ERRANCE ET
SPÈCIOSE
La mise sur Internet de Emergence de Homo Gemeinwesen qui parut initialement de 1986 à 1991, dans les numéros de 1 à 8 d’Invariance, série IV, est nécessaire tout d’abord parce que ces numéros sont totalement épuisés depuis longtemps; en second lieu, du fait que ce texte, bien qu’incomplet, constitue un fondement important pour notre étude sur la spéciose-ontose qui, réciproquement, le complète. C’est en outre nécessaire à partir du moment où nous avons en projet de continuer l’étude commencée en 1982.
Le titre initial fut Situation au sein d’un procès qui sera remplacé en 1985 par celui actuel. Il devint dès lors sous-titre. Le texte proprement dit est précédé de Thèses repères. Cela signifie bien qu’on essaie de se situer et de situer où en est l’espèce dans son devenir. À l’origine, je pensais faire une étude non exhaustive consistant en une approche au sujet de ce qui advenait. Au cours de la rédaction, le texte prit de plus en plus d’ampleur du fait qu’en particulier je m’affrontais à des questions sur lesquelles je possédais plus de documents, mais surtout parce que, réalisant l’importance de ce qui était étudié, je me décidais à le traiter de façon plus détaillée. Enfin, l’idée qu’on vivait une phase de dissolution, ne concernant pas seulement l’Occident, en rapport à la mort potentielle du capital, induisait inévitablement la recherche de ce qui pouvait émerger. C’est alors que j’ai pensé que l’émergence était celle de Homo Gemeinwesen qui, au départ, fut postulée, voulue, mais non réellement perçue. Là encore ce ne fut qu’au cours de la rédaction, à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier et, surtout ultérieurement, au cours des années quatre vingt dix de ce même siècle, que la perception de cette émergence s’imposa pleinement à moi.
Afin de préciser la « situation au sein d’un procès », il convient d’indiquer rapidement ce que furent les années quatre-vingt dont il a été fait mention. Elles se caractérisent par l’affirmation d’une grande phase de recul avec épanouissement de la réaction que nous avions déjà connue auparavant au cours des années cinquante, avec l’épanouissement de la répression dans la «correctness», c’est-à-dire une répression bien thérapeutique, calmante, anesthésiante, étouffante. Ce fut l’époque du déboussolement, de la perte de repères, du défaitisme et d’une grande incertitude. La fin du procès révolution, la disparition du prolétariat en tant que sujet révolutionnaire (et même en tant que classe de la société), la mort potentielle du capital à laquelle était liée l’évanescence du travail salarié, tout cela opéra un traumatisme sur beaucoup d’hommes et de femmes qu’ils fussent situés à gauche ou à droite dans la prise de position par rapport à ce qui advenait. C’est donc en cherchant à nous positionner au mieux, nous-mêmes, au sein du devenir en cours que la certitude de l’émergence de Homo Gemeinwesen s’imposa, ainsi que la puissance de la pensée afin de subsister. Toutefois au cours de l’exposition des prémisses de celle-ci, c’est-à-dire du devenir même de Homo sapiens, se fit sentir un manque, celui de l’affirmation de l’individualité-gemeinwesen, celui du comment entreprendre un cheminement de libération-émergence pour atteindre celle-ci et l’intégralité de la Gemeinwesen en union avec le cosmos. La recherche de ce manque, non clairement perçu au départ, mais qui se dévoila ultérieurement au cours d’une longue recherche détermina l’arrêt dans un premier temps de la publication de Emergence de Homo Gemeinwesen puis, dans un second temps vers 1991, celui de sa rédaction. Le résultat de la recherche fut la mise en évidence de l’importance de l’enfant dans le devenir de Homo sapiens et celle de la phase prénatale et périnatale dans le développement de tout homme, de toute femme, et celle de la spéciose et de l’ontose. A partir de là, il fut possible de préciser le cheminement au sein d’un procès d’abandon de ce monde dont il fut question dés le début de ce texte. Il s’agissait de ne plus attendre, de ne plus dépendre du devenir de cette société-communauté, et donc de réellement l’abandonner sans se faire d’illusion sur le retentissement que cet abandon pouvait avoir dans l’immédiat. L’essentiel était d’en finir avec une dynamique de dépendance. C’est ce que nous exposâmes dans les cinq numéros de la série V et dans la postface de 2001, Forme et Histoire, à Origine et fonction de la forme parti. En conséquence le sous-titre Situation au sein d’un procès, reste valable à condition de préciser qu’il ne s’agit plus seulement de celui «d’une issue d’une errance millénaire, de celui de la communauté capital»1 qui se déployait encore dans la négativité, mais d’un procès se déroulant dans la positivité, c’est-à-dire d’un procès d’affirmation, d’émergence.
Je dois préciser que mes efforts de recherche fondés à partir de ma propre dynamique d’investigation ont été grandement facilités par la prise de connaissance des travaux de diverses féministes, de divers psychothérapeutes et de divers scientifiques chez qui je perçus une convergence, ainsi que des différences importantes. Leur apport sera signalé au moment opportun.
L’événement du 11 septembre 2001 signale une discontinuité, due à l’échec de la sortie de la nature et, à la suite de cela, il marque la mise en branle, encore de façon inconsciente, d’une dynamique de « retour » à celle-ci; ce qui impose la nécessité de bien préciser l’errance d’Homo sapiens, et surtout d’être à même de ne pas rejouer en opérant dans la dynamique d’émergence, celle de l’affirmation et de la non dépendance. En conséquence Emergence de Homo Gemeinwesen est à la fois une phénoménologie de la spéciose qui concerne Homo sapiens, complémentaire à Surgissement et devenir de l’ontose, et une esquisse sur le devenir d’émergence de Homo Gemeinwesen. La visée de ces diverses études est de parvenir à atteindre tant sur le plan de l’espèce que sur celui de l’individu, l’être non-domestiqué, la naturalité, afin de pouvoir se libérer-émerger et donc de retrouver la continuité.
En définitive depuis 1973, année où j’ai publié l’article Errance de l’humanité dans le n° 3 de la série II d’Invariance, il s’est agi pour moi d’essayer de comprendre les raisons de la mise en errance de l’espèce ainsi que sa domestication2, c’est la raison profonde qui s’est dévoilée au cours de la rédaction du texte, qui m’a conduit à écrire Émergence de Homo Gemeinwesen. Au delà encore, s’imposait la nécessité de comprendre qu’est-ce que la folie et qu’est-ce qui la cause. Avec la mise en évidence du surgissement du devenir de l’ontose, ainsi qu’avec l’étude connexe de la spéciose, j’ai trouvé les fondements de l’errance et de la folie.
Pour rendre encore plus perceptibles les données initiales de l’étude dont nous faisons la préface, nous publions, à sa suite, les deux Préludes qui opérèrent en tant que préfaces, et qui parurent au début des numéros un et deux de la série IV d’Invariance (1986).
Le complémentaire, depuis le début, de Émergence de Homo Gemeinwesen est Gloses en marge d’une réalité qui permet de cerner au mieux les caractéristiques du monde que l’on quitte et de signaler notre ouverture aux hommes et aux femmes encore immergés en lui ou cherchant, d’une manière ou d’une autre, à l’abandonner; ce qui facilite, simultanément, la compréhension de ce que fut la « situation au sein d’un procès » dont nous avons parlé.
Afin que la dimension de phénoménologie de la spéciose apparaisse plus clairement, j’ajoute Données à intégrer dans tout ce qui a été rédigé et publié de Émergence de Homo Gemeinwesen. Ces données seront également utiles pour comprendre la suite du texte.
(Décembre 2004)
1 Cf. le début de Èmergence de Homo Gemeinwesen
2 Dans le même n° d’Invariance, j’ai publié Contre la domestication. En 1980, j’ai publié Violence et Domestication – À propos du devenir de l’espèce humaine de la communauté immédiate à la communauté émergée du, et intégrée dans le cosmos (Invariance, série III, n°9). Ce texte constitue une esquisse de Èmergence de Homo Gemeinwesen.