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DE L'ÉTAT-PROVIDENCE À LA FAMILLE RÉSEAU-PROVIDENCE

ou passage du statut de salarié protégé à celui d’individu précaire par le biais du secteur de «l'économie sociale et solidaire», banalisé et récupéré économiquement par les grands managers de la domination généralisée du capital.


 

Ce texte est une approche de ce que je nomme  les "règles sociales républi-capitalistes", mises en place par les pouvoirs publics depuis plus d'un siècle et demi pour gérer la pauvreté, dans une logique de progrès pour tous par l'emploi. .

Cette logique ayant disparu, le discours politique se modifie prudemment et entretient la confusion. 

Le grand bricolage actuel ressemble à une autopsie de cet État dit «Providence», inefficace car assujetti à un mode de production capitaliste qui n'a plus besoin du salariat comme  support. Les tentatives de rafistolage de l'édifice public remettent au goût du jour la doctrine solidariste de la 3è république : État et patrons tentent de réorganiser l'encadrement de la « masse humaine » employable, utilisable dans une dérisoire course au profit.

 Des réseaux de solidarité se créent, partout et pour tout, et sont pour la plupart récupérés pour médiatiser et justifier haut et fort une notion de solidarité citoyenne » pour le salarié devenu « précaire » et de « mission citoyenne  par le mécénat » pour le patron. De plus en plus de grandes entreprises se médiatisent en mettant en avant leur mécénat de compétences au service d'associations dans une stratégie de marketing.

Cette solidarité est complètement engluée dans des comportements de profit et de consommation à l'extrême pour certains, de débrouillardise, de grignotage de survie au rabais pour d'autres. C'est un moyen de renforcer la soumission, faire croire que l'on donne un sens à sa vie alors que l'on accepte un monde qui la nie.  Du manager à « l'intérimaire de base » cette notion humaniste camoufle la dépendance globale au capital  qui se peaufine jusqu'au bout du doigt pointé sur le smartphone délivreur de job virtuel immédiat. C'est comme si  la consommation était le « nec plus ultra »  de la solidarité humaine.

Poser le problème du démantèlement du salariat comme la « nouvelle question sociale » donne une certaine justification aux gouvernants voulant encore faire croire qu'ils ont un rôle de protection. Ils tentent de prendre la famille inter-générationnelle pour support et de recréer au domicile  des points d'ancrage repérables en lieu et place de l’entreprise, cette dernière ne pouvant plus être le point de fixation de l'ouvrier soumis et atomisé, le point de contrôle par excellence.

Le processus d'industrialisation au 19° siècle instaurait un nouvel espace-temps clos et violent au sein de l'usine avec un droit au silence pour le nouveau pauvre-ouvrier contraint de quitter ses coutumes rurales et artisanales et son  espace où travail et habitat se confondaient. Il fallait rendre obsolète l'attachement à la communauté familiale pour privilégier l'individu atomisé, en rapport direct avec l'entreprise.

Un processus inverse s'installe avec la mise en place d'un nouvel espace-temps de contrôle. Les entreprises du secteur dit « d'économie sociale et solidaire » assurent le maillage de ce nouveau découpage territorial de la fixation du pauvre, nommé maintenant «  dépendant précaire ». Ces vendeurs d'emplois à la personne, d'auto-entrepreunariat, de lien social, collaborent à la gestion politique de la « redevabilité citoyenne » inter-générationnelle dans un agencement socio-économique de la pauvreté de masse pour un soi-disant bien-être consommable. Le bon et le mauvais pauvre sont dilués dans un amalgame de « précarité ».

Il ne me semble pas exagéré de penser que cette mise en place généralisée d'une précarité citoyenne précède de peu celle d'un nouveau droit à un revenu citoyen, rustine de la «non vie».

 

* * *

 

Abordons l’évolution des politiques publiques sur la question sociale depuis la Constitution de 1848, symbole d'une république démocratique dont l'idée de fraternité devait servir de moteur à la législation sociale. À côté des libertés traditionnelles évoquées depuis 1789, l'instauration de la République en 1848 faisait état, dans sa constitution, de l'affirmation d'un rôle actif de l'État en matière d'instruction, d'assistance, de répartition du travail entre les individus.

J'ai parlé de gestion de la pauvreté. Je m'en tiens ici à une vision très limitée dans le temps car la distribution de ressources aux pauvres existait déjà au 16è siècle dans toute l'Europe.

Pauvreté et travail sont intimement liés. Comme le précise Laurence Fontaine dans son livre L'économie morale (sous-titre: Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle. Ed. Gallimard, nrf essais), au Moyen-âge le pauvre est celui qui vit de son travail, qui souffre. À la fin du 17° siècle, le pauvre représente celui qui manque de biens et de fortune.

« La pauvreté est le fondement d'un système social: on en extrait une réserve quasi inépuisable de main d'oeuvre, on y enfouit les faibles et tous ceux que désigne une quelconque incapacité au travail»[1]. Il n'est pas question d'abolir la misère, il faut juste la maîtriser, la contrôler, éduquer les pauvres pour raisonner leur révolte, mais pas trop pour qu'ils puissent rester pauvres. La pauvreté est à la fois un état et un processus potentiel.

Dans la pensée du 19è siècle la pauvreté est un mal honteux. S'y reflète une notion religieuse de pitié qui justifie la mise en place d'aumônes salvatrices. Le développement du capitalisme va camoufler pendant un temps cette vision. Le vagabond reste le mauvais pauvre mais il devient l'exception. Le bon pauvre est l'ouvrier normé qui aspire à une vie de petit propriétaire. L'optimisme des capitalistes est à son comble dans les années 50 et 60 du 20è siècle et laisse croire à l'éradication de la pauvreté. Ce mot même est oublié, on ne parle plus que d'inégalité sociale.

À nouveau, actuellement, la pauvreté remplit tout l'espace sous la dénomination de précarité. Celui-ci devient un outil de gestion pour les nouveaux managers. Il est le point de fixation de la solidarité devenu produit rentable par sa plus-value symbolique dans la compétitivité. Ce n'est plus la force de travail d'un humain qui est utilisée mais « l'humain » devenu image virtuelle.

 Symboliquement, depuis 1848, tous les gouvernements de la République en France s'auréolent dans leurs discours de valeurs de fraternité, de solidarité et se disent porteurs d'un droit au travail tout en se portant garants d'un mode de production capitaliste qui les a absorbés (État et ouvriers). Le droit au travail (en réalité règles du travail) reste le logo de référence exhibé partout. Des supports ont été nécessaires pour maintenir à bout de bras ce droit à un emploi présenté comme but essentiel de l'humain, réduit à n'être qu'un individu/citoyen assujetti.

 

 

Mise en avant de la valeur "Famille" comme nouveau support de la solidarité et de la redevabilité citoyenne

 

Le salariat et ses organisations syndicales disparaissent avec le démantèlement des grosses entreprises. La précarisation généralisée et le développement des emplois à la personne déplacent le "citoyen-travailleur" de l'entreprise à son domicile. C'est le nouvel ancrage, repérable, à partir duquel le comportement de solidarité de chacun va pouvoir être vu et distillé pour maintenir en dépendance de redevabilité à la société. Les réseaux de "lien social" vont former le maillage de cette nouvelle organisation du travail.

Les pouvoirs publics s'étaient déjà adaptés dans les dix dernières années du 20ème siècle à la décomposition de la vision linéaire de l'emploi au sein de l'entreprise et à la précarisation galopante du fait de l'externalisation de toutes les prestations non fondamentales dans les mécanismes de globalisation de l'économie. On ne parlait pas encore ouvertement d'exclusion des entreprises mais d'un compromis "d'insertion" qui était mis en avant. Tout en prônant un discours libéral ambiant, le gouvernement prenait à son compte l'idéologie de l'insertion, support du maintien de l'ordre républicain, compromis moral à sa légitimité. Le droit à l'insertion fleurissait dans tous les débats : dispositifs d'insertion, revenus d'insertion, entreprises d'insertion, devoir d'insertion.

La mise en place de ces politiques publiques d'insertion s'était faite grâce aux associations entrant dans la catégorie du tiers secteur, véritables outils de gestion de ce nouveau processus d'encastrement du citoyen dans un droit qui n'était plus d'obtenir un emploi mais de faire l'effort de s'insérer dans "le monde du travail" pour espérer avoir accès à un travail rémunéré.

Cette catégorie "d'économie sociale" était apparue avec la nécessité de "moraliser" le mode de production capitaliste et s'était installée dans un compromis avec les pouvoirs publics dans l'ambiguïté d'une valeur partagée: la solidarité "citoyenne". Tous les courants de cette économie devenaient ainsi un support pour maintenir l'idéologie des droits et des devoirs républicains.

Le stade de "l'insertion" est maintenant largement dépassé puisque le "monde de l'entreprise" s'est dissous. Se met en place un maillage de réseaux sociaux, virtuels ou non, réabsorbés dans un processus de justification économique. La petite part monnayable de chacun est enrobée de notion de solidarité, de recherche de liens plus humains, de mise en forme de groupements communautaires sur des objectifs précis. Un retour aux traditions de liens familiaux est largement mis en avant pour "retrouver" une convivialité sensée compenser l’isolement des individus.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics vont tenter, une ultime fois, de s'accrocher aux valeurs de leur République en jouant sur cette croyance, quasi mystique, de citoyenneté solidaire, et de rationalité économique fatalement inchangeable. Il faut vite entériner toute interrogation humaine dans cette période de désarroi. La recherche du bien-être de chacun véhiculée par tous les nouveaux emplois à la personne doit maintenir la dépendance dans une culpabilité de vie, dans une morale de droits et de devoirs. Chacun doit être désespérément "logotisé" dans une justification productive très contraignante.

Le soutien familial inter-générationnel, devenu indispensable pour survivre et avoir un toit, est un bon support: il camoufle la réalité en l'enrobant de sentiment noble de "générosité citoyenne".

 

 

 

Rappel historique: de l’explosion sociale au rationalisme républicain

 

 

Cette notion d'économie sociale émerge comme un symptôme de la confrontation entre profit et solidarité. En retracer l'histoire c'est parcourir le 19° siècle de l'idéal républicain du Parti Radical au réformisme de la IIIème république en passant par le Coopératisme et le compromis solidariste.

Au début du siècle les termes "économie sociale" et "économie politique" se confondaient. J.B. Say (1767-1832), économiste libéral, utilisait ce terme d'économie sociale pour parler de la science de la production, de la répartition et de la consommation des richesses.

En 1848, la France est en pleine mutation industrielle, la fièvre ferroviaire s’est emparée de l'Europe entraînant la création de nouvelles industries (production de la fonte et de l'acier à partir de 1840. A cette période la France se situe au 5° rang mondial en tant que puissance industrielle[2].  Elle a donc besoin d'ouvriers et le droit au travail va devenir une priorité car la question sociale prend corps en la réalité d'un prolétariat naissant dans un monde libéral qui se bâtit avec l'éclatement d'une contradiction majeure: une minorité détenant les moyens de production dont la mise en œuvre  n'est possible que par l'accélération du travail productif en vue du profit. Se constitue petit à petit le monde des ouvriers dont les conditions de travail sont effroyables. Avec les rejetés de l'artisanat et de l'agriculture, il va constituer le prolétariat naissant au sein de crises apparues depuis le début du siècle entraînant misère et agitation: 1816, 1826, 1836, 1846 verront surgir des crises monétaires, boursières, financières. 1846 marquera l'une des plus profondes dépressions du siècle avec une crise à la fois agricole et financière (mauvaises récoltes, gel, tarissement du crédit pour les sociétés ferroviaires). La hausse des prix agricoles entraîne une crise industrielle avec arrêt de la consommation. " L'ampleur de cette crise explique en grande partie l'explosion politique et sociale des révolutions de 1848 en Europe"[3].

Tous les courants d'idées généreuses vont foisonner, certains envisageant la déchéance rapide de ce système capitaliste féroce, d'autres s'en accommodant rassurés par le suffrage universel.

1848, c'est la fin sans gloire de la Monarchie de juillet. En quelques jours la France vivra l'abdication de Louis-Philippe, la formation d'un gouvernement provisoire qui proclame la République, l'engagement de ce gouvernement à garantir le travail pour tous, le principe du suffrage universel, la limitation de la journée de travail à 10 h à Paris, 11 h en province, l'accord de la liberté de la presse et de réunion. On peut voir sur les murs de Paris en en-tête d'une affiche signée d'un proche d' A. Blanqui: "liberté - égalité - fraternité - Solidarité des Peuples, aimons-nous comme des frères"[4]

À cette période, comme le dit F. Furet[5] Paris est "un kaléidoscope de philosophie républicaine". La "fraternité" prend la place centrale dans tous les courants qui s'affrontent. Au moment où s’impose la notion de classe, on en fabrique l'antidote avec cette fraternité qui est censée unir bourgeois et prolétaires.

Au sein du journal Le Globe, si toutes les tendances se côtoient, on y perçoit aussi une interprétation commune du "nouveau christianisme" de Saint-Simon. Ce dernier est vu comme le théoricien d'une technocratie industrielle qui voit dans l'association le lieu d'invention des conditions d'épanouissement de chacun avec pour objectif le développement économique. Tous se sont approprié la rationalité économique comme inéluctable et l'industrialisation comme un moyen d'épanouissement de chacun[6].

Les notions de fraternité et de solidarité vont s'encastrer au sein d'associations censées permettre aux ouvriers, nouveaux prolétaires, de tendre vers leur liberté et leur épanouissement. Ces associations se structurent en organisations professionnelles réparties en groupes d'intérêt. Elles semblent avoir pour beaucoup un caractère à la fois civique et spirituel.

Pierre Leroux[7], philosophe revendiquant la qualité de prolétaire, met l'accent sur une possible cohabitation des prolétaires et des bourgeois dans une espèce d'association des énergies sans rapport de domination puisque tous participent à la production et à la circulation de richesses. L'association serait dans la nature des choses et la solidarité s'y concrétiserait par le lien social qu'elle crée entre l'atelier et l'État. Le but de la politique serait donc d'organiser la société en associations à travers lesquelles chaque citoyen va trouver liberté et personnalité.

Pour lui il n'y a pas nécessité de lutte de classe puisque les réformes fondées sur la raison doivent profiter aux privilégiés en leur faisant comprendre qu'il est de leur intérêt d'aider les défavorisés.

La nuance est de taille entre une vision d'émancipation complète des peuples et cette devise de P. Leroux - reprise par les Saint-Simoniens - d'amélioration du sort des prolétaires. C'est donc l'organisation du travail des ouvriers qui va devenir le centre de la question sociale et l'association un moyen pratique d'organisation.

Dans L'Encyclopédie socialiste syndicale et coopérative de l'Internationale Ouvrière, publiée en 1912, on peut lire que les prolétaires commencent "à s'entretenir des avantages pratiques de l'association... ils se communiquent des projets de société, des plans de règlements disciplinaires, se confirment insensiblement les uns les autres dans cette salutaire pensée que c'est en eux-mêmes et par eux-mêmes, en substituant à l'ancienne association partielle incomplète et égoïste du Compagnonnage une solidarité générale des corporations ouvrières, qu'ils doivent chercher la réalisation de leurs voeux "[8]

D'un enchevêtrement de courants mêlant religion, socialisme, républicanisme émerge un rationalisme porté par les républicains Saint-Simoniens qui se définiront comme Radicaux. Le journal Le Globe est le symbole de ce courant. Y figurent presque tous les 150 députés radicaux de 1848.

A. Ledru-Rollin, premier radical socialiste élu député en 1841 exprimait un idéal "radicalement républicain" liant raison, tolérance et humanité. Devenu Ministre de l'intérieur en 1848 sous le gouvernement provisoire, il envoie aux Maires la circulaire suivante :

" la République est le gouvernement du peuple par le peuple ... associer les travailleurs au bénéfice des Capitalistes, apprendre à tous les hommes qu'ils sont frères ... amener entre eux une répartition des richesses proportionnée à l'intelligence et à l'activité, assurer à tous le travail et le bien-être, voilà la République"[9].

Il demande également à Louis Blanc, républicain démocrate, partisan d'un État fort, de populariser les thèses de Saint-Simon, Fourier et Proudhon et ses idées sur l'organisation du travail. Lui-même fonde l'association "Solidarité Républicaine" (qui sera déclarée illégitime et dissoute en 1849).

Dans un livre publié en 1839, Louis Blanc proposait la création d'ateliers sociaux coopératifs de production, administrés par les ouvriers sous le contrôle de l'État. Ce principe de coopérative est défendu par les Radicaux. Ce sera la triste expérience des Ateliers Nationaux qui verra le jour, simple institution de secours par le travail.

C'est d'ailleurs la notion de secours qui va l'emporter sur celle du droit dans la constitution. On y trouve une formule atténuée "d'assistance fraternelle", le « droit au travail » est  trop dangereux, il pourrait détruire l'esprit d'économie[10].

La particularité de la conception associative chez Louis Blanc se situe dans l'importance donnée à l'État pour intervenir dans la question sociale. En effet, il préconise pour le fonctionnement des "ateliers sociaux", outre le salaire égal et une hiérarchie par élection, que le capital initial soit fourni par l'État et l'emprunt. L'économie fonctionnerait par ce système d'ateliers unifiant des branches d'industrie en ateliers centraux coopérant pour le bien commun, sous l'autorité de l'État.

Son modèle d'association/coopération est le Compagnonnage, organisation ouvrière qui a survécu aux corporations, qu'il considère comme la seule forme de fraternité républicaine et qu'il nomme "la Chevalerie du Peuple"[11]. L'ordre et la solidarité sont des valeurs mises en avant.

Pierre Leroux est très rapidement dans l'entourage de Ledru-Rollin. Tous les deux, ainsi que Louis Blanc vont être évincés du gouvernement. Ils effraient par leur souci d'équité, leur respect de la dignité humaine et surtout la détermination de Louis Blanc de transformer économiquement la société par la mise en place d'un système de coopération.

Ils vont tous les trois vivre en exil à Londres de 1849 à 1870. Des rencontres avec Karl Marx auront lieu. Lui aussi avait été prié de quitter la France après la manifestation du 13 juin 1849 à Paris (journée organisée par Ledru-Rollin contre l'Assemblée réactionnaire [12].

En fait va se mettre en place petit à petit dans cette deuxième moitié du siècle un centralisme étatique et industriel: la phase de croissance de 1850 à 1873 permet d'effacer les abus les plus criants. Le développement social qui pouvait être compris comme totalité vivante dans l'esprit philosophique de certains mouvements révolutionnaires ouvriers aux aspirations internationalistes va petit à petit être perverti en une vision nationaliste, un socialisme parlementaire, un syndicalisme réformiste.

Nombre de réformes vont être accréditées pour un aménagement social de l'industrialisation, un consensus autour du profit se met en place et des dispositions législatives contraignantes étouffent les mouvements associatifs ouvriers. Le processus de regroupement économique est valorisé car il est présenté comme une conséquence de la solidarité humaine.

Ledru-Rollin, P. Leroux, L. Blanc, exilés jusqu'en 1870, n'assistent que de loin à l'évolution de la société et croient toujours en un idéal de solidarité. Le second Empire les tiendra à l'écart mais peut-on pour autant les mettre sur un piédestal par rapport aux Radicaux qui vont revenir sur la scène politique avec la IIIème République? Ne défendent-ils pas les mêmes valeurs ?

Ledru-Rollin cotisait à "l'Association" de Bruxelles, organe aux racines compagnonniques de l'Association Internationale des Ouvriers, fondée à Londres en 1864 par Karl Marx, et G. Mazzini y affirmait, dans une lettre adressée à l'association, en janvier 1866, qu'il préférait le système pratique de la coopération pour abolir le salariat aux théories à caractère utopique de Fourier, Saint-Simon, Proudhon et Karl Marx. Il accrédite d'emblée le réformisme social qui va se mettre en place et écrira: " (…) rassuré sur la question politique, c'est vers la question sociale que ce sont tournés tous mes travaux et toutes mes facultés. Dans ce pays surtout, où je l'avais sondée, il y a 20 ans, j'ai pu voir les misères imméritées, les plaies profondes se développer sur la plus vaste échelle, j'avais alors écrit: le Capital sans contrepoids mangera l'homme; d'où la conséquence que le salariat, cette servitude morale et corporelle, doit disparaître sous peine de devenir un fléau pour l'humanité. Et aujourd'hui j'ajoute: puisque la propriété, fruit du travail, est une garantie d'indépendance, qu'on la respecte à condition de la multiplier, de l'universaliser par l'association et la mutualité ..."[13].

 

Science d'une économie sociale

 

La grande industrie s'installe, des grands groupes de production cherchent à dominer le marché. Le salariat, sous forme de contrat individuel de travail dans l'entreprise, va peu à peu avoir priorité sur toute forme d'organisation ouvrière. Il faut créer un état d'esprit unifié et des règles de travail pour l'ouvrier dont l'individualisme apparaît comme un danger.

L'"économie sociale" va prendre des allures de bonne conduite et ses principes d'entraide et de solidarité servir autant les industriels "de gauche" que les conservateurs.

Frédéric Le Play, économiste (1806-1882), praticien du positivisme de A. Comte pourrait-on dire, va étudier, disséquer la vie ouvrière à partir de familles-souches. Il en fait un découpage minutieux, étudie les rapports volontaires et contractuels qui existent entre les individus et les institutions sociales qui en sont le produit. Ce travail est considéré comme la science de la paix sociale et F. Le Play pense avoir engendré "l'économie sociale".

En 1848, les Saint-Simoniens s'étaient intéressés à ses monographies, les ouvriers européens, et  certains  y voyaient un progrès moral. Ce progrès est favorisé sous le second Empire et dès 1851 F.Le Play est nommé à la commission chargée de préparer l'exposition universelle de Paris de 1855.

En 1856, il crée une revue La société d'économie sociale. Elle est considérée comme un véritable herbier de la classe ouvrière et fonde la renommée de F. Le Play qui deviendra conseiller de l'empereur sur les questions ouvrières. C'est un homme précieux pour l'État par sa vision réformiste à remédier aux désordres par des améliorations sociales totalement coupées du politique.

C'est en effet aux patrons que l'on attribue une obligation morale et sociale en matière d'œuvres sociales. Ce "paternalisme" qui va se développer chez certains grands patrons n'est pas éloigné finalement des idées radicales. Ces derniers se targuent aussi de faire de l'économie sociale en créant entre ouvriers et patrons un système d'engagements qui va au-delà du rapport salarial.

Le patron doit favoriser l'établissement des familles à leur charge en rendant possible la propriété de leur foyer qui matérialisera la durée des rapports sociaux.

Une telle idéologie permettra la mise en place de coopératives, véritables communautés familiales de travail. Ainsi fut créée en 1856 par Jean Baptiste Godin, grand industriel, une coopérative qui deviendra le "Familistère de Guise" en 1880.

Certains libéraux verront dans les coopératives ouvrières de production un moyen de promotionner les élites ouvrières.

Le social vu comme promotion individuelle ou comme "privé élargi" n'effraie pas. La loi de 1850 sur les sociétés de secours mutuel montre qu'elles ont les traits de "familles privées" [14](13) .

Le courant de Catholicisme social fait aussi des adeptes parmi les conservateurs pour défendre un corporatisme associatif. Albert De Mun (1841-1914), député en 1876, et René de La Tour du Pin, sociologue (1834-1924) vont s'en faire les défenseurs et participer à la création de cercles d'ouvriers. Chez ce dernier c'est la discipline dans la production qui est mise en avant ; pour A. De Mun c'est un désir d'éduquer les ouvriers contre le courant révolutionnaire, l'encadrement étant constitué d'une élite bourgeoise, d'inspiration paternaliste. Sa vision évoluera vers la lutte sur le terrain syndical.

 

Sociologie de la division du travail -

 

Le travail de réflexion que mènera Emile Durkheim, considéré comme le fondateur de la sociologie en France, à partir de l'étude des formes nouvelles de la division du travail par spécialisation, va être un tremplin extraordinaire pour le parti radical et, de façon plus large, pour l'État dans son rôle de protection sociale des travailleurs. Sa réflexion, à prétention scientifique, qu'il définit comme une science des moeurs propres à différentes sociétés, ces moeurs se définissant en fonction du degré de rapprochement des individus, va justifier la spécialisation dans le travail et en faire une norme d'organisation.

L'influence de Charles Darwin va aussi faire avancer l'idée que la concentration donne plus de chances de survie car elle favorise l'éclosion de la diversité d'aptitudes; la ville va devenir le milieu favorable au développement du travail (plus de souplesse mentale, entrecroisement de traditions).

Pour E. Durkheim, cette nouvelle division du travail qui est un principe de cohésion de la société instaure la solidarité. Il parle de "solidarité subjective" qui agirait sur les consciences. Des services échangés naîtrait un système d'obligations morales qui rapprocherait les hommes, un filet de sentiments sociaux, ce qui expliquerait la persistance du lien social malgré l'effritement des groupes de ressemblance et de tradition. Ainsi les droits de l'individualité sont mis en lumière pour définir la solidarité.

On peut voir dans cette vision de E. Durkheim les prémices de l'État Providence; en effet, il reconnaît que parler de cohésion sociale est bien utopique si certaines conditions ne sont pas réalisées (division des fonctions choisie et adaptée, conditions de départ égalisées pour une division positive et ressemblance morale entre individus pour une harmonie - moralité obtenue par des groupes de pression (associations. coopératives. corporations). Il place donc en préalable l'amour et la fraternité comme forme primitive de la solidarité dans laquelle des individus peu différenciés sont absorbés dans des groupes qui les assimilent. C'est ce qu'il appelle la solidarité mécanique.

Ensuite vient la solidarité organique qui illustre la différenciation des individus et leur complémentarité fonctionnelle par la division du travail qui doit exprimer les inégalités naturelles. L'individu s'épanouirait en intégrant une entité morale dans la société.

E. Durkheim constate bien que l'industrialisation a tendance à isoler les individus et que cette solidarité basée sur la morale ne suffit pas. Il préconise des normes juridiques à mettre en place pour définir les règles de coopération et d'échanges de services entre participants au travail collectif. Pour cela il met l'État sur un piédestal et lui donne un rôle essentiel, quasiment mystique, découlant de la transformation des formes de solidarité : l'État doit devenir prééminent comme le lieu d'élaboration des décisions engageant la collectivité, il doit penser, agir, accroître la liberté et la dignité des individus par sa fonction de protection.

Cette vision de Durkheim sera reconnue officiellement. Il obtiendra la chaire de l'éducation à la Sorbonne en 1902, chaire qui jusque-là était occupée par Ferdinand Buisson qui deviendra pendant 22 ans député radical socialiste.

Un rapport sur la division du travail sera réalisé par C. Bouglé, disciple de E. Durkheim et professeur de sociologie à la Sorbonne à la même époque. Ce rapport rassemble un certain nombre de théories sur la division du travail. Pour les élaborer ont été utilisés, entre autres, les travaux de E. Durkheim, A. Smith, G. Simmel, K. Marx et Ch. Gide[15].

Ce rapport caractérise avec précision le fonctionnement de la grande industrie en insistant sur le sens du terme "division du travail": différenciation des tâches des coopérateurs dans une même entreprise ou section. C'est le travail qui est décomposé et non plus la production qui est sectionnée. De plus, chaque travailleur est cantonné à une tâche particulière et la spécialisation doit entraîner toujours plus de spécialisation.

Quant à son aspect social, il répondrait à un besoin d'ordre dans la vie économique, spirituelle et sociale. Une interrogation sur le sens du mot travail est donc posée : "(…) c'est de toute espèce d'activité qu'il faut se demander dans quelle mesure et sous quelle forme elle est spécialisée", si elle a un objectif d'intérêt social (matériel ou spirituel). Le travailleur n'étant plus dans un cercle fermé, l'accès à la connaissance et au suffrage doit faire contrepoids à la fonction industrielle et les cercles sociaux deviennent en principe ouverts à tous. Apparaît alors " la complication sociale"[16] due à l'entrecroisement des cercles sociaux qui permet l’individualisation, c'est-à-dire à la diversité des rapports individuels dans une cohésion sociale.

Toute notion de lutte de classe est ainsi contestée et, à fortiori, celle de la détermination d'une classe sociale liée uniquement à la division du travail.

Ce rapport renvoie à la "solidarité intime" de E.Durkheim qui serait une conséquence du progrès obtenu par la division du travail qui crée un système d'obligations morales, de devoir de solidarité qui entraîne la persistance du lien social.

 

La paix par le Droit

 

En cette fin de siècle, l'administration étatique va s'adapter à l'organisation de l'industrie avec ses usines comme symbole de l'efficacité du rendement et du contrôle pour une meilleure exploitation de la division du travail. Elle se centralise: contrôle, précision, hiérarchie, à l'image du fonctionnement de l'usine. Entre 1840 et 1880, ses effectifs ont doublé.

L'enseignement va s'adapter à la révolution industrielle: est mise en place une instruction primaire de base et civique pour une meilleure adhésion à la République et une formation minimale de la main d'oeuvre. La classe capitaliste domine car elle maîtrise l'économie. Son autorité est renforcée par la concentration des capitaux. Toutes les lois sur les sociétés sont votées sous le Second Empire. La politique est ainsi contrôlée. La démocratie individuelle et représentative séduit en répondant aux revendications du droit à l'instruction et à la législation du travail.

Les politiques s'adaptent à cette nouvelle idéologie de l'ascension sociale individuelle (lois scolaires de J. Ferry en 1880).

Enfin, la bourgeoisie exerce un pouvoir social, monopolise l'information, les œuvres de charité. Stabilité et prévoyance sont ses vertus pour faire fructifier le capital.[17]

La notion de "science sociale" a émergé avec la sociologie de Durkheim. Une nouvelle revue illustre cette science: La Science Sociale. Elle émane d'un courant des disciples de Le Play. Tout y est centré sur l'organisation du travail et la gestion du personnel. Le patronage devient une pratique de gestion de la main d’œuvre[18].

L'Économie Sociale, conçue par Le Play, va servir tout autant le conservatisme religieux que la bourgeoisie industrielle libérale. La nouvelle division du travail s'officialise en devenant morale. Prend forme un compromis dont s'emparera l'État en devenant le garant de la solidarité dans l'entreprise.

Charles Gide (1847-1932), économiste, va, semble-t-il, jouer un rôle important en faisant redémarrer le mouvement Coopératif (qui avait subi un coup d'arrêt pendant le Second Empire), dans un esprit d'humanisme et d'harmonisation entre riches et pauvres. La notion de solidarité qu'il défend n'est pas en dissonance avec le capitalisme de cette fin de siècle. Il va jouer un rôle important dans l'élaboration de cette nouvelle conception de la solidarité: le solidarisme, qui deviendra la doctrine du Parti Radical et sera présentée comme une philosophie alternative.

C'est peut-être lui, finalement, qui permet le mieux d'illustrer ce que représente l'économie sociale de ce siècle traversé de questionnement: avec ou sans l'État? avec ou sans les industriels? avec ou sans l'Èglise? avec ou sans les syndicats? pour la Paix par le Droit.

Pour la paix par le Droit fut une revue parue en 1893. Elle deviendra une association à laquelle collaborera Charles Gide. C'est un carrefour de différents courants de pensée inspirés de christianisme et d'humanisme. Gide va faire le lien entre la religion et cette nouvelle science sociale.

Tout d'abord, pour lui, la source de la solidarité est dans le fond de la doctrine chrétienne, à savoir que l'humanité porte le poids du péché originel mais qu'elle peut y échapper en s'appropriant les mérites du Christ, la faute et l'expiation expliquant l'origine et le destin humain. Lorsqu'il parle du Christ, il le présente comme le chef d'une humanité nouvelle: "quelle que soit d'ailleurs l'opinion que l'on puisse avoir sur sa nature divine, il a pu être salué comme le type le plus parfait de l'individualité"[19] Il cherche une affinité entre l'évangile et la science, donne des arguments moraux à ses explications scientifiques et rejoint la morale laïque conçue comme une limitation à l'initiative individuelle prônée par le libéralisme. Pierre Leroux parlait aussi de Jésus comme du plus grand économiste qui soit.

Ce mélange de religion et de rationalisme se lit aisément dans le rapport qu'il rédige pour l'Exposition Universelle de 1900. Il imagine qu'il expose les composantes de son " économie sociale" dans une cathédrale en y plaçant dans la grande nef toutes les formes de libre association, c'est-à-dire les coopératives, es mutuelles et les formes de l'organisation libre et volontaire, y compris l'association syndicale[20].

L'économie sociale qu'il revendique est surtout axée sur l'objectif d'amélioration de la condition sociale des moins favorisés, la recherche du meilleur accompagnement social qui soit. Cet objectif ne peut s'envisager que s'il y a partage des responsabilités au service de tous. Donc une telle solidarité active ne peut exister qu'avec le concours de: la science sociale qui permet de faire comprendre que l'intérêt de tous est d'être solidaires, l'intervention de l'État comme conscience collective.

Pour lui les coopératives représentent le système d'organisation parfait pour qu'existe une réelle solidarité, la forme supérieure du système de production étant la coopérative de consommation parce qu'elle interdit la manifestation d'égoïsmes corporatifs, tout le monde étant consommateur. Ainsi la solidarité active permet à chacun d'avoir un travail. Dans sa conception, le travail est sacralisé et tout pauvre par paresse doit exécuter un travail obligatoire.

Si Gide voit dans la coopérative la transformation de l'ordre économique et social, c'est aussi à condition que soit mis en place un apprentissage de la citoyenneté par une éducation morale. Il rejoint ainsi l'idéologie du Parti Radical dont le credo est l'éducation du peuple pour la diffusion de l'esprit critique, de la science et de la raison.

L'université populaire est, pour lui, une oeuvre de paix sociale, la concrétisation de l'économie sociale, le rapprochement des classes par la communion des belles choses. En cette fin de siècle, l'université populaire va, en effet, occuper une place centrale au sein des expériences d'éducation sociale. On y propage une philosophie de la conviction dans la perfectibilité de l'individu. C'est aussi un laboratoire d'apprentissage du lien social, l'association d'hommes égaux et libres qui travaillent pour faire émerger un État social supérieur représenté par la République Coopérative.[21]

L'économie sociale s'institutionnalise avec la reconnaissance du droit d'association. Gide fait une analyse des associations aux Expositions de 1889 et 1900 en s'inspirant de Le Play. Son analyse se veut scientifique. Au congrès de l'Education Sociale de 1900, beaucoup d'intellectuels s'intéressent à la solidarité comme à une doctrine scientifique, à un concept sociologique et non seulement comme à une idée républicaine.

Les Radicaux (dont Bourgeois et Buisson) s'appuient sur l'œuvre de Gide pour préciser que l'association est le lieu où s’exerce la solidarité à condition qu'elle implique un sacrifice de l'intérêt individuel en échange d'un avantage social[22].

Gide voyait tout de même bien au-delà de ce pragmatisme national; il croyait en un monde harmonieux, humain entre possédants et prolétaires. Pour lui la coopérative économique associe travail et capital en faisant du travailleur le propriétaire du fruit de son travail. Il y donne une dimension internationale et préconise une voie nouvelle qui se situerait entre libéralisme et collectivisme.

 

 

Triomphe du syndicalisme ouvrier -

 

Petit à petit des règles de droit vont permettre de donner une connotation morale à la grande industrie et à l'intérêt de chacun.

L'Association, interdite s'il s'agit de remettre en question le libéralisme économique, tolérée dans un but de réforme sociale, a une reconnaissance officielle en 1884 à travers le Syndicat Professionnel (ouvrier-patron). Ces regroupements professionnels vont très rapidement permettre une organisation centralisée des ouvriers en Fédérations puis en Centrale avec la naissance de la C.G.T. en 1895.

Le courant du Catholicisme social se développera plus tardivement pour aboutir à la C.F.T.C. en 1919.

Le Syndicalisme va devenir prédominant comme moyen de lutte des ouvriers au détriment des Coopératives qui tomberont en désuétude. La "lutte de classe" est dans l'idéologie du Parti Ouvrier Français dit "Marxiste". Cette connotation politique n'existe pas dans le Coopératisme.

Paul Lafargue, défenseur du "marxisme", critiquait de façon virulente la morale positiviste dans son célèbre discours "idéalisme et matérialisme" l'opposant à Jean Jaurès en 1895 :

"... les idéalistes, les plus positivistes surtout, affirment que les idées de justice et que la morale sont en progrès : cette théorie est faite pour plaire aux capitalistes qui érigent leurs pratiques industrielles et commerciales en actes de vertu. Mais il est difficile d'admettre cette évolution progressive de la justice et de la morale, si chère aux Auguste Comte, Herbert Spenczer et autres profonds philosophes bourgeois de même myopie scolastique...; une des premières lois de 1789 proclame la légalité de l'intérêt de l'argent qui, auparavant, n'était que toléré ... le prêt à intérêt serait donc une forme supérieure de la morale, si ce n'est la plus supérieure, d'après Comte, Spencer et autres amateurs de la "perfectibilité perfectible" de la justice et de la morale"[23].

Des économistes de renom critiquent aussi ce courant d'économie sociale et s'opposent à ce qu'ils appellent un réformisme social.

Léon Walras (1834-1910), professeur d'économie politique à l'Académie de Lausanne, définit l'économie sociale ainsi: "J'appelle Economie Sociale ... la partie de la science de la richesse sociale qui traite de la répartition de cette richesse entre les individus et l'État et qui recourt au principe de la justice et non pas, comme le font l'école de Le Play et nos facultés de droit, l'étude des institutions patronales et philanthropiques, de la coopération et de l'assurance, tous sujets intéressants d'économie politique appliquée dépendant du principe de la Charité, de la Fraternité, de l'Association libre, tout au plus de l'Utilité sociale, et dont la substitution aux questions de la propriété et de l'impôt dans l'économie sociale, fait à un point de vue conservateur ou radical, n'a qu'un but: rendre plus tolérable le sort des prolétaires afin de permettre aux bourgeois et paysans propriétaires de jouir tranquillement au meilleur marché possible, de leurs revenus, traitements et rentes"[24].

 

Le compromis "solidariste"

 

On voit poindre l'acceptation implicite du mode d'organisation du travail industriel chez les Radicaux. Une pensée pragmatique, teintée de démocratie sociale, est propagée : la conciliation de la liberté individuelle et du devoir social. L. Bourgeois vante cette idéologie, inspirée largement de la pensée de E. Durkheim, dans un petit livre paru en 1897 "Solidarité".

Sont mises en avant, comme remède aux contradictions, les Associations de forme mutuelliste et les Coopératives comme lieux de rassemblement et d'entraide pour une démocratie sociale.

La doctrine "solidariste" entérine la question sociale. Entre l'État et l'industrie libérale il fallait un compromis qui stabilise l'un et l'autre. Désormais l'État va prévoir, protéger le travailleur, lui apporter une instruction morale qui lui donne conscience de son devoir social au sein de la nouvelle division du travail dans l'entreprise, organisée scientifiquement.

Cette organisation scientifique du travail aurait pour but l'abaissement du prix de revient des marchandises pour un accroissement des valeurs d'échange et devait donc tendre à un rendement maximum des ouvriers. Dans cette optique, la parcellisation des tâches ne peut être que louée car elle devient le moyen d'enrichissement de la nation. La technique du métier peut être perfectionnée par la spécialisation des tâches mais il y aurait danger d'accumulation sans une mise en ordre par le maintien d'un idéal. Pour cela il faut des têtes pensantes, des élites capables de diriger, le découpage du travail pouvant entraîner une sclérose intellectuelle.

Il y a surtout une autre crainte, c'est le risque de disparition de solidarité, de lien social entre les ouvriers, sans organisations qui les regroupent; et il faut avant tout, pour redonner une personnalité à l'ouvrier, le préparer par un minimum d'instruction à prendre part à la vie intellectuelle et à la vie politique.

Cette nouvelle solidarité met en avant les droits et les devoirs de chacun, la liberté de travailler en fonction de ses facultés, le respect de l'autre. Pour que cette liberté ne soit pas fictive, il faut donc intervenir sur les facultés sociales (dépendant du milieu familial), créer une structure juridique qui aille dans le sens de l'égalité ou -comme le dit C. Bouglé - de "l'harmonie des consciences"[25], et enfin créer l'ordre par le biais de regroupements en associations pour maintenir la morale dans les consciences individuelles. Ces regroupements doivent se faire par profession. Ils maintiendront ainsi la moralité qui est propre à la coopération.

Ces Associations doivent être des organes de protection et de direction, adaptés à l'industrie moderne avec la mise en place d'un système de corporations, comme le préconisait Durkheim. Pour le Parti Radical, ce sont les mouvements d'entraide comme mutuelles, coopératives, associations syndicales qui vont jouer ce rôle.

Puisque ce sont les droits et les devoirs de chacun qui prévalent, les juristes vont jouer un rôle important dans la mise en place de ces droits entre l'État et l'individu.

Duguit et Hauriou vont être les théoriciens du Droit Public. Sociologie, Morale et Droit sont intimement liés dans l'enseignement de la sociologie à la fin du 19° siècle; cette nouvelle discipline, annexée à la philosophie, a surtout trait à l'histoire de l'Économie Sociale. Il y a des cours d' "économie sociale comparée" à la Faculté de Droit de Paris.

 

REACTIVATION DE LA SOLIDARITE

 

Au 19è siècle, l'économie sociale représentait donc le consensus républicain. Il répondait au souci de réorganiser le travail et regroupait prolétaires et bourgeois autour de l'hymne du progrès infini dont les bienfaits rejailliraient suivant les capacités de chacun.

De l'humanisme de Pierre Leroux, en passant par le Solidarisme de la 3° République, intérêt particulier et intérêt général se sont fondus dans la grande entreprise capitaliste jusqu'à la fin des années 1970.

L'expression d'économie sociale avait pratiquement disparu depuis le début du 20è siècle. Toutes les contradictions paraissaient résolues et le centralisme industriel des "trente glorieuses" permettait à l'État de s'octroyer le statut d' État Providence qui garantissait la paix sociale et le plein emploi.

À la fin du 20è siècle ce centralisme industriel vole en éclats et l'État-Providence doit réactiver le secteur de l'économie sociale pour venir au secours du non-emploi .

L'économie sociale va réapparaître sous deux formes officielles :

- d'une part, en tant que science économique étudiant l'interdépendance de l'économique et du social, l'État ayant une politique dite d'intérêt général et l'économie de marché représentant l'intérêt individuel, ou plus exactement le bien-être optimal de quelques uns;

- d'autre part, en tant qu'institution de fonctionnement de la politique économique de l'État, institution appelée communément "tiers secteur".

La science de l'économie sociale trouve donc son application dans ce "tiers secteur" regroupant les réseaux associatifs chargés de mettre en place des activités pour les exclus de la modernisation avec les dispositifs des politiques publiques de lutte contre la pauvreté.

Cette expression de "tiers secteur" est apparue au cours des années 1970 au moment où l'extension du chômage conduisait à s'interroger sur le mode de production capitaliste (mode que les tenants de l'Économie sociale nomment pudiquement " la forme la plus traditionnelle de mise en œuvre  de la production"). L'ambiguïté de ce secteur et son rôle semblent parfaitement assumés par ceux qui prônent son utilité: "l'économie sociale cherche à instaurer une structure alternative, montre un refus de la logique capitaliste, le désir d'un autre ordre social qui reste autonome, loin de l'étatisation. Sa marginalité ne la rend menaçante ni pour l'État, ni pour le capitalisme, mais ses intentions lui confèrent un avantage immédiat : une grande souplesse d'adaptation aux besoins de ce temps de crise".

Cette définition a été relevée dans l'éditorial des Cahiers Français n° 221, mai-juin 1985 - Edit. La Documentation Française.

 

Nouveau droit a l’insertion et État Employeur

 

Le droit au travail se transforme en droit à l'insertion géré par ce nouveau secteur de l'économie, qui va être officialisé.

En 1980 une charte définit la constitution de ce secteur regroupant plus de 20 millions d'adhérents et employant plus d'1 million de travailleurs (Cahiers Français n° 221 mai/juin 1985 déjà cité)).Il faut noter que le texte de la charte utilise exclusivement dans ses 7 articles l'expression "les entreprises de l'économie sociale". Dans le préambule de cette charte, on peut lire que ce sont les coopératives, les mutuelles et les associations qui constituent ce secteur de l'économie sociale.

En 1981, une Délégation à l'Economie Sociale est rattachée au 1° Ministre (DIES).

En 1982, est créé un Comité consultatif, lieu de dialogue permanent entre les trois composantes de l'économie sociale (coopératives, mutuelles, associations).

En 1983, le principe de la coopération est reconnu dans le secteur des entreprises. Un institut de développement de l'économie sociale est créé: outil financier destiné à améliorer la situation en fonds propres des entreprises de ce secteur.

En 1984, dans le cadre des "contrats de plan État-Régions" sont créés des outils de développement, qui sont des lieux de rencontre et de dialogue au niveau régional. Ils doivent permettre de s'associer aux politiques de développement local.

En 1985, la capacité entrepreneuriale et gestionnaire des associations est renforcée par la loi instituant le titre associatif, allant dans le sens d'une adaptation aux problèmes de terrain pour la mise en pratique des dispositifs successifs des politiques publiques.

Les dispositifs d'insertion vont pouvoir se mettre en place. Ils concrétisent un rapport de synthèse élaboré par "la Fondation pour la recherche sociale" à laquelle a collaboré un groupe de travail ministériel, achevé en 1981 et s'intitulant :" contre la précarité et la pauvreté - 60 propositions".

Les dispositifs se suivent et se renouvellent à grand renfort de médiatisation mais c'est la mise en place d'un revenu d'insertion qui a fait resurgir les débats sur la pauvreté et sa gestion en terme de droit et de devoir.

Des propos relevés dans le journal officiel sur les débats parlementaires à ce sujet sont édifiants: "Cette politique est dans le prolongement des grands principes républicains et du préambule de notre constitution sur le droit à l'insertion qui devient pour tous une ardente obligation nationale "[26].  Ou encore: "La politique d'insertion est une utopie créatrice"[27].

Dans le même temps les pouvoirs publics récupèrent coopératives, mutuelles et associations en leur donnant les moyens d'intervenir dans l'économie de service entrant dans le tiers secteur. La notion d'intérêt général va être exploitée par eux pour moraliser (revaloriser des emplois de faible intérêt)  les emplois et les travailleurs du tiers secteur. L'insertion se concrétise par le biais de "contrats emploi solidarité" qui, de précaires, vont vite être "consolidés", c'est-à-dire dont la durée peut aller jusqu'à 5 ans (loi du 29 juillet 1992).

Ce "contrat emploi solidarité" (C.E.S.), créé en 1988, s'applique à tous les publics exclus de la politique de l'emploi[28].Son postulat consiste juste à mettre en situation de travail.

Les organismes publics, les collectivités territoriales et les associations profitent de cette aubaine de contrats à bas prix, n'impliquant pas de pérennisation des postes de travail. L'intérêt général enrobe le contrat précaire d'une valeur de solidarité.

Réussira-t-on à culpabiliser le contractant au point qu'il en arrive à considérer que cet intérêt général se confonde avec son intérêt particulier ?

Déjà, à ce moment-là, une culture d'éthique solidaire est diffusée par les gestionnaires du tiers secteur. Le but est que toute activité humaine doit prendre la forme d'une innovation rentable. Certains ont une formule admirable pour dire la même chose : il faut réencastrer l'économique dans le social.

Les revues économiques officielles proposent, diffusent depuis quelques années une notion de "pleine activité". Pour l'O.C.D.E., cette notion intègre les données suivantes :

- relativisation de la place donnée à la représentation utilitariste du comportement humain (un petit bout d'insertion suffira donc) :

- généralisation des possibilités de travail à temps choisi (chacun peut choisir sa mise en précarisation) :

- on met l'accent sur les chômeurs et les exclus pour les aider à devenir acteurs de leur insertion  (on les culpabilise) :

- ces règles du "jeu social" vont concilier liberté de choix individuel et existence d'un lien social (culpabilité et dépendance accrue).

Alain MINC, qui a présidé la commission ayant rédigé le Rapport au Premier Ministre en 1994 La France de l'an 2000 tient aussi un discours moraliste en demandant à l'État de concilier éthique et économie de marché[29]. Rien de vraiment nouveau donc si ce n'est de rappeler aux pouvoirs publics qu'ils doivent multiplier règles et lois nouvelles au nom de la morale et de l'éthique pour maintenir leur légitimité.

Les axes de recherche s'appuient sur des rapports d'experts économiques concernant la flexibilité du travail. Il est clair que pour réduire le chômage il faut augmenter la flexibilité.

On enrobe les discours dans une vision positive de progrès: "l'opposition à première vue" de l'intérêt économique et de l'intérêt individuel doit amener la mise en place d'un "pacte social" au terme duquel les intéressés s'engagent à favoriser l'efficience en même temps que le progrès social[30].

Il appartient aux pouvoirs publics de jouer ce tour de passe-passe : le bien-être doit passer par une précarisation de l'emploi pour le plus grand nombre dans l'intérêt général d'enrichissement de quelques-uns.

 

Légitimation étatique

 

Au sein du gouvernement, chacun y va de son discours humaniste sur la lutte contre l'exclusion.

Pierre Rosanvallon[31] illustre assez bien l'idéologie qui a cours dans les milieux officiels. Interviewé[32] sur son livre La nouvelle question sociale, il parle de la nécessité d'une vision civique du social et d'une "vision active de l'État-Providence", ce qui veut dire pour lui que le principe de solidarité doit se déplacer de la division du travail à l'appartenance à la cité. L'État doit produire de l'insertion en y donnant un sens d'appartenance à la nation, "repositiver" en quelque sorte l'idée du progrès social. L’État doit donc maintenant être une "forme politique" du rapport social, un "État de solidarité"[33].

Ce qui rejoint, d'ailleurs,la démarche du courant d' "économie solidaire" pour lequel il s'agit de trouver un nouveau modèle d'action collective refondant politiquement le principe de solidarité sur la base d'une nouvelle distribution de la légitimité et des compétences entre l'État et la société civile[34].

Rosanvallon va même jusqu'à préconiser de nouvelles normes de catégories, non plus basées sur le revenu mais indexé "sur des facteurs objectifs ou hérités"[35]: handicapé/ bien portant, jeune / vieux, emploi protégé / emploi exposé, grâce à la meilleure connaissance que la société a de ses différences. Différences qu'il explique du fait du déterminisme individuel (avancées de la génétique) et du déterminisme économique[36]: " le prélèvement de solidarité sera d'autant mieux accepté qu'il sera indexé sur des facteurs objectifs ou hérités à partir d'une appréhension élargie du champ des différences et des inégalités".

Ces propos extrêmement dangereux vont être suivis d'effets. Le principe d'égalité de tous devant la loi se voit tronqué en notion d'équité justifiant - sous couvert de rétablir l'égalité des chances de chacun - des mesures joliment nommées "discriminations positives". Ces mesures vont permettre de fixer géographiquement les zones porteuses de "malchanceux" et d'y "produire" des espaces de vente de citoyenneté en tranches. Bon nombre d'associations vont s'engouffrer dans ce créneau et revendiquer cette production de citoyenneté sociale par les pratiques qu'elles mettent en place.

Juste un exemple pour fixer cette citoyenneté sociale: prenons un projet de réseau interregional visant à mettre en place un syndicat de chômeurs. La Directrice de ce réseau a également fondé une maison des chômeurs depuis 10 ans. Elle en parle comme d'un espace micro-socio autonome où les chômeurs représentent un pilier potentiel de l'économie solidaire, à condition qu'ils disposent d'un collectif qui les redynamise et les représente.

Comment fonctionne cette maison de chômeurs? Trois principes de base:

1 - l'organisation du temps libéré avec pour objectif de rentabiliser ce temps par l'émergence de projets ;

2 - la citoyenneté sociale ;

3 - la mise en place d'un dispositif permettant la concrétisation de projets, la création d'activités économiques (animation d'un temps d'heures de formation par des "non chômeurs").

Avec quel financement? Des subventions des collectivités locales et du personnel employé sous forme de contrats emploi solidarité renouvelés.

En résumé, le chômeur doit justifier de son appartenance à la cité en devenant inventif, créatif, porteur de projet qui doit devenir rentable pour la collectivité, le développement local, en échange de quoi une rémunération de solidarité lui sera versée[37].

 

Nouveaux partenaires de l'État

 

La compétitivité dans l'exclusion prend forme. C'est la course à la reconnaissance officielle à grand renfort de médiatisation. 30 associations sont sélectionnées pour recevoir le label de participation au "pacte contre l'exclusion" pour avoir mis en avant les principes suivants: redonner du sens à la devise républicaine de l'État de droit, appliquer pleinement les lois organisant la solidarité, valoriser la citoyenneté des pauvres en les accompagnant dans leurs recherches, en créant des groupes de solidarité avec eux en vue d'un meilleur partage des activités.

Au regard de la liste des associations reconnues, on s'aperçoit que le verrouillage politique est déjà bien mis en place même si le premier ministre, A. Juppé, ne cesse de répéter aux associations que ce sont des partenaires de l'État dont l'indépendance doit être garantie et que le mouvement associatif détient "certaines clés pour résorber la fracture sociale et construire le pacte républicain cher au Président de la République[38].

Les associations retenues adhèrent toutes à l'UNIOPSS dont le Président, René Lenoir, est Conseiller de Mr. Chirac.

Au 24è congrès de l'UNIOPSS, les 17,18 et 19 janvier 1995 à Tours, dont le thème était "pour un nouveau pacte social, les solidarités associatives en action", René Lenoir a rappelé le fondement des associations: vers une société de justice et de solidarité, mais aussi nécessité de mieux faire valoir ses capacités à s'adapter pour justifier son rôle au service du développement des solidarités.

Dans cette grande union solidaire "en compétitivité", quelques associations sont promues:

- " Solidarités Nouvelles face au chômage " créée en 1985. Son Président est J.B de Foucauld, ancien Commissaire au Plan (11è Plan 93/97). Les thèmes de ce 11è Plan étaient la compétitivité à enrichir dans une cohésion sociale.

- "Coordination des Organismes d'Aide aux chômeurs par l'emploi " (COORACE) créée en 1985.

Ses actions principales sont :

- participation à la rédaction d'une loi sur les Associations intermédiaires en 1987. L'objectif est de permettre le développement des services au ménage et d'en accélérer la création:

- création d'emplois familiaux

- création de chantiers-école et d'insertion

- interim d'insertion: explorer les gisements d'emploi dans le public en difficulté pour des activités sur l'environnement.

Pour justifier de sa rentabilité, la COORACE va s'impliquer dans la mise en place d'actions liées au R.M.I. en mettant en avant l'utilisation de dynamiques personnelles, la valorisation de la générosité, la responsabilité du cheminement jusqu'à l'insertion définitive.

Un Conseil National de l'insertion par l'activité économique est créé en 1991. La COORACE en est vice Président. Au sein de ce conseil, on parle d'une forte demande de services hors du champ d'intérêt des entreprises performantes, sans rentabilité directe, à savoir: des services d'intérêt collectif (sites, urbanisme, loisirs, qualité de vie), une aide aux chômeurs, délinquants, illettrés, frappés d'impécuniosité, des services palliant les défauts d'une production de masse.

Le Président du Conseil de l'insertion parle de "la nécessité d'un nouvel ajustement dans le système compétitif mondial"[39]. Il propose, compte tenu du fait que tous ces nouveaux services ne peuvent être rendus par des robots ou des logiciels, d'avoir du personnel motivé, encadré, qui ne demande pas de gros investissements. Il faut donc exploiter ce nouveau gisement humain. Il fait le constat d'une incompatibilité entre la haute technologie, la recherche de profit et le besoin d'ordre sociétal que ce système suscite et propose donc d'agir sur l'offre et la demande dans un sens différent de celui de Keynes, c'est-à-dire: offre au sens de l'insertion des travailleurs exclus, demande au sens des besoins non satisfaits par le système productif. L'objectif, en agissant sur ces deux aspects, est d'enrichir "le secteur hautement productif prioritaire "...." l'emploi adapté et accompagné coûte moins cher que l'assistance" et ... " les activités porteuses d'emploi créent les conditions d'un développement local solidaire atténuant les mutations du capitalisme"[40].

Ainsi, le travailleur social devient le nouveau gestionnaire des ressources humaines exploitables et une activation sociale se recompose pouvant devenir productive en englobant la marge dans des procédures contractuelles, des logiques de projets.

L'égalité est dans la capacité à produire qui fonde la citoyenneté. Ce postulat d'A. Smith est toujours bien présent, la subtilité est de convaincre que cette capacité se manifeste au sein de dispositifs d'insertion.

De ce secteur d'économie sociale, vêtu de ses oripeaux de citoyenneté solidaire, émergent toutes sortes d'initiatives ponctuelles portées par des projets censés s'inscrire dans une stratégie de l'innovation. S'y retrouvent des travailleurs sociaux pour "insérer" des marginaux, des scientifiques en recherche d'une reconnaissance de brevet, des chômeurs en mal d'emploi, des intellectuels nostalgiques de collectif.

Dans cette mouvance, le courant d' "économie solidaire" se verrait bien prendre la place du syndicalisme. Laville voit déjà l'institutionnalisation du courant qu'il porte entre économique et politique et son ins_c_r_i_p_tion dans le champ politique comme entité collective dans un espace public conflictuel.

Il sacralise le travail, l'humanise, l'idéalise à condition que puissent s'instaurer des espaces micro-publics en remplacement des syndicats ouvriers. Il veut établir un nouveau compromis en gardant l'idée que le travail ou l'activité sociale reste le grand intégrateur.

Ses affirmations sur les tentatives d'économie solidaire par les associations ouvrières d'avant 1848 mettent toujours en avant un souci de rassemblement populaire. Pour lui l'association est là pour atténuer les inégalités liées aux normes socio-culturelles du milieu familial, pour contrecarrer les inégalités des réseaux relationnels primaires entre la famille et l'État. Il revendique un rôle de médiateur pour le peuple et se soucie peu de la précarisation galopante.

Se considérant négociateur, entrepreneur citoyen, il revendique à ce titre des subventions pour agir dans l'économique et concrétiser cette solidarité active.

Un nouveau droit à l'initiative sociale entre dans une logique d'itinéraire personnel. Il est vite récupéré par les instances départementales telles que chambres de commerce, de l'industrie, des métiers, de l'artisanat, qui mettent en place des réseaux d'accompagnement aux projets valorisables économiquement.

 

 

Lucidité des promoteurs d'économie sociale

 

Dans la sphère des pouvoirs publics on avance ce nouveau concept de pluri-activités qui permet une redistribution du travail sous forme élargie. Dans le Rapport du Plan sur la France de l'an 2000[41], on peut y lire ,dans la liste des orientations, la nécessité de rebâtir un cadre institutionnel au travail ,non pas fondé uniquement sur un contrat de travail, mais qui intègrerait toutes les formes d'activités entre emploi et inactivité : formation professionnelle, stages, activités bénévoles, chômage temporaire. Le contrat de travail serait intégré à ce nouveau contrat d'activité. Le but est de faire accepter l'idée que la fonction sociale utile n'est plus liée à un emploi à temps plein. Cela réduirait la fracture entre les salariés et les chômeurs puisqu'il n'y aurait plus d'espace vide de reconnaissance sociale..

On en arrive ainsi à une promotion "d'économie solidaire" qui se développe en activités associatives (péri-scolaires, accueil des enfants, café/musique, régie de quartier, aide à domicile, restaurant de quartier). Ce nouveau courant d'économie solidaire rejoint la conception de Laville qui voit tout cela comme une "économie alternative en germe"[42] avec vision de réseaux sociaux qui remplaceraient l'entreprise.

Il est clair que toutes ces nouvelles ressources humaines réencastrées sont un nouveau produit managé dans une dynamique de développement rentable économiquement à long terme. Les nouveaux acteurs de "bien commun" doivent savoir sortir d'une logique de niveau de vie et entrer dans une logique de mode de vie pour participer à la vie sociale.

B. Perret et C. Roustang l'expriment fort bien dans leur livre L'économie contre la société[43]: partant du principe que la nécessité objective du marché entraîne une différenciation des modes d'implication dans le travail, il y a ceux qui ont des compétences professionnelles (ce qui suppose des compétences sociales) et ceux qui ne peuvent acquérir que des compétences sociales. Il y a donc des individus inadaptés aux nouvelles exigences du marché du travail, des gens "ordinaires" qui ont un problème d'employabilité.

Le handicapé comme catégorie socio-professionnelle n'est pas loin.

Claude Alphandery, Président du Conseil National pour l'insertion par l'économie, parle lui-même de "l'utopie de l'économie solidaire" (dans un article paru dans le Monde du 24 janvier 1996). Il met en avant le fait qu'il est complètement illusoire de penser que les entreprises d'insertion puissent intégrer des "avancées sociales" au marché concurrentiel. Il maintient, toutefois, que la pratique d'une économie d'insertion reste plus près de la réalité car elle offrirait des chances d'amorcer les mutations nécessaires dans l'organisation du travail et le comportement des consommateurs. Il met  en avant les pratiques actuelles de ces structures d'insertion qu'il considère comme des expériences, des recherches de développement dans deux domaines essentiels :

- la construction d'un parcours d'insertion par un appel à "la créativité et à la dignité" ;

- la mise en place d'une organisation du travail flexible qui devrait intéresser l'économie marchande et en contrepartie ouvrir des marchés de sous-traitance aux entreprises d'insertion.

Le C.N.P.F., dès 1994, évaluait en résultats et en coûts le développement des emplois de service jusqu'en 2000: plusieurs centaines de milliers d'emplois pourraient être créés et le coût serait moitié moins élevé que l'entretien de chômeurs. Il confirme ainsi une demande réelle et un marché à prendre tant en emplois familiaux, animation de quartier, temps libre, écologie et qualité de vie. Le défi est lancé à tous les réseaux associatifs : créer des formations qualifiantes pour la reconnaissance de tous ces nouveaux métiers. Le message est vite compris.

L'intervention auprès des chômeurs se structure dans des réseaux au niveau local, national et européen entre partenaires soucieux, pour diverses raisons, de promouvoir le développement local. Avec ou sans discours sur la solidarité, la ressource humaine (ou le porteur de projet) mobilise représentants de l'Etat, chambres consulaires, associations.

Partenariat, concurrence, complémentarité, compromis? Des luttes de pouvoir apparaissent à tous les niveaux.

 

 

Territoire Providence

 

Les fonctionnaires chargés de mettre en œuvre les dispositifs sur leur unité territoriale se retrouvent à gérer des budgets dans une situation complètement floue avec multiplication d'intervenants et de politiques sectorielles, et tout ceci dans un objectif de cohésion sociale basé sur une logique de projets innovants.

Leur méconnaissance totale des situations de terrain a entraîné la prolifération d'expertises sociales par des "ingénieurs sanitaires" dans l'objectif de décloisonnement des services de l'État, de création d'un pôle social pour les acteurs de l'insertion.

Les Pouvoirs Publics décentralisent leurs valeurs républicaines. La région est l'interlocuteur privilégié; de nouveaux contrats vont être à l'ordre du jour : le contrat d'initiative locale (C.I.L.) est à l'honneur et représente un exemple de salaire d'activité dans le domaine non marchand. C'est la nouvelle formule de la gestion locale de la solidarité. Toutes les orientations sur l'emploi tiennent en une formule sans surprise: "activation des dépenses passives ".

Au gouvernement, on parle de mise en cohérence des actions de collectivités et des associations sur la pauvreté. Se crée une réserve d'insérés utilisables à court, moyen ou long terme. Alors qu'Edgar Morin parle de "renaissance civique" pour évoquer la solidarité et le développement local, on mesure le décalage entre ces propos et ce qui constitue des justifications dérisoires d'exécutants sociaux.

E. Morin présente même cette nouvelle politique comme porteuse d'espérance d'une possibilité de résistance à la déshumanisation des villes et des campagnes en créant une politique de civilisation passant du quantitatif au qualitatif. Et tout ceci grâce aux structures mises en place par les pouvoirs publics pour créer ces nouveaux emplois de solidarité.

Il semble malheureusement plus réaliste de parler d'un droit à l'utilité sociale - comme le fait Rosanvallon qui définit bien la réalité qui se met en place (dans le Monde du 14/2/1995): un État-Providence qui devient "actif" en donnant une approche plus politique aux formes de la solidarité car il ne peut plus, dans sa logique assurantielle, gérer ce qui de risque passager est devenu un état durable. Le droit social doit s'enrichir en droit à l'insertion ou en droit à l'utilité sociale. C'est le nouveau contrat républicain qui redéfinit la notion de progrès social ne devant plus se situer sur la défensive des acquis.

Si certains aiment la redondance des discours humanistes, Rosanvallon ne s'embarrasse pas de fioritures. C'est encore lui qui parle de modèle social nouveau produisant de l'insertion (Le Monde du 31/5/1995) :

- le principe de solidarité ne doit plus être basé sur le principe d'incertitude sur l'avenir mais sur l'appartenance à la cité ;

- le droit à l'utilité sociale peut aussi se constituer dans un espace économique intermédiaire où handicapés et chômeurs confondus constituent une main-d'oeuvre de seconde zone.

Il a au moins le mérite d'énoncer clairement ce qui est en train de se mettre en place.

 

Sociologie de l'autonomie précaire

 

Ce concept d'autonomie est apparu à la fin des années 60. Il permet d'articuler l'individuel et le collectif, le local et le global, d'avancer l'idée d'une régulation des systèmes complexes.

Edgar Morin parle de "science de l'autonomie". Sa référence fondamentale est la biologie, comme cela avait été le cas pour Durkheïm au 19° siècle.

L'autonomie humaine est avancée dans beaucoup de débats. Aux 28è rencontres internationales de Genève sur le thème d'exigence d'égalité, C. Castoriadis parle des principes de liberté/égalité qui constituent l'autonomie humaine et de la société comme auto-création, auto-institution "occultée"[44].

Cela rappelle l'origine de la déclaration des droits de l'homme de 1791, énoncée au profit de l'individu en face de l'État avec des principes de démocratie individualiste égalitaire et libérale. Pour y donner une réalité effective, l'État prend en charge l'obligation de créer les conditions nécessaires à leur accomplissement. La déclaration des droits de l'homme devient une justification socialisante. La liberté est dissociée de la personne, n'est plus un moyen de résistance mais un instrument du pouvoir avec le droit social comme justification[45].

Lorsque l'on parle d'autonomie ou de liberté, c'est d'une "ressource humaine" colonisée au service d'une culture du travail dont on parle.

Gorz parle "d'autonomie existentielle"[46] comme d'une exigence éthique, c'est-à-dire le "libre épanouissement des individualités dans la poursuite d'activités sans rationalité économique". De ce fait, il critique fortement le courant des sociologues de l'économie solidaire et leur concept d'économie plurielle qui s'inscrit dans une signification économique. Il soutient pourtant, dans le même temps, la notion de citoyenneté sociale (forme d'institution du lien social que propose Rosanvallon) revendiquée par un réseau interrégional des Maisons de chômeurs et reconnaît que la pensée dominante est de créer de l'emploi partout. Il faut découvrir des besoins latents et innover. C'est ainsi que se matérialise la liberté, c'est l'ère de l'entrepreneur "Nouveau Saint-Simonien"[47].

Que réclame ce réseau des maisons de chômeurs? Une légalisation du statut de chômeur en tant que nouvelle catégorie administrative professionnelle, au même titre que les salariés, agriculteurs, employeurs, artistes,etc. pour ne pas être exclus de la démocratie représentative syndicale, pour être "citoyens à part entière".

Ce réseau interrégional bénéficie d'un encart publicitaire dans le journal Le Monde. Parmi les signataires du texte on y retrouve, à côté de Gorz, socio-économiste, Guy Aznar, sociologue également, consultant en entreprise, défenseur d'un emploi de 3° type (environnement et proximité) financé par subventions locales et européennes et exonération de charges, J.L. Laville, des représentants de réseaux de création d'entreprise, d'associations humanitaires, chrétienne, et de députés (M. Rocard et De Robien).

À première vue, on pourrait s'étonner de voir le député De Robien soutenir un appel à la reconnaissance de statut de chômeur, lui qui a fait voter une loi (le 11 juin 1996) ayant pour objectif d'aménager et de réduire le temps de travail avec le voeu pieux de favoriser l'emploi, ou tout au moins d'éviter les licenciements. Mais justement l'emploi n'est-ce pas cette nouvelle activité utile portée par le chômeur et rémunérée précairement ?

Cette revendication de normalisation du chômeur n'est pas éloignée de l'analyse faite par le courant d'économie solidaire prenant pour modèle l'économie populaire souterraine de subsistance des plus défavorisés au Chili, mise en place depuis le renversement du gouvernement socialiste en 1973.

Cette économie populaire serait propice au développement d'une économie solidaire du fait que les besoins des plus pauvres seraient satisfaits par des moyens autres que salaire ou assistance. La référence est le "poblador" (pauvre urbain), mot ayant une connotation d'identification sociale en lieu et place d'ouvrier ou de prolétaire. Ce sujet social aurait sa propre rationalité économique "réencastrée" dans un tissu social et culturel.

Mais le souci premier, semble-t-il, de ces "chercheurs" du courant d'économie solidaire est de considérer que le secteur informel du monde populaire doit être institué comme mode de production économique parallèle et reconnu comme acteur économique à part entière[48]. Surtout leur souci est de faire émerger de cette hétérogénéité un noyau stable dont les acteurs accèdent à un statut d'acteur dans la société et donnent ainsi au milieu populaire une reconnaissance de spécificité dans son mode d'organisation.

On voit donc qu'il s'agit là encore d'une appropriation de cette économie populaire pour en faire un concept de socialité: l'identité populaire pré-existerait au mode d'organisation économique et entrerait dans une logique de réseau relationnel, fragilisé par une tension entre la relation et l'argent. Il faudrait donc institutionnaliser l'ensemble des activités socio-économiques reposant sur le droit à l'initiative, et ainsi améliorer leur efficacité du fait de la reconnaissance des pouvoirs publics.

On se retrouve dans une logique de profit, unique et universelle: le droit à l'initiative, le droit d'entreprendre, le droit d'être citoyen économique. Il n'y aurait plus de contradiction entre riches et pauvres mais deux mondes parallèles qui se côtoieraient et communiqueraient par le biais de services rendus avec des organisateurs en communication.

Chaque individu, quel que soit son statut, doit donc juste être reconnu dans un grand bazar consommable.

Il n'en reste pas moins que les pouvoirs publics doivent trouver un certain équilibre de redistribution qui ne fasse pas apparaître de façon trop flagrante les différences et ne tue pas les incitations à l'effort, c'est-à-dire, trouver le bon niveau d'inégalité qui conserve ses droits républicains.

Le travailleur salarié devenant obsolète, un nouveau consensus républicain est nécessaire à partir d'un déterminisme individuel qu'il faut réorganiser pour l'intérêt de tous.

Sous couvert d'équité, des réseaux territoriaux se structurent et stigmatisent les laissés pour compte de la nouvelle organisation du travail dans une course à la compétitivité obéissant à une "loi du marché" devenant virtuelle mais implacablement obsédante.

La multiplicité de ces réseaux jouant la concurrence permet d'englober chacun dans la nécessité d'entreprendre. Tout cela se met en place difficilement mais apparemment sans affrontement, sous le label de "porteur de projet" dans une course dérisoire à une plus-value obsessionnelle de l'espace, allant vers l'implosion de l'humain.

 

Vers la FAMILLE - PROVIDENCE

 

Auto-insertion

Vingt ans plus tard la ritournelle est relancée avec un refrain d'auto-insertion diffusé globalement et localement. Sauf que l'on ne parle plus de la marge mais de la majorité. Tout ou presque a été dit et mis en place pour ce nouvel acte de la pièce d'une République moribonde, triste pantin d'un mode d'organisation à l'agonie également. Des formes et des logos en ombres chinoises passent et repassent sur des écrans destinés à la mise en image du consommateur précaire.

Et c'est à nouveau la notion de solidarité qui est portée à bout de bras pour donner un sens à l'utilité précaire de chaque individu, dissolue dans une mondialisation marchande. La doctrine solidariste a juste déplacé son support: l'entreprise n'est plus le lieu de regroupement des pauvres; c'est le domicile qui  devient le lieu de repérage du «devoir social» puisqu'il suffit d'être connecté et employable virtuellement. Il n'y a plus de frontière entre la vie professionnelle et la vie privée et l'ordinateur. On peut même aller jusqu'à dire que  le smartphone est le nouveau lieu de travail.

On n'est plus dans le droit à l'insersion pour une minorité de personnes mais dans un devoir de chacun à s'auto-insérer. Mieux vaut donc porter l'accent sur le support de la famille qui va permettre de mettre l'accent sur un lien social englobant toutes les catégories d'individus répertoriées jusqu'à présent dans une logique salariale ( jeunes, actifs, seniors, chômeurs ). Pour cela il faut renforcer les valeurs traditionnelles de la famille, la situer dans des réseaux contrôlés, s'adapter aux familles élargies, les complexifier plus encore en mettant l'accent sur la solidarité inter-générationnelle, mettre en place des mesures entraînant un contrôle administratif et fiscal de chaque individu, utiliser et concurrencer le secteur de l'économie sociale en prônant le même credo de lien et de solidarité citoyenne, mettre en image cette nouvelle communauté de famille élargie, recomposée, homosexuelle, inter-générationnelle, auto-entrepreneuriale, tous ces singletons capitalisés,  solidaires virtuellement via internet.

Il semble que les medias soient en train de jouer, avec le tiers secteur, le rôle de syndicat pour contenir et rassembler les individus en quête de reconnaissance. Ce nouveau relais de "citoyenneté" diffuse abondamment un retour aux valeurs familiales.

C'est ainsi que les medias officiels (radios, télévision), qui sont le miroir du "citoyen/consommateur" de base et un support continu pour son maintien en dépendance, font du "lien social" et de la solidarité un nouveau produit miracle de réussite individuelle , en complément de leurs émissions de jeux quotidiennes basées sur un gain d'argent facile et immédiat (voire même au sein de ces émissions).Un nouveau concept vient même de voir le jour: ce n'est plus l'individu qui vient jouer devant l'écran (pour un gain éventuel et pour l'image sur l'écran) mais une famille. Une émission divertissement basée sur ce concept de famille démarre sur une chaîne officielle en septembre 2013.  Représenter une famille » devient ainsi une condition nécessaire pour participer à des concours et à des jeux où le gain et l'image sur l'écran sont l'objectif.

Le marketing famille/génération est mis aussi au goût du jour et divers reportages vulgarisateurs diffusés aux heures de grande écoute dans les journaux télévisés s'y emploient. La plupart des émissions "grand public" sont conçues pour donner une atmosphère "comme à la maison", voire même de donner l'illusion que l'émission s'invite chez les spectateurs.

Récemment, au cours d'un journal télévisé national, un petit reportage sur "la nouvelle tendance" vante un retour aux traditions de la famille conventionnelle avec un renforcement de ses valeurs par le biais d'une pratique qui se généralise: le regroupement intergénérationnel. Les recherches d'arbres généalogiques sont dans le vent grâce aux réseaux sociaux d'Internet, le but étant de regrouper par un lien social virtuel le plus grand nombre de personnes dans chaque réseau familial pour pouvoir faire jouer au maximum la solidarité d'une génération à l'autre.

Au journal télévisé de 20H, le 14 février 2013, un autre reportage intitulé Les fantômes familiaux (ce reportage passe le jour de la St Valentin, cette comédie commerciale dite "fête des amoureux"): le thème est que l'on peut guérir de ses traumatismes en vue d'une autonomie affective et sentimentale. Pour cela il suffirait de trouver l'origine du traumatisme qui a été transmis de génération en génération et que l'on continue à reproduire. Il serait donc important de faire des recherches dans son arbre généalogique sur plusieurs générations pour trouver le secret de famille, la tare, le "fantôme" qui a pêché et perturbé toute la chaîne ensuite. C'est présenté comme un jeu de piste: trouver le fait divers croustillant dans la famille, le secret qui, une fois connu, délivrerait de toutes les peurs et de la douleur transmise.

De plus en plus de psychiatres se nomment "psychiatres transgénérationnels", se disent aptes à donner les clés pour comprendre les douleurs et les éliminer. Il faut "libérer l'espace relationnel" entend-on de l'un d'eux dans le reportage.

Il est intéressant de noter que l'arbre généalogique a fait son apparition aussi dans l'orientation génétique du plus gros marché de la maladie du capital: le cancer.

L'interdépendance des membres de chaque réseau familial doit être mise en avant avec les valeurs de solidarité et d'assistanat inter-famille. On dilue dans toute la société ce qui était la marque de l'Etat/Providence.

Il faut se débarrasser des complexes qui empêchaient d'exprimer ouvertement son attachement à la famille et les transformer en atouts: retrouver sa généalogie c'est le nouveau facebook familial pour ne plus être seul. Cette tendance du retour aux valeurs familiales pourrait paraître contradictoire avec un droit au mariage pour tous. En fait, la vie en couple pour tous fixe le lieu d'ancrage à la maison. Chacun est repéré, en dépendance, solidaire, engagé par un contrat de lien social. D'ailleurs, beaucoup d'homosexuels défendent "la cohésion sociale" dans leur revendication de mêmes droits familiaux pour tous.

La maison devient le point central de repérage.

"Avoir l'esprit de famille" est devenu le nec plus ultra du marketing, c'est la valeur refuge, le nouveau réseau social. Pour exemple, une radio nationale, France bleue, présente son réseau en régions comme "la famille France bleue", ou la "génération France bleue" qui s'agrandit.

Tout devient "maison" :

L'ANPE est devenue " la maison de la cohésion sociale";

Le développement de projets de création dite "artistique" se fait dans un espace appelé "résidence". La plupart des nouveaux artistes (théâtre, chanson, musique), connus ou non, créent leurs spectacles lors de "séjours en résidence" au sein d'associations subventionnées.

Les coopératives ouvrières (S.C.O.P.) sont de retour et prônent l'esprit de famille même si l'objectif premier est d'être reconnues par les "gros", de reconquérir les mêmes marchés.

 

Des cuisiniers "chefs étoilés" sont en croisade pour trouver des consommateurs militants acceptant de cautionner un nouveau label "fait maison".

Les "maisons des parents", "maisons des parents et des enfants", "maisons de famille" existent déjà dans beaucoup de villes, de même que les maisons médicales.

Les banques œuvrent pour le bien de tous à la maison en gérant les prêts et toutes les assurances inter-générationnelles (santé/dépendance/vie/mort).

La maison devient le point d'ancrage de la dépendance et de la marchandisation.Ce nouvel axe vers la famille et le domicile se repère dans les discours affichés de divers ministères :

       - Au ministère de l'Education nationale, on envisage de rendre les parents prioritaires dans les décisions d'orientation de leurs enfants en fin de 3°.

        - Au ministère de la ville, on sollicite la participation des habitants pour une cohésion solidaire dans les quartiers. Récemment, le ministre Lamy, en visite à Nîmes s'est mis en image par un discours vide et adapté au nouveau credo. Il a parlé de territorialisation des politiques publiques, de "géographie prioritaire", de mobilité sociale, de nouveaux quartiers, de coordination. 27 décisions seraient à l'ordre du jour des politiques publiques pour co-construire avec les habitants, les élus et les associations mobilisés tous ensemble en vue d'un objectif : la cohésion sociale.

Il faut éviter les regroupements spontanés basés sur une mise en communauté d'activités et de dépenses quotidiennes (équipements ménagers, potager, garage, bricolage) qui ne soient pas sous contrôle. Certains projets coopératifs d'autogestion de l'habitat ont vu le jour il y a environ 25 ans, sous contrôle des stés HLM, et semblent fonctionner dans un esprit de partage d'habitat (locataires et propriétaires). 350 projets auraient été réalisés mais ce type de fonctionnement doit rester marginal et confidentiel.

Les villes, les associations, les caisses de retraite sont encouragées à participer à la représentation citoyenne et solidaire des seniors. De nouvelles associations se créent pour devenir des lieux de "formation à la responsabilité citoyenne", destinés aux plus de 70 ans.

Une rénovation urbaine inter-générationnelle est prônée pour contrebalancer la prolifération des villages/ghettos seniors. Des expériences de quartiers intergénérationnels sont réalisées dans des villes de moyenne importance, dans les centres-villes avec l'objectif d'un bénévolat solidaire entre jeunes et seniors.

Derrière ces discours se cache une situation de fait qui s'installe à cause de l'inaccessibilité au logement (dont on ne parle jamais): beaucoup d'étudiants sont en co-location chez des personnes âgées pour bénéficier d'un loyer abordable; la contrepartie est leur présence qui crée un lien social et un certain bien-être à la personne isolée.

Les réseaux administratifs des Pouvoirs publics et les réseaux sociaux sur Internet vont s'entremêler par le biais des entreprises du secteur dit "d'économie sociale et solidaire". Pour fixer la solidarité auto-réalisée de la société, elle doit être vue et ce n'est pas un hasard si le mot "plateforme" est utilisé partout dès que l'on parle de projet à l'intérieur d'un réseau : sur la plateforme on installe son "image solidaire".

 

Mise en scène du "devoir être repéré employable"

 

Le secteur associatif est toujours le meilleur gestionnaire de cette nouvelle mise en scène.

Le 18 janvier 2010, F. Fillon signait, dans la plus grande discrétion, une circulaire relative aux conventions d'objectifs, à la simplification des démarches de procédures d'agrément, entre les associations et les pouvoirs publics. Par cette circulaire le gouvernement étend la réglementation européenne des aides aux entreprises à l'ensemble des subventions attribuées, quel que soit l'objet, en affirmant que "la majorité des activités exercées par (celles-ci) peuvent être considérées comme des activités économiques".

Il précise aussi "qu'au delà de 200.000 euros sur trois ans, les subventions pour une activité économique d'intérêt général ne sont acceptables que si elles sont regardées comme la compensation d'obligations de service public". La définition même d'une association est niée dans un tel engagement qui la met en dépendance totale des pouvoirs en place. (Menace sur la liberté d'association en France, article écrit par Didier Minot, président de réseau des écoles de citoyens dans Le Monde Diplomatique de janvier 2011).

À partir du 6 novembre 2013, le projet de loi porté par le ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire accorde un changement d'échelle à  ce secteur  en lui donnant, entre autres, la possibilité de récupérer des salariés de petites entreprises de moins de 50 personnes avec un droit de racheter leur entreprise si elle est mise en faillite. Ce texte redéfinit les contours de quelques 200.000 entreprises de ce secteur qui représente 10% de l'emploi salarié en France. Si la loi est votée, la banque publique d'investissement disposera de 500 millions d'euros pour irriguer l'économie sociale et solidaire. Le ministre, Benoït Hamon, parle «d’une logique de pollinisation de l'économie classique» (l'Express Réussir, nov.déc. 2013).

Les pouvoirs publics tentent ainsi de récupérer toutes ces associations qui créent des liens et calquent leurs discours sur les leurs, développent une multitude de prestations et de contrats illusoires. Les réseaux se multiplient, s'échangent, se connectent et les fichiers informatiques permettent un contrôle de plus en plus insidieux de chacun par les différentes administrations.

Les termes: travail, emploi, insertion, employabilité sont mis au second rang des discours au profit du slogan: créer du lien, de la solidarité. Ainsi au 19° siècle, on parlait du droit au travail, au 20è siècle du droit à l'insertion et au 21° siècle on parle du droit à la solidarité.

Le gouvernement est ainsi favorable au développement de tous types de réseaux sociaux pouvant laisser croire à des possibilités d'émancipations communautaires, de libertés créatrices et rentables, dans la mesure où cette notion prioritaire de lien social et de solidarité est visible.

Lui-même excelle dans la communication et a créé son propre logo: le "contrat d'avenir". Il veut donner l'image du responsable qui met en chantier le maximum d'actions. Ce n'est que de la communication. Moins il y a de contenu, plus se multiplient les créations de comités, de ministères aux titres ronflants. Il faut juste que la notion d'Ètat Providence perdure dans l'esprit de tous, donner l'illusion que l'Ètat paie sa dette vis à vis de tous et pour cela rendre visibles les catégories hors "vie active", les jeunes et les seniors, avec des contrats/allocations de survie,en diluant le tout dans un conglomérat d'interdépendance générationnelle.

Au ministère du travail, on encourage vivement les "envies" de création d’entreprise individuelle autonome pour suivre la tendance véhiculée par tous les réseaux sociaux (virtuels ou non), sachant très bien que l'étendard des emplois d'avenir et inter-générationnels ne sont qu'un logo gouvernemental. D'ailleurs, toute la duplicité publicitaire éclate dans ces deux mots - contrat d'avenir- : on n'est pas hors la loi, on ne triche pas sur la marchandise, grâce à la double interprétation de ces deux mots: pour le crédule ces deux mots se traduisent par "emplois innovants" alors qu'en réalité il s'agit d'un contrat avec un objectif de travail éventuel dans l'avenir.

Ou encore le "contrat de génération": vous en avez deux pour le prix d'un: vous embauchez un jeune et vous conservez un "senior" qui sera son tuteur.

L'emploi virtuel est devenu un grand spectacle. Ainsi, à la chambre de commerce et d'industrie de Nîmes on organise une rencontre avec "les acteurs de l'emploi" appelée "la nuit de l'orientation". C'est une sorte de speed-dating avec pour objectif clairement annoncé (sur une radio) de "donner un sens au futur" ! Sont concernés les collégiens, les étudiants, les adultes. On y trouvera :

- des ateliers collectifs,

- des "bornes" pour chercher un métier

- un "vivier de chefs d'entreprises à trouver"

- et même quelques entrepreneurs présents physiquement !

La CCI envisage de faire fructifier cette nuit de l'orientation par un suivi, non pas pour aider à trouver un employeur mais pour rester motivé dans un esprit de recherche continue, en quelque sorte être le complément du coach d'orientation individuelle, très prisé des parents.

Toujours dans le Gard, va avoir lieu la journée de l'emploi, appelée le salon du taff: les métiers sont regroupés par "villages" que l'on peut visiter, un peu comme une reconstitution historique.

Diverses associations se créent sur des concepts vides, tels que "fécondité sociale", "démarche globale d'employabilité durable" pour attirer des entreprises et des jeunes en "quête de sens".

Depuis plusieurs années, existe une revue Interdépendance, disponible par abonnement sur Internet qui se targue d'être la revue des nouveaux enjeux de société: car "nul n'est à priori inemployable" et les entreprises innovantes doivent faire preuve de solidarité de destin avec la société (peut-on lire sur ce site).

Et c'est aussi sur Internet que l'on trouve un florilège de services émanant d'associations ou d'entreprises :

- "accompagnement pour réfléchir aux possibilités d'évolution",

- "dispositif pour acquérir un titre à finalité professionnelle en lien avec l'expérience professionnelle"

- "entreprise agréée qualité "assistante de vie"

- "développement d’outils de crédit pour porteurs de projets

- "établissement de santé installe "l'hôpital à la maison" etc...

Statut professionnel, qualification, CDI, ce ne sont plus que des gros mots à éviter.

Même les entreprises du secteur d'économie sociale se sont allégées du mot économie. L'insertion s'auto-réalise en créant des liens porteurs alors que les stages d'insertion tendent à disparaître des entreprises traditionnelles. Elles n'ont plus besoin de jouer le jeu car elles n'en tirent pas un grand profit.

 

Le droit au logo: un "emploi d'avenir"

 

Tous ces nouveaux bricolages gouvernementaux sont médiatisés. Le Chef de l'État communique sur ce "grand projet de société" qui devrait aboutir sur 100.000 contrats signés (durée maximum de 3 ans payé au SMIC). Le discours est sans ambiguïté pourtant: il n'y a rien de concret, il ne parle ni de travail, ni de rémunération mais de confiance, de vision d'une politique, de retrouver la promesse républicaine, de se mobiliser pour que les jeunes "vivent mieux en 2017" ! Toutes les initiatives gouvernementales viseraient une aide " au parcours d'autonomie" englobant logement, santé, loisirs, mobilité internationale, engagement ... visant un accès dans le futur aux "droits communs". Aucun financement n'est prévu pour tout cela. 47 mesures seraient annoncées mais c'est l'effet d'annonce qui importe. Moins il y a de reconnaissance pour un statut professionnel, plus le logo est redondant et "fait exister" : Emploi d'Avenir...

 

Les contrats de génération pour les plus de 50 ans, liant jeune et senior dans un même contrat sont une sorte d'allocation de survie qui se met en place pour les jeunes par le biais d'un engagement de leur part auprès d'une mission locale, de la même manière qu'existe une allocation vieillesse pour les seniors démunis. Le principe d'une telle allocation de solidarité active pourra se mettre en place quand les liens de "solidarité intergénérationnelle" seront suffisants tissés; c'est dans cet objectif que le gouvernement a créé les contrats de génération.

On voit bien toute l'hypocrisie: la solidarité familiale s'installe et se renforce par la force des choses; le racket financier sur le parc immobilier ne permet plus de se loger puisque le loyer équivaut au salaire; ce sont donc les parents, les grands parents qui financent, cautionnent ou hébergent.

Les points d'information, d'accompagnement, d'orientation (existant au niveau départemental) vont être multipliés car l'État veut créer des services identiques au niveau de la région.

Cette vitrine médiatique n'est plus crédible pour les jeunes qui préfèrent créer leur propre logo, tenter leur chance directement sur des réseaux sociaux où ils peuvent être vus. Cette nouvelle tendance est déjà largement récupérée. Ainsi le Crédit Agricole se fait sa publicité par le biais d'un jeu où l'on fait rêver sur une possibilité que tous les membres d'une même famille puissent être médiatisés par leur photo à paraître sur des publicités bancaires.

Des marques sont «publicisées » par des personnes qui s'affichent comme objets! Voir multiplicité de sites tel «affichestoi.com »

Des reportages télévisés au cours desquels F. Hollande communique sur "son grand projet de société" peinent à convaincre. Pour exemple on voit un jeune, employé à faire le ménage dans un établissement municipal, avec un contrat "d'agent d'accueil", réciter la leçon du "je suis privilégié quand je pense à tous ceux qui sont au chômage".

Par rapport à l'objectif officiel de 100.000 contrats, 4600 seraient signés. Ce dispositif est très contraignant du fait que les missions locales doivent trouver non seulement les jeunes mais les seniors "tuteurs" pour les encadrer. Une nouvelle fois ce sont les administrations et organismes dépendant de l'Etat qui utilisent ces subventions déversées; on crée des « occupations à des jeunes pour ne pas perdre le bénéfice de la subvention et non pour former à un métier !

Tous les acteurs doivent être mobilisés. C'est encore F. Hollande qui annonce, lors de sa conférence  «télé réalité» du 16 mai 2013, que les 100.000 emplois d'avenir vont être élargis au secteur du tourisme, privé, et aux services à la personne et que les contrats de génération vont s'étendre à la création d'entreprise, voire à l'installation d'agriculteurs.

Il faut du mouvement pour créer, pour aller plus vite ! La stabilité est dans le mouvement partout et toujours: plus d'activités, plus d'initiatives, plus de temps, plus de vie. Cliquez votre vie !

Par contre, toutes ces démarches d'aides, contrats, prestations, permettent un redéploiement des pratiques de contrôle administratif, une surveillance informatique par échanges de fichiers sur les "non imposables".

On peut aussi se demander si beaucoup de jeunes inactifs et découragés de tout sont encore la cible de ces contrats. Un article de Pascale Kremer à ce sujet, paru dans Le Monde du 3 juin 2013, est fort édifiant : «Ces 900.000 jeunes inactifs découragés de tout » (de 15 à 29 ans). Sont-ils la cible des contrats d'avenir pour être remis sous contrôle? Ils sont à l'arrêt comme les voitures sur les parkings dans lesquels ils traînent. «Je cherche plus à chercher » dit un jeune de 22 ans pour qui les petites formations et les petits interims n'ont comme débouché que le parking.

Depuis 2010, un nouveau terme  serait utilisé pour parler de ces jeunes, les NEET (ni en emploi, ni en étude, ni en formation), terminologie européenne pour représenter ces jeunes qui ont intégré la fatalité de la précarité. Ils représenteraient 17% des 15/29 ans. Il y a peu d'enquêtes sur ces «nouveaux invisibles » se retrouvant solidaires dans la résignation. Ils sont cloîtrés chez leurs parents, vivent d'aide humanitaire mais ne remettent pas en question les règles  du capital et de la valeur travail. Ils ont juste perdu toute confiance. De nombreuses jeunes filles assument la maternité après une scolarité ratée juste pour avoir une allocation de survie majorée et une identité valorisante, constate-t-on chez  ATD Quart Monde. Tous ces «nouveaux mauvais pauvres » n'ont plus besoin d'être contrôlés, ils se neutralisent eux-mêmes.

 

Nouvelles appellations sociales du citoyen solidaire

 

Voici une liste de quelques nouveaux «métiers» à l'honneur (une hiérarchisation similaire à celle existant dans les usines est mise en place) :

- En haut de l'échelle: un "ingénieur en amélioration continue" va pouvoir créer le réseau suivant :

- Un chef de projet qui va matérialiser sur une plateforme des nouveaux créateurs choisis, valorisés et promus magiquement chefs d'entreprise. Peu importe si les projets aboutissent ou non compte tenu de la prolifération des demandes.

- Des porteurs de projets, ces nouveaux créateurs formés en deux mois au management de l'entreprise grâce aux subventions des "maisons de l'emploi". C'est la nouvelle marchandise du chef de projet, glorifiée, valorisée, transcendée en "chef de sa propre entreprise", et valorisant par là même toute la hiérarchie en amont (pôle emploi, mairies, chambres de commerce, département, région,  Ètat).

De rien, le porteur devient "chef en projet". Il a été vu sur la plateforme et seul son projet suffit.

Voici une liste non exhaustive de réalisations de projets d'aide, de confort, de bien-être,  de commerce de l'intimité à domicile :

- société d'aide à domicile

- initiation informatique à domicile

- esthéticienne, coiffeuse à domicile

- coach sportif à domicile

- coach de bien-être

- accouchement à domicile

- coach d'orientation

- coach décoration rangement domicile,

- coach en "approche de relation amicale" (même l'amitié est récupérée !)

- hôpital à la maison (déplacement de la solidarité à la maison, rentabilité maintenue à l'hôpital)

- hébergement bénévole des SDF à domicile..

- télétravail à domicile

Restez chez vous, on vous apporte tout à domicile avec la télé-assistance en prime pour votre sécurité, car la télévision apporte le monde à l’intérieur comme l’a affirmé  G. Anders

La boucle est bouclée, tout le monde peut "être vu redevable". Coaché, l'individu est fixé et il va pouvoir payer sa dette.

Existe aussi le financement participatif pour créer sa propre entreprise par le biais des réseaux sociaux d'Internet .Le porteur de projet devient l'objet de la transaction à l'écran.

Toutes ces transformations insidieuses se font bien sûr sous le sigle sacro-saint de la SOLIDARITE. C'est le seul moyen qu'a le gouvernement pour ne pas perdre la face, tenter de maintenir un semblant de cohésion. Les nouveaux managers du virtuel, qui gèrent les financements alternatifs sur les réseaux sociaux d'Internet vont dans le même sens et permettent à chacun d'être en "auto-dépendance solidaire". La "débrouille solidaire" alimente tous les réseaux de bonne conscience.

 

Financement participatif / crowdfunding

 

Ce nouveau système de financement par la foule oscille entre le logo/solidarité et le business.

Tout internaute peut: soit déposer un projet créatif sur un site de gestion. Si le projet est sélectionné, il est vu sur une plateforme, le porteur de projet devient le produit qui va être proposé à d'autres internautes en vue d'un financement participatif ; soit être le petit financier solidaire.

Bien sûr, plus il y a de donateurs plus le projet a des chances de voir le jour.

Né aux Etats-Unis, ce financement alternatif, qui pallie la frilosité des banquiers, est en train d'exploser. En France, actuellement, une trentaine de sites pratiquent ce crowdfunding, certains généralistes, d'autres spécialisés.

Les bénéfices des internautes donateurs sont nuls ou dérisoires; le plus important est d'être dans un réseau, de créer un lien, d'avoir son nom à l'écran, de se sentir exister parce qu'on a participé au financement d'un projet qui va être connu. Beaucoup de projets se situent dans le domaine artistique (cinéma, musique, chansons) et le donateur-solidaire se sent co-producteur de rêve, pense jouer un rôle dans la mise en place d'une vedette car il pourra, peut-être, avoir son nom au générique d'un film, un petit rôle de figuration, un dvd dédicacé ...

Pour "l'artiste exposé" c'est aussi le rêve d'être connu qui fonctionne. Il n'y aura peut-être jamais de film ni d'album, ou une très mauvaise distribution, ou plusieurs années d'attente.

Se crée un site de financement participatif par jour sur le web. Les escroqueries ont déjà envahi ces réseaux sociaux: certains sites "bidons" récupèrent l'argent des donateurs et disparaissent.

Comment sont sélectionnés les projets? Sur 3 critères (commente le fondateur d'ulule.com): innovant, créatif et solidaire.

Les sites se rémunèrent en prélevant généralement entre 5% et 12% de commission sur les montants collectés. Dans tous les cas, l'internaute bienfaiteur, avec ou sans contrepartie financière, se sent investi dans l'aventure.

Si le projet n'est pas rentable, le don n'est pas restitué.

Aucun domaine n'échappe au crowdfunding sur les plateformes généralistes: il peut s'agir de chercheurs d'un laboratoire médical, d'entreprises de l'économie solidaire, de banques se disant porteuses de citoyenneté universelle ...mais aussi on peut voir un projet initié par un chef étoilé, ayant pour but de lancer une école professionnelle de boulangerie. Ce sont donc les futurs stagiaires qui vont pouvoir co-financer à l'avance leur formation. Ce projet rencontre un gros succès; à chaque apport supplémentaire de 2500 euros, c'est un nouveau stagiaire qui se crée à l'écran. À partir de 20 euros de don, le contributeur reçoit une toque dédicacée par le chef !

Quelques gros investisseurs ont compris l'effet tremplin d'un tel financement, l'effet pub; les petits investisseurs peuvent rapporter gros aux gros: ainsi, un laboratoire médical a obtenu 300.000 euros sur le web en donnant le statut d'actionnaires aux petits financiers, ces derniers se sentent valorisés, leurs prêts prennent un sens de participation à des essais cliniques sur l'homme.

Pour le laboratoire, c'est une plus-value car le financement obtenu crée la confiance de plus gros investisseurs, rassure les banquiers pour obtenir un prêt beaucoup plus important.

 

Le micro-crédit

 

Cette branche du crowdfunding s'étend dans le monde entier. La micro-économie solidaire concerne 80% de la population mondiale et les sites de financement se multiplient.

Les prêts sont modestes et remboursés sans intérêt. Le choix du projet retenu se fait comme dans une émission de télé réalité: que le meilleur gagne.

Même l'Education nationale s'y est mise: dans certains lycées existent des séances de "solidarité virtuelle», chaque petit groupe d'élèves défend son projet. Les gagnants sont très fiers d'avoir permis la réalisation d'un projet de "survie créative" pour une personne à l'autre bout du monde et cette bonne action visible est communiquée aux parents.

Ce type de micro-crédit est applaudi par l'ONU en tant qu'outil efficace contre la pauvreté. Un des sites, Babyloan.org, créé en 2008, a permis de collecter 5 millions d'euros de prêts pour environ 12.500 micro-entrepreneurs en France et dans le monde. Sur ce site, un prêt est déposé toutes les 8 minutes. C'est le reflet, via Internet,  de toutes les émission télévisuelles de charité-business.

Un aspect dont on parle moins, qui là encore est en plein développement aux Etats-Unis, est le crédit à la consommation de particulier à particulier. Ces lending clubs (clubs de prêteurs) ont été récupérés par des gros financiers qui en tirent profit: des prêts bas et des taux élevés. Ces gros investisseurs sont devenus une alternative aux banques traditionnelles.

En France, le Ministère de l'Economie et des petites et moyennes entreprises encourage ce type de financement participatif et, à ce sujet, le gouvernement veut améliorer la législation contraignante ne permettant pas une réelle concurrence des banques du fait du contrôle de la banque de France.

 

Vers un nouveau droit au revenu sans emploi

 

Les pouvoirs publics surfent sur une vague dont le capitalisme mort reste le seul horizon, ils continuent à tenter de colmater les brèches de leur consensus républicain. Leur support idéologique - la solidarité - est tellement extensible qu'il s'est mondialisé, confusément représenté, matérialisé en une accumulation, une appropriation de liens virtuels, une mise en image instantanée, venant combler une nostalgie diffuse d'humanité.

Plus aucun domaine n'échappe à cette solidarité, support inéluctable à une rationalité économique, qualifiée de bien-être puisqu'elle crée du lien social. Des sites de " bons plans locaux" pour informer au plus vite le consommateur /citoyen précaire jusqu'au "bonheur au travail", formule à la mode de la nouvelle organisation du travail dans les grandes entreprises, il s'agit toujours de bien -être pour tous, seule revendication possible dans une fatalité de système non dépassable. Il existe même maintenant des postes de "directeur de convivialité" dont l'objectif est annoncé sans la moindre gêne: il faut créer des mesures de bien-être pour plus de rentabilité du capital humain, et donc un retour sur investissement pour davantage de croissance.

Ce nouveau logo de "bien-être solidaire", que chacun se doit d'arborer, ressemble plus à un sentiment de nostalgie laissant place à toutes les interprétations de recouvrement de la vie.

Il n'est pas étonnant d'entendre sur les chaînes grand public l'annonce du ministre de l'éducation nationale, tout récemment, d'une loi en préparation pour inclure dans le cursus scolaire du CP à la terminale des cours d' "enseignement moral et civique" en mettant l'accent sur une forte sollicitation des familles en faveur d'une telle loi.

Sociologues, philosophes, économistes, parlent avec prudence de l'éventualité d’un revenu garanti pour tous, présenté jusqu'à présent comme une utopie, presque comme une farce grotesque. André Gorz (disparu en 2007) s’était fait l'ardent défenseur de ce revenu de base inconditionnel devant représenter le summum de la solidarité par l'interdépendance de tous.

Tous les discours sont teintés de désespérance, de fatalisme derrière la nostalgie des mots utilisés: utopie, imagination, révolution. Les argumentations sont toujours dans une logique guerrière de confrontation, de posture et de stratégie à utiliser comme s'il y avait encore combat gauche/droite.

Les membres du gouvernement reconnaissent aisément que la différence gauche/droite est plus qu'infime. Ainsi, Mr Hamon, interviewé sur RTL le 8 avril 2013: "on a l'impression qu'une politique de gauche ou de droite dose différemment les mêmes ingrédients"[49]. Propos qui justifient ceux de Bernard Arnault (qui n'est considéré qu'en terme d’une des plus grosses fortunes de la planète): "l'impact réel des hommes politiques sur la vie économique d'un pays est de plus en plus limité. Heureusement".[50].

Si chaque individu/citoyen avait un revenu de base attribué en tant que droit constitutionnel, cela ne ferait, finalement, qu'entériner une situation de fait et cette revendication d'une allocation universelle de base pour tous, apparue depuis quelques années, est loin d'être une utopie. Cela pouvait l'être au 16è siècle lorsque Thomas More (homme d'Etat et humaniste anglais) l'a présenté sous forme de fiction (Utopie, 1516) d'un système idéal de gouvernement.

Avancée culturelle ou revenu/charité de la globalisation ? La deuxième hypothèse est déjà largement utilisée dans certains pays pour gérer la misère. De telles mesures d'apaisement social  ne dérangent personne et ne remettent rien en question.

À la lecture de ce texte, on peut penser à une similitude entre la situation actuelle et le réformisme solidariste de la 3è République sauf que l'espoir du progrès pour le bien-être de tous a fait place à la nostalgie dans un climat de précarité subie par chaque individu  Un temps salarié protégé, le pauvre devient individu précaire indifférencié, nouvelle matière du capital. C'est un outil de gestion pour les dirigeants d'entreprises, rentable par sa plus valeur symbolique.

Quelle aubaine, le profit a du sens, la finance a du sens, l'argent est "solidaire". Chacun est consommable, consommé, consomme. Il suffit d'être vu à un moment ou à un autre sur une plateforme d'exposition et cela suffit à donner sens à sa vie.

Toutes les grandes universités ainsi que les écoles de commerce, de la finance, intègrent maintenant des cours de mécénat et de solidarité.

Mieux encore (et quel bel exemple en cette période de fêtes de Noël dites familiales) voilà Jésus qui réapparaît comme le plus bel exemple de management ! Il était déjà à l'honneur à la fin du 19° siècle (On a vu que Charles Gide en faisait le type le plus parfait de l'individualité et que Pierre Leroux en parlait comme du plus grand économiste) :

 C'est à lire dans l'Express de nov/déc. 2013, dans un article intitulé  Protéger le capital humain avec Jésus. Il est écrit, entre autres, que Jésus «à sa façon, à son époque, invite les dirigeants à éradiquer les risques psychosociaux », qu’il «convie le manager à ne pas se laisser enfermer dans les règles, afin de libérer des espaces de créativité» ! Est-ce le business inclusif comme dit une spécialiste (toujours dans l'Express cité)? Ce nouveau modèle de gestion d'une entreprise, encore nommé innovation frugale, «vient éclairer de nouveaux cadres de pensée où les situations perturbées ne sont plus une anomalie à éliminer, mais une dynamique inhérente à toute activité, avec laquelle coévoluer ... »

De là à conclure, s'il fallait une dernière illustration de l'agonie du système de protection étatique, avec ce tout nouveau concept marketing: un industriel dans le secteur de l'automobile vient d'annoncer sa nouvelle campagne publicitaire :

- Pour tout achat de voiture, vous recevez en cadeau un an de chômage, soit 300 euros par mois, avec éventuellement une aide téléphonique à la recherche d'emploi.

Triste réalité mais c'est cette soumission grotesque, dans une démarche incrémentielle de tous les instants, qu'il faut apprendre à quitter sans nouvel ordre rassembleur.

 

Brigitte Ferrière


 décembre 2013

 

 

 

 

  

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[1] J B  Martin, La fin des mauvais pauvres, p 57

 

[2] Source: La révolution industrielle 1780-1880 de Jean Pierre Rioux – Ed.  Seuil 1971.

 

[3] Ibid. page 142.

 

[4] Encyclopédie Socialiste syndicale et Coopérative de l' Internationale Ouvrière,  2° volume. Publié sous la direction technique de Compère-Morel, Aristide. Quillet Editeur 1912, page 149

 

[5] F. Furet, Terminer la révolution de Louis XVIII à Jules Ferry (1814-1880), Ed. Pluriel Hachette Histoire de France 1988 ,  p.230

 

[6] Ory Pascal (sous la direction de) Nouvelle histoire des idées politiques,  (2-2-1 Ansart P. p. 237), Editions Pluriel Hachette 1987

 

[7]  Pierre Leroux, Aux philosophes, aux artistes, aux politiques - trois discours et autres textes. Texte établi par J.P. Lacassagne et postfacé par M. Abensour- Editions Payot et Rivages 1994

 

[8] Compère Morel (sous la direction de) - 4ème partie - chapitre 1 - partie X p. 143-144

 

[9] Jammy-Schmidt, Les grandes thèses radicales - de Condorcet à Edouard Herriot, préface d'E. Herriot, Edition des pratiques, 8° édition Paris, non daté.

 

[10] Les constitutions de la France depuis 1789 présentation Jacques Godechot-Garnier, Flammarion 1970 Paris - chapitre IX-p.243.

 

[11] Jammy-Schmidt "les Grandes Thèses ..." déjà cité - p. 300

 

[12] D. Riazanov/ F.Engels/ R. Luxembourg, La confession de K. Marx, Spartacus, I° série, n° 36, juin 1969. Article d’Engels, Karl Marx, paru en 1878 dans Volkskalender.

[13] Jammy-Schmidt, déjà cité, p. 156-157- 302.

 

[14] Le Goff J, Du silence à la parole - droit du travail, société, État (1830-1989), Ed. Calligrammes, 3° édition augmentée, Quimper 1989.

 

[15] C. Bouglé Qu’est-ce que la sociologie ? Bibliothèque de philosophie contemporaine, librairie Félix Alcan Paris,  1932,  6° édition, p.98-99.

 

[16]  Ibid. p. 118.

 

[17] P. Rioux, La révolution industrielle 1780-1880, Ed. Seuil 1971.

[18] Jean Baptiste Martin, préface de Reberioux Madeleine, La fin des mauvais pauvres - de l'assistance à l'assurance, Collection milieux Champ Vallon, 1983.

[19] Société d'histoire du protestantisme de Nîmes -" Charles Gide et l'Ecole de Nîmes - une ouverture du passé vers l'avenir 1995, p. 132. Propos relevés dans L'école nouvelle, revue du christianisme pratique de 1890, p.330.

[20]  Henri Desroche (recherches d') Pour un traité d'économie sociale - Coopérative d'information et d'édition mutualiste (C.I.E.M.)- coll. Tiers Secteur, Paris 1983.

[21]  Sté d'histoire du protestantisme de Nîmes, Charles Gide et l'Ecole de Nîmes, déjà cité, p.158.

[22] L. Bourgeois, Solidarité"1896 - librairie A. Colin, 7° édition 1912.

[23] J. Jaurés, P. Lafargue, Idéalisme et matérialisme dans la conception de l'histoire, Cahiers Spartacus, Mensuels - août 1946 – n°8.

 

[24]  Martin. J.B. La fin des mauvais pauvres, déjà cité, p. 130.  Citation tirée de Correspondance of Léon Walras and related papers, Ed. by William Jaffé, Amsterdam, 1965.

[25] C. Bouglé, Qu'est-ce que la sociologie? déjà cité, chapitre sur la division du travail,  p.139.

 

[26] C. Evin J.O. Débats parlementaires, Assemblée. Nationale du 4/10/1988, p.633.

 

[27] Ibid. J. Le Garrec.

 

[28] Le journal Le Monde du 26/10/1994, artocle. de Jacques Dughera, ancien secrétaire du conseil national de l'insertion par l'économique.

[29] La France de l'an 2000, Rapport au Premier Ministre, Ed. Odile Jacob, La Documentation Française, 1994.

[30] Revue Problèmes économiques, n°2-396-2-397, du 29/11/94 Perspectives à long terme de l'emploi.

[31] Directeur d'Etudes à l'école des Htes Etudes en Sciences sociales, secrétaire général de la Fondation Saint-Simon.

 

[32] Le Monde du 31 mai 1995.

[33] Rosanvallon. P,  L'Etat en France de 1789 à nos jours, Ed. Seuil,  Point Histoire, 1990.

 

[34] Laville. J.L,  article de la revue Esprit, 8/9 août/septembre, 1994

 

[35] Rosanvallon. P, Les voies nouvelles de la solidarité dans la revue Esprit, déc. 94, p.90.

 

[36] Le Monde du 14/2/1995, article de Rosanvallon rétorquant à une attaque de Boltanski qui le traite d'eugéniste dans son livre La nouvelle question sociale.

[37] Le Monde du 19/3/1997.

[38]  Budgets Prévisionnels UNIOPS/URIOPSS 1996 - propos rapportés p.3 sur une réunion à Matignon en date du 9/6/95 - Document conjoncturel UNIOPSS/URIOPSS, sept.95.

 

[39] Revue Economie et Humanisme, n° 321, avril/juin 1992, p. 52 à 56 Résister et inventer.

 

[40] Ibid

 

[41]  Minc. A. (Commission présidée par) La France de l'an 2000 - Rapport au 1° Ministre" déjà cité.

 

[42] Laville J.L, article de la revue Esprit,  déc. 95.

 

[43]  Bernard Perret/Guy Roustang, L’Économie contre la société - affronter la crise de l'intégration sociale et culturelle, Coll. Esprit/Seuil,  fév. 1993.

 

[44] Textes des conférences et entretiens des 28è rencontres internationales de Genève, L'exigence d'égalité - Rencontres internationales de Genève de 1981, Ed. de la Baconnière, Neuchâtel, 1982

[45] Burdeau G. Droit constitutionnel et institutions politiques, 11è Edit, Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1965.

 

[46] Gorz A. Métamorphoses du travail - quête du sens, 1° partie: L'invention du travail,  p. 127 - Débats Galilée 1988.

 

[47] Idem.

[48] Laville J.L, L'économie solidaire - une perspective internationale, chapitre IV, étude effectuée par des économistes d'une université catholique en Belgique sur une période de 1973 à 1990 ouvrage déjà cité.

 

[49] Relevé dans le Monde Diplomatique mai 2013-article État des lieux pour préparer une reconquête de Serge Halimi

 

[50] Ibid. tiré du livre Bernard Arnault La passion créative, entretiens avec Yves Messarovitch, Plon, Paris 2000.

 

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