DE
L'ÉTAT-PROVIDENCE À LA FAMILLE RÉSEAU-PROVIDENCE
ou passage du statut de salarié protégé à celui d’individu précaire par le biais du secteur de «l'économie sociale et solidaire», banalisé et récupéré économiquement par les grands managers de la domination généralisée du capital.
Ce
texte est une approche de ce que je nomme
les "règles sociales
républi-capitalistes", mises en place par les pouvoirs publics depuis
plus
d'un siècle et demi pour gérer la pauvreté, dans une logique de progrès
pour
tous par l'emploi. .
Cette
logique ayant disparu, le discours politique se modifie
prudemment et entretient la confusion.
Le
grand bricolage actuel ressemble à une autopsie de cet
État dit «Providence», inefficace car assujetti à un mode de production
capitaliste qui n'a plus besoin du salariat comme
support. Les tentatives de rafistolage de
l'édifice public remettent au goût du jour la doctrine solidariste de
la 3è
république : État et patrons tentent de réorganiser l'encadrement de la
« masse humaine » employable, utilisable dans une
dérisoire course au
profit.
Des réseaux de
solidarité se créent, partout et pour tout, et sont pour la plupart
récupérés
pour médiatiser et justifier haut et fort une notion de solidarité
citoyenne » pour le salarié devenu
« précaire » et de
« mission citoyenne par le mécénat » pour
le patron. De plus en
plus de grandes entreprises se médiatisent en mettant en avant leur
mécénat de
compétences au service d'associations dans une stratégie de marketing.
Cette
solidarité est complètement engluée dans des
comportements de profit et de consommation à l'extrême pour certains,
de
débrouillardise, de grignotage de survie au rabais pour d'autres. C'est
un
moyen de renforcer la soumission, faire croire que l'on donne un sens à
sa vie
alors que l'on accepte un monde qui la nie.
Du manager à « l'intérimaire de base »
cette notion humaniste
camoufle la dépendance globale au capital
qui se peaufine jusqu'au bout du doigt pointé sur le
smartphone
délivreur de job virtuel immédiat. C'est comme si
la consommation était le « nec plus
ultra » de
la solidarité humaine.
Poser
le problème du démantèlement du salariat comme la
« nouvelle question sociale » donne une certaine
justification aux
gouvernants voulant encore faire croire qu'ils ont un rôle de
protection. Ils
tentent de prendre la famille inter-générationnelle pour support et de
recréer
au domicile des
points d'ancrage
repérables en lieu et place de l’entreprise, cette dernière ne pouvant
plus
être le point de fixation de l'ouvrier soumis et atomisé, le point de
contrôle
par excellence.
Le
processus d'industrialisation au 19° siècle instaurait un
nouvel espace-temps clos et violent au sein de l'usine avec un droit au
silence
pour le nouveau pauvre-ouvrier contraint de quitter ses coutumes
rurales et
artisanales et son espace
où travail et
habitat se confondaient. Il fallait rendre obsolète l'attachement à la
communauté familiale pour privilégier l'individu atomisé, en rapport
direct
avec l'entreprise.
Un
processus inverse s'installe avec la mise en place d'un
nouvel espace-temps de contrôle. Les entreprises du secteur dit
« d'économie sociale et solidaire » assurent le
maillage de ce
nouveau découpage territorial de la fixation du pauvre, nommé
maintenant
« dépendant précaire ». Ces vendeurs d'emplois à la
personne,
d'auto-entrepreunariat, de lien social, collaborent à la gestion
politique de
la « redevabilité citoyenne » inter-générationnelle
dans un
agencement socio-économique de la pauvreté de masse pour un soi-disant
bien-être
consommable. Le bon et le mauvais pauvre sont dilués dans un amalgame
de
« précarité ».
Il
ne me semble pas exagéré de penser que cette mise en place
généralisée d'une précarité citoyenne précède de peu celle d'un nouveau
droit à
un revenu citoyen, rustine de la «non vie».
*
* *
Abordons
l’évolution des politiques publiques sur la question sociale
depuis la Constitution de 1848, symbole d'une république démocratique
dont
l'idée de fraternité devait servir de moteur à la législation sociale.
À côté
des libertés traditionnelles évoquées depuis 1789, l'instauration de la
République en 1848 faisait état, dans sa constitution, de l'affirmation
d'un
rôle actif de l'État en matière d'instruction, d'assistance, de
répartition du
travail entre les individus.
J'ai parlé de
gestion de la pauvreté. Je m'en tiens ici à une vision très
limitée dans le temps car la distribution de ressources aux pauvres
existait
déjà au 16è siècle dans toute l'Europe.
Pauvreté et
travail sont intimement liés. Comme le précise Laurence
Fontaine dans son livre L'économie morale (sous-titre: Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle. Ed. Gallimard, nrf essais)
« La
pauvreté est le fondement d'un système social: on en extrait
une réserve quasi inépuisable de main d'oeuvre, on y enfouit les
faibles et
tous ceux que désigne une quelconque incapacité au travail»[1].
Il n'est pas question d'abolir la misère, il faut juste la maîtriser,
la
contrôler, éduquer les pauvres pour raisonner leur révolte, mais pas
trop pour
qu'ils puissent rester pauvres. La pauvreté est à la fois un état et un
processus potentiel.
Dans la pensée
du 19è siècle la pauvreté est un mal honteux. S'y reflète
une notion religieuse de pitié qui justifie la mise en place d'aumônes
salvatrices.
Le développement du capitalisme va camoufler pendant un temps cette
vision. Le
vagabond reste le mauvais pauvre mais il devient l'exception. Le bon
pauvre est
l'ouvrier normé qui aspire à une vie de petit propriétaire. L'optimisme
des
capitalistes est à son comble dans les années 50 et 60 du 20è siècle et
laisse
croire à l'éradication de la pauvreté. Ce mot même est oublié, on ne
parle plus
que d'inégalité sociale.
À nouveau,
actuellement, la pauvreté remplit tout l'espace sous la
dénomination de précarité. Celui-ci devient un outil de gestion pour
les
nouveaux managers. Il est le point de fixation de la solidarité devenu
produit
rentable par sa plus-value symbolique dans la compétitivité. Ce n'est
plus la
force de travail d'un humain qui est utilisée mais
« l'humain »
devenu image virtuelle.
Symboliquement,
depuis 1848, tous
les gouvernements de la République en France s'auréolent dans leurs
discours de
valeurs de fraternité, de solidarité et se disent porteurs d'un droit
au
travail tout en se portant garants d'un mode de production capitaliste
qui les
a absorbés (État et ouvriers). Le droit au travail (en réalité règles
du
travail) reste le logo de référence exhibé partout. Des supports ont
été
nécessaires pour maintenir à bout de bras ce droit à un emploi présenté
comme
but essentiel de l'humain, réduit à n'être qu'un individu/citoyen
assujetti.
Mise en avant de
la valeur "Famille" comme nouveau
support de la solidarité et de la redevabilité citoyenne
Le salariat et
ses organisations syndicales disparaissent avec le
démantèlement des grosses entreprises. La précarisation généralisée et
le
développement des emplois à la personne déplacent le
"citoyen-travailleur" de l'entreprise à son domicile. C'est le nouvel
ancrage, repérable, à partir duquel le comportement de solidarité de
chacun va
pouvoir être vu et distillé pour maintenir en dépendance de
redevabilité à la
société. Les réseaux de "lien social" vont former le maillage de
cette nouvelle organisation du travail.
Les pouvoirs
publics s'étaient déjà adaptés dans les dix dernières années
du 20ème siècle à la décomposition de la vision linéaire de l'emploi au
sein de
l'entreprise et à la précarisation galopante du fait de
l'externalisation de
toutes les prestations non fondamentales dans les mécanismes de
globalisation
de l'économie. On ne parlait pas encore ouvertement d'exclusion des
entreprises
mais d'un compromis "d'insertion" qui était mis en avant. Tout en
prônant un discours libéral ambiant, le gouvernement prenait à son
compte
l'idéologie de l'insertion, support du maintien de l'ordre républicain,
compromis moral à sa légitimité. Le droit à l'insertion fleurissait
dans tous
les débats : dispositifs d'insertion, revenus d'insertion, entreprises
d'insertion, devoir d'insertion.
La mise en place
de ces politiques publiques d'insertion s'était faite
grâce aux associations entrant dans la catégorie du tiers secteur,
véritables
outils de gestion de ce nouveau processus d'encastrement du citoyen
dans un
droit qui n'était plus d'obtenir un emploi mais de faire l'effort de
s'insérer
dans "le monde du travail" pour espérer avoir accès à un travail
rémunéré.
Cette catégorie
"d'économie sociale" était apparue avec la
nécessité de "moraliser" le mode de production capitaliste et s'était
installée dans un compromis avec les pouvoirs publics dans l'ambiguïté
d'une
valeur partagée: la solidarité "citoyenne". Tous les courants de
cette économie devenaient ainsi un support pour maintenir l'idéologie
des
droits et des devoirs républicains.
Le stade de
"l'insertion" est maintenant largement dépassé
puisque le "monde de l'entreprise" s'est dissous. Se met en place un
maillage de réseaux sociaux, virtuels ou non, réabsorbés dans un
processus de
justification économique. La petite part monnayable de chacun est
enrobée de
notion de solidarité, de recherche de liens plus humains, de mise en
forme de
groupements communautaires sur des objectifs précis. Un retour aux
traditions
de liens familiaux est largement mis en avant pour "retrouver" une
convivialité sensée compenser l’isolement des individus.
Dans ce
contexte, les pouvoirs publics vont tenter, une ultime fois, de
s'accrocher aux valeurs de leur République en jouant sur cette
croyance, quasi
mystique, de citoyenneté solidaire, et de rationalité économique
fatalement
inchangeable. Il faut vite entériner toute interrogation humaine dans
cette
période de désarroi. La recherche du bien-être de chacun véhiculée par
tous les
nouveaux emplois à la personne doit maintenir la dépendance dans une
culpabilité de vie, dans une morale de droits et de devoirs. Chacun
doit être
désespérément "logotisé" dans une justification productive très
contraignante.
Le soutien
familial inter-générationnel, devenu indispensable pour
survivre et avoir un toit, est un bon support: il camoufle la réalité
en
l'enrobant de sentiment noble de "générosité citoyenne".
Rappel
historique: de l’explosion sociale au rationalisme
républicain
Cette notion
d'économie sociale émerge comme un symptôme de la
confrontation entre profit et solidarité. En retracer l'histoire c'est
parcourir le 19° siècle de l'idéal républicain du Parti Radical au
réformisme
de la IIIème république en passant par le Coopératisme et le compromis
solidariste.
Au début du
siècle les termes "économie sociale" et
"économie politique" se confondaient. J.B. Say (1767-1832),
économiste libéral, utilisait ce terme d'économie sociale pour parler
de la
science de la production, de la répartition et de la consommation des
richesses.
En 1848, la
France est en pleine mutation industrielle, la fièvre
ferroviaire s’est emparée de l'Europe entraînant la création de
nouvelles
industries (production de la fonte et de l'acier à partir de 1840. A
cette
période la France se situe au 5° rang mondial en tant que puissance
industrielle[2]. Elle a donc besoin
d'ouvriers et le droit au
travail va devenir une priorité car la question sociale prend corps en
la
réalité d'un prolétariat naissant dans un monde libéral qui se bâtit
avec
l'éclatement d'une contradiction majeure: une minorité détenant les
moyens de production
dont la mise en œuvre n'est
possible que
par l'accélération du travail productif en vue du profit. Se constitue
petit à
petit le monde des ouvriers dont les conditions de travail sont
effroyables.
Avec les rejetés de l'artisanat et de l'agriculture, il va constituer
le
prolétariat naissant au sein de crises apparues depuis le début du
siècle
entraînant misère et agitation: 1816, 1826, 1836, 1846 verront surgir
des
crises monétaires, boursières, financières. 1846 marquera l'une des
plus
profondes dépressions du siècle avec une crise à la fois agricole et
financière
(mauvaises récoltes, gel, tarissement du crédit pour les sociétés
ferroviaires). La hausse des prix agricoles entraîne une crise
industrielle
avec arrêt de la consommation. " L'ampleur de cette crise explique en
grande partie l'explosion politique et sociale des révolutions de 1848
en
Europe"[3].
Tous les
courants d'idées généreuses vont foisonner, certains envisageant
la déchéance rapide de ce système capitaliste féroce, d'autres s'en
accommodant
rassurés par le suffrage universel.
1848, c'est la
fin sans gloire de la Monarchie de juillet. En quelques
jours la France vivra l'abdication de Louis-Philippe, la formation d'un
gouvernement provisoire qui proclame la République, l'engagement de ce
gouvernement à garantir le travail pour tous, le principe du suffrage
universel, la limitation de la journée de travail à 10 h à Paris, 11 h
en
province, l'accord de la liberté de la presse et de réunion. On peut
voir sur
les murs de Paris en en-tête d'une affiche signée d'un proche d' A.
Blanqui: "liberté
- égalité - fraternité - Solidarité des Peuples, aimons-nous comme des
frères"[4]
À cette période,
comme le dit F. Furet[5]
Paris est "un kaléidoscope de philosophie républicaine". La
"fraternité" prend la place centrale dans tous les courants qui
s'affrontent. Au moment où s’impose la notion de classe, on en fabrique
l'antidote avec cette fraternité qui est censée unir bourgeois et
prolétaires.
Au sein du
journal Le Globe, si toutes les tendances se
côtoient,
on y perçoit aussi une interprétation commune du "nouveau
christianisme" de Saint-Simon. Ce dernier est vu comme le théoricien
d'une
technocratie industrielle qui voit dans l'association le lieu
d'invention des
conditions d'épanouissement de chacun avec pour objectif le
développement
économique. Tous se sont approprié la rationalité économique comme
inéluctable
et l'industrialisation comme un moyen d'épanouissement de chacun[6].
Les notions de
fraternité et de solidarité vont s'encastrer au sein
d'associations censées permettre aux ouvriers, nouveaux prolétaires, de
tendre
vers leur liberté et leur épanouissement. Ces associations se
structurent en
organisations professionnelles réparties en groupes d'intérêt. Elles
semblent
avoir pour beaucoup un caractère à la fois civique et spirituel.
Pierre Leroux[7],
philosophe revendiquant
la qualité de prolétaire, met l'accent sur une possible cohabitation
des
prolétaires et des bourgeois dans une espèce d'association des énergies
sans
rapport de domination puisque tous participent à la production et à la
circulation de richesses. L'association serait dans la nature des
choses et la
solidarité s'y concrétiserait par le lien social qu'elle crée entre
l'atelier
et l'État. Le but de la politique serait donc d'organiser la société en
associations à travers lesquelles chaque citoyen va trouver liberté et
personnalité.
Pour lui il n'y
a pas nécessité de lutte de classe puisque les réformes
fondées sur la raison doivent profiter aux privilégiés en leur faisant
comprendre qu'il est de leur intérêt d'aider les défavorisés.
La nuance est de
taille entre une vision d'émancipation complète des
peuples et cette devise de P. Leroux - reprise par les Saint-Simoniens
-
d'amélioration du sort des prolétaires. C'est donc l'organisation du
travail
des ouvriers qui va devenir le centre de la question sociale et
l'association
un moyen pratique d'organisation.
Dans L'Encyclopédie
socialiste syndicale et coopérative de
l'Internationale Ouvrière, publiée en 1912, on peut lire que
les
prolétaires commencent "à s'entretenir des avantages pratiques de
l'association... ils se communiquent des projets de société, des plans
de
règlements disciplinaires, se confirment insensiblement les uns les
autres dans
cette salutaire pensée que c'est en eux-mêmes et par eux-mêmes, en
substituant
à l'ancienne association partielle incomplète et égoïste du
Compagnonnage une
solidarité générale des corporations ouvrières, qu'ils doivent chercher
la
réalisation de leurs voeux "[8]
D'un
enchevêtrement de courants mêlant religion, socialisme,
républicanisme émerge un rationalisme porté par les républicains
Saint-Simoniens qui se définiront comme Radicaux. Le journal Le
Globe
est le symbole de ce courant. Y figurent presque tous les 150 députés
radicaux
de 1848.
A. Ledru-Rollin,
premier radical socialiste élu député en 1841 exprimait
un idéal "radicalement républicain" liant raison, tolérance et
humanité. Devenu Ministre de l'intérieur en 1848 sous le gouvernement
provisoire, il envoie aux Maires la circulaire suivante :
" la République
est le gouvernement du peuple par le peuple ...
associer les travailleurs au bénéfice des Capitalistes, apprendre à
tous les
hommes qu'ils sont frères ... amener entre eux une répartition des
richesses
proportionnée à l'intelligence et à l'activité, assurer à tous le
travail et le
bien-être, voilà la République"[9].
Il demande
également à Louis Blanc, républicain démocrate, partisan d'un
État fort, de populariser les thèses de Saint-Simon, Fourier et
Proudhon et ses
idées sur l'organisation du travail. Lui-même fonde l'association
"Solidarité Républicaine" (qui sera déclarée illégitime et dissoute
en 1849).
Dans un livre
publié en 1839, Louis Blanc proposait la création
d'ateliers sociaux coopératifs de production, administrés par les
ouvriers sous
le contrôle de l'État. Ce principe de coopérative est défendu par les
Radicaux.
Ce sera la triste expérience des Ateliers Nationaux qui verra le jour,
simple
institution de secours par le travail.
C'est d'ailleurs
la notion de secours qui va l'emporter sur celle du
droit dans la constitution. On y trouve une formule atténuée
"d'assistance
fraternelle", le « droit au travail » est trop dangereux, il
pourrait détruire l'esprit
d'économie[10].
La particularité
de la conception associative chez Louis Blanc se situe
dans l'importance donnée à l'État pour intervenir dans la question
sociale. En
effet, il préconise pour le fonctionnement des "ateliers sociaux",
outre le salaire égal et une hiérarchie par élection, que le capital
initial
soit fourni par l'État et l'emprunt. L'économie fonctionnerait par ce
système
d'ateliers unifiant des branches d'industrie en ateliers centraux
coopérant
pour le bien commun, sous l'autorité de l'État.
Son modèle
d'association/coopération est le Compagnonnage, organisation
ouvrière qui a survécu aux corporations, qu'il considère comme la seule
forme
de fraternité républicaine et qu'il nomme "la Chevalerie du Peuple"[11].
L'ordre et la solidarité sont des valeurs mises en avant.
Pierre Leroux
est très rapidement dans l'entourage de Ledru-Rollin. Tous
les deux, ainsi que Louis Blanc vont être évincés du gouvernement. Ils
effraient par leur souci d'équité, leur respect de la dignité humaine
et
surtout la détermination de Louis Blanc de transformer économiquement
la
société par la mise en place d'un système de coopération.
Ils vont tous
les trois vivre en exil à Londres de 1849 à 1870. Des
rencontres avec Karl Marx auront lieu. Lui aussi avait été prié de
quitter la
France après la manifestation du 13 juin 1849 à Paris (journée
organisée par
Ledru-Rollin contre l'Assemblée réactionnaire [12].
En fait va se
mettre en place petit à petit dans cette deuxième moitié du
siècle un centralisme étatique et industriel: la phase de croissance
de 1850 à
1873 permet d'effacer les abus les plus criants. Le développement
social qui
pouvait être compris comme totalité vivante dans l'esprit philosophique
de
certains mouvements révolutionnaires ouvriers aux aspirations
internationalistes va petit à petit être perverti en une vision
nationaliste,
un socialisme parlementaire, un syndicalisme réformiste.
Nombre de
réformes vont être accréditées pour un aménagement social de
l'industrialisation, un consensus autour du profit se met en place et
des
dispositions législatives contraignantes étouffent les mouvements
associatifs
ouvriers. Le processus de regroupement économique est valorisé car il
est
présenté comme une conséquence de la solidarité humaine.
Ledru-Rollin, P.
Leroux, L. Blanc, exilés jusqu'en 1870, n'assistent que
de loin à l'évolution de la société et croient toujours en un idéal de
solidarité. Le second Empire les tiendra à l'écart mais peut-on pour
autant les
mettre sur un piédestal par rapport aux Radicaux qui vont revenir sur
la scène
politique avec la IIIème République? Ne défendent-ils pas les mêmes
valeurs ?
Ledru-Rollin
cotisait à "l'Association" de Bruxelles, organe
aux racines compagnonniques de l'Association Internationale des
Ouvriers,
fondée à Londres en 1864 par Karl Marx, et G. Mazzini y affirmait,
dans une
lettre adressée à l'association, en janvier 1866, qu'il préférait le
système
pratique de la coopération pour abolir le salariat aux théories à
caractère
utopique de Fourier, Saint-Simon, Proudhon et Karl Marx. Il accrédite
d'emblée
le réformisme social qui va se mettre en place et écrira: " (…) rassuré
sur la question politique, c'est vers la question sociale que ce sont
tournés
tous mes travaux et toutes mes facultés. Dans ce pays surtout, où je
l'avais
sondée, il y a 20 ans, j'ai pu voir les misères imméritées, les plaies
profondes se développer sur la plus vaste échelle, j'avais alors écrit:
le
Capital sans contrepoids mangera l'homme; d'où la conséquence que le
salariat,
cette servitude morale et corporelle, doit disparaître sous peine de
devenir un
fléau pour l'humanité. Et aujourd'hui j'ajoute: puisque la propriété,
fruit du
travail, est une garantie d'indépendance, qu'on la respecte à condition
de la
multiplier, de l'universaliser par l'association et la mutualité ..."[13].
Science d'une
économie sociale
La grande
industrie s'installe, des grands groupes de production
cherchent à dominer le marché. Le salariat, sous forme de contrat
individuel de
travail dans l'entreprise, va peu à peu avoir priorité sur toute forme
d'organisation ouvrière. Il faut créer un état d'esprit unifié et des
règles de
travail pour l'ouvrier dont l'individualisme apparaît comme un danger.
L'"économie
sociale" va prendre des allures de bonne conduite
et ses principes d'entraide et de solidarité servir autant les
industriels
"de gauche" que les conservateurs.
Frédéric Le
Play, économiste (1806-1882), praticien du positivisme de A.
Comte pourrait-on dire, va étudier, disséquer la vie ouvrière à partir
de
familles-souches. Il en fait un découpage minutieux, étudie les
rapports
volontaires et contractuels qui existent entre les individus et les
institutions sociales qui en sont le produit. Ce travail est considéré
comme la
science de la paix sociale et F. Le Play pense avoir engendré
"l'économie
sociale".
En 1848, les
Saint-Simoniens s'étaient intéressés à ses monographies,
les ouvriers européens, et
certains y
voyaient un progrès
moral. Ce progrès est favorisé sous le second Empire et dès 1851 F.Le
Play est
nommé à la commission chargée de préparer l'exposition universelle de
Paris de
1855.
En 1856, il crée
une revue La société d'économie sociale. Elle est
considérée comme un véritable herbier de la classe ouvrière et fonde la
renommée de F. Le Play qui deviendra conseiller de l'empereur sur les
questions
ouvrières. C'est un homme précieux pour l'État par sa vision réformiste
à
remédier aux désordres par des améliorations sociales totalement
coupées du
politique.
C'est en effet
aux patrons que l'on attribue une obligation morale et
sociale en matière d'œuvres sociales. Ce "paternalisme" qui va se
développer chez certains grands patrons n'est pas éloigné finalement
des idées
radicales. Ces derniers se targuent aussi de faire de l'économie
sociale en
créant entre ouvriers et patrons un système d'engagements qui va
au-delà du
rapport salarial.
Le patron doit
favoriser l'établissement des familles à leur charge en
rendant possible la propriété de leur foyer qui matérialisera la durée
des
rapports sociaux.
Une telle
idéologie permettra la mise en place de coopératives,
véritables communautés familiales de travail. Ainsi fut créée en 1856
par Jean
Baptiste Godin, grand industriel, une coopérative qui deviendra le
"Familistère de Guise" en 1880.
Certains
libéraux verront dans les coopératives ouvrières de production
un moyen de promotionner les élites ouvrières.
Le social vu
comme promotion individuelle ou comme "privé
élargi" n'effraie pas. La loi de 1850 sur les sociétés de secours
mutuel
montre qu'elles ont les traits de "familles privées" [14](13)
.
Le courant de
Catholicisme social fait aussi des adeptes parmi les
conservateurs pour défendre un corporatisme associatif. Albert De Mun
(1841-1914), député en 1876, et René de La Tour du Pin, sociologue
(1834-1924)
vont s'en faire les défenseurs et participer à la création de cercles
d'ouvriers. Chez ce dernier c'est la discipline dans la production qui
est mise
en avant ; pour A. De Mun c'est un désir d'éduquer les ouvriers contre
le
courant révolutionnaire, l'encadrement étant constitué d'une élite
bourgeoise,
d'inspiration paternaliste. Sa vision évoluera vers la lutte sur le
terrain syndical.
Sociologie de la
division du travail -
Le travail de
réflexion que mènera Emile Durkheim, considéré comme le
fondateur de la sociologie en France, à partir de l'étude des formes
nouvelles
de la division du travail par spécialisation, va être un tremplin
extraordinaire pour le parti radical et, de façon plus large, pour
l'État dans
son rôle de protection sociale des travailleurs. Sa réflexion, à
prétention
scientifique, qu'il définit comme une science des moeurs propres à
différentes
sociétés, ces moeurs se définissant en fonction du degré de
rapprochement des
individus, va justifier la spécialisation dans le travail et en faire
une norme
d'organisation.
L'influence de
Charles Darwin va aussi faire avancer l'idée que la
concentration donne plus de chances de survie car elle favorise
l'éclosion de
la diversité d'aptitudes; la ville va devenir le milieu favorable au
développement du travail (plus de souplesse mentale, entrecroisement de
traditions).
Pour E.
Durkheim, cette nouvelle division du travail qui est un principe
de cohésion de la société instaure la solidarité. Il parle de
"solidarité
subjective" qui agirait sur les consciences. Des services échangés
naîtrait un système d'obligations morales qui rapprocherait les hommes,
un
filet de sentiments sociaux, ce qui expliquerait la persistance du lien
social
malgré l'effritement des groupes de ressemblance et de tradition. Ainsi
les
droits de l'individualité sont mis en lumière pour définir la
solidarité.
On peut voir
dans cette vision de E. Durkheim les prémices de l'État
Providence; en effet, il reconnaît que parler de cohésion sociale est
bien
utopique si certaines conditions ne sont pas réalisées (division des
fonctions
choisie et adaptée, conditions de départ égalisées pour une division
positive
et ressemblance morale entre individus pour une harmonie - moralité
obtenue par
des groupes de pression (associations. coopératives. corporations). Il
place
donc en préalable l'amour et la fraternité comme forme primitive de la
solidarité dans laquelle des individus peu différenciés sont absorbés
dans des
groupes qui les assimilent. C'est ce qu'il appelle la solidarité
mécanique.
Ensuite vient la
solidarité organique qui illustre la différenciation des
individus et leur complémentarité fonctionnelle par la division du
travail qui
doit exprimer les inégalités naturelles. L'individu s'épanouirait en
intégrant
une entité morale dans la société.
E. Durkheim
constate bien que l'industrialisation a tendance à isoler les
individus et que cette solidarité basée sur la morale ne suffit pas. Il
préconise des normes juridiques à mettre en place pour définir les
règles de
coopération et d'échanges de services entre participants au travail
collectif.
Pour cela il met l'État sur un piédestal et lui donne un rôle
essentiel, quasiment
mystique, découlant de la transformation des formes de solidarité :
l'État doit
devenir prééminent comme le lieu d'élaboration des décisions engageant
la
collectivité, il doit penser, agir, accroître la liberté et la dignité
des
individus par sa fonction de protection.
Cette vision de
Durkheim sera reconnue officiellement. Il obtiendra la
chaire de l'éducation à la Sorbonne en 1902, chaire qui jusque-là était
occupée
par Ferdinand Buisson qui deviendra pendant 22 ans député radical
socialiste.
Un rapport sur
la division du travail sera réalisé par C. Bouglé,
disciple de E. Durkheim et professeur de sociologie à la Sorbonne à la
même
époque. Ce rapport rassemble un certain nombre de théories sur la
division du
travail. Pour les élaborer ont été utilisés, entre autres, les travaux
de E.
Durkheim, A. Smith, G. Simmel, K. Marx et Ch. Gide[15].
Ce rapport
caractérise avec précision le fonctionnement de la grande
industrie en insistant sur le sens du terme "division du travail":
différenciation des tâches des coopérateurs dans une même entreprise ou
section. C'est le travail qui est décomposé et non plus la production
qui est
sectionnée. De plus, chaque travailleur est cantonné à une tâche
particulière
et la spécialisation doit entraîner toujours plus de spécialisation.
Quant à son
aspect social, il répondrait à un besoin d'ordre dans la vie
économique, spirituelle et sociale. Une interrogation sur le sens du
mot
travail est donc posée : "(…) c'est de toute espèce d'activité qu'il
faut
se demander dans quelle mesure et sous quelle forme elle est
spécialisée",
si elle a un objectif d'intérêt social (matériel ou spirituel). Le
travailleur
n'étant plus dans un cercle fermé, l'accès à la connaissance et au
suffrage
doit faire contrepoids à la fonction industrielle et les cercles
sociaux
deviennent en principe ouverts à tous. Apparaît alors " la complication
sociale"[16]
due à l'entrecroisement
des cercles sociaux qui permet l’individualisation, c'est-à-dire à la
diversité
des rapports individuels dans une cohésion sociale.
Toute notion de
lutte de classe est ainsi contestée et, à fortiori, celle
de la détermination d'une classe sociale liée uniquement à la division
du
travail.
Ce rapport
renvoie à la "solidarité intime" de E.Durkheim qui
serait une conséquence du progrès obtenu par la division du travail qui
crée un
système d'obligations morales, de devoir de solidarité qui entraîne la
persistance du lien social.
La paix par le
Droit
En cette fin de
siècle, l'administration étatique va s'adapter à
l'organisation de l'industrie avec ses usines comme symbole de
l'efficacité du
rendement et du contrôle pour une meilleure exploitation de la division
du
travail. Elle se centralise: contrôle, précision, hiérarchie, à l'image
du
fonctionnement de l'usine. Entre 1840 et 1880, ses effectifs ont doublé.
L'enseignement
va s'adapter à la révolution industrielle: est mise en
place une instruction primaire de base et civique pour une meilleure
adhésion à
la République et une formation minimale de la main d'oeuvre. La classe
capitaliste domine car elle maîtrise l'économie. Son autorité est
renforcée par
la concentration des capitaux. Toutes les lois sur les sociétés sont
votées
sous le Second Empire. La politique est ainsi contrôlée. La démocratie
individuelle et représentative séduit en répondant aux revendications
du droit
à l'instruction et à la législation du travail.
Les politiques
s'adaptent à cette nouvelle idéologie de l'ascension
sociale individuelle (lois scolaires de J. Ferry en 1880).
Enfin, la
bourgeoisie exerce un pouvoir social, monopolise l'information,
les œuvres de charité. Stabilité et prévoyance sont ses vertus pour
faire
fructifier le capital.[17]
La notion de
"science sociale" a émergé avec la sociologie de
Durkheim. Une nouvelle revue illustre cette science: La
Science Sociale.
Elle émane d'un courant des disciples de Le Play. Tout y est centré sur
l'organisation du travail et la gestion du personnel. Le patronage
devient une
pratique de gestion de la main d’œuvre[18].
L'Économie
Sociale, conçue par Le Play, va servir tout autant le
conservatisme religieux que la bourgeoisie industrielle libérale. La
nouvelle
division du travail s'officialise en devenant morale. Prend forme un
compromis
dont s'emparera l'État en devenant le garant de la solidarité dans
l'entreprise.
Charles Gide
(1847-1932), économiste, va, semble-t-il, jouer un rôle
important en faisant redémarrer le mouvement Coopératif (qui avait subi
un coup
d'arrêt pendant le Second Empire), dans un esprit d'humanisme et
d'harmonisation entre riches et pauvres. La notion de solidarité qu'il
défend
n'est pas en dissonance avec le capitalisme de cette fin de siècle. Il
va jouer
un rôle important dans l'élaboration de cette nouvelle conception de la
solidarité: le solidarisme, qui deviendra la
doctrine du Parti Radical
et sera présentée comme une philosophie alternative.
C'est peut-être
lui, finalement, qui permet le mieux d'illustrer ce que
représente l'économie sociale de ce siècle traversé de questionnement:
avec ou
sans l'État? avec ou sans les industriels? avec ou sans l'Èglise?
avec ou
sans les syndicats? pour la Paix par le Droit.
Pour la paix par
le Droit fut une revue
parue en 1893. Elle deviendra une
association à laquelle collaborera Charles Gide. C'est un carrefour de
différents courants de pensée inspirés de christianisme et d'humanisme.
Gide va
faire le lien entre la religion et cette nouvelle science sociale.
Tout d'abord,
pour lui, la source de la solidarité est dans le fond de la
doctrine chrétienne, à savoir que l'humanité porte le poids du péché
originel
mais qu'elle peut y échapper en s'appropriant les mérites du Christ, la
faute
et l'expiation expliquant l'origine et le destin humain. Lorsqu'il
parle du
Christ, il le présente comme le chef d'une humanité nouvelle: "quelle
que
soit d'ailleurs l'opinion que l'on puisse avoir sur sa nature divine,
il a pu
être salué comme le type le plus parfait de l'individualité"[19]
Il cherche une affinité entre l'évangile et la science, donne des
arguments
moraux à ses explications scientifiques et rejoint la morale laïque
conçue
comme une limitation à l'initiative individuelle prônée par le
libéralisme.
Pierre Leroux parlait aussi de Jésus comme du plus grand économiste qui
soit.
Ce mélange de
religion et de rationalisme se lit aisément dans le rapport
qu'il rédige pour l'Exposition Universelle de 1900. Il imagine qu'il
expose les
composantes de son " économie sociale" dans une cathédrale en y
plaçant dans la grande nef toutes les formes de libre association,
c'est-à-dire
les coopératives, es mutuelles et les formes de l'organisation libre et
volontaire, y compris l'association syndicale[20].
L'économie
sociale qu'il revendique est surtout axée sur l'objectif
d'amélioration de la condition sociale des moins favorisés, la
recherche du
meilleur accompagnement social qui soit. Cet objectif ne peut
s'envisager que
s'il y a partage des responsabilités au service de tous. Donc une telle
solidarité active ne peut exister qu'avec le concours de: la science
sociale
qui permet de faire comprendre que l'intérêt de tous est d'être
solidaires,
l'intervention de l'État comme conscience collective.
Pour lui les
coopératives représentent le système d'organisation parfait
pour qu'existe une réelle solidarité, la forme supérieure du système de
production étant la coopérative de consommation parce qu'elle interdit
la
manifestation d'égoïsmes corporatifs, tout le monde étant consommateur.
Ainsi
la solidarité active permet à chacun d'avoir un travail. Dans sa
conception, le
travail est sacralisé et tout pauvre par paresse doit exécuter un
travail obligatoire.
Si Gide voit
dans la coopérative la transformation de l'ordre économique
et social, c'est aussi à condition que soit mis en place un
apprentissage de la
citoyenneté par une éducation morale. Il rejoint ainsi l'idéologie du
Parti
Radical dont le credo est l'éducation du peuple pour la diffusion de
l'esprit
critique, de la science et de la raison.
L'université
populaire est, pour lui, une oeuvre de paix sociale, la
concrétisation de l'économie sociale, le rapprochement des classes par
la
communion des belles choses. En cette fin de siècle, l'université
populaire va,
en effet, occuper une place centrale au sein des expériences
d'éducation
sociale. On y propage une philosophie de la conviction dans la
perfectibilité
de l'individu. C'est aussi un laboratoire d'apprentissage du lien
social,
l'association d'hommes égaux et libres qui travaillent pour faire
émerger un
État social supérieur représenté par la République Coopérative.[21]
L'économie
sociale s'institutionnalise avec la reconnaissance du droit
d'association.
Gide fait une analyse des associations aux Expositions de 1889 et 1900
en
s'inspirant de Le Play. Son analyse se veut scientifique. Au congrès de
l'Education Sociale de 1900, beaucoup d'intellectuels s'intéressent à
la
solidarité comme à une doctrine scientifique, à un concept sociologique
et non
seulement comme à une idée républicaine.
Les Radicaux
(dont Bourgeois et Buisson) s'appuient sur l'œuvre de Gide
pour préciser que l'association est le lieu où s’exerce la solidarité à
condition qu'elle implique un sacrifice de l'intérêt individuel en
échange d'un
avantage social[22].
Gide voyait tout
de même bien au-delà de ce pragmatisme national; il
croyait en un monde harmonieux, humain entre possédants et prolétaires.
Pour
lui la coopérative économique associe travail et capital en faisant du
travailleur le propriétaire du fruit de son travail. Il y donne une
dimension
internationale et préconise une voie nouvelle qui se situerait entre
libéralisme et collectivisme.
Triomphe du
syndicalisme ouvrier -
Petit à petit
des règles de droit vont permettre de donner une
connotation morale à la grande industrie et à l'intérêt de chacun.
L'Association,
interdite s'il s'agit de remettre en question le
libéralisme économique, tolérée dans un but de réforme sociale, a une
reconnaissance officielle en 1884 à travers le Syndicat Professionnel
(ouvrier-patron). Ces regroupements professionnels vont très rapidement
permettre une organisation centralisée des ouvriers en Fédérations puis
en
Centrale avec la naissance de la C.G.T. en 1895.
Le courant du
Catholicisme social se développera plus tardivement pour
aboutir à la C.F.T.C. en 1919.
Le Syndicalisme
va devenir prédominant comme moyen de lutte des ouvriers
au détriment des Coopératives qui tomberont en désuétude. La "lutte de
classe" est dans l'idéologie du Parti Ouvrier Français dit
"Marxiste". Cette connotation politique n'existe pas dans le
Coopératisme.
Paul Lafargue,
défenseur du "marxisme", critiquait de façon
virulente la morale positiviste dans son célèbre discours "idéalisme et
matérialisme" l'opposant à Jean Jaurès en 1895 :
"... les
idéalistes, les plus positivistes surtout, affirment que
les idées de justice et que la morale sont en progrès : cette théorie
est faite
pour plaire aux capitalistes qui érigent leurs pratiques industrielles
et
commerciales en actes de vertu. Mais il est difficile d'admettre cette
évolution progressive de la justice et de la morale, si chère aux
Auguste
Comte, Herbert Spenczer et autres profonds philosophes bourgeois de
même myopie
scolastique...; une des premières lois de 1789 proclame la légalité de
l'intérêt de l'argent qui, auparavant, n'était que toléré ... le prêt à
intérêt
serait donc une forme supérieure de la morale, si ce n'est la plus
supérieure,
d'après Comte, Spencer et autres amateurs de la "perfectibilité
perfectible" de la justice et de la morale"[23].
Des économistes
de renom critiquent aussi ce courant d'économie sociale
et s'opposent à ce qu'ils appellent un réformisme social.
Léon Walras
(1834-1910), professeur d'économie politique à l'Académie de
Lausanne, définit l'économie sociale ainsi: "J'appelle Economie
Sociale
... la partie de la science de la richesse sociale qui traite de la
répartition
de cette richesse entre les individus et l'État et qui recourt au
principe de
la justice et non pas, comme le font l'école de Le Play et nos facultés
de
droit, l'étude des institutions patronales et philanthropiques, de la
coopération et de l'assurance, tous sujets intéressants d'économie
politique
appliquée dépendant du principe de la Charité, de la Fraternité, de
l'Association libre, tout au plus de l'Utilité sociale, et dont la
substitution
aux questions de la propriété et de l'impôt dans l'économie sociale,
fait à un
point de vue conservateur ou radical, n'a qu'un but: rendre plus
tolérable le
sort des prolétaires afin de permettre aux bourgeois et paysans
propriétaires
de jouir tranquillement au meilleur marché possible, de leurs revenus,
traitements et rentes"[24].
Le compromis
"solidariste"
On voit poindre
l'acceptation implicite du mode d'organisation du travail
industriel chez les Radicaux. Une pensée pragmatique, teintée de
démocratie
sociale, est propagée : la conciliation de la liberté individuelle et
du devoir
social. L. Bourgeois vante cette idéologie, inspirée largement de la
pensée de
E. Durkheim, dans un petit livre paru en 1897 "Solidarité".
Sont mises en
avant, comme remède aux contradictions, les Associations de
forme mutuelliste et les Coopératives comme lieux de rassemblement et
d'entraide pour une démocratie sociale.
La doctrine
"solidariste" entérine la question sociale. Entre
l'État et l'industrie libérale il fallait un compromis qui stabilise
l'un et
l'autre. Désormais l'État va prévoir, protéger le travailleur, lui
apporter une
instruction morale qui lui donne conscience de son devoir social au
sein de la
nouvelle division du travail dans l'entreprise, organisée
scientifiquement.
Cette
organisation scientifique du travail aurait pour but l'abaissement
du prix de revient des marchandises pour un accroissement des valeurs
d'échange
et devait donc tendre à un rendement maximum des ouvriers. Dans cette
optique,
la parcellisation des tâches ne peut être que louée car elle devient le
moyen
d'enrichissement de la nation. La technique du métier peut être
perfectionnée
par la spécialisation des tâches mais il y aurait danger d'accumulation
sans
une mise en ordre par le maintien d'un idéal. Pour cela il faut des
têtes
pensantes, des élites capables de diriger, le découpage du travail
pouvant
entraîner une sclérose intellectuelle.
Il y a surtout
une autre crainte, c'est le risque de disparition de
solidarité, de lien social entre les ouvriers, sans organisations qui
les
regroupent; et il faut avant tout, pour redonner une personnalité à
l'ouvrier,
le préparer par un minimum d'instruction à prendre part à la vie
intellectuelle
et à la vie politique.
Cette nouvelle
solidarité met en avant les droits et les devoirs de
chacun, la liberté de travailler en fonction de ses facultés, le
respect de
l'autre. Pour que cette liberté ne soit pas fictive, il faut donc
intervenir
sur les facultés sociales (dépendant du milieu familial), créer une
structure
juridique qui aille dans le sens de l'égalité ou -comme le dit C.
Bouglé - de
"l'harmonie des consciences"[25],
et enfin créer l'ordre par le biais de regroupements en associations
pour
maintenir la morale dans les consciences individuelles. Ces
regroupements
doivent se faire par profession. Ils maintiendront ainsi la moralité
qui est
propre à la coopération.
Ces Associations
doivent être des organes de protection et de direction,
adaptés à l'industrie moderne avec la mise en place d'un système de
corporations, comme le préconisait Durkheim. Pour le Parti Radical, ce
sont les
mouvements d'entraide comme mutuelles, coopératives, associations
syndicales
qui vont jouer ce rôle.
Puisque ce sont
les droits et les devoirs de chacun qui prévalent, les
juristes vont jouer un rôle important dans la mise en place de ces
droits entre
l'État et l'individu.
Duguit et
Hauriou vont être les théoriciens du Droit Public. Sociologie,
Morale et Droit sont intimement liés dans l'enseignement de la
sociologie à la
fin du 19° siècle; cette nouvelle discipline, annexée à la philosophie,
a
surtout trait à l'histoire de l'Économie Sociale. Il y a des cours d'
"économie sociale comparée" à la Faculté de Droit de Paris.
REACTIVATION DE
LA SOLIDARITE
Au 19è siècle,
l'économie sociale représentait donc le consensus
républicain. Il répondait au souci de réorganiser le travail et
regroupait
prolétaires et bourgeois autour de l'hymne du progrès infini dont les
bienfaits
rejailliraient suivant les capacités de chacun.
De l'humanisme
de Pierre Leroux, en passant par le Solidarisme de la 3°
République, intérêt particulier et intérêt général se sont fondus dans
la grande
entreprise capitaliste jusqu'à la fin des années 1970.
L'expression
d'économie sociale avait pratiquement disparu depuis le
début du 20è siècle. Toutes les contradictions paraissaient résolues et
le
centralisme industriel des "trente glorieuses" permettait à l'État de
s'octroyer le statut d' État Providence qui garantissait la paix
sociale et le
plein emploi.
À la fin du 20è
siècle ce centralisme industriel vole en éclats et
l'État-Providence doit réactiver le secteur de l'économie sociale pour
venir au
secours du non-emploi .
L'économie
sociale va réapparaître sous deux formes officielles :
- d'une part, en
tant que science économique étudiant l'interdépendance
de l'économique et du social, l'État ayant une politique dite d'intérêt
général
et l'économie de marché représentant l'intérêt individuel, ou plus
exactement
le bien-être optimal de quelques uns;
- d'autre part,
en tant qu'institution de fonctionnement de la politique
économique de l'État, institution appelée communément "tiers
secteur".
La science de
l'économie sociale trouve donc son application dans ce
"tiers secteur" regroupant les réseaux associatifs chargés de mettre
en place des activités pour les exclus de la modernisation avec les
dispositifs
des politiques publiques de lutte contre la pauvreté.
Cette expression
de "tiers secteur" est apparue au cours des
années 1970 au moment où l'extension du chômage conduisait à
s'interroger sur
le mode de production capitaliste (mode que les tenants de l'Économie
sociale
nomment pudiquement " la forme la plus traditionnelle de mise en
œuvre de la
production").
L'ambiguïté de ce secteur et son rôle semblent parfaitement assumés par
ceux
qui prônent son utilité: "l'économie sociale cherche à instaurer une
structure alternative, montre un refus de la logique capitaliste, le
désir d'un
autre ordre social qui reste autonome, loin de l'étatisation. Sa
marginalité ne
la rend menaçante ni pour l'État, ni pour le capitalisme, mais ses
intentions
lui confèrent un avantage immédiat : une grande souplesse d'adaptation
aux
besoins de ce temps de crise".
Cette définition
a été relevée dans l'éditorial des Cahiers Français
n° 221, mai-juin 1985 - Edit. La Documentation Française.
Nouveau droit a
l’insertion et État Employeur
Le droit au
travail se transforme en droit à l'insertion géré par ce
nouveau secteur de l'économie, qui va être officialisé.
En 1980 une
charte définit la constitution de ce secteur regroupant plus
de 20 millions d'adhérents et employant plus d'1 million de
travailleurs (Cahiers
Français n° 221 mai/juin 1985 déjà cité)).Il faut noter que
le texte de la
charte utilise exclusivement dans ses 7 articles l'expression "les
entreprises de l'économie sociale". Dans le préambule de cette charte,
on
peut lire que ce sont les coopératives, les mutuelles et les
associations qui
constituent ce secteur de l'économie sociale.
En 1981, une
Délégation à l'Economie Sociale est rattachée au 1° Ministre
(DIES).
En 1982, est
créé un Comité consultatif, lieu de dialogue permanent entre
les trois composantes de l'économie sociale (coopératives, mutuelles,
associations).
En 1983, le
principe de la coopération est reconnu dans le secteur des
entreprises. Un institut de développement de l'économie sociale est
créé:
outil financier destiné à améliorer la situation en fonds propres des
entreprises de ce secteur.
En 1984, dans le
cadre des "contrats de plan État-Régions" sont
créés des outils de développement, qui sont des lieux de rencontre et
de
dialogue au niveau régional. Ils doivent permettre de s'associer aux
politiques
de développement local.
En 1985, la
capacité entrepreneuriale et gestionnaire des associations
est renforcée par la loi instituant le titre associatif, allant dans le
sens
d'une adaptation aux problèmes de terrain pour la mise en pratique des
dispositifs successifs des politiques publiques.
Les dispositifs
d'insertion vont pouvoir se mettre en place. Ils
concrétisent un rapport de synthèse élaboré par "la Fondation pour la
recherche sociale" à laquelle a collaboré un groupe de travail
ministériel, achevé en 1981 et s'intitulant :" contre la précarité et
la
pauvreté - 60 propositions".
Les dispositifs
se suivent et se renouvellent à grand renfort de
médiatisation mais c'est la mise en place d'un revenu d'insertion qui a
fait
resurgir les débats sur la pauvreté et sa gestion en terme de droit et
de
devoir.
Des propos
relevés dans le journal officiel sur les débats parlementaires
à ce sujet sont édifiants: "Cette politique est dans le prolongement
des
grands principes républicains et du préambule de notre constitution sur
le
droit à l'insertion qui devient pour tous une ardente obligation
nationale
"[26].
Ou encore: "La
politique d'insertion est
une utopie créatrice"[27].
Dans le même
temps les pouvoirs publics récupèrent coopératives,
mutuelles et associations en leur donnant les moyens d'intervenir dans
l'économie de service entrant dans le tiers secteur. La notion
d'intérêt
général va être exploitée par eux pour moraliser (revaloriser
des emplois de
faible intérêt) les
emplois et les
travailleurs du tiers secteur. L'insertion se concrétise par
le biais de
"contrats emploi solidarité" qui, de précaires, vont vite être
"consolidés", c'est-à-dire dont la durée peut aller jusqu'à 5 ans
(loi du 29 juillet 1992).
Ce "contrat
emploi solidarité" (C.E.S.), créé en 1988, s'applique
à tous les publics exclus de la politique de l'emploi[28].Son
postulat consiste juste à mettre en situation de travail.
Les organismes
publics, les collectivités territoriales et les
associations profitent de cette aubaine de contrats à bas prix,
n'impliquant
pas de pérennisation des postes de travail. L'intérêt général enrobe le
contrat
précaire d'une valeur de solidarité.
Réussira-t-on à
culpabiliser le contractant au point
qu'il en arrive à considérer que cet intérêt général se confonde avec
son intérêt
particulier ?
Déjà, à ce
moment-là, une culture d'éthique solidaire est diffusée par
les gestionnaires du tiers secteur. Le but est que toute activité
humaine doit
prendre la forme d'une innovation rentable. Certains ont une formule
admirable
pour dire la même chose : il faut réencastrer
l'économique dans le
social.
Les revues
économiques officielles proposent, diffusent depuis
quelques années une notion de "pleine activité". Pour l'O.C.D.E.,
cette notion intègre les données suivantes :
- relativisation
de la place donnée à la représentation utilitariste du
comportement humain (un petit bout d'insertion suffira donc) :
- généralisation
des possibilités de travail à temps choisi (chacun
peut choisir sa mise en précarisation) :
- on met
l'accent sur les chômeurs et les exclus pour les aider à devenir
acteurs de leur insertion (on
les
culpabilise) :
- ces règles du
"jeu social" vont concilier liberté de choix
individuel et existence d'un lien social (culpabilité et
dépendance accrue).
Alain MINC, qui
a présidé la commission ayant rédigé le Rapport au Premier Ministre en 1994 La France de l'an 2000 tient aussi un discours
moraliste en demandant à l'État de concilier éthique et économie de
marché[29].
Rien de vraiment nouveau donc si ce n'est de rappeler aux pouvoirs
publics
qu'ils doivent multiplier règles et lois nouvelles au nom de la morale
et de
l'éthique pour maintenir leur légitimité.
Les axes de
recherche s'appuient sur des rapports d'experts économiques
concernant la flexibilité du travail. Il est clair que pour réduire le
chômage
il faut augmenter la flexibilité.
On enrobe les
discours dans une vision positive de progrès: "l'opposition à première vue" de l'intérêt économique et de
l'intérêt individuel doit amener la mise en place d'un "pacte social"
au terme duquel les intéressés s'engagent à favoriser l'efficience en
même temps
que le progrès social[30].
Il appartient
aux pouvoirs publics de jouer ce tour de passe-passe : le
bien-être doit passer par une précarisation de l'emploi pour le plus
grand nombre
dans l'intérêt général d'enrichissement de quelques-uns.
Légitimation
étatique
Au sein du
gouvernement, chacun y va de son discours humaniste sur la
lutte contre l'exclusion.
Pierre
Rosanvallon[31]
illustre assez bien l'idéologie qui a cours dans les milieux officiels.
Interviewé[32]
sur son livre La
nouvelle question sociale, il parle de la nécessité d'une
vision civique du
social et d'une "vision active de l'État-Providence", ce qui veut
dire pour lui que le principe de solidarité doit se déplacer de la
division du
travail à l'appartenance à la cité. L'État doit produire de l'insertion
en y
donnant un sens d'appartenance à la nation, "repositiver" en quelque
sorte l'idée du progrès social. L’État doit donc maintenant être une
"forme politique" du rapport social, un "État de
solidarité"[33].
Ce qui rejoint,
d'ailleurs,la démarche du courant d' "économie
solidaire" pour lequel il s'agit de trouver un nouveau modèle d'action
collective refondant politiquement le principe de solidarité sur la
base d'une
nouvelle distribution de la légitimité et des compétences entre l'État
et la
société civile[34].
Rosanvallon va
même jusqu'à préconiser de nouvelles normes de catégories,
non plus basées sur le revenu mais indexé "sur des facteurs objectifs
ou
hérités"[35]:
handicapé/ bien portant,
jeune / vieux, emploi protégé / emploi exposé, grâce à la meilleure
connaissance que la société a de ses différences. Différences qu'il
explique du
fait du déterminisme individuel (avancées de la génétique) et du
déterminisme
économique[36]:
" le prélèvement de
solidarité sera d'autant mieux accepté qu'il sera indexé sur des
facteurs
objectifs ou hérités à partir d'une appréhension élargie du champ des
différences et des inégalités".
Ces propos
extrêmement dangereux vont être suivis d'effets. Le principe
d'égalité de tous devant la loi se voit tronqué en notion d'équité
justifiant -
sous couvert de rétablir l'égalité des chances de chacun - des mesures
joliment
nommées "discriminations positives". Ces mesures vont permettre de
fixer géographiquement les zones porteuses de "malchanceux" et d'y
"produire" des espaces de vente de citoyenneté en tranches. Bon
nombre d'associations vont s'engouffrer dans ce créneau et revendiquer
cette
production de citoyenneté sociale par les pratiques qu'elles mettent en
place.
Juste un exemple
pour fixer cette citoyenneté sociale: prenons un projet
de réseau interregional visant à mettre en place un syndicat de
chômeurs. La
Directrice de ce réseau a également fondé une maison des chômeurs
depuis 10
ans. Elle en parle comme d'un espace micro-socio autonome où les
chômeurs
représentent un pilier potentiel de l'économie solidaire, à condition
qu'ils
disposent d'un collectif qui les redynamise et les représente.
Comment
fonctionne cette maison de chômeurs? Trois principes de base:
1 -
l'organisation du temps libéré avec pour objectif de rentabiliser ce
temps par l'émergence de projets ;
2 - la
citoyenneté sociale ;
3 - la mise en
place d'un dispositif permettant la concrétisation de
projets, la création d'activités économiques (animation d'un temps
d'heures de
formation par des "non chômeurs").
Avec quel
financement? Des subventions des collectivités locales et du
personnel employé sous forme de contrats emploi solidarité renouvelés.
En résumé, le
chômeur doit justifier de son appartenance à la cité en
devenant inventif, créatif, porteur de projet qui doit devenir rentable
pour la
collectivité, le développement local, en échange de quoi une
rémunération de
solidarité lui sera versée[37].
Nouveaux
partenaires de l'État
La compétitivité
dans l'exclusion prend forme. C'est la course à la
reconnaissance officielle à grand renfort de médiatisation. 30
associations
sont sélectionnées pour recevoir le label de participation au "pacte
contre l'exclusion" pour avoir mis en avant les principes suivants:
redonner du sens à la devise républicaine de l'État de droit, appliquer
pleinement les lois organisant la solidarité, valoriser la citoyenneté
des
pauvres en les accompagnant dans leurs recherches, en créant des
groupes de
solidarité avec eux en vue d'un meilleur partage des activités.
Au regard de la
liste des associations reconnues, on s'aperçoit que le
verrouillage politique est déjà bien mis en place même si le premier
ministre,
A. Juppé, ne cesse de répéter aux associations que ce sont des
partenaires de
l'État dont l'indépendance doit être garantie et que le mouvement
associatif
détient "certaines clés pour résorber la fracture sociale et construire
le
pacte républicain cher au Président de la République[38].
Les associations
retenues adhèrent toutes à l'UNIOPSS dont le Président,
René Lenoir, est Conseiller de Mr. Chirac.
Au 24è congrès
de l'UNIOPSS, les 17,18 et 19 janvier 1995 à Tours, dont
le thème était "pour un nouveau pacte social, les solidarités
associatives
en action", René Lenoir a rappelé le fondement des associations: vers
une
société de justice et de solidarité, mais aussi nécessité de mieux
faire valoir
ses capacités à s'adapter pour justifier son rôle au service du
développement
des solidarités.
Dans cette
grande union solidaire "en compétitivité", quelques
associations sont promues:
- " Solidarités
Nouvelles face au chômage " créée en 1985. Son
Président est J.B de Foucauld, ancien Commissaire au Plan (11è Plan
93/97). Les
thèmes de ce 11è Plan étaient la compétitivité à enrichir dans une
cohésion
sociale.
- "Coordination
des Organismes d'Aide aux chômeurs par l'emploi
" (COORACE) créée en 1985.
Ses actions
principales sont :
- participation
à la rédaction d'une loi sur les Associations
intermédiaires en 1987. L'objectif est de permettre le développement
des
services au ménage et d'en accélérer la création:
- création
d'emplois familiaux
- création de
chantiers-école et d'insertion
- interim
d'insertion: explorer les gisements d'emploi dans le public en
difficulté pour des activités sur l'environnement.
Pour justifier
de sa rentabilité, la COORACE va s'impliquer dans la mise
en place d'actions liées au R.M.I. en mettant en avant l'utilisation de
dynamiques personnelles, la valorisation de la générosité, la
responsabilité du
cheminement jusqu'à l'insertion définitive.
Un Conseil
National de l'insertion par l'activité économique est créé en
1991. La COORACE en est vice Président. Au sein de ce conseil, on parle
d'une
forte demande de services hors du champ d'intérêt des entreprises
performantes,
sans rentabilité directe, à savoir: des services d'intérêt collectif
(sites,
urbanisme, loisirs, qualité de vie), une aide aux chômeurs,
délinquants,
illettrés, frappés d'impécuniosité, des services palliant les défauts
d'une
production de masse.
Le Président du
Conseil de l'insertion parle de "la nécessité d'un
nouvel ajustement dans le système compétitif mondial"[39].
Il propose, compte tenu du fait que tous ces nouveaux services ne
peuvent être
rendus par des robots ou des logiciels, d'avoir du personnel motivé,
encadré,
qui ne demande pas de gros investissements. Il faut donc exploiter ce
nouveau
gisement humain. Il fait le constat d'une incompatibilité entre la
haute
technologie, la recherche de profit et le besoin d'ordre sociétal que
ce
système suscite et propose donc d'agir sur l'offre et la demande dans
un sens
différent de celui de Keynes, c'est-à-dire: offre au sens de
l'insertion des
travailleurs exclus, demande au sens des besoins non satisfaits par le
système
productif. L'objectif, en agissant sur ces deux aspects, est d'enrichir
"le secteur hautement productif prioritaire "...." l'emploi
adapté et accompagné coûte moins cher que l'assistance" et ... " les
activités porteuses d'emploi créent les conditions d'un développement
local solidaire
atténuant les mutations du capitalisme"[40].
Ainsi, le
travailleur social devient le nouveau gestionnaire des
ressources humaines exploitables et une activation sociale se recompose
pouvant
devenir productive en englobant la marge dans des procédures
contractuelles,
des logiques de projets.
L'égalité est
dans la capacité à produire qui fonde la citoyenneté. Ce
postulat d'A. Smith est toujours bien présent, la subtilité est de
convaincre
que cette capacité se manifeste au sein de dispositifs d'insertion.
De ce secteur
d'économie sociale, vêtu de ses oripeaux de citoyenneté
solidaire, émergent toutes sortes d'initiatives ponctuelles portées par
des
projets censés s'inscrire dans une stratégie de l'innovation. S'y
retrouvent
des travailleurs sociaux pour "insérer" des marginaux, des
scientifiques en recherche d'une reconnaissance de brevet, des chômeurs
en mal
d'emploi, des intellectuels nostalgiques de collectif.
Dans cette
mouvance, le courant d' "économie solidaire" se
verrait bien prendre la place du syndicalisme. Laville voit déjà
l'institutionnalisation du courant qu'il porte entre économique et
politique et
son ins_c_r_i_p_tion dans le champ politique comme entité collective dans un
espace
public conflictuel.
Il sacralise le
travail, l'humanise, l'idéalise à condition que puissent
s'instaurer des espaces micro-publics en remplacement des syndicats
ouvriers.
Il veut établir un nouveau compromis en gardant l'idée que le travail
ou
l'activité sociale reste le grand intégrateur.
Ses affirmations
sur les tentatives d'économie solidaire par les
associations ouvrières d'avant 1848 mettent toujours en avant un souci
de
rassemblement populaire. Pour lui l'association est là pour atténuer
les
inégalités liées aux normes socio-culturelles du milieu familial, pour
contrecarrer
les inégalités des réseaux relationnels primaires entre la famille et
l'État.
Il revendique un rôle de médiateur pour le peuple et se soucie peu de
la
précarisation galopante.
Se considérant
négociateur, entrepreneur citoyen, il revendique à ce titre
des subventions pour agir dans l'économique et concrétiser cette
solidarité
active.
Un nouveau droit
à l'initiative sociale entre dans une logique
d'itinéraire personnel. Il est vite récupéré par les instances
départementales
telles que chambres de commerce, de l'industrie, des métiers, de
l'artisanat,
qui mettent en place des réseaux d'accompagnement aux projets
valorisables
économiquement.
Lucidité des
promoteurs d'économie sociale
Dans la sphère
des pouvoirs publics on avance ce nouveau concept de
pluri-activités qui permet une redistribution du travail sous forme
élargie.
Dans le Rapport du Plan sur la France de l'an 2000[41],
on peut y lire ,dans la liste des orientations, la nécessité de rebâtir
un
cadre institutionnel au travail ,non pas fondé uniquement sur un
contrat de
travail, mais qui intègrerait toutes les formes d'activités entre
emploi et
inactivité : formation professionnelle, stages, activités bénévoles,
chômage
temporaire. Le contrat de travail serait intégré à ce nouveau contrat
d'activité.
Le but est de faire accepter l'idée que la fonction sociale utile n'est
plus
liée à un emploi à temps plein. Cela réduirait la fracture entre les
salariés
et les chômeurs puisqu'il n'y aurait plus d'espace vide de
reconnaissance
sociale..
On en arrive
ainsi à une promotion "d'économie solidaire" qui
se développe en activités associatives (péri-scolaires, accueil des
enfants,
café/musique, régie de quartier, aide à domicile, restaurant de
quartier). Ce
nouveau courant d'économie solidaire rejoint la conception de Laville
qui voit
tout cela comme une "économie alternative en germe"[42]
avec vision de réseaux sociaux qui remplaceraient l'entreprise.
Il est clair que
toutes ces nouvelles ressources humaines réencastrées
sont un nouveau produit managé dans une dynamique de développement
rentable
économiquement à long terme. Les nouveaux acteurs de "bien commun"
doivent savoir sortir d'une logique de niveau de vie et entrer dans une
logique
de mode de vie pour participer à la vie sociale.
B. Perret et C.
Roustang l'expriment fort bien dans leur livre L'économie
contre la société[43]:
partant du principe que la nécessité objective du marché entraîne une
différenciation des modes d'implication dans le travail, il y a ceux
qui ont
des compétences professionnelles (ce qui suppose des compétences
sociales) et
ceux qui ne peuvent acquérir que des compétences sociales. Il y a donc
des
individus inadaptés aux nouvelles exigences du marché du travail, des
gens
"ordinaires" qui ont un problème d'employabilité.
Le handicapé
comme catégorie socio-professionnelle n'est pas loin.
Claude
Alphandery, Président du Conseil National pour l'insertion par
l'économie, parle lui-même de "l'utopie de l'économie solidaire"
(dans un article paru dans le Monde du 24 janvier 1996). Il met en
avant le
fait qu'il est complètement illusoire de penser que les entreprises
d'insertion
puissent intégrer des "avancées sociales" au marché concurrentiel. Il
maintient, toutefois, que la pratique d'une économie d'insertion reste
plus
près de la réalité car elle offrirait des chances d'amorcer les
mutations
nécessaires dans l'organisation du travail et le comportement des
consommateurs.
Il met en avant les
pratiques actuelles
de ces structures d'insertion qu'il considère comme des expériences,
des
recherches de développement dans deux domaines essentiels :
- la
construction d'un parcours d'insertion par un appel à "la
créativité et à la dignité" ;
- la mise en
place d'une organisation du travail flexible qui devrait
intéresser l'économie marchande et en contrepartie ouvrir des marchés
de
sous-traitance aux entreprises d'insertion.
Le C.N.P.F., dès
1994, évaluait en résultats et en coûts le développement
des emplois de service jusqu'en 2000: plusieurs centaines de milliers
d'emplois
pourraient être créés et le coût serait moitié moins élevé que
l'entretien de
chômeurs. Il confirme ainsi une demande réelle et un marché à prendre
tant en
emplois familiaux, animation de quartier, temps libre, écologie et
qualité de
vie. Le défi est lancé à tous les réseaux associatifs : créer des
formations
qualifiantes pour la reconnaissance de tous ces nouveaux métiers. Le
message
est vite compris.
L'intervention
auprès des chômeurs se structure dans des réseaux au
niveau local, national et européen entre partenaires soucieux, pour
diverses
raisons, de promouvoir le développement local. Avec ou sans discours
sur la
solidarité, la ressource humaine (ou le porteur de projet) mobilise
représentants de l'Etat, chambres consulaires, associations.
Partenariat,
concurrence, complémentarité, compromis? Des luttes de
pouvoir apparaissent à tous les niveaux.
Territoire
Providence
Les
fonctionnaires chargés de mettre en œuvre les dispositifs sur leur
unité territoriale se retrouvent à gérer des budgets dans une situation
complètement floue avec multiplication d'intervenants et de politiques
sectorielles, et tout ceci dans un objectif de cohésion sociale basé
sur une
logique de projets innovants.
Leur
méconnaissance totale des situations de terrain a entraîné la
prolifération d'expertises sociales par des "ingénieurs sanitaires"
dans l'objectif de décloisonnement des services de l'État, de création
d'un
pôle social pour les acteurs de l'insertion.
Les Pouvoirs
Publics décentralisent leurs valeurs républicaines. La
région est l'interlocuteur privilégié; de nouveaux contrats vont être
à
l'ordre du jour : le contrat d'initiative locale (C.I.L.) est à
l'honneur et
représente un exemple de salaire d'activité dans le domaine non
marchand. C'est
la nouvelle formule de la gestion locale de la solidarité. Toutes les
orientations sur l'emploi tiennent en une formule sans surprise:
"activation des dépenses passives ".
Au gouvernement,
on parle de mise en cohérence des actions de
collectivités et des associations sur la pauvreté. Se crée une réserve
d'insérés utilisables à court, moyen ou long terme. Alors qu'Edgar
Morin parle
de "renaissance civique" pour évoquer la solidarité et le
développement local, on mesure le décalage entre ces propos et ce qui
constitue
des justifications dérisoires d'exécutants sociaux.
E. Morin
présente même cette nouvelle politique comme porteuse
d'espérance d'une possibilité de résistance à la déshumanisation des
villes et
des campagnes en créant une politique de civilisation passant du
quantitatif au
qualitatif. Et tout ceci grâce aux structures mises en place par les
pouvoirs
publics pour créer ces nouveaux emplois de solidarité.
Il semble
malheureusement plus réaliste de parler d'un droit à l'utilité
sociale - comme le fait Rosanvallon qui définit bien la réalité qui se
met en
place (dans le Monde du 14/2/1995): un État-Providence qui devient
"actif" en donnant une approche plus politique aux formes de la
solidarité car il ne peut plus, dans sa logique assurantielle, gérer ce
qui de
risque passager est devenu un état durable. Le droit social doit
s'enrichir en
droit à l'insertion ou en droit à l'utilité sociale. C'est le nouveau
contrat
républicain qui redéfinit la notion de progrès social ne devant plus se
situer
sur la défensive des acquis.
Si certains
aiment la redondance des discours humanistes, Rosanvallon ne
s'embarrasse pas de fioritures. C'est encore lui qui parle de modèle
social
nouveau produisant de l'insertion (Le Monde du 31/5/1995) :
- le principe de
solidarité ne doit plus être basé sur le principe
d'incertitude sur l'avenir mais sur l'appartenance à la cité ;
- le droit à
l'utilité sociale peut aussi se constituer dans un espace
économique intermédiaire où handicapés et chômeurs confondus
constituent une
main-d'oeuvre de seconde zone.
Il a au moins le
mérite d'énoncer clairement ce qui est en train de se
mettre en place.
Sociologie de
l'autonomie précaire
Ce concept
d'autonomie est apparu à la fin des années 60. Il permet
d'articuler l'individuel et le collectif, le local et le global,
d'avancer
l'idée d'une régulation des systèmes complexes.
Edgar Morin
parle de "science de l'autonomie". Sa référence
fondamentale est la biologie, comme cela avait été le cas pour Durkheïm
au 19°
siècle.
L'autonomie
humaine est avancée dans beaucoup de débats. Aux 28è rencontres
internationales de Genève sur le thème d'exigence d'égalité, C.
Castoriadis
parle des principes de liberté/égalité qui constituent l'autonomie
humaine et
de la société comme auto-création, auto-institution "occultée"[44].
Cela rappelle
l'origine de la déclaration des droits de l'homme de 1791,
énoncée au profit de l'individu en face de l'État avec des principes de
démocratie individualiste égalitaire et libérale. Pour y donner une
réalité
effective, l'État prend en charge l'obligation de créer les conditions
nécessaires à leur accomplissement. La déclaration des droits de
l'homme
devient une justification socialisante. La liberté est dissociée de la
personne, n'est plus un moyen de résistance mais un instrument du
pouvoir avec
le droit social comme justification[45].
Lorsque l'on
parle d'autonomie ou de liberté, c'est d'une "ressource
humaine" colonisée au service d'une culture du travail dont on parle.
Gorz parle
"d'autonomie existentielle"[46]
comme d'une exigence éthique, c'est-à-dire le "libre épanouissement des
individualités dans la poursuite d'activités sans rationalité
économique".
De ce fait, il critique fortement le courant des sociologues de
l'économie
solidaire et leur concept d'économie plurielle qui s'inscrit dans une
signification économique. Il soutient pourtant, dans le même temps, la
notion
de citoyenneté sociale (forme d'institution du lien social que propose
Rosanvallon) revendiquée par un réseau interrégional des Maisons de
chômeurs et
reconnaît que la pensée dominante est de créer de l'emploi partout. Il
faut
découvrir des besoins latents et innover. C'est ainsi que se
matérialise la
liberté, c'est l'ère de l'entrepreneur "Nouveau Saint-Simonien"[47].
Que réclame ce
réseau des maisons de chômeurs? Une légalisation du
statut de chômeur en tant que nouvelle catégorie administrative
professionnelle, au même titre que les salariés, agriculteurs,
employeurs,
artistes,etc. pour ne pas être exclus de la démocratie représentative
syndicale, pour être "citoyens à part entière".
Ce réseau
interrégional bénéficie d'un encart publicitaire dans le
journal Le Monde. Parmi les signataires du texte on y retrouve, à côté
de Gorz,
socio-économiste, Guy Aznar, sociologue également, consultant en
entreprise,
défenseur d'un emploi de 3° type (environnement et proximité) financé
par
subventions locales et européennes et exonération de charges, J.L.
Laville, des
représentants de réseaux de création d'entreprise, d'associations
humanitaires,
chrétienne, et de députés (M. Rocard et De Robien).
À première vue,
on pourrait s'étonner de voir le député De Robien
soutenir un appel à la reconnaissance de statut de chômeur, lui qui a
fait
voter une loi (le 11 juin 1996) ayant pour objectif d'aménager et de
réduire le
temps de travail avec le voeu pieux de favoriser l'emploi, ou tout au
moins
d'éviter les licenciements. Mais justement l'emploi n'est-ce pas cette
nouvelle
activité utile portée par le chômeur et rémunérée précairement ?
Cette
revendication de normalisation du chômeur n'est pas éloignée de
l'analyse faite par le courant d'économie solidaire prenant pour modèle
l'économie populaire souterraine de subsistance des plus défavorisés au
Chili,
mise en place depuis le renversement du gouvernement socialiste en 1973.
Cette économie
populaire serait propice au développement d'une économie
solidaire du fait que les besoins des plus pauvres seraient satisfaits
par des
moyens autres que salaire ou assistance. La référence est le
"poblador" (pauvre urbain), mot ayant une connotation
d'identification sociale en lieu et place d'ouvrier ou de prolétaire.
Ce sujet
social aurait sa propre rationalité économique "réencastrée" dans un
tissu social et culturel.
Mais le souci
premier, semble-t-il, de ces "chercheurs" du
courant d'économie solidaire est de considérer que le secteur informel
du monde
populaire doit être institué comme mode de production économique
parallèle et
reconnu comme acteur économique à part entière[48].
Surtout leur souci est de faire émerger de cette hétérogénéité un noyau
stable
dont les acteurs accèdent à un statut d'acteur dans la société et
donnent ainsi
au milieu populaire une reconnaissance de spécificité dans son mode
d'organisation.
On voit donc
qu'il s'agit là encore d'une appropriation de cette économie
populaire pour en faire un concept de socialité: l'identité populaire
pré-existerait au mode d'organisation économique et entrerait dans une
logique
de réseau relationnel, fragilisé par une tension entre la relation et
l'argent.
Il faudrait donc institutionnaliser l'ensemble des activités
socio-économiques
reposant sur le droit à l'initiative, et ainsi améliorer leur
efficacité du
fait de la reconnaissance des pouvoirs publics.
On se retrouve
dans une logique de profit, unique et universelle: le
droit à l'initiative, le droit d'entreprendre, le droit d'être citoyen
économique.
Il n'y aurait plus de contradiction entre riches et pauvres mais deux
mondes
parallèles qui se côtoieraient et communiqueraient par le biais de
services
rendus avec des organisateurs en communication.
Chaque individu,
quel que soit son statut, doit donc juste être reconnu
dans un grand bazar consommable.
Il n'en reste
pas moins que les pouvoirs publics doivent trouver un
certain équilibre de redistribution qui ne fasse pas apparaître de
façon trop
flagrante les différences et ne tue pas les incitations à l'effort,
c'est-à-dire, trouver le bon niveau d'inégalité qui conserve ses droits
républicains.
Le travailleur
salarié devenant obsolète, un nouveau consensus
républicain est nécessaire à partir d'un déterminisme individuel qu'il
faut
réorganiser pour l'intérêt de tous.
Sous couvert
d'équité, des réseaux territoriaux se structurent et
stigmatisent les laissés pour compte de la nouvelle organisation du
travail
dans une course à la compétitivité obéissant à une "loi du marché"
devenant virtuelle mais implacablement obsédante.
La multiplicité
de ces réseaux jouant la concurrence permet d'englober
chacun dans la nécessité d'entreprendre. Tout cela se met en place
difficilement mais apparemment sans affrontement, sous le label de
"porteur de projet" dans une course dérisoire à une plus-value
obsessionnelle de l'espace, allant vers l'implosion de l'humain.
Vers la FAMILLE -
PROVIDENCE
Auto-insertion
Vingt ans plus
tard la ritournelle est relancée avec un refrain
d'auto-insertion diffusé globalement et localement. Sauf que l'on ne
parle plus
de la marge mais de la majorité. Tout ou presque a été dit et mis en
place pour
ce nouvel acte de la pièce d'une République moribonde, triste pantin
d'un mode
d'organisation à l'agonie également. Des formes et des logos en ombres
chinoises passent et repassent sur des écrans destinés à la mise en
image du
consommateur précaire.
Et c'est à
nouveau la notion de solidarité qui est portée à bout de bras
pour donner un sens à l'utilité précaire de chaque individu, dissolue
dans une
mondialisation marchande. La doctrine solidariste a juste déplacé son
support:
l'entreprise n'est plus le lieu de regroupement des pauvres; c'est le
domicile
qui devient le lieu
de repérage du
«devoir social» puisqu'il suffit d'être connecté et
employable
virtuellement. Il n'y a plus de frontière entre la vie professionnelle
et la
vie privée et l'ordinateur. On peut même aller jusqu'à dire que le smartphone est le
nouveau lieu de travail.
On n'est plus
dans le droit à l'insersion pour une minorité de personnes
mais dans un devoir de chacun à s'auto-insérer. Mieux vaut donc porter
l'accent
sur le support de la famille qui va permettre de mettre l'accent sur un
lien
social englobant toutes les catégories d'individus répertoriées jusqu'à
présent
dans une logique salariale ( jeunes, actifs, seniors, chômeurs ). Pour
cela il
faut renforcer les valeurs traditionnelles de la famille, la situer
dans des
réseaux contrôlés, s'adapter aux familles élargies, les complexifier
plus
encore en mettant l'accent sur la solidarité inter-générationnelle,
mettre en
place des mesures entraînant un contrôle administratif et fiscal de
chaque
individu, utiliser et concurrencer le secteur de l'économie sociale en
prônant
le même credo de lien et de solidarité citoyenne, mettre en image cette
nouvelle communauté de famille élargie, recomposée, homosexuelle,
inter-générationnelle, auto-entrepreneuriale, tous ces singletons
capitalisés, solidaires
virtuellement
via internet.
Il semble que
les medias soient en train de jouer, avec le tiers secteur,
le rôle de syndicat pour contenir et rassembler les individus en quête
de
reconnaissance. Ce nouveau relais de "citoyenneté" diffuse
abondamment un retour aux valeurs familiales.
C'est ainsi que
les medias officiels (radios, télévision), qui sont le
miroir du "citoyen/consommateur" de base et un support continu pour
son maintien en dépendance, font du "lien social" et de la solidarité
un nouveau produit miracle de réussite individuelle , en complément de
leurs émissions
de jeux quotidiennes basées sur un gain d'argent facile et immédiat
(voire même
au sein de ces émissions).Un nouveau concept vient même de voir le jour: ce
n'est plus l'individu qui vient jouer devant l'écran (pour un gain
éventuel et
pour l'image sur l'écran) mais une famille. Une émission divertissement
basée
sur ce concept de famille démarre sur une chaîne officielle en
septembre 2013. Représenter une famille » devient ainsi une
condition nécessaire
pour participer à des concours et à des jeux où le gain et l'image sur
l'écran
sont l'objectif.
Le marketing
famille/génération est mis aussi au goût du jour et divers
reportages vulgarisateurs diffusés aux heures de grande écoute dans les
journaux télévisés s'y emploient. La plupart des émissions "grand
public" sont conçues pour donner une atmosphère "comme à la
maison", voire même de donner l'illusion que l'émission s'invite chez
les
spectateurs.
Au journal
télévisé de 20H, le 14 février 2013, un autre reportage intitulé
Les fantômes familiaux (ce reportage passe le jour
de la St Valentin,
cette comédie commerciale dite "fête des amoureux"): le thème est que
l'on peut guérir de ses traumatismes en vue d'une autonomie affective
et
sentimentale. Pour cela il suffirait de trouver l'origine du
traumatisme qui a
été transmis de génération en génération et que l'on continue à
reproduire. Il
serait donc important de faire des recherches dans son arbre
généalogique sur
plusieurs générations pour trouver le secret de famille, la tare, le
"fantôme" qui a pêché et perturbé toute la chaîne ensuite. C'est
présenté comme un jeu de piste: trouver le fait divers croustillant
dans la
famille, le secret qui, une fois connu, délivrerait de toutes les peurs
et de
la douleur transmise.
De plus en plus
de psychiatres se nomment "psychiatres
transgénérationnels", se disent aptes à donner les clés pour comprendre
les douleurs et les éliminer. Il faut "libérer l'espace relationnel"
entend-on de l'un d'eux dans le reportage.
Il est
intéressant de noter que l'arbre généalogique a fait son
apparition aussi dans l'orientation génétique du plus gros marché de la
maladie
du capital: le cancer.
L'interdépendance
des membres de chaque réseau familial doit être mise en
avant avec les valeurs de solidarité et d'assistanat inter-famille. On
dilue
dans toute la société ce qui était la marque de l'Etat/Providence.
Il faut se
débarrasser des complexes qui empêchaient d'exprimer
ouvertement son attachement à la famille et les transformer en atouts:
retrouver sa généalogie c'est le nouveau facebook familial pour ne plus
être
seul. Cette tendance du retour aux valeurs familiales pourrait paraître
contradictoire avec un droit au mariage pour tous. En fait, la vie en
couple
pour tous fixe le lieu d'ancrage à la maison. Chacun est repéré, en
dépendance,
solidaire, engagé par un contrat de lien social. D'ailleurs, beaucoup
d'homosexuels
défendent "la cohésion sociale" dans leur revendication de mêmes
droits familiaux pour tous.
La maison
devient le point central de repérage.
"Avoir l'esprit
de famille" est devenu le nec plus ultra du
marketing, c'est la valeur refuge, le nouveau réseau social. Pour
exemple, une
radio nationale, France bleue, présente son réseau en régions comme "la
famille France bleue", ou la "génération France bleue" qui
s'agrandit.
Tout devient
"maison" :
L'ANPE est
devenue " la maison de la cohésion sociale";
Le développement
de projets de création dite "artistique" se
fait dans un espace appelé "résidence". La plupart des nouveaux
artistes (théâtre, chanson, musique), connus ou non, créent leurs
spectacles
lors de "séjours en résidence" au sein d'associations subventionnées.
Les coopératives
ouvrières (S.C.O.P.) sont de retour et prônent l'esprit
de famille même si l'objectif premier est d'être reconnues par les
"gros", de reconquérir les mêmes marchés.
Des cuisiniers
"chefs étoilés" sont en croisade pour trouver
des consommateurs militants acceptant de cautionner un nouveau label
"fait
maison".
Les "maisons des
parents", "maisons des parents et des
enfants", "maisons de famille" existent déjà dans beaucoup de
villes, de même que les maisons médicales.
Les banques œuvrent pour le bien de tous à la maison en gérant les prêts
et toutes les assurances inter-générationnelles
(santé/dépendance/vie/mort).
La maison
devient le point d'ancrage de la dépendance et de la
marchandisation.Ce nouvel axe vers la famille et le domicile se repère
dans les
discours affichés de divers ministères :
- Au ministère de l'Education
nationale, on envisage de rendre les parents prioritaires dans les
décisions
d'orientation de leurs enfants en fin de 3°.
- Au ministère de la ville,
on sollicite la participation des habitants pour une cohésion solidaire
dans
les quartiers. Récemment, le ministre Lamy, en visite à Nîmes s'est mis
en
image par un discours vide et adapté au nouveau credo. Il a parlé de
territorialisation des politiques publiques, de "géographie
prioritaire", de mobilité sociale, de nouveaux quartiers, de
coordination.
27 décisions seraient à l'ordre du jour des politiques publiques pour
co-construire avec les habitants, les élus et les associations
mobilisés tous
ensemble en vue d'un objectif : la cohésion sociale.
Il faut éviter
les regroupements spontanés basés sur une mise en
communauté d'activités et de dépenses quotidiennes (équipements
ménagers,
potager, garage, bricolage) qui ne soient pas sous contrôle. Certains
projets
coopératifs d'autogestion de l'habitat ont vu le jour il y a environ 25
ans,
sous contrôle des stés HLM, et semblent fonctionner dans un esprit de
partage
d'habitat (locataires et propriétaires). 350 projets auraient été
réalisés mais
ce type de fonctionnement doit rester marginal et confidentiel.
Les villes, les
associations, les caisses de retraite sont encouragées à
participer à la représentation citoyenne et solidaire des seniors. De
nouvelles
associations se créent pour devenir des lieux de "formation à la
responsabilité citoyenne", destinés aux plus de 70 ans.
Une rénovation
urbaine inter-générationnelle est prônée pour contrebalancer
la prolifération des villages/ghettos seniors. Des expériences de
quartiers
intergénérationnels sont réalisées dans des villes de moyenne
importance, dans
les centres-villes avec l'objectif d'un bénévolat solidaire entre
jeunes et
seniors.
Derrière ces
discours se cache une situation de fait qui s'installe à
cause de l'inaccessibilité au logement (dont on ne parle jamais):
beaucoup
d'étudiants sont en co-location chez des personnes âgées pour
bénéficier d'un
loyer abordable; la contrepartie est leur présence qui crée un lien
social et
un certain bien-être à la personne isolée.
Les réseaux
administratifs des Pouvoirs publics et les réseaux sociaux
sur Internet vont s'entremêler par le biais des entreprises du secteur
dit
"d'économie sociale et solidaire". Pour fixer la solidarité
auto-réalisée de la société, elle doit être vue et ce n'est pas un
hasard si le
mot "plateforme" est utilisé partout dès que l'on parle de projet à
l'intérieur d'un réseau : sur la plateforme on installe son "image
solidaire".
Mise en scène du
"devoir être repéré employable"
Le secteur
associatif est toujours le meilleur gestionnaire de cette
nouvelle mise en scène.
Le 18 janvier
2010, F. Fillon signait, dans la plus grande discrétion,
une circulaire relative aux conventions d'objectifs, à la
simplification des
démarches de procédures d'agrément, entre les associations et les
pouvoirs
publics. Par cette circulaire le gouvernement étend la réglementation
européenne des aides aux entreprises à l'ensemble des subventions
attribuées,
quel que soit l'objet, en affirmant que "la majorité des activités
exercées par (celles-ci) peuvent être considérées comme des activités
économiques".
Il précise aussi
"qu'au delà de 200.000 euros sur trois ans, les
subventions pour une activité économique d'intérêt général ne sont
acceptables
que si elles sont regardées comme la compensation d'obligations de
service
public". La définition même d'une association est niée dans un tel
engagement qui la met en dépendance totale des pouvoirs en place. (Menace
sur la liberté d'association en France, article écrit par
Didier Minot,
président de réseau des écoles de citoyens dans Le Monde
Diplomatique de
janvier 2011).
À partir du 6
novembre 2013, le projet de loi porté par le ministre
délégué chargé de l'économie sociale et solidaire accorde un changement
d'échelle à ce
secteur en lui
donnant, entre autres, la possibilité
de récupérer des salariés de petites entreprises de moins de 50
personnes avec
un droit de racheter leur entreprise si elle est mise en faillite. Ce
texte
redéfinit les contours de quelques 200.000 entreprises de ce secteur
qui
représente 10% de l'emploi salarié en France. Si la loi est votée, la
banque
publique d'investissement disposera de 500 millions d'euros pour
irriguer
l'économie sociale et solidaire. Le ministre, Benoït Hamon, parle
«d’une
logique de pollinisation de l'économie classique» (l'Express
Réussir,
nov.déc. 2013).
Les pouvoirs
publics tentent ainsi de récupérer toutes ces associations
qui créent des liens et calquent leurs discours sur les leurs,
développent une
multitude de prestations et de contrats illusoires. Les réseaux se
multiplient,
s'échangent, se connectent et les fichiers informatiques permettent un
contrôle
de plus en plus insidieux de chacun par les différentes administrations.
Les termes:
travail, emploi, insertion, employabilité sont mis au second
rang des discours au profit du slogan: créer du lien, de la solidarité.
Ainsi
au 19° siècle, on parlait du droit au travail, au 20è siècle du droit à
l'insertion et au 21° siècle on parle du droit à la solidarité.
Le gouvernement
est ainsi favorable au développement de tous types de
réseaux sociaux pouvant laisser croire à des possibilités
d'émancipations
communautaires, de libertés créatrices et rentables, dans la mesure où
cette
notion prioritaire de lien social et de solidarité est visible.
Lui-même excelle
dans la communication et a créé son propre logo: le
"contrat d'avenir". Il veut donner l'image du responsable qui met en
chantier le maximum d'actions. Ce n'est que de la communication. Moins
il y a
de contenu, plus se multiplient les créations de comités, de ministères
aux
titres ronflants. Il faut juste que la notion d'Ètat Providence perdure
dans
l'esprit de tous, donner l'illusion que l'Ètat paie sa dette vis à vis
de tous
et pour cela rendre visibles les catégories hors "vie active", les
jeunes et les seniors, avec des contrats/allocations de survie,en
diluant le
tout dans un conglomérat d'interdépendance générationnelle.
Au ministère du
travail, on encourage vivement les "envies" de
création d’entreprise individuelle autonome pour suivre la tendance
véhiculée
par tous les réseaux sociaux (virtuels ou non), sachant très bien que
l'étendard des emplois d'avenir et inter-générationnels ne sont qu'un
logo
gouvernemental. D'ailleurs, toute la duplicité publicitaire éclate dans
ces
deux mots - contrat d'avenir- : on n'est pas hors la loi, on ne triche
pas sur
la marchandise, grâce à la double interprétation de ces deux mots:
pour le
crédule ces deux mots se traduisent par "emplois innovants" alors
qu'en réalité il s'agit d'un contrat avec un objectif de travail
éventuel dans
l'avenir.
Ou encore le
"contrat de génération": vous en avez deux pour
le prix d'un: vous embauchez un jeune et vous conservez un "senior"
qui sera son tuteur.
L'emploi virtuel
est devenu un grand spectacle. Ainsi, à la chambre de
commerce et d'industrie de Nîmes on organise une rencontre avec "les
acteurs de l'emploi" appelée "la nuit de l'orientation". C'est
une sorte de speed-dating avec pour objectif clairement annoncé (sur
une radio)
de "donner un sens au futur" ! Sont concernés les collégiens, les
étudiants, les adultes. On y trouvera :
- des ateliers
collectifs,
- des "bornes"
pour chercher un métier
- un "vivier de
chefs d'entreprises à trouver"
- et même
quelques entrepreneurs présents physiquement !
La CCI envisage
de faire fructifier cette nuit de l'orientation par un
suivi, non pas pour aider à trouver un employeur mais pour rester
motivé dans
un esprit de recherche continue, en quelque sorte être le complément du
coach
d'orientation individuelle, très prisé des parents.
Toujours dans le
Gard, va avoir lieu la journée de l'emploi, appelée le
salon du taff: les métiers sont regroupés par "villages" que l'on
peut visiter, un peu comme une reconstitution historique.
Diverses
associations se créent sur des concepts vides, tels que
"fécondité sociale", "démarche globale d'employabilité
durable" pour attirer des entreprises et des jeunes en "quête de
sens".
Depuis plusieurs
années, existe une revue Interdépendance,
disponible par abonnement sur Internet qui se targue d'être la revue
des
nouveaux enjeux de société: car "nul n'est à priori inemployable" et
les entreprises innovantes doivent faire preuve de solidarité de destin
avec la
société (peut-on lire sur ce site).
Et c'est aussi
sur Internet que l'on trouve un florilège de services
émanant d'associations ou d'entreprises :
-
"accompagnement pour réfléchir aux possibilités d'évolution",
- "dispositif
pour acquérir un titre à finalité professionnelle en
lien avec l'expérience professionnelle"
- "entreprise
agréée qualité "assistante de vie"
- "développement
d’outils de crédit pour porteurs de projets
- "établissement
de santé installe "l'hôpital à la maison"
etc...
Statut
professionnel, qualification, CDI, ce ne sont plus que des gros
mots à éviter.
Même les
entreprises du secteur d'économie sociale se sont allégées du
mot économie. L'insertion s'auto-réalise en créant des liens porteurs
alors que
les stages d'insertion tendent à disparaître des entreprises
traditionnelles.
Elles n'ont plus besoin de jouer le jeu car elles n'en tirent pas un
grand
profit.
Le droit au
logo: un "emploi d'avenir"
Tous ces
nouveaux bricolages gouvernementaux sont médiatisés. Le Chef de
l'État communique sur ce "grand projet de société" qui devrait
aboutir sur 100.000 contrats signés (durée maximum de 3 ans payé au
SMIC). Le
discours est sans ambiguïté pourtant: il n'y a rien de concret, il ne
parle ni
de travail, ni de rémunération mais de confiance, de vision d'une
politique, de
retrouver la promesse républicaine, de se mobiliser pour que les jeunes
"vivent mieux en 2017" ! Toutes les initiatives gouvernementales
viseraient une aide " au parcours d'autonomie" englobant logement,
santé, loisirs, mobilité internationale, engagement ... visant un accès
dans le
futur aux "droits communs". Aucun financement n'est prévu pour tout
cela. 47 mesures seraient annoncées mais c'est l'effet d'annonce qui
importe.
Moins il y a de reconnaissance pour un statut professionnel, plus le
logo est
redondant et "fait exister" : Emploi d'Avenir...
Les contrats de
génération pour les plus de 50 ans, liant jeune et senior
dans un même contrat sont une sorte d'allocation de survie qui se met
en place
pour les jeunes par le biais d'un engagement de leur part auprès d'une
mission
locale, de la même manière qu'existe une allocation vieillesse pour les
seniors
démunis. Le principe d'une telle allocation de solidarité active pourra
se
mettre en place quand les liens de "solidarité intergénérationnelle"
seront suffisants tissés; c'est dans cet objectif que le gouvernement
a créé
les contrats de génération.
On voit bien
toute l'hypocrisie: la solidarité familiale s'installe et se
renforce par la force des choses; le racket financier sur le parc
immobilier ne
permet plus de se loger puisque le loyer équivaut au salaire; ce sont
donc les
parents, les grands parents qui financent, cautionnent ou hébergent.
Les points
d'information, d'accompagnement, d'orientation (existant au
niveau départemental) vont être multipliés car l'État veut créer des
services
identiques au niveau de la région.
Cette vitrine
médiatique n'est plus crédible pour les jeunes qui
préfèrent créer leur propre logo, tenter leur chance directement sur
des
réseaux sociaux où ils peuvent être vus. Cette nouvelle tendance est
déjà
largement récupérée. Ainsi le Crédit Agricole se fait sa publicité par
le biais
d'un jeu où l'on fait rêver sur une possibilité que tous les membres
d'une même
famille puissent être médiatisés par leur photo à paraître sur des
publicités
bancaires.
Des marques sont
«publicisées » par des personnes qui s'affichent
comme objets! Voir multiplicité de sites tel
«affichestoi.com »
Des reportages
télévisés au cours desquels F. Hollande communique sur
"son grand projet de société" peinent à convaincre. Pour exemple on
voit un jeune, employé à faire le ménage dans un établissement
municipal, avec
un contrat "d'agent d'accueil", réciter la leçon du "je suis
privilégié quand je pense à tous ceux qui sont au chômage".
Par rapport à
l'objectif officiel de 100.000 contrats, 4600 seraient
signés. Ce dispositif est très contraignant du fait que les missions
locales
doivent trouver non seulement les jeunes mais les seniors "tuteurs"
pour les encadrer. Une nouvelle fois ce sont les administrations et
organismes
dépendant de l'Etat qui utilisent ces subventions déversées; on crée
des
« occupations à des jeunes pour ne pas perdre le bénéfice de
la subvention
et non pour former à un métier !
Tous les acteurs
doivent être mobilisés. C'est encore F. Hollande qui annonce,
lors de sa conférence «télé réalité» du 16 mai 2013, que les
100.000
emplois d'avenir vont être élargis au secteur du tourisme, privé, et
aux
services à la personne et que les contrats de génération vont s'étendre
à la
création d'entreprise, voire à l'installation d'agriculteurs.
Il faut du
mouvement pour créer, pour aller plus vite ! La stabilité est
dans le mouvement partout et toujours: plus d'activités, plus
d'initiatives,
plus de temps, plus de vie. Cliquez votre vie !
Par contre,
toutes ces démarches d'aides, contrats, prestations,
permettent un redéploiement des pratiques de contrôle administratif,
une
surveillance informatique par échanges de fichiers sur les "non
imposables".
On peut aussi se
demander si beaucoup de jeunes inactifs et découragés de
tout sont encore la cible de ces contrats. Un article de Pascale Kremer
à ce
sujet, paru dans Le Monde du 3 juin 2013, est fort édifiant : «Ces
900.000
jeunes inactifs découragés de tout » (de 15 à 29
ans). Sont-ils la
cible des contrats d'avenir pour être remis sous contrôle? Ils sont à
l'arrêt
comme les voitures sur les parkings dans lesquels ils traînent. «Je
cherche
plus à chercher » dit un jeune de 22 ans pour qui les petites
formations
et les petits interims n'ont comme débouché que le parking.
Depuis 2010, un
nouveau terme
serait utilisé pour parler de ces jeunes, les NEET (ni en
emploi, ni en
étude, ni en formation), terminologie européenne pour représenter ces
jeunes
qui ont intégré la fatalité de la précarité. Ils représenteraient 17%
des 15/29
ans. Il y a peu d'enquêtes sur ces «nouveaux
invisibles » se
retrouvant solidaires dans la résignation. Ils sont cloîtrés chez leurs
parents, vivent d'aide humanitaire mais ne remettent pas en question
les règles du
capital et de la valeur travail. Ils ont
juste perdu toute confiance. De nombreuses jeunes filles assument la
maternité
après une scolarité ratée juste pour avoir une allocation de survie
majorée et
une identité valorisante, constate-t-on chez
ATD Quart Monde. Tous ces «nouveaux mauvais
pauvres » n'ont
plus besoin d'être contrôlés, ils se neutralisent eux-mêmes.
Nouvelles
appellations sociales du citoyen solidaire
Voici une liste
de quelques nouveaux «métiers» à
l'honneur (une hiérarchisation similaire à celle existant dans les
usines est
mise en place) :
- En haut de
l'échelle: un "ingénieur en amélioration continue"
va pouvoir créer le réseau suivant :
- Un chef de
projet qui va matérialiser sur une plateforme des nouveaux
créateurs choisis, valorisés et promus magiquement chefs d'entreprise.
Peu
importe si les projets aboutissent ou non compte tenu de la
prolifération des
demandes.
- Des porteurs
de projets, ces nouveaux créateurs formés en deux mois au
management de l'entreprise grâce aux subventions des "maisons de
l'emploi". C'est la nouvelle marchandise du chef de projet, glorifiée,
valorisée, transcendée en "chef de sa propre entreprise", et
valorisant par là même toute la hiérarchie en amont (pôle emploi,
mairies,
chambres de commerce, département, région, Ètat).
De rien, le
porteur devient "chef en projet". Il a été vu sur
la plateforme et seul son projet suffit.
Voici une liste
non exhaustive de réalisations de projets d'aide,
de confort, de
bien-être, de
commerce de l'intimité à
domicile :
- société d'aide
à domicile
- initiation
informatique à domicile
- esthéticienne,
coiffeuse à domicile
- coach sportif
à domicile
- coach de
bien-être
- accouchement à
domicile
- coach
d'orientation
- coach
décoration rangement domicile,
- coach en
"approche de relation amicale" (même l'amitié est
récupérée !)
- hôpital à la
maison (déplacement de la solidarité à la maison,
rentabilité maintenue à l'hôpital)
- hébergement
bénévole des SDF à domicile..
- télétravail à
domicile
Restez chez
vous, on vous apporte tout à domicile avec la télé-assistance
en prime pour votre sécurité, car la télévision apporte le monde à
l’intérieur
comme l’a affirmé G.
Anders
La boucle est
bouclée, tout le monde peut "être vu redevable".
Coaché, l'individu est fixé et il va pouvoir payer sa dette.
Existe aussi le
financement participatif pour créer sa propre entreprise
par le biais des réseaux sociaux d'Internet .Le porteur de projet
devient
l'objet de la transaction à l'écran.
Toutes ces
transformations insidieuses se font bien sûr sous le sigle
sacro-saint de la SOLIDARITE. C'est le seul moyen qu'a le gouvernement
pour ne
pas perdre la face, tenter de maintenir un semblant de cohésion. Les
nouveaux
managers du virtuel, qui gèrent les financements alternatifs sur les
réseaux
sociaux d'Internet vont dans le même sens et permettent à chacun d'être
en
"auto-dépendance solidaire". La "débrouille solidaire"
alimente tous les réseaux de bonne conscience.
Financement
participatif / crowdfunding
Ce nouveau
système de financement par la foule oscille entre le
logo/solidarité et le business.
Tout internaute
peut: soit déposer un projet créatif sur un site de
gestion. Si le projet est sélectionné, il est vu sur une plateforme, le
porteur
de projet devient le produit qui va être proposé à d'autres internautes
en vue
d'un financement participatif ; soit être le petit financier solidaire.
Bien sûr, plus
il y a de donateurs plus le projet a des chances de voir
le jour.
Né aux
Etats-Unis, ce financement alternatif, qui pallie la frilosité des
banquiers, est en train d'exploser. En France, actuellement, une
trentaine de
sites pratiquent ce crowdfunding, certains généralistes, d'autres
spécialisés.
Les bénéfices
des internautes donateurs sont nuls ou dérisoires; le plus
important est d'être dans un réseau, de créer un lien, d'avoir son nom
à
l'écran, de se sentir exister parce qu'on a participé au financement
d'un
projet qui va être connu. Beaucoup de projets se situent dans le
domaine
artistique (cinéma, musique, chansons) et le donateur-solidaire se sent
co-producteur
de rêve, pense jouer un rôle dans la mise en place d'une vedette car il
pourra,
peut-être, avoir son nom au générique d'un film, un petit rôle de
figuration,
un dvd dédicacé ...
Pour "l'artiste
exposé" c'est aussi le rêve d'être connu qui
fonctionne. Il n'y aura peut-être jamais de film ni d'album, ou une
très
mauvaise distribution, ou plusieurs années d'attente.
Se crée un site
de financement participatif par jour sur le web. Les
escroqueries ont déjà envahi ces réseaux sociaux: certains sites
"bidons" récupèrent l'argent des donateurs et disparaissent.
Comment sont
sélectionnés les projets? Sur 3 critères (commente le
fondateur d'ulule.com): innovant, créatif et solidaire.
Les sites se
rémunèrent en prélevant généralement entre 5% et 12% de commission
sur les montants collectés. Dans tous les cas, l'internaute
bienfaiteur, avec
ou sans contrepartie financière, se sent investi dans l'aventure.
Si le projet
n'est pas rentable, le don n'est pas restitué.
Aucun domaine
n'échappe au crowdfunding sur les plateformes généralistes:
il peut s'agir de chercheurs d'un laboratoire médical, d'entreprises de
l'économie solidaire, de banques se disant porteuses de citoyenneté
universelle
...mais aussi on peut voir un projet initié par un chef étoilé, ayant
pour but
de lancer une école professionnelle de boulangerie. Ce sont donc les
futurs
stagiaires qui vont pouvoir co-financer à l'avance leur formation. Ce
projet
rencontre un gros succès; à chaque apport supplémentaire de 2500
euros, c'est
un nouveau stagiaire qui se crée à l'écran. À partir de 20 euros de
don, le
contributeur reçoit une toque dédicacée par le chef !
Quelques gros
investisseurs ont compris l'effet tremplin d'un tel
financement, l'effet pub; les petits investisseurs peuvent rapporter
gros aux
gros: ainsi, un laboratoire médical a obtenu 300.000 euros sur le web
en
donnant le statut d'actionnaires aux petits financiers, ces derniers se
sentent
valorisés, leurs prêts prennent un sens de participation à des essais
cliniques
sur l'homme.
Pour le
laboratoire, c'est une plus-value car le financement obtenu crée
la confiance de plus gros investisseurs, rassure les banquiers pour
obtenir un
prêt beaucoup plus important.
Le micro-crédit
Cette branche du
crowdfunding s'étend dans le monde entier. La
micro-économie solidaire concerne 80% de la population mondiale et les
sites de
financement se multiplient.
Les prêts sont
modestes et remboursés sans intérêt. Le choix du projet
retenu se fait comme dans une émission de télé réalité: que le
meilleur gagne.
Même l'Education
nationale s'y est mise: dans certains lycées existent
des séances de "solidarité virtuelle», chaque petit groupe d'élèves
défend
son projet. Les gagnants sont très fiers d'avoir permis la réalisation
d'un
projet de "survie créative" pour une personne à l'autre bout du monde
et cette bonne action visible est communiquée aux parents.
Ce type de
micro-crédit est applaudi par l'ONU en tant qu'outil efficace
contre la pauvreté. Un des sites, Babyloan.org, créé en 2008, a permis
de
collecter 5 millions d'euros de prêts pour environ 12.500
micro-entrepreneurs
en France et dans le monde. Sur ce site, un prêt est déposé toutes les
8
minutes. C'est le reflet, via Internet, de
toutes les émission télévisuelles de
charité-business.
Un aspect dont
on parle moins, qui là encore est en plein développement
aux Etats-Unis, est le crédit à la consommation de particulier à
particulier.
Ces lending clubs (clubs de prêteurs) ont été récupérés par des gros
financiers
qui en tirent profit: des prêts bas et des taux élevés. Ces gros
investisseurs
sont devenus une alternative aux banques traditionnelles.
En France, le
Ministère de l'Economie et des petites et moyennes
entreprises encourage ce type de financement participatif et, à ce
sujet, le
gouvernement veut améliorer la législation contraignante ne permettant
pas une
réelle concurrence des banques du fait du contrôle de la banque de
France.
Vers un nouveau
droit au revenu sans emploi
Les pouvoirs
publics surfent sur une vague dont le capitalisme mort reste
le seul horizon, ils continuent à tenter de colmater les brèches de
leur
consensus républicain. Leur support idéologique - la solidarité - est
tellement
extensible qu'il s'est mondialisé, confusément représenté, matérialisé
en une
accumulation, une appropriation de liens virtuels, une mise en image
instantanée, venant combler une nostalgie diffuse d'humanité.
Plus aucun
domaine n'échappe à cette solidarité, support inéluctable à
une rationalité économique, qualifiée de bien-être puisqu'elle crée du
lien social.
Des sites de " bons plans locaux" pour informer au plus vite le
consommateur /citoyen précaire jusqu'au "bonheur au travail", formule
à la mode de la nouvelle organisation du travail dans les grandes
entreprises,
il s'agit toujours de bien -être pour tous, seule revendication
possible dans
une fatalité de système non dépassable. Il existe même maintenant des
postes de
"directeur de convivialité" dont l'objectif est annoncé sans la
moindre gêne: il faut créer des mesures de bien-être pour plus de
rentabilité
du capital humain, et donc un retour sur investissement pour davantage
de
croissance.
Ce nouveau logo
de "bien-être solidaire", que chacun se doit
d'arborer, ressemble plus à un sentiment de nostalgie laissant place à
toutes
les interprétations de recouvrement de la vie.
Il n'est pas
étonnant d'entendre sur les chaînes grand public l'annonce
du ministre de l'éducation nationale, tout récemment, d'une loi en
préparation
pour inclure dans le cursus scolaire du CP à la terminale des cours d'
"enseignement moral et civique" en mettant l'accent sur une forte
sollicitation des familles en faveur d'une telle loi.
Sociologues,
philosophes, économistes, parlent avec prudence de
l'éventualité d’un revenu garanti pour tous, présenté jusqu'à présent
comme une
utopie, presque comme une farce grotesque. André Gorz (disparu en 2007)
s’était
fait l'ardent défenseur de ce revenu de base inconditionnel devant
représenter
le summum de la solidarité par l'interdépendance de tous.
Tous les
discours sont teintés de désespérance, de fatalisme derrière la
nostalgie des mots utilisés: utopie, imagination, révolution. Les
argumentations sont toujours dans une logique guerrière de
confrontation, de
posture et de stratégie à utiliser comme s'il y avait encore combat
gauche/droite.
Les membres du
gouvernement reconnaissent aisément que la différence
gauche/droite est plus qu'infime. Ainsi, Mr Hamon, interviewé sur RTL
le 8
avril 2013: "on a l'impression qu'une politique de gauche ou de droite
dose différemment les mêmes ingrédients"[49].
Propos qui justifient ceux de Bernard Arnault (qui n'est considéré
qu'en terme
d’une des plus grosses fortunes de la planète): "l'impact réel des
hommes
politiques sur la vie économique d'un pays est de plus en plus limité.
Heureusement".[50].
Si chaque
individu/citoyen avait un revenu de base attribué en tant que
droit constitutionnel, cela ne ferait, finalement, qu'entériner une
situation
de fait et cette revendication d'une allocation universelle de base
pour tous,
apparue depuis quelques années, est loin d'être une utopie. Cela
pouvait l'être
au 16è siècle lorsque Thomas More (homme d'Etat et humaniste anglais)
l'a
présenté sous forme de fiction (Utopie, 1516) d'un
système idéal de
gouvernement.
Avancée
culturelle ou revenu/charité de la globalisation ? La deuxième
hypothèse est déjà largement utilisée dans certains pays pour gérer la
misère.
De telles mesures d'apaisement social
ne
dérangent personne et ne remettent rien en question.
À la lecture de
ce texte, on peut penser à une similitude entre la
situation actuelle et le réformisme solidariste de la 3è République
sauf que
l'espoir du progrès pour le bien-être de tous a fait place à la
nostalgie dans
un climat de précarité subie par chaque individu
Un temps salarié protégé, le pauvre devient
individu précaire indifférencié, nouvelle matière du capital. C'est un
outil de
gestion pour les dirigeants d'entreprises, rentable par sa plus valeur
symbolique.
Quelle aubaine,
le profit a du sens, la finance a du sens, l'argent est "solidaire". Chacun est consommable, consommé, consomme. Il
suffit d'être
vu à un moment ou à un autre sur une plateforme d'exposition et cela
suffit à
donner sens à sa vie.
Toutes les
grandes universités ainsi que les écoles de commerce, de la
finance, intègrent maintenant des cours de mécénat et de solidarité.
Mieux encore (et
quel bel exemple en cette période de fêtes de Noël dites
familiales) voilà Jésus qui réapparaît comme le plus bel exemple de
management
! Il était déjà à l'honneur à la fin du 19° siècle (On a vu que Charles
Gide en
faisait le type le plus parfait de l'individualité et que Pierre Leroux
en
parlait comme du plus grand économiste) :
C'est
à lire dans l'Express de
nov/déc. 2013, dans un article intitulé Protéger le
capital humain
avec Jésus. Il est écrit, entre autres, que Jésus «à sa
façon, à son
époque, invite les dirigeants à éradiquer les risques
psychosociaux »,
qu’il «convie le manager à ne pas se laisser enfermer dans
les règles,
afin de libérer des espaces de créativité» ! Est-ce le
business inclusif
comme dit une spécialiste (toujours dans l'Express cité)? Ce nouveau
modèle de
gestion d'une entreprise, encore nommé innovation frugale, «vient
éclairer de
nouveaux cadres de pensée où les situations perturbées ne sont plus une
anomalie à éliminer, mais une dynamique inhérente à toute activité,
avec
laquelle coévoluer ... »
De là à
conclure, s'il fallait une dernière illustration de l'agonie du
système de protection étatique, avec ce tout nouveau concept marketing: un
industriel dans le secteur de l'automobile vient d'annoncer sa nouvelle
campagne publicitaire :
- Pour tout
achat de voiture, vous recevez en cadeau un an de chômage,
soit 300 euros par mois, avec éventuellement une aide téléphonique à la
recherche d'emploi.
Triste réalité
mais c'est cette soumission grotesque, dans une démarche
incrémentielle de tous les instants, qu'il faut apprendre à
quitter sans
nouvel ordre rassembleur.
Brigitte Ferrière
décembre
2013
.
[1] J B Martin, La fin des mauvais pauvres, p 57
[2] Source: La révolution industrielle 1780-1880 de Jean Pierre Rioux – Ed. Seuil 1971.
[3]
Ibid. page 142.
[4] Encyclopédie Socialiste syndicale et Coopérative de l' Internationale Ouvrière, 2° volume. Publié sous la direction technique de Compère-Morel, Aristide. Quillet Editeur 1912, page 149
[5]
F.
Furet, Terminer la
révolution de Louis XVIII à Jules Ferry (1814-1880), Ed.
Pluriel Hachette
Histoire de France 1988 , p.230
[6]
Ory Pascal (sous la
direction de) Nouvelle histoire des idées politiques, (2-2-1 Ansart P. p. 237),
Editions Pluriel
Hachette 1987
[7] Pierre Leroux, Aux
philosophes, aux
artistes, aux politiques - trois discours et autres textes.
Texte établi
par J.P. Lacassagne et postfacé par M. Abensour- Editions Payot et
Rivages 1994
[8] Compère Morel (sous la direction de) - 4ème partie - chapitre 1 - partie X p. 143-144
[9] Jammy-Schmidt, Les grandes thèses radicales - de Condorcet à Edouard Herriot, préface d'E. Herriot, Edition des pratiques, 8° édition Paris, non daté.
[10] Les constitutions de la France depuis 1789 présentation Jacques Godechot-Garnier, Flammarion 1970 Paris - chapitre IX-p.243.
[11] Jammy-Schmidt
"les Grandes
Thèses ..." déjà cité - p. 300
[12]
D. Riazanov/ F.Engels/ R. Luxembourg, La confession de K.
Marx, Spartacus,
I° série, n° 36, juin 1969. Article d’Engels, Karl Marx,
paru en 1878
dans Volkskalender.
[13]
Jammy-Schmidt,
déjà cité, p. 156-157- 302.
[14] Le Goff J, Du
silence à la parole
- droit du travail, société, État (1830-1989),
Ed. Calligrammes, 3°
édition augmentée, Quimper 1989.
[15]
C. Bouglé Qu’est-ce que la sociologie ?
Bibliothèque de philosophie
contemporaine, librairie Félix Alcan Paris,
1932, 6°
édition, p.98-99.
[16] Ibid. p. 118.
[17] P. Rioux, La
révolution
industrielle 1780-1880, Ed. Seuil 1971.
[18]
Jean
Baptiste Martin, préface de Reberioux Madeleine, La fin des
mauvais pauvres
- de l'assistance à l'assurance, Collection milieux
Champ Vallon, 1983.
[19]
Société d'histoire du protestantisme de Nîmes -" Charles Gide
et
l'Ecole de Nîmes - une ouverture du passé vers l'avenir 1995,
p. 132. Propos
relevés dans L'école nouvelle, revue du
christianisme pratique de 1890,
p.330.
[20]
Henri Desroche (recherches d') Pour
un traité d'économie
sociale - Coopérative d'information et d'édition mutualiste
(C.I.E.M.)- coll.
Tiers Secteur, Paris 1983.
[21] Sté d'histoire du
protestantisme de Nîmes, Charles
Gide et l'Ecole de Nîmes, déjà cité, p.158.
[22] L.
Bourgeois, Solidarité"1896
- librairie A. Colin, 7° édition 1912.
[23]
J. Jaurés, P. Lafargue, Idéalisme et matérialisme dans la
conception de
l'histoire, Cahiers Spartacus, Mensuels - août 1946 – n°8.
[24]
Martin. J.B. La fin des mauvais
pauvres, déjà cité, p.
130. Citation tirée de Correspondance
of Léon Walras and related papers,
Ed. by William Jaffé,
[25] C. Bouglé, Qu'est-ce que la sociologie? déjà cité, chapitre sur la division du travail, p.139.
[26] C. Evin J.O.
Débats parlementaires,
Assemblée. Nationale du 4/10/1988, p.633.
[27] Ibid. J. Le
Garrec.
[28]
Le
journal Le Monde du
26/10/1994, artocle. de Jacques Dughera, ancien secrétaire du conseil
national
de l'insertion par l'économique.
[29]
La
France de l'an 2000, Rapport au Premier Ministre, Ed. Odile
Jacob, La
Documentation Française, 1994.
[30]
Revue
Problèmes économiques, n°2-396-2-397, du 29/11/94 Perspectives à long
terme de
l'emploi.
[31]
Directeur
d'Etudes à l'école des Htes Etudes en Sciences sociales, secrétaire
général de
la Fondation Saint-Simon.
[32] Le
Monde du 31 mai 1995.
[33]
Rosanvallon.
P, L'Etat
en France de 1789 à nos
jours, Ed. Seuil, Point
Histoire, 1990.
[34] Laville. J.L, article de la revue Esprit,
8/9
août/septembre, 1994
[35]
Rosanvallon.
P, Les voies nouvelles de la solidarité dans la
revue Esprit, déc.
94, p.90.
[36]
Le
Monde du 14/2/1995, article de Rosanvallon rétorquant à une
attaque de
Boltanski qui le traite d'eugéniste dans son livre La
nouvelle question
sociale.
[37]
Le
Monde du 19/3/1997.
[38] Budgets Prévisionnels
UNIOPS/URIOPSS 1996 -
propos rapportés p.3 sur une réunion à Matignon en date du 9/6/95 -
Document
conjoncturel UNIOPSS/URIOPSS, sept.95.
[39]
Revue
Economie et Humanisme, n° 321, avril/juin 1992, p.
52 à 56 Résister
et inventer.
[40] Ibid
[41] Minc. A.
(Commission présidée par) La France de l'an 2000 -
Rapport au 1° Ministre" déjà cité.
[42]
Laville
J.L, article de la revue Esprit, déc.
95.
[43] Bernard Perret/Guy
Roustang, L’Économie contre
la société - affronter la crise de l'intégration sociale et culturelle,
Coll. Esprit/Seuil, fév.
1993.
[44] Textes des
conférences et entretiens
des 28è rencontres internationales de Genève, L'exigence
d'égalité -
Rencontres internationales de Genève de 1981, Ed. de la
Baconnière,
Neuchâtel, 1982
[45]
Burdeau
G. Droit constitutionnel et institutions politiques,
11è Edit, Librairie
générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1965.
[46] Gorz A. Métamorphoses
du travail
- quête du sens, 1° partie: L'invention du travail, p. 127 - Débats Galilée
1988.
[47] Idem.
[48]
Laville
J.L, L'économie solidaire - une perspective internationale,
chapitre IV,
étude effectuée par des économistes d'une université catholique en
Belgique sur
une période de 1973 à 1990 ouvrage déjà cité.
[49] Relevé dans le
Monde Diplomatique
mai 2013-article État des lieux pour préparer une reconquête
de Serge
Halimi
[50]
Ibid. tiré du livre Bernard Arnault La passion créative,
entretiens avec
Yves Messarovitch, Plon, Paris 2000.