KARL
MARX
PEUCHET:
AU SUJET DU SUICIDE
La
critique française de la société Possède
au moins en
partie le grand avantage d'avoir mis en évidence les contradictions et
la
monstruosité de la vie moderne non seulement dans les rapports sociaux
de
classes particulières mais dans tous les cercles et toutes les
structures de
l'ensemble des relations sociales actuelles et, cela, avec des
des_c_r_i_p_tions
d'une vivacité immédiate, d'une intuition profonde, d'une délicatesse
et d'une
originalité d'homme du monde qu'on peut vainement chercher chez toute
autre
nation. Que l'on compare, par exemple, les exposés critiques d'Owen et
de
Fourier, dans la mesure où ils concernent le mouvement social actuel,
pour se
faire une idée de cette supériorité des français. Ce n'est pas
en France,
seulement chez des écrivains véritablement et proprement « socialiste »
que l'on doit chercher la des_c_r_i_p_tion critique des conditions sociales
mais
chez des écrivains appartenant à toutes les branches de la littérature,
notamment de la
littérature
romanesque et des mémoires. Je vais donner, â l'aide de quelques
extraits concernant
«
Le suicide » pris
dans les « mémoires tirés des
archives de police etc... par Jacques Peuchet », un exemple de cette
critique
française qui peut immédiatement montrer jusqu'à quel point peut être
fondée
l'illusion des bourgeois philanthropes selon laquelle il s'agirait de
donner un
peu de pain et d'éducation aux prolétaires, que seul le travailleur
s'étiolerait seulement à cause de l'état social actuel et, qu'ensuite,
le monde
existant serait le meilleur des mondes.[1]
Chez
J. Peuchet, comme chez beaucoup de vieux praticiens
français, presque tous disparus, qui ont connu, depuis 1789, les
innombrables
illusions, enthousiasmes, constitutions, régimes, défaites et
victoires, la
critique des rapports de propriété, des rapports familiaux existants
et,
particulièrement, des rapports privés, en un mot de la vie
privée, apparaît
comme la conséquence de leurs expériences politiques. J. Peuchet (né en
1760)
passa des belles lettres à la médecine, de la médecine à la
jurisprudence, de
la jurisprudence à l'administration et à la police. Avant l'éruption de
la
révolution française il travailla avec l'Abbé Morellet à un dictionnaire
du
commerce dont,
seul, le prospectus est paru et, depuis lors,
s'occupa de préférence d'économie politique et de l'administration.
C'est
seulement durant une courte période que Peuchet fut un partisan de la
révolution française; il se tourna très tôt vers le parti royaliste et
eut,
durant un certain temps, la direction de la Gazette de France et, plus
tard, se
chargea de la fameuse publication royaliste le «Mercure » de Mollet
du Pan. Il
se faufila de façon très rusée à travers la révolution française,
tantôt poursuivi,
tantôt occupé au département de l'administration et de la police. La
géographie
commerçante (5 volumes, in folio) qu'il publia en 1800 attira sur lui
l'attention de Bonaparte, le premier consul; il fut nommé membre du Conseil
du commerce
et des arts. Plus
tard il
occupa, sous le ministère de François de Neufchateau, une place élevée
dans
l'administration. En 1814 la Restauration le fit censeur. Durant les
cent jours
il se retira. Lors de la restauration des Bourbons il obtint le poste
de conservateur
des archives de la préfecture de police de Paris qu'il occupa jusqu'en
1827.
Peuchet allait droit au but et en tant qu'écrivain, il ne fut pas sans
influencer les orateurs de la Constituante, de la Convention, du
Tribunal ainsi
que, sous la Restauration, les députés dé la Chambre. Parmi ses
nombreuses
œuvres, la plupart économiques, la plus connue, en dehors de sa
géographie
commerçante déjà citée, est sa Statistique de la France (1807).
Peuchet
rédigea
ses mémoires, dont il rassembla la matière à partir des archives de la
police
de Paris et à partir de sa longue expérience pratique dans la police et
dans
l'administration, alors qu'il était vieux, et ne laissa paraître
qu'après sa
mort de telle sorte qu'on ne peut en aucun cas le compter parmi les
socialistes
et les communistes "irréfléchis" dont la merveilleuse profondeur et
les connaissances universelles se distinguent nettement de la grande
médiocrité
de notre écrivain, bourgeois fonctionnaire et pratique.
Ecoutons
notre conservateur des archives de la préfecture de police au sujet du
suicide.
Le
chiffre annuel
des suicides, en quelque façon normal et périodique parmi nous, ne peut
être
considéré que comme le symptôme d'un vice constitutif de la société
moderne,
car à l'époque des disettes et dans les hivers rigoureux, ce symptôme
est
toujours plus manifeste, de même qu'il prend un caractère épidémique
lors des
haltes de l'industrie et quand les banqueroutes se succèdent en
ricochet. La
prostitution et le vol grandissent alors dans la même proportion. En
principe,
bien que la plus large source du suicide découle principalement de la
misère, nous
le retrouvons dans toutes les classes, chez les riches désoeuvrés,
comme chez
les artistes et les hommes politiques. La diversité des causes qui le
motivent
nous paraît échapper au blâme uniforme et sans charité des moralistes.
Des
maladies de
consomption; contre lesquelles la science actuelle est inerte et
insuffisante,
des amitiés, méconnues, des amours trompés, des ambitions qui se
découragent, des
douleurs de famille, une émulation étouffée, le dégoût d'une vie
monotone, un
enthousiasme refoulé sur lui-même, sont très certainement des occasions
de
suicide pour les natures d'une certaine richesse, et l'amour même de la
vie,
ressort énergique de la personnalité, conduit fort souvent à se
débarrasser
d'une existence détestable.
Madame
de Staël,
qui ressassa beaucoup de lieux communs et les réhabilita quelque temps
dans le
plus beau style du monde, s'est attachée à démontrer que le suicide est
une
action contre nature, et que l'on ne saurait le regarder comme un acte
de courage;
elle a surtout établi qu'il était plus digne de lutter contre le
désespoir que
d'y succomber. De semblables raisons affectent peu les âmes que le
malheur
accable. Sont-elles religieuses, elles spéculent sur un meilleur monde;
ne
croient-elles en rien au contraire, elles cherchent le repos du néant.
Les tirades
philosophiques n'ont aucune valeur à leurs yeux, et sont d'un faible
recours
dans le chagrin. Il est surtout absurde de prétendre qu'un acte qui se
consomme
si fréquemment soit un acte contre nature; le suicide n'est d'aucune
manière
contre nature, puisque nous en sommes journellement les témoins. Ce qui
est
contre nature n'arrive pas. Il est au contraire de
la nature de notre société d'enfanter
beaucoup de suicides;
tandis que les Berbères et les Tartares ne se suicident pas. Toutes
les sociétés n'ont donc pas les
mêmes produits; voilà
ce qu'il faut se dire pour travailler à la réforme de la nôtre, et la
faire
gravir un des échelons supérieurs de la destinée du genre humain. Quant
au
courage, si l'on passe pour en avoir dès que l'on brave la mort en
plein jour
et sur le champ de bataille, sous l'empire de toutes les excitations
réunies,
rien ne prouve que l'on en manque nécessairement quand on se donne la
mort
soi-même et dans les ténèbres. On ne tranche pas une
pareille controverse par des insultes contre les
morts. [Que le motif qui détermine l'individu à se tuer soit léger ou
ne le
soit pas, la sensibilité, ne saurait se mesurer
chez les hommes sur
la même échelle; on ne peut pas plus conclure à l'égalité des
sensations qu'à
celle des caractères et des tempéramens; et tel événement n'excite
qu'un
sentiment imperceptible chez les uns, qui fait naître une douleur
violente chez
les autres. Le bonheur ou le malheur ont autant de manières d'être et
de se
manifester qu'il y a de différences entre les individus et les esprits.
Un
poète a dit: Ce qui fait ton bonheur deviendrait mon tourment; Le prix
de ta
vertu serait mon châtiment.] [2].
Tout
ce que l'on a dit contre le suicide tourne dans le même cercle d'idées.
On
oppose au suicide les décrets de la Providence, [sans nous faire lire
ces
décrets d'une façon bien claire, puisque, après tout, ceux qui se
frappent en
doutent. Ce peut être par la faute de ceux qui n'auront pas rendu les
termes de
ces décrets-là intelligibles et satisfaisans. Le diamant de l'Évangile
est
lui-même resté dans son argile] On nous parie de nos devoirs envers la
société,
sans que nos droits sur la société soient à leur tour nettement définis
et
établis; et l'on exalte enfin le mérite plus grand mille fois, dit-on,
de
surmonter la douleur que d'y succomber, ce qui est un aussi triste
mérite
qu'une triste perspective. Bref, on en fait un acte de lâcheté, An
crime contre
les lois et l'honneur.
D'où
vient que, malgré tant d'anathèmes, l'homme se tue? C'est que le sang
ne coule
pas de la même façon dans les veines des gens désespérés que le sang
des êtres
froids qui se donnent le loisir de débiter tous ces stériles
raisonnements.
[Peut-être
n'a-t-on pas encore étudié toutes les causes
qui président au suicide; on n'examine pas assez les subversions de
l'âme dans
ces terribles momens, et quels germes vénéneux de très longues douleurs
ont pu
développer insensiblement dans le caractère]. L'homme semble un mystère
pour l'homme;
on ne sait que blâmer et l'on ignore[3].
A
voir combien les institutions sous l'empire desquelles vit l'Europe
disposent
légèrement du sang et de la vie des peuples, et, aussi, comme la
justice
Civilisée s'environne d'un riche matériel de prisons, de châtimens,
d'instrumens
de supplice pour la sanction de ses arrêts incertains; et le nombre
inouï de
classes laissées de toutes parts dans la misère; et les parias sociaux
qu'on
frappe d'un mépris brutal et préventif pour se dispenser peut-être de
les arracher
à leur fange; à voir tout cela, on ne conçoit guère en vertu de quel
titre on
pourrait ordonner à l'individu de respecter sur lui-même une existence
dont nos
coutumes, nos préjugés, nos lois et nos mœurs font si généralement bon
marché.
[Quel
que soit le motif principal et déterminant du suicide, il est certain
que son
action agit avec une puissance absolue sur sa volonté. Pourquoi donc
s'étonner
si, jusqu'à présent, tout ce qu'on a dit ou fait pour vaincre cet
entraînement
aveugle, est resté sans effet, et si les législateurs et les moralistes
ont
également échoué dans leurs tentatives? Pour en arriver à comprendre le
cœur humain, il
faut d'abord avoir la miséricorde
et la pitié du Christ].
On
a cru pouvoir arrêter les suicides par des peines flétrissantes et par
une
sorte d'infamie jetée sur la mémoire du coupable. Que dire de
l'indignité d'une
flétrissure lancée sur des gens qui ne sont plus là pour plaider leur
cause?
Les malheureux s'en soucient peu du reste; et si le suicide accuse
quelqu'un
vis-à-vis de Dieu, l'accusation plane surtout sur les gens qui restent;
puisque, dans cette foule, pas un n'a mérité que l'on vécût pour lui.
Les
moyens puérils et atroces qu'on a imaginés ont-ils lutté
victorieusement contre
les suggestions du désespoir? Qu'importent à l'être qui veut fuir le
monde les
injures que le monde promet à son cadavre! Il ne voit dans l'ignominie
de la
claie que l'opinion lui prépare qu'une lâcheté de plus de la part des
vivans. Qu'est-ce,
en effet, qu'une société où
l'on trouve la solitude la plus profonde au sein de plusieurs millions
d'âmes,
où l'on peut être pris d'un désir implacable de se tuer sans que qui
que ce
soit nous devine? Cette société-là n'est pas une société; c'est, comme
le dit
Jean-Jacques, un désert peuplé des bêtes féroces.
Dans
les places que j'ai remplies a l'administration de la police, les
suites des suicides
étaient
en partie dans mes
attributions; j'ai voulu connaître si dans leurs causes déterminantes
il ne
s'en trouverait pas dont on
pût
modérer ou prévenir l'effet. J'avais
entrepris sur ce sujet important un travail considérable. Sans
m'appesantir sur
des théories, j'essaierai de présenter des faits[4].
Parmi
les causes de désespoir qui font rechercher la mort aux personnes
douées d'une
grande susceptibilité nerveuse, aux êtres passionnés et mélancoliques,
j'ai
remarqué, comme fait prédominant, les mauvais traitemens, les
injustices, les
peines secrètes, que des parens durs et prévenus, des supérieurs
irrités et menaçans,
font éprouver aux personnes qui sont dans leur dépendance. La
révolution n'a pas fait tomber
toutes les tyrannies; les inconvéniens reprochés aux pouvoirs
arbitraires
subsistent dans les familles; ils y causent des crises analogues à
celles des
révolutions. [Est-il
sûr, comme on le suppose, que la crainte de voir leurs amis, leurs
parents ou
leurs domestiques, livrés à l'infamie, et les corps traînés dans la
boue,
ramènerait ces hommes impitoyables à la prudence, à la modération, à la
justice
envers leurs inférieurs, et les porterait d prévenir ainsi des meurtres
volontaires,
commis dans la pensée de se soustraire à leur domination? Je ne le
pense pas;
ce serait, par un double sacrilège, souiller deux cultes à la fois, le
culte
des vivants et le culte des morts. On ne voit pas jusqu'ici que ce
moyen ait
atteint le but; on y a sagement renoncé.
Pour
obtenir un bon résultat sur
l'esprit des supérieurs envers leurs subordonnés, et principalement sur
les
parents entre eux, on a pensé que la crainte de se voir atteint par la
diffamation et le scandale public serait encore une mesure efficace.
Cette
mesure ne suffirait pas, et le blâme plein d'amertume qu'on verse à
loisir sur
le maheureux qui s'est arraché la vie, diminue chez les provocateurs,
si même
il n'en éteint le sentiment en eux, la honte
de tous ces scandales et la conscience
d'en avoir été les vrais provocateurs. Le clergé me semble plus
irréligieux que
la société même lorsqu'il donne la main à de si lâches préjugés par le
refus de
toute sépulture religieuse]. En somme, les rapports entre les intérêts
et les
esprits, les véritables relations entre les individus, sont à créer de
fond en comble parmi
nous; et le suicide
n'est qu'un des mille et un
symptômes de cette lutte sociale, toujours, flagrante, dont tant de
combattants
se retirent parce qu'ils sont las de compter parmi tes victimes et
parce qu'ils
se révoltent contre la pensée de prendre un grade au milieu des
bourreaux[5].
En
veut-on
quelques exemples; je vais les extraire des procès-verbaux authentiques.
Dans
le mois de juillet 1816, la fille d'un tailleur, domicilié sous les
piliers des
halles, était promise en mariage a un étalier boucher, jeune homme de
bonnes
mœurs, économe et laborieux, très épris de sa jolie fiancée, qui le lui
rendait
bien. La jeune fille était couturière; elle avait l'estime de tous ceux
qui la
connaissaient; et les parents de son futur l'aimaient tendrement. Ces
braves
gens ne laissaient échapper aucune occasion d'anticiper sur la
possession de
leur bru; on imaginait des parties de plaisir dont elle était la
reine
et
l'idole. [L'estime générale ajoutait à l'estime que les fiancés avaient
l'un
pour l'autre].
L'époque
du mariage arrive; tous les arrangemens sont faits entre les deux
familles, et
les conventions arrêtées. La veille du jour fixé
pour se rendre à la
municipalité, la jeune fille et ses parents devaient souper dans la
famille du
jeune homme; un léger incident survint. De l'ouvrage à rendre pour une
riche
maison de leur clientelle retint au logis le tailleur et sa femme; ils
s'excusèrent; mais la mère de l'étalier s'obstinant, vint chercher sa
petite
bru qui reçut l'autorisation de la suivre.
Malgré
l'absence de deux des principaux convives, le repas fut des plus
joyeux. Il se
débita beaucoup de ces gaudrioles de famille que la perspective d'une
noce
autorise. [La belle-mère se voyait déjà marraine d'un gros poupon. On
but, on
chanta]. L'avenir fut mis sur le tapis. Fort avant dans la nuit, on se
trouvait
encore à table. Par une tolérance qui s'expliue, les parens du jeune
homme,
enthousiasmés de leurs enfans et jouissant de leur double tendresse,
fermèrent
le yeux sur le tacite accord des deux futurs. Les mains se cherchaient;
le feu
se mettait aux poudres. L'amour et la familiarité leur montaient la
tête. Après
tout, l'on regardait le mariage comme fait; et ces pauvres jeunes gens
se
fréquentaient depuis longtemps sans que l'on eût le plus léger reproche
à leur
adresser? Jamais les plaisirs d'un bon mariage n'avaient été analysés
plus
vivement. L'attendrissement du père et de la mère du fiancé, à qui ce
couple
d'amoureux rappelait des souvenirs de jeunesse, l'heure avancée, des
désirs
mutuels et déprisonnés par la tolérance de leurs mentors, la gaieté
sans gêne
qui règne toujours dans de semblables repas, tout cela réuni, et
l'occasion qui
s'offrait en souriant, et le vin qui pétillait dans les cerveaux, tout
favorisait un dénouement qui se devine. Les amoureux se retrouvèrent
dans
l'ombre, lorsque l'on eut éteint les lumières. On fit semblant de n'y
rien
comprendre, de ne pas s'en douter. Leur bonheur n'avait là que des amis
et pas
d'envieux. [Le fond prit un instant le pas sur la forme, et ce plaisir
à demi
dérobé ne dut en être que plus doux].
La
jeune fille ne retourna chez ses parens que le
lendemain matin. Ce qui
prouve combien elle se croyait peu coupable, c'est qu'elle y revint
seule. [Son
tort était grand sans doute, n'eût-elle considéré que l'inquiétude des
siens
grâce au prolongement d'absence; mais si jamais la bonté, l'indulgence,
la prudence,
la retenue, furent imposées à des parens envers un enfant, ce devait
être dans
une circonstance pareille, puisque tout s'apprêtait pour légitimer
l'escapade
amoureuse. De plus coupables ont été plus heureux].
La
petite se glissa dans sa chambre et dépêcha sa toilette; mais ses
parens
l'eurent à peine aperçue, que, dans un accès de colère dont on ne put
les
détourner, ils prodiguèrent à leur fille, avec acharnement, tous les
noms,
toutes les épithètes dont on peut se servir pour vouer l'imprudence au
déshonneur. Le voisinage en fut témoin, le scandale n'eut pas de
bornes. Jugez
de la secousse dans une âme qui se sentait vierge par sa pudeur et par
le
mystère que l'on outrageait. Vainement l'enfant éperdue représentait à
ses
parens qu'ils la livraient eux-mêmes à la diffamation, qu'elle avouait
son
tort, sa folie, sa désobéissance; mais que tout allait être réparé. Ses
raisons
et sa douleur ne désarmèrent pas leur furie. Compères et commères
accoururent à
l'éclat, et firent chorus[6].
Le sentiment de la
honte qui résultait de
cette scène affreuse fit prendre à l'enfant la résolution de s'ôter la
vie;
elle descendit, d'un pas rapide, à travers les malédictions, et courut,
l'égarement
dans les yeux, se précipiter à la rivière; les mariniers ne la
retirèrent de
l'eau que morte, et parée de ses ornemens de noces. Comme de raison,
ceux qui
s'étaient d'abord mis contre la fille, se tournèrent aussitôt contre
les
parens: cette catastrophe épouvantait leurs âmes[7]
Peu
de jours
après, les parens vinrent réclamer à la police une chaîne d'or, que
l'enfant
portait à son cou, et que le père de son futur lui avait donnée, une
montre
d'argent doré, des boucles d'oreilles et une bague garnie d'une petite
émeraude, tous objets qui avaient été déposés dans les bureaux, comme
on le
pense bien.
Je
ne manquai pas
de reprocher avec force à ces gens leur imprudence et leur barbarie.
Dire à ces
forcenés qu'ils en rendraient compte devant Dieu, vu leurs préjugés
étroits, et
le manque de religion qui règne dans les basses classes mercantiles,
ç'aurait
été leur faire trop peu d'impression; la cupidité les attirait, plus
que le
désir de posséder deux ou trois reliques; je crus pouvoir les punir par
là. Ils
réclamaient les bijoux de la jeune fille; je les leur refusai; je
gardai les certificats
dont ils avaient besoin pour retirer ces effets de la caisse où,
suivant
l'usage, on les avait déposés. Tant que je fus à ce poste, ils eurent
tort dans
leurs réclamations, et je pris plaisir à braver leurs injures. Ce n'est
que
depuis ma sortie qu'ils en ont obtenu la remise.
La
même année, un jeune créole, d'une
figure charmante, appartenant à l'une des plus riches familles de
la Martinique, se présenta dans mon
bureau, et dès que nous fûmes seuls, me fit la révélation d'une de ces
plaies
qui laissent d'incurables ulcères au foyer de la vie privée. Il venait
s'opposer formellement à la remise du cadavre d'une jeune femme, sa
belle-sœur,
que le mari, propre frère du créole, réclamait depuis la veille. Cette
femme
s'était noyée. Ce genre de mort volontaire est le plus fréquent. Les
préposés à
la fouille de la rivière avaient retrouvé le corps non loin de la grève
d'Argenteuil. Par un de ces instincts réfléchis dé pudeur qui domine
les
femmes, jusque dans l'aveuglement du désespoir, la triste victime avait
noué
soigneusement la frange de sa robe autour de ses pieds. Cette
précaution
pudique prouvait le suicide jusqu'à l'évidence. À peine était-elle
défigurée
lorsque les mariniers la transportèrent à la Morgue. Sa beauté, sa
jeunesse, la
richesse de ses vêtemens, prétaient à mille conjectures sur la cause
première
de cette catastrophe. L'affliction du mari, qui la reconnut le premier,
passait
d'ailleurs les bornes; il ne comprenait pas le premier mot de ce
malheur, du
moins me l'avait-on dit; je n'avais pas encore vu cet homme. Je
représentai au
créole que nul ne pouvait prévaloir contre les droits et la réclamation
du mari
qui faisait en ce moment élever un magnifique tombeau de marbre pour
ensevelir
les restes inanimés de sa femme. «Après l'avoir tuée, le monstre! »
criait le
créole en se promenant avec agitation.
À
la chaleur du
désespoir de ce jeune homme, à ses supplications pour que
j'obtempérasse à ses
voeux, à ses larmes, je crus reconnaître des symptômes d'amour, et je
le lui
dis. Il me l'avoua; mais en me jurant, avec les attestations les plus
vives,
que sa belle-sœur n'en avait jamais rien su. Seulement, pour mettre à
l'abri la
réputation de sa belle-sœur que
ce
meurtre volontaire pouvait faire accuser d'une intrigue par l'opinion
publique
toujours prompte à noircir le chagrin, il prétendait produire à la
lumière les
barbaries de son frère, fallût-il s'asseoir pour cela lui-même sur la
sellette
d'un tribunal. Il me suppliait de le guider dans cette affaire. À
travers le
décousu de sa révélation emportée, voici ce que je recueillis. M. de
M..., frère de ce
créole, homme à bonnes fortunes, avec des goûts d'artiste aimant le
luxe et la
vie de représentation, s'était uni depuis moins d'un an à cette jeune
femme,
sous les auspices d'une inclination réciproque; ils formaient le plus
beau
couple que l'on pût voir. Après le mariage, un vice de sang, venu de
famille
peut-être, s'était déclaré tout à coup et violemment dans la
constitution du
nouvel époux. Cet homme, si fier d'un beau physique, d'une tournure
élégante,
et d'une perfection de formes qui semblaient ne pas lui permettre de
craindre
des rivaux autour de lui, travaillé tout à coup par un mal inconnu
contre les
ravages duquel la science avait échoué, s'était misérablement
transformé des
pieds à la tête. Il avait perdu ses cheveux; sa colonne vertébrale
s'était
déviée; de jour en jour, la maigreur et les rides le métamorphosaient a
vue
d'oeil; pour les autres, du moins! car son amour-propre essayait de se
soustraire à l'évidence. Mais ceci ne l'alitait pas; une vigueur de fer
semblait triompher des atteintes de ce mal! il se survivait
vigoureusement dans
ses propres débris. Le corps tombait en ruines et l'âme restait debout.
II
continuait de donner des fêtes, de présider à des parties de chasse, et
de
mener le riche et fastueux train de vie qui paraissait la loi de son
caractère
et de sa nature. Cependant, les avanies, les quolibets, les mots
plaisans des
écoliers et des gamins lorsqu'il se promenait à cheval dans les
promenades, des
sourires désobligeans et moqueurs, d'officieux avertissements d'amis
sur les
nombreux ridicules qu'il se donnait par l'obstination de ses manières
galantes
auprès des femmes dont il devenait le plastron, dissipèrent enfin son
illusion
et le mirent sur ses gardes vis-à-vis de lui-même. Dès qu'il s'avoua sa
laideur
et sa difformité, dès qu'il en eut la conscience, son caractère
s'aigrit, des
pusillanimités lui vinrent. Il parut moins empressé de conduire sa
femme aux
soirées, aux bals, aux concerts; il se réfugia dans sa demeure, à la
campagne;
supprima les invitations, élimina des gens sous mille prétextes; et les
politesses
de ses amis envers sa femme, tolérées par lui tant que l'orgueil lui
donnait la
certitude de sa supériorité, le rendirent jaloux, soupçonneux, violent.
Il
voyait dans tous ceux qui persévéraient à le fréquenter le parti pris
de faire
capituler le cœur de
celle qui lui
restait comme son dernier orgueil et sa dernière consolation. Vers ce
temps, le
créole arriva de la Martinique pour des affaires dont la réinstallation
des
Bourbons sur le trône de France semblait devoir favoriser la réussite.
Sa
belle-soeur lui fit un excellent accueil; et, dans le naufrage des
relations
sans nombre qu'elle avait contractées, mais qu'il fallut voir
s'engloutir, le
nouveau venu conserva les avantages que son titre de frère lui donnait
tout
naturellement auprès de M. de M... Notre créole prévit la solitude qui
se
formerait autour de ce ménage, tant par les querelles directes que son
frère
eut avec plusieurs amis, que par mille procédés indirects pour en venir
à
chasser et à décourager les visiteurs. Sans trop se rendre compte de
l'impulsion
amoureuse qui le rendait exclusif lui-même, le créole approuva ces
idées de
retraite, et les favorisa même de ses conseils.
M. de M.... taillant dans le vif, finit par se retirer tout à
fait dans une
jolie maison de Passy, qui devint en peu de temps un désert.
La
jalousie
s'alimente des moindres choses. Quand elle ne sait à quoi se prendre,
elle se
consume et s'ingénie; tout 1C sert d'aliment. Peut-être la jeune femme
regrettait-elle les plaisirs de son âge. Des murs interceptèrent la vue
des habitations
voisines; les persiennes furent fermées du matin au soir.
M. de M.... rôdait avec des armes pendant la nuit, et faisait
sa ronde avec
des chiens. Il s'imaginait apercevoir des traces sur le sable, et
créait des
suppositions étranges à propos d'une échelle changée de place par le
jardinier.
Le jardinier lui-même, ivrogne presque sexagénaire, fut mis à la porte:
L'esprit d'exclusion n'a pas de frein dans ses outrages, il va jusqu'à
l'imbécillité.
Le frère, innocent complice de tout cela, comprit enfin qu'il
travaillait au
malheur de la jeune femme, qui, de jour en jour surveillée, insultée,
privée de
tout ce qui pouvait distraire une imagination riche et heureuse, devint
chagrine et mélancolique autant qu'elle avait été franche et rieuse.
Elle pleurait
et cachait ses larmes, mais la trace en était assez visible. Un remords
vint au
créole. Résolu de s'expliquer naïvement avec sa belle-sœur, et de
réparer une
faute à laquelle un sentiment furtif d'amour donnait assurément
naissance, il
se glissa de bon matin sous un bosquet où de temps en temps la captive
allait
prendre l'air et cultiver des fleurs. En usant de cette liberté si
restreinte,
elle se savait, il faut le croire, sous l'oeil de son jaloux; car, à
l'aspect
de son beau-frère, qui se trouvait pour la première fois et à
l'improviste en
tête-à-tête avec elle, la jeune femme montra la plus grande alarme.
Elle
joignit les mains:
Eloignez-vous,
au
nom du ciel! lui dit-elle avec terreur; éloignez-vous!
Et,
de fait, le
beau-frère eut à peine le temps de se cacher dans une serre, que M. de
M...
survint. Le créole entendit des éclats, il voulut écouter; le battement
de son
coeur l'empêcha de saisir le plus léger mot d'une explication que cette
fuite,
si le mari la découvrait, pouvait rendre plus déplorable encore. Cet
incident
aiguillonna le beau-frère; il y vit la nécessité d'être dès ce jour le
protecteur d'une victime. Il s'efforça de sacrifier toute
arrière-pensée d'amour,
dans la résolution de se dévouer pour sa belle-sœur. L'amour peut aller
jusqu'au renoncement le plus absolu, sans abdiquer néanmoins son droit
de
protectorat car ce dernier renoncement serait d'un lâche. Il continua
de voir
son frère, prêt à lui parler franchement, à s'avouer, à lui dire tout. M. de M.... n'avait
pas encore de soupçons
de ce côté; mais cette persistance de son frère en fit naître. Sans
lire trop
clairement dans les causes de cet intérêt, M. de M.... s'en méfia,
prévoyant ce
que l'intérêt pourrait devenir. Le créole comprit bientôt que son frère
n'était
pas toujours absent, comme il le prétendait après coup, toutes les fois
que
l'on venait inutilement sonner à la porte de la maison dé Passy. Un
ouvrier serrurier
fit les clefs que l'on voulut sur le modèle de celles que son bourgeois
avait
déjà forgées pour M. de M... Le créole ne s'effrayait pas des chiens de
garde:
les chiens le connaissaient. Après un éloignement de dix jours, rouerie
assez habile
de l'époux, le créole, exaspéré par la crainte, et se mettant lui-même
des
chimères dans l'esprit, pénétra de nuit dans l'enclos, franchit une
grillé
placée devant la cour principale, atteignit les toits au moyen d'une
échelle,
et se glissa le long des plombs jusque sous la fenêtre d'un grenier qui
lui
permit d'arriver près de la chambre à coucher de son beau-frère. Des
exclamations violentes lui donnèrent la facilité d'arriver contre une
porte
vitrée. Ce qu'il vit le navra. La clarté d'une lampe éclairait
l'alcôve. Sous
les rideaux, les cheveux en désordre et la figure pourpre de rage, M.
de M... à
demi-nu, agenouillé près de sa femme et sur le lit même dont elle
n'osait
sortir, quoiqu'en se dérobant à demi, l'accablait des reproches les
plus
sanglans, et semblait un tigre prêt à la mettre en pièces.
-
Oui! lui
disait-il, je suis hideux, je suis un monstre, et je ne le sais que
trop; je te
fais peur. Tu voudrais qu'on te débarrassât de moi, qu'on te délivrât
de ma
vue. Tu désires l'instant qui te rendra libre. Et ne me dis pas le
contraire;
je devine ta pensée dans ton effroi, dans ta répugnance, dans tes
larmes. Tu
rougis des indignes sourires que j'excite, et je te révolte! Tu comptes
sans
doute une par une les minutes qui doivent s'écouler jusqu'à ce que je
ne t'obsède
plus de mes infirmités et de ma présence. Tiens! il me prend des désirs
affreux, des rages de te défigurer, de te rendre semblable à moi, pour
que tu
ne puisses conserver l'espoir de te consoler avec tes amans du malheur
de
m'avoir connu. Je briserai toutes les glaces de cette maison, pour
qu'elles ne
me reprochent pas un contraste, pour qu'elles cessent d'alimenter ton
orgueil.
Ne faudrait-il pas te mener ou te laisser aller dans le monde, pour
voir chacun
t'encourager à me haïr? Non, non! tu ne sortiras d'ici qu'après m'avoir
tué.
Tue-moi! Préviens ce que je suis tenté de faire tous les jours. Tue-moi!
Et
le forcené se
roulait sur le lit avec des cris, avec des grincemens, de l'écume aux
lèvres et
mille symptômes de frénésie, avec des coups qu'il se portait lui-même
dans sa fureur, près de cette
femme éperdue qui lui prodiguait les caresses les plus tendres et les
supplications les plus pathétiques. Enfin elle le dompta. La
miséricorde avait
sans doute remplacé l'amour; mais ce n'était pas assez pour cet homme
devenu si
repoussant, et dont les passions avaient encore tant d'énergie. Un long
abattement fut la suite de cette scène qui pétrifia le créole. Il
frémit, et ne
sut à qui s'adresser pour soustraire la malheureuse à ce supplice.
Cette scène,
évidemment, devait se renouveler tous les jours; car, dans les spasmes
qui la
suivirent, madame de M.... recourut à des fioles préparées par elle, à
dessein
de rendre un peu de calme à son bourreau. Le créole, à Paris,
représentait à
lui seul, pour le moment, la famille de M. de M....; peut-être
deviendrait-il
dangereux de risquer une démarche. C'est dans ce cas surtout que l'on
pourrait
maudire la lenteur des formes juridiques et l'insouciance des lois que
rien ne
ferait sortir de leurs allures compassées, parce qu'après tout, il ne
s'agissait que d'une femme, l'être que le législateur entoure le moins
de
garanties. Une lettre de cachet, une mesure arbitraire auraient seules
prévenu
des malheurs que le témoin de ces rages prévoyait trop. I1 se résolut
pourtant
à risquer le tout pour le tout, sauf à prendre les suites à son compte,
sa
fortune le mettant à même de faire d'énormes sacrifices, et de ne pas
craindre
la responsabilité de toutes les audaces. Déjà des médecins de ses amis,
déterminés comme lui-même, préparaient une irruption dans la maison de
M. de
M.... pour constater ces momens de délire et séparer de vive force les
deux
époux, lorsque l'événement du suicide, en éclatant, justifia des
prévisions tardives
et trancha la difficulté.
Certes,
pour quiconque ne borne pas tout l'esprit des mots à leur lettre, ce
suicide
était un assassinat; mais il était aussi le résultat d'un vertige
extraordinaire
de jalousie[8];
et le malheureux
mari, qui survécut fort peu de temps à sa femme, échappait à
l'accusation de
son frère autant à la faveur des termes exprès de notre législation que
par
l'exagération même du penchant qui le rendait coupable. On juge bien
que cette
affaire n'eut pas d'autres suites, et que je parvins, sinon à rendre la
paix au
créole, du moins à l'empêcher de faire un éclat inutile et dangereux.
Dangereux
surtout pour la mémoire de celle qu'il aimait, car les désœuvrés
auraient
accusé la victime d'une liaison adultère avec le frère de son mari. Le
cadavre
fut remis à M. de M...., dont la douleur occupa la capitale par une
scène
déchirante au cimetière Montmartre, lorsque le prêtre jeta la dernière
pelletée
de cendre sur le cercueil. J'en fus témoin, et le reproche expira sur
mes
lèvres. Personne ne sut, sinon le frère et moi, la vérité de cette
triste
affaire, et le coupable même, trop amoureux de sa victime pour lire
dans son
propre cœur, semblait l'ignorer comme tout le monde. J'entendis
murmurer autour
de moi des ignominies sur ce suicide, et je les méprisai.
On rougit de l'opinion
publique lorsqu'on la voit de près, avec ses lâches acharnemens et ses
sales
conjectures]. ,
Peu
de semaines au
reste s'écoulaient sans m'apporter des révélations de ce genre.
Dans
la même
année j'enregistrai des conventions amoureuses, causées par les refus
de
parens, terminées par un double coup de pistolet.
Je
notai
pareillement des suicides d'hommes du monde, réduits à l'impuissance à
la fleur
de l'âge, et que l'abus des plaisirs avait plongés dans une
insurmontable
mélancolie.
Beaucoup
de gens
mettent fin à leurs jours sous l'empire de cette obsession que la
médecine,
après les avoir inutilement tourmentés par des prescriptions
ruineuses, est
impuissante à les délivrer de leurs maux.
On
ferait un
curieux recueil, aussi, des citations d'auteurs célèbres et des pièces
de vers
écrites par les désespérés qui se piquent d'un certain faste dans les
préparatifs de leur mort. Pendant le moment d'étrange sang-froid qui
succède à
la résolution de mourir, une sorte d'inspiration contagieuse s'exhale
de ces
âmes et déborde sur le papier, même au sein des classes les plus
dépourvues
d'éducation. En se recueillant devant le sacrifice dont elles sondent
la
profondeur, toute leur puissance se résume pour s'épancher dans une
expression
chaude et caractéristique.
Quelques-unes
des
pièces de vers qui sont enfouies dans les archives sont des
chefs-d'oeuvre. Un
lourd bourgeois qui met son âme dans le trafic et son Dieu dans le
commerce,
peut trouver tout cela très romanesque, et réfuter par ses ricanements
des
douleurs dont il n'a pas l'intelligence: son dédain
ne nous étonne pas[9].
Mais que dire des
bonnes gens qui font les dévots, et qui répètent ces grossièretés?...
Sans
doute, il est d'une haute importance que les pauvres diables supportent
la vie,
ne fût-ce que dans l'intérêt des classes privilégiées de ce monde que
le
suicide universel de la canaille ruinerait; mais n'y aurait-il pas
d'autre
moyen de faire supporter l'existence à cette canaille que les avanies,
les
ricanements et les belles paroles? D'ailleurs il doit exister quelque
noblesse
d'âme dans ces sortes de gueux qui, décidés qu'ils sont à la mort, se
frappent
sans chercher d'autres ressources, et ne prennent pas le chemin du
suicide par
le détour de l'échafaud[10].
Il. est vrai que,
dans les époques d'incrédulité, ces suicides généreux de la misère
tendent à
devenir de plus en plus rares; l'hostilité se dessine, et le misérable
court
franchement les chances du vol et de l'assassinat. On obtient plus
facilement
la peine capitale que de l'ouvrage.
Je
n'ai remarqué dans la fouille des archives de la police qu'un seul
symptôme de
lâcheté bien manifeste sur la liste des suicides. Il s'agissait d'un
jeune
Américain, Wilfrid Ramsay, qui se donna la mort pour ne pas se battre
en duel.
[Il avait été souffleté par un garde-du-corps dans un bal public. Sa
justification fut donnée par un quaker dans une feuille du temps que
j'avais
gardée et que je ne retrouve pas. Son défenseur l'accusait encore, et
lui
reprochait de ne pas avoir su porter noblement le poids de cet affront].
La
classification des diverses causes de suicides serait la classification
même
des vices de la, société. [Mon dessein n'est pas de me livrer à cette
analyse
difficile, que le législateur doit aborder pourtant s'il veut extirper
souverainement de notre sol les germes de dissolution où notre
génération croît
et dépérit comme au sein d'une ivraie qui la ronge.] On s'est tué pour
la
spoliation d'une découverte par des intrigants, à l'occasion de
laquelle
l'inventeur, plongé dans la plus affreuse détresse par suite des
recherches
savantes auxquelles il avait dû se livrer, ne pouvait même prendre un
brevet.
On s'est tué pour éviter les frais énormes et l'humiliation des
poursuites dans
les embarras pécuniaires, si fréquents, du reste, que les hommes
chargés de la
régie des intérêts généraux ne s'en inquiètent pas le moins du monde.
On s'est
tué faute de pouvoir se procurer du travail, après avoir longtemps gémi
sous
les avanies et l'avarice de ceux qui en sont, au milieu de nous, les
distributeurs
arbitraires. [La législation, providence sociale et secondaire, doit un
compte
de sang à Dieu, son premier législateur et le nôtre, de tout ce qui
avorte dans
les misères du corps, dans les souffrances de l'âme, dans les élans de
l'esprit. On ne peut pas se trouver quitte envers les vivants par des
insultes
sur les tombeaux.][11]
Un
médecin vint
me consulter un jour sur une mort, dont je lui conseillai (ce qu'il
fit) de
laisser les causes dans l'ombre, quoiqu'il jugeât nécessaire de
soumettre la
question qu'une mort pareille soulève trop souvent à l'examen des
hommes de cœur
et de tête. Il s'en accusait, et je laisse aux consciences délicates à
déterminer si cet homme était réellement coupable. Ses scrupules
m'occupèrent
et m'en donnèrent.
Un
soir, à
Belleville, où il demeurait, en rentrant par une petite ruelle au fond
de
laquelle était sa porte, il fut arrêté dans l'ombre par une femme
enveloppée
dont il ne vit pas la figure, et qui le supplia d'une voix tremblante
de
l'écouter. À quelque distance, une personne dont il ne discerna pas
davantage
les traits, se promenait de long en large. Il comprit qu'un cavalier
protégeait
la démarche de cette dame.
-
Monsieur, lui dit-elle> je suis enceinte,
et si cela se découvre
je suis déshonorée. Ma famille, l'opinion du monde, les gens d'honneur
ne me le
pardonneront pas. La femme dont j'ai trompé la confiance et l'estime en
deviendrait folle, et romprait infailliblement avec son mari. Je ne
plaide pas
ma cause. Je suis au milieu d'un scandale que ma mort seule empêcherait
d'éclater.
Je voulais me tuer, on veut
que je vive. On m'a dit que vous étiez pitoyable, et cela même m'a
persuadé que
vous ne seriez pas le complice d'un assassinat sur un enfant, quoique
cet
enfant ne soit pas encore au monde. Vous voyez
qu’il s'agit d'un avortement.
Je ne m'abaisserai pas jusqu'à la prière, jusqu'à déguiser ce qui me
semble le
plus abominable des crimes. J'ai cédé seulement à des supplications en
me
présentant à vous, car je saurai mourir. J'appelle la mort, et pour
cela je
n'ai besoin de personne. On fait semblant de se plaire à arroser un
jardin; on
met pour cela des sabots; on choisit un endroit glissant où l'on va
puiser tous
les jours, on s'arrange pour disparaître dans le bassin de la source;
et les
gens disent que c'est un malheur. J'ai tout prévu, monsieur. Je
voudrais que ce
fût demain, j'irais de tout mon cœur. Tout est préparé pour qu'il en
soit
ainsi. On m'a dit de vous le dire, je vous le dis. C'est à vous de
décider s'il
y aura deux meurtres ou s'il n'y en aura qu'un. Puisque l'on a obtenu
de ma
lâcheté le serment que je me soumettrais sans réserve à ce que vous
décideriez, prononcez!
«Cette
alternative, continua le docteur, m'effraya. La voix de cette femme
avait un
timbre pur et harmonieux; sa main que je tenais dans la mienne, était
fine et
délicate. Son désespoir franc et résolu dénotait une âme distinguée.
Mais il
s'agissait d'un point sur lequel en effet je me sentais frémir; quoique
dans mille
cas, dans les accouchemens difficiles, par exemple, quand la question
chirurgicale se complique entre le salut de la mère et celui de
l'enfant, la
politique ou l'humanité tranchent sans scrupule à leur gré sur ces
graves
questions.
«
- Fuyez à
l'étranger, lui dis-je.
«-
Impossible, me dit-elle d'un ton bref; il n'y faut pas songer.
«
- Prenez des
précautions habiles.
«-
Je n'en puis prendre; je dors dans la même alcôve que la femme dont
j'ai trahi
l'amitié.
«
- Vous êtes sa
parente ?
«
-Je ne dois plus vous répondre.
«
J'aurais donné le plus pur de mon sang pour éviter à cette femme le
suicide ou
le crime, ou pour qu'elle pût sortir de ce conflit sans avoir besoin de
moi. Je
m'accusais de barbarie en reculant devant la complicité d'un meurtre.
La lutte
fut affreuse. Puis un démon me suggéra qu'on ne se tuait pas pour
vouloir
mourir; qu'en ôtant aux gens compromis la puissance de faire le mal, on
les
forçait à se résigner à leurs fautes. Je devinais du luxe dans les
broderies
qui se jouaient sous ses doigts, et les ressources qu'offre la fortune
dans la
diction élégante de son discours. On croit devoir moins de pitié aux
riches; ma
conscience se révoltait contre l'idée d'une séduction récompensée au
poids de
l'or, quoiqu'on n'eût pas touché ce chapitre, te qui était une
délicatesse de
plus et la preuve qu'on estimait mon vrai caractère. Je refusai; mais
le refus
une fois parti, j'aurais voulu pouvoir le reprendre. La femme s'éloigna
rapidement. L'incertitude s'empara de moi et me retint en balance. Le
bruit
d'un cabriolet m'apprit que je ne pouvais réparer ce que je venais de
faire.
«Quinze
jours après,
les papiers publics m'apportaient la solution de cet effroyable doute.
La jeune
nièce d'un banquier de Paris, âgée tout au plus de dix-huit ans,
pupille chérie
de sa tante, qui ne la perdait pas de vue depuis la mort de sa mère,
s'était laissée
glisser dans une source de la propriété de ses tuteurs, à Villemomble.
Ses
tuteurs furent inconsolables; la qualité d'oncle excusa sans doute les
larmes
amères de 'son séducteur. Mais, moi, j'avais tué la mère en voulant
épargner
l'enfant ».
Faute
de mieux,
on le voit, le suicide est le recours suprême contre les maux de la vie
privée.
[Citerai-je
maintenant le trait de cet enfant, enfermé, par la colère de son père,
dans un
grenier, et qui se laissa choir d'un cinquième au milieu de ses
proches, dans
un accès de colère frénétique? Citerai-je encore ces malheureux qui,
chaque
année, s'asphyxient avec leurs enfants pour échapper aux avanies de la
misère?
Je quitte ce chapitre attristant où le mal qui ronge toutes les classes
de la
société se met trop énergiquement en relief. Il faut avoir raison avec
sobriété.]
Parmi
les causes
des suicides, j'ai compté fort souvent les destitutions de places, les
refus de
travaux, l'abaissement subit des salaires, par suite de quoi des
familles se
trouvaient au-dessous des nécessités de leur entretien, d'autant que la
plupart
vivent au jour le jour, et qu'en général peu de gens sont au niveau de
leur
revenu.
À
l'époque où,
dans la maison du roi, l'on réforma les gardes de la prévôté de
l'Hôtel, un
brave homme fut supprimé, comme tout le reste, et sans plus de
cérémonies. Les
gouvernemens `représentatifs n'y regardent pas de si près; on taille en
grand
dans les économies, tant pis pour les événemens de détail. Son âge et
son peu
de protection ne lui permirent pas de se replacer dans le militaire;
l'industrie était fermée à son ignorance. Il essaya d'entrer dans
l'administration
civile; les prétendans, nombreux là comme ailleurs, lui fermèrent cette
voie.
Il prit un chagrin noir et se suicida. On trouva sur lui une lettre et
des
renseignemens. Sa femme était une pauvre couturière; ses deux filles,
âgées de
seize à dix-huit ans, travaillaient avec elle. Tarnau disait « que, ne
pouvant
plus être utile à sa famille, et qu'obligé de vivre à la charge de sa
femme et
de ses enfants, vivant à peine du travail de leurs mains, il avait cru
devoir
s'ôter la vie pour les soulager de ce surcroît de fardeau; qu'il
recommandait
ses enfants à madame la duchesse d'Angoulême; qu'il espérait de la bonté
de cette princesse qu'on
aurait pitié de tant de misère ». Je fis un rapport à M. le préfet de
police
Anglès. [On remit une note au vicomte de Montmorency, chevalier
d'honneur de
Son Altesse Royale; Madame donna des ordres pour qu'une somme de 600
francs fut
remise à la famille du malheureux Tarnau. M. Bastien Beaupré,
commissaire de
police du quartier, fut chargé de la remise de ce bienfait.]
Triste
ressource
sans doute, après une semblable perte; mais comment exiger que la
famille
royale se charge de tous les malheureux, lorsque tout compte fait, la
France,
telle qu'elle est, ne pourrait les nourrir. La charité des riches n'e
suffirait
pas, quand même toute notre nation serait religieuse, ce qui est loin
d'être. Le
suicide lève le plus fort de la
difficulté; l'échafaud, le reste. C'est à la refonte de notre système
général
d'agriculture et d'industrie qu'il faut demander des revenus et des
richesses. On
peut facilement proclamer, sur le
parchemin, des constitutions, le droit de chaque citoyen à l'éducation,
au
travail, et surtout au minimum de subsistances. Mais ce n'est pas tout
que
d'écrire ces souhaits généreux sur le papier, il reste à féconder ces
vues
libérales sur notre
sol
par des institutions matérielles et intelligentes. La discipline
païenne a jeté
des créations magnifiques sur la terre; la liberté moderne, cette fille
du
Christ, sera-t-elle au-dessous de sa rivale? Qui donc viendra souder
ensemble
ces deux magnifiques éléments de puissance?...
[Compléments :
voir note 11]
C'est
presque
toujours avec un ton railleur d'incrédulité que l'on repousse les
pronostics
indiscrets sortis de la bouche du désespoir. On les taxe d'abord de
banalités
vaines; le suicide devant être, suivant l'opinion assez leste de ceux
qui ne
veulent pas qu'on les en occupe, du nombre de ces choses que l'on fait
et dont
on ne se vante point. En général, l'expression du malheur des autres
nous
importune. A celui qui se plaint de ses douleurs, on répond: -
Croyez-vous donc
que nous n'avons pas les nôtres?... Et l'on s'imagine avoir mis un
baume
suffisant sur sa plaie. On se dispense du reste.
S'il
est juste de
dire que tous les gens qui ont parlé de se mettre à mort se sont pour
la
plupart résignés à vivre, toujours est-il que ce symptôme n'a jamais
fait
défaut au chagrin de ceux qui prirent une détermination plus en rapport
avec
leurs paroles. Ainsi, nourrissez dans l'âme un chagrin secret, on ne
vous devinera
pas; mais que le secret vous en échappe, on sourira de ce que vous
aurez dit.
Voilà votre alternative. Cherchez ou ne cherchez pas de recours, c'est
tout
comme.
Le
désespoir se
trouve donc parmi nous repoussé de la cécité à l'incrédulité, double
résultat
de l'isolement des familles et de l'insouciance inévitable des mœurs ;
et c'est
entre ces deux écueils que l'on se tue. Il va bien à la société de
déblatérer
après cela sur ses victimes!... (p. 150-151).
«L'esprit
de propriété nous rend tigres» (p. 154). Mais, d'après cette fidèle
analyse des
tortures d'un malheureux couple qui vécut de
divorce et divorça par un
suicide, que penser des jugeurs qui s'agenouillent sur une tombe pour
graver
sur l'épitaphe, avec de fausses larmes, une injure contre la morte, une
calomnie contre les vivans!... L'opinion est trop fractionnée par
l'isolement
des moeurs, trop ignorante, pour avoir dans nos consciences l'autorité
d'un
tribunal équitable. Entre la version qui purifie et la version qui
injurie,
l'opinion prendra plus communément la plus accusatrice, à la manière
des
procureurs du roi et des magistrats. On ne doit, d'après elle, traîner
qui que
ce soit sur la claie (p. 167)[12].
[1]
Pour présenter ce
texte, je reporte le contenu de la note 20 de Caractères du mouvement
ouvrier
français.
« J’ai
utilisé le texte allemand – Peuchet :
vom Selbstmord - paru dans le volume 4 de la MEGA
(œuvres complètes de K. Marx et F. Engels), reprise du texte paru en
janvier
1846 dans la revue de Moses Hess Geselleschaftspiegel.
J’ai confronté avec le texte en français de J. Peuchet qui est
constitué par le
chapitre LVIII (pp. 117-181), Du suicide et de ses
causes du
livre, Mémoires historiques tirés des archives. Les
photocopies de ce
chapitre m’ont été fournies par G. Pogorel. Malheureusement, je n’ai
pas l’indication
de l’édition.
Du
texte de K. Marx, je n’ai pas reproduit les tableaux statistiques sur
le nombre de suicides, leurs causes, etc. Ces tableaux diffèrent
d’ailleurs de
ceux publiés par J. Peuchet. En outre j’ai reproduit des passages – qui
me semblaient
intéressants - non traduits par K. Marx. Enfin j’ai signalé les
commentaires
interpolés de K. Marx, comme celui-ci par exemple. « Les
hommes les plus peureux, les plus incapables de résistance
deviennent inexorables dés qu'ils pensent faire valoir
leur autorité
parentale absolue.
L'abus de cette dernière est également un substitut grossier
aux multiples
soumissions et dépendances auxquelles ils sont soumis, volontairement
ou contre
leur volonté, dans la société bourgeoise » (p. 396 du texte de
K. Marx ;
cette insertion se place p. 127 de celui de J. Peuchet après le mot
furie de la
phrase « Ses raisons et sa douleur ne désarmèrent pas leur
furie »,
et non après chorus, dernier mot de la phrase suivante, comme ce fut
indiqué,
de façon erronée, dans Invariance à
la note 5, p. 29). »
J’ajoute
(mai 2010) qu’une traduction de ce
texte a été faite par Philippe Bourrinet :
Marx/Peuchet : À propos
du suicide, Ed. Climats, 1992. Elle est accompagnée de Introduction
aux Mémoires
de Alphonse Levavasseur, qui affirme ceci à propos de J.
Peuchet : « Il
ne repoussait même que très faiblement le reproche de matérialisme,
quand on l’accusait
de prétendre subordonner l’essor de l’humanité au génie de la
police : c’est
qu’il prêtait à ce mot de police un sens large et royal. Il affirmait que l’on n’avait pas fait
autre chose depuis
le commencement du monde, police bonne ou mauvaise, mais de la police
enfin ;
et que les peuples, comme les enfants, passent par la férule et les
premières
douleurs de l’école sous la conduite de leurs chefs de file, avant de
s’émanciper
et de prendre définitivement possession de l’ordre et de la liberté. (pp. 101-102)
J.
Peuchet exprimait bien une conviction
majoritairement partagée : la répression existe depuis le
début, et elle est
nécessaire pour le bien des hommes et des femmes. La répression est un
fondement de Homo Sapiens.
Lors
de la publication dans Invariance, en
1975, du texte de K. Marx , je l’ai faite précéder par un texte
introductif :
Humanité et suicide.
[2]
Les
passages entre crochets n'ont pas
été traduits par Mars. En revanche tous les mots soulignés l'ont été
par lui.
J’ai
souvent respecté l’orthographe du texte original.
[3]
Dans
sa traduction Marx écrit ceci, après Providence:
«Mais l'existence du suicide lui-même est une protestation ouverte
contre les
décrets illisibles».
[4]
Dans
la traduction de Marx la phrase suivante termine le paragraphe:
« Je
trouvais que toutes les tentatives seraient vaines en dehors d'une réforme
totale de l'ordre
social actuel
»,
[5] Marx
écrit ou à
la place de et.
[6]
Après
chorus, Marx écrit:
«
Les
hommes les plus
peureux,
les plus incapables de
résistance deviennent inexorables dés qu'ils pensent
faire valoir leur
autorité parentale
absolue. L'abus
de cette dernière est également un
substitut grossier aux
multiples soumissions et
dépendances auxquelles ils
sont
soumis, volontairement ou contre leur volonté, dans la société
bourgeoise ».
[7]
Marx
écrit: nichtigen Seele - ceux qui n'ont pas d'âme
[8]
Marx
interpole ici une réflexion que Peuchet est amené â
faire lors du récit d'une autre anecdote qu'il ne rapporte pas.
«
Au jaloux,
il faut
un esclave. Le jaloux peut être amant, mais l'amour n'est qu'un
sentiment de
luxe pour la jalousie; le
jaloux est avant tout
propriétaire ».
Il
est probable que les autres phrases
qui semblent avoir été ajoutées par Marx soient également de Peuchet.
Comme
nous n'avons pas lu toute l'oeuvre de Peuchet d'où, sont extraits ces
passages
concernant le suicide, nous ne pouvons pas nous prononcer.
[9]
Marx
ajoute ici:« Qu'attendre d'autre de ces trois pour
cent qui ne se doutent pas que journellement, heure par heure, petit à
petit, ils
assassinent
leur
nature humaine ».
[11].
Marx
n'a pas traduit les pages 143 à 169 où Peuchet expose
différents cas afin d'étoffer sa théorie sur les causes du suicide. «Je
rentre
dans les misères de la vie privée, ma thèse favorite », écrit-il au
début de la
page 143.
Parsemant
le
récit de divers suicides, on trouve un certain nombre de remarques fort
intéressantes qui permettent de mieux deviner la personnalité de
Peuchet.
«La
fourberie
produisait sur lui l'effet qu'elle produit sur les meilleures âmes, qui
la
conçoivent quand ils comprennent nos moeurs, l'excusent et la
justifient au
besoin, parce que la fourberie est le droit de l'esclave, et que les
femmes
sont esclaves » (p, 148).
«
Puis elle se
révolta contre l'idée de s'humilier ainsi devant l'un de ceux que son
sexe se
reconnaît le droit de tenir à ses genoux. L'amour, c'est la royauté des
femmes,
leur élément, leur vie. Toutes répugnent dans le fond du coeur à se
croire
soumises au jugement de qui que ce soit sur ce point» (p. 149).
[12]
«
Claie:
haie, clôture, ouvrage de vannier, formé de plusieurs bâtons menus et
parallèles, plus ou moins espacés, et fixés par une chaîne d'osier et
d'autres
bâtons menus et flexibles, Traîner
sur la claie: traîner
publiquement un cadavre sur
une claie
que
le bourreau faisait anciennement tirer par un cheval ». Napoléon
Landais. Dictionnaire général et grammatical des
dictionnaires français.
« Edition dé 1836 ».