5.3.
MYSTIFICATION DÉMOCRATIQUE ET PROLÉTARIAT
Cette étude commencée en 1962, dont une partie parut dans
Invariance, série 1, n° 6, avait en définitive comme présupposition que le
prolétariat dans son mouvement révolutionnaire dépassait la démocratie et
posait le communisme. Mais l'étude de l'histoire, de la révolution française à
nos jours, montre un mouvement différent de celui que nous nous présentions au
départ. Il y a effectivement un certain parallélisme entre développement des
théories socialistes et mouvement prolétarien. Les prolétaires ont produit
leurs propres représentations; elles étaient la plupart du temps réformistes;
dans beaucoup de cas ils se sont raccrochés à des théories en place. La
question était de savoir que tendaient à mettre en place les prolétaires dans
leur lutte contre le capital; les buts dont ils n'avaient pas conscience, il
fallait les dévoiler, se rendre compte de ce qui se manifestait dessous le
désir apparent, la force brute, etc. C'est là que Marx place la représentation
du prolétariat en tant que négation de la totalité sociale et en tant que
porteur d'une autre société. Mais c'est là - avec la question du réformisme
révolutionnaire de Marx - que nous pouvons voir qu'inévitablement il devait y
avoir retour à la démocratie parce que le communisme n'était pas perçu en tant
que discontinu réel. On le voyait prendre son essor sur les bases mêmes de la
société capitaliste. D'où l'analyse qui suit doit être reprise dans notre
nouvelle perspective. ( Avertissement de 1972 )
*
* *
5.3.1. - Communisme
et démocratie
La naissance du
communisme et la rupture avec la démocratie est analysée surtout à travers
l'étude de l'œuvre de Marx et d'Engels. Car ce sont eux surtout qui font une
telle rupture; la plupart des autres théoriciens ne voient le socialisme ou le
communisme que comme une réalisation de la démocratie. Proudhon, Bakounine et
autres anarchistes gardent les présuppositions démocratiques.
5.3.2. -
Démocratie et domination formelle du capital sur la société
5.3.2.1. Période de
1789 à 1848
C'est le moment du
surgissement du capital, le passage du moment où l'argent dans sa troisième
détermination est prépondérant, à la domination formelle dans le procès de
production et, dans certains pays, passage à la domination formelle sur la
société ( cf. Angleterre par exemple ).
5.3.2.2. Période
révolutionnaire de 1848 à 1851
Étude faite surtout
au travers des œuvres de Marx et d'Engels ( cf. La Neue Rheinische
Zeitung ).
5.3.2.3. Période de
reflux de 1852 à 1864
5.3.2.4. La
constitution du prolétariat en classe: la formation de l'AIT et la
Commune, 1864-1871
5.3.2.5. Nouvelle
période de recul pour le prolétariat: 1871-1914 : période
d'extension de la domination formelle du capital à l'ensemble de la planète.
5.3.3. - Démocratie
durant la période de passage de la domination formelle à la domination réelle
sur la société: 1914-1945.
Le fascisme, le
nazisme, le new-deal, le franquisme, le salazarisme, ainsi que le stalinisme
ont un rôle fondamental dans la l'instauration de la domination réelle du
capital sur la société. Sous une autre forme, le front populaire et le
mouvement d'occupation des usines (cf. aux USA, mais aussi le mouvement
au Brésil ) ont contribué également fortement à cette instauration.
N.B. La
périodisation ne peut pas être si rigoureuse pour tous les pays : en
France, après 1945, se développe le mouvement qui permet la réalisation de la
domination réelle et il ne prend de l'ampleur qu'à partir de 1958: le
gaullisme.
De même il faut
voir dans une optique à peu prés similaire le péronisme juste après la guerre
de 1939-45; de même, au Brésil, le mouvement de Goulart, dans les années 60
(maximum 1964) relayé par la dictature actuelle.
5.3.4. - La domination
réelle du capital à l'échelle sociale
Sa généralisation
passe par la greffe du mode de production capitaliste en Chine et la
consolidation de celui-ci en URSS, par l'intervention de la communauté mondiale
représentée par les USA.
Ici, il n'y a plus
de raison de parler de démocratie. La démocratie sociale pouvait être évoquée
en 5.3.3. maintenant ce serait absurde.
Ce plan est celui
de 1972 qui modifie celui de 1969 pour mieux faire ressortir la thématique en
fonction de la périodisation de la société capitaliste. En revanche le contenu
est celui originel, 1969 (note de 1990).
*
* *
5.3.1.
COMMUNISME ET DÉMOCRATIE
5.3.1.1. La
mystification démocratique ne pouvait se révéler dans toute sa réalité qu'au moment
où se formait la solution historique, la formation du prolétariat en tant que
classe: le parti communiste, l'affirmation d'une nouvelle communauté qui
soit la véritable Gemeinwesen humaine.
En conséquence,
avant d'envisager les différents rapports entre prolétariat et démocratie, il
est important de définir le cheminement théorique qui aboutit à l'affirmation
de la nouvelle Gemeinwesen et donc à la négation positive de la démocratie.
Dans une première
phase, Marx lutta pour l'autonomie de l'État pour son abstraction, donc pour sa
manifestation politique. La philosophie, le parti philosophique doit s'occuper
de cette politique, ce parti doit aider à émanciper la politique et l'État de
la tutelle théologique (la philosophie n'est pas en dehors du monde);
«Seule l'ignorance la plus crasse peut soutenir que cette théorie, celle
de l'autonomisation du concept d'État - est une invention actuelle des nouveaux
philosophes.»
Cette autonomisation,
toutes les sciences l'ont effectuée, mais la philosophie doit, de plus,
interpréter «les droits de l'homme et demander que l'État soit l’État de
la nature humaine.» De plus «un État qui n'est pas la réalisation
de la liberté rationnelle est un mauvais État.» En faisant cela on tend à
pousser l'action de la bourgeoisie jusque dans ses conséquences les plus
radicales et on prépare le terrain à la véritable critique.
D'autre part, si la
religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité, l'État est le
sommaire des luttes pratiques. Rendre l'État indépendant c'est permettre une
certaine émancipation de la pratique. Voilà pourquoi dans un premier temps la
démocratie se présentera en tant que solution vis-à-vis de la religion et vis-à-vis
de l'État.
5.3.1.2. Ce faisant
Marx rencontre l'œuvre de Hegel qui théorise l'abstraction de l'État et
l'abstraie réellement du monde social. C'est un pas en avant. Cela correspond à
la réalité du mouvement bourgeois. La bourgeoisie a fait de l'État une
abstraction pour mieux le conquérir. Il faut cette abstraction pour avoir le
véritable État (Question juive).
Ensuite au sein de
cet État, lutte pour le conquérir ( lui donner un contenu ), car il
était la réalisation de l'homme abstrait.
Cependant Hegel ne
résout les contradictions individu-universel, constitution-peuple, qu'avec un
sophisme. La véritable solution c'est la démocratie. Cf. Analyse de la Critique
de la philosophie de l'État de Hegel à la fin de cette étude.
5.3.1.3. La tâche
est donc de réaliser la démocratie.
« Le
sentiment de la dignité personnelle, la liberté, il fallait d'abord les
réveiller dans la poitrine des hommes. Ce sentiment seul qui, avec les grecs,
disparaît de ce monde et, après le christianisme, s'évanouit dans la vapeur
bleue du ciel, peut re-transformer la société en une communauté d'hommes en vue
de leurs fins les plus élevées, en faire un État démocratique. » Marx
à Ruge in Œuvres philosophiques, Ed. Costes, t.1, ( pp. 338-339 )
« Une fois
qu'il est parvenu au monde animal politique, il n'y a plus d'autre réaction que
d'aller jusqu'à lui, et plus d'autre Vordringen que d'en abandonner la base et
de passer au monde humain de la démocratie. » (idem. p. 341) (84)
5.3.1.4. Le
socialisme apparaît comme unilatéral :
«Et tout
le principe socialiste n'est à son tour que le seul côté qui concerne la
réalité du véritable être humain. »
«Ce
communisme n'est lui-même qu'une manifestation particulière du principe
humaniste, infesté de son contraire la propriété privée.»
On doit tenir
compte que ces lettres à Ruge sont écrites après l'étude non terminée du point
de vue de l'exposition de la philosophie de l'État de Hegel ( la première
est avant l'étude, la deuxième postérieure ). Voilà pourquoi on sent le
renversement dans la deuxième : la philosophie doit faire une critique
sans prendre de considération aucune de tout ce qui existe; elle ne doit pas
donner de solutions toutes faites. Il faut se mettre sur le terrain qui a
engendré la philosophie et non rester au niveau de cette dernière.
«La raison
a toujours existé, pas toujours, seulement, sous une forme rationnelle. Le
critique peut ainsi s'attacher à chaque forme de conscience théorique et
pratique et développer à partir des formes particulières de
l'effectivité (Wirklichkeit) existante, la véritable effectivité en
tant que celle-ci est le devoir ( Sollen ) et le but final de
celle-là. En ce qui concerne la vie effective, l'État politique, même là
où il n'est pas rempli des exigences socialistes, contient directement, sous
toutes ses formes modernes, les exigences de la raison. Et il en reste
là. Il suppose partout la raison comme réalisée. Mais partout il tombe dans la
contradiction entre sa détermination (Bestimmung) idéale et ses
présuppositions réelles.»
«C'est à
partir de ce conflit entre l'État politique et lui-même que la vérité
sociale peut se développer partout. De même que la religion est le sommaire des
luttes théoriques de l'humanité, l'Etat politique est le sommaire des luttes
pratiques. L'État politique exprime ainsi, à l'intérieur de sa forme, toutes
les luttes sociales, tous les besoins et toutes les vérités sociales sub
specie republicae.
( ... )
Nous lui montrons seulement pourquoi il lutte en réalité et la conscience est
une chose qu'il ( le monde, n.d.r) doit s'approprier, même s'il ne
le veut pas. » Marx à Ruge, septembre 1843
À noter:
l'accent mis sur la nécessité de partir des conditions réelles; l'absence de
conscience venant de l'extérieur.
«La réforme
de la conscience consiste seulement à faire en sorte que le monde
s'aperçoive de sa conscience ( dass man die Welt ihr Bewusstsein
innenwerden lässt ) à le sortir du rêve qu'il fait sur lui-même
( dass man sie aus dem Traum über isch selbst aufweckt ) à lui rendre
claires ses propres actions. Tout notre but ne peut consister, comme c'est
d'ailleurs le cas dans la critique de la religion de Feuerbach, qu'à donner une
forme humaine consciente aux questions religieuses et politiques.»
«On
montrera enfin que l'humanité ne commence aucun nouveau travail,
mais achève avec conscience son ancien travail.»
C'est un
comportement anti-démocratique puisqu'il abolit la dualité et donc la médiation
nécessaire pour reconstituer l'unité ( délégation des pouvoirs,
représentation parlementaire apparaissent comme équivalents généraux );
cependant la conscience est potentielle et non en acte.
5.3.1.5. Nous n'en
sommes qu'au renversement du mode d'appréhension de la réalité sociale :
moment de la généralisation. C'est la négation non positive de la société
bourgeoise. La démocratie est vue comme contenant en elle une contradiction,
une non-vérité; la liberté politique est un semblant de liberté, la pure forme
de l'esclavage. D'où la vraie liberté, la vraie égalité, c'est le communisme.
Autrement dit le communisme sera la réalisation de la démocratie véritable
( Cf. Progrès de la réforme sociale sur la continent ,
Engels, 1843 ).
Le Communisme est
donc la réalisation de la démocratie. En même temps un argument politique est
ici avancé : nous réalisons ce que vous prétendez vouloir effectuer; votre
mouvement est donc dépassé, place au socialisme. D'où :
« La
démocratie c'est-à-dire aujourd'hui le communisme... »
« Tout le
mouvement européen d'aujourd'hui n'est que le deuxième acte de la révolution,
que la préparation pour le dénouement du drame qui commença à Paris en 1789 et
a maintenant toute l'Europe pour scène. » Engels, « La fête des nations
à Londres », fin 1845.
Ceci se
comprend: on entrevoyait, à l'époque, une longue période entre
capitalisme et communisme; il fallait la dictature du prolétariat pour établir
une nouvelle organisation de la société. La démocratie pouvait encore être
réclamée; le communisme ne s'imposait pas de façon précise. Cependant, Engels,
dès ce moment-là est contre la nation. « Seuls les prolétaires peuvent
détruire les nationalités; le prolétariat mûr seul peut faire fraterniser les
différentes nations. » Werke, t.1, ( p. 614 ).
Mais ce qu'il y a
de plus important c'est que la révolution communiste est encore vue comme
prolongement, comme complément de celle de 1789; et là c'est le terrain même où
s'enlisera le blanquisme. Marx aussi aura à un moment cette position (Cf.
article sur K. Heinzen ). Nous pouvons dire que depuis c'est la
différenciation entre la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne
communiste qui s'est opérée; au fond c'est seulement maintenant que ceci s'est
effectué et que la révolution a toutes ses chances. La coupure avec la
révolution de 89 dut se faire sur tous les plans; elle s'effectua pour la
classe de façon nette dans la pratique en 1848 et surtout en 1871. La
contre-révolution ( et ce surtout en ce qui concerne la théorie )
réinstalla la confusion (cf. le cas de la France où la secousse de la
révolution russe ne fit finalement que réactualiser les révolutionnaires de la
période de 89-95, cela n'alla pas au -delà de Babeuf ).
5.3.1.6. La rupture
avec la démocratie s'opère avec Pour la critique de la
philosophie du droit de Hegel où pour la première fois est affirmé de
façon explosive, en tant que négation absolue, le prolétariat classe qui ne
peut faire qu'une révolution radicale, universelle, à un titre humain.
« La
philosophie ne peut se réaliser sans la suppression du prolétariat, le
prolétariat ne peut se supprimer sans la réalisation de la philosophie. »
Par là se termine
la critique à la philosophie; le terrain de l'étude, de la recherche est
totalement déplacé.
5.3.1.7. Marx était
en ce qui concerne la critique au stade de Feuerbach; il faisait de l'homme une
objectivité sensible : « Hegel part ici de l'Etat et fait de
l'homme l'Etat subjective, la démocratie part de l'homme et fait de
l'Etat l'homme objectivé. » Cette objectivité sensible peut encore
avoir besoin d'un État qui a bien entendu une constitution où l'homme est le
principe. Il a encore besoin d'une forme d'organisation. » En revanche
dans les « Notes critiques marginales... » Marx envisage l'homme
comme une activité sensible et la forme d'organisation est l'être humain,
c'est-à-dire qu'il n'y a plus de problème d'organisation : « L'être
humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme. »
Dès lors la
démocratie est réellement dépassée puisque le sont les données de l'individu et
de l'Ètat et qu'à la place on a l'homme social et la Gemeinwesen (ce qui
n'implique pas une substitution au sens chimique du terme). Ces deux derniers
éléments ne constituent pas un nouveau dualisme parce que l'homme social pose
directement la Gemeinwesen et celle-ci l'homme social.
5.3.1.8. Dans
« Pour la question juive » on trouve la critique virulente de la
société bourgeoisie, de la démocratie et de son corollaire l'émancipation
politique.
« L'émancipation
politique est en effet un grand progrès. Elle n'est pas, il est vrai, la
dernière forme de l'émancipation humaine en général, mais elle est la dernière
forme de l'émancipation à l'intérieur de l'ordre mondial en
vigueur. »
Il dénonce violemment
la supercherie des droits de l'homme :
« La
création imaginaire, le postulat du christianisme, la souveraineté de l'homme,
mais en tant qu'être étranger et différent de l'homme réel, tout cela est dans
la démocratie, la réalité sensible, présente, une maxime du monde profane. »
On a la mise en
évidence de la coupure, de la dichotomie absolue homme-citoyen donc le
parachèvement de l'abstraction de l'homme. L'homme en tant qu'homme est un pur
esprit, tandis que l'homme réel est le citoyen soumis aux impératifs de la
société bourgeoise, puis de la société capitaliste.
« Le droit
de liberté repose non sur l'union de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la
séparation de l'homme avec l'homme. C'est le droit de cette séparation,
le droit de l'individu limité, limité à lui-même. »
« La
vie politique n'est qu'un simple moyen dont le but est la vie de la société
bourgeoise. »
La démocratie est
la forme parachevée du dualisme, mais d'un dualisme pratique; c'est la
réalisation pratique de la religion.
5.3.1.9. Avec les Manuscrits de 1844 la rupture exprimée dans les oeuvres
antérieures est définitivement fondée par la mise en évidence du communisme
dissolution des antique énigmes et négation positive de la démocratie. En
effet, ils sont la première rédaction du Capital; ils montrent
tout le mouvement économique comme fondant les différents moments de
l'aliénation de l'homme; on y trouve l'indication que la démocratie est
expression de cette aliénation, l'essai de la faire supporter, de la concilier;
pour ce faire elle l'englobe mais ne la détruit pas ( l'aliénation est
liée à un dualisme comme la démocratie ).
5.3.1.10. À la même
époque, Engels :
« Mais la
simple démocratie n'est pas capable de guérir le mal social. L'égalité
démocratique est une chimère, le combat des pauvres contre les riches ne peut
être livré sur le terrain de la démocratie ou de la politique en général. Aussi
ce stade est donc encore un passage, le dernier moyen politique qui est encore
à essayer et d'où doit se développer un nouvel élément, un principe qui dépasse
toute nature politique.
Ce principe c'est
le socialisme. »
Cependant il est à
noter qu'il dit qu'il est encore à essayer, ce qui implique une possibilité
d'utilisation de la démocratie. Et c'est sur ce terrain qu'on retrouvera la
démocratie et que le mouvement prolétarien s'enlisera d'ailleurs.
5.3.1.11. Dans la Sainte
famille est réaffirmé de façon plus catégorique que le sujet de la
transformation est le prolétariat.
« Si les
auteurs socialistes attribuent au prolétariat ce rôle mondial, ce n'est pas du
tout, comme la critique affecte de le croire, parce qu'ils considèrent les
prolétaires comme des dieux. C´est plutôt le contraire. Dans le prolétariat
pleinement développé, il est fait abstraction de toute humanité; même de
l'apparence de l'humanité; dans les conditions d'existence du prolétariat se
trouvent condensées, sous leur forme la plus inhumaine toutes les conditions
d'existence de la société actuelle; l'homme s'est perdu lui-même, mais il a, en
même temps, non seulement acquis la conscience théorique de cette perte, il a
été contraint directement, par la nécessité désormais inéluctable, impossible à
pallier, absolument impérieuse - par l'expression pratique de la nécessité - à
se révolter contre cette inhumanité : et c'est de tout cela que le
prolétariat peut et doit s'affranchir lui-même. Mais il ne peut s'affranchir
lui-même, sans supprimer ses propres conditions d'existence. Il ne peut
supprimer ses propres conditions d'existence, sans supprimer toutes les
conditions d'existence inhumaine de la société actuelle qui se condensent dans
sa situation. Ce n'est pas en vain qu'il passe par l'école rude, mais
fortifiante du travail. il ne s'agit pas de savoir ce que tel prolétaire, ou
même le prolétariat tout entier, se propose momentanément comme but. Il s'agit
de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit historiquement faire
conformément à son être. Son but et son action lui sont traces, de manière
tangible et irrévocable, dans toute l'organisation de la société bourgeoise
actuelle. » ( Ed. Costes, pp. 62-63 )
De
nouveau le dualisme est condamné.
« Ce
rapport ( esprit masse, n.d.r ) découvert par M. Bruno, n'est en
effet rien d'autre que le parachèvement critique et caricatural de la théorie
historique de Hegel qui de son côté n'est que l'expression spéculative du dogme
germano-chrétien de l'opposition de l'esprit et de la matière, du dieu
et du monde. Cette opposition s'exprime en effet dans l'histoire sous la forme
suivante : quelques individus élus s'opposent en tant qu'esprit actif au
reste de l'humanité considérée comme la masse sans esprit, la matière. »
( t. II, p. 150 )
« On
démontra que la reconnaissance des droits de l'homme par l'Etat moderne n'a pas
d'autre signification que la reconnaissance de l'esclavage antique. La base de
l'État antique c'était l'esclavage; la base de l'État moderne, c'est la société
bourgeoise, c'est-à-dire l'homme, indépendant rattaché simplement aux autres
hommes par le lien de l'intérêt prive et de l'inconsciente nécessité naturelle,
l'esclavage du travail utilitaire, de ses propres besoins et des besoins
égoïstes d'autrui. Cette base naturelle, l'État moderne l'a reconnue comme
telle dans les, droits naturels de l'homme. » ( p. 202 )
« Mais
l'esclavage de la société bourgeoise est, en apparence, l'indépendance achevée
de l'individu pour qui le mouvement effréné, libéré des entraves générales et
des limitations imposées par l'homme, des éléments vitaux dont cri l'a
dépouillé, la propriété par exemple, l'industrie, la religion, etc., est la
manifestation de sa propre liberté, alors que ce n'est en réalité que
l'expression de son asservissement absolu et de la perte de son caractère
humain. Ici, le privilège a été remplacé par le droit. » ( p.
208 )
Donc mystification
totale. Et, ici, c'est le lieu de préciser que mystification indique un
processus dont le résultat est le fétiche, comme Marx le montre de façon claire
et nette dans « Pour la critique de l'économie politique » et dans Le capital .
D'autre part Marx
rappelle qu'avec l'État bourgeois finit la politique.
« Dans État
moderne développé, c'est tout le contraire. L'État déclare que la religion ainsi
que les autres éléments de la vie bourgeoise n'ont commencé à exister dans leur
pleine étendue que le jour où il les a déclarés non politiques et les a
abandonnés à eux-mêmes. La désagrégation de son existence politique, tout
comme, par exemple, la désagrégation de la religion par la suppression
de l'Eglise Etat, cette proclamation de sa mort civique, a précisément comme
corrélatif sa vie la plus puissante, qui dès lors, obéit tranquillement à ses
propres lois et déploie toute la largeur de son existence. »
( pp. 209-210 )
Ceci rappelle
l'affirmation de la question juive et pose les données de la démocratie sociale
(cf. Thèses sur la démocratie in n° 6, série I)
5.3.1.12. Avec
l'Idéologie allemande l'affirmation centrale est toujours présente et elle est
fondée sur une étude historique, c'est-à-dire à travers la succession des
rapports sociaux depuis la préhistoire. On a à la fois la reprise des
Manuscrits de 1844, une première rédaction des formes, la préface de 1859 et
une polémique féroce contre Stirner, Bauer, pour montrer que le communisme est
dépassement de l'État. La question de la destruction de l'État a été en premier
lieu posée par les communistes; que le communisme n'est pas la négation de
l'individu sinon il ne serait rien d'autre que le capitalisme, mais qu'il sera
le plein épanouissement de l'homme social et simultanément de la véritable
Gemeinwesen. Le prolétariat est encore une fois présenté comme étant le seul
sujet apte à conduire la transformation de la société.
« Il
s'ensuit que toutes les luttes à l'intérieur de l'État, la lutte entre la
démocratie, l'aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote,
etc., en somme l'universel, ne sont que la forme illusoire sous lesquelles se
font les luttes réelles des différentes classes entre elles ( ce dont les
théoriciens allemands n'ont pas la moindre idée, bien que dans les Deutche
französische Jahrbücher et dans la Sainte-famille on leur ait suffisamment
indiqué le chemin ), et en outre que toute la classe qui aspire au pouvoir
bien que sa domination conditionne comme c'est le cas pour le prolétariat, la
suppression de toute la vieille forme de la société et de la domination en
général et doive d'abord conquérir la puissance politique, pour représenter de
nouveau son intérêt comme intérêt général, à quoi elle est contrainte au
premier moment. »
« Le
communisme n'est pas pour nous un état qui doit être établi ni un idéal
d'après lequel la réalité doit se comporter. Nous appelons communisme le
mouvement réel qui supprime l'état de choses actuel. Les conditions de ce
mouvement découlent de la présupposition actuellement existante. »
« Le
prolétariat ne peut donc exister qu'on fonction de l'histoire universelle,
comme le communisme son action ne peut exister qu'en tant qu'existence
« ressortissant à l'histoire universelle ». Existence ressortissant à
l'histoire universelle c'est-à-dire existence des individus rattachés
directement à l'histoire. »
On doit noter que
c'est dans l'Idéologie allemande (1845 - été 1846) que Marx et
Engels anticipent peut-être le plus et ne décrivent pas le mouvement immédiat,
ce qui est immédiatement possible. On y trouve la revendication de l'abolition
du travail, l'exposé de la formation de la classe universelle, celui du rapport
individu société décrit de façon plus concrète que dans les autres oeuvres de
Marx, sans entrer en contradiction avec elles. Cette oeuvre clôt effectivement
un cycle. Marx ne devient pas simplement Marx et à partir de là effectuerait
son oeuvre réelle; c'est l'achèvement d'un cycle culminant avec l'arrivée de la
révolution - et dont Misère de la philosophie est l'autre aspect apical - car
il y a une anticipation que bien souvent on ne retrouvera plus dans l'œuvre
mûre de Marx et surtout dans celle d'Engels. Dans Le capital, par exemple, on
trouve exprimé de la façon la plus précise le réformisme révolutionnaire de
Marx, le développement des possibles en effectivités à un moment historique
donné. Il n'y a pas de réelle anticipation. On ne peut pas dire que la des_c_r_i_p_tion
du socialisme inférieur en sait une puisque c'est un possible qui pouvait
immédiatement s'effectuer. En revanche dans l'idéologie allemande, il y a
réellement un saut révolutionnaire dans la perception du devenir social total.
5.3.1.13. Misère de
la philosophie complète l'Idéologie allemande : rupture avec les
théoriciens immédiats du socialisme, avec les glorificateurs du prolétariat,
les partisans de la philosophie de la production et de l'exploitation; les
opposants immédiats au capital etc., ( les socialistes ricardiens ).
Il y a indication de la constitution du prolétariat en classe de façon non
conceptuelle mais pour ainsi dire concrète, alors que l'Idéologie allemande
cette classe est définie par sa fonction historique : détruire le capital
et toute espèce de société de classes. On précise ici : la classe
prolétarienne devra détruire le dualisme, « L'organisation des éléments
révolutionnaires comme il suppose l'existence de toutes les forces productives
qui pouvaient s'engendrer dans la vieille société. »
« Est-ce à
dire qu'après la chute de l'ancienne société il y aura une nouvelle domination
de classe, se résumant à un nouveau pouvoir politique ? non. »
« La
condition d'affranchissement de la classe laborieuse c'est l'abolition de toute
classe, de même que les conditions d'affranchissement du Tiers-État de l'ordre
bourgeois fut l'abolition de tous les états, de tous les ordres. »
« La classe
laborieuse substitue dans le cours de son développement, à l'ancienne société
civile une association qui exclura les classes et leur antagonisme, et il n'y
aura plus de pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est
précisément le résumé officiel de l'antagonisme dans la société civile. » ( p.
135 )
5.3.1.14. À la
veille donc de la révolution de 48, avant la publication du Manifeste du parti
communiste, on a les positions fondamentales suivantes :
- Le
communisme comme négation positive de la démocratie.
- Avec la réalisation de la société bourgeoise
on a la fin de la politique,
- Le prolétariat classe universelle
détruit l'État bourgeois et permet le développement du communisme, pour ce
faire il faut qu'il se constitue en classe et donc en parti.
- Pas de conquête de l'État de l'intérieur.
- Le prolétariat
doit accomplir une révolution radicale, une révolution politique à âme sociale.
5.3.1.15. Pour
comprendre les positions contenues dans le Manifeste qui apparaissent en
retrait par rapport à celles exposées ci-dessus, il faut tenir compte de cette
remarque de Marx de 1847.
« Si donc
le prolétariat renverse la suprématie politique de la bourgeoisie, sa victoire
ne sera que passagère - un simple facteur au service de la révolution
bourgeoise même, tout comme en 1794 - aussi longtemps que, dans le cours de
l'histoire, c'est-à-dire dans son mouvement, ne se trouveront pas créées les
conditions matérielles qui rendent nécessaires l'abrogation du mode de
production bourgeois et par conséquent la chute définitive de la suprématie politique
bourgeoise. La terreur ne devait donc servir en France qu'à faire disparaître
comme par enchantement, sous ses terribles coups de marteau, les ruines
féodales du territoire français. La bourgeoisie avec ses conceptions timorées
et trop conciliantes, n'eût pas eu assez de plusieurs dizaines d'années pour
achever cette besogne. L'intervention sanglante du peuple ne fit que lui
préparer les voies. »
5.3.1.16. Ce n'est
pas parce que la solution a été trouvée qu'elle peut devenir immédiatement effective.
La solution est celle de l'opposition du prolétariat au capital, saisie au
moment où l'un et l'autre des protagonistes commencent à peine leur
développement. C'est en ce sens justement que la théorie du prolétariat, le
marxisme, anticipe et ceci était possible parce que coexistaient tous les
éléments requis pour le faire : société féodale, restes de la communauté
paysanne, ultimes vestiges de l'antique communauté, la bourgeoise démocrate et
le prolétariat avec le communisme.
Une fois cette
solution indiquée, il pouvait sembler en effet que tout fut résolu. Or il était
facile sur le plan théorique ( à partir des luttes prolétariennes
antérieures et de celles en cours ) de se défaire de la démocratie, de
monter qu'elle n'avait été nécessaire que pour une période déterminée de la vie
de l'espèce, facile de révéler le dualisme qu'elle implique et donc son
antinomie au communisme. Mais sur le plan de l'action se pose le problème du
mouvement intermédiaire entre le moment où la théorie surgit et celui de sa
réalisation effective; problème de la volonté : comment intervenir pour
pouvoir accélérer le développement, favoriser l'épanouissement des conditions
rendant le communisme possible. C'est là qu'on retrouve la question de la
démocratie de son utilisation, qui semblait avoir été éliminée pour toujours.
Mais d'autre part,
on entre dans le processus même de la mystification démocratique :
intervenir, opérer un acte volontaire pour essayer de favoriser le mouvement
contenait en germe la possibilité de penser que c'était cela qui était
déterminant ( la volonté de quelques-uns ). D'autre part l'obtention
de l'accord pour cette action c'est-à-dire la consultation des hommes pour
l'accomplir allait apparaître comme essentielle alors que les décisions
n'étaient possibles que dans un cadre bien déterminé et que les questions
suggérées avec leurs solutions (mystification non seulement dans la réponse
mais déjà dans la question ) étaient suggérées par la classe dominante,
elle-même déterminée par le mode de production. Car comme toujours l'élément
intermédiaire s'autonomise : l'utilisation de la démocratie en vue de
faciliter l'organisation unification de la classe, afin d'accélérer la
domination du capital, devait parvenir au premier plan.
Corrélativement se posait
et se pose encore ne serait-ce que pour une compréhension de l'histoire de la
classe, la nécessité de délimiter les bornes entre lesquelles l'utilisation de
la démocratie est possible : utilisation soit à l'intérieur, soit à
l'extérieur de la classe; dans quelles limites chaque fois celle-ci était
envisagée, comment voulait-on l'utiliser. Cela ne peut être compris, même
rétrospectivement, que si on clarifie les points suivants : 1. domination
formelle et réelle du capital, 2. parti historique et parti formel, 3. tactique
directe et indirecte, 4. question centrale du point de vue de la lutte
révolutionnaire : la destruction de l'obstacle fondamental du féodalisme
russe qui bloque le développement non seulement vers le communisme, mais même
vers le capitalisme. On doit ajouter la question du réformisme révolutionnaire.
Ce qui est
important dans la domination formelle du capital c'est qu'à ce moment-là se
réalise la politique, comme Marx l'avait affirmé, réalisation qui pose son
dépassement. Le capital n'est pas la force dominante; il doit s'emparer de
l'Etat et, par son procès de valorisation, transformer les antiques
présuppositions en présuppositions capitalistes, dans cette lutte le
prolétariat pourrait très bien lui aussi utiliser la démocratie comme nous le
verrons ultérieurement et alors on pourrait même avoir la révolution
pacifique, possibilité historique définitivement perdue à partir d'un
certain moment donné.
Dès lors que tout
ce qui fonde la société est dépendant du, ou directement engendré par le
capital, la politique n'existe plus de manière déterminante. Elle entre dans le
folklore, comme un élément mystificateur de la représentation du capital.
L'affirmation
théorique globale du rôle du prolétariat dans l'histoire et de l'accession de
l'humanité au communisme, représente le but du mouvement communiste, celui pour
lequel les divers groupements ont lutté; tout cela constitue le parti dans sa
large acceptation historique; au contraire le parti formel est celui qui est un
produit direct de la société - des luttes qui s'y déroulent - à un moment
donné; il exprime les possibilités qu'elle recèle et il lutte pour réaliser ce
qu'il est possible de réaliser tout en gardant présente la possibilité d'une
transcroissance éventuelle.
Il est clair que le
parti formel en élément duel du parti historique ne peut exister que dans la
mesure où il y a certaines tâches intermédiaires à accomplir et ce d'autant
plus que la bourgeoisie est faible, et que le mode de production féodal oppose
une force de résistance puissante; mieux cela se pose dans la mesure où il faut
réaliser, à la place de la bourgeoisie, les tâches qu'elles auraient dû
accomplir.
La stratégie est
prévision des rapports de classe à un moment donné, lors de leur heurt futur,
elle s'occupe donc des positions respectives des classes au moment immédiat et
au moment du futur révolutionnaire; elle s'occupe des positions qu'il est
possible de conquérir avant l'engagement; elle est prévisionnelle. En elle
s'affirme le rôle irremplaçable de la théorie. La tactique s'occupe des règles
de l'engagement quand celui-ci a commencé; elle est dépendante de la stratégie.
Car on peut se poser très tôt: quelle peut être l'action qui puisse réellement
accélérer un processus ? ou quel développement des luttes qui sont
absolument hors de notre contrôle peut avoir une issue favorable pour une
intervention future ? ex : la destruction du tsarisme lors d'un heurt
entre une nation quelconque et la Russie.
Il est évident
qu'il y aura toujours une question de tactique mais celle-ci perd
fondamentalement de l'importance à partir du moment où il n'y a plus de
distinction possible entre tactique directe et tactique indirecte (la
première est en rapport avec la possibilité d'utiliser la démocratie - à
l'intérieur comme à l'extérieur de la classe - la seconde est lutte directe
pour le communisme ).
5.3.2.
DEMOCRATIE EN DOMINATION FORMELLE DU CAPITAL
5.3.2.1. Période de
1789 à 1848
5.3.2.1.1. Avant d'envisager la période de
domination formelle proprement dite il est nécessaire de se préoccuper de la
période où le capital n'est pas encore parvenu à la domination, période où l'on
a la formule A-M-M'-A', celle de l'argent dans sa troisième détermination,
argent devenant capital. Cette période est celle des premières révolutions
bourgeoises ( la Réforme en Allemagne, par exemple ). Or, dès ce
moment-là surgit une position qui n'emprunte pas à la démocratie mais exprime
la volonté de structurer à nouveau soit le communisme primitif, soit le christianisme
primitif, lui-même essai de retrouver le premier.
Pour comprendre
cette période il faut tenir compte à la fois de la puissance de la communauté
féodale, de celle agraire et de l'existence de l'État en tant qu'équivalent
général similaire à l'or. (Cf. Grundrisse) Cf. Bécheux,
niveleurs, et divers mouvements similaires.
5.3.2.1.2. Au début donc le prolétariat est
au sein du peuple, il n'en émerge pas; il défend donc la démocratie ( la
revendique ), il lutte pour elle car c'est le mouvement même de sa propre
production. Le prolétariat est tout au plus une classe mobilisée mais non
mobilisatrice. Pourtant malgré ce, en pleine révolution française, il y a un
courant qui va au-delà de la démocratie ne serait-ce qu'en posant la question
de la réalisation de la vraie démocratie.
« Loin de
nous cette pusillanimité qui nous ferait croire que nous ne pouvons rien par
nous-mêmes et qu'il nous faut toujours avec nous des gouvernants. Les
gouvernants ne font des révolutions que pour toujours gouverner. Nous voulons
en faire une pour assurer à jamais le bonheur du peuple par la vraie
démocratie. Sans-culottes ! écartons nos idées d'une simple animadversion
contre quelques hommes; c'est pour du pain, l'aisance et la liberté que nous
nous échauffons. » Babeuf, ( p. 63 ).
Babeuf dénonce la
déclaration des droits de l'homme :
« que
chaque article de la constitution soit pur des expressions et des définitions,
à la portée du plus gros bon sens, sans ambiguïté, sans possibilité de
commentaires ou d'interprétations, sans la moindre laissée aux arguties des
fabricateurs de pernicieuses doctrines, des embrouilleurs de textes, des
chercheurs de juristes de faux-fuyants.
En observant la
racine de mes principes, vous aurez pu deviner que je serais d'avis que les successeurs
de l'Assemblée Constituante refondissent son oeuvre de fond en comble, sans
épargner même la déclaration des droits, selon moi trop incomplète, trop peu
substantielle et rédigée dans des termes trop peu précis et trop peu nets. Il y
a abondance de mots, mais sous cette prolixité par trop métaphysique se cache
le perfide moyen de neutraliser ou de réduire à de simples apparences qui
s'annoncent d'abord comme une réalité. L'appât et le piège s'y confondent si
bien qu'en étudiant cette déclaration, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'elle
est un leurre, tel que devaient le concevoir les endormeurs du peuple. Leur
déclaration n'a que la valeur d'un hochet. » ( pp.
57-58 )
En voulant la vraie
démocratie, en poussant à bout les données, en généralisant, il anticipe les
mesures que prendra la Commune de Paris.
« La
possibilité du retrait de mandat est une menace utile, indispensable; elle est
avec la publicité de tous les votes une des meilleurs garanties pour le peuple. »
( p. 59 )
D'autre part, il
dénonce l'incapacité, l'infirmité du principe démocratique pour régler des
questions essentielles ( par exemple celle de l'insurrection - sur ce
point Blanqui est son disciple ).
« Ce
sophisme, cette théologie subtile qui établit la nécessité de la réunion du
peuple à voter pour légitimer une insurrection, est une manière heureuse
d'avoir l'air de rendre hommage aux principes, lorsqu'on sait que par la forme,
l'impossibilité certaine assure le règne éternellement paisible des
oppresseurs. »
Enfin il arrive à
remettre en cause la société du droit, et toutes les illusions idéologiques.
« La valeur
de l'intelligence est une question d'opinion, il faut examiner si la force
purement naturelle et physique ne la vaut pas. »
5.3.2.1.3. Quelques années plus tard,
certains chartistes répondirent affirmativement. Ce furent les adeptes de la
force physique. Cependant ils furent supplantés par les partisans de la force
morale qui, en prônant et en réalisant l'alliance avec les radicaux bourgeois,
firent du mouvement ouvrier anglais un appendice de la bourgeoisie; le
mouvement chartiste s'enlisa dans le marais démocratique. La revendication,
l'agitation pour le mois saint, mois au cours duquel s'effectuerait
l'expropriation des expropriateurs, était encore une revendication
antidémocratique.
5.3.2.1.4. Même les
théories surgissant sur la base de la faiblesse numérique du prolétariat ne
sont pas imprégnées de démocratie. Cela est surtout vrai pour Fourier. Le but est
la constitution d'une nouvelle communauté. Il en est même pour toute la
tradition des utopistes à partir de T. Morus, Campanella en passant par Mably.
Ces utopies sont tout au plus remplies du principe égalitaire, un des
fondements de la démocratie idéale; la démocratie en tant que conciliation
entre les classes est en dehors de leurs préoccupations, ne serait-ce que parce
que le conflit entre celles-ci n'a pas atteint une acuité suffisante pour
pouvoir être extériorisé en une utopie et parce que toute utopie est une vision
nivellatrice de l'humanité; elle se situe en dehors du champ démocratique parce
que tendance à rupture avec l'ordre établi.
5.3.2.1.5. L'œuvre
qui exprime au mieux l'état du prolétariat en domination formelle du capital,
sa volonté de se constituer en classe, donc d'émerger tant de la société
féodale que de celle bourgeoise, est celle de Flora Tristan: L'Union ouvrière , 1843.
1.
Constituer la classe ouvrière au moyen d'une Union complète, solide et
indissoluble.
2.
Faire représenter la classe ouvrière devant la nation par un défenseur choisi
par l'Union ouvrière et salarié par elle, afin qu'il soit bien constaté que
cette classe a son droit d'être, et que les autres classes l´acceptent.
3.
Réclamer, au nom du droit, contre les empiétements, les privilèges.
4. Faire reconnaître la légitimité de la propriété des bras. ( En France,
25 millions de prolétaires n'ont pour toute propriété que leurs bras. )
5. Faire reconnaître la légitimité du droit au travail pour tous et pour
toutes.
6. Examiner la possibilité d'organiser le travail dans l'état social
actuel.
7. Elever dans chaque département des palais de l'Union ouvrière où l'on
instruira les enfants de la classe ouvrière intellectuellement et
professionnellement, et où seront admis les ouvriers et les ouvrières blessées
en travaillant et ceux qui sont infirmes ou vieux.
8. Reconnaître l'urgente nécessite de donner aux femmes du peuple une éducation
morale, intellectuelle, et professionnelle, afin qu'elles deviennent les agents
moralisateurs des homes du peuple.
9. Reconnaître en principe, l'égalité en droit de l'homme et de la femme comme étant
l'unique moyen de constituer l'Unité humaine.
Tout en
incluant en son sein des revendications de type démocratique ( droit,
égalité, etc., ), c'est l'affirmation du monopole de classe, des bras, de
la force vivante vis-à-vis du capital. Il n'y a donc pas de démocratie; cela va
au-delà. C'est d'autre part l'affirmation complémentaire, came le monopole est
le complément de la libre-concurrence. De même les syndicats à l'origine tout
en effectuant une contestation de la plus-value de type démocratique, sont en
définitive des éléments de constitution du monopole de classe, et entraient en
contradiction avec la libre concurrence. Ce sont les éléments mêmes de la
constitution d'une démocratie sociale.
« Si nous
voulons que la classe ouvrière devienne une force ... notre premier devoir et
la première nécessité sera l'organisation des ouvriers. »
S. Born : Programme de la « fraternité des ouvriers ». ( S.
Born fut membre de la Ligue des communistes )
5.3.2.1.6. Ces
propositions de F. Tristan rencontrent en grande partie celles du Manifeste.
L'immense différence c'est que dans ce dernier (et surtout dans les oeuvres
antérieures de Marx ) il y a l'affirmation de la nécessité de la
destruction du prolétariat, la grande tâche du XIXe. siècle. Le
Manifeste revendique :
*
Organisation du prolétariat en classe, donc en parti.
* Erection du
prolétariat en classe dominante et, pour la réalisation de ceci de façon
effective, généralisation de la condition de prolétaire à l'ensemble des
hommes; accroissement des forces productives.
* Négation des classes, suppression du prolétariat, affirmation du communisme.
Autrement
dit développement des forces productives (ce que réalisera le capital )
sous le contrôle du prolétariat, tel est le sens de l'érection en classe
dominante. Ceci implique obligatoirement la conquête de la démocratie puisque
cette dernière nécessite la généralisation du libre-échange, de la concurrence
avec la destruction des antiques rapports sociaux; conquête de la démocratie
afin de diriger ce mouvement. En revanche avec la domination du capital on aura
affaire à un mouvement autonomisé par rapport aux homes.
« Nous
avons vu plus haut que la première étape de la révolution ouvrière est la
constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.
« Le
prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit
tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production
entre les mains de l'État, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe
dominante, et pour augmenter plus vite la quantité des forces productives. »
( pp. 45-46 )
Étant
donné que le capitalisme et le communisme ont pour base la socialisation de la
production et des hommes, il apparaît que dès que le processus est enclenché, le
prolétariat peut le diriger. En conséquence il ne développera pas le
communisme, mais il élargira les bases favorables à son développement. Voilà le
pourquoi des mesures suivantes :
1. Expropriation de
la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de
l'État.
5. Centralisation
du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale dont le
capital appartiendra à l'Etat, et qui jouira d'un monopole exclusif.
6. Centralisation
entre les mains de l'État de tous les moyens de transport.
7. Multiplication
des manufactures nationales et des instruments de production; défrichement des
terrains incultes et améliorations des terres cultivées, d'après un plan
d'ensemble.
8. Travail
obligatoire pour tous, organisation d'armées industrielles, particulièrement
pour l'agriculture.
Le
Manifeste est par là relié à la situation immédiate non pour l'interpréter mais
pour transformer. Or, cette transformation implique l'utilisation de la
démocratie;, sa généralisation qui est le premier temps de sa négation. Mais en
même temps, en posant la nécessité de la destruction du prolétariat, il va très
au-delà. Il prévoit les données de la domination réelle, disons celles qui ne
pourront se développer qu'en elle.
« Elle ne
peut plus régner (la bourgeoisie, n.d.r ) parce qu'elle est
incapable d'assurer l'existence de son esclave dans le cadre de son esclavage,
parce qu'elle est obligée de le laisser dé choir au point de devoir le nourrir
au lieu de se faire nourrir par lui. La société ne peut plus vivre sous sa
domination, ce qui revient à dire que l'existence de la bourgeoisie
n'est plus compatible avec celle de la société. » ( p. 35 )
L'utilisation
de la démocratie c'est le moment où la politique peut encore avoir une
efficacité sur une période assez longue; c'est celle de l'exercice de la
volonté sur une société non encore dominée de façon intime par le capital. Car
la volonté dans sa forme et son contenu variera avec la variation de la
domination du capital.
On a
donc trois points à analyser : le libre-échange, les mouvements
d'indépendance nationale, la démocratie et, liée à celle-ci, une question
militaire d'importance exceptionnelle : la destruction du tsarisme.
5.3.2.2. La période
révolutionnaire : 1848-1850
5.3.2.2.1. Le
déroulement de la révolution de 48 confirme le Manifeste. En France dans un
premier temps (février 1848) : « Ce qu'il (le prolétariat
n.d.r) avait conquis c'était le terrain en vue de la lutte de son
émancipation révolutionnaire, mais nullement cette émancipation même ».
Dans un deuxième
temps (juin 48 ) le prolétariat est écrasé par la réaction bourgeoise. Le
secret de la lutte du XIXe siècle est dévoilé. D'autre part : « Au
lieu de quelques fractions seulement de la bourgeoisie c'étaient toutes les
classes de la société française qui se trouvaient soudain projetées dans
l'ordre du pouvoir politique. » ( p. 45 )
Tandis
que le prolétariat en revendiquant le droit au travail (cf. Luttes de classe en
France, p. 70 ), comme le voulait F. Tristan, réclamait alors sa propre
généralisation, son accession à une réalité assurée, au-delà de son existence
immédiate; dans le même temps perce la revendication du contrôle sur le capital
qui deviendra plus tard celle du contrôle ouvrier.
La faiblesse du prolétariat reconnue après sa défaite de juin 48 conduit
à l'alliance avec la petite-bourgeoise, c'est alors que naît le parti
social-démocrate.
« Nous
avons vu peu à peu les paysans, les petits-bourgeois, les couches moyennes en
général passer aux côtés du prolétariat, poussés à l'opposition ouverte contre
la république officielle... » ( p. 113 )
Le
prolétariat minoritaire a besoin d'autre part d'un allié : les paysans.
Ainsi l'impossibilité de réaliser la transcroissance - à cause de données
historico-sociales - oblige le prolétariat à recourir à la démocratie. D'autre
part la victoire de la démocratie en France présenterait un avantage considérable :
« Car la
victoire de la république en France est la victoire de la démocratie dans toute
l'Europe. » ( Werke, t.4, p. 456 )
« La
démocratie ne peut vaincre en Europe que si le prolétariat l'emporte à Paris. »
( Neue Rheinische Zeitung. Werke t.4, p. 456 )
« Il faut
d'abord que la réaction en France soit elle-même vaincue avant qu'elle puisse
être anéantie en Italie et en Allemagne. Il faut donc d'abord que soit
proclamée la république démocratique et sociale, il faut d'abord que le
prolétariat français ait réduit à sa merci sa propre bourgeoisie avant de
penser à une victoire durable de la démocratie en Italie, en Allemagne, en
Pologne, en Hongrie, etc. . .» ( Neue Rheinische Zeitung, cf.
Ed. Sociales, t.1, p. 456 )
5.3.2.2.2.
En Allemagne se posait la nécessité d'une double révolution parce que dans ce
pays la faiblesse, la lâcheté de la bourgeoisie autochtone imposait au
prolétariat de prendre le pouvoir et de réaliser les tâches de celle-ci, donc à
développer les forces productives.
En
premier lieu se pose la question de l'unité allemande, la formation de la
nation allemande. or, ceci nécessitait l'indépendance de la Pologne :
«l'instauration d'une Pologne libre démocratique est la condition
première de l'instauration d'une Allemagne démocratique.»
En
domination formelle, le capital n'a une domination que dans des aires fort
limitées, d'où il faut soutenir le mouvement de libération nationale ( cf.
Werke, t.6, p. 298; il faut s'allier même avec l'ennemi ) : la lutte
pour la démocratie à l'échelle internationale signifie lutte pour développer
les forces productives. Cela impliquait la destruction du tsarisme, donc la
guerre contre la Russie et l'élimination des petits peuples slaves.
« La
prochaine guerre mondiale ne verra pas seulement l'élimination de la surface de
la terre des classes et des dynasties réactionnaires mais aussi celle de
peuples réactionnaires. » ( t.6, p. 176 ) ( cf. aussi
lutte capital--prolétariat et guerre mondiale, 6, p. 397 )
« Les
grands pays agricoles entre la Baltique et la mer Noire ne peuvent se libérer
de la barbarie patriarco-féodale que par une révolution agraire qui transforme
les paysans serfs ou corvéables en propriétaires fonciers libres, une
révolution qui soit à la campagne exactement la même que la révolution
française de 1789. La nation polonaise a le mérite d'être la première, parmi
les peuples agricoles ses voisins, a l'avoir proclamé.
( ... ) Du
jour où ils furent opprimés, les polonais agirent en révolutionnaires et
enchaînèrent ainsi d'autant plus solidement leurs oppresseurs à la
contre-révolution. Depuis 1846 la Pologne « lutte pour
l'indépendance » et pour « la démocratie agraire »
- la seule possible en Europe orientale contre l´absolutisme patriarco-féodal. »
( Neue Rheinische Zeitung, 20.08.1848, Ed. Sociales, p. 407 )
« dans le fait que l'instauration de la démocratie
agraire est devenue pour la Pologne une question vitale non seulement politique
mais sociale ». ( idem, p. 421 )
Pour obtenir
l'unité allemande, il faut détruire l'Autriche, la Prusse.
Cependant toutes
ces luttes importantes et nécessaires ne faisaient pas perdre de vue ( ne
voilaient pas, ne masquaient pas ) le point central, c'est-à-dire la
nécessité de détruire la puissance de l'Angleterre pour que la révolution
socialiste triomphe : « L'Angleterre n'accepte pas la révolution
du continent, l'Angleterre dictera, quand son heure sonnera, la révolution au
continent. » ( Werke, t. 6. p. 149 )
Donc au cours de
cette grande phase révolutionnaire, ce qui fut surtout à l'ordre du
jour, parce que dans l'ordre des possibles qui pouvaient être effectués, ce fut
la démocratie.
« Les
quelques cent membres de la Ligue disparurent dans la masse subitement projetée
en mouvement. Le prolétariat allemand apparut donc ainsi pour commencer sur la
scène politique comme le parti démocratique extrême. »
« Lorsque
nous fondîmes en Allemagne un grand journal, le drapeau nous était tout donné
de soi. Ce ne pouvait être que celui de la démocratie, mais d'une démocratie
qui mettait partout en évidence le caractère spécifiquement prolétarien que
nous ne pouvions pas encore inscrire une fois pour toutes sur notre
drapeau. » 13.03.1884
Ceci ne contredit
en rien cette affirmation du 31.08.1848 dans La Neue Rheinische Zeitung :
« Nous n'avons jamais ambitionné l'honneur d'être l'organe de quelque
gauche parlementaire que ce soit. Avec les éléments disparates composant le
parti démocratique en Allemagne, nous avons au contraire estimé qu'il était
absolument nécessaire de surveiller les démocrates plus étroitement que
quiconque. » ( Engels )
Ainsi
Neue Rheinische Zeitung: organe de la démocratie, c'est absolument
logique, puisque l'émersion du prolétariat est tout juste possible et que ce
journal doit exprimer - non d'une façon nationale, mais de façon internationale
comme l'est le processus révolutionnaire - la montée de la démocratie, sa
nécessité. Il s'agissait d'appuyer les forces productives qui devaient
engendrer le capital mais, au fond, sans une conscience erronée, comme ce fut
le cas pour les révolutionnaires français de 1789-95, en sachant qu'est-ce
qu'on émancipait, et quelle devait être l'émancipation véritable. Le
prolétariat intervient pour accélérer un processus sans perdre son autonomie et
ce même à l'intérieur de la coalition démocratique. voilà pourquoi cette
position démocratique allait au-delà de la démocratie.
A noter justement
cette remarque : «La volonté de tout le peuple est la volonté de
la classe dominante.»
Enfin on ne peut
comprendre la position de Marx et d'Engels, ainsi que celle de la majorité des
membres de la Ligue, si on ne tient pas compte de cette remarque
fondamentale : « Les classes travailleuses sont nécessairement un
instrument dans la main de la bourgeoisie, aussi longtemps que la bourgeoisie
est elle--même révolutionnaire, ou au moins progressive. » II. 580
5.3.2.2.3. La
double révolution impliquait partout la conquête de la démocratie et pour cela
une guerre mondiale était nécessaire : « Soulèvement
révolutionnaire de la classe ouvrière française, guerre mondiale tel est le
contenu de l'avertissement de l'année 1849. » ( Werke, t.6, p.
506 )
« Les
combats de Juin à Paris, la chute de Vienne, la tragédie-comédie de Berlin en novembre
1848, les efforts désespérés de la Pologne, de l'Italie et de la Hongrie,
l'épuisement de l'Irlande par la famine - tels furent les moments principaux où
se concentra en Europe la lutte de classe entre la bourgeoisie et la classe
ouvrière et nous permirent de démontrer que tout soulèvement révolutionnaire,
aussi éloigné que son but puisse paraître de la lutte des classes, doit
nécessairement échouer jusqu'au moment où la classe ouvrière révolutionnaire
sera victorieuse, que toute réforme sociale reste une utopie jusqu'au moment où
la révolution prolétarienne et la contre-révolution féodale se mesureront par
les armes dans une guerre mondiale. » ( Marx Travail salarié et Capital , p. 19 )
C'est
peut-être dans ce texte que s'exprime le mieux la volonté de dépasser le
capitalisme, d'escamoter sa phase de développement. On est loin du prétendu
fatalisme économique de Marx. Seulement quand le capital aura triomphé, il ne
sera plus possible d´avoir un tel langage et c'est le nouveau langage que les adversaires
du communisme relèveront et en feront le matérialisme historique
ultra-déterministe, fataliste !
Le triomphe de la
révolution bourgeoise réclamait encore la lutte pour la démocratie afin de
purifier les rapports sociaux dans la nation où cette révolution s'était
produite, et à l´échelle internationale afin de généraliser le mode de
production capitaliste. Mais cela n'impliquait pas obligatoirement un appui
inconditionné aux démocrates. Il y avait eu la phase où le prolétariat était
immergé dans le peuple et sa défense de la démocratie fut immédiate et lui
permit d'émerger; ultérieurement le prolétariat s'individualise mais n'est pas
assez puissant pour réaliser seul la transformation; alors il soutint les
forces de destruction du féodalisme, celles qui permettent la structuration de
la société capitaliste, donc la démocratie.
Au contraire au
moment de l'enraiement de la vague révolutionnaire vers 1850 se pose la
nécessité nette et précise de rompre avec la démocratie parce que :
« le suffrage universel avait accompli sa mission. La majorité du
peuple avait passé par l'école du développement que seul le suffrage universel
pouvait donner dans une époque révolutionnaire. Il fallait qu'il fût aboli par
la révolution ou par la réaction. » (« Les luttes de classe en
France », p. 125 )
« La
défaite des insurgés de juin ( ... ) avait montré que la République
bourgeoise signifiait ici le despotisme absolu d'une classe sur les autres
classes. » ( idem, p. 180 - Cf. aussi la suite concernant la
comparaison avec les E.U )
« La
meilleure forme d'Etat est celle où les conditions sociales ne sont pas
estompées, ne sont pas jugulées par la force, c'est-à-dire artificiellement et
donc en apparence seulement. La meilleure forme de gouvernement est celle où les
contradictions entrent en lutte ouverte, et trouvent ainsi leur
solution. » ( Neue Rheinische Zeitung, p. 184 )
Dans la lutte
contre le féodalisme le prolétariat peut prendre momentanément le pouvoir,
exercer le terrorisme et en finir plus vite avec la vieille société. D´autre
part quand la bourgeoisie prit la pouvoir, la lutte du prolétariat contre cette
dernière fut une lutte pour l'obliger à réaliser sa propre fonction historique.
« Les
prolétaires prennent la bourgeoisie au mot : l'égalité ne doit pas être
établie seulement en apparence, seulement dans le domaine de l'Etat, elle doit
l'être également dans le domaine économique et social. Et surtout depuis que la
bourgeoisie française a pris le pouvoir la lutte du prolétariat contre celle-ci
à partir de la grande révolution a mis au premier rang l'égalité civile, le
prolétariat français lui a répondu coup pour coup en revendiquant l'égalité
économique et sociale; l'égalité est devenue le cri de guerre spécialement du
prolétariat français. »
« La
revendication de l'égalité dans la bouche du prolétariat a ainsi une double
signification. Ou bien elle est - et c'est notamment le cas au début - la
réaction spontanée contre les inégalités sociales entre riches et pauvres,
maîtres et esclaves, dissipateurs et affamés; comme telle elle est simplement
l'expression de l'instinct révolutionnaire et c'est en cela - en cela seulement
- qu'elle trouve sa justification. Ou bien née de la réaction contre la
revendication bourgeoise de l'égalité, dont elle tire les revendications allant
au-delà, qui sont plus ou moins justes, elle sert de moyen d'agitation pour
soulever les ouvriers contre les capitalistes et, en ce cas, elle tient et elle
tombe avec l'égalité bourgeoise elle-même. Dans les deux cas le contenu réel de
la revendication prolétarienne d'égalité est la revendication de l'abolition
des classes. Toute revendication d'égalité qui va au-delà tombe
nécessairement dans l'absurde. » ( Engels : Anti-Dühring,
p. 138-139 )
Ceci
recoupe parfaitement ce que dit Marx dans la Sainte famille au sujet de
Proudhon : l'apport de celui-ci est de prendre la bourgeoisie au mot (à
propos de « La propriété c'est le vol »).
D'autre part, on
voit ici le danger de la première partie : en rester à vouloir terminer la
révolution française, réaliser l'égalité, la fraternité qui, de moyens,
deviennent des fins
5.3.2.2.4. Il y eut
nécessité sur le plan théorique de défendre la démocratie contre les théoriciens
réactionnaires qui voulaient le retour au féodalisme (Cf. critique d'Engels à Past
and Present de Carlyle ).
Cependant
il y a une ambiguïté parfois, surtout si la question n'est pas abordée dans sa totalité.
En effet les réactionnaires dé fendent une communauté où la démocratie n'a pas
de place, mais c'est une communauté aliénée ( les hommes aussi, pas de
dichotomie ) et de ce fait il faut montrer comment le procès de
dissolution peut conduire à la formation de la vraie Gemeinwesen humaine.
Il faut
tenir compte de la ressemblance avec la polémique des populistes, mais tenir
compte simultanément de l'énorme différence dérivant de la possibilité de
greffer le communisme sur le mir.
5.3.2.3. La période
de recul : 1852 - 1864
D'un point de vue
général, on peut caractériser cette période par :
1. Coupure avec la démocratie, c'est-à-dire coupure avec le mouvement
démocratique ayant pour base le prolétariat.
2.
Soutien à tous les mouvements démocratique dans la mesure où ils luttent
réellement contre le féodalisme. On a donc en quelque sorte utilisation de la
démocratie en dehors de la classe, c'est-à-dire qu'on a une tactique indirecte.
C'est toute la question nationale qui est importante ici.
3. Marx et Engels envisagent toujours les possibilités d'exploitation du
suffrage universel de la part du prolétariat, en Angleterre.
Pour
comprendre la position de Marx et d'Engels comme celle des autres révolutionnaires,
il faut tenir compte du caractère de cette époque. En Europe il y a freinage du
développement par suite de l'action de la Sainte-Alliance. Ce ne sera que vers
la fin de cette période que de nouveau on aura un boom de l'économie, surtout de
l'industrie, qui remettra le prolétariat en selle. La société dans son ensemble
paraît liquider encore les séquelles de la révolution française de 1789. Le
capital ne parvient pas à donner forme à la société. C'est le règne du flou, de
l'imprécision et donc de la confusion, avec toutes les utopies possibles tant
dans leur sens péjoratif que positif. Enfin, un dernier élément dont il faut
tenir compte pour comprendre l'affaiblissement du prolétariat, c'est
l'immigration qui, si elle permet d'étendre immédiatement le réseau
révolutionnaire, détruit en fait la force vive du mouvement.
Pour Marx et Engels : « Si nous avons été battus, il ne nous
reste qu'à reprendre par le commencement » (« Révolution et
contre-révolution en Allemagne », Ed. Costes )
Étant
donné que « la fraction la plus progressiste » de la bourgeoisie,
les grands industriels, n'a pas conquis le pouvoir politique et remodelé l'Etat
selon leurs besoins, le grand problème du XIXe. siècle, la suppression du
prolétariat, ne peut pas encore être mis au premier plan, ni ne peut apparaître
sous son vrai jour. Etant donné d'autre part que l'expérience pratique faite
durant la révolution de 1848-49 confirmait le raisonnement théorique, qui
aboutissait à la conclusion suivante : « la démocratie des petits
commerçants devait avoir son tour d'abord, avant que la classe ouvrière
communiste pût espérer s'emparer définitivement du pouvoir et détruire ce
système de l'esclavage salarié qui la plie sous le joug de la bourgeoisie. »
( « Révolution et contre-révolution en Allemagne », pp.
182-183 ), il était nécessaire, après la défaite, de rompre avec la
démocratie, avec le mouvement démocratique qui, en cas de victoire, se serait
retourné contre le prolétariat et qui, dans la défaite, ne pourra fournir aucune
aide à ce dernier.
C'est avec la
circulaire de 1850 qui «n´était au fond qu'un plan de bataille contre
la démocratie» ( Marx à Engels, 13.07.1851 ) que la rupture
avec cette dernière est conseillée, revendiquée. Il y est déclaré qu'il faut se
méfier des démocrates, que le parti démocratique est plus dangereux pour les
ouvriers que l'ancien parti libéral.
Avec le
triomphe de la contre-révolution, tout rapport avec la démocratie est devenu
absolument inutile, surtout pour les membres de la Ligue.
«Cet
isolement répond tout à fait à notre position et à nos principes. Le système a
cessé maintenant qui consistait à se faire des concessions réciproques, à
tolérer, par politesse, des faiblesses, à se partager avec ces ânes, devant le
public, le ridicule qui rejaillit sur le parti ». (Marx à
Engels, 11.02.1851 )
Toutefois,
si le parti ( ici la Ligue qui a été dissoute ) ne peut pas
intervenir, il est bon tout de même de suivre le mouvement réel et d'étudier
comment le prolétariat agit et lutte dans une phase de réaction.
« Le
prolétariat dont le combat autonome pour ses propres intérêts contre la
bourgeoisie industrielle peut seulement commencer que le jour où la suprématie politique
de cette classe est assurée, le prolétariat devra dans tous les cas tirer aussi
quelque avantage de cette réforme électorale. » ( Engels, 1852,
Werke t.8, p. 218 )
Là nous trouvons le
réformisme révolutionnaire de Marx. il serait important d'étudier ici
l'opposition Marx-Proudhon, en particulier au sujet des œuvres de ce dernier
telles que « Idée générale de la révolution au XIXe siècle »
( cf. lettres de Marx à Engels du 08.08.1851 et suivantes ainsi que les
réponses d'Engels ). Tout d'abord la position vis-à-vis du suffrage
universel en Angleterre.
« Voyons
maintenant les chartistes, la fraction active, au point de vue politique, de la
classe ouvrière britannique. Les six points de la Charte qu'ils poursuivent ne
renferment autre chose que la revendication du suffrage universel et des
conditions sans lesquelles ce suffrage serait illusoire pour la classe
ouvrière, telles que le vote secret, les diètes pour les membres du parlement,
les élections générales annuelles. Mais, pour la classe ouvrière anglaise,
suffrage universel et pouvoir politique sont synonymes. Les prolétaires forment
en effet la grande majorité de la population; par de longues guerres civiles,
parfois secrètes, ils ont acquis la conscience de leur situation de classe et
les districts eux-mêmes ne connaissent plus de paysans, mais des propriétaires
fonciers, des capitalistes producteurs ( fermiers ) et des salariés.
L'obtention du suffrage universel général en Angleterre serait donc une
conquête où il y aurait plus d'esprit socialiste que dans n'importe quelle
mesure qui, sur le continent, a été honoré de ce nom. »
Elle aurait pour
conséquence inévitable la suprématie politique de la classe ouvrière. »
(Les chartistes in Oeuvres politiques, Ed. Costes, t.2, pp.
18-19, Werke, t.8, p. 344 )
« A propos
des tentatives faites en vue de créer un parti qui s'appelle lui-même national,
Ernest Jones remarque très exactement : “ La charte populaire est le
plus universel des essais de réforme politique, et les chartistes sont le parti
vraiment national, qui puisse réaliser en Grande-Bretagne des réformes
politiques ou sociales. ” » ( « Les efforts faits pour
créer un nouveau parti d'opposition. » p. 76 )
Et Marx ajoute,
( p. 77 ) : « Au cas d´une crise politique ou
commerciale l'importance de l'activité qui, sans bruit, est actuellement
déployée au quartier général du chartisme se fera sentir dans toute la
Grande-Bretagne. »
Un
autre aspect, en quelque sorte économique, est ensuite traité dans un autre
article du New York Tribune du 28.12.1852, ( p. 94 ).
« Je
résume. Le libre-échange pousse vers le système des impôts directs. L'impôt
direct implique des mesures révolutionnaires contre l'Église, les propriétaires
fonciers, et les porteurs de valeurs d'État. Les mesures révolutionnaires
exigent une collaboration avec la classe ouvrière, et cette collaboration
enlève à la bourgeoisie anglaise les principaux avantages qu'elle attendait du
libre-échange c'est-à-dire la mainmise absolue du capital sur le travail. »
Dans un
article du 15.03.1853, Marx expose la nécessité de lutter pour la journée de
10 heures et explique comment les propriétaires fonciers sont incapables de
profiter de la lutte des prolétaires contre les capitalistes, et à plus forte
raison de les soutenir, d'où entre autres arguments la nécessite de
l'intervention de l'Etat.
Mais
c'est en 1855 que Marx expose avec le plus de précision la nécessite de la
lutte pour la généralisation du suffrage universel.
« Après les
expériences qui, en 1848, ont sape le suffrage universel en France, les gens du
continent sont portes à sous-estimer l'importance et la signification de la
charte anglaise. lis oublient qu'en France la société se compose pour les deux
tiers de paysans, et pour un tiers de citadins, tandis qu'en Angleterre plus
des deux tiers de la population habitent les villes et moins d'un tiers la
campagne. En Angleterre, les résultats du suffrage universel seront donc
nécessairement en proportion inverse des résultats de ce même suffrage
universel en France, tout comme la ville et la campagne le sont dans les deux
pays. C'est ce qui nous explique le caractère diamétralement opposé que la
revendication du suffrage universel a revêtu en France et en Angleterre. Là, ce
fut la revendication formulée par les idéologues politiques et à laquelle tout
“ intellectuel ” pouvait plus ou moins prendre part, suivant
ses convictions. Ici, c'est la large ligne de démarcation entre l'aristocratie
et la bourgeoisie d'une part et les classes populaires d'autre part. Là ce fut
une question politique, ici, c’est une question sociale. En Angleterre
l'agitation pour le suffrage universel a parcouru une évolution historique,
avant de devenir le Shibboleth de la masse. En France, on commença par établir
le suffrage universel qui commença ensuite son évolution historique. En France
ce fut la pratique du suffrage universel qui échoua, en Angleterre ce fut
l'idéologie. Dans les premiers temps du XIXe. siècle, avec sir Francis Burdett,
le major Carwright, Cobbett, le suffrage universel avait encore absolument le
caractère idéaliste et imprécis qui en faisait le vain désir de toutes les
fractions de la Population n'appartenant pas directement aux classes
dirigeants. Pour la bourgeoisie, ce n'était en effet qu'une expression
excentrique, généralisant ce qu'elle avait obtenu par la réforme parlementaire
de 1831. Encore en 1838, la revendication du suffrage universel n'avait pas
pris, en Angleterre, son caractère spécifique réel. La preuve Hume et O'Connell
figuraient parmi les signataires de la charte. En 1842, les dernières illusions
disparurent. C'est à cette époque que Lovett fît une dernière et vaine
tentative de formuler la revendication du suffrage universel comme la
revendication commune des soi-disant radicaux et des masses populaires. A
partir de ce moment, il n'existe plus le moindre doute sur la signification du
suffrage universel ni sur l'appellation même. C'est la charte des classes
populaires et le sens en est : acquisition de la puissance politique en
tant que moyens de réalisation de leurs besoins sociaux. Compris en France en
1848, comme le mot d'ordre de la fraternisation universelle, le suffrage
universel devient en Angleterre un cri de guerre. En France, c'est le suffrage
universel qui constitue le fond immédiat de la révolution; en Angleterre, c'est
la révolution qui constitue le fond immédiat du suffrage universel. Quand on
passe en revue l'histoire du suffrage universel en Angleterre, on s'aperçoit
que le suffrage universel y dépouille son caractère idéaliste au fur et à
mesure que la société moderne s'y développe avec ses contradictions infinies,
telles que les produit le progrès de l'industrie. A côte des partis officiels,
ou semi-officiels, came à côte des chartistes, on remarque en Angleterre une
« clique » de sages, aussi mécontents du gouvernement et des classes
dirigeantes que des chartistes. Que veulent les chartistes s'écrient-il.
Rehausser et élargir la toute-puissance parlementaire en en faisant le pouvoir
populaire; ils la lèvent à une puissance supérieure. La vérité c'est de briser
le système représentatif. » ( pp. 79-82 )
Dans un
article du 21.08.1853, la question du parlement ouvrier est à nouveau évoquée.
( Werke, t.10, p. 395 )
Il y a
donc un rejet du mouvement démocratique organise par les divers démocrates,
d'où les pamphlets comme « les grands hommes de l'exil »
( Werke, t.8, pp. 233 sqq. ) et soutien du mouvement démocratique.
Tout
ceci concerne directement le prolétariat. C'est l'utilisation directe de la
démocratie par le prolétariat. Mais il y a un autre mode d'utilisation que l'on
peut appeler indirect. C'est le soutien aux mouvements d'émancipation contre
l'absolutisme; le soutien de la démocratie comme moyen de permettre un
développement du capital donc du prolétariat.
Luttes contre le tsarisme et contre le panslavisme dans la mesure où
celui-ci apporte en définitive son soutien au tsar.
Exemple net : soutien des anglo-français lors de la guerre de
Crimée.
Toutefois
Marx n'a probablement pas perçu un élément fort important traité par les
panslavistes, c'est celui de l'obchtchina. Marx, à cette époque là, voyait trop
un devenir unilinéaire et donc la nécessité de passer partout par le mode de
production capitaliste. D'autre part il était trop préoccupé par le problème de
la formation de l'unité allemande vis-à-vis de laquelle le tsar jouait un rôle
de frein indéniable Le mouvement révolutionnaire est des lors pensé comme
continuateur de la révolution française et non réellement en tant que mouvement
prolétarien.
Liée à
la question de l'unité allemande, on a celles de l'indépendance de la Pologne
et de l'unité italienne.
En ce
qui concerne l'Inde et la Chine, Marx et Engels pensent à un développement rapide
du MPC dans ces régions. En règle générale il y a l'idée que le MPC va
rapidement se développer et donc créer les conditions de la révolution
prolétarienne.
Pour en
revenir à l'Inde et à la Chine, ce n´est qu'au cours des années 50 et même
après 1860 que Marx parviendra à comprendre que le schéma unilinéaire n'est pas
valable; le MPC n'est pas fatal.
Enfin dans les oeuvres non publiées du vivant de Marx : Urtext,
Fondements, etc., on trouve un dépassement de la démocratie, car là ce dernier
ne raisonne pas en fonction de l'immédiat.
5.3.2.4. Période de
1864 à 1871
En plus de l'utilisation indirecte de la démocratie comme ce fut le cas
dans la période précédente , nous avons son utilisation à l'intérieur de la
classe et par, là, en sorte réalisation de la démocratie prolétarienne grâce à
l'AIT (Association internationale des travailleurs) où tous les
courants affectant la classe ouvrière étaient représentés; la direction
centrale, le Conseil général de Londres tendant à établir une autorité sur
l'ensemble du mouvement. Il y a un certain dépassement du centralisme et du
fédéralisme ainsi que des sectes.
La
reprise d'un mouvement révolutionnaire date en fait de la fin des années 50.
Elle reçut une impulsion de la crise de 1857. La création de l'AIT est le point
culminant de cette période. Toutefois nous préférons partir de 1864 pour
envisager toute l'histoire de l'AIT, étant donné que sa création marque une
coupure dans la vie de la classe. Ce mouvement a deux causes : une interne
au processus même de formation de la classe en tant que classe : résister
à la pression des capitalistes, s´unir pour abolir l'état de choses existant,
trouver une théorie, etc.; une externe : la lutte pour l'indépendance de
la Pologne ( donc rapport avec le vieux mouvement de 1848 et par là avec
la démocratie, dernier apport de ce pays ).
« Plus je
réfléchis à l'histoire, et plus je comprends que la Pologne est une nation
foutue dont on ne peut se servir que jusqu'au jour ou la Russie sera entraînée
elle-même dans la révolution agraire. A partir de ce moment, la Pologne n'aura
plus de raison d'être. Tout ce que les polonais aient jamais fait dans
l'histoire ce sont des sottises qui attestent leur bravoure, mais aussi leur
tempérament batailleur. »
Engels parle
ensuite de la Russie et de son rôle civilisateur, puis de la prétendue
immortalité de la Pologne, pour en arriver à :
« Par
bonheur, nous n'avons, dans le Neue Rheinische Zeitung, contracte envers les polonais
que l'inévitable engagement de rétablir le pays dans son autonomie avec une
frontière acceptable; et cela même sous-la condition de la révolution agraire.
Je suis certain que cette révolution s´opérera pleinement en Russie plus tôt
qu´en Pologne à cause du caractère national et parce que les éléments bourgeois
sont plus avancés en Russie. » ( Lettre à Marx du
23.05.1851 )
Pour
traiter ce point à fond, il faudrait faire une histoire de l'AIT et utiliser
tous les pamphlets ainsi que les diverses lettres de Marx et d'Engels à son
sujet. Rappelons simplement qu'il y a ici un dépassement du parti formel en
tant que regroupement d’avant-garde ( cf. lettre de Marx à Engels au sujet
des ouvriers comtistes, 05.03.69 )
On a
ici le réformisme révolutionnaire généralise et en acte par l'ensemble de la
classe. On doit noter la différence avec Tolain : intégration du
prolétariat; Lassalle : illusion de l'utilisation de l'Etat en place.
Deux
moments dominent (en dehors des faits propres de l'Internationale)
le mouvement populiste en Russie qui aurait dû permettre de poser
progressivement le problème de la Pologne d'une toute autre façon; le mouvement
d´émancipation des esclaves aux USA.
Avec la
Commune de Paris on a à nouveau un dépassement de la démocratie. Dans l'œuvre
de Marx, il semblerait que cela soit définitif cette fois. L'État est dénonce
avec virulence et Marx retrouve sa position juvénile lors de sa critique à
Hegel, à Ruge, à Mill. Il semble que les oeuvres de jeunesse expriment un
possible et que la Commune en soit une effectuation.
«Le
parlementarisme en France était parvenu à son terme. Sa dernière période, son
plein épanouissement ce fut la république parlementaire, de mai 1848 au coup
d´État. L'Empire qui le tua fut sa propre création ( ... ) Le
parlementarisme était alors mort en France et la révolution ouvrière n'allait
certainement pas le fait renaître de ses cendres. »
Condamnation
sans appel. Dès lors on peut se demander est-ce qu'après la défaite le
prolétariat devra-t-il ressusciter le parlementarisme en participant au
parlement, en réclamant à corps et à cris le suffrage universel ?
« La Commune
est la reprise du pouvoir d'État par la société dont il devient la force
vivante, au lieu d'être la force qui la domine et la subjugue. C'est la reprise
par les masses populaires elles-mêmes, qui substituent leurs propres forces à
la force organisée pour les opprimer; la Commune c'est la forme politique de
leur émancipation sociale, substituant à la force artificielle ( appropriée
par leurs oppresseurs ) ( leur propre force s'opposant à eux et
s'organisant contre eux ) de la société, mise au service de leurs ennemis
pour les opprimer. Cette forme était simple comme toutes les grandes choses. »
«Ce ne fut
pas une révolution contre telle ou telle forme de pouvoir d'État légitimiste,
constitutionnelle, républicaine ou impériale. La Commune fut une révolution
contre l'État lui-même, cet avorton surnaturel de la société; ce fut la reprise
par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale. »
Il faudrait citer toute la page 212. Ce qui est essentiel c'est la mise
en mouvement des masses qui accèdent à leur pleine détermination; elle agissent
donc et créent leur conscience. Sans un tel mouvement aucune révolution ne peut
se réaliser. Et là on voit qu'un parti défini dans son sens étroit voulant
encadrer, organiser, limiterait en fait le mouvement. Il ne peut être qu´à
l'intérieur de celui-ci dans la mesure où il a pu préexister au phénomène
révolutionnaire et, dés lors, il œuvre à sa généralisation, à la constitution
de la classe en parti, donc à son propre dépassement.
« Quant au
parlementarisme il avait été détruit par ses ouailles et par l'Empire. La seule
chose que la classe ouvrière avait à faire, c'était de ne pas le ressusciter. »
( p. 260 )
Il y a
toutefois une utilisation réelle, non mystifiée de certains mécanismes
démocratiques.
« ...
le suffrage universel adapté à son but véritable, qui est de faire élire par
les communes leurs propres fonctionnaires d'administration et de législation. »
( p. 214 )
« Au
lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe
dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au
parlement, le suffrage universel devait servir au peuple, constitué en communes... »
( p. 43 )
Les
démocrates ont pu se sauver en disant qu'ils élisaient maintenant des
représentants ouvriers. En quelque sorte ils pouvaient utiliser ce que disait
Marx à propos du parlement ouvrier.
Au
cours de la révolution à venir le phénomène politique sera encore moins
important. Il n'y aura pas une révolution politique, si ce n'est la destruction
du pouvoir actuel. L'émancipation se fera par des organismes qui directement se
mettront à vivre selon le communisme. Il ne peut pas y avoir d'autres formes
d'émancipation.
Cependant
la plus grande gloire de la Commune c'est d'avoir non seulement mit fin à
l'Empire mais encore d'avoir démasqué :
« Cette
forme anonyme ou républicaine des régimes bourgeois, cette république
bourgeoise, cette république du parti de l'ordre, est le plus odieux de
tous les régimes politiques. Sa tâche directe, sa seule raison d'être,
c'est d'écraser le peuple. C'est le terrorisme de la domination de classe.
« Cette
révolution n'avait pas été faite contre Napoléon le petit mais contre les
conditions sociales et politiques qui avaient engendré le second empire. »
( p. 181 )
La destruction
d'une telle monstruosité ne fut hélas que temporaire. Après la défaite, le
prolétariat aurait dû rester sur ce terrain et non contribuer à sa réformation
sous sa forme mystificatrice, mystifiée.
« La
plus grande mesure prise par la commune, c'est sa propre existence. »
Mais la
classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle qu'elle est la machine de
l'État et de la faire fonctionner pour son propre compte. Tout cela prouve que
la Commune était l'affirmation d'un être nouveau. Ce n'est pas pour rien
qu'Engels proposait de traduire Commune par Gemeinwesen. En ce sens les
ouvriers firent bien ce que proposait Marx.
« Ils
n'ont pas à recommencer le passé, mais à édifier l'avenir. »
Cette
victoire de 1871 sur la démocratie bourgeoise ne peut être définitive. Elle
n'est pas, probablement, compatible avec la maturité du mouvement
international. Marx saisit nettement le moment de vie de la classe et la
caractéristique de celle-ci : impulser le mouvement, le développement,
même si dans l'immédiat elle doit en pâtir: (cf. la citation des
pp. 215-216 reportée dans Invariance, série I, n° 10 ). En outre :
« Elle
devait être un corps agissant et non parlementaire, exécutif et législatif en
même temps. Les agents de police au lieu de être les agents d'un gouvernement
central devaient être les serviteurs de la Commune et devaient comme les autres
fonctionnaires de tous les autres secteurs de l'administration, être nomes par
la Commune en restant toujours révocables par elle. » ( p.
260 )
On voit
par là la limite que nous avons dépassée. Il ne s'agit plus de prendre quelque
chose et de le faire fonctionner au profit des homes et non au profit du
capital, mais de créer quelque chose qui soit au delà de ce binaire
négatif-positif. Ceci existe potentiellement à l'heure actuelle dans le
mouvement contre le capital en dehors des groupuscules divers.
« La
fonction publique devait cesser d'être une propriété personnelle, conférée par
un gouvernement central à ses instruments. » ( p. 261 )
C'était
donc la dictature du prolétariat. Les anarchistes sont contre ce terme.
Cependant, eux aussi, d'une façon ou d'une autre seraient amenés à exercer une
dictature. La vraie question c'est celle de comment la réaliser; même chose en
ce qui concerne la violence. Dans tous les cas, ici, il ne s'agissait pas de
réaliser la démocratie, mais de :
« .. libérer
les éléments de la société nouvelle que porte déjà dans ses flancs la
vieille société qui s'effondre. » ( p. 46 )
En conclusion
la Commune est la dernière révolution prolétarienne en période de domination
formelle du capital sur la société. (cf. Invariance, série I, n° 10 )
5.3.2.5. La période
de 1871 à 1914
Marx et
Engels ne sont pas demeurés au niveau de la discontinuité de 1871. À partir de
cette période vont surgir des polémiques où Engels ne sera pas à même de sentir
ce qu'il y a de nouveau. Le plus bel exemple est la question des jeunes au
début des années 90. C'est de ce moment-là que date aussi la division avec les
anarchistes. On peut dire aussi que la critique aux bakouninistes demeure dans
les limites étroites du parti formel (cf. le texte sur le congrès de
Sonvilliers ), de même en ce qui concerne les blanquistes.
Tout
est dominé par la Commune de Paris. C'est le point central de la constitution
du mythe du prolétariat ( d'autres l'ont dit avant nous, mais nous voulons
montrer que cette affirmation s'articule dans une autre représentation
théorique ). La problématique sera de reconstituer ce qui a été brisé,
l'unité de l'AIT plus affirmée que vraiment opérante.
Quelques
affirmations: la république démocratique est la dernière forme en
laquelle se fera la lutte pour le pouvoir. La dictature du prolétariat est
réalisation de la démocratie, comme s'est affirmé dans les critiques au
programme de Gotha comme à celui d'Erfurt (p. 87). Toutefois il y a
un essai d´établir une périodisation rigoureuse du passage au communisme.
C'est
le moment précis du réformisme révolutionnaire de Marx et d'Engels avec
enlisement complet, à partir de là, de ce dernier, dans la démocratie
( cf. ses lettres des années 91-92 ).
La
démocratie dans la classe et utilisation de celle-ci par la classe
prolétarienne: cf. les Considérants du POF.
En ce qui concerne l'Allemagne: peur d'une saignée comparable
celle de la Commune. L´abrogation des lois anti-socialistes semble confirmer
qu'il est possible de passer par une phase non violente pour accéder au
socialisme, tout au moins qu'il est possible d'atténuer celle-ci et que dans
tous les cas il est possible de se renforcer considérablement avant de donner
l'assaut à l'État.
Il ne faut pas, non plus, ne pas tenir compte de l'idée d'Engels selon
laquelle il faut encore terminer la révolution bourgeoise en Allemagne grâce à
une poussée par le bas.
L'impulsion du mouvement russe n'est pas suffisante pour radicaliser en
Occident et, d'autre part, la vison classiste est trop prédominante au sein du
mouvement ouvrier pour que celui-ci soit capable de profiter de cette poussée.
Sur le plan théorique Marx a publié ses ouvrages fondamentaux. Il semble
tourner en rond parce qu'il ne parvient pas à un dépassement.
En ce qui concerne le mouvement lui-même on a, à partir de 1889, la IIe
internationale, mouvement intégré et intégrant simultanément. Les actes les
plus révolutionnaires sont accomplis par ceux qui se placent en marge:
les anarchistes effectuent les actes les plus irrécupérables. Cela désigne par
là même le déséquilibre, la discontinuité, le porte-à-faux qui se manifeste.
On peut dire qu'on est toujours à la recherche du prolétariat. A ce
propos il convient de noter la convergence entre Kautsky avec son livre sur les
origines du marxisme et Lénine avec Que faire? qui théorise
un parallélisme entre le mouvement socialiste et le mouvement ouvrier. De la
nous en arrivons à l'affirmation qu'on ne doit pas tomber dans le
traquenard: ce sont les chefs qui ont trahi; car, la classe ouvrière, que
voulait-elle réellement ? Quand elle se manifesta au début de ce siècle ce
fut pour le suffrage universel, en Belgique, en Allemagne, en Hollande, par
exemple. En Russie nous sommes dans un autre cycle.
En ce qui concerne
Bernstein, il ne fait qu'aller jusqu'au bout mais en perdant toute perspective
révolutionnaire; il est discours direct du capital. À la même époque s'affirme
la thèse que le capitalisme est un mieux en soi; cela conduit au soutien du
colonialisme.
Remarque :
il faut tenir compte toutefois du phénomène révolutionnaire mondial du début de
siècle: avant 1905, avec apogée à cette date dans l'aire slave, qui
concerne l'ouest européen ( Portugal particulièrement ), le Mexique,
la Turquie, la Perse, la Chine (1911), mouvement de type capitaliste
accompli par le prolétariat.
Correspondant
à cette phase il y a eu une certaine radicalisation au sein de la IIe
Internationale : il y a formation de gauches (sans qu'il y ait une
théorisation nouvelle) comme en Italie; en Hollande cela aboutit à une
scission, mais on reste dans le cadre du socialisme classique. En outre il n'y
pas production d'une oeuvre théorique réellement marquante de la part des
socialistes, comparable, à ce qui est produit par les théoriciens partisans
de l'idéologie en place (savants, philosophes etc...).
5.3.3. LA DÉMOCRATIE DURANT LA PÉRIODE DU PASSAGE DE LA DOMINATION
FORMELLE À LA DOMINATION RÉELLE SUR LA SOCIÉTÉ: 1914 - 1945
Pour comprendre
le passage à la domination réelle du capital sur la société il faut tenir
compte d'un devenir important, celui de l´accession du prolétariat au stade de
classe dominante sous forme mystifiée. Cela implique que c'est l'être immédiat
du prolétariat qui fut ainsi porté à la domination, que c'est ainsi qu'il fut
possible de nier tout élément de contestation de la part de cette classe.
D'autre part, grâce à la généralisation du salariat, il y a tendance à la
disparition de la structure de classe proprement dite; cela conduit à établir
une hiérarchie afin de pouvoir mettre en évidence la classe ou bien alors on
est conduit à dire que la classe dominée est extrêmement vaste et la classe
dominante fort réduite. Simultanément on a la démonstration que le prolétariat
ne luttait finalement que pour la socialisation, c'est-à-dire tendait à
réaliser en définitive la communauté matérielle à laquelle accède le capital.
Corrélativement la tendance toujours plus accusée à partir de la fin du siècle
dernier à définir la classe prolétarienne par la conscience, par des données
spirituelles, par le programme. Ou alors on a la conception du prolétariat
comme force minoritaire et théorisation de sa solitude : Gorter.
Quoi qu'il
en soit, toute cette période indique qu'en définitive le mouvement prolétarien
- comme le mouvement bourgeois - a eu ( pour dire cela de façon sûre, il
faut encore vérifier ) une fausse conscience de son propre
mouvement : il croyait faire du socialisme, il ne faisait que parachever
la domination du capital. C'est de cette période que date la question de la
gestion et de ses différentes formes.
Le
passage se fait par l'intermédiaire d'un faisceau de phénomènes.
Défaite
du prolétariat en 1914 qui est aussi celle de la démocratie politique.
Toutefois il est important de noter que c'est la défaite de ce qu'on posait
être le prolétariat révolutionnaire; en outre c'est le triomphe du travail
salarié, autre pôle du capital. Ensuite on doit faire entrer en ligne de compte
le fascisme, le nazisme, le salazarisme, le franquisme. Ces derniers mouvement
ont un intérêt pour le mode de production capitaliste dans la mesure où ils
bloquent justement un mouvement révolutionnaire qui pourrait prendre relaie dans
ces aires où ce mode est moins développé ( inhiber une transcroissance
possible ! ); ceci se répétera en Argentine ( péronisme )
ainsi qu'avec divers mouvements en Amérique Latine.
Dans
tous les cas le prolétariat est l'acteur essentiel de cette période
historique : révolution russe, révolution allemande, etc., car c'est lui
qui conditionne, par ses victoires momentanées comme par ses échecs, tout le
devenir social. Le mode de production capitaliste ne peut parvenir à sa
domination sans prendre, sans utiliser le marxisme ramené à une théorie de la
croissance. Autrement dit, à la fin de cette phase on peut dire aussi que le
rôle historique du prolétariat dans son ancienne détermination est fini. Il est
évident que l'on peut de nouveau le faire jouer en tant que classe universelle,
mais ce n'est que la contradiction figée d'un moment particulier que le
mouvement social a déjà dépassé.
Cette
question de la fin du rôle de la classe ouvrière est en liaison directe aussi
avec la question russe : révolution se développant dans une aire à forte
persistance du phénomène communautaire.
Autrement
dit, dès ce moment il y a les éléments pour penser le devenir nouveau du monde.
Ce dont
il s'agit c'est donc de l'accession du capital à sa domination réelle sur la société
dans les vieilles zones où le capital s'était déjà instauré. Il est évident que
la question de sa domination ne peut être résolue victorieusement que s'il
parvient à dominer les zones où il lui fut normalement très difficile de
prendre pied.
Le phénomène
doit être vu dans sa totalité, c'est-à-dire que si les prolétaires se sont
illusionnés sur leurs tâches, on peut dire aussi que les capitalistes en firent
autant et surtout ils n'avaient pas pris conscience des mécanismes de vie du
capital ni compris ses mécanismes d'autorégulation, de telle sorte que leur
intervention put souvent être catastrophique. Mais avec la transformation de
l'État en État capitaliste la question se règle de façon précise. Naît alors la
possibilité de lever le complexe d'infériorité de ceux qui se posent dans le
camp capitaliste; il leur est possible de produire une théorie globale, de
dépasser Marx ...
Le
passage de la domination formelle du capital sur la société à celle réelle
s'est effectué grâce à divers mouvements dont le fascisme, le nazisme, etc. ...
Dans tous les cas ceci s'effectue au cours d'une crise qui affecte la société
dans sa totalité. Cependant les différentes zones où ceci s'effectue n'ont pas
la même maturité, de ce fait même si parfois les mouvements partent le même nom
ils ne recouvrent pas la même réalité tout en opérant dans la même
direction : la domination du capital.
5.3.3.1. Cas de
l'Italie.
« Considérant
qu'il serait impolitique, en dehors de la réalité, de ne pas tenir compte du
mécontentement populaire qui est une conséquence fatale de la guerre, ou de se
fier à une vague formule d'uniformiser l'action ultérieure du parti à l'action
développée jusqu'à maintenant; considérant que le mécontentement populaire
présent est en train d'être exploité comme planche de salut pour l'intervention
pseudo-démocratique et républicaine dans la but de la diriger vers une
direction insurrectionnelle non socialiste, qui conduirait l'Italie à une
concrétisation de programmes essentiellement républicains bourgeois; exprime
des vœux pour que la direction du parti - en s'inspirant des événements de
Russie et d'Amérique et de l'État d'esprit créé par la guerre - concrétise une
ligne de conduite qui dirige, coordonne, unifie l'esprit et l'action du
prolétariat italien. » Motion de la fédération de la jeunesse
socialiste italienne. 1917.
Le
fascisme naît en Italie en riposte à une montée révolutionnaire prolétarienne.
Il naît dans les centres industriels mais se développe dans ceux agricoles
( les prolétaires agricoles, les braccianti, dispersés offrent une
résistance moins efficace ) pour finalement triompher dans les centres
industriels avec l'appui des forces de l'État en place. Crois périodes :
combats de rue, expéditions punitives, conquêtes des villes. En 1922 triomphe
officiel, tout à fait légal et en 1925 dictature ouverte.
Le
mouvement fasciste se développe après l'arrêt du mouvement prolétarien; plus
précisément après qu'il ait été dévié de sa juste voie : la lutte pour le pouvoir.
On le fit lutter pour les élections, après avoir été enlisé dans le mouvement
d'occupation des usines. Dans les deux cas la politique réformiste du
gouvernement bourgeois de Giolitti, qui consista à lâcher du lest et à ne pas
provoquer ni radicaliser la lutte du prolétariat, permit à la classe bourgeoise
de conjurer le péril.
Durant
la lutte contre le fascisme il y eut de graves erreurs commises tant dans
l'appréciation du phénomène que dans la lutte pratique, de la part de la
direction liée à Moscou ( Gramsci et Cie ). Un des meilleurs exemples
du crétinisme parlementaire fut la tactique de se retirer sur l'Aventin après
l'assassinat de Mattéoti.
Ultérieurement sous prétexte de bolcheviser le parti et de lui permettre
de lutter correctement contre le fascisme (en particulier en faisant le
front unique avec les partis socialistes responsables de l'arrêt de la vague
révolutionnaire antérieure; pacte de pacification 02.08.1921), il y eut
élimination systématique des postes de direction, de tous les communistes de la
fraction de gauche. Le parti fut stalinisé. La contre-révolution l'avait
emporté sur tous les fronts.
Durant
toute la dictature fasciste jusqu'à la veille de la guerre, le PC fit tuer
inutilement des prolétaires en les lançant dans des opérations suicides contre
le régime de Mussolini. Ainsi ceux qui avaient sous-estimé le fascisme
essayaient vainement de le déboulonner.
5.3.3.2. Cas de
l'Allemagne.
En
Allemagne aussi le nazisme est une riposte à la menace prolétarienne. Mais il
ne porta en définitive que le coup de grâce au prolétariat. Les événements
suivants expliquent cette particularité :
- la retraite de
l'armée qui arrive intacte en Allemagne, compromis entre l'Etat-major et le
Conseil des soldats;
- alliance
Ebert-Hindenburg;
- alliance
syndicats-industriels ( 15.XI.1916 );
- répression du
mouvement spartakiste par Noske et Scheidemann; défaite en Bavière en 1919;
- réorganisation de
l'armée sur des bases plus démocratiques;
- combats de la Ruhr en
1920, défaite de mars 1921.
On doit
noter qu'après la défaite des spartakistes de 1919, le prolétariat lutte en
ordre dispersé, recalquant la phase de 1848 ( indiquons également les
combats en Saxe et Thuringe, et le soulèvement de Hambourg de 1923 ).
En
conséquence la société bourgeoise est assez forte et n'a pas besoin du nazisme
pour contenir le prolétariat. Le putsch nazi de Munich de 1923 est réprimé et
le nazisme va se développer par voie électorale.
À partir de 1919 deux tâches s'imposent en Allemagne : détruire les clauses
du traité de Versailles qui empêchent son développement, pour cela une
militarisation poussée est nécessaire, d'où développement de l'industrie;
conduire la mutation de la société allemande, celle du capital organisé qui n'est
autre que le passage, à l'échelle sociale, du capital de la domination formelle
à sa domination réelle sur la société : la formation de la communauté
matérielle du capital. Ceci est d'autant plus urgent que la crise rend la
situation instable et que le prolétariat peut à nouveau devenir menaçant. Le
nazisme sera apte à résoudre cela. Il arrive légalement au pouvoir:
« Nous reconnûmes qu'il ne suffit pas de renverser l'État, mais que l'État
nouveau doit avoir été préalablement construit et rendu prêt à fonctionner sous la
main qui le commande.
« ...
en 1933 il n'était pas question de renverser l’État par un acte de violence,
dans l'entre temps, l'État nouveau avait été construit, il ne restait qu'à
détruire les derniers vestiges de l'ancien. Cela ne prit que quelques heures. »
Hitler.
Entre
temps ce fut toute l'action de la social-démocratie qui transforma l'État, le
rendant plus interventionniste ( allongement de la journée de travail par
exemple ). La social-démocratie ( Hilferding ) théorisa même cette
intervention étatique, théorisa la substance même du fascisme : le capital
organisé.
En
Allemagne se posait une révolution qui devait opérer dans une période où le
capital accédait à sa domination réelle sur la société. La classe ouvrière
allemande tendit à se constituer en tant que classe sur cette base. La gauche
allemande ( la plus grande partie du P. C. allemand à l'origine, puis le
KAPD ainsi que d'autres groupes moins importants ) exprima le mieux cette
tendance, mais ne parvint pas à la rendre consciente, à l'exprimer en tant que
nécessité immédiate et du futur et ce tout en étant apte à intégrer l'autre
révolution, celle relevant d'une période antérieure, la révolution russe.
Ce
mouvement anticipa trop sans être à même de percevoir avec efficacité que cette
anticipation n'était possible que localement et que la réalisation de celle-ci
ne pouvait s'effectuer que par le moyen terme de la révolution dans les autres
pays. Autrement dit c'était une mouvement immédiat, transmetteur de cette immédiateté
mais incapable de la placer dans la totalité du mouvement de la classe.
La
bolchevisation, les différentes variations tactiques de PIC sont l'autre cause
fondamentale de l'enrayement de la constitution du prolétariat allemand en tant
que classe. Bolchéviser consista essentiellement à éliminer toute influence de
la gauche. La puissance du prolétariat allemand était telle qu'il fallut
attendre tout de même 1933 pour qu'il soit éliminé et qu'il fallut la
« nuit des longs couteaux » pour que le nazisme triomphe en éliminant
son enveloppe prolétarienne, son masque révolutionnaire, et s'affirme bien en
tant qu'expression de la domination du capital. Ce dernier avait réussi sa
transformation et le prolétariat était battu pour un long bout de temps. D'autant
plus que les deux forces contre-révolutionnaires : fascisme et stalinisme
( on ce qui concerne l'Occident ) s'allièrent en fait pour détruire
toute tradition prolétarienne ( les quelques rescapés kapédistes furent
assassinés par les staliniens à la fin de la guerre mondiale ).
Remarque :
En
Allemagne les phénomènes économiques dépassent les phénomènes politiques. Il y
eut le problème de mettre sur pied un organisme adéquat au développement
économique, de même qu'il y eut le problème de l'unité nationale
( véritable guet-apens historique de 1914 où le prolétariat fut englué,
cf. également certains kapédistes et le bolchevisme national ). En cela
l'Allemagne est tout le contraire de là France où le développement politique
dépasse celui économique, ce qui montre que politique et économie ne sont pas
absolument, de façon stricte, liées; il n'y a pas obligatoirement adéquation
parfaite. Il peut y avoir des moments de dissonance, de discordance qui peuvent
perdurer avant que l'équilibre, l'adéquation se produisent.
Ceci
explique la prétention des fascistes ( allemands surtout )
d'accomplir une révolution alors qu'ils ne parachevaient qu'un réa justement,
phase ultime de la révolution par le haut.
On
doit
tenir compte aussi, dans le triomphe du fascisme, de la position de
l'Internationale Communiste. Après la défaite de Spartakus et surtout
après
l'action de mars 1921, l'Internationale conçoit une phase
révolutionnaire comme
étant très éloignée en Allemagne ( théorie de Radek ), le
prolétariat
allemand n'est plus considéré comme le protagoniste essentiel. D'autre
part,
l'alliance avec l'Allemagne apparaît comme une condition essentielle
pour desserrer l'étreinte autour de la Russie. D'où la théorie de
renforcer
l'Allemagne, le capital allemand devant développer automatiquement le
prolétariat: la renaissance de l'Allemagne, réduite selon Lénine au
stade
semi-colonial, sera la renaissance du prolétariat. D'où l'alliance plus
ou
moins tacite avec le mouvement nationaliste, le freinage des mouvements
révolutionnaires.
C'était la naissance de la théorie du socialisme découlant d'une lutte
entre
États et perte de la vison de Marx, du heurt entre capital et
prolétariat.
L'illusion de la renaissance du prolétariat allemand en liaison avec
celle de
la nation allemande fut l'illusion tragique de Lénine et de Radek que
Staline
devait purement et simplement reprendre. Ce qui explique les zigzags de
ce
dernier vis-à-vis du fascisme. Lors de la formation de la Gemeinwesen
matérielle, le prolétariat pouvait se développer englobé, intégré en
elle, ce
qui équivalait à sa destruction, puisqu'il était réduit à capital
variable.
5.3.3.3.
Cas de l'Espagne.
En
Espagne on retrouve le même scénario mais greffé sur des particularités
historiques différentes. L'Espagne est un cas particulier en Europe de pays
dépendant du mode de production asiatique. Cela explique l'existence
contradictoire en apparence d'un Etat central très fort, puissant, et d'une
autonomie toute aussi puissante des provinces. Ce caractère fut encore renforcé
par la défaite des bourgeois en 1522 (cf. Marx, Œuvres politiques, t. VIII p.
125, Ed. Costes). De là aussi à la fois la lutte opiniâtre et victorieuse
contre la France durant les guerres napoléoniennes (Napoléon crut avoir conquis
l'Espagne, parce qu´il avait pris Madrid) et l'incapacité d'organisation d'un
vaste mouvement révolutionnaire qui puisse détruire les antiques rapports
sociaux.
Pendant tout le
XIXe siècle l'Espagne sera le point de départ de l'onde révolutionnaire et elle
en sera la surface réceptrice lorsque celle-ci retournera affaiblie, amortie,
après avoir secoué l'Europe, de telle sorte que comme Marx le rappelle : « L'Espagne
avait dû supporter toutes les horreurs de la révolution sans y gagner en force
révolutionnaire. » Il en fut de même pour la dernière grande vague
révolutionnaire qui secoua l'Europe au début de ce siècle : elle naquit
en Espagne avec les grèves insurrectionnelles de 1916 puis de 1919; elle s'y
achève en 1936.
La
puissance du localisme espagnol explique la prédominance de la tradition
anarchiste en Espagne. Les anarchistes par leur position de 1873 ( ne pas
vouloir soutenir la bourgeoisie pour abattre l'Ètat en place ) sont une
des causes du développement retardé, presque figé de la société espagnole, de
sa situation tout à fait instable: aucune des deux grandes classes de la
société moderne ne se développant, l'armée apparaît comme le seul élément
stable et domine l'Ètat. D'où l'importance des pronunciamientos dans l'histoire
espagnole.
La
classe ouvrière espagnole arriva difficilement à s'organiser en tant que classe
( l'organisation révolutionnaire fut d'ailleurs la CNT (1910),
organisation anarchiste ). De ce fait, elle ne put en aucune façon porter
une attaque unitaire contre l'Etat démocratique bourgeois. Pourtant dans les
années 1920-30 le prolétariat se renforça de façon notable en conséquence du
développement de l'industrie espagnole qui profita de la première guerre
mondiale. L'influence de la révolution russe se fit sentir et favorisa le
mouvement de radicalisation entre 1920 et 1930. Mais la transformation
économique exigeait une modernisation de l'État qui faciliterait à son tour
cette transformation pour la pousser plus avant. Cependant ceci ne pouvait plus
se faire sans heurt du fait du renforcement de la classe prolétarienne.
La
répression sur le prolétariat espagnol fut terrible surtout au cours des années
31, 32, 33 (aux Asturies notamment). Cependant la classe est
affaiblie dans certaines zones mais non dans sa totalité ( aspect positif
de la non organisation totale ), en particulier les ouvriers d'Andalousie
conservent toutes leurs forces.
Le
soulèvement de Franco préparé sous le gouvernement de gauche lui-même, après un
départ foudroyant, rencontra une résistance très vive de la part des ouvriers.
Ceux-ci réussirent en se battant sur leurs propres positions de classe à
endiguer le mouvement réactionnaire et à menacer l'État bourgeois. La classe
allait-elle se constituer en parti réel ?
Le
front populaire, union sacrée, permit d'endiguer cette constitution, dévoya le
mouvement prolétarien. La phase révolutionnaire de la lutte en Espagne était
terminée. A la guerre civile fit place une guerre qui permettrait d'éliminer le
prolétariat et où les ennemis de celui-ci étaient dans les deux camps. De ce
fait elle allait avoir trois caractères fondamentaux :
- briser la
résistance du prolétariat,
- amener une
formation étatique plus compatible avec le développement du capital,
- provoquer une lutte
d'influences, d'intérêts entre les démocraties et les gouvernements et les
gouvernements fascistes, ce qui en fait le prologue de la guerre de 1939-45.
Ceci
est d'autant plus net que le soutien prolétarien sur le plan international se
faisait au nom de la défense de la démocratie contre le fascisme et/ou au nom
de la défense de l'URSS. Ce fut un moyen radical pour éliminer, à l'échelle
internationale, les différents courants révolutionnaires; la plupart des
révolutionnaires s'engagèrent dans la croisade pour sauver la révolution, etc.
... On eut les mêmes brigades internationales qu'en 1848 qui furent
démocratiquement décimées ...
La
lutte fut longue parce que le réformisme de type français ou anglais n'était
pas possible; le capitalisme espagnol était trop faible ( avait donc
besoin d'une intense exploitation du prolétariat pour se développer ) pour
assurer son émergence.
Remarque :
Si dans
un premier temps les faiblesses anarchistes constituent un des obstacles au
développement d'un mouvement prolétarien, dans un second temps c'est la
répression stalinienne, sous couvert de front populaire, qui liquida les
militants révolutionnaires, alors que le mouvement anarchiste conduisit des
luttes remarquables, par exemple en Andalousie.
L'incompréhension
des phases intermédiaires, par exemple la nécessité de l'indépendance nationale
devait être fatale : la non proclamation de l'indépendance de la partie
espagnole du Maroc facilita le démarrage du mouvement de Franco.
C'est
un peu abusivement que l'on parle de fascisme en Espagne. Il n'y a de similaire
avec ce qui advint en Italie que l'utilisation de la violence. En Espagne le
capital n'en était pas encore au stade où il pouvait passer à la domination
réelle. Il y avait encore à éliminer les restes des modes de production
antérieurs. La menace prolétarienne provoqua une alliance entre les forces
capitalistes et celles des couches sociales antérieures. En outre le triomphe
de Franco ne pouvait pas du jour au lendemain conjurer la menace et la peur du prolétariat.
Ce n'est que prés de trente ans plus tard que l'Espagne devait connaître un
développement capitaliste puissant préparant la domination réelle du capital,
rendant inutile la dictature franquiste.
On peut
parler de fascisme dans la mesure où il y a formation d'une communauté,
intervention de l'Etat qui va se poser en représentant actif et démiurge de
celle-ci. Par là il y eut possibilité de sauter des stades. Ainsi l'Espagne
présenta une grande difficulté pour passer du premier moment du capital, le
mercantilisme ( moment de la troisième détermination de l'argent ) au
mode de production capitaliste effectif, à cause de la force des communautés.
Or avec le franquisme il y a leur destruction et de ce fait possibilité pour un
devenir à la communauté matérielle du capital. Cela montre qu'il n'y a pas le
même enchaînement partout.
5.3.3.4.
Cas de la France.
En
France, il n'y eut pas de menace prolétarienne réelle. Il y eut seulement
quelques épisodes révolutionnaires: révolte dans les tranchées, agitation
des jeunes communistes lors de l'occupation de la Ruhr en 1923, campagne
anti-coloniale en 1925 lors de la guerre du Rif, mais il ne s'agissait en
aucune façon d'une menace pesant sur l'Ètat, sur la société bourgeoise. Cela
découlait du faible développement du prolétariat depuis la Commune de 1871. En
effet l'industrie s'était peu développée en France par peur du prolétariat et
le pays était devenu surtout usurier et agricole. D'où le fleurissement du
réformisme, le culte de la tradition de 1793, le prolétariat demeurant une aile
gauche de la bourgeoisie.
Cependant
entre 1919 et 1935 un certain développement industriel se produisit conduisant
à un changement de composition de la classe devenant réellement ouvrière et non
plus artisanale. C'est elle qui se souleva en 1936. Mais ceci s'effectua après
un renforcement considérable de l'Ètat et après la défaite du mouvement
révolutionnaire en Allemagne et en Italie ainsi qu'après le passage ouvert de
l'URSS à la contre-révolution ( cf. congrès de l'I.C. de 1935 ).
Aussi l'intervention du fascisme ne fut pas nécessaire. Le gouvernement de
front populaire put très facilement avec l'aide souveraine du PCF et de la CGT
désamorcer le grand mouvement en accordant des avantages sociaux, repris deux
ans plus tard pour les besoins de la guerre venant.
Remarques :
1. Les
faiblesses historiques du mouvement ouvrier français expliquent la situation
entre 1914 et 1936. Cependant c'est le stalinisme qui dévoya et inhiba le
mouvement de formation de la classe: la bolchevisation d'abord, la lutte
contre le fascisme ensuite. Ceci explique que le grand mouvement de 1936 put
facilement refluer: les prolétaires avaient été vidés de tout esprit
révolutionnaire.
2.
L'idéologie du front populaire implique que le peuple pourrait être plus fort
que le capital, alors qu'il est un produit de ce dernier. D'autre part
l'existence de ce peuple veut dire qu'il y a un certain équilibre entre le
capital tendant à la domination réelle sur la société et toutes les forces de
cette dernière qui s'opposent à lui. Le prolétariat fait partie de cette
société à partir du moment où il ne défend plus sa position de classe mais
défend le peuple, ce conglomérat de classes que la bourgeoisie devait à
l'origine diriger au moyen de la démocratie politique.
5.3.3.5. Cas des
Etats-Unis.
Aux USA, dans les années qui suivent la crise de 29-32, on a une menace
prolétarienne importante. C'est la première constitution de la classe, mais
cela n'est pas suivi par un assaut au pouvoir du capital. L'Ètat capitaliste
doit tout de même réagir et le New Deal comporte un ensemble de mesures
similaires à celles du fascisme qui visent à enrayer la montée prolétarienne,
en rationalisant le procès total de production. C'est le moment où le capital
conquiert l'État et l'on a donc le passage à la domination réelle de celui-ci
sur la société.
La violence généralisée contre le prolétariat ne fut pas nécessaire bien
qu'elle ait été appliquée dans tous les secteurs où cela fut nécessaire pour la
défense globale du capital. En outre aux USA le prolétariat était, encore plus
qu'en Europe, limité à une base économique; c'est-à-dire qu'il ne s'opposait
pas réellement. Il ne posait aucune alternative; il voulait tout au plus gérer
ce qu'il y avait, c'est-à-dire faire encore du capital. Sinon pourquoi la crise
économique de 29-32 n'aurait-elle pas pu engendrer un grand mouvement
révolutionnaire. Dans les pays européens le prolétariat était fatigue, voire
épuisé (Allemagne), l'IC jouait un rôle énorme de dévoiement, mais
aux USA le terrain demeurait encore vierge (ce n'est qu'après le
mouvement d'occupation des usines 35-36 que les trotskystes purent s'implanter
aux USA)
Le caractère nationaliste et autarcique correspond à cette phase de
défense généralisée du capital qui s'effectue dans chacune des zones où un
certain quantum de capital nation arrive grâce à l'État à mater la montée
révolutionnaire. Il y a régénération dans chacune des zones ce qui n'empêche
pas que l'un d'entre eux puisse aider celui qui est le plus menace : cas
de l'Allemagne et rôle du capital étasunien dans la réalisation de la
domination réelle du capital sur la société dans la zone européenne.
Aux USA on a une confluence : formation de la nation, du marché intérieur,
de la classe et grande crise économique (de production et de spéculation) et
tendance du capital à se constituer en totalité grâce au marché monétaire. Il
semblerait qu'à partir de là le capital effectuerait comme un repli pour
repartir à l'attaque après 1945 et triompher totalement.
Enfin on doit noter le rôle déterminant des USA dans la montée du
nazisme par riposte à l'agression à l'Europe.
Remarque :
Le fascisme est un mouvement insurrectionnel en réponse à celui de grande
amplitude du prolétariat. Pour triompher en une espèce de révolution populaire,
il fallut qu'il détruise non seulement la force prolétarienne, mais qu'il
conquière l'appui des classes moyennes, c'est-à-dire les classes coincées entre
le capital et le prolétariat, classes qui sont le plus menacées par la crise
par suite de leur position intermédiaire. De ce fait elles peuvent très bien
dans un premier temps soutenir le prolétariat mais dès que le mouvement de
celui-ci est enraye, elles basculent dans le camp opposé à la recherche d'une
communauté qui puisse les englober, les sauver. Il en fut ainsi en 1922 en
Italie confirmant par là la prévision indiquée au début de 5.3.3.1.
En Allemagne le phénomène fut encore plus net. Au cours des années 27-28
il y eut un développement considérable du capitalisme accompagné d'une
rationalisation de la production et d'une augmentation de la productivité du
travail. Le nombre des ouvriers s'accrut faiblement mais le nombre des
composants des nouvelles classes moyennes, produits du capital, se fit de façon
considérable ( en cela l'Allemagne de ces années-là préfigure bien les USA
des années 55 à 68 où le phénomène est encore plus ample ). Lors de la
crise de 1929 la faiblesse du prolétariat tant dans les limites de l'Allemagne
que sur le plan international injecte le doute sur sa capacité à diriger la
société et à résoudre le grave problème de la situation allemande consécutive
au traite de Versailles. Les nouvelles classes moyennes se tournent vers le
nazisme et pensent se sauver en s'intégrant pleinement dans la nation.
Le mouvement ouvrier international n'avait jamais abordé le problème de
ces classes ou bien s'était contenté de lancer des anathèmes contre elles
allant à l'encontre de ce que Marx préconisa :
« De ce
point de vue, c'est une absurdité de plus que de faire des classes moyennes
conjointement avec la bourgeoisie, et, par dessus le marché, des féodaux
“ une même masse réactionnaire ” en face de la classe
ouvrière. » ( Grundrisse, t. 1, p. 27 ).
Précisons
que si la question des classes moyennes a été abordée, il n'en fut pas de même
pour les nouvelles. Enfin il ne faut pas oublier que le fascisme correspond
également à une nécessite interne de la société capitaliste.
5.3.3.5. Fascisme
et bonapartisme
« Le
bonapartisme est la forme nécessaire de l'État dans un pays où la classe
ouvrière, bien qu'ayant atteint un haut niveau de développement dans les
villes, mais numériquement inférieure aux petits paysans à la campagne, a été
vaincue dans un grand combat révolutionnaire par la classe des capitalistes, la
petite-bourgeoisie et l'armée. » Engels
(On
a abordé cette question du bonapartisme dans une réunion en 1960 à Paris. Nous
avons reproduit son compte-rendu dans une brochure contenant des textes de 1957
à 1965. On y trouvera d'amples citations de Marx et d'Engels sur ce sujet,
ainsi que des considérations sur la situation de la France de l'époque qui
complètent celles qui sont abordées ci-dessous. Note de 1991)
1.
Après la Commune de Paris, par peur du prolétariat, le capital ne s'est pas
développé en France de telle sorte que même sous sa forme républicaine la
société française était encore bonapartiste. Le bonapartisme tendait toujours a
resurgir. La crise Boulanger, le général revanche, en est un bon exemple. La
guerre de 14-18 ne provoqua pas une secousse assez puissante dans cette société
qui gardait son empire colonial et son rôle usurier. La seconde guerre mondiale
en revanche eut une influence autrement plus profonde directement et indirectement
à cause de la grande révolution anti-coloniale. C'est au début des années 50
que finalement la France rattrapait le niveau économique de 1929. L'union
sacrée pendant et après la guerre avait permis de produire toujours plus et de
renvoyer la satisfaction des revendications ouvrières dans un avenir de plus en
plus lointain...
2.
C'est à partir de 1954 environ que le mouvement d'expropriation des petits
paysans commença à prendre une certaine ampleur, que l'industrie se concentra.
Et le mouvement devait s'accélérer au cours des années ... Cependant la petite
propriété paysanne avait sa plus sûre garantie de survie dans le maintien de la
grande propriété foncière capitaliste en Algérie. Cette dernière produisait
directement pour le marché mondial et français, permettant de maintenir une
économie se suffisant presque à elle-même, rempart de la conservation sociale.
3. La
perte de différentes colonies, la guerre d'Algérie ensuite provoquèrent un déséquilibre
important dans la société française. Toute sa modernisation, sa transformation,
était enrayée. Il fallait donc que le mouvement économique spontané soit relayé
par une direction politique qui le favorise en éliminant les obstacles à son
développement. Telle fut la nécessité de l'avènement du gaullisme.
4. De
Gaulle était bien dans la lignée de Boulanger et Napoléon III. C'était le
général revanche. Mais en fait son rôle historique ne devait pas et ne pouvait
pas être celui-là car il fallait obligatoirement en finir avec les restes de
l'empire. Paradoxalement, la France ne pouvait être sauvée et réussir une
certaine revanche non vis-à-vis de l'Algérie (et même pour certains de la
Tunisie et du Maroc) mais du bloc anglo-saxon, étasunien surtout, qui
tendait à faire de la France non seulement une colonie économique mais
politique des USA, qu'en abandonnant l'empire.
5. 1958
ne fut pas le triomphe du fascisme, mais celui d'une forme bonapartiste qui à
l'inverse des précédentes devait en finir avec les potentialités bonapartistes
de la société française. En effet sous cette forme archaïque l'État commençait
à se transformer parce que les données de la société française s'étaient
modifiées. Le prolétariat français ne s'opposa pas au gaullisme pour défendre
le parlementarisme et la démocratie. De ce fait il était évident que l'État ne
tenterait rien contre la classe ouvrière, se gardant bien de la provoquer.
D'autre part cette dernière, au moins formellement, réclamait la fin de la
guerre - sinon dans une perspective prolétarienne du moins dans une perspective
immédiatiste: la fin des souffrances, etc. ... Des lors il ne restait
plus que deux couches sociales qui devaient être sacrifiées, parce que devenues
totalement inutile: la petite bourgeoisie (et les ouvriers vivant
en Algérie et qui tiraient profit de la colonie), et les petits paysans.
L'expropriation de ces derniers allait s'accélérer à partir de 1958 parce que
le mouvement fut favorisé par l'État.
6. Dans
un premier temps, par suite de la lutte contre les éléments qui devaient être
éliminés ( représentés par l'OAS ) on a triomphe du contenu fasciste
( mouvement gaulliste ) sur sa forme (OAS ). D'autre part
les courants de gauche, PCF tout particulièrement, partisans de l'État fort, sont
aussi pour le contenu sans la forme. Cependant avec la fin de la guerre
d'Algérie (1962) et la continuation du phénomène d'expropriation
des paysans, la mutation de la société française est parachevée, elle devient
fasciste dans son contenu.
7. La
société française ne fut qu'imparfaitement libérée du passé et ne put avoir
réellement un grand développement capitaliste. Au lieu d'utiliser ses excédents
d'or pour renouveler la machine productive, accroître le capital fixe, la
productivité du travail, et par là la production industrielle, elle chercha à
récupérer du capital en essayant de forcer la politique monétaire des USA. Avec
la spéculation sur le franc (1968) et la dévaluation
(1969) le côté original du gaullisme, son excroissance, sa divagation
historique greffée sur des particularités de la société française, disparaît et
la domination réelle du capital - celle des USA - est reconnue.
8. Le
mouvement de Mai-juin 68 en plus de la grande discontinuité historique qu'il a
marquée a eu pour conséquence la réorganisation de l'État en France, en le
renforçant: unification de tous les courants dont les anciens qui avaient
été partisans de l'Algérie française. Par là-même sont enterrées toutes les
conséquences de la phase coloniale et de la décolonisation et la France connaît
la domination réelle du capital (l'idéologie officielle de glorification
du travail en est une expression éclatante).
Variantes:
après le paragraphe 5, on avait envisagé ceci :
6'.
L'élimination ne fut pas immédiate. Le nouveau pouvoir était prisonnier des
forces qui l'avaient favorisé. D'autre part il fallait trouver en Algérie une
troisième force entre les ultras français ( OAS ) et la révolte des
masses expropriées. Ce fut le FLN. Les difficultés du règlement du conflit
algérien provinrent du fait que d'un côté comme de l'autre le gouvernement
( avec le GPRA gouvernement provisoire de la république algérienne créé en
Algérie en 1959 ) n'était pas a même de faire respecter un accord
éventuel. D'où le putsch d'Alger en 1960 et sa tentative de généralisation en
France. Ce fut De Gaulle qui sauva la démocratie des griffes du fascisme
importe d'Afrique du Nord. Pourtant c'est le mouvement gaulliste qui est
partisan réel et conséquent de l'État dans l'économie, d'une société corporatiste,
etc. ... donc favorable à un programme fasciste. Autrement dit en 1960 et 1961
c'est le contenu qui l'a emporté sur la forme, le développement réel du capital
sur la violence et les bouffonneries de l'OAS.
7'.
D'autre part les organisations qui représentent le prolétariat tel le PCF
voulaient quoi ? des nationalisations, la défense des « justes »
intérêts de la France en Algérie, la fin de la guerre parce qu'elle hypothéque
les chances de la France dans la lutte au sein du Marché Commun, défense des
petits paysans, un pouvoir fort.. En conséquence en dehors des positions
démagogiques ( défenses des petits paysans, des artisans ), elles
veulent le contenu sans la forme. Ce sont des fascistes passifs
( Bordiga ) et avec eux tout ce qui devait advenir : PSU, etc.
...
8'.
Après avoir perdu en 1960 et 61, la petite-bourgeoisie perdit définitivement en
1962 (fin de la guerre). D'autant plus que l'intervention du
prolétariat algérien devait radicaliser un certain temps la situation en
faisant abroger les accords FLN-OAS et en limogeant Ben Kedda. Le mouvement des
masses révolutionnaires fut malheureusement enrayé ensuite avec le mouvement
ben belliste prisonnier de sa victoire. Il lui était difficile de ne pas jouer
au socialisme et de ne pas s'opposer à la France. Les éléments français
d'Algérie durent quitter l'Algérie tandis que le mouvement de l'OAS était
jugulé. Cependant les résistances au développement du capital se faisaient tout
de même sentir et, lié aux récessions en cascade des années 62-65 qui
affectèrent le pays, on eut un certain ralentissement du développement du
capital vers 1965.
9'. Un
autre phénomène d'une grande importance explique aussi les difficultés du
capitalisme français : la concurrence des pays capitalistes ayant une
composition organique plus élevée en capital ( productivité plus élevée,
capital fixe énorme ) dont le plus important était les USA. Or la France
encore plus que les autres pays d'Europe comme Allemagne, suisse, Belgique,
avait fait appel à une exploitation effrénée du prolétariat ( donc avait
recouru à un accroissement de capital variable ) faisant venir d'Afrique
et même d'Asie un grand nombre de prolétaires pour les englober dans l'immense
procès de production. L'Europe redevenait négrière. 1964 enregistre le maximum
du phénomène. Mais ceci n'était pas suffisant pour riposter a l'implantation
étasunienne ( accroissement important du nombre d'entreprises installées
en Europe qui pompaient les capitaux disponibles par des emprunts sur les
marchés européens ). Il fallait moderniser. Mais cela voulait dire
accroître le capital fixe, donc nécessité d´investissements très importants qui
ne pouvaient pas être réalisés uniquement par un autofinancement. C'est la que
se posait la question de l'Etat: pourquoi ne pas investir le "trésor", le fameux excédent d'or, pour renouveler la machine
productive ?
10'.
Tant qu'il y a des prolétaires en nombre croissant on peut limiter la
concurrence, même s'il y a une certaine perte. Il n'y a pas urgence dans les
transformations. Ceci n'étant valable cependant qu'à un certain niveau de
développement technologique donc de productivité du travail. On comprend encore
une fois que persévérer dans la volonté de faire pression sur les USA en
espérant une réforme du système monétaire international qui ne fonderait plus
le crédit uniquement sur le dollar ( ce qui permettait aux étasuniens de
financer comme ils voulaient les investissements en Europe et ailleurs )
mais d'une autre façon, par exemple par un retour à l'or, aurait permis de
revaloriser la monnaie française etc., et permettrait aux capitalistes français
d'engendrer du crédit sur leurs propres bases. Le côté financier en filiation à
la dimension usuraire du capitalisme français se faisait encore sentir.
11'. Le
mouvement révolutionnaire de Mai-juin 1968 est venu tout remettre en question.
Le prolétariat se mettant en mouvement sur une base non encore proprement
classiste cela veut dire qu'il n'est plus possible d'extraire la même quantité
de plus-value, surtout que la garantie de paix sociale n'est plus totalement
assurée. Des lors se fait sentir l'exigence d'un renouvellement de la machine
productive, d'une rationalisation, etc. ... Les causes qui avaient amené à
lancer la reforme Fouchet sont encore plus opérantes, plus contraignantes. Il
faut absolument lier l'université à la production, former des techniciens, si
l'on veut avoir une efficience quelconque, une possibilité de lutter contre la
concurrence.
La crise
a fait rencontrer la forme avec le contenu. les anciens de l'OAS ont été
amnistiés ainsi que tous les spécialistes de la guerre subversive, renforçant
ainsi l'État, tandis que celui-ci avec son chef ne peut plus apparaître comme
étant au-dessus ( un vrai État bonapartiste ) mais comme étant lié
directement aux intérêts du capital contre la classe ouvrière. De ce fait
l'État gaulliste est devenu un État fasciste ce qu'il tendait à être dès le
début de sa fondation en 1958. Il est évident qu'étant donné qu'il n'y a plus
de menace prolétarienne (PCF et CGT ayant bien accompli leur rôle) il n'y a pas
de nécessite d'utiliser la violence et de ce fait les anciens de l'OAS et
autres groupes n'ont pas besoin de se manifester. La forme peut être voilée, le
contenu reste. Il suffira d'une crise pour que l'aspect formel, superficiel du
fascisme apparaisse: la violence répressive généralisée.
09. En
Allemagne avec le triomphe de la social-démocratie et l'écrasement du
prolétariat en 1919, toute trace de bonapartisme est définitivement éliminée,
car dés ce moment il n'y a plus un quelconque équilibre entre deux classes et
l'intervalle entre 1919 et 1933 est occupé par la formation du nouvel État que
les fascistes n'eurent qu´à conquérir de 1'intérieur. L'armée elle-même perdit
son autonomie et devint l'armée de la nation qui est devenue capitaliste. La
théorisation du bonapartisme à propos de la société française de la part de
Trotsky revêt une part de réalité, elle n'a aucune pertinence en ce qui
concerne l'Allemagne. Elle montre à quel point celui-ci ne comprenait pas les
phénomènes nouveaux de l'accession du capital à sa domination réelle, parce que
le procès total de vie du capital n'était pas au centre de sa position
théorico-critique; d'où son recours à la politique afin d'expliquer.
10.
Ainsi les ressemblances entre bonapartisme et fascisme sont superficielles et
concernent le mode extérieur de domination: la violence, laquelle fut
toujours vigoureusement utilisée dans toutes les sociétés de classe. Dans le
bonapartisme on a un équilibre entre deux classes, dans le fascisme il y a
domination de la classe capitaliste mais elle tend à se présenter comme
domination du capital communauté matérielle, forme achevée de la domination qui
dépasse par là la domination fasciste. Le bonapartisme parvient au pouvoir à
cause de l'incapacité de l'une des classes à l'emporter et à dominer l'autre,
le fascisme l'emporte en utilisant la force des classes moyennes et assure la
domination du capital. Le fascisme comme le bonapartisme veut l'extinction du
paupérisme, le deuxième en ayant recours à des mesures politiques, le premier à
des mesures économiques. Tous les deux glorifient le travail. Le bonapartisme
effectue une organisation politique qui permettra le plein épanouissement de
l'économie, le second favorise la domination totale de l'économie qui s'annexe
la politique. Le fascisme c'est le réformisme qui doit diriger la mutation du
capital.
Le
bonapartisme est une condition au grand développement du capital de telle sorte
qu'inévitablement il se transforme en fascisme. Ce dernier assure la domination
du capital à l'échelle sociale en obligeant le prolétariat à s´intégrer dans la
société capitaliste, il l'oblige à n'être que capital variable. Celui-ci une
fois intégré, il y a épanouissement total de la domination du capital qui
impose un esclavage généralisé aux hommes : la rigidité du fascisme est
dépassée et le capital reprend son mouvement en organisant ...
Le
fascisme permit de supprimer l'autonomie de toutes les composantes de la
société; ainsi de l'armée qui ne peut plus être une caste particulière. Elle
est soumise au capital et à ses exigences valorisatrices.
Il est
impossible de parler de bonapartisme en URSS. En France la défaite du
prolétariat est déjà effective en 1795 et surtout en 1797. Tout le Directoire
est affirmation de la domination prosaïque de la bourgeoisie
(Marx). « Napoléon ce fut la dernière bataille du
terrorisme révolutionnaire contre la société bourgeoise et sa politique,
également proclamées par la Révolution ( ... ) il pratiqua le
terrorisme en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente. »
(Marx) Les ouvriers français soutinrent Napoléon parce qu'il
représentait tout de même la révolution; c'était la fin de la féodalité. En
Russie les ouvriers devaient-ils soutenir Staline ? ceux d'Occident
devaient--ils également le faire ?
En URSS
après la destruction de la transcroissance prolétarienne on aurait plutôt une
situation ressemblant à celle de 1851 en France. On aurait donc un bonapartisme
de second style. Or ce second bonapartisme, à son corps défendant, dut conduire
des guerres de systématisation nationale, ne serait-ce que pour parachever sa
domination a l'intérieur. Le stalinisme non seulement ne soutint pas l'émancipation,
mais il contribua à l'asservissement des peuples pour augmenter ses aires
d'influence, voila pourquoi certains parlèrent d'un nouvel impérialisme ou de
l'impérialisme rouge (V. Serge).
Là
encore les analogies sont superficielles. La restauration en France se fit sous
couleur monarchique, en Russie avec le despotisme oriental; tout en développant
le capital; le soutien aux nationalités était trop dangereux parce qu'il
risquait de relancer le prolétariat.
5.3.3.6.
Fascisme, bonapartisme, stalinisme.
Nous
avons vu que le schéma fasciste et celui stalinien n'avaient que des
différences de pure propagande. Tous deux empruntaient à la théorie communiste.
Ils empruntèrent des éléments au schéma du parti formel de l'époque. Cependant
si ce sont deux formes convergentes, on ne peut pas dire que stalinisme et
fascisme recouvrent une seule et même réalité.
Le
fascisme correspond à la période de passage de la domination formelle sur la
société à la domination réelle. Son schéma exprime au mieux la nécessité de
plier le prolétariat au procès du capital; il exprime la défaite du prolétariat
dans sa tentative de détruire ce dernier. Le stalinisme exprime la même défaite
du prolétariat mais en même temps une victoire, celle d'avoir imposé le mode de
production capitaliste à l'aire slave. Dans sa généralisation, le stalinisme
n´apparaîtra que comme une forme de gauche du fascisme, car le but est le même
assujettir le prolétariat au pouvoir du capital ( thèse impliquant la
dimension progressive de l'implantation du capital dans l'aire slave ).
La
déification de l'État dans le cas du fascisme correspond à celle de la
rationalisation d'une machine fonctionnant pour les intérêts du capital. Dans
le cas du stalinisme elle provient du fait que momentanément l'État stalinien
est en équilibre sur deux classes, le prolétariat et les paysans. Plus le
capitalisme se développe, plus intervient un déséquilibre parce que les couches
représentantes pures du capital se développent et trouvent des alliés chez les
kolkhoziens. L'État apparaît de plus en plus comme celui d'une classe.
Cependant étant données les particularités du développement historique et le
rapide développement du capital, la classe capitaliste elle-même peut n'être
pas visible, donc être plus ou moins escamotée. C'est alors une domination
capitaliste plus directe; autrement dit la phase de domination formelle a été
écourtée par suite de l'intervention du prolétariat. Pendant la période
intermédiaire on eut quelque chose de semblable à la monarchie absolue, l'État
autonomisé. Maintenant on a au contraire quelque chose de type fasciste mais
encore en retrait sur l'Occident où la forme de l'État est plus fluide et fait
moins obstacle à la valorisation.
Le
futur n'est pas vers une fascisation ( phase dépassée ) de la société
soviétique mais vers une étasunisation: démocratie sociale plus
accentuée, despotisme du capital, réalisation de la communauté matérielle.
Il est
noter que stalinisme et fascisme ont utilisé les camps de concentration, le travail
forcé. Cependant dans le cas du premier on en était encore à la formation même
du capital; c'est pourquoi on peut comparer son action a celle de la
bourgeoisie anglaise fondant les workhouses.
Avec le
fascisme le capitalisme s'est pleinement emparé de l'État. Il est donc une
conciliation. Dès lors l'État puissant c'est le capitalisme puissant; il est un
médiateur entre différentes organisations.
Il
serait important de noter la dimension foncière du fascisme dans certaines de
ses variantes par exemple avec le pétainisme en France. L´intégration de
l'œuvre de Maurras qui affirme un enracinement, une certaine exaltation de la
nature au travers justement de la dimension foncière avec la volonté de
retourner à une base nationale, paysanne, etc., ... Ceci est à voir pour
comprendre l´ambiguïté du fascisme se présentant comme l'expression du refus de
l'expansion du capital bien que c'est lui qui va en assurer le triomphe.
5.3.3.7.
Cas de divers pays.
En
Europe il s'agit du Portugal avec le Salazarisme, de la Grèce, de la Roumanie
etc., ou la domination réelle du capital ne se vérifie que bien après la fin de
la seconde guerre mondiale.
Au
Mexique se pose la question de situer correctement l'impact des diverses
révoltes paysannes ainsi que le mouvement des christeros. Ensuite le mouvement
des nationalisations de Cardenas est tout à fait compatible avec le contenu du
fascisme. En Argentine le péronisme ( 1944 ) présente également des
caractères fascistes mais l'essentiel est toujours le passage à la domination
réelle du capital. Le Brésil présente un cas particulièrement intéressant et
complexe. Le Chili etc. ...
5.3.3.8.
Fascisme : idéologie-théorie.
Il n'y
a pas de théorie ni de programme fascistes. Dans un premier temps, celui où il
est sur le plan de la phase insurrectionnelle contre le socialisme, il pille le
programme socialiste et est sensible aux réactions des masses mécontentes. Il
leur emprunte des mots d'ordre pour les dévier : suffrage universel avec
vote des femmes, destruction de l'inégalité des sexes; impôt extraordinaire et
progressif, faire payer les riches; lutte contre le capital étranger; terre aux
paysans, culture en coopération. Mais surtout il va exploiter
l'anti-parlementarisme des masses, leur anti-démocratisme. Le système
démocratique est présenté comme étant miné par la corruption, comme un lieu
générateur de divers profiteurs. Au lieu de s'appuyer sur cet instinct pour
faire accéder à la claire conscience de la nécessité de rompre une fois pour
toutes avec la démocratie, les fascistes vont se servir de lui pour faire
accepter que tous les maux de la société sont dus au système démocratique en
tant simple mode de gouverner et pour présenter le fascisme comme une forme
organisationnelle allant au-delà du capitalisme et du socialisme.
Il
pille le programme : nécessité d'instaurer la journée de travail de 8
heures, utilisation du parti. Toutefois ce dernier peut être considéré comme un
anti-parti, parce qu'il n'a pas de principes fixes ( il a seulement des
normes ), et ne vise que l'action du moment. En ce sens les fascistes sont
des bernsteiniens : le mouvement est tout, ou des gramscistes : il
faut analyser les problèmes concrets; apologie de la praxis historique.
Cependant
une fois qu'il aura exploité la vague insurrectionnelle populaire en la
dirigeant contre le prolétariat, en la mettant au service d'un État qui
ne s'était pas opposé à lui, mais avait besoin de son apport pour se
moderniser et
se renforcer, le fascisme abandonne ses ornements prolétariens liés à
sa
naissance et prend son vrai visage; par là apparaît aussi son apport,
se
manifeste sa nouveauté.
« Il
apporte cependant quelque chose de nouveau dès que l'on passe du plan de
l'idéologie à celui de l'organisation. Il nous faut alors immédiatement
affirmer qu'apparaît ici quelque chose que ni la bourgeoisie italienne ni celle
des autres pays n'avaient employé. Jusqu'ici la politique de la bourgeoisie
italienne était caractérisée par le fait qu'elle possédait certes de grands
chefs, des politiciens professionnels, des parlementaires qui pouvaient compter
lors des élections sur un grand nombre de voix, grâce à son grand parti
libéral. Mais au point de vue de l'organisation, la bourgeoisie
italienne était totalement démunie. Le parti libéral possédait une doctrine
claire et concrète, une tradition historique bien définie et, du point de vue
bourgeois, une idéologie tout à fait suffisante. Mais elle manquait
d'organisation. Le fascisme a complètement bouleversé cet état de faits :
il n'apporte rien de nouveau au point de vue idéologique... mais il apporte un
facteur nouveau dont les vieux partis étaient totalement dépourvus, un puissant
appareil de lutte, puissant tant comme organisation politique que comme
organisation militaire. Ceci prouve que dans la crise grave que traverse
actuellement le capitalisme, l'appareil d'État ne suffit plus pour défendre la
bourgeoisie. » ( Discours de Bordiga au Ve congrès de l'IC,
02.07.1924 ).
Cependant
cette réalisation sur le plan de l'organisation demeure dans le cadre théorique
bourgeois; elle est une exigence théorique de la société capitaliste. La
révolution bourgeoise mit les masses en mouvement, masses ayant perdu leur
antique communauté. La question fut : comment les organiser, leur donner
une autre communauté ? La nation telle fut la réponse et il faut des lois
pour organiser les rapports à l'intérieur de celle-ci : rapports entre les
individus et entre ceux-ci et l'État. Le fascisme trouve une autre forme
d'organisation pour sauver la société bourgeoise et par là, en définitive, pour
sauver la communauté totale du capital. Plus précisément : c'est
l'organisation qui va permettre à ce que s'instaure la vraie communauté du
capital.
Tout
problème de la société humaine posé sous l'angle de l'organisation, c'est-à-dire
du comment on doit organiser les hommes, est un problème capitaliste; pour les
communistes il n'y a pas de problème.
« Il
intègre et ne démolit pas le libéralisme bourgeois. Il réalise dans
l´organisation qui est autour de la machine officielle de l'Etat, la double
« fonction » défensive que la bourgeoisie conduit. » « Sa
formule de constitution est : tout organisation, pas d'idéologie,
de même en correspondance dialectique, celle du parti libéral est : tout
idéologie, pas d'organisation. » ( Bordiga )
La
vision communiste est en dehors de cela, parce que selon les communistes la
classe ouvrière se constitue en classe et donc en parti et par là devient un
être historique. Donc nous analysons les données historiques sous l'angle
suivant : quelles sont les conditions de la réformation de la classe en
parti ? Il n'y a pas de question d'organisation. Le prolétariat retrouvera
son être en retrouvant sa théorie; théorie et action sont liées.
Dans la
révolution à venir l'humanité se mettra en mouvement, l'action du parti
( résultat du mouvement d'unification ) consistera à favoriser
l'unification de celle-ci. Il n'est pas question de trouver une forme plus
adéquate pour l'organiser, l'humanité formera l'être collectif : la communauté
humaine, la Gemeinwesen.
Cette
nécessité organisationnelle correspondait et correspond au passage du
capitalisme de sa phase de domination formelle à celle réelle. Le capital s'est
développé sur la base de la production marchande simple, laquelle avait
engendré l'idéologie libérale, l'individualisme, justice et égalité. Cette
théorie du laisser-faire, laisser-passer correspondit à la phase d'émergence du
capital et à celle de sa constitution. Lorsqu'il se développe sur sa propre
base il intègre la concurrence, il socialise la production et les êtres; il
élimine les personnages. Il lui faut une organisation pour le défendre. C'est
ce à quoi correspond le surgissement du fascisme.
Ceci
apparaît de façon nette en Allemagne : la théorie du capitalisme organisé
se développe en même temps que l'organisation nazie. Au fond le mouvement se
faisait spontanément. Cependant il arriva un moment où il fallait tout de même
un changement dans l'État existant pour assurer le triomphe de cette mutation.
L'avenir, le communisme, et le passé, la caste de l´armée en particulier,
constituaient des freins. Il fallut donc éliminer le prolétariat et l'armée.
Celle-ci fut intégrée dans la nation et perdit son autonomie qui lui restait de
l'ancien État bonapartiste bismarckien.
C'est
pourquoi aussi l'État nazi interviendra beaucoup plus dans l'économie que ne le
fera l'État fasciste italien. Le fascisme né en Italie, dévoile son contenu
réel en Allemagne (cf. la Volksgemeinschaft ).
Le
corporatisme initial n'est qu'une forme résurgente d'un passé révolu, comme
chaque fois que la société subit une transformation. Il a surtout pu se
développer dans les pays non pleinement développés comme l'Espagne et le
Portugal. Dans tous les cas cela ne pouvait correspondre qu'au développement
initial parce qu'il fallait immobiliser la classe prolétarienne avant de
pouvoir la dominer complètement et la mettre dans une relation nouvelle.
Celle-ci s'est le mieux exprimée dans le capitalisme populaire, la
participation, celle qui intègre réellement le prolétariat dans la société
capitaliste et redonne la mobilité nécessaire au mouvement du capital.
Si le
fascisme n'a pas de théorie propre cela dérive du fait qu'elle était déjà toute
prête, qu´il n'avait qu'à la prendre et à la colorer du moment de son intervention.
Ce sont les sociaux-démocrates de tous les pays qui ont en fait décrit la
société fasciste, ce sont eux qui croyaient pouvoir dominer la société
capitaliste, dominer le capital. Ils ont donc produit tous les éléments
nécessaires à l'arsenal fasciste : plan, exaltation du travail, de la
nation. En quelque sorte on a le même phénomène qu'avec les saint-simoniens.
D'ailleurs ce sont eux qui en Allemagne préparent l'avènement du
fascisme-nazisme.
Hilferding:
articles du Neuer Vorwaerts (fin 1938, début 1939). «Il
devient de plus en plus difficile de décrire le cours des événements
économiques en termes purement économiques. Les lois propres de l'économie
capitaliste, se sont progressivement modifiées, du fait de leur subordination
aux nécessités politiques. Au Japon, en Russie, en Allemagne, en Italie, un
appareil gouvernemental dictatorial a acquis le contrôle des forces matérielles
et humaines de production, et il les a obligées à opérer en vue de main tenir
et d'étendre son pouvoir. La politique domine l'économie et la soumet à ses
propres fins... »
«En
Europe orientale et centrale et dans de nombreux pays latins et sud-américains,
le pouvoir politique est parvenu à exercer une influence décisive sur le
développement économique. Et dans de nombreuses régions d'économie prétendue
libre, principalement en Suisse, en Belgique, en Hollande, dans l'Empire
britannique et aux EU, des tentatives ont été faites pour contrôler la vie
économique. Ces tentatives ont eu une incidence considérable sur le cours du
développement de l'économie, singulièrement en France et aux EU.»
( Cité par Bertram D. Wolff: Le marxisme une
doctrine politique centenaire , Ed. Fayard, p. 374 ).
Ces
textes sont postérieurs à la victoire du fascisme mais ils sont en continuité
parfaite avec ceux antérieurs cités auparavant sur le capital organise.
Jean
Jaurés : « ... il se peut très bien que, sous l'action de forces
économiques nouvelles, la propriété individuelle rentre un jour dans la sphère de
l'État et dans le domaine de la Nation, comme la propriété de l'Église, d'abord
supérieure à l'État, en avait dû subir enfin la loi. » « ... le
produit net de la terre doit se diviser entre la Nation elle-même, pour de
grandes œuvres d'intérêt commun, et ceux qui travaillent le sol. » Histoire socialiste de la révolution française.
Tout le
mouvement européen du début des années de ce siècle est bien celui de la
constitution du prolétariat en classe dominante, donc en tant que classe de
gestion du capital; c'est la fin du cycle prolétarien. Que dit Mussolini :
« La
crise du capitalisme est le passage d'une ère de civilisation à une
autre ». « La solution à la crise est le corporatisme où
l'autodiscipline serait confiée aux producteurs. Et quand je dis producteurs
j'entends aussi les ouvriers... »
« Quant
au fascisme, son objectif est une plus grande justice sociale : le travail
garanti, un salaire équitable, une habitation décente. Cela n'est pas
suffisant. Car les ouvriers, les travailleurs, doivent être de plus en plus
intimement associés à la production si l'on veut qu'ils se plient aux exigences
de la discipline. » 1934
« Mais
cette propriété est considérée, non pas seulement comme un droit, mais comme un
devoir, à tel point que nous pensons que la propriété doit être entendue dans
son sens de fonction sociale; ce n'est donc pas la propriété passive, mais la
propriété active qui ne se limite pas à jouir des fruits de la richesse, mais
qui les développe, les augmente, les multiplie. » ( idée du
multiplicateur à la Keynes, du plein emploi etc. ... )
De ce
fait il était idiot de parler de social-fascisme, d'identifier purement et
simplement fascisme et démocratie car cela laisse de côté tout le contenu de la
démocratie sociale et, d'autre part, cette accession du prolétariat a la
domination sous forme mystifiée, mais à la domination tout de même. C'est son
être qui est dominateur même si les individus doivent en pâtir.
Remarque:
lorsque Rubel fait de l'œuvre de Marx une «éthique», il réduit le
rapport de Marx au prolétariat à un problème d'émancipation de la classe la
plus souffrante et escamote l'aspect subversif: la misère
révolutionnaire. Toutefois quel est le rapport qui a réellement triomphé ?
5.3.3.9. Fascisme,
réformisme, démocratie sociale, etc..
Il est
important de tenir compte des remarques de Bordiga sur le lien réformisme
fascisme, ce qui paradoxalement vient étayer le thème du réformisme
révolutionnaire de Marx. Cf. Battaglia comunista n°. 4, 1950. Dans le n°
5 Capitalisme et réformisme: fascisme essai de
constituer une réserve sociale; lier le prolétariat à la conservation du
système social. D'où aussi le rapport avec, l'État providence, 1952, n° 4 et
aussi profiter des calamités nationales plus ou moins naturelles. De même cf.
1951 n° 11 et 12, 1950 n° 20 et le rapport à l'État libéral, 1951 n° 16 et 22.
Le n° 11 de 1951: Le socialisme des coupons indique bien
cette donnée.
La
limitation de la journée de travail à 10 heures est l'exemple classique de réforme
imposée par l'Ètat. Elle fut évidemment arrachée de haute lutte par la classe
prolétarienne. Cependant l'intérêt de l'État était de préserver les chances de
développement du capital: 1. en empêchant de détruire la classe productrice de
plus-value, 2. en inhibant une radicalisation trop grande de la classe. C'est
avec la lutte pour la limitation de la journée de travail que se développe
l'unification de la classe prolétarienne en Angleterre et ce jusqu'à ce qu'elle
se constitue en parti (ce qui ne s'est pas pleinement réalisé). Le
stade ultérieur aurait pu être un assaut à l'État en place.
Cependant
au cours de cette phase les réformes ont encore un caractère positif, car elles
se traduisent par un renforcement du développement du capital.
Les réformes
proposées par les socialistes utopiques visaient aller du capitalisme au
socialisme. Cependant elles ne pouvaient réaliser qu'une transformation plus
complète dans le sens capitaliste. Ainsi les saint-simoniens furent partisans
non seulement dune intervention de l'État, d'une centralisation extraordinaire
à l'échelle nationale mais aussi internationale ( une banque ) ce
vers quoi tend le capitalisme à l'heure actuelle.
« Le
fascisme comme nous le disons depuis 40 ans, n'est que le réformisme moderne,
avec les mêmes attraits mercenaires pour les aristocraties ouvrières, avec
peut-être le masque noir moins dégueulasse que le jaune, au même service de la
contre-révolution. » Bordiga, il programma comunista, no. 23, 1962.
« Le
petit Etat italien naît bourgeois et sans tradition nationale. Sa lutte
antiféodale s'épuise dans la littérature. Il naît en retard et à cause de cela
moderne; il accomplit tout de suite son « aggiornamento » : il
naît réformiste. En un certain sens il devance les temps : il naît fasciste. »
Bordiga, Thèses de la Gauche, 1945.
Ainsi
est levée la contradiction suivante : l'État fasciste, l'État le plus
évolué, correspondant le mieux à la domination réel le du capital apparaît dans
un pays dont le développement était retardataire, bien que le capital y eut une
antique origine. On comprend que les pays les plus menacés par l'assaut
prolétarien y aient eu recours le plus rapidement : Espagne et Portugal
par exemple, d'où la complexité de la situation.
Il y a
donc nécessité d'aborder la question du rapport du fascisme avec celle du
développement de la révolution par le haut, l'émancipation progressive.
Bordiga
ajoute une remarque essentielle : le marxisme avait prévu le devenir au
totalitarisme. Toutefois il ne fit pas l'étude de l'intérieur pour le prouver.
C'est vrai mais il faut étudier comment Marx montre le devenir de l'être
totalitaire matériel ....
Cependant
une affirmation fondamentale de Bordiga et qui va dans le sens de l'étude à
faire est : le fascisme, c’est poser le capital constant égal à zéro -
Homicide des morts, il programma comunista, n° 24, 1951. Or on pose le capital
constant égale à zéro quand il y a nationalisation (cf. également Prophètes de l'économie démentielle, 1950 ).
Très
importante également la remarque de Bordiga sur la bureaucratie. «L'autre
idée erronée est celle de croire que la force totalitaire du régime capitaliste
(dont le fascisme italien fut le premier grand essai) ait pour
contenu un pouvoir prépondérant de la bureaucratie étatique contre les
initiatives autonomes d'entreprise et de spéculation privée. La forme qui
concentre dans la machine de l'Etat les forces anti-révolutionnaires mais rend
la machine administrative plus faible et manipulable par les intérêts
spéculatifs est au contraire, à un certain stade, une condition pour la survie
du capitalisme et du pouvoir de la classe bourgeoise. » ( Crue
et rupture de la civilisation bourgeoise, n° 23, 1951 )
Ceci
nous conduit également à évoquer la théorie selon laquelle le fascisme, le
nazisme sont le produit de l'action d'êtres déclassés. Ceci est très clair chez
Talheimer, Rosenberg, Bauer, etc. ... Il est assez exceptionnel que: la
théorie est celle de la lutte des classes et lorsqu'il faut expliquer un
mouvement social elle n'est plus mise en jeu. On ne voulait pas reconnaître que
le prolétariat avait soutenu le fascisme. Dans tous les cas, il aurait fallu
alors aborder la question de la communauté. Ces prolétaires déclassés avaient
perdu une communauté, ils en cherchaient une autre.
Le
moment où les limites de classe s'estompent est celui aussi où se pose la
nécessité d'une révolution non purement classiste; de là la proposition des
fascistes de faire une révolution populaire, ce qui ne veut pas dire qu'ils
aient compris le phénomène. Ils n'ont fait qu'exprimer le possible existant
mais par là ils étaient plus compatibles avec le devenir réel. La société était
mûre pour une certaine transformation mais le corpus humain n'avait pas été
capable de produire des éléments aptes à comprendre ce qui s'était passé; d'où
la multiplication des bouffons nécessaires à une mise en branle des
« masses » qui aveuglément permirent ainsi la réalisation de ce qui
advenait.
Par là
on ne veut nullement dire qu'il ait manqué une "direction"
quelconque; le parti ne peut pas être conçu séparé de la totalité.
Les
fascistes, les nazis parlaient d'une révolution populaire, les
sociaux-démocrates aussi. Les communistes coincés dans leur racket devaient
soit défendre la révolution purement classiste, soit se lancer à corps perdu
dans le front unique et donc patauger dans la révolution populaire. D'où, en
définitive, on en arrive chaque fois au même résultat.
La
donnée de bouleversement qu'apportent le fascisme, le nazisme etc.. ne peut être
niée. Là on voit bien qu'il faut faire des différences entre les mouvements qui
permirent la réalisation de la domination réelle du capital sur la société.
Le franquisme par exemple en s'appuyant sur l'Église attestait sa faiblesse du
point de vue de la montée du capital. En effet si l'Église a soutenu le
fascisme comme le nazisme, ce sont des mouvements anti-religieux parce qu'ils
portent en définitive la foi dans le capital, tout en posant un retour à la
nature ( mais quelle nature ? n'a-t-on pas justement exaltation de
l'homme domestiqué ? ); le capital devient lui-même mythe et pose une
religion; il ne peut plus tolérer les autres présuppositions. Désormais se
manifeste la dualité : la religion en tant qu'antique affirmation de l'homme
et la religion du capital ( même si celle-ci se revêt des oripeaux des
vieux cultes ). Alors le fascisme réalisation de la religion dans le
monde profane et, en ce sens, parodie de la révolution française ?
5.3.3.10.
Fascisme et démocratie sociale.
La fausse
alternative fascisme ou démocratie se posa au moment où déjà le premier avait
triomphé, lors des fronts populaires. Au début l'opposition fut en fait
prolétariat-fascisme, mais dès que ce dernier l'eut emporté, la lutte pour la
démocratie devient le moyen le plus sûr de conjurer toute possibilité de
reprise, en fournissant un objectif fallacieux.
Il est
possible que cette opposition soit encore reprise au moment où le heurt de
classes se fera plus dur. Cependant il est clair qu'il faille poser dès
maintenant que le fascisme est la réalisation de la démocratie. C'est la
démocratie telle qu'elle peut être en période de domination réelle du capital
sur la société, c'est la démocratie sociale.
Ce qui
se posera sera une lutte ouverte avec l´actualisation d'une terrible répression
qui rappellera celle effectuée par le fascisme, mais le contenu sera différent
puisque les objectifs fondamentaux du fascisme ont été réalisés.
5.3.3.11.
La lutte de classe qui s'est déroulée entre la période de la victoire du
fascisme en Allemagne et le déclenchement de la seconde guerre mondiale tendit
à éliminer le prolétariat en tant que classe, mais cela ne se réalisa
complètement qu'avec cette dernière et ce par l'entremise de la lutte contre le
fascisme.
Le mouvement
de la Résistance, des partisans, a utilisé un mécontentement réel du
prolétariat, sa volonté de s'opposer au capitalisme et permit, comme en Espagne
de dévoyer le prolétariat dans la croisade anti-fasciste. On agita la
perspective qu'une fois le fascisme abattu, il serait possible, ensuite, avec
l'aide de l'État russe, de se dresser contre les ploutocraties occidentales et
les abattre. Or, lorsque le moment fatidique arriva, les directions des
différents partis désarmèrent les milices populaires, le dernier élan était
brisé pour longtemps.
Les
pays fascistes avaient été battus mais qui avait gagné la guerre, le fascisme
ou la démocratie ? Ce fut en fait le triomphe généralisé du fascisme et
l'élimination définitive de la démocratie politique.
Cependant
du fait que la violence physique n'apparaissait plus on en déduisait que le
fascisme avait été vaincu. On déclara qu'il avait été un accident de parcours
du capitalisme et que l'on assisterait au déploiement du démocratisme. Or la
violence est une caractéristique de toutes les sociétés de classe. En outre ne
peut-on pas poser fascisme passif = violence potentielle ?
5.3.4. LA DOMINATION RÉELLE DU CAPITAL SUR LA SOCIÉTÉ.
Cette
phase se réalise vraiment après 1945, mais pas de façon simultanée partout. On
a donné comme caractéristiques : rajeunissement du capital; le capital va
au-delà de ses limites ( problème des formes du capital fictif ); la
technique est totalement capitalisée, c'est du capital autonomisé; ce dernier
est la forme autonomisée. Ce dernier caractère se retrouve sur le plan
intellectuel, théorique. Impossibilité de distinguer une infrastructure d'une
superstructure; il y a un continuum totalitaire. L'État devient société;
formation de la classe universelle qui correspond presque à l'humanité
asservie.
Peut-on
se poser : y a-t-il une impasse ? Mais cela n'implique-t-il pas
encore l'idée de progrès ?
La
démocratie devient un élément dépassé dans l'idéologie généralisée. Elle n'est plus
suffisante pour représenter les hommes dans leur totalité sociale. Faut mettre
en évidence que la mystification parachevée réelle consiste en l'esclavage des
hommes.
Plus de
parti formel; dans la mesure où l'on ne peut plus parler de classe, il n'est
plus possible de parler de parti même dans son sens historique. Il est
important de mettre au premier plan la communauté. Les partis deviennent des
rackets; rapport entre ceux-ci et le management, la technostructure, les
bandes.
Bordiga
disait qu'à la suite de la guerre de 1939-45 le fascisme avait gagné,
c'est-à-dire que son contenu s'était généralisé a toutes les puissances en
conflit. Mais ceci n'est pas assez rigoureux parce qu'il est toujours possible
de mettre en évidence l'absence de répression contre le prolétariat due à
l'absence de menace de la part de ce dernier. On peut préciser en indiquant le
contenu du phénomène : la démocratie sociale. Mais il y a le risque
d'accorder trop d'importance à un phénomène somme toute secondaire et accorder
trop d'importance à la démocratie. Celle-ci est dépassée parce que le capital
englobe les contradictions en particulier celle entre politique et société en
laquelle apparaissait l'opposition fascisme--démocratie politique. Le capital
englobe la démocratie mais ne la supprime pas, de même pour le fascisme. Mieux
vaut parler de domination réelle du capital enfin réalisée et du mode du
capital d'organiser les hommes en fonction de son procès de valorisation.
L'individu resurgit dans la bande en même temps qu'il y ait nié (il est
sujet d'échange dans le métabolisme du capital; l'Ètat est médiateur
entre les bandes.
Toutefois :
« Le rapport de l'échange a complètement disparu ou n'est plus
qu'un simulacre. » ( Marx: Fondements, t.1, p. 422 ).
Cette
remarque de Marx permet de penser le totalitarisme du capital. La domination
réelle est négation de toutes les antiques présuppositions en même temps que
celles-ci réapparaissent fondées, présupposées par le capital.
La
question de la domination du mode de production capitaliste en URSS et en Chine
pose celle de la convergence: comment ce mode devient semblable au mode
de production asiatique ?
Dans
les pays africains, pays nouvellement parvenus à l'indépendance, il est encore
possible de parler de classes, le capital n'a pas encore recomposé la société.
Remarque :
Le
fascisme correspondit à un moment historique précis: celui de
l'affirmation de la menace prolétarienne; nécessité pour le capital de
s'emparer de tous les rouages de la société. La théorie du parti unique est
liée à celle de la communauté nationale, populaire. Elle indique un moment de
faiblesse du capital. Il y eut alors emprunt au prolétariat du parti, de la
planification, de la pratique de la formation de militants, etc.. Le capital ne
domina pas selon ses propres lois, puisqu'il eut besoin d'une organisation qui
découlait encore d'une intervention politique.
Avec le
développement de la communauté matérielle, l'organisation est sécrétée par les
déterminants économiques eux-mêmes. La société n'est plus en porte à faux; elle
a un substrat homogène, cohérent; il y a intégration de toutes les vieilles
contradictions et donc de la démocratie (de même que de la
religion : tu travailleras à la sueur de ton front ) de la politique :
on a le bipartitisme qui n'exprime plus un antagonisme, une antinomie, mais un
épiphénomène (y a-t-il nécessité d'être antiparlementaire?).
Intervention de l'État mais d'un État conquis par le capital (quel
rapport peut avoir avec cela l'entreprise-plan de Chaulieu ?). On a
dans une certaine mesure réalisation de ce que disait Marx dans sa critique à
la philosophie de l'État de Hegel : l'État devient folklore populaire. Il
tend à nier sa différenciation d'avec la société civile ( n ce sens
l'État a été repris par l'activité réelle; on a une espèce de réalisation
similaire à celle de la Commune ) ; il devient la société civile en tant
qu'agent du capital.
En
conséquence plutôt que de généralisation du fascisme nous préférons parler de
celle de la domination du capital après la seconde guerre mondiale. Car le
fascisme comme le libéralisme ne sont que des formes approchées de l'idéologie
du capital. L'essence de cette dernière c'est la valorisation, la
capitalisation. Il serait important de mettre en évidence pourquoi la science
est une expression idéologique plus adéquate pour le capital.
Au
niveau du mouvement ouvrier, de ses restes, quel retard tout de même que cette
polémique de Bordiga contre la démocratie. Elle fut utile mais qu'elle existât
et surtout qu'elle ait été traitée au niveau où elle le fut, témoigne du retard
considérable pris par le mouvement révolutionnaire (de son recul).
Aux USA, le mouvement révolutionnaire noir parvint à un certain dépassement de
la démocratie mais sur une base très faible.
Variante
conclusive :
Le
fascisme fut la généralisation du despotisme de fabrique a l'intimité du tissu
social. Il exprime au mieux le passage à la domination réelle du capital, donc
la subordination de toutes les composantes sociales ou politiques au capital.
Il fut le réformisme actif, c'est-à-dire qu'il utilisa la révolte des masses et
put se parer du masque révolutionnaire pour triompher. En même temps il
représente une certaine perception consciente de l'insuffisance des schémas
libéraux et donc de la réalité économico-sociale qui est la négation des
principes au nom desquels se fit la révolution bourgeoise. Il est donc
l'expression de la révolte de la maturité du capital contre sa base étroite sur
laquelle il s'est édifié. Enfin il tendit à réaliser la démocratie sociale, la
démocratie dont la présupposition est le capital qui accorde un salaire à
quiconque accomplit une fonction pour le capital. Sous une forme caricaturale
c'est la vraie réalisation de la démocratie prolétarienne.
Il y a
un essai de comprendre le devenir social ce qui se traduit par l'incorporation
du marxisme comme idéologie de la croissance, du développement. Il y a
confluence entre le mouvement social-économique et la conscience :
mouvement d'intégration du prolétariat, donc fin du rôle de celui-ci.
Le
communisme ne peut se poser qu'au-delà de tout ça.
* * *
Dans de
nombreuses lettres il a été question de la mystification démocratique, en particulier
celle du 06.02.1964 qui présente un plan de l'étude. Je le reporte ici. Etant
donné que ce plan présente une ébauche de développement, constituant sa
justification, je ne reproduis que ce qui n'a pas été abordé dans les textes
antérieurs ( note de 1991 ).
I. -
Introduction sur le mensonge démocratique.
(À
noter ici que j'utilise encore l'expression utilisée originellement par Bordiga
et Dangeville. Note 1991)
II. -
La démocratie chez Marx.
( Il
est développé en particulier le thème de l'utilisation de la démocratie comme
preuve de la tactique indirecte. En même temps cette étude était mise en
liaison avec celle de Dangeville sur la « Question militaire ». Note
1991 )
III. La
question de la démocratie chez Marx et la société transitoire ( cf. Critique
du programme de Gotha, Le Capital ).
Sur le
plan économique validité de l'emploi du terme démocratie. Dans cette période,
il y a encore un droit. Il s'agit avant tout de détruire la concurrence entre
les hommes. La généralisation de la démocratie, l'égalité et donc aussi la
propriété privée ( le bon de travail, la force de travail
individuelle ) est le premier temps de sa négation totale. En ce sens
cohérence totale avec ce qui est dit dans les œuvres de jeunesse. Autrement dit
dans ces oeuvres cela pouvait sembler des phrases, ou des exigences logiques
( des conséquences ) tirées d'un ensemble de principes; maintenant
cela revêt une réalité.
Ce
point est fondamental pour expliquer la révolution russe et pour expliquer
notre volonté d'exclure le terme de démocratie pour caractériser la période
post-révolutionnaire. Déjà au XIXe siècle on l'avait chassé sur le plan
politique : la dictature du prolétariat. Nous le chassons sur le plan
économique et sur celui d'un fonctionnement de la société; nous préférons
parler de généralisation du fonctionnement organique du parti à l'échelle de la
société.
IV.
Lénine et la démocratie.
Lénine
et l'utilisation de la démocratie : question de la dictature des ouvriers et
des paysans; question posée avant la prise du pouvoir.
Lénine
et la démocratie et le dépérissement de l'État; cf. entre autres, L'État
et la révolution.
On
pourra à ce propos définir nettement les positions de Trotsky et de Lénine
( révolution permanente, etc.. ).
V. Les différents
schémas expliquant le rapport de la société à l'État.
Cela
nous permettra d'expliquer celui de la démocratie à l'État. On reviendra sur la
question de l'État et l'on précisera les points dont parle Lénine à la fin de
son livre : L´État et la révolution: évolution de
l´État russe. Toutes les guerres se sont soldées par le renforcement du pouvoir
de l'État, de la machine de l'État. Comment les deux guerres mondiales se
présentent comme des victoires de l'État capitaliste sur le prolétariat au
travers du renforcement de celui-là, jusqu'à ce que le capital s'empare de
l'État : triomphe du fascisme.
VI. Démocratie et
programme.
Seule
l'émancipation radicale peut se produire à l'heure actuelle. L'utilisation de
la démocratie pouvait se concevoir tant qu'il y avait possibilité de
l'émancipation progressive ( cas typique : la France ); aucune
classe ne peut être alliée au prolétariat.
Rejet
de la forme démocratique - Pas de démocratie à l'intérieur du parti; celui-ci
représente la Gemeinwesen future - Dictature du prolétariat et généralisation
du fonctionnement du parti État et Gemeinwesen.
Autrement
dit nous reprendrons ici les conclusions de tous les points précédents afin de
montrer combien nous devons éliminer le terme de démocratie. D'autre part c'est
à ce moment-là que nous pourrons montrer comment Marx et Engels ont essaye
eux-mêmes de chasser ce terme.
*
* *
Cher Amadeo,
Voici une
première partie sur les œuvres de jeunesse de Marx, encore appelées œuvres
philosophiques, alors qu'on y trouve tous les éléments de l'œuvre de la
majorité et qu'il n'y a donc pas un jeune et un vieux Marx.
C'est
un résumé et un commentaire de la « Critique à la philosophie de l'Etat
de Hegel ». Ceci a un intérêt
- Pour
montrer que depuis le début Marx a la solution de tous les antagonismes, de
toutes les énigmes: c'est la communauté (Gemeinwesen) ; que
la société bourgeoise, c'est la dernière société politique; que la démocratie
est la dernière forme politique. Ce qui veut dire que c'est dans la société
bourgeoise que pour la dernière fois se pose un problème d'organiser les homes.
La démocratie étant la solution, « l´énigme résolue de toutes les
constitutions » et donc en même temps la fin de la politique.
- Pour
mettre en évidence la critique de la volonté et de la bureaucratie. Tu
retrouveras incluses les lettres à ce sujet que je t'avais écrites l'an
dernier. Je crois que ce point est fondamental : tous ceux qui théorisent
la volonté ont finalement besoin de la bureaucratie parce que celle-ci naît sur
le plan de la transmission des ordres et sur la hiérarchie du savoir.
D'autre
part Marx polémiquant avec Hegel déclare quel est l'être de la
constitution ? Hegel répond le peuple. Là se trouve la mystification que
Marx dévoilera dans tous ses travaux ultérieurs, en montrant que c'est le
capital.
Marx a
trouvé la solution dans la Gemeinwesen communiste. Il va démontrer la genèse de
l´Ètat, donc la destruction de l'antique communauté et ensuite la réformation
de la communauté. On peut démontrer que ceci fut la préoccupation fondamentale
de Marx. En effet, celui-ci a abordé de quatre façons différentes Le
Capital : 1. Les Manuscrits de 1844 : il insiste surtout sur le
travail aliéné et salarié dans la société capitaliste. 2. La Contribution à la
critique de l'économie politique : il part du rapport matériel, la marchandise,
puis le capital. Les conclusions sont les mêmes. Seulement Marx voulait d'une
part démontrer comment le procès social s'était effectivement produit et
comment il s'était présenté chez l'homme : les diverses écoles
économiques. D'où un plan double d'une part les données purement théoriques,
d'autre part les considérations historiques. 3. Les formes qui précèdent la
forme de production capitaliste. Dans les deux premiers textes on essayait de
voir comment le travailleur salarié était produit, comment le capital s'était
constitué. La différence entre les deux ouvrages résultant du point mis au
centre : le travail salarié ou le capital. Ici, Marx explique que le
capitalisme n'a pu se constituer qu'en détruisant la communauté naturelle, puis
la communauté médiatisée par la terre, etc.. Le point central c'est la
communauté. 4. L'Urtext qui n'est qu'un fragment de la version primitive de la
Contribution à la critique. Ici Marx se pose la question de l'autonomisation de
la valeur d'échange et il démontre que l'or ne peut pas réaliser cela, seul le
capital le pouvait. Seulement, il indique de plus que maintenant le capital
peut être la communauté matérielle. Seul, il peut remplacer l'antique
communauté qui a été détruite au cours des diverses révolutions qui sont les
divers temps de l'expropriation, jusqu'à l'homme totalement rejeté - même du
procès de production et donc du travail - le prolétaire. Ceci est important
parce que cela complète l'investigation des Formes et, d'autre part, permet
d'unir toute l'œuvre sur la question fondamentale de la communauté c'est-à-dire
du communisme. Marx s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas arriver à
construire toute l'œuvre en intégrant les diverses données. D'autre part
l'échec de la Contribution lui montra qu'il fallait «être plus simple»
(diciamolo alla svelta), c'est pourquoi étant donné l'urgence de
donner une arme de lutte au prolétariat, il publia le I. livre du Capital qui
est un tout et qui est en même temps le programme de la classe révolutionnaire
et la démystification de tous les rapports sociaux. C'est pourquoi on trouve la
même « terminologie », le même style dans le VIe Chapitre, l'Urtext,
la Contribution ou dans les parties du Capital non publiées du vivant de
l'auteur. Quand elle ne l'est pas la substance est la même, ex : dans le
VIe Chapitre on parle de mystification de la marchandise puis du capital (comme
dans la Contribution), dans le I. livre du Capital il est parlé du
« caractère fétiche de la marchandise». Venons-en maintenant à la
mystification des rapports sociaux et donc à la démocratie, voici une des
phrases-clefs qui se trouve dans la Contribution :
« Il
faut qu´un rapport social de production se présente sous la forme d'un objet
existant en dehors des individus et que les relations déterminées, dans lesquelles
ceux-ci entrent dans le procès de production de leur vie sociale, se présentent
comme des propriétés spécifiques d'un objet. C'est ce renversement, cette
mystification non pas imaginaire, mais d'une prosaïque réalité, qui caractérise
toutes les formes sociales du travail créateur de valeur d'échange. »
Autre
citation importante : « Comme la monnaie n'est pas le produit de
la réflexion ou de la convention, mais se constitue instinctivement dans le
procès d'échange, des marchandises très diverses, plus ou moins impropres, ont
tout à fait fonction de monnaie. »
Donc la
démocratie n'est un simple subterfuge des classes dominantes pour couillonner
les masses. D'autre part, il y a pu y avoir plusieurs formes de démocratie. La
recherche de la démocratie idéale - la démocratie rénovée des excréments
staliniens - est tout aussi vaine que celle de la monnaie idéale.
Ceci
nous a mis sur la voie de la compréhension - en profondeur - de la
mystification démocratique. Roger t'écrira justement à propos du Capital de
Marx et de la démocratie.
Ultérieurement,
je te communiquerai le travail à propos de La Question Juive et de la
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel 1,
toujours abordé selon la même optique. Je te communique tout cela qui est
« matière à travail » et non produit élaboré afin de te tenir au
courant du travail que nous faisons sur la mystification. Il est à peu prés
certain que dans un proche avenir nous serons arrivés à bout de tout et pourrons
synthétiser comme tu le demandes et te soumettre le texte.
* * *
ANALYSE DE CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE DE L'ÉTAT DE
HEGEL 1841-1842
Marx est conduit
dans son étude par deux fils conducteurs :
1. « Tous les
philosophes ont fait des prédicats eux-mêmes des sujets. » Thèse de
doctorat.
2.
Montrer l'accommodation de la théorie de Hegel. Pour cela il aura tendance à
attaquer sur le plan de la réalité. Il aborde la critique par celle de l'Etat
( préoccupation centrale de Marx ) qui pour Hegel, est « la
réalité de l'idée morale ».
Comme
toujours, Hegel part du général, de l'universel, de l'abstrait pour arriver au
concret. Aussi va-t-il partir de la constitution considérée de façon abstraite,
la constitution en général. C'est pourquoi, d'entrée, Marx va montrer comment
Hegel opère le renversement prédicat-sujet.
« La
famille et la société civile sont les présuppositions de l'Etat; elle sont à
proprement parler actives, mais dans la spéculation c'est le contraire. »
( Œuvres philosophiques, Ed. Costes, t, V, p. 23 )
Au
fond
Hegel joue à cache-cache avec la réalité. Marx met à nu l'opposition
fallacieuse d'un Hegel révolutionnaire ésotérique et d'un Hegel qui
doit faire
compromis avec la société: aspect exotérique. Donc, affirme et amplifie
la critique faite dans sa thèse.
« L'intérêt
de la partie ésotérique est de toujours retrouver dans l'Etat l'histoire de la
notion logique. Mais il appartient au côté exotérique que se fasse le développement
proprement dit. » (Œuvres philosophiques, Ed. Costes, t.V, p.23)
Marx oppose toujours la réalité empirique au système hégélien, d'où le
problème de penser la réalité. Il faut lier la conscience du mouvement à la
réalité. Mais pour cela, il faut transformer la réalité et non l'interpréter de
diverses façons.
« Le réel devient phénomène, mais l'idée n'a d'autre but que le
but logique “ d'être pour soi esprit réel infini ”. Dans ce
paragraphe tout le mystère de la philosophie du droit et de la philosophie
hégélienne en général est déposé. » (Idem, p. 26)
Encore le renversement :
« Ce qui
est important, c'est que Hegel fait partout de l'idée le sujet, et du sujet
réel proprement dit, tel que la « disposition politique », le prédicat.
Mais le développement se fait toujours du côté du prédicat. » (Idem,
p. 29)
« Au lieu
de cela, l'idée est prise comme sujet... »
« Mais on
parle ici de l'idée comme d'un sujet, de l'idée qui se transforme en ses
différences. Outre ce renversement du sujet et du prédicat ( ... ) Le
point de départ c'est l'idée abstraite dont le développement dans l'Etat est la
constitution politique. » (Idem, p. 31)
« Ce n'est
pas sa pensée qu'il développe d'après l'objet, c'est l'objet qu'il développe
d'après une pensée achevée en soi et qui s'est achevée dans la sphère abstraite
de la logique. » (Idem, p. 36)
« Le
contenu concret, la détermination réelle, apparaissent comme formels, la
détermination réelle absolument abstraite apparaît comme le contenu concret. »
« La
logique ne sert pas à prouver l'État, c'est au contraire l'État qui sert à
prouver la logique . » (Idem, p. 41-42)
« La pensée ne
se règle pas sur la nature de l’État, c'est l'État qui se règle sur une pensée
toute prête. » (Idem, p. 45)
Marx
fait non seulement des critiques de méthode qui l'amène à mettre à nu le
caractère mystificateur de la pensée hégélienne, mais il montre concrètement la
contradiction entre l'idée de l'Ètat et la réalité de celui-ci. Pour Hegel,
État = intérêt général; individu = intérêt particulier. Les individus forment
la société civile, et l'État politique est la réalisation de l'idée. Ainsi
Hegel dit : « Que le but de l'État est l'intérêt général, etc.
. . » (Idem, p. 37)
Cet
État politique réalisation de la logique se présente comme ayant :
un
coté universel : pouvoir législatif
un côté particulier : pouvoir exécutif
un côté subjectif : pouvoir souverain
Et Marx lance
l'anathème: voilà l'opportunisme de Hegel. Il fait cadrer l'État avec la
logique ( réaliser ) pour mieux affirmer que la réalité cadre avec la
raison; que la réalité est la réalisation de la raison.
Il y a plus lorsque
Hegel déclare «Comme l'esprit... réalité de la constitution. Chaque
peuple a donc la constitution qui lui est appropriée et qui lui convient. »
45
Marx
rétorque : «Il ressort simplement du raisonnement de Hegel que
l'Etat dans lequel “ le mode et la formation de la conscience de
soi ” et la “constitution” se contredisent n'est pas un véritable État.
C'est évidemment une banalité que de dire que la constitution qui est le
produit d'une conscience passée peut devenir une entrave gênante pour une
conscience plus avancée. La conclusion en serait simplement de réclamer une
constitution ayant elle-même la détermination et le principe de progresser avec
l'homme réel, ce qui n'est possible que lorsque “ l' homme” est devenu le
principe de la constitution. Ici Hegel est sophiste. » (Idem, p. 45-46
)
Critique donc la
méthode justificative de Hegel. C'est son côté mystificateur. Or, pour se
justifier quoi de plus facile si : « le réel devient phénomène,
mais l'idée n'a d'autre contenu que ce phénomène. » (Idem, p. 26)
Tout opportunisme
est justificateur ( a besoin de se justifier ) . D'autre part Hegel
ne fait que théoriser ce que les révolutionnaires français avaient posé en
fait. Le droit à l'insurrection pour le peuple, lorsque la constitution irait à
l'encontre des intérêts du peuple. Question uniquement institutionnelle.
D'autre part la
réponse de Marx anticipe sur le développement. Dans «La guerre civile
en France», il fait voir que la Commune était un corps agissant,
etc.. donc le renversement important : on doit partir de 1 'homme et non
de l'idée.
Le pouvoir
souverain.
On retrouve cette
question lorsque Marx fait la critique de l'opposition de l'universel au
particulier : Etat à individu. La théorie de Hegel repose sur cette
dualité. C'est ce qu'il faut abolir. L'individu doit donc avoir une vision
d'ensemble de l'État. Mais cet État ne doit pas être séparé de lui, le
subjuguer. Donc en germe la notion de Gemeinwesen, vision de l'espèce, de
l'homme social.
« Cette
absurdité vient de ce que Hegel considère les affaires et les activités de
l'Etat d'une façon abstraite et en soi, et l'individualité particulière comme
son contraire; mais il oublie que l'individualité particulière est une fonction
humaine et que les affaires et les activités de l'État sont des fonctions
humaines; il oublie que l'essence de la « personnalité
particulière » n'est pas sa barbe, son sang, sa nature physique et
abstraite, mais sa qualité sociale, et que les affaires de l'État
etc..., ne sont rien d'autre que les modes d'existence et d'activité des
qualités sociales des hommes. »
Il est évident
qu'ici Marx dépasse déjà le cadre de la société bourgeoise et suppose un homme
désaliéné. Seulement, il n'y a pas encore la solution au problème de l'État. On
est encore au moment du raisonnement où l'on est sur le terrain de
l'adversaire. On détruit son système mais on garde encore ses données.
« On
comprend donc que les individus, en tant que représentants des affaires et des
pouvoirs de l'État, soient considérés d'après leur qualité sociale et non
d´après leurs qualités particulières. »(Idem, p.50)
« Le
dualisme consiste en ce que Hegel ne considère pas l'universel comme l'idée du
réel fini, c'est-à-dire de l'existant ( c'est-à-dire de l'individu,
n.d.r ), du déterminé ni de ce qui est réellement le vrai sujet
de l'infini. »
« Ainsi la
souveraineté, l'essence de l´Etat, est ici considérée d'abord comme un être
indépendant, c'est-à-dire objectivé. Ensuite, cela va de soi, cet objectif doit
redevenir sujet. Mais le sujet apparaît à ce moment comme une incarnation propre
de la souveraineté, alors que la souveraineté n'est rien d'autre que l'esprit
objectif des sujets de l'Etat. »
En effet « Quel
serait donc cet idéalisme d'État qui, au lieu d'être la réelle conscience de soi
des citoyens, l´âme commune de l'État, serait une personne, un sujet. »
(Idem, p.55)
Ceci amène Marx à
apporter des précisions sur la subjectivité et donc sur la personne et
l'individu.
« Il va de
soit que la personnalité et la subjectivité n'étant que des prédicats de la
personne et du sujet, n'existent que comme personne et comme sujet, et la
personne est un individu. Mais, devait dire Hegel ensuite, l'individu n'a de
vérité qu'en tant qu'il est beaucoup d'individus. Le prédicat, l'être
n'épuise jamais les sphères de son existence dans un seul individu, mais
dans beaucoup d'individus. » (Idem, p. 60-61 )
« La
personnalité n'est, il est vrai, qu'une abstraction sans la
personne, mais la personne n'est que l'idée réelle de la personnalité dans son
existence d'espèce, en tant que les personnes. »
Autrement
dit : vision de l'être humain qui porte en lui l'universel parce que
l'universel est le produit des êtres humains. Déjà en germe la donnée :
l'essence humaine = ensemble des rapports sociaux; donc en germe le lien
individu-espèce ( être humain-espèce ).
Comment abolir
l'antagonisme entre État = intérêt général et l'individu = intérêt particulier,
privé; entre l'universel et le particulier, la séparation entre l'État
politique représentant la conscience universelle = l'idée, la raison et
l'individu représentant une conscience déterminée, limitée. En supposant une
société où il n'y ait plus d'État, donc plus de séparation de l'individu à
l'universel ( séparation de l'individu à la communauté, à l'espèce ).
Là encore il reprend le point de critique où il déclare « ce qui n'est
possible que lorsque l'homme est devenu le principe de la constitution. »
(Idem, p. 46)
« La
démocratie est l'énigme résolue de toutes les constitutions. Ici la constitution
est non seulement en soi, d'après son essence, mais d'après son existence,
d'après la réalité, constamment ramenée à son fond réel, à l'homme réel,
au peuple réel, et posée comme son oeuvre propre. La constitution
apparaît comme ce qu'elle est, un libre produit de l'homme; on pourrait dire
qu'a certains égards, cela s'applique également à la monarchie
constitutionnelle, mais la différence spécifique de la démocratie est qu'ici la
constitution n'est en somme qu'un élément d'existence du peuple, que n'est pas
la constitution politique en soit qui forme l'État.
« Hegel
part ici de l'État et fait de l'homme l'État subjectivisé; la démocratie part
de l'homme et fait de l'État l'homme objectivé. »
Ici Marx, dans sa critique,
en est au stade de Feuerbach. Il fait encore de l'homme une objectivé sensible.
Une objectivité sensible peut avoir encore besoin d'un Etat qui, bien entendu,
a pour principe une constitution où l'homme est le principe même. Il a encore
besoin d'une forme d'organisation. Plus tard la forme d'organisation ce sera
l'homme lui-même ( cf. polémique avec Ruge ). Seulement pour parvenir
à ce résultat, il fallait remettre sur pied tout ce qui avait été renversé.
« De même
que la religion ne crée pas l'homme, mais que l'homme crée la religion, ce
n'est pas la constitution qui crée le peuple, mais le peuple qui crée la
constitution. La démocratie est, à un certain point de vue, à toutes les autres
formes politiques comme le christianisme a toutes les autres religions.
Le christianisme est la religion, l'essence de la religion, l'homme
déifié sous forme de religion particulière. De même la démocratie est
l'essence de toute la constitution politique, l'homme socialisé, comme
constitution politique particulière; elle est aux autres constitutions
comme le genre est à ses espèces; mais avec cette différence que le genre
apparaît ici lui-même comme existence, et par conséquent, vis-à-vis des
existences qui ne correspondent pas à l'essence, lui-même comme une espèce
particulière. »(Idem, p. 67-68)
Donc première
solution proposée aux antagonismes : la démocratie. Marx reste sur le
terrain de l'adversaire : politique et philosophique. En fait c'est la
généralisation du principe bourgeois, l'accession à la société idéale
bourgeoise, une société sans État. C'est sur le plan théorique la même
généralisation que celle que fit Babeuf sur le plan pratique; bien que dans
l'un et l'autre cas se trouvent les ferments de la vraie solution. Ici, on
essaie de réconcilier l'être général humain avec l'être individuel; Babeuf
voulait que la société fut en accord avec les principes que la révolution avait
édictés.
Mais l'élément
fondamental qui sera ferment pour la constitution de l'édifice théorique est
celui-ci : l'homme a eu besoin d'une politique parce qu'il y avait une
nécessité d'organisation des hommes. Le jour où peut se faire la conciliation
entre les hommes, leur réconciliation ( disparition des classes ), la
politique n'est plus nécessaire; les antagonismes auront disparu. Seulement
Marx est encore prisonnier de l'adversaire et cherche au fond quelle peut être
la forme organisationnelle qui en termine avec la politique.
«La
démocratie est à toutes les autres formes politiques comme à son ancien
testament. L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de
l'homme, c'est une existence humaine, tandis que dans les autres l'homme
est l'existence légale. Telle est la différence fondamentale de la
démocratie. »
Ultérieurement,
Marx démontrera que toutes les idéologies se noient en fait, débouchent dans le
christianisme; puis que toutes les visions sociales du futur se ramènent à des
échafaudages démocratiques. Ici, il montre que la démocratie en finit avec
l'ancienne façon de concevoir les rapports entre les hommes. Avec la démocratie
( il faudra préciser bourgeoise ), l'homme réel est posé au centre du
fonctionnement du rapport politique. Il semble ainsi que la politique n'ait
plus de raison d'être puisqu'elle est réalisée en chaque homme, qu'il n'y a plus
une sphère indépendante où elle puisse se développer. La révolution bourgeoise
et celle prolétarienne ont quelque chose en commun : la mise en mouvement
des masses. Le mouvement démocratique correspond à la première, seulement après
comme avant les masses demeurent divisées; le mouvement communiste correspond a
la seconde; les masses seront unifiées : formation de l'humanité.
« Toutes
les autres formations étatiques sont des formes politiques particulières
déterminées. Dans la démocratie le principe formel est en même
temps le principe matériel. Elle est donc la vraie unité de l'universel
et du particulier. » ( Idem, p. 68 )
Pour qu'il y ait
démocratie sur une large base, il faut que les hommes soient sur une base
égalitaire, qu'ils soient réduits à peu prés à la même substance. L'espèce
humaine unifiée sous l'action du capital mais encore objet, non sujet, voilà la
limite bourgeoise du développement social historique. La démocratie forme
d'organisation peut être valable pour une humanité parvenue a ce stade.
L'humanité tendant à son unification peut encore avoir son être en dehors
d'elle, prisonnier, aliéné à une force économique : le capital. La société
tendant à unifier l'espèce et à lui donner son être véritable ne peut pas être
démocratique.
Le mouvement
d'unification s'est fait au profit d'un être oppresseur. Au début de la
domination du capital, ce mouvement oppresseur ne se voit pas parce que le
capital ne domine pas encore de façon réelle, mais doit affirmer son hégémonie
et ce, surtout contre le prolétariat. En conséquence, c'est le premier aspect
qui l'emporte. D'où les illusions des utopistes puis des réformistes.
«Dans la
démocratie l'État, en tant que particulier, n'est que particulier, en
tant qu'universel il est l'universel réel, c'est-à-dire pas quelque chose de
déterminé distinct de l'autre contenu. Les français modernes ont interprété
cela en disant que « dans la vraie démocratie l'Etat politique
disparaît ». Cela est vrai en ce sens qu'en tant qu'Etat politique, en
tant que constitution, il ne vaut plus pour le tout.»(p. 69)
Cela se vérifie
amplement dans la société actuelle. C'est la limite. L'État est l'universel
concret; il est la société; parce que la société a conquis l'État. Elle l'a
modelé à son image. Là encore une limite : la société bourgeoise tend à
détruire les classes pour faire des hommes des esclaves du capital. Elle tend à
faire la même chose que le communisme. Seulement dans ce dernier la disparition
des classes suppose la souveraineté de l'homme, la domination de la
Gemeinwesen. L'Etat capitaliste peut être l'être universel non pas des hommes,
mais des esclaves du capital.
Il ne vaut plus
pour le tout, pour la base ! La question du lien de l'État à la société
est celle --mutatis mutandi -- du lien du parti à la classe et, plus tard, à
l'ensemble de l'humanité. Le capitalisme tend à résoudre la question en faisant
de l'État une force sociale, la société aliénée au capital qui domine les
hommes. Il nous faut donc préciser ce mouvement d'unification de l'espèce
humaine qui suppose parallèlement la concentration de la conscience. Donc
aussi, corrélativement, la question du lien entre cette masse unifiée et cette
conscience : le lien entre la classe et le cerveau social, le parti. Là
est la grande question posée par la philosophie (cf. Hegel surtout qui
l'a posée de façon claire et nette dans sa philosophie de l'Etat). Dans
la société bourgeoise commence a se faire la réconciliation entre mouvement
social et mouvement politique. Auparavant il semblait que le mouvement
politique fut réellement indépendant de l'autre. La force apparaissait encore
comme une donnée de l'homme et non une donnée sociale, économique. C'est ce que
n'a pas compris Proudhon. Sa théorie de la violence est une théorie de la
violence physique, telle qu'elle pouvait avoir lieu dans une société primitive.
L'homme qui était plus fort physiquement pouvait réellement l'emporter; à
l'heure actuelle, que peut faire la force physique contre un système ?
C'est ce phénomène d'égalisation qui est fondamental : nous sommes tous
les mêmes devant la force impersonnelle du capital.
Toutes les forces
ont été assujetties à une seule : la force économique. La politique en
tant qu'élément qui pouvait sembler avoir une fonction autonome a été elle
aussi subjuguée. Sa propre sphère a été annexée. Cela est vrai aussi pour la
guerre. Les hommes ne peuvent plus faire la guerre comme au temps de Napoléon.
Le capital, sous sa métamorphose d'engins de fer et d'acier, impose une forme
donnée de destruction et cela en dehors de la considération fondamentale
qu'auparavant on faisait la guerre pour s'enrichir, maintenant pour s'appauvrir
afin de pouvoir refaire marcher au maximum la machine productive. Il faut
détruire machines et hommes qui ont été produits en quantités démentielles.
De ce fait la
caractérisation de l’État à l'époque où la société bourgeoise émerge de celle
féodale est absolument valable. Auparavant, Marx fait la remarque
suivante :
« Dans la
démocratie, la constitution, la loi, l'État lui-même ne sont qu'une
détermination propre du peuple, un contenu déterminé du peuple, en tant que ce
contenu est constitution politique. » (Idem, p. 69 )
« Dans les
anciens États, l'État politique forme le contenu de l'État, à l'exclusion des
autres sphères; l'État moderne est un arrangement entre l'État politique et
l'État non politique. »
Voilà la
caractérisation fondamentale de la société où le capital opère une domination
formelle. Une période où il tend à utiliser la force politique pour assurer sa
domination, pour en faire une domination sociale. La révolution bourgeoise est
révolution sociale à âme politique; elle tend aussi à assurer sa domination
politique par une force sociale. Elle est en même temps fin de la
politique : la question du lien entre les hommes, de leur organisation, de
leur domination est résolue par un être qui est en dehors : le capital.
Donc tant que le capital n'a pas assuré sa domination absolue, matérielle, il y
a un arrangement entre l'Etat politique et l'Etat non politique. Il y a aussi
arrangement entre la forme et la matière. D'où ce qui est apparemment
paradoxal : la démocratie qui devait se réaliser pour l'homme, parvient à
sa réalisation en excluant l'homme. Ceci devait inévitablement se produire
puisque la démocratie suppose une domination, une dictature et une base la plus
large possible. Ou cette force est humaine - politique - ou elle est une force
non-humaine, donc aliénée - ce qui fait que dans ce cas la démocratie est plus
ample puisque tous les hommes tendent à entrer dans la base sur laquelle opère
la démocratie.
« L'homme
n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme, c'est une existence
humaine; tandis que dans les autres ( formes politiques n.d.r )
l'homme est l'existence légale. Telle est la différence fondamentale de la
démocratie. »(Idem, p. 68)
Donc, la première
solution proposée aux antagonismes est la démocratie. C'est en fait la
généralisation du principe bourgeois, la société idéale bourgeoise : une
société sans État, où l'État soit la société, cf. le passage « Dans la
démocratie ... pour le tout. »(Idem, p. 69) Le mouvement
historique a répondu de la façon suivante : la société est devenue l'État.
Cela implique une caractérisation de la société post-révolutionnaire. L'État
prolétarien sera force politique pour détruire l'oppression du capital et
libérer la société communiste. Car au fond contre une force sociale : la
montée du communisme, le capital ne pouvait lutter qu'en s'emparant totalement
de la direction de l'État et en réduisant tous les hommes à des esclaves
salariés. Et c'est pourquoi on y revient toujours : la révolution
communiste est une révolution politique à âme sociale.
Dans la phase de
dictature du prolétariat et donc aussi en partie dans celle du socialisme
inférieur, la démocratie dont parle Marx ou Lénine se réalise bien : « L'homme
n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme..
etc. ».
La démocratie forme
ultime de la politique : l'homme socialisé parce qu'intégré dans la société
sans contradictions. En fait parce que déterminé directement par un rapport
humain social et non plus par la présence d'un rapport extérieur ( terre
ou théologie ) . Ceci est valable pour l'aube de la société capitaliste.
Il pouvait sembler que l'homme n'ait plus besoin de médiations; qu'il n'aurait
plus besoin ( qu'il ne serait plus contraint ) de s´aliéner. Or, le
capitalisme en se développant dut détruire les illusions des hommes - des
bourgeois comme des utopistes - et l'existence de l'homme fut médiatisée par le
capital.
Le mouvement social
a fait de l'État une abstraction. Nous y reviendrons.
« Dans la
démocratie, l'État abstrait a cessé d'être l'élément dominant. La
lutte entre la monarchie et la république est elle-même encore une lutte à
l'intérieur de l'Etat abstrait. La république politique est la démocratie à
l'intérieur de la forme politique abstraite. La forme politique abstraite de la
démocratie est donc la république; mais elle cesse d'être ici la constitution simplement
politique. » (Idem, p. 69-70 )
Le point central
est maintenant de démontrer que la démocratie est la fin de la politique. Donc
de démontrer que là où elle n'est pas réalisée, il y a toujours politique et
donc il ne peut y avoir fin de l'antagonisme universel-particulier,
forme-matière. D'autre part la critique aboutit à la démonstration qu'il n'y a
pas de démocratie politique, de vraie démocratie dans la société bourgeoise
( cf. Question juive : « la révolution politique dissout la
vie civile dans toutes ses parties constitutives... » ).
« La
propriété, etc., bref tout le contenu du droit et de l'État, est à quelques
modifications prés la même dans l´Amérique du Nord qu'en Prusse. Là-bas, la république
est donc une simple forme politique comme chez nous la monarchie.
Le contenu de l'Etat réside en dehors de ses constitutions. Hegel a donc raison
quand il dit : l´Etat politique est la constitution, c'est-à-dire l'État
matériel n'est pas politique. » ( Idem. p. 70 )
Dans la démocratie
il doit y avoir coïncidence entre matière et sphère idéale ( forme ).
Ici, il n'y a pas conciliation entre l'État matériel et l´État politique. « Le
contenu de l'État réside en dehors des ses constitutions. »
Voilà la critique fondamentale : peut-il y avoir un État où le contenu soit
en accord à l'intérieur de sa constitution ?
Dans la république
il n'y a pas de conciliation entre État matériel et État politique. La
constitution est l'expression de ce divorce. D'où :
« La constitution
politique fut jusqu'ici la sphère religieuse, la religion de la vie
populaire, le ciel de son universalité vis-à-vis de l'existence terrestre
de sa réalité. La sphère politique était la seule sphère politique dans
l'État, la seule sphère où le contenu fut, comme la forme, un contenu
générique, le véritable universel, mais en même temps de telle façon que,
pendant que cet-te sphère s'opposait aux autres, son contenu aussi devenait un
contenu formel et particulier. La vie politique au sens moderne
est le scolasticisme de la vie populaire. La monarchie est l'expression achevée
de cette aliénation. La république en est la négation dans sa propre
sphère ». ( Idem, p. 70-71 )
La république
semble rendre terrestre la constitution. Elle semble entrer dans la vie
populaire. Elle est pour l'homme. Seulement elle ne se meut encore que dans la
sphère politique. Il y a toujours séparation entre la sphère idéale et la
matière.
« Il va de
soi que la constitution politique comme telle, n’ est développée que là où les
sphères privées ont acquis une existence indépendante. Là où le commerce et la
propriété foncière ne sont pas libres, pas encore devenus indépendants, la
constitution politique, elle aussi, ne l'est pas encore. Le Moyen-Age était la démocratie
de la non-liberté. » ( Idem, p. 71 )
La constitution se
présente comme étant l´élément nécessaire pour unir ce qui a été divisé. De
même qu'avec la fin de la société tribale, la démocratie s'est présentée comme
le moyen de réunir ce qui fut divisé. La république est le stade où la
constitution est en dehors de la sphère matérielle. Elle est un mécanisme
politique qui permet d'abolir l'antique oppression monarchique. Elle est
négation de la sujétion mais elle reste sur le terrain de l'adversaire :
elle reste dans le cadre politique. Il faut trouver un principe qui vienne de
l'élément matériel lui-même. Il ne faut pas que la constitution soit en dehors
du peuple; il faut qu'elle soit émanation de celui-ci. En un mot, il faut poser
que l'homme soit au cœur de celle-ci. La démocratie permettrait d'abolir les
différences entre les sphères, en abolissant l'existence de ces sphères. Abolir
le schisme état social-état politique.
«Le Moyen-âge
était la démocratie de la non-liberté» en ce sens qu'il n'y avait pas
opposition entre état politique et état privé; que la constitution était celle
de la société. Ceci lié aux rapports de dépendance personnelle. Il n'y a pas
opposition entre constitution politique et sociale.
Il n'y avait pas
coupure entre État et société. Cela n'est plus pareil à l'époque moderne :
« L'abstraction
de l'État comme tel n'appartient qu'au temps moderne, parce que
l'abstraction de la vie privée n'appartient qu'au temps moderne. L'abstraction
de l'État politique est un produit moderne. »
Il nous faudra mettre
ceci en liaison avec l'importance du mouvement économique qui tend à détruire
tous les antiques rapports sociaux où l'homme était dépendant de la terre ou
d'une hiérarchie sociale. L'État devenant quelque chose qui gène le
développement du capital, celui-ci ne pouvant assurer sa domination qu'en
utilisant celui-là puis en en faisant une puissance sociale. Á l'origine,
volonté de la bourgeoise de représenter un état général, alors qu’elle n'est
qu'un état particulier. Elle est une classe qui défend des objectifs de classe.
Le prolétariat utilisera aussi un État pour arriver à la destruction des
classes. L'État en tant qu'abstraction tend à disparaître dans le fascisme
puisque c'est la société qui s'est séparée de l'État. Celui-ci peut facilement
proclamer qu'il ne défend l´intérêt général qu'à la condition qu'il parvienne à
faire de tous les hommes des esclaves du capital. L'unité de l'humanité sous le
capitalisme c'est celle d'une humanité asservie.
Le mouvement social
a fait de l'État une abstraction pour mieux le séparer de la communauté
humaine, pour mieux se l'accaparer et en faire une force sociale. Cela n'est
possible que lorsque l´être des hommes est aliéné à cette force
impersonnelle : le capital.
Cet aspect se
manifeste aussi sous son aspect subjectif : l´indifférence en matière
politique. La politique étant une affaire spéciale en dehors de la vie réelle
des individus. Pour les gens, cela devient une affaire sociale. C'est l'aveu
« vulgaire » que le pouvoir est détenu par une force sociale.
Au fond - au stade
où nous en sommes- la critique vise ceci: la philosophie veut concilier
le mouvement réel avec la raison. Le seul moyen d'arriver à cela c'est de faire
un renversement, c'est dans la pratique que l'on peut aboutir à cela. La démocratie
mettant fin à l'État politique, donc à une société qui a besoin d'un hiatus
entre état social et politique se présente comme étant la première solution.
Marx fait ressortir que pour Hegel la philosophie est comme un deus ex-machina,
cf. page 80.
La critique à Hegel
est en même temps étude de la genèse de la société bourgeoise. Comment est-on
passé de la société féodale à celle bourgeoise ? Quels sont les caractères
de cette dernière ?
En particulier dans
la société féodale, le droit c'est le droit coutumier, le droit du peuple (cf.
article : « Á propos du vol de bois ») dont le monarque garantit
l'exécution. En société bourgeoise c'est celui de l'État qui est fondé sur une
propriété mobilière. Dans l'autre société : sur la terre.
Dans le résumé Marx
précise sa pensée :
« Au lieu
donc que l'État soit produit comme la plus haute réalité de la personne, comme
la plus haute réalité sociale de l'homme, un seul homme
empirique, la personne empirique, est produit comme la plus haute réalité de
l'État. » (p. 85-86)
« Si par
exemple dans l'étude de la famille, de la société civile de l'État, etc., ces
modes d'existence sociaux de l'homme étaient considérés comme la réalisation,
la subjectivisation de son être, la famille etc, apparaîtraient comme des
qualités inhérentes à un sujet. L'homme reste toujours l'être de tous ces
êtres, mais ces êtres apparaissant également comme son universalité réelle,
donc aussi comme la communauté. » ( p. 87 )
Donc l'essentiel de
la critique débouche dans la question de la démocratie et dans celle de la
Gemeinwesen.
Le pouvoir
gouvernemental
Marx insiste encore
sur le dualisme de la théorie hégélienne qui dérive en définitive du dualisme
de la société, ( p. 91 ). Donc contradiction société civile - État.
Hegel fait
l'apologie de la classe moyenne. Or ce sont justement les gens de cette classe
qui adorent l´État, parce qu'ils sont ses valets. C'est la question de la
bureaucratie, (p. 95-96).
Pouvoir
gouvernemental = bureaucratie (pour Hegel)
Comment arriver à
une société où il n'y ait pas besoin de bureaucratie. Seulement si l'individu
est universel parce que les affaires de la société sont aussi ses affaires
privées. Donc suppression de l´antagonisme individu-espèce.
Toutes les
critiques se font contre l'individu, cette limitation en laquelle on veut à
tout prix enfermer l'homme.
« La
suppression de la bureaucratie n'est possible que si l'intérêt général devient réellement
et non pas, comme chez Hegel, purement en pensée, dans l'abstraction,
l'intérêt particulier, ce qui ne peut se faire qu'en ce que l'intérêt particulier
devient l'intérêt général. » 104
Cf. sur la
bureaucratie et sur l'apologie de la classe moyenne faite par Hegel (pp.
97-104, 115).
La bureaucratie
dérive de la différence entre intérêt particulier et intérêt général. L'état
politique est séparé de la vie des hommes. De ce fait la bureaucratie est le
matérialisme de l'État.
Il y a là la
critique de toutes les visions bureaucratiques, dont Socialisme ou Barbarie. Il
est intéressant que sur aucun point la société bourgeoise n'arrive à dépasser
Hegel.
« Hegel
prend pour point de départ la séparation de l'« État »
de la société civile, les « intérêts particuliers » et
l'« universel » qui existe en soi et pour soi, et il est vrai
que la bureaucratie repose sur cette séparation.
Ensuite Marx
analyse le lien entre les corporations et la bureaucratie. Mettre en parallèle
avec de nos jours les « castes » sociales, les strates en la masse de
salariés.
« La
corporation est la tentative de la société civile de devenir État, la
bureaucratie est donc l'État qui s'est réellement transformé en société civile. »
A l´heure actuelle,
conjonction des deux phénomènes : le capital force sociale s'empare de
l'État et c'est donc la société civile qui est devenue l'État. D'autre part,
étant donné que cet État doit dominer par l'intermédiaire d'hommes, c'est une
bureaucratie qui domine (voilant ainsi le phénomène pour les immédiatistes).
Ces bureaucrates, ces technocrates font aussi que l'État est transformé en
société civile.
La garantie contre
la bureaucratie Hegel la place dans la classe moyenne. Nos immédiatistes n'ont
rien inventé.
Le pouvoir
législatif
Ici Marx va aborder
la question de la dualité des pouvoirs. Il va la résoudre théoriquement, de
façon organique avec ses présuppositions. La dissolution de l'antinomie se fait
toujours lorsque l'on met l´homme réel au centre du problème.
« Pour que la
constitution non seulement subisse la modification pour que cette apparence
illusoire ne soit pas finalement mi-se en pièces par la violence, pour que
l'homme fasse consciemment ce que la nature de la chose le force à faire sans
cela inconsciemment, il est nécessaire que le mouvement de la constitution, que
le progrès devienne le principe de la constitution, que le représentant
réel de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la
constitution. Le progrès est alors lui-même la constitution. » (p.120-121)
La solution
pratique sera donnée par la Commune de Paris. Il est évident que seuls Marx et
Engels pouvaient saisir tout de suite la leçon des événements parce que la
théorie postulait leur manifestation.
Marx va donc
analyser comment Hegel expose la dualité des pouvoirs, donc leur séparation et
de ce fait comment il va poser la conciliation.
Antagonisme entre
pouvoir législatif et constitution, (pp. 115-117).
« La
collision est simple. Le pouvoir législatif est le pouvoir d'organiser le
général. C'est le pouvoir de la constitution. Il dépasse la
constitution. » ( p. 117 ) Nous voici retourné à notre point
de départ : la constitution. Hegel, résout les contradictions en faisant
appel à la nécessité. « L'´apparence contredit l'être,
l'apparence est la loi consciente de la
constitution, et l'être en est la loi inconsciente, en contradiction
avec la première. Il n'y a pas dans la loi ce qui est dans la nature des
choses. C'est plutôt le contraire qui est dans la loi. » 119
« Hegel
veut partout représenter l´État comme la réalisation de l'esprit libre, mais en
réalité il résout toutes les collisions difficiles par une nécessité naturelle
qui est en opposition avec la liberté. La transformation de l'intérêt
particulier en intérêt général n'est pas non plus une loi consciente de l'État,
mais amenée par le hasard, s´opèrent contre la conscience; et
Hegel veut partout dans l´Etat la réalisation de la libre volonté.»
Le remède est
indiqué par Marx, un peu plus loin : « que le progrès
devienne le principe de la constitution. » (p.122)
Seulement s'il y a
collision entre pouvoir législatif et la constitution, on va voir comment va
s'implanter une vision opportuniste.
« La
constitution n'est qu'un arrangement entre l´État politique et l´État non
politique ». ( p. 122 )
De là on passe à
une vision évolutionniste :
« La
transformation d´un état de choses, conclut Hegel, “ se fait donc, en apparence
d'une façon tranquille et sans être remarquée. Après un long espace de temps
une constitution arrive à être tout autre qu´antérieurement”. »
« La
catégorie de la transition progressive est d´abord fausse au
point de vue historique, ensuite elle n'explique rien. »
Et maintenant la
solution donnée par Marx :
« Pour que la
constitution non seulement subisse la modification, pour que cette apparence
illusoire ne soit donc pas finalement mise en pièces par la violence, pour que
l'homme fasse consciemment ce que la nature de la chose le force.. »
(cf. citation reportée plus haut)
La réalité de la
société est exprimée par son lien entre intérêt général et intérêt particulier,
d´où la constitution. Le peuple existe par la constituante. Seulement : «
(…) la “constitution ” doit-elle être elle-même du domaine du
“pouvoir législatif ” ? Cette question ne peut être soulevée
que : 1° si l’État politique existe comme simple formalisme de l´État
réel, si l´État politique est un domaine à part, si l´État politique existe
comme “constitution ”; 2° si le pouvoir législatif a une autre origine que
le pouvoir gouvernemental, etc. » (p. 121)
Analyse ensuite de
la révolution française.
On doit remarquer
les révolutionnaires français avaient senti la question puisque Robespierre
avait fait inclure le droit à l´insurrection.
« La constitution
n'est qu'un arrangement entre l´État politique et l´État non politique; elle
est donc nécessairement en elle-même une tractation entre puissances
essentiellement hétérogènes. Il est donc impossible à la loi d'exprimer que
l’une de ces puissances, une partie de la constitution, aura le droit de
modifier la constitution, c'est-à-dire le tout».
Et Marx dit plus
loin : « On a tenté de résoudre la collision par la distinction
entre assemblée constituante et assemblée constituée. »
(p. 123)
Cet antagonisme,
nous l’avons déjà dit, Marx trouve son dénouement si le peuple est le moteur
réel de la constitution. Nous aurons la même solution si le capital en devient
le moteur. Seulement l'antagonisme sera total entre la puissance sociale (et
aussi sous sa forme politique) du capital et la révolte humaine cristallisée
dans le prolétariat. Cf, à la suite, la lettre à Amadeo du 22.02.1964, première
partie.
J'ai appris que tu
voulais faire un article à propos des «nouvelles thèses» de
Socialisme su Barbarie (S.B). J'ai lu leurs «nouveautés» entre deux
études sur Marx pour la question de la démocratie, en particulier au sujet
de l'État. Critique de la philosophie de l'État de Hegel. T. IV. Ed.
Costes.
Il est très curieux
que ce qu'ils exposent ressemble en plus minable à ce que racontait le père
Hegel. Je te communique les remarques que cela m´a suggéré et les textes de
Marx auxquels je pense.
S.B. dit qu'à l'heure actuelle il n'y a pas que des prolétaires et des
capitalistes. Nous ne l'avons jamais nié . Seulement nous sommes capables
d'expliquer la genèse de ces couches intermédiaires. Ils en sont restés aux
discussions qui agitaient Malthus ou Smith sur la question du travail productif
ou improductif. Mais là n'est pas l'important. L'essentiel est qu'ils lient
cela à la bureaucratie : « il s'agit de comprendre que la
bureaucratisation ne diminue pas la division de la société mais au
contraire l´aggrave » ( S.B. n° 35, p. 182).
Remarque de Marx à
Hegel :
« Hegel
prend comme point de départ la séparation de “l´État” de la
société civile les “ intérêts particuliers” et l'“ universel qui
existe en soi et pour soi ”, et il est vrai que la bureaucratie repose sur
cette séparation. Hegel part de l'“hypothèse des corporations”, et il est vrai
que la bureaucratie présuppose les “ corporations ”, du moins
l´“esprit corporatif”. Hegel ne développe aucun contenu de la
bureaucratie, (que fait S.B. 140 ans après ! mais seulement
quelques déterminations générales de son organisation“ formelle”, et il
est vrai que la bureaucratie n'est que le “formalisme” d'un contenu situé hors
d'elle. » (Marx, o.c. pp. 98-99).
S.B. interprète la
tendance à la statisation de la société, le fameux féodalisme industriel. C´est
pourquoi tout ce qui vient ensuite, mutatis mutandis, peut-être appliqué à S.B.
( je te fais toute la citation ne sachant pas si vous avez le texte en
italien )
« Les corporations
sont le matérialisme de la bureaucratie, et la bureaucratie est le spiritualisme
des corporations. La corporation est la bureaucratie de la société civile;
la bureaucratie est la corporation de l'État. Dans la réalité elle s'oppose
donc comme « société civile de l'État » à l'« État de la société
civile », aux corporations. Là où la « bureaucratie » est un
principe nouveau, où l’ intérêt général de l'État commence à devenir un intérêt
à part, par suite un intérêt « réel », elle lutte contre les
corporations, comme toute conséquence lutte contre l'existence de ses
présuppositions. Au contraire, dès que la vie réelle de l'État s'éveille et que
la vie civile, poussée par un propre instinct naturel, s'affranchit des
corporations, la bureaucratie, essaie de les rétablir; car dès que dès que
tombe l' “État de la société civile” la “société civile de l'État” tombe
également. Le spiritualisme disparaît avec le matérialisme, son contraire. La
conséquence lutte pour l'existence de ses présuppositions, dès qu'un principe
nouveau lutte non pas contre l'existence, mais contre le principe
de cette existence. Le même esprit qui, dans la société, crée la
corporation, crée, dans l'État, la bureaucratie. Dès que l'esprit de
corporation est donc attaqué, l'esprit de bureaucratie l'est également, et si
elle combattait antérieurement l'existence des corporations pour faire place à
sa propre existence, elle cherche maintenant à sauvegarder de vive force
l'existence des corporations pour sauver l'esprit corporatif, son propre
esprit. » ( Idem, pp. 99-100 ).
Un peu plus loin
ceci :
« La
bureaucratie corporation achevée, remporte donc la victoire sur la corporation,
bureaucratie inachevée. Elle la ravale ou veut la ravaler jusqu'à ne plus être
qu'une apparence, mais elle veut que cette apparence existe et croie à sa
propre existence. La corporation est la tentative de la société civile de
devenir État, la bureaucratie ont donc l'État qui s'est réellement transformé
en société civile. » (p. 100-101).
A l'heure actuelle,
le capital force sociale impersonnelle s'empare de l'État et c'est donc la
société civile capitaliste qui est devenue l'État. D´autre part étant donné que
cet État doit dominer par l'intermédiaire d'hommes, c'est une bureaucratie qui
domine (voilant ainsi le phénomène pour les immédiatistes. Ces bureaucrates,
ces technocrates font aussi que l'État errent transformé en société civile.
Sous le féodalisme la hiérarchie était fondée sur la propriété foncière, à
l'heure actuelle elle est fondée sur le Capital. Seulement S.B ne voit que le
côté formel :
« Le
“ formalisme d'État ” qui est la bureaucratie est l´ “État en
tant que formalisme ” et c´est comme un tel formalisme que Hegel l'a
décrite. Comme ce “ formalisme d'État ” se constitue en puissance
réelle et devient son propre contenu matériel, il va de soi que la
« bureaucratie » est un tissu d'illusions pratiques ou
l'“ illusion de l'État ”. L'esprit bureaucratique est un esprit
totalement jésuitique, théologique. Les bureaucrates sont les jésuites d'État
et les théologiens d'Etat. La bureaucratie est la république prêtre. »
Pauvre S.B. qui croit
que nous sommes dans la phase théologique du mouvement !
Mais
continuons :
« Puisque
la bureaucratie est, d´après son essence l' “ État en tant que
formalisme”, elle l'est aussi d´après son but. Le véritable but de
l'État apparaît donc à la bureaucratie comme un but contre l'État.
L'esprit de la bureaucratie est l'“ esprit formel de l'État”. Elle fait
donc de l' “ esprit formel de l'État” ou du réel manque d'esprit de l'État
un impératif catégorique. La bureaucratie est à ses propres yeux le dernier but
final de l'État.
Comme la
bureaucratie fait de ses buts « formels » son contenu, elle entre
partout sa conflit avec les buts “ réels”. Elle est donc forcée de donner
le formel pour le contenu et le contenu pour le formel. Les buts de l'État se
transforment en buts de la bureaucratie ou les buts de la bureaucratie en buts
de l'État. La bureaucratie est un cercle d'où personne ne peut échapper. Cette
hiérarchie est une hiérarchie du savoir. La tête s'en remet aux cercles
inférieurs du soin de comprendre le détail, et les cercles inférieurs croient
la tête capable de comprendre le général, et ainsi ils se trompent
mutuellement. » (p. 101-102).
« Mais,
dans le sein même de la bureaucratie, le spiritualisme devient un
matérialisme sordide, le matérialisme de l'obéissance passive, de la foi
en l'autorité, du mécanisme d'une activité formelle fixe,
de principes et de traditions fixes. Quant au bureaucrate pris
individuellement, le but de l'État, devient son but privé : c'est la
chasse aux postes plus élevés, il faut faire son chemin. Il commence considérer
la vie réelle comme une vie matérielle, car l'esprit de cette vie
a dans la bureaucratie son existence pour soi, son existence particulière. »
(p.103)
« Tandis
que la bureaucratie est d'une part matérialisme sordide, son spiritualisme
sordide apparaît en ce qu'elle veut tout faire, c'est-à-dire fait de la
volonté la cause première, parce qu'elle est un être purement actif et reçoit
son contenu du dehors et ne peut donc prouver son existence qu'en formant et
limitant ce conte-nu. Le bureaucrate a dans le monde un simple objet de son
activité. » (p. 103).
S.B. dit « Pour nous, cette culture participe, dans toutes ses
manifestations, de la crise générale de la société et
( souligné par eux ) de la préparation d'une nouvelle forme de vie
humaine 3».
Or, cette culture est la culture capitaliste. D'autre part elle ne peut pas
être exprimée par les ouvriers, par le mouvement ouvrier puisque Iº la classe
ouvrière n'existe pas 2º le mouvement ouvrier est un cadavre. Donc elle ne peut
résider que dans les couches intermédiaires. Qu'est-ce que disait
Hegel ? :
« C'est
dans la classe moyenne à laquelle appartiennent les fonctionnaires, que
résident la conscience de l'État et la culture la plus éminente. Aussi c'est
elle qui est le fondement de l'État pour l´honnêteté et l'intelligence. »
Hegel cité par Marx page 96.
De plus, pour
Hegel, la classe moyenne est une garantie contre la bureaucratie. N'en
serait-il pas de même pour S.B. Voyons les autres garanties données par Hegel
et exposées par Marx :
1. « La “hiérarchie”
de la bureaucratie. Le contrôle. C'est-à-dire que l'adversaire a
lui-même pieds et poings liés, et que, s'il est marteau vers le bas, il est
enclume vers le haut. Mais où est la protection contre la hiérarchie ?
Le moindre mal est, il est vrai supprimé par le mal plus grand dans ce sens
qu'il disparaît devant lui.
2. Le conflit,
le conflit non résolu entre la bureaucratie et la corporation. La lutte,
la possibilité de la lutte, voilà la garantie contre la défaite.»
(p.113)
Que dit S.B. des
garanties contre la défaite du mouvement révolutionnaire ?
« Le fonctionnement même du capitalisme garantit donc qu'il y
aura toujours des « occasions révolutionnaires », mais ne garantit
pas leur issue, qui ne peut dépendre que du degré de conscience et d´autonomie
des masses. Il n'y a aucune dynamique « objective » qui garantisse le
socialisme, et dire qu'il puisse en exister une est une contradiction dans les
termes. » (S.B, n° 35, p. 20 )
La seule garantie
que l'on donne aux prolétaires c'est qu'il y a toujours à lutter et qu´un jour
viendra où la conscience sera là ainsi que l'autonomie. On aura sauté sur
l'occasion. ! ! !
Enfin quelle est la
solution indiquée par Marx. Comment Marx voit la destruction de la
bureaucratie. Ici, il faut tenir compte que Marx est sur le terrain de
l'adversaire. Il va détruire l'autre sur son propre terrain, avec ses propres
armes. Comme tu l'expliquais à une réunion à propos du Capital.
« La
suppression de la bureaucratie n'est possible que si l´intérêt général devient réellement
et non pas, comme chez Hegel, purement en pensée, dans l'abstraction,
l'intérêt particulier, ce qui ne peut se faire qu'en ce que l'intérêt particulier
devient réellement l'intérêt général. » ( p. 104 ).
Ceci est réalisé,
comme il l'exposera, ultérieurement avec la Gemeinwesen, l'homme social dont la
préfiguration est le parti de classe (communiste).
Remarque : la
critique que Marx fait ici de la bureaucratie est applicable à ceux qui ne
voient pas que le parti doit fonctionner de façon organique. Même s’ils ne
théorisent pas une division stricte du travail ils prônent une hiérarchie du
savoir. C'est l'euphémisme de la chose. On est toujours dans la contradiction
bourgeoise qui ne peut se résoudre que dans la bureaucratie parce qu'on n'est
pas sur le plan du programme.
Hegel dit :
« L'unité organique des pouvoirs de l'État implique
elle-même que c'est un esprit qui peut fixer le général, qui lui donne sa
réalité déterminée et l´exécute. »
« Mais
c'est précisément cette unité organique que Hegel n'a pas
construite. Les pouvoirs différents ont un principe différent. Ils sont en même
temps une réalité ferme. Se réfugier de leur conflit dans l'unité organique imaginaire,
au lieu de les avoir développés comme élément d'un unité organique, n'est donc
qu'une échappatoire mystique et vide de sens. »
Actuellement cette
unité organique existe, c'est le capital, qui domine l'ensemble de la société. La
tendance à la dictature, au pouvoir personnel, exprime simplement ce fait-là.
Seulement la société ne peut rejeter ses oripeaux car l'aveu serait trop
révolutionnaire.
« La
première collision non résolue était celle entre la constitution entière et le pouvoir
législatif. La seconde est celle entre le pouvoir législatif et
le pouvoir gouvernemental, entre la loi et l´exécution. »
( pp. 124-125 )
Arrivé à ce stade
de l'étude, Marx donne caractéristique de l'apport de Hegel et le secret de son
accommodation.
« Hegel
n´est pas à blâmer parce qu'il décrit l'être de l'État moderne tel qu'il est,
mais parce qu'il donne pour l'être de l'État ce qui est. Que le
rationnel soit réel, cela est précisément en contradiction avec la
réalité irrationnelle, ce qui est partout le contraire de ce qu'elle
exprime et exprime le contraire de ce qu'elle est. » ( p.
134 )
Cela apparaît
magnifiquement dans la critique de l'État constitutionnel, cf. à la suite, la
lettre à Amadeo du 25.02.1964
Deux citations encore
qui viennent préciser l'envoi précédent.
« L'abstraction
de l'État comme tel n'appartient qu'au temps moderne, parce que
l'abstraction de la vie privée n'appartient qu'au temps moderne.
L'abstraction de l'État politique est un produit moderne. » 71.
« Voilà le
mystère du mysticisme. La même abstraction qui retrouve la conscience de
l'État dans la forme inadéquate de la bureaucratie, hiérarchie du
savoir, et, sans esprit critique, admet cette existence inadéquate comme
existence réelle de pleine valeur, la même abstraction mystique avoue avec la
même naïveté que l'esprit réel empirique de l'État, la
conscience publique, est un simple pot-pourri des « idées et des
pensées de plusieurs ». De même qu’à la bureaucratie elle
substitue un être étranger, elle laisse au véritable être la forme inadéquate
du phénomène; Hegel idéalise la bureaucratie et rend empirique la conscience
publique. Hegel peut traiter la conscience réelle bien à part comme
conscience publique. Il a d'autant moins à s'occuper de l'existence réelle de
l´esprit d'État qu´il se figure l´avoir déjà réalisé comme il convient dans ses
soi-disant existences. tant que l´esprit de l'État hantait
mystiquement l'antichambre, on lui faisait force révérences. Maintenant qu'on
l'a attrapé en personne, on le regarde à peine. » 129.
Marx, en critiquant
Hegel fait souvent remarquer que pour abolir les collisions entre :
pouvoir législatif et constitution, entre pouvoir législatif et gouvernemental
etc. qu´« il est nécessaire que le mouvement de la constitution, que le
progrès devienne le principe de la constitution, le peuple, devienne
donc le principe de la constitution. » 127. De cette critique
sur le plan de l'adversaire il devait aboutir à celle où il donne
solution : la Gemeinwesen. Seulement cela n´empêche pas que ce qu'il dit
est vrai. Mais ce n'est pas le peuple qui est le principe de la constitution
mais le Capital qui pour Marx est bien un être impersonnel ( cf. les
passages des Grundrisse où il est question du Capital fixe « de ce
capital fixe fait homme lui-même. » L'État actuel est l´État politique
du Capital se manifestant au travers de ces individus bureaucrates,
technocrates, qui doivent assurer l'organisation sociale au mieux des intérêts
du capital. Donc la conscience ( pour reprendre ce qui est dit plus
haut ) ne peut pas être la bureaucratie c'est le capital lui-même.
Une dernière
citation illustre ceci :
« L'État
constitutionnel est l'État dans lequel l'intérêt de l'État n´existe, en tant
qu'intérêt réel du peuple, que formellement, mais existe comme
une forme déterminée à côté de l'État réel; l'intérêt de l'État a repris ici formellement
de la réalité en tant qu'intérêt du peuple, mais il ne doit également avoir
que cette réalité formelle. Il est devenu une formalité, le haut goût
de la vie populaire, une cérémonie (n'est-ce pas cela l'État
gaulliste !) L'élément constituant est le mensonge sanctionné,
légal des Etats constitutionnels disant que l'État est
l'intérêt du Peuple au que le peuple est l'intérêt de l'État.
Ce mensonge se dévoilera dans le contenu. (ce contenu apparaît clair
et net dans l'État fasciste : c´est le capital ) Il s'est établi
comme pouvoir législatif, précisément parce que le pouvoir législatif a
comme contenu l'universel, est davantage chose de savoir que de
volonté, la force métaphysique de l'État, tandis que le même
mensonge en tant que force gouvernementale, etc.. devrait ou bien se résoudre
tout de suite ou se transformer en une vérité. La force métaphysique de l'État
était le siège le plus adéquat de l'illusion générale et métaphysique de
l'État. » (p. 137).
Il n'y a plus de
force métaphysique, c'est une force bien réelle, celle du capital. (Fin de la
lettre)
Si le capital est
le principe moteur de la constitution, il faut qu'il se présente comme être
général réel, qu'il représente sous forme aliénée l'ensemble des êtres humains
qu'il s'assujettit. Le fascisme est une démocratie sociale où, ce qui constitue
le peuple des esclaves du capital, c'est le capital lui-même. Marx dit que dans
l'antique société grecque la société civile était l'esclave de la société
politique, la société civile est une esclave du capital. La démocratie est
parmi les esclaves.
Comment Hegel
va-t-il réaliser la conciliation ?
Hegel part de la
séparation de la société civile du pouvoir politique-gouvernement
( lÉtat ) ce qui est une caractéristique de la société bourgeoise.
Pour concilier cela, il retourne à une vision moyenâgeuse : « Le
summum de l'identité de Hegel, était ainsi qu'il l'avoue lui-même, le moyen-âge.
Là les états de la société civile en général et les états au
point de vue politique étaient identiques. On peut exprimer l'esprit du
moyen-âge en disant que les états de la société civile et les états du point de
vue politique étaient identiques parce que la société civile était la société
politique : parce que le principe de la société civile était le principe
de l´État. »
Or, Hegel ne veut
aucune séparation de la vie civile et de la vie politique. ( p. 154 )
Les états du moyen-âge
indiquaient à la fois la donnée sociale et politique. Le pouvoir s´exprimait en
une hiérarchie de ces états. Religion et politique étaient liées et les hommes
étaient devant l´État dominant comme devant un être les intégrant, les
présupposant. Cet être devait être leur être réel, eux n'étaient qu'animaux
( cf. aussi « La question juive » : le secret de la
noblesse c'est la zoologie, p. 217 ).
« Toute
leur existence était politique, leur existence était l´existence de l'État.
Leur activité législative, leur vote des impôts pour l'État, ce n'était
qu'une émanation particulière de leur signification et leur
activité politique générale. » ( p. 151-152 )
« Leur
fonctionnement comme pouvoir législatif n'était que le complément de leur
pouvoir ( exécutif ) souverain et gouvernemental; c'était plutôt leur
accession à l'affaire absolument générale en tant qu'affaire privée,
leur accession à la souveraineté considérée comme un état privé. Les
états de la société civile étaient au moyen-âge, en tant qu'états de cette
nature, en même temps des états législatifs, parce qu'ils n'étaient pas des
états privés ou parce que les états privés étaient des états
politiques. Les états du moyen-âge, en tant qu'éléments politico-constituants
n'acquièrent aucune détermination nouvelle. Ils ne deviennent pas politico-constitutants
parce qu'ils prenaient part à la législation mais parce qu'ils étaient
politico-constituants. »
Ensuite Marx va
analyser l'origine de la société bourgeoise. À ce propos, il faut faire une remarque :
le côté philosophique, c´est sa lutte politique pour délimiter le féodalisme du
capitalisme. Sa critique est d'abord sur le terrain de l´adversaire. Or, en
Allemagne ce terrain était philosophique. Marx apparaît comme philosophe
lorsqu´il se dispute avec Hegel sur l´origine de la société bourgeoise, sur ses
caractères fondamentaux; de même avec les jeunes hégéliens.
Ensuite, dit Marx,
il y eut dissociation par suite du développement du commerce et de l'industrie.
Activités qui n´étaient pas englobées par l'être hiérarchisé. Les individus
eurent de plus en plus tendance à avoir un état social séparé de leur état
politique. Augmentation du pouvoir souverain et dissolution de la puissance de
la hiérarchie entre lui et le peuple (souveraineté directe !).
N'est-ce pas cela le mouvement de la bourgeoisie : abstraire l'État pour
mieux le conquérir.
La révolution de
1789 pousse cela jusqu´à son stade ultime. Elle fait des états, des états
sociaux. L'un d'entre eux le Tiers-État veut un état politique correspondant à
sa réalité sociale. Pour le représenter, il veut une nouvelle Gemeinwesen;
destruction de l'être féodal. Seulement avant que le capital ne se développe et
ne s'empare de la société et n'en devienne le moteur, il semblait possible de
mettre l'homme abstrait au centre de la question d'où l'illusion bourgeoise
démocrate ( en ce sens Robespierre ressemble à Hegel : ils ne
connaissent que l'homme abstrait ).
Donc au début, la
réponse est : il faut mettre l'homme concret et non l´homme abstrait au
cœur de la constitution; car, évidemment l'homme dérivant d'une abstraction
d'une réalité donnée peut devenir contradictoire avec la nouvelle réalité.
(Ajout ultérieur)
Voyons comment Marx
expose ce mouvement :
« C'est par
un progrès de l'histoire que les états politiques ont été changés
en états sociaux, en sorte que les différents membres du peuple, de même
que les chrétiens sont égaux au ciel et inégaux sur terre, sont égaux dans le ciel
de leur monde politique, et inégaux dans l'existence terrestre de la société.
La trans-formation proprement dite des états politiques en états
civils s'est faite sous la monarchie absolue. ( Marx
voit donc déjà de façon claire le rôle historique de la monarchie absolue,
période nodale entre le féodalisme et le capitalisme, période justement où
l´État s'abstraie de plus en plus, est de plus en plus coupé de la réalité
sociale, et où il sera de plus en plus facile de le pénétrer. ) La
bureaucratie faisait valoir l'idée de l'unité contre les différents états dans
l´État. Mais à côté même de la bureaucratie du pouvoir gouvernemental absolu la
distinction sociale des états restait néanmoins une distinction politique
à l'intérieur et à côté de la bureaucratie du pouvoir gouvernemental absolu.
Ce ne fut que la révolution française qui acheva la transformation des états
politiques en états sociaux, ou, en d'autres termes, fit des différences
d'états de la société civile de simples différences sociales, des
différences de la vie privée, sans importance dans la vie politique. La
séparation de la vie politique et de la société civile se trouve achevée. »
( p. 167 )
« Les états de
la société civile se transformèrent, eux aussi en même temps : la société
civile, de part sa séparation de la société politique, était devenue autre. L'état au sens
médiéval du mot, ne subsista plus qu'à l'intérieur de la bureaucratie même, où
la position civile et la position politique sont immédiatement identiques. La
société civile s´y oppose comme état privé ( c'est une chose
que n'ont pas comprise les barbaristes ! ). La différence des
états n'est plus ici une différence du besoin et du travail
en tant que corps autonome. La seule différence générale, superficielle
et formelle qui existe encore ici, c'est la différence entre
la ville et la campagne. Mais à l'intérieur de la société
même la différence se développa dans des cercles mobiles, pas fixes, dont le
principe est l´arbitraire. L´argent et l´instruction
sont les critères principaux. Mais ce n´est pas ici, c'est dans la critique
de l'exposé que Hegel fait de la société civile, que nous aurons à développer
cela. Suffit. L'état de la société civile n'a ni le besoin, donc un élément
naturel, ni la politique comme principe. C'est une division de masses qui se
forment en passant et donc la formation est elle-même une formation arbitraire
et non pas une organisation. » ( p. 167 )
Premier élément
fondamental mis en évidence : les masses. D'où, erreur de Hegel :
« Le point
vraiment important, c'est que Hegel voit une contradiction dans la séparation
de la société civile et de la société politique. Mais son erreur, c'est de se
contenter de l´apparence de cette solution et de la donner pour
la chose elle-même, alors que les “soi-disant théories” qu'il
dédaigne réclament la “séparation” des états civils et des états politiques, et
la réclament à bon droit, vu qu'elles expriment une conséquence de la société
moderne, l'élément politico-constituant n'y étant précisément rien d'autre que
l'expression effective du rapport réel entre l'État et la société civile, leur séparation. »
« Hegel n'a
pas appelé de son nom connu la chose dont il s'agit ici. C'est le différent
entre la constitution représentative et la constitution
constituante. La constitution représentative est un progrès
certain parce qu'elle est l'expression franche, pure et logique de l'Etat
moderne. Elle est la contradiction non déguisée. »
( pp. 157-158 )
« L'état privé
est l'état de la société civile, contre l'état. L'état de la société civile n'est
pas un état politique. » (p. 159)
« C'est la
façon non critique, la façon mystique d'interpréter une conception
ancienne dans le sens d'une conception nouvelle du monde, interprétation qui
en fait quelque chose de lamentablement hybride, où la forme trompe la
signification et la signification la forme, où la forme n'acquiert sa
signification sa forme réelle parce que la signification n'arrive à la forme ni
à la signification réelle. Ce manque de critique, ce mysticisme
est l´énigme des constitutions modernes ( et à fortiori des
constitutions des états ) aussi bien que le mystère de la philosophie de
Hegel, en particulier de la philosophie du droit et de la religion. »
« Le meilleur
moyen de se débarrasser de cette illusion, c'est de prendre la signification
pour ce qu'elle est, pour la détermination proprement dite, d'en faire
comme telle, le sujet et de se rendre compte ensuite par comparaison, si le
sujet qui est prétendu lui appartenir est son prédicat réel, s'il
représente son être et sa véritable réalisation. » ( p.
172-173 )
On voit ici que
Marx reste fidèle à sa définition du renversement : faire des prédicats
des sujets (Différence entre la philosophie de Démocrite et
d'Epicure).
Ce mysticisme
dérive lui-même du fait que la société bourgeoise se prétendait - et pouvait se
prétendre - comme émancipation de l'humanité. La question était de savoir quel
contenu donner à l'État reliant les différents individus constituant la société
bourgeoise. Le capital force sociale impersonnelle n'était pas encore assez
puissant pour être l'Etre de l'Etat.
« Il y a
donc ici, de la part de Hegel, une inconséquence dans sa propre manière
de voir et une telle inconséquence est une accommodation (Cf.
Différence entre la philosophie de Démocrite et d´Èpicure). D'autre part
on voit bien que Marx est sur le terrain de l'adversaire : « L'élément
politico-constituant est au sens moderne au sens développé par Hegel, la séparation
achevée supposée entre la société civile d'une part, son état privé et ses
différences d'autre part. Comment Hegel peut-il faire de l'état privé la solution
des antinomies du pouvoir législatif avec lui-même ?
Hegel veut le système constituant médiéval, au sens moderne du pouvoir
législatif, et il veut le pouvoir législatif moderne, mais dans le corps du
système constituant médiéval : c'est du très mauvais syncrétisme. »
( p. 197)
Remarques :
1. Pour Hegel, en
définitive, ce n'est que le côté pratique qui donne « valeur » au
système. L'idée abstraite se nie dans la nature. L'idée morale abstraite se nie
en ses déterminations, de l´homme, ses actes et dans les éléments de l'Etat. Et
à travers ce-lui-ci, elle se réalise. C'est le rapport entre les hommes qui est
déterminant.
« L'État
est la réalité de l'idée morale, l'esprit moral en tant que volonté
substantielle, manifeste et évidente à elle-même.. Il a, dans la moralité, son
existence immédiate et dans la conscience personnelle de l'individu son
existence à lui, considéré comme son être, le but et les résultats de son
activité, sa liberté substantielle. » ( Hegel, cité par K. Marx, p.
210)
« La réalité
de l'idée morale apparaît ici comme la religion de la propriété privée
(parce que dans la majorat, la propriété privée se trouve avec elle-même dans
un rapport religieux, il s'ensuit que, dans nos temps modernes, la religion est
devenue comme une qualité inhérente à la propriété foncière et que tous les
ouvrages qui traitent du système majoritaire sont pleins d'onction religieuse. »
(K. Marx, p. 211 )
2. La société
féodale est le monde du droit coutumier. Cela indique les différentes modalités
qu'a l'homme d´entrer en contact avec la nature et ses semblables dans un
milieu donné (cf. article ultérieur sur la loi à propos des vols de bois).
Le féodalisme, par
rapport à l'antiquité, restaure un être organique mais aliéné à la puissance
divine qui est l'abstraction de l'être générique de l'homme.
La société antique
esclavagiste est à la recherche de cet être général de l'homme. Elle pose
l'homme politique, zoon politikon, comme pouvant le représenter. C'est l'homme
de la polis. Celui-ci est encore sous la dépendance des phénomènes naturels, de
la production limitée; il est donc dominé par la fatalité.
3. En société
bourgeoise, notion hiérarchisée mais plus organique: position sociale,
situation sociale. Cette position est déterminée par l'argent. L'augmentation
de la quantité de celui-ci fait gravir des échelons à l'individu. Or, l'argent
n'ayant pas de maître, tous les individus peuvent en théorie accéder à la
situation la plus favorisée et ainsi avoir une situation politique puissante.
Puis l'argent est capital et domine l'ensemble de la société. Tout est donc présupposé
par celui-ci.
En société féodale,
était seigneur celui qui possédait terre ou cheval, était porteur d'épée. La
terre était inaliénable, impossibilité de gravir les échelons.
Marx analyse
ensuite comment Hegel voit le problème de l'individu dans la société :
« Dans
l'individu se montre ici ce qui est la loi générale : la
société civile et l'État sont séparés. Donc le citoyen de l'État et le citoyen
simple membre de la société civile sont également séparés ( Marx
anticipe sur ce qu'il dira dans la Question Juive où il critique les Droits de
l'Homme et du Citoyen ). Il faut donc qu'il opère une rupture
essentielle avec lui-même. En tant que citoyen réel il se trouve
dans une organisation double, l'organisation bureaucratique - c´est une détermination
formelle extérieure de l'État opposé, du pouvoir gouvernemental, qui ne touche
ni à lui, ni à sa réalité indépendante - et l'organisation sociale,
l'organisation de la société civile. Mais dans celle-ci il se trouve, comme homme
privé, hors de l'État; elle ne touche pas à l’État politique comme
tel. » ( p. 161 )
« Le
citoyen doit dépouiller son état, la société civile, l´état privé, pour
acquérir signification et activité politiques, car cet état se trouve
précisément entre l´individu et l'État politique. »
( p. 165 )
« L'atomistique
où la société civile se précipite par son acte politique ressort
nécessairement de ce que la communauté, l´ensemble communiste, où l'individu
existe, est la société civile séparée de l'État ou que l'État politique est
une abstraction de cette société. » ( p. 165 )
« La seule
caractéristique, c'est que le manque de biens et l'état de
travail immédiat, l'état de travail concret, forment moins un état de la société
civile que le terrain sur lequel reposent et se meuvent les cercles de cette
société. L'état proprement dit, où la position politique et la position civile
coïncident, n'est que celui du pouvoir gouvernemental. L'état actuel de
la société montre sa différence de l´ancien état de la société civile rien que
par le fait qu'il n´est pas comme jadis, quelque chose de commun, une
communauté tenant l´individu, mais qu'il est pour une partie de la contingence,
pour un partie du travail, etc., de l´individu, que celui-ci se tienne ou non
dans son état; c´est un état qui n´est à son tour qu'une
détermination extérieure de l'individu, car il n'est pas inhérent
au travail de l´individu et ne se rapporte pas non plus à lui comme une
communauté objective organisée d'après des lois fixes et ayant avec lui des
relations fixes. Il ne se trouve, plutôt, dans aucune relation réelle
avec son action substantielle, avec son état réel. Le médecin ne
forme pas d'état particulier dans la société civile. Un commerçant appartient à
un autre état, à une autre position sociale que l'autre
commerçant. Tout comme la société civile s'est séparée de la société politique,
la société civile s'est dans son propre sein, divisée en l´état et
en situation sociale, malgré toutes les relations entre les deux. Le
principe de l´état civil ou de la société civile est la jouissance ou
la capacité de jouir. Dans sa signification politique le membre de la
société civile se détache de son état, de sa position privée réelle :
c'est là seulement qu'il vaut au titre d'homme ( par la
constitution, n.d.r ), ou qu'apparaît sa détermination comme membre de
l'Etat, comme être social, comme sa détermination humaine. Car toutes ses
autres déterminations dans la société civile apparaissent comme inessentielles
à l'homme, à l'individu, comme des déterminations extérieures, qui
sont, il est vrai, nécessaires à son existence en général, c´est-à-dire en tant
que lien avec l'ensemble, lien dont il peut tout aussi bien se débarrasser par
la suite. ( La société civile actuelle est le principe réalisé de l'individualisme;
l'existence individuelle est le but final : activité, travail, contenu,
etc., ne sont que des moyens. ) ( pp. 167-169 )
Ailleurs Marx
dira : il utilise la vie de l'être générique pour son propre but.
« L'homme
réel est l'homme privé de la constitution actuelle de l'État. »
« L'État a de façon générale, la signification que la différence
la séparation sont l'existence de l'individu. Sa façon de
vivre, d'agir, etc., au lieu d'en faire un membre, une fonction de la société,
en fait une exception de la société et constitue son privilège. Que cette
différence n'est pas une simple différence individuelle, mais
s'établisse en tant que communauté, état, corporation, cela non
seulement n'en supprime pas la nature exclusive, mais n'en est plutôt que
l'expression. Au lieu d'être fonction de la société, la fonction individuelle
devient plutôt une société pour soi. » ( pp. 169-170 )
( cf. « où le privilège est considéré comme correspondant à la
propriété privée assujettie aux états et le droit comme correspondant au
système de la concurrence et aussi le droit de l´homme comme privilège et la
propriété comme monopole. » (t. VII, p. 2064 )
« Non
seulement l'état repose sur la séparation de la société comme loi
générale, il sépare en outre l'homme de son être général, il en fait un animal
qui coïncide directement avec sa déterminabilité. Le moyen-âge est l'histoire
animale de l'humanité, sa zoologie. » 170 ( cf. aussi pp.
216-217 )
« Le temps
moderne, la civilisation commet la faute inverse. L'être concret de l'homme, il
le sépare de lui comme être purement extérieur, matériel. Elle ne prend pas le
contenu de l'homme pour sa véritable réalité. » (p. 170) Or, il
est important de noter que le capitalisme tend à sortir de la sphère de la
réalisation des besoins matériels de l´homme. Parce que le caractère matériel
de l'homme qui intéresse le capital c'est son usage, sa faculté d'engendrer la
valeur.
L'état de quelqu'un
c'est le fait d'être. Dans les sociétés précapitalistes, cet état est déterminé
par l'appartenance à la tribu, à la cité, à la terre ( la cité est la
forme abstraite de la tribu qui s'est sédentarisée ). L'état individuel
est déterminé par l´état social; l'être déterminé par l'être générique.
Dans la société
bourgeoise, séparation état civil état politique retentit sur l'individu et
donne l´état de l'individu, son état politique ( son rapport à l'être
général ) et sa situation sociale. Cette dernière masque la première parce
quelle dépend de l'argent qui « fonde » tout
(l'argent-capital). C´est de l'abstraction généralisée que
l´individu affirme son être. Seulement pour Hegel n'y aurait-il pas possibilité
de la part des états de faire une médiation entre société politique et
individus ?
« Les états
doivent être « médiateurs » entre le prince et le gouvernement dune
part et le peuple d'autre part, mais ils ne le sont pas, ils sont plutôt
l'opposition politique organisée de la société civile. » ( p.
191 )
« Il faut
que l'élément constituant soit posé comme volonté souveraine ou que la volonté
souveraine soit posée comme élément constituant... »
« Mais c'est l'illusion posée de l´unité de l'État politique
avec lui-même ( de la volonté souveraine et la volonté constituante,
outre le principe de l´État politique et de la société civile ), de cette
unité comme principe matériel, c´est-à-dire de telle façon que non
seulement deux principes opposés s'unissent, mais que leur unité soit la nature,
la raison d'existence. Cet élément de l'élément constituant est la romantique
de l'État politique, les rêves de sa substantialité ou de son accord avec
lui-même. C´est une existence allégorique. » ( p. 1925)
N' y aurait-il pas
un état particulier qui permette de faire l´union État-individu ( une
situation politique ) ? Cet état est celui de la moralité naturelle.
Or, ceci est réalisé chez les paysans. ( p. 193 )
Cela conduit Hegel
à revaloriser le majorat, donc la propriété privée qui devient le fondement de
l´État ( cf. ce qui se produisit avec le système censitaire ).
( pp. 205 et 208-209 )
« La
réalité de l'idée morale apparaît ici comme la religion de la propriété
privée ( parce que, dans le majorat, la propriété privée se
trouve avec elle-même dans un rapport religieux, il s'ensuit que, dans nos
temps modernes, la religion est devenue en somme une qualité inhérente à la
propriété foncière et que tous les ouvrages qui traitent du système majoritaire
sont pleins d'onction religieuse. La religion est la forme suprême de cette
brutalité ). » (p. 211)
« On a
beaucoup attaqué Hegel au sujet de son développement de la morale. Il n'a fait
que développer la morale de l´État moderne. On a voulu séparer davantage la
morale de l´Etat, l'émanciper davantage. Qu´a-t-on prouvé par là ? que la
séparation de l´Etat actuel de la morale est morale, que la morale n'est pas
l'élément de l´Etat et que l'Etat n'est pas moral. Hegel a plutôt le grand
mérite, inconscient dans une un certain sens ( dans ce sens que Hegel nous
donne l´État, qui a une telle morale comme présupposition, pour l'idée réelle
de la moralité ), d'avoir assigné sa vraie place à la morale moderne. »
(pp. 221-222)
Quelques remarques
caractérisant la société féodale qui peuvent ensuite être utiles pour
comprendre le capitalisme finissant de notre époque.
« Il faut
signaler deux éléments dans le majorat héréditaire :
1. L'élément
constituant c'est le bien héréditaire, la propriété foncière.
C'est l'élément durable dans le rapport, la substance. Le maître, le
possesseur du majorat n'est à vrai dire qu'un accident. La propriété
foncière s'anthropomorphose ( on peut dire de même que le capital
s'anthropomorphose : cf. ce que dit Marx à propos du capital
fixe ) dans les différentes générations. La propriété foncière hérite
en quelque sorte toujours le premier-né de la maison comme un attribut attaché
à cette propriété. Tout premier-né dans la série des propriétaires fonciers est
la part d'héritage, la propriété de la propriété foncière inaliénable,
la substance prédestinée de sa volonté et son activité. Le sujet est la
chose et le prédicat est l´homme. La volonté devient la propriété de la
propriété.
2. La qualité
politique du majoritaire est la qualité politique de son bien
héréditaire, une qualité politique inhérente à ce bien
héréditaire. La qualité politique apparaît donc également ici comme une qualité
qui revient directement à la terre ( la nature ) purement physique. »
( pp. 217-218 )
Dans la société
capitaliste la même chose est valable, seulement rapporté au capital. Seule
différence: le capital abstraïse l'homme, force de travail; toute la
substance humaine est capital. D'où le capital s'anthropomorphose. Il le fait
aussi dans son lien avec la société civile: l'ensemble des hommes,
puisqu'il a besoin d'individus pour faire appliquer sa dictature. Ce sont les
bureaucrates, les technocrates, etc... L'homme, c'est l'homme abstrait défini
par la constitution. ( En plus de cela il ne faut pas oublier que le
capital s'est assujetti toute la science, tout le travail intellectuel humain,
et il domine au nom même de cet amas de connaissances. Il est la connaissance,
l'homme le manœuvre. ) À l'encontre de l'homme de la société féodale qui
était surtout animal, l'homme de la société bourgeoise est un pur esprit.
Ensuite Marx
analyse la propriété privée et sa signification chez les romains et au
moyen-âge.
« La
propriété privée est de raison romaine et de sentiment germanique. »
( p. 224 )
« Les
romains, à vrai dire, furent les premiers à développer le droit de la propriété
privée, le droit abstrait, le droit privé, le droit de la personne
abstraite. Le droit privé romain est le droit privé dans son développement classique.
Mais nous ne trouvons nulle part chez les romains que le droit de la propriété
privée ait été mystifié comme chez les germains. Et nulle part, il ne devient
non plus droit public. » ( p. 224 )
« Que la
société civile pénètre donc en masse et, si possible, toute
entière dans le pouvoir législatif, que la société civile
réelle veuille se substituer à la société civile fictive du
pouvoir législatif, ce n'est pas autre chose que la tendance de la société
civile à se donner une existence politique ou à faire de
l'existence politique son existence réelle apparaît
comme la tendance à participer de façon aussi générale que possible au pouvoir
législatif. » ( p. 241 )
En définitive, la
critique de Marx a porté autant sur l'absence d'organicité de la société.
L'espèce humaine est atomisée et elle est cloisonnée en ses
déterminations: états, ordres, classes... qui s'affrontent à un Ètat
représentant de la Gemeinwesen qui est devenue abstraction de l'être humain. Le
capital s'en est emparé.
« L'État moderne
fait de lui-même abstraction de l'homme réel, ou ne satisfait tout l'homme que
de façon imaginaire. » ( Critique à la philosophie du Droit de
Hegel )
*
* *
REMARQUES
SUR LES ŒUVRES DE JEUNESSE DE MARX.
Dans ses œuvres de jeunesse,
Marx arrive toujours au même résultat : il faut rétablir l'antique
Gemeinwesen qu'il suppose plus qu'il ne connaît. Ce seront les œuvres de Morgan
qui lui permettront de fonder cette intuition. C'est pourquoi il résout le
problème dans la pratique en rompant avec la philosophie. La solution est tout
de même philosophique, en ce sens qu'elle provient de la destruction de
celle-ci. Il ne suffisait pas que l'idée aille à la recherche de la réalité, il
fallait que celle-ci aille à la recherche de l’idée. Marx va montrer ce
mouvement en étudiant le capital. Il montre que dans son entier, la société
tend vers le communisme. Ici encore, on pourrait dire, en faisant le même
raisonnement, qu´il donne une solution économique.
Seulement Marx
montre que pour libérer l'homme, le communisme prisonnier de la société
bourgeoise, il faut l'intervention consciente de l'homme, le parti. Le problème
est un problème d'action et là est l'originalité fondamentale de Marx. Pour lui
il faudra savoir quand on peut agir, comment on peut, comment on pourra
empêcher le retour du capitalisme. Donc analyse de la révolution et de la
contre-révolution : matérialisme historique, vision catastrophique de la
société.
La
Question Juive. 1844.
Dans la Question
Juive se trouve posé le problème du rapport de la religion à l´État. Cela
conduira à la question suivante : la société bourgeoise a-t-elle libéré
l'homme de la religion ?
« Dans quel rapport l'émancipation achevée se trouve-t-elle
vis-à-vis de la religion ? » ( p. 172 6)
Ici, encore, Marx
donne des considérations de méthode qui l'amène à réexposer le renversement de
la connaissance. Il trouvera les limitations et les défectuosités sur le plan
pratique.
On peut
répondre : il y a une émancipation de l'État : « l'État
s'émancipe de la religion en s'émancipant de la religion de l'État,
c'est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s'affirmant
purement et simplement comme État. » ( p. 173 )
« Mais
l'existence de la religion est l'existence d'une défectuosité. La source de
cette défectuosité ne peut être recherchée que dans l'essence de l'État. »
( p. 172 )
Mais ce n'est pas
l'émancipation réelle : « S´émanciper politiquement de la
religion, ce n'est pas s'émanciper d'une manière absolue et totale de la
religion, parce que l'émancipation politique n'est pas le mode absolu et total
de l'émancipation humaine. » ( p. 173 )
« Après que
l'histoire s´est assez longtemps résolue en superstition, nous résolvons la superstition
en histoire. » (p. 172-173)
Donc
renversement dont nous avons parlé. De plus: pourquoi y a-t-il
superstition? D´où vient-elle ? Il n'y a pas de problème gratuit,
c'est-à-dire un problème qui ne tende pas à satisfaire un besoin humain. Le gratuit
est peut-être l'expression de l'inassouvissement total de l'homme;
inassouvissement dont il ne connaît pas la cause, ce qui augmente encore la
notion de gratuité.
« La question
des rapports de l'émancipation politique et de la religion devient pour nous la
question des rapports de l'émancipation humaine. » (p.
173)
Cette émancipation
réclame une connaissance de ce qu'est l'homme, donc une définition de celui-ci.
« La limite
de l'émancipation politique apparaît immédiatement dans ce fait que l'État peut
s'affranchir d'une barrière sans que l'homme en soit réellement affranchi, que
l'État peut être un État libre sans que l'homme soit un homme libre. »
( pp. 173-174 )
Ainsi un pays peut
accéder à l'indépendance, donc à la liberté, sans que cela corresponde à une
libération des hommes de ce pays. Un État peut se libérer d'entraves
économiques venant d'autres pays ( d'entraves féodales par exemple )
sans qu'il y ait libération pour les hommes.
Donc
critique de tous ceux qui veulent rester sur le plan de l´État et veulent
celui-ci libre; contre les proudhoniens, les lassaliens etc.. ( cf.
Critique au programme de Gotha ).
Voici
l'explication :
« L'élévation politique de l'homme au-dessus de la religion participe
à tous les inconvénients et à tous les avantages de l´élévation politique en
général. L'État comme tel supprime par exemple la propriété privée, l'homme
décrète, politiquement, l'abolition de la propriété privée, dès qu'il décide
que l'électorat et l´éligibilité ne sont plus liés au cens, ainsi qu'on l'a
décidé dans nombre d'États d'Amérique du Nord. Hamilton interprète très
exactement ce fait au point de vue politique : “ La grande masse a
remporté la victoire sur les propriétaires et la richesse financière. ” La
propriété privée n'est-elle pas supprimée théoriquement, lorsque celui qui ne
possède rien est devenu le législateur de celui qui possède ? Le cens est
la dernière façon politique de reconnaître la propriété privée.
« Mais
l'annulation politique de la propriété privée, non seulement ne supprime par la
propriété privée, mais la suppose même. » (p. 175)
Le cens était une
forme subissant le poids du passé : la propriété privée donnait un droit à
être homme, donc à défendre. De même l'argent donnait le droit d'être citoyen.
Nous sommes arrivés
au bout du cycle : le capital légifère pour les hommes. Il n'y a plus
besoin d'avoir de l'argent pour voter. Seulement l'appartenance plus ou moins
étroite permet de jouir d'un privilège plus ou moins grand en cette société.
Marx va indiquer
maintenant ce que représente l'État pour la bourgeoisie. C'est l'apparente
conciliation qui fait qu'il devient le monde illusoire de l'homme. Il va
montrer ce monde d'illusions.
« L'Ètat
politique parfait est, d'après son essence, la vie générique de l'homme par
opposition à sa vie matérielle... et rempli d’une généralité irréelle. »
( p. 177 )
La critique
fondamentale est là: mettre en évidence la coupure de l'homme d'avec sa
Gemeinwesen. Coupure engendrée par la propriété privée et la division du
travail. Marx raisonne en fonction du communisme. La solution n´est pas sur le
plan de l´État mais dans la Gemeinwesen.
Critique de
l´atomisation de l´homme, de sa segmentation.
« La
différence entre l'homme religieux et le citoyen, c’est la différence entre le
commerçant et le citoyen, entre le journalier et le citoyen, entre le
propriétaire foncier et le citoyen, entre l’individu vivant et le citoyen. La
contradiction dans la quelle l’homme religieux se trouve avec l’homme
politique, est la même contradiction dans laquelle le bourgeois se trouve
avec le citoyen, dans laquelle le membre de la société bourgeoise se trouve
avec sa peau de lion politique. » ( p. 178 )
« L'émancipation
politique constitue, somme toute, un grand progrès. Elle n'est pas, il est
vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine dans les cadres de l'ordre
social actuel. Entendons-nous bien, nous parlons ici de l'émancipation réelle,
de l'émancipation pratique. » ( p. 175 )
Le mouvement
ouvrier se plaça trop sur le plan de l'émancipation politique. L'histoire des
divers mouvements ouvriers montre les différents modes de liquidation de
l'émancipation politique, de celle de la société féodale et le mode de
s'opposer à la société bourgeoise. Tares particulières qui seront bases de
développement pour l'implantation de la vague stalinienne, en même temps que
celle-ci unifie toutes les tares en devenant la tare du mouvement ouvrier
international.
Or, l'essentiel
c'est la question de la Gemeinwesen. La libération pratique, réelle, c'est la
constitution de la nouvelle Gemeinwesen.
« L'homme
s'émancipe politiquement de la religion, en la rejetant du droit public dans le
droit privée... Elle n'est plus l'es prit de l'État... elle est devenue
l'esprit de la société bourgeoise, de la sphère de l´égoïsme, de la guerre de
tous contre tous. Elle n'est plus l'essence de la communauté, mais de la
distinction. Elle est devenue ce qu'elle était à l'origine; elle exprime que
l'homme est séparé de sa communauté de lui-même et des autres hommes. Elle
n'est plus que l'affirmation abstraite de l'absurdité personnelle, de
l'arbitraire... » (p. 179-180) ( Cf. formulation similaire in Critique de la philosophie du droit de Hegel: « La
religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou
bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. » )
D'où vanité de
l'émancipation politique et impossibilité pour l'État de représenter réellement
l'homme.
« La décomposition
de l'homme en juif... à la suppression de la vie, à la guillotine. »
( pp. 180-181 ). Puis Marx caractérise la période révolutionnaire de
la société bourgeoise ( Robespierre, St. Just ) : « Aux
moments où l'État prend particulièrement conscience de lui-même, la vie
politique cherche à étouffer ses conditions primordiales, la société bourgeoise
et ses éléments, pour s'ériger en vie générique véritable et absolue de
l'homme. Mais elle ne peut atteindre ce but qu'en se mettant en contradiction violente
avec ses propres conditions d'existence, en déclarant la révolution à l'État
permanent; aussi le drame politique se termine-t-il nécessairement par la
restauration de la religion, de la propriété privée de tous les éléments de la
société bourgeoise, tout comme la guerre se termine par la paix. »
( p. 181 ) Ainsi ressort fondamentalement l'erreur tragique de
Robespierre et de St. Just comme l'explique Marx dans la Sainte Famille. C'est
au fond l'impossibilité de l'émancipation politique qui a ses contradictions
internes. Ils ont exprimé cela de la manière la plus intense.
Marx analyse
ensuite le rapport entre l'État chrétien et la religion : «Bien
plus l´État chrétien parfait, ce n'est pas le prétendu État chrétien, qui
reconnaît le christianisme comme sa base, comme la religion de l´État, et prend
une attitude exclusive en-vers les autres religions, c'est plutôt l´État athée,
l´État démocratique, l´État qui relègue la religion parmi les autres éléments
de la société bourgeoise. » Jusqu´à la page 183 où se trouve l'analyse
de l´État démocratique :
« L'État
démocratique, le véritable État, n'a pas besoin de la religion pour son
achèvement politique. Il peut, au contraire, faire abstraction de la religion,
parce qu´en lui le fond humain de la religion est réalisé de façon profane.
L’État dit chrétien a tout au contraire une attitude politique vis-à-vis de la
religion, et une attitude religieuse vis-à-vis de la politique. S'il ravala les
formes politiques en apparence, il ravale tout aussi bien la religion pour la
forme. » ( p. 183 )
L´État démocratique
est la dernière forme de l'État, il est sa forme ultime. Il pose l'homme
souverain et lui-même est la souveraineté de l'homme. Auparavant, l'État était
le dépositaire profane de la volonté divine, il dominait les hommes.
« Ce qui
vaut dans l’État dit religieux, ce n'est pas l'homme c'est l'aliénation. Le
seul homme qui compte, le roi, diffère spécifiquement des autres hommes et est,
en outre, un être encore religieux se rattachant directement au ciel, à Dieu.
Les relations qui existent ici sont encore des relations fondées sur la foi.
L´esprit religieux ne s'est donc pas encore réellement sécularisé. »
( p. 185 )
L'État démocratique
érige la mystification à une fonction d´État; il est la mystification achevée.
Sous le féodalisme,
l'homme délègue toute son humanité à un État religieux, il n'est qu'animal.
Dans l'État démocratique, on pose identité de l'être réel et de l'être
théorétique, celui défini par la société civile et celui défini par l´État. Ou
bien l'on dit que c'est le second qui détermine le premier. En fait lorsque le
capital se développe, on constate que celui-ci s'approprie l'être réel des
hommes, leur force de travail afin de leur ravir de plus en plus de plus-value.
Le capital devient État avec le fascisme. L´être humain est réduit à un pur
esprit à une définition posée par la constitution. L'être humain n'est plus
qu´une abstraction. Il avait pu sembler que ce serait l'être humain réel qui
allait diriger l´État ( émancipation politique ). Seulement on ne se
rendait pas compte que la force matérielle passait en fait à une force
impersonnelle, le capital. L'homme quittait une sujétion immatérielle pour en
subir une bien matérielle. La période de passage de lune à l´autre est celle de
toutes les illusions. Celle où la mystification démocratique peut se développer
et a même une certaine fonction historique.
L'État démocratique
est d´autre part la réalisation profane de la religion, la dernière forme dans
laquelle la religion peut se manifester. « Mais l'esprit religieux ne
saurait être réellement sécularisé. En effet, qu'est-il sinon la forme
nullement séculière d'un développement de l´esprit humain ? L'esprit
religieux ne peut être réalisé que si le degré de développement de l'esprit
humain, dont il est l'expression, se manifeste et se constitue dans sa forme
séculière. C'est ce qui se produit dans l'État démocratique. Ce qui fait le
fond de cet État, ce n´est pas le christianisme, mais le fond humain du
christianisme. La religion demeure la conscience idéale, non séculière, de ses
membres, parce qu'elle est la forme idéale du degré de développement
humain qui s'y trouve réalisé. » ( p. 186 )
Donc critique de la
démocratie. Ici Marx dépasse le dernier stade et remarque que cette forme
d'organisation de la société humaine réintroduit un dualisme ( cf.
particulièrement : l'homme est souverain et délègue sa souveraineté à
l´État, contrat social de Rousseau ). Le dualisme - individu de la société
civile et de l'État politique - indique la séparation de l'homme d'avec
lui-même et en même temps la recherche de cet homme. Le dualisme est une forme
religieuse de percevoir le monde et il traduit une attitude religieuse.
« Religieux,
les membres de l´État politique le sont par le dualisme entre la vie
individuelle et la vie générique, entre la vie de la société bourgeoise et la
vie politique; religieux, ils le sont dans ce sens que l´homme considère comme
sa vraie vie la vie politique située au-delà de sa propre individualité;
religieux ils le sont dans ce sens que la religion est ici l'esprit de la
société bourgeoise, l'expression de ce qui sépare et éloigne l´homme de
l'homme. » (p. 187)
La religion pose
deux mondes; un monde nouménal inconnaissable à l'homme et un monde phénoménal
ou le monde de l'homme. De même l'État est le monde en dehors de
l'individualité humaine, tandis que la société civile est celui des individus.
Donc dualisme Etat individu. Marx met bien en évidence ce dualisme, de même
dans ce qui suit il fait saillir celui entre homme-individualité et homme
générique dont le premier n'est qu'une variante.
«Chrétienne,
la démocratie politique l'est dans ce sens que l'homme, non seulement un homme,
mais tout homme, y est un être souverain, un être suprême, mais l'homme ni cultivé,
ni social, l'homme dans son existence accidentelle, l'homme tel qu'il est,
l'homme tel qu'il a été corrompu, perdu pour lui-même, aliéné par toute
l'organisation; l'homme qui n'est pas encore un être réel de
l'espèce. » (p. 187)
C'est-à-dire donc
un être qui ne peut être appelé l'être humain. Nous sommes encore dans la
préhistoire de l'humanité. Pour que l'être générique existe, il faut que se
réalise la Gemeinwesen, seule forme d'être de l'homme qui le réalise, car c'est
seulement là qu'est abolie l'opposition dualistique dont il a été parlé.
Ensuite Marx continue par une critique à la fois de l'État et de la démocratie.
« La
création imaginaire, le rêve, le postulat du christianisme, la souveraineté de l'homme,
mais de l'homme en tant qu'être absolument différent de l'homme réel, tout cela
devient, dans la démocratie, de la réalité concrète et présente, une maxime
séculière. » ( p. 187 )
« La
conscience religieuse et théologique s'apparaît à elle-même, dans la démocratie
parfaite, d'autant plus religieuse et d'autant plus théologique qu'elle est, en
apparence, sans signification politique, sans buts terrestres, une affaire du
cœur ennemi du monde, l'expression de la nature bornée de l'esprit, le produit
de l'arbitraire et de la fantaisie, une véritable vie de l'au de-là. Le
christianisme atteint ici l'expression pratique de sa signification religieuse
universelle, parce que les conceptions les plus variées du monde viennent se
grouper dans la forme du christianisme, et surtout parce que le christianisme
n'exige même pas que l'on professe ce christianisme, mais que l'on ait de la
religion, une religion quelconque ( voir Beaumont ). La conscience
religieuse se délecte dans la richesse de la contradiction religieuse de la
variété religieuse. » (p. 187-188)
La démocratie est
la forme parachevée du dualisme, mais d'un dualisme pratique. De ce fait, c'est
la réalisation pratique de la religion. Ce n'est qu'en détruisant la démocratie
que nous pourrons éliminer la religion. L'humanité ne se pose que des problèmes
pratiques, qui ne peuvent être résolus que par la pratique. De ce fait, dès
maintenant notre pratique doit être destruction de la religion et de la
démocratie.
«Nous avons
donc montré qu'en s'émancipant de la religion on laisse subsister la religion,
bien que ce ne soit plus une religion privilégiée. La contradiction dans
laquelle se trouve le sectateur d'une religion particulière vis-à-vis de sa
qualité de citoyen n'est qu'une partie de l'universelle contradiction entre
l'État politique et la société bourgeoise». ( p.188)
Sous la féodalité
l'Église était propriétaire foncier, sous le capitalisme elle est entreprise
capitaliste. En conséquence elle est soumise à la libre concurrence. Mais, par
là, son rôle réel, pratique lui est reconnu. Les différentes religions avec
leurs différentes églises se disputent le marché des âmes des esclaves du
capital. Mais, elle ne peut être un pouvoir qui conteste celui du capital,
parce que celui-ci s'est assujetti toutes les puissances matérielles et
spirituelles de ce monde.
« L'achèvement
de l'État chrétien, c'est l'État qui se donne comme État et fait abstraction de
la religion des ses membres. L'émancipation de l'État de la religion n'est pas
l'émancipation de l'homme réel de la religion. » (p. 188)
Cela d'autant plus qu'ultérieurement le capital
reconnaît la religion en tant que force contraignante sur le prolétariat et
l'utilise. Si donc l'État s'est émancipé de la religion, cela permet au capital
de la conquérir et, ensuite, cet État utilise la religion pour faire accepter
le pouvoir du capital.
Marx va
étudier le rapport État-religion au niveau des droits de l'homme et du citoyen,
ce qui l'amène à préciser le rapport individu à la religion et à faire une
critique de la Déclaration et à analyser la différence entre homme et citoyen.
« D'après
Bauer, l'homme doit sacrifier le “privilège de la foi”, pour pouvoir recevoir
les droits généraux de l'homme. » (p. 190) On voit ici la position
inchangée des réformistes, immédiatistes, etc : concilier; ici,
conciliation individu-espèce. « Considérons un instant ce qu'on appelle
les droits de l'homme, considérons les droits de l'homme sous leur forme
authentique, sous la forme qu'ils ont chez leurs inventeurs, les Américains du
Nord et les Français ! Ces droits de l'homme sont, pour une partie, des
droits politiques, des droits qui ne peuvent être exercés que si l'on est membre
d'une communauté. La participation à la vie commune politique, à la vie de
l'État, voilà leur contenu. Ils restent dans la catégorie de la liberté
politique. » (p. 190-191)
Puis viens
l'analyse de la différence entre droits de l´homme et ceux du citoyen.
« Constatons
avant tout le fait que les droits de l'homme, distincts des droits du citoyen,
ne sont que les droits du membre de la société bourgeoisie, c'est-à-dire de
l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. »
(p. 192)
Donc dans la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est exprimé le dualisme :
l'homme abstrait défini par les droits de l'homme et celui concret défini par
l'État de la classe dominante : les droits du citoyen. Non seulement il y
a là dualisme mais il y a un essai de conciliation. Donc elle est elle-même
religieuse.
« L'inconciabilité
de la religion et des droits de l'homme se trouve si peu dans le concept des
droits de l'homme, que le droit d'être religieux, et de l'être à son gré,
d'exercer le culte de sa religion particulière, est compté expressément au
nombre des droits de l'homme. Le privilège est un droit général de
l´homme. » (p. 192) La question est escamotée en faisant de la
religion un besoin immuable de la nature humaine; ou bien on généralise un
phénomène : « le privilège de la foi est un droit général de
l'homme.» (P. 192)
1. La liberté
Elle suppose
l'individualité totale absolue, irréductible. La coupure totale des hommes
d'avec les autres: «La liberté est dont le droit de faire tout
ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir
sans nuire à autrui sont fixées par la loi, de même que la limite de deux
champs est fixée par un piquet. Il s'agit de la liberté de l'homme considéré
comme une monade isolée, repliée sur elle-même. » (p. 193)
Dans toutes les
sociétés l'homme n'existe que parce qu'il appartient à une communauté. Dans le
capitalisme, l'homme individuel est posé directement parce qu'est directement
posée sa propriété privée ( un avoir déterminé ). Quelle peut donc
être la communauté dans la société capitaliste ?
De là il découle
que le droit à la liberté est le droit à la séparation entre les hommes.
«Pourquoi, d'après Bauer, le juif est-il inapte à recevoir les droits
de l´homme ? Tant qu'il sera juif, l'essence bornée qui fait de lui un
juif l'emportera forcément sur l´essence humaine qui devrait comme homme le
rattacher aux autres hommes; et elle l'isolera de ce qui n'est pas
juif. Mais le droit de l'homme, la liberté, ne repose pas sur les relations
de l'homme avec l'homme, mais plutôt sur la séparation de l´homme d'avec
l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité
lui-même.» (p. 193)
«L'application
pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée. Mais en quoi
consiste ce dernier droit ?» (Autrement dit c'est sa
manifestation, il faut qu'il possède quelque chose pour être libre).
“Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir
et de disposer a son gré des biens, de ses revenus, du fruit de son travail et
de son industrie.” (Constitution de 1793, art. 16 ) (p. 193)
Le droit de
propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer à son gré,
sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c'est le droit
de l´égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application qui forme
la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre
homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de la liberté. »
Donc proclamation du caractère borné de l'individu qui est érigé en droit. On
voit combien le droit à la liberté est le droit à être bête.
2. L'égalité
« Le mot
égalité n'a pas ici de signification politique; ce n'est que l'égalité de la
liberté définie ci-dessus; tout homme est également considéré comme une telle
monade basée sur elle-même. » (p. 194)
3. La sûreté
"La
constitution de 1795 détermine le concept de cette égalité : « Art.
8. La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun des
ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses
propriétés. » (p. 194)
« La sûreté
est la notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de la
police : toute la société n'existe que pour garantir à chacun de ses
membres la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés.
C'est dans ce sens que Hegel appelle la société bourgeoise “ l'Etat du
besoin et de la raison”. » (p. 195)
La sûreté
( peut-être la sécurité ) c'est la notion la plus importante. C'est
là que réside la mystification la plus haute du capital. Quelle sûreté peut
avoir le prolétaire qui ne possède rien et qui pour cela est rejeté de
tous? Dans un premier temps l´État ne fait que pallier aux impondérables
de la société bourgeoise; il assure de plus la sûreté ( sécurité ) de
la propriété privée. Après il assure celle de toutes les couches du capital en
assurant la péréquation. Seulement de plus en plus sa fonction est d'assurer la
sûreté du capital contre le prolétariat. Plus la domination du capitalisme tend
à devenir précaire, plus l´État renforce son dispositif de sécurité. Mais les
idéologues n'y croient pas tellement : d'où leur théorisation du principe
d'incertitude : reflet dans les sciences, de leur incapacité à prévoir les
phénomènes économiques de grande amplitude : ceux qui vont tout
bouleverser et donc amener le prolétariat au pouvoir. Ce principe ne fait
qu'indiquer l'existence transitoire du mode de production capitaliste.
« La notion
de sûreté ne suffit pas encore pour que la société bourgeoise s'élève au-dessus
de son égoïsme. La sûreté est plutôt l'assurance de son égoïsme. »
(p. 194)
« Aucun de ces
prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il
est, membre de la société bourgeoise, c´est-à-dire un individu séparé de la
communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel
et obéissant à son arbitraire privé. L'homme n'y est pas considéré comme un
être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société,
apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son
indépendance initiale. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité
naturelle, le besoin de l'intérêt privé, la conservation de leurs propriétés et
de leur personne égoïste. » (p. 195)
Nous retrouvons la
constante de la recherche et de la pensée: la communauté. Dans la société
bourgeoise, l'homme en est séparé; dans le communisme il y est intégré. Le
parti, préfiguration de celui-ci, doit réaliser l'intégration de l'homme et, de
ce fait, il n'y a plus d'individu. Le reste de la p. 195 jusqu´à la p.200
explique la genèse de la société bourgeoise et reprend des arguments qui furent
développés dans la Critique à la philosophie de l´Etat. Ces éléments
seront utilisés dans l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier français pour
expliquer le poids de la politique sur ce mouvement. Indiquons le résultat qui
est essentiel pour expliquer les données sur la communauté donc la négation de
la démocratie :
« L'homme
ne fut donc pas émancipé de la religion; il reçut la liberté religieuse. Il ne
fut pas émancipé de la propriété privée, il reçut la liberté de la propriété.
Il ne fut pas émancipé de l´égoïsme de l'industrie, il reçut la liberté de
l'industrie. » ( p. 200 )
Analyse ensuite de
« la décomposition de la société bourgeoise en individus
indépendants » (p. 200) mais aussi la division en homme politique et
non politique . De ce fait « La révolution politique décompose la
vie bourgeoise en ses éléments, sans révolutionner ses élément eux-mêmes et les
soumettre à la critique. » (p. 200-201) ( C'est ce qui est
arrivé en France, en Inde ). La société bourgeoise est donc la destruction
de la politique; en elle la politique n'est plus une fonction de l'homme
réel : « ... l´homme politique n'est que l´homme abstrait,
artificiel, l'homme en tant que personne allégorique, morale. » (p.
201) Qui va donc s´emparer de la politique, qui va donc gouverner les
hommes ? le capital. C´est lui qui devient présupposition de l'homme.
« L´homme véritable on ne le reconnaît que sous forme de l'individu
égoïste, et l´homme réel sous la forme du citoyen abstrait. »
( p. 201 ). Voilà la démocratie sociale, la démocratie de l´égoïsme.
« Ce n'est que sous le règne du christianisme, qui extériorise tous les
rapports nationaux, naturels, moraux et théoriques de l'homme, que la société
bourgeoise pouvait se détacher complètement de la voie de l´État, déchirer tous
les liens génériques de l'homme et mettre à leur place l´égoïsme, le besoin
égoïste, décomposer le monde des hommes en monde d´individus atomistiques,
hostiles les uns aux autres. » ( p. 212 ).
Marx oppose la
véritable émancipation : « toute émancipation n'est que la
réduction, à l'homme lui-même, du monde humain, des rapports. »
( p. 202 )
De nouveau l'opposition entre l'émancipation politique,
bourgeoise : « L'émancipation politique, c'est la réduction de
l'homme d'une part au membre de la société et d'autre part au citoyen, à la
personne morale. » et l'émancipation communiste :
« L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et
organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare donc plus de lui
la force sociale sous la forme de la force politique. » (p.
202) Il n'y aura donc plus opposition espèce-être humain particulier. Dans le
capitalisme la force sociale existe sous la forme de la force politique. C'est
le capital lui-même. Il assure la sécurité du capital, sa protection contre les
hommes, puisque l'Etat capitaliste, c'est la force sociale devenue force
politique7.
1. Étant donnée l'importance de ces textes
je les ai publiés dans le n°. spécial d'Invariance de novembre 1968. Il en fut de
même pour l'autre texte fondamental pour les questions traitées ci-dessus
« Le roi de Prusse et la réforme sociale » dans le n°. 5 d'Invariance
( note de 1991 ).
2. Article anonyme : Recommencer la révolution. (Note
2005)
3. Nous n’avons pas trouvé la référence de cette citation.
(Note 2005)
4. K. Marx et F. Engels, Idéologie allemande, tome VII
des œuvres philosophiques, Ed. Costes, p. 206. Il s’agit de la troisième partie
qui concerne Max Stirner. (Note de2005
5. Le propre des petits-bourgeois est de chercher un élément
médiateur: conciliation entre individus et État.
6. La question juive, Ed.Costes, t. I des Œuvres
philosophiques. Nous avons publié, dans un n° spécial de 1968, une traduction
plus fiable de ce texte. Comme ce n° est depuis longtemps épuisé, j’ai préféré
recourir à la traduction de J. Molitor des Ed. Costes. (Note 2005)
7. Cf. également La Sainte Famille, Ed. Costes, t. II des Œuvres philosophiques, p. 194-196. Cet ouvrage contient également une importante critique des droits de l’homme. (Note 2005)