Un se détacher du corps social pour
le
représenter, pour l'incarner comme unité. (P.Clastres : « Archéologie de la
violence : le guerrier dans
les sociétés primitives Libre n°1 p. 157)
L'État est un tout qui s'est individualisé. C'est le tout en tant
qu'unité et
non en tant que totalité multiple, tout au moins au départ; car il
tentera
sinon de l'englober, du moins de s'identifier à elle.
« Et c'est pourquoi nous croyons pouvoir déceler, sous
l'équation
métaphysique qui égale le Mal à l'Un, une autre équation plus secrète
et
d'ordre politique qui dit que l'Un, c'est l'Ètat. Le prophétisme
tupi-guarani,
c'est la tentative héroïque d'une société primitive pour abolir le
malheur dans
le refus radical de l'Un comme essence universelle de l'Ètat. Cette
lecture
« politique » d'un constat métaphysique devrait alors
inciter à poser
une question, peut être sacrilège : ne pourrait-on soumettre à
semblable
lecture toute métaphysique de l'Un ? » (P.Clastres: La société contre l'État,,
pp. 184-185)
C'est ce que nous avons fait depuis longtemps en affirmant que toute
philosophie est philosophie de l'État. Nous y reviendrons.
Notons que l'Un est le Mal puisqu'il implique selon nous le
dépouillement de
tous à l'exception de celui qui accède au rang de chef; le mal c'est
être
dépendant. Mais plus précisément c'est la perte de leur Unité, c'est à
dire de
la propriété d'être unis, parce qu'il y a perte d'une unité organique
où chacun
est un élément fondamental à la fois unité et totalité (c'est la perte
de la
Gemeinwesen); c'est à dire que l'unité unifiant et ce de façon
pérennante,
n'est possible que si eux-mêmes assurent à chaque moment le champ total
de
cette unité; qu'ils sont donc Gemeinwesen. Dès qu'il y a rupture, il
faut alors
un élément externe et pourtant provenant d'eux-mêmes qui refasse unité.
Ils se
sentent dépossédés (en même temps que brisés) de la vaste détermination
d'être
où ils étaient, à la fois englobement et partie englobée.
L'État c'est l'Un en tant que tout en dehors de leurs unités, le Un
séparé qui
permet l'Unité, l'Un unificateur qui pose sa dictature car
l'unification se
fera de plus en plus en fonction de son être Un.
C'est au fond de leur totalité organique intrinsèque et de celle de la
communauté à laquelle ils participent que les membres de cette dernière
ressentent le déchirement. Il n'est pas question d'être pour eux;
celui-ci est
posé par l'État.
L'État est bien lié à nous et pourtant il nous est extérieur.
9
« On sait aussi, d'autre
part, que, pour les sociétés « primitives », les
femmes sont les
valeurs par excellence. » (P.Clastres : La
société contre l'État, p. 35)
Il ne s'agit pas de valeur car à ce stade là, elle n'existe pas encore,
mais de
quelque chose de beaucoup plus essentiel que P.Clastres lui-même
indique dans Malheurs
du guerrier sauvage, revue Libre
n°2 :
« En d'autres termes, se dévoile ici une proximité immédiate
entre vie
et féminité, telle que la femme est en son être,
être-pour-la-vie. Dès lors
éclate, dans la société primitive, la différence entre homme et femme:
comme
guerrier, l'homme y est être-pour-la-mort; comme mère, la femme y est
être-pour-la-vie.
C'est leur rapport respectif à la vie à la mort sociales et biologiques
qui
détermine les relations entre hommes et femmes. Dans l'inconscient
collectif de
la tribu (la culture), l'inconscient masculin appréhende et reconnaît
la
différence des sexes comme supériorité irréversible des femmes sur les
hommes.
Esclaves de la mort, les hommes envient et craignent les femmes,
maîtresses de
la vie. » (p.101)
Donc l'importance des femmes c'est qu'elles sont donneuses de vie et
qu'elles ont
donc le pouvoir par excellence. Accumuler des femmes (polygynie) c'est
accumuler du pouvoir.
Voilà pourquoi également, comme nous le montrons dans ce chapitre,
l'État doit
s'emparer de la fonction de continuité de la femme afin de se fonder,
de
s'enraciner. Il réalise déjà en partie le désir exprimé dans certains
mythes
dont parle P.Clastres :
« C'est bien ce que reconnaissent, un peu partout dans le
monde, les
mythes qui fantasment l'âge d'or perdu ou le paradis à conquérir comme
un monde
asexué, comme un monde sans femme. »
(idem, p. 101)
La domination réelle du capital - réalisée en partie avec le
mouvement de
libération de la femme qui aboutit à l'élimination de celle-ci du
procès
biologique, ce qui est effectuable grâce au développement de la
science -
parvient à l'effectuation totale de ces mythes. En même temps il y a
clôture du
vaste mouvement commencé avec l'initiation de la domination des hommes,
lors de
la formation des communautés médiates avec leur pouvoir autonomisé,
ainsi que
celui de la glorification de la femme afin de l'autonomiser, de la
priver de sa
réalité. Ici, le texte de P.Clastres converge en partie avec la
thématique de
L.L. Makarius dans Le
sacré et la violation
des interdits (cf. 7.4,
Invariance série IV, n°2, pp. 20, sqq)
Dans certaines communautés, la polygynie est équilibrée par une
polyandrie
(Lévi-Strauss, Tristes
Tropiques,
pp. 410, sqq) ce qui montre l'extraordinaire diversification des
communautés.
Mais l'essentialité de la femme demeure partout.
« L'union incestueuse d'un roi avec sa fille n'a-t-elle pas pu
être
motivée par la même loi de filiation? Car cette règle semble avoir pour
juste
corollaire l'obligation pour le monarque d'abandonner son sceptre à la
mort de
son épouse, la reine, puisque nous venons de le dire, il ne régnait
qu'en vertu
de son mariage. Donc, si le roi voulait continuer à occuper le pouvoir,
il ne
lui restait qu'un seul moyen d'arriver à ses fins, c'était d'épouser sa
propre
fille et de conserver ainsi, grâce à elle, le titre qu'il détenait de
par sa
première femme, mère de la seconde. » (Frazer, « Le rameau
mort », Adonis, éd. Laffont, t. II, p.
231)
« Dans cet ordre d'idées il convient de rappeler qu'à Rome, le
Flamine
Dialis était obligé d'abdiquer son sacerdoce à la mort de la
Flaminique, son
épouse. » (idem, p. 231)
Un problème similaire se retrouve chez beaucoup de peuples, par exemple
chez
les égyptiens, avec le couple royal incestueux (le frère et la soeur).
Nous
reviendrons là-dessus dans le chapitre sur l'assujettissement de la
femme, qui,
en partie, reviendra à écrire d'un pôle féminin, celui de la
dépossession, le
surgissement de l'État.
Le pouvoir ne peut venir que des femmes. Chez elles, il est continu,
totalité.
1
0
Il
convient de rappeler que les communautés primitives étudiées par les
ethnologues sont en fait des communautés résultant d'un long procès.
Elles ne
traduisent pas un état originel. Elles fournissent seulement des
indications.
Très souvent même, elles ont vécu un phénomène de primitivisation, un
phénomène
de régression par rapport à leur propre devenir - qu'il est
difficile
d'évaluer - en rapport à des changements de milieux.
Il en est de même en ce qui concerne les êtres vivants : les
protozoaires ou
les bactéries ne sont pas les ancêtres directs des autres êtres
vivants, ce qui
impliquerait qu'ils auraient conservé leur organisation originelle;
mais ils
sont un témoignage de ce que purent être nos lointains ancêtres.
En mêm temps ils témoignent d'une évoltion, d'un perfectionnement
dans la voie qu'ils ont empruntée, qui est très complexe, ce qui fait
justement qu'ils ne peuvent pas êtres des ancêtres.
Les communautés primitives sont celles qui ont conservé un stade
antérieur mais
l'ont développé de façon extrême dans une voie qui n'est pas en
continuité avec
celle qu'empruntèrent les autres communautés. Chercher à comprendre
comment ces
communautés ont pu enrayer les phénomènes de dissolution, aboutit à
mettre en
évidence d'autres formes culturelles discontinues par rapport à celle
des
communautés qui évoluèrent en sociétés et par rapport à celles des
communautés
qu'on pourrait désigner originelles.
1
1
On pourrait indiquer également que dans la première façon de
s'exprimer, on
tend à autonomiser le membre de la communauté, dans la seconde on le
fait
apparaître comme dépendant d'un procès qui l'englobe. C'est alors la
communauté
ou la nature qui est essentielle, le membre de la communauté est leur
attribut.
C'est en étudiant la genèse de la logique qu'il conviendra de reprendre
tout
cela et de mettre en évidence comment un certain comportement vis à vis
de la
nature la fonde.
1
2
Berthelot ajoute: « Le développement de la science
expérimentale des
modernes sera connexe à son tour dans une large mesure de la formation
et du
développement en Europe de la grande industrie, comme la formation de
l'astrobiologie avait été connexe en Chaldée, du développement de la
grande
culture. »
Globalement c'est vrai,
mais l'auteur escamote deux moments essentiels : celui del'émergence de
la
valeur d'échange, celui de son autonomisation, le capital. C'est ce
dernier qui
donnera sa plus vaste impulsion à la science.
À l'heure actuelle où la grande culture est finie (avec le passage à la
culture
hors sol), qu'il en est de même de la grande industrie et que nous
assistons à
la mort du capital, il y a obligatoirement émergence d'un autre mode de
représentation, ce qui explique en particulier la crise de la pensée
scientifique.
Pour le moment, il y a en fait un procès de dissolution des moments
antérieurs;
il n'y a pas de synthèses nouvelles. Ce n'est qu'avec le développement
d'un
autre mode de vie qui fondera une réalité totalement autre, que toutes
les
représentations antérieures seront vraiment caduques.
1
3
L'oeuvre d'Ibn Khaldoun (1332-1406) est vraiment étonnante. Elle doit,
en
particulier, sa puissance au fait qu'il s'est affronté à un problème
dont
l'origine n'était pas trop ancienne : l'irruption des arabes hors de la
péninsule arabique et le passage du nomadisme à la sédentarité. Il pu
mettre en
évidence des cycles de formation d'États, de leur expansion et de leur
destruction, en assez grand nombre pour lui permettre d'arriver à poser
comme
des lois de transformation. De là, par exemple, cette remarque au
contenu
pleinement transformiste: « Le plan humain est atteint à
partir du monde
des singes (qirada) où se rencontrent sagacité (hays), et perception
(idrak),
mais qui n'est pas encore arrivé au stade de la réflexion (rawiyya) et
de la
pensée. A ce point de vue, le premier niveau humain vient après le
monde des
singes: notre observation s'arrête là. » (o.c., t. 1 p. 190)
Il est
probable que la pensée d'Ibn Khaldoun se soit nourrie aux dépens
d'autres faits
historiques de même ampleur et de durée assez brève : le passage des
tribus
mongoles nomades à leur unification et à la construction d'un immense
empire.
1
4
Gordon Childe parle de deuxième révolution - la révolution
urbaine
- pour caractériser le surgissement des cités (cf. La naissance de la civilisation,
pp. 136,
sqq). En fait ce qui est déterminant c'est le phénomène de
concentration du
pouvoir: l'État, c'est à dire qu'il s'est agi d'un nouveau rapport
entre
femmes, hommes. Ajoutons qu'on ne peut pas accepter le terme de
révolution. Il
y a certes une discontinuité, qui est une détermination de cette
dernière, mais
elle est lente. En outre, il n'y a pas formation d'un corps d'hommes et
de
femmes s'opposant à d'autres afin de faire triompher un projet et,
enfin, il
n'y a aucune perspective de retour à une phase antérieure, permettant à
la fois
d'impulser un développement et une régulation. Ce n'est qu'à la suite
de
l'instauration de l'État que la thématique de la révolution, que le
phénomène
révolutionnaire, pourront se poser. On a en fait, affirmation d'une
discontinuité suivie d'une sorte de run away, d'un échappement. Il
faudra les
premières rébellions - dont on a peu de témoignage
- pour enrayer
momentanément le phénomène; rebellions qui furent probablement les
premières
formes révolutionnaires.
L'étude du phénomène urbain est trop vaste pour pouvoir être entreprise
ici.
Nous y reviendrons plus tard lors de la mise en évidence de la
destruction
toujours plus grande de la nature et de la nocivité de l'architecture.
Le livre de L. Mumford La
cité à travers les
âges, Ed. Du Seuil, offre beaucoup de documents,
mais la perspective
démocratique de l'auteur ne permet pas d'accepter sa trame théorique.
En ce qui concerne « l'écosystème
urbain », cf. Duvigeaud: La synthèse
écologique éd. Doin, pp. 289, sqq.
1
5
On voit poindre ici la problématique du rôle de la violence dans le
développement des sociétés humaines. Ceci a été abordé de façon claire
par
Marx; nous avons apporté des précisions dans Violence
et domestication, Invariance série III, n°9.
1
6
Eberhard a une approche plus conciliante mais probablement moins
réaliste :
« Alors que l'Europe a défini l'idéal de l'individualisme et
s'afflige de
ne plus avoir aucune éthique à laquelle les individus puissent
librement se
rallier, alors que pour l'Inde le problème social se ramène à faire que
chaque
homme puisse poursuivre son existence en étant le moins possible gêné
par ceux
au milieu desquels il vit, le confucianisme résolvait le problème
suivant:
comment faire vivre en paix et en bonne intelligence, un pays déjà
surpeuplé,
des groupes de famille comprenant parfois plus d'une centaine
d'individus
? » (o.c., pp. 49-50)
1
7
P.Clastres a montré la nécessité de la guerre dans les sociétés
primitives afin
de lutter contre l'homogénéisation; comme moyen de réintroduire des
différences
permettant le développement de flux déterminants dans la dynamique des
sociétés
(cf. Archéologie
de la violence : la guerre
dans les sociétés primitives, Revue Libre n°1).
En fait il en est de
même à l'heure actuelle. Mais c'est la publicité - qui intègre
l'échange et la
guerre - qui tente de réintroduire la différence là où il y a
homogénéisation.
Pour bien situer sa thèse, P.Clastres envisage divers discours au sujet
de la
guerre et les réfute. Il aborde en premier lieu le discours naturaliste
qu'il
trouve dans l'oeuvre de A.Leroi-Gourhan, dont il fait les citations
suivantes :
« Entre la chasse et son doublet la guerre, une subtile
assimilation
s'établit progressivement, à mesure que l'une et l'autre se concentrent
dans
une classe qui est née de la nouvelle économie, celle des hommes
d'armes. » (Le
geste et la parole, t.
1, p. 237)
« Le comportement des communautés à l'égard de l'agression, au
cours de
l'histoire, ne s'est séparé distinctement du comportement d'agression
qu'à une
époque récente, dans la mesure où, aujourd'hui, on peut entrevoir autre
chose
que les signes précurseurs d'un changement d'attitude. Dans le cours du
temps,
l'agression apparaît comme une technique fondamentale liée à
l'acquisition, et
chez le primitif, son rôle de départ dans la chasse où l'agression et
l'acquisition alimentaire se confondent. » (idem, p. 236)
Il est évident qu'il y a là une réduction au biologique; on a un vaste
escamotage. Il n'est pas nécessaire d'insister. Nous ferons simplement
remarquer ceci. Avec la chasse il est possible que l'agressivité
interspécifique ait augmenté. Mais elle a pu être compensée, non pas
par une
diminution de celle intraspécifique, car cela supposerait qu'elle
existât
auparavant, mais par un accroissement de liaison entre les hommes et
les
femmes, afin de surmonter une séparation due au fait que les femmes ne
chassaient pas et pour réguler l'agressivité. En conséquence se pose
justement
la question de savoir quel est le déterminant de la guerre, c'est à
dire qu'il
faut comprendre comment a pu naître une certaine agressivité qui la
rendit
possible.
Il y a des éléments de continuité entre la chasse et la guerre dans la
mesure
où les instruments et certaines techniques peuvent être employés dans
les deux
cas. Ainsi au début, en ce qui concerne le mouvement d'autonomisation
du
pouvoir, donc le surgissement de l'Etat, la guerre est un pillage, une
razzia,
et conservera cet aspect pendant très longtemps. Mais ce n'est pas sa
détermination fondamentale. Pour que la guerre prenne son caractère
propre, qui
en fait une conduite typiquement d'Homo sapiens, il faut un long
procès. La
culture ne s'impose pas d'un bloc, immédiatement. On ne peut pas nier
que la
chasse ait été une présupposition de la guerre. Elle n'en est pas le
déterminant.
En repprochant à A.Leroi-Gourhan une vision zoologique, P.Clastres
aboutit à
rejeter toute dimension biologique. Or la culture se manifeste au
départ en
n'étant que le substitut du biologique, et il faut un long procès pour
qu'elle
occulte la nature, si tant est qu'elle y parvienne.
En outre, les communautés où l'État est apparu, étaient des communautés
agricoles et d'autres pastorales; les communautés étudiées par
P.Clastres sont
cueilleuses chasseresses et le phénomène qu'il décrit peut être une
exacerbation d'un phénomène présent mais qui de ce fait ne peut pas
être
strictement opposé à ce qui put se passer, parce que la réalité est
bien là :
l'État est apparu.
En ce qui concerne le discours
échangiste et le rapport entre échange et guerre, nous l'aborderons
dans le
chapitre 9.
Les réquisits de la guerre sont multiples et ne sont pas imposés de
façon
linéaire. C'est pourquoi les chasseurs deviendront des guerriers à
partir de
conditions différentes et ne s'autonomiseront en tant que tel que
lorsque
l'État se sera réellement instauré.
L. Mumford dans
La cité à travers l'histoire,
rejette l'affirmation de H. Pirenne que « la guerre est aussi
ancienne que
l'humanité » et ajoute : « Ce n'était pas cependant
pour poursuivre
l'extermination de leurs adversaires, ni pour razzier et détruire leurs
villages que les tribus primitives en venaient aux mains, mais bien
afin de
prendre vivants quelques prisonniers réservés aux immolations
rituelles, ou à
quelque festin cannibale qui lui-même faisait partie d'un cérémonial
magique. » (p. 57)
À cela nous devons ajouter que, étant donné que les femmes
représentaient la
puissance, beaucoup de conflits furent déterminés par la nécessité de
s'en
procurer. L'enlèvement d'Hélène par Paris est peut-être un lointain
écho-souvenir du phénomène.
1
8
Nous nous référons de façon prépondérante à des phénomènes ayant lieu
au
Proche-Orient et en Égypte. Cependant ils ont affecté d'autres zones
comme la
Grèce ou, à des époques fort variables, l'Afrique au sud du Sahara. En
ce qui
concerne l'Extrême-Orient, au-delà de l'Iran, de l'Inde et au sud de la
Sibérie, on a une zone centrale à partir de laquelle va s'édifier la
Chine.
Ceci s'est opéré par une confrontation entre diverses communautés
agraires et
par l'intervention des communautés pastorales nomades vivants plus au
nord.
Dans cette zone on a genèse d'un Ètat qui est fort semblable. Mais on
doit
noter l'importance de l'élément matriarcal au sein du royaume Shang. Le
véritable État naîtra lors de la conquête par les peuples pasteurs les
Tcheou
(turcs et tibétains) vers 3000 B.P. C'est de la fusion des deux peuples
que
prendra naissance la civilisation chinoise et que se développera un
Etat
particulier sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
La formation de la Chine s'est faite par un double mouvement : invasion
violente de peuples barbares qui non seulement prenaient la direction
de
l'Ètat, mais formaient des communautés à l'intérieur de la Chine de
l'époque,
et étaient progressivement sinisés; invasion pacifique des paysans
chinois dans
les territoires barbares où ils formaient de puissantes communautés qui
contribuaient à influencer leur politique. C'est ainsi qu'il y eut au
cours des
millénaires une sinisation intense et une extension territoriale
aboutissant à
la formation de l'immense nation actuelle. Ce qui fait que la Chine est
encore
en avance sur l'Europe Occidentale qui n'a pas encore réalisé son unité.
1
9
Cf. François d'Eaubonnes Les
femmes avant le
patriarcat, éd. Payot. Nous reviendrons sur
cette question dans le
chapitre : « L'asservissement des femmes ».
2
0
K.Marx parle de formes asiatiques et non d'une seule forme asiatique.
« Ainsi, dans la plus part des formes asiatiques
fondamentales,
rien ne s'oppose à ce que l'unité qui englobe et
domine toutes les
petites communautés fasse figure de propriétaire suprême
ou de propriétaire
unique, les communautés réelles étant alors de simples
possesseurs héréditaires. »
(Fondements de
la critique de l'économie
politique, t. 1 p. 437). Nous renvoyons le
lecteur à tout le
chapitre : Formes
antérieures à la
production capitaliste, parce que c'est là que
Marx a le mieux
analysé le développement de l'humanité en fonction des formes de
communauté, ce
qui nous apparaît plus rigoureux et complet que de l'analyser selon les
modes
de production. En effet, la dynamique consiste dans le fait qu'un type
de
communauté tend toujours à enserrer les divers phénomènes surgis avant,
au
moment, et après son implantation (ce qui dans ce dernier cas risque de
la
nier). C'est pourquoi on peut parler de communauté antique pour
désigner ce
qu'on nomme le mode de production antique, qui naît avec un certain
développement de la valeur, sans supplanter la propriété foncière, et
sans
s'autonomiser. Ou bien de communauté féodale où les diverses
communautés
basales sont présupposées par la propriété foncière et sont
caractérisées par
les liens de dépendance personnelle, chaque représentant d'une
communauté
donnée faisant le lien avec la communauté l'englobant, lui étant
supérieure,
jusqu'au roi représentant toute la communauté sise en un pays donné, et
où le mouvement
de la valeur reprendra son mouvement seulement à la périphérie...
Enfin, comme on l'a maintes fois montré, le capital pose finalement sa
communauté qui devient communauté despotique.
Il est préférable de parler de la forme parce qu'à partir du moment où
il y a
la séparation dont il a été question dans le texte, il n'apparaît plus
que des
communautés formelles, des formes de communauté, ou si l'on veut, des
communautés illusoires, c'est à dire des communautés où la forme peut
donner
l'illusion qu'on a retrouvé l'antique communauté. Mais la substance a
depuis
longtemps disparu. Divers substitut tendent à la remplacer : la terre,
la
valeur. En sautant jusqu'à nos jours, cela nous impose la tâche de ne
pas
demeurer piégé par une communauté illusoire.
Pour en revenir au texte de Marx, il convient de signaler qu'une étude
de
l'histoire de l'Afrique montre qu'on peut déceler des variations
importantes de
types de communautés médiatisées où l'Ètat tend à apparaître ou qui est
apparu.
Certaines formes ressemblent à celles de l'Europe ancienne ou à celles
de
l'Asie.
Il est important de noter également la forme germanique, parce qu'elle
est
déterminante pour comprendre l'histoire de l'Allemagne; il en est de
même pour
la communauté slave (cf. le texte de Marx, pp. 444-446), par rapport à
la
Russie.
2
1
« Il fallait être peint pour être homme; celui qui restait à
l'état de
nature ne se distinguait pas de la brute. » (Cl.Levi-Strauss, Tristes tropiques,
éd. Plon, p. 214)
« Les teintures de visages confèrent d'abord à l'individu sa
dignité
d'être humain; elles opèrent le passage de la nature à la culture, de
l'animal
« stupide » à l'homme civilisé. Ensuite, différentes
quant au style
et à la composition selon les castes, elles expriment dans une société
complexe, la hiérarchie des statuts. Elles possèdent ainsi une fonction
sociologique. » (idem.,
p.
220)
Ces citations appellent deux remarques : l'État n'a fait que
s'approprier une
fonction qui était exercée directement par la communauté et a accru son
importance; ces peintures sont une ébauche d'écriture. Et l'on peut
ajouter
qu'avec la dynamique étatique tout acte depuis la naissance jusqu'à la
mort ne
sera valable que s'il est déterminé, sanctionné par une pratique
étatique.
C'est la perte de toute immédiateté.
2
2
« Par conséquent le parricide d'Oedipe, où les écrivains
classiques ne
voient plus autre chose qu'un crime, était primitivement un
rite pour la
conquête du pouvoir. » (Marie Delcourt : Oedipe ou la légende du
conquérant, Ed. Les Belles Lettres,
p. 69)
« Deucalion traverse le déluge dans un larnax.
C'est un instrument
de probation, et, j'espère l'avoir montré, d'habilitation au pouvoir,
ce n'est
pas un instrument de sauvetage. » (idem, p. 59)
« Il est probable au contraire que les jeux eux-mêmes sont
nés, comme les
légendes, de joutes qui étaient des rites de probation parmi lesquels
la
conquête par meurtre fait figure de cas particulier. » (p. 84)
« Au lieu d'insister sur la jalousie sexuelle du petit garçon,
je crois
qu'il faut mettre davantage l'accent sur l'impatience avec
laquelle le
fils adulte supporte la tutelle du père vieillissant. L'hostilité entre
eux me
paraît causée moins souvent par une libido refoulée que par la volonté
de
puissance. Si cela est vrai, nous avons le droit de rapprocher la
légende
d'Oedipe d'autres contes comme celui de Pélops, où l'on voit se battre
un père
et le prétendant de sa fille. Et le thème essentiel n'est plus le duel
du père
et du fils, mais le conflit des générations. » (idem, p. 68)
Ce conflit entre générations se retrouve aussi en Mésopotamie lors de
la lutte
de Mardouk contre Tiamat (en plus du conflit matriarcat-patriarcat); le
premier
est soutenu par les jeunes dieux.
« Quant à l'union avec la mère, il est possible qu'elle soit
l'objet de
désir. Mais ce qui est certain, c'est que, réalisée, rêvée ou
simplement
déclarée, elle équivaut à une hiérogamie qui symbolise la prise de
possession
du sol. » (idem, p. 193)
« Rêver qu'il s'unit à sa mère est donc pour un homme qui
aspire au
pouvoir, une promesse de succès ou de mort, car le sein maternel est un
symbole
ambigu, ce qu'Artémidore traduit grossièrement en disant que le rêveur
doit
être couché sur sa mère et non elle sur lui. » (« Si
la mère est
couchée sur le rêveur, c'est signe de mort, car la terre recouvre les
morts ») (idem, p. 194)
Toute la littérature grecque est remplie du problème du pouvoir et
particulièrement de l'affirmation de la domination des hommes sur les
femmes;
la sexualité est secondaire. Dans tous les cas elle n'apparaît jamais
dans sa
dimension autonomisée où la posa S.Freud. Nous reviendrons sur ces
thèmes lors
de l'étude sur l'asservissement des femmes
2
3
L'importance du rôle de l'État en tant qu'opérateur de la sortie de
l'animalité, artificier de la civilisation et donc garant contre la
chaos, peut
découler du fait que l'État chinois dut constamment lutter contre les
« barbares » qui risquaient de faire retourner les
chinois à un mode
de vie antérieur, pastoral nomade. Ce phénomène a pu également
renforcer la
prédominance d'une pensée bipolaire, la binarité impliquant une
autonomisation
non encore opérante en chine.
2
4
« En somme l'unité des chinois, d'après leur tradition
nationale, aurait
été assurée par la communauté de leur division du Temps, des Travaux et
des
Jours, comme dira Hésiode en Grèce. Et cette communauté aurait été
l'oeuvre du
prêtre-roi qui, assisté de ses quatre astronomes, un pour chacune des
saisons,
et pour chacun des points cardinaux correspondants, aurait déterminé le
calendrier agricole dans son rapport avec le calendrier
astronomique. »
« (...) L'unité des caractères écrits, à laquelle on a
toujours rattaché
l'unité de la Chine, serait liée ainsi avec la nature astronomique et
agricole
de la civilisation chinoise. »
« Nous retrouvons donc, en Chine, cette union de
l'agriculture, de
l'astronomie naissante, de l'écriture et de la loi (réglementation des
travaux
suivant les saisons) que j'ai déjà signalé en Chaldée et dont les
chaldéens
avaient clairement conscience, comme l'indique chez eux la légende du
dieu
Ea. » (Berthelot, o.c., p. 86)
« La chute de la première dynastie, celle des Hia, aurait été
entraînée au
XVIII° (ou au XVI°) siècle A.C. par l'échec des prévisions
astronomiques de ses
conseillers et l'apparition de phénomènes irréguliers et imprévus (ce
qui, pour
les hommes de cette époque, était la même chose). » (idem, p.
88)
À propos du rapport
entre État et cosmos, cf. Marx
et la
Gemeinwesen, Invariance série III, n°5-6.
2
5
« La misère religieuse est, en même temps, l'expression de la
misère
réelle, et la protestation de la misère réelle. La religion est le
soupir de la
créature opprimée, le coeur d'un monde sans coeur, de même qu'elle est
l'esprit
d'un monde sans esprit. Elle est l'opium du peuple. » (Marx : Contribution à la critique de
la philosophie du
droit de Hegel)
Certains ne veulent retenir de ce passage que ce qui concerne le
« soupir », les autres que ce qui concerne
« l'opium », or
les deux éléments sont indissolublement liés.
2
6
La
littérature chinoise montre bien l'énorme importance des lettrés dans
la
société chinoise (cf. note 19 du chapitre précédent). La citation
suivante de
E. Balazs, extraite de La
bureaucratie
céleste, Ed. Gallimard, p. 144, montre bien
l'importance du procès
de connaissance pour l'État et que les mandarins sont en fait des
organes de
pouvoir de l'unité supérieure et qu'ils sont déterminés par leur
fonction (la
société chinoise était profondément lamarckienne) :
« Or les fonctionnaires lettrés sur qui repose
l'administration de
l'empire unifié, fondé par le « Premier empereur »
Quin Shihang
(221-210 av. J.C) et continué par la dynastie des Han, sont en général
aussi
des propriétaires. Seulement, et c'est très important pour la
compréhension de
la Chine impériale, la source de leur pouvoir n'est pas la propriété
privée
mais la fonction, dont l'exercice effectif détermine les
privilèges. »
2
7
P.Clastres, M Sahlins, Cl.Lévi-Strauss, ont montré que le chef était
celui qui
a le don de la parole (même si elle n'est pas écoutée, prise en
compte), du chant.
Du réquisit nous passons à l'attribut que nous ne faisons que
mentionner, car
il faudra reprendre cette étude en considérant la période postérieure à
l'émergence de l'État sous sa première forme puis sous celle où surgit
la
deuxième forme (cf. chapitre 9).
A propos de l'importance de la parole il convient de noter que le piège
d'une
affirmation d'un pouvoir autonomisé à partir d'une revendication
égalitaire se
retrouve avec la revendication des prophètes qui eux aussi ont le don
de parole
et s'opposent à l'autonomisation du pouvoir, comme l'a noté P Clastres :
« Mais, en tous, l'acte insurrectionnel des prophètes
conférait aux
premiers, par un étrange retournement des choses, infiniment plus de
pouvoir
que n'en détenaient les seconds. » (La
société contre l'État, p. 185)
Ce qui est essentiel ne réside pas dans l'existence du chef ou du
prophète,
mais dans le phénomène de renfoncement du pouvoir, et donc dans celui
de
dépendance de la majorité des membres de la communauté. La lutte entre
le
prophète et le chef ne pourra conduire - lors de la victoire
de ce
dernier - qu'à l'instauration d'un pouvoir concentré,
puissant; ce qui
n'implique pas l'élimination du prophète qui peut par la perpétuation
de son
opposition renforcer encore ce contre quoi il s'est élevé. C'est une
dynamique
que l'on voit parfaitement opérante au sein de la communauté juive.
Ceci montre également que le pouvoir en tant que répression ne pourra
plus
parasiter la parole (comme le montre R.Barthes) qu'à partir du moment
où
l'espèce aura adopté un autre comportement.
2
8
Le
roi affirme son pouvoir en dominant le temps grâce à la généalogie,
l'espace en
faisant construire des villes, des temples, etc., tandis qu'avec la
mise au
point de transports rapides, il essaie de dominer les deux à la fois.
Cela lui
permet d'englober ses sujets puisqu'il les tient dans une
représentation dont
il est le pivot central.
Certains considèrent que c'est à ce moment là qu'apparaît vraiment
l'Homme.
« Le fait humain par excellence est peut-être moins la
création de l'outil
que la domestication d'un temps et d'un espace humain. »
(Leroi-Gourhan,
o.c., t. 2, p. 139). En ce cas, Homo sapiens se définit par un fait
culturel :
sa séparation d'avec la nature.
Notons que cette affirmation pâtit, à notre avis, d'une démarche
erronée :
chercher à établir un élément fondateur.
2
9
« En rapport étroit avec la stabilité et la continuité du
pouvoir
politique, c'est à dire avec le maintien d'une autorité exposée aux
accidents
de l'histoire et aux pièges du temps, et surtout à la crise connexe à
la mort
du roi et aux rivalités posées par la succession, d'autres moments
critiques du
régime d'existence des anciennes monarchies prévalent; il apparaît
pourtant
tout à fait naturel que même cette manifestation du temps et de la
mort,
trouvant son expression la plus aiguë dans le scandale du trône vide,
fut dans
le monde antique soumis à une protection déhistorificatrice, par
l'entremise de
l'intégration dans le système mythico-rituel du dieu végétal qui
disparaît et
retourne. » (E. de Martino : Morte e
pianto rituale, Ed. Boringhieri, p.294)
Cette citation met bien en évidence la nécessité de la continuité mais
également l'importance de l'agriculture. Le procès de vie du végétal
sert
d'opérateur de connaissance pour fonder la
« royauté ». Ce qui est
une autre preuve de l'effet bouleversant qu'eut la pratique agricole
dans la
vie de l'espèce. Ainsi on peut se demander comment vont pouvoir
subsister
toutes les représentations qu'elle a déterminées, maintenant que nous
avons la
culture in vitro à partir de cellules de méristèmes, où terre et graine
sont
escamotées. En particulier comment l'Eglise catholique pourra-t-elle
maintenir
son culte inchangé avec l'évanescence de plus en plus grande du pain.
« Dans les civilisations de cueilleurs et de chasseurs et
particulièrement
chez celles qui se sont élevées jusqu'à l'agriculture utilisant la
houe, le
banquet funèbre apparaît souvent sous la forme de « manger le
mort ».
L'échec de dépassement pousse à substituer l'ingestion orale à
l'intériorisation idéale: la nécrophagie rituelle funéraire reprend ce
symptôme
de crise en le redéployant vers la vraie réappropriation qui est une
seconde
valeur. (...) Ici, l'impulsion nécrophagique de la crise trouve son
horizon
dans un certain ordre mythico-rituel au moyen duquel on s'ouvre à des
expériences de communion et de réappropriation idéales : l'estomac en
tant que
sépulcre médiatise ce mode de tuer les morts en nous qui est la tâche
du
travail des lamentations. » (idem, p. 225)
« L'ordre céréalier de l'agriculture avec la charrue eut
raison se toutes
les formes de cannibalisme et donc aussi de nécrophagie
rituelle. » (idem,
p. 228)
« Toutefois, le nouvel ethos qui consentit au passage à
l'économie
céréalière, et rendit inopérable les techniques anthropophagiques, ne
signa pas
dans un sens absolu l'entrée de l'ethos humain dans le monde, puisque
même les
civilisations qui pratiquèrent le cannibalisme luttèrent à leur façon
pour un
horizon humain... » (idem, p. 228)
A partir de là, on peut comprendre comment, ultérieurement, l'État
pourra utiliser
la mort en tant que puissance de gouvernement, et établira ce que
Libertad
appela, « le culte de la charogne », autre forme de
cannibalisme (à
comparer à celui de l'Église catholique).
La nécessité de manipuler la mort vise à maintenir la continuité du
pouvoir, ce
qui dénote que l'autonomisation de ce dernier a posé d'infinis
problèmes à Homo
sapiens.
« A seizième siècle, les funérailles des rois de France
exigent de bien
étranges rites. Le roi régnant, pourtant doté du pouvoir de commander
et de
légiférer dès l'instant de la mort du prédécesseur, n'y paraît pas.
Plusieurs
semaines durant, il fait retraite loin des préparatifs et de
l'exécution du
cérémonial funèbre, se gardant de toute participation publique aux
obsèques. (...)
Plus étonnant : au centre de tout le rituel se trouve placée, non le
corps du
roi mort, mais son « effigie », c'est à dire un
mannequin d'osier, de
bois ou de cuir, dont le visage en cire reproduit fidèlement les traits
du
monarque défunt. Cette « représentation », comme
disait la langue
ancienne, porte les insignes de la souveraineté : la couronne, le
sceptre, la
main de justice. Elle est exposée sur un lit de parade et servie tout
comme
l'était le roi de son vivant (...).
Plus tard, l'effigie est montrée au peuple parisien lors du cortège qui
traverse la ville jusqu'à Notre Dame, avant de gagner la nécropole
dynastique
de Saint Denis. Tandis que le cadavre royal, nu en son cercueil, est
porté sur
un chariot d'armes et voué aux prières des hommes d'Eglise, la
« représentation », habillée de vêtements du sacre,
détentrice des
signes du pouvoir, accompagnée par les présidents du parlement en robe
rouge,
fait en la ville, sur la litière qui l'exhibe, comme une joyeuse
entrée. Á Saint
Denis, dernière étape de l'ultime voyage, après que le cercueil a été
placé
dans son tombeau, la bannière de France est abaissée jusqu'à lui puis
relevée.
Retentit alors le cri qui marque l'achèvement du cérémonial :
« Le roi est
mort ! Vive le roi. » » (article de Roger Chartier: Le roi mort et sa représentation,
consacré
au livre de Ralph Gieser: Le
roi ne meurt
jamais, Ed. Flammarion, in « Le
monde » du 9 Octobre 1987)
3
0
« Le désir d'une vie sans limite faisait partie de la
suppression générale
des limites que provoqua le premier grand assemblement de forces au
moyen de la
mégamachine. Les faiblesses humaines, surtout la faiblesse de la
mortalité,
furent à la fois contestées et défiées. »
« Du point de vue de la vie humaine, et même de toute
existence organique,
cette affirmation de puissance était la confession d'une immaturité
psychologique - d'un échec radical à comprendre les processus
naturels de
la naissance, de la croissance, de la maturation et de la
mort. » (L.
Mumford, o.c. p.271)
On ne peut pas expliquer le comportement des rois de l'antiquité par
des
facteurs strictement psychologiques (surtout individuels), car la même
immaturité serait opérante actuellement, puisque beaucoup d'hommes et
de femmes
croient en la vie éternelle, à un dieu tout puissant auquel ils
s'identifient,
etc.
Ce qui est en question c'est bien la perte de contact avec l'ensemble
des
hommes et des femmes. Ce déracinement est une présupposition à la
production de
l'individu, qui est une particule tendant à recomposer la totalité à
partir de
soi, donc à s'enfler. Ceci explique la continuité entre la démesure du
roi et
celle des individus actuels cultivant leur égo.
3
1
Cf. à ce propos La
mystification démocratique, 1969,
republiée dans Invariance, série III, n°9.
Henri Francfort dans la Royauté
et les
dieux - Intégration de la société dans la nature dans la
religion de
l'ancien Proche-Orient, éd. Payot, parle lui
aussi de démocratie
primitive :
Autrement dit, le phénomène de transformation d'une communauté
immédiate en une
communauté où s'impose le médiateur étatique, mais où l'État est une
sécrétion
de la communauté, n'est pas aussi développé en Mésopotamie qu'en Égypte. Ceci
est certainement dû à des conditions écologiques différentes: il n'y a
pas une
nécessité aussi urgente dans les deux cas d'engendrer un organe
d'intervention.
En conséquence les antiques relations où chaque membre de la communauté
peut la
représenter persistent en Mésopotamie, et le roi ne sera jamais que le
membre
le plus important parmi le groupe donné de représentants de la
communauté.
D'ailleurs le mot roi est utilisé souvent pour traduire lugal, qui
signifie
grand homme. En conséquence, celui-ci ne devient pas un dieu, comme le
pharaon
égyptien, mais il est choisi par les dieux. À ce sujet le livre de
Frankfort fournit
une foule d'informations très précieuses.