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LA REVOLTE DES ETUDIANTS ITALIENS: UN AUTRE MOMENT DE LA CRISE DE LA REPRESENTATION

 

 

 

 

 

   « ... de même que les rapports économiques furent la question du XIX° siècle, de même les rapports affectifs seront probablement la question ardente du XX° siècle »

G. Rossi, Un épisode d'amour à la colonie, Cecilia, 1893.

 

 

 

Mai-Juin 1968 fut une immense crise de la représentation. C'est par rapport à cette manifestation, que nous n'avons pas rappelée dans les pages précédentes mais sur laquelle nous avons maintes fois insisté dans Invariance, qu'il nous faut appréhender les événements d'Italie, en tenant compte de tout le reste de l'analyse déjà effectuée auparavant.

 

Cette crise a d'abord opéré en tant qu'inadéquation de la représentation du capital à son être advenu1 . Il s'agit de la crise monétaire qui atteignit un point de culminance en 1967, mais qui opérait depuis 1959. L'or ne pouvait plus représenter le capital. La restructuration post-bellique imposait une autre modalité de représentation des divers quanta du capital. Dans un pays comme la France qui venait de connaître une transformation profonde par la pénétration du capital dans le tissu social depuis le début des années '50, il y avait inadéquation absolue entre les vieilles représentations et les nouveaux rapports s'instaurant. De Gaulle lui-même, qui avait dû prendre la tête du mouvement de modernisation restructuration, resta englué dans les vieux schémas et les thèmes éculés ; d'une manière ou d'une autre, il devait être éliminé.

 

C'est à l'université – en bonne logique – que la crise s'est manifestée en premier, se présentant en tant que refus d'une formation qui ne vise qu'à produire des êtres du capital, des chiens de garde de celui-ci. Particulièrement prégnante à ce sujet fut la critique à la sociologie et à la psychologie, sciences de l'intégration. Ceci fut l'aspect éversif, le moins récupérable par le capital. En revanche, l'autre modalité du refus, celui de l'archaïsme de l'enseignement, particulièrement son autoritarisme, put être récupéré et être le point de départ d'une rationalisation.

 

Cette crise de la représentation s'est répétée, avec une plus ou moins grande ampleur, dans diverses institutions : Église, armée, police et dans un groupe social existant depuis des millénaires : les prostituées.

 

Parallèlement à la crise de la représentation frappant le capital en tant que valeur d'échange parvenue à l'autonomie, il y avait également celle du travail qui est nécessaire pour que les hommes aient justification d'un agir donné. C'est justement à cause de cette remise en cause du travail que toutes les institutions ont été ébranlées. Toutefois elle reste dans le cadre du système : en finir avec le travail en tant que sacrifice qui permettra une récompense, n'est pas miner le capital puisque à partir du moment où il y a un grand développement de la circulation en tant que phénomène global qui inclut la phase de consommation, qui à l'origine, pouvait être séparé, il y a intégration des divers moments et l'homme devient sujet consommant. Le loisir devient à son tour un moment de capitalisation, c'est-à-dire le moment de réalisation d'un capital donné en un capital accru. La revendication de l'abolition du travail est aussi un élément de l'utopie capital : réaliser une humanité anodonte et phocomœle, sinon par disparition effective des dents et des membres antérieurs, mais à la suite de leur non utilisation ; l'homme devenant dépendant du capital, son usager parasite.

 

On a donc eu dissolution des rôles, des statuts, de façon ambiguë, par exemple dans le cas des rapports entre hommes et femmes. On a la crise de l'homme social.

 

Ceci ne pouvait pas laisser intact les révolutionnaires eux-mêmes : le mouvement féministe, celui des homosexuels sont l'expression de cette faillite des rôles. Mai 1968 a donc révélé la crise du sujet révolutionnaire (le représentant de la révolution), l'existence de l'impasse et de l'impossibilité de vivre dans les vieux rôles.

 

Cette crise de la représentation débouche dans celle de l'identité ; car si la première se décompose et que les statuts sociaux ne sont plus opératoires, comment se retrouver, comment s'identifier ? C'est aussi celle des besoins puisqu'on ne peut s'identifier à quelqu'un, à un mouvement, etc., que si on en a besoin2. Elle est aussi élimination d'un carcan, d'où une grande floraison de créativité qui engendre la sensation de touffus, de confusion, etc. On a l'émergence d'un désir de vivre quelque chose de non stéréotypé, d'écouler une vie sur laquelle plus aucun pouvoir ne puisse plus placarder de stigmates infamants. Mais cette explosion de créativité pose à nouveau la question de comment se percevoir, se situer et donc comment trouver son identité.

 

Globalement, on peut encore appréhender d'une autre façon Mai-Juin 1968 et ce qui s'en suivit en disant que ce fut le procès de dissolution de la culture3 définie comme l'instance où s'instaure l'échange des femmes, des biens, des mots. En ce qui concerne l'échange des femmes, le mouvement féministe non seulement le refuse théoriquement, mais l'abolit dans la mesure où plusieurs de ses composantes prônent l'homosexualité stricte. C'est au cours des derniers événements en Italie que s'opéra une vaste crise d'identité composante de celle de la représentation.

 

Superficiellement, en Italie, le mouvement commence4 là où, en France, il finit : le rejet du parti communiste et du syndicat. En effet la virulente critique faite au PCI, le rejet de ce dernier et de celui de la CGIL (équivalent italien de la CGT) est un pas en avant par rapport à ce qui se produisit en France où jusqu'à la fin la grande majorité du mouvement s'est illusionné sur la CGT, le syndicat des travailleurs ! En effet, c'est l'intervention de Lama, secrétaire général de la CGIL, à l'université de Rome qui mit en quelque sorte le feu aux poudres. Il était venu pour lutter contre les soi-disant fascistes5 occupant l'université (car c'est ainsi désormais que le PCI baptise tous ceux qui se manifestent à gauche : ce qui est dans la logique de son devenir : étant le parti de la révolution, il ne peut en aucune façon tolérer un mouvement qui soit plus révolutionnaire ; il doit le discréditer, le faire disparaître, d'où son attitude plus despotique que ceux de tous les autres partis). Cette intervention devait, dans l'optique du PCI (renouvelant ce qui fut fait à Reggio Calabria), permettre une vaste récupération des différents éléments qui avaient été écœurés par la faillite des groupes extra-parlementaires qui avaient participé au carrousel électoral, c'est pourquoi l'échec de Lama retentit sur ces divers groupes qui pourront très difficilement remonter la pente. Enfin cela visait aussi à détruire l'union qui s'était opérée entre les étudiants en révolte et les divers mouvements de l'autonomie ouvrière tel que celui de l'occupation des maisons, du refus de l'augmentation du prix des transports publics, etc. Toutefois le mouvement de rébellion dans son ensemble, n'a pas mis en cause le rôle révolutionnaire du prolétariat. Mieux, il a essayé – et continue à le faire – de s'imposer en se présentant comme un élément de ce prolétariat.

 

« 1. L'assemblée affirme le caractère prolétarien du mouvement de lutte qui s'est développé à l'université au cours de ces semaines. Les protagonistes de ces luttes sont les prolétaires au chômage, les sous-salariés, les étudiants, les travailleurs occasionnels6, les femmes super-exploitées du travail occasionnel et marginal. »

    « 3. L'assemblée dénonce l'intervention de Lama à l'université et en souligne le caractère corporatif ; la tentative de division du mouvement prolétarien ; le lien organique avec l'intervention de la police et les lois spéciales de Cossigna » (Motion de l'assemblée nationale du mouvement de lutte qui s'est développé dans les universités, 26-27 février 1977).

 

Le mouvement se proclame portion du mouvement prolétarien et tient en même temps à signifier ses origines, d'où la spécification des couches sociologiques, ce qui indique également la peur d'une immersion dans un tout qui escamote les diversités ; s'affirme, par là, l'importance de l'identité.

 

Cette proclamation d'adhérence au prolétariat a fait que la plupart des révolutionnaires se sont élevés contre les affirmations d'un membre du PCI au sujet de l'existence de deux sociétés (en bref : celle des intégrés et celle des exclus). Au lieu de reconnaître la réalité et mettre en évidence à quel point le PCI tient le discours du capital (exaltation du capital et de l'intégration), à quel point il est prêt à sacrifier des couches de la population à la sécurité du système, au lieu de dénoncer son ignominie en affirmant : nous sommes exclus afin que vous puissiez vivre, jouissant d'une rente de vie sur nous prélevée, et de parvenir ainsi à la constatation qu'une telle rupture de l'ensemble social est un indice profond de révolution, ils l'escamotent et masquent un des fondements essentiels de leur surgissement. Comment peuvent-ils ensuite parvenir à conserver leur identité ?

 

En outre, en se revendiquant partie intégrante du prolétariat les membres de rébellion universitaire renforcent le PCI ; car postuler une homogénéité de cette classe revient à revigorer la représentation en place, la plus forte et la justifier. C'est une variante de l'entrisme trotskyste. Le plus grave c'est qu'à nouveau l'illusion des années '20 s'impose : unir les deux portions de classe (celle travaillant et celle au chômage), bien qu'à l'époque un certain nombre de membres du KAPD et des Unions aient reconnu et dénoncé le fait que ce sont les prolétaires qui combattaient d'autres prolétaires considérés souvent comme formant un lumpenproletariat. Aussi, moins que jamais, n'est posé, au minimum, l'objectif marxien du siècle dernier : la négation du prolétariat. Ceci apparaît très nettement dans la théorisation effectuée au sein du « domaine de l'autonomie ouvrière » (area dell' autonomia operaia). Ce vaste courant a des origines lointaines qu'on peut situer, en particulier, dans Classe operaia (1964), dans Potere Operaio, etc., et dont les théoriciens ont été Tronti, d'abord, puis et surtout, Negri. Ce dernier par exemple, tenta une analyse du prolétariat tel qu'il se manifeste à l'heure actuelle. On serait passé de « l'ouvrier-masse » des années '60, c'est-à-dire d'un ouvrier déqualifié sur qui ne jouait plus l'idéologie productiviste à « l'ouvrier social » complètement autonome, dissocié en quelque sorte de n'importe quel procès productif et qui est très souvent en même temps déterritorialisé (puisque beaucoup d'ouvriers proviennent des paysans du Mezzogiorno). Cette transformation est liée au devenir du capital qui commande de plus en plus les différentes sphères de la société. L'État est dès lors conçu comme un organisme exerçant une fonction de producteur de plus-value et comme médiateur de tous les mécanismes opérant dans la société. De telle sorte qu'on passe à la réalisation d'une immense usine sociale et l'ouvrier y opérant devient ouvrier-social. Paradoxalement presque tout le monde le devient. On a ainsi le sauvetage de la théorie de la plus-value, donc celle du prolétariat.

 

Cette autonomie s'est effectuée par rapport au cycle de production capitaliste, elle est un phénomène passif ; elle ne découle pas d'une activité des prolétaires qui rompraient avec la ligne du capital7. Ce qu'on a c'est une désorganisation de la classe d'où, pour les courants les plus léninistes de ce domaine de l'autonomie, la nécessité d'une avant-garde qui la réorganise8.

 

Dans la proclamation de l'autonomie ouvrière d'autres mettent surtout en avant l'indépendance par rapport aux divers partis et groupuscules, insistant sur l'action à la base des prolétaires : occupation des maisons et autres actions déjà citées. Aussi si les divers courants de l'autonomie ouvrière se revendiquent partie intégrante du prolétariat ils n'en soulignent pas moins, par conviction ou par manœuvre, la spécificité de chacun d'entre eux : il est parlé de marginaux, de femmes, etc. L'affirmation de spécificité est en grande partie le résultat de l'action du mouvement féministe.

 

La nécessité d'affirmer un identité pointe de façon toute autre dans l'essai de définir quel est de nos jours le sujet révolutionnaire, ce qui recoupe tout le discours sur ce qu'est actuellement le prolétariat ; car s'il n'y a pas de sujet révolutionnaire comment être soi-même révolutionnaire ?

 

Les indiens métropolitains en dépit de leur opposition virulente au PCI et à la CGIL, en dépit de la dérision qu'ils affichent contre les institutions et du ridicule qu'ils sèment sur elles et sur leurs représentants (particulièrement les « professeurs rouges » du style de L. Colletti), n'ont pas abandonné l'espoir dans le prolétariat. Chez eux le problème de l'identité se pose de façon toute autre du fait qu'ils sont des étudiants et, simultanément, le plus souvent chômeurs, ou de jeunes ouvriers au chômage qui ont déjà participé à des actions illégales comme l'occupation de divers locaux, qui viennent (surtout en ce qui concerne les romains) des banlieues les plus déshéritées où ils sont, comme ils disent, enfermés dans des ghettos. De ce fait, ils s'identifient aux indiens parqués dans les réserves9.

 

Cette référence à un prolétariat évanescent n'est plus qu'un souvenir historique. En réalité, la perte d'identité s'exprime dans la recherche d'un autre référentiel, issu d'une autre culture. Se définir comme indien permet également de fonder une autre pratique, comme une autre morale. Ceci implique de recréer un mythe. Les indiens métropolitains en décrivant sur les murs de leur université leur faire, leur mode d'être, en faisant appel à l'action de tribus imaginaires, de dieux et d'événements surnaturels, manifestent la nécessité d'abandonner ce monde mais aussi la non transparence des événements qu'ils vivent et la recherche d'un pôle d'être.

 

Ils expriment d'une façon plus percutante que d'autres avant eux la fin de la culture, l'éclatement de l'homme social enserré dans les divers procès d'échange, dans le social. L'économie est tournée en dérision, l'échange mercantile refusé. Mais cela demeure superficiel parce que le capital lui-même détruit l'économie en tant qu'ensemble d'échanges entre les hommes. Comme je l'ai montré ailleurs, nous avons maintenant un système d'attribution : en fonction d'une certaine activité pour le capital tout homme ou toute femme se voit attribuer un certain salaire qui lui donne droit à une consommation déterminée. L'échange de biens fondant la culture a depuis longtemps disparu.

 

La fin de la culture et la crise de l'identité explosent alors dans l'éclatement du langage, dans la dissociation de la logique, dans la perte de signification du code en place qui est le discours du capital, ce qui est perceptible déjà dans le fait de se nommer et de se définir à partir d'éléments d'autres civilisations. Cela atteint parfois une charge émotionnelle qui n'est pas à négliger quand les indiens métropolitains parlent de la tribu des hommes (la réconciliation voulue et enfin réalisée).

 

A l'heure actuelle où, pour beaucoup, le langage est devenu la réalité concrète – ou, si l'on veut, la réalité opérante et sur laquelle il faut agir – cachant tout le devenir réel qui échappe ainsi à la perception des femmes et des hommes, ce qui est une autre façon d'exprimer que le capital est représentation, la non acceptation du code est d'importance primordiale. Elle s'accompagne de l'efflorescence de langages particuliers, parcellaires exprimant l'atomisation des êtres, leur absence totale de communauté ainsi que la recherche frénétique de la communication10 : rejeter le langage ambiant vécu comme étant une prison afin de se libérer de l'emprise sociale, non pour demeurer avec soi, inviolable mais pour mieux trouver les autres. Toutefois la difficulté de se poser et de poser ce qui est adverse débouche dans l'affirmation de soi dans le moment présent, dans le culte de la fête qui est recherche de contacts immédiats dans l'instant où l'on vit.

 

L'oubli de ce qui fut, pour essayer de poser dans le moment immédiat l'identité vivante, vivifiante qui ne saurait être altérée – exigence qui s'est affirmée à Bologne – découle de la perte d'identité et de la fin de la culture. Oublier l'histoire c'est oublier les accumulations d'ignominie, les rendez-vous manqués, les espérances déçues, les illusions amères, mais c'est aussi de façon plus ou moins consciente la volonté d'escamoter les impasses du passé afin de ne pas s'affronter à celle du présent.

 

Autre forme d'oubli : celui du futur. En effet, pour beaucoup, l'affirmation infestée d'immédiat historique : capitalisme égale communisme débouche dans la constatation : il n'y a plus d'avenir ; seul le présent peut être source d'un moment de vie non asphyxié par un système quelconque. Le temps présent doit engendrer l'espace où doit surgir ce que le temps total devait donner.

 

Être dans le moment présent aboutit soit à se fixer dans la dissolution du tout, soit à s'immerger, même à son corps défendant dans la communauté du capital qui lui aussi est glorification de ce présent, car il a toute le puissance voulue pour sommer les instants de la totalité à laquelle il est parvenu et réaliser son éternité. En outre, cette fuite du passé et du futur est acceptation de la fragmentation entre les générations qui, d'ailleurs, ne s'arrête pas là et affecte chaque génération particulière de telle sorte que les hommes et les femmes ne peuvent plus rien édifier d'humain qui soit assez stable (qui a donc une durée) pour être alternative du capital.

 

Cette fuite est également la faillite de toute avant-garde artistique ou politique. Il ne peut y avoir d'avant-garde que si dans le présent actuel, le futur à venir a une signification, un intérêt. C'est une autre façon de dire qu'il n'y a plus de sujet révolutionnaire. Or, comme il n'y a plus d'économie, il n'y a plus d'objet, il ne peut donc plus y avoir d'histoire, représentation temporelle de la culture.

 

La perte d'identité est également perte de l'espace et devient errance dans l'errance. Ce qui s'est manifesté avec le voyage sans but des surréalistes, repris sous une autre forme avec la dérive chère aux situationnistes, se retrouve dans un autre contexte dans la recherche de traverses qui a une saveur heideggerienne (Holzweg, traduit par chemin qui ne mène nulle part, est bien une traverse). C'est la perte de référence mais aussi son refus. Le chemin lui-même doit être sa propre indication et engendrer son sens, sa direction ; surgit aussi l'idée de la traverse en tant que raccourci permettant d'atteindre plus rapidement le but. Ce n'est plus l'abandon à l'action de l'existant jeté dans le monde et qui dans cette action peut trouver la solution (existentialisme), c'est l'abandon à la voie, au chemin non balisé, non déterminé où l'existant peut se perdre ou se sauver (traversalisme). Simultanément se manifeste aussi un rêve : trouver sur cette terre infestée d'hommes et de femmes un lieu où le divers pourrait apparaître ; c'est le rêve de l'aventure (moment d'irrationalité) désormais impossible ; ce rêve dit aussi la nostalgie d'un nomadisme et l'espoir de fuir ce monde.

 

Cette fin de la culture, cette perte d'identité, la recherche de la communauté humaine sont les phénomènes profonds, affleurant plus particulièrement dans le mode d'être d'un nombre limité d'hommes et de femmes affectent l'ensemble de l'humanité occidentale. C'est là qu'on retrouve de façon percutante l'impasse que presque personne ne veut reconnaître, tout particulièrement les éléments de l'autonomie ouvrière, gonflés qu'ils sont par la confiance dans le prolétariat et dans la croyance qu'il faut s'attaquer au capital. Or, actuellement, il ne s'agit plus de l'affrontement en s'appuyant sur une classe donnée, depuis longtemps évanouie ; il s'agit de résoudre ce que le capital veut lui aussi résoudre afin d'assurer sa survie, en ne se mettant pas sur son terrain11. Surpopulation, pollution, s'imposent au capital comme aux êtres humains qui rompent avec lui ; mais en plus, pour ces derniers, il y a la nécessité de mettre fin à la destruction des espèces animales et végétales, à la désubstantialisation des êtres humains et de trouver une autre « communication ».

 

Les événements italiens viennent confirmer qu'il n'est pas possible que l'humanité puisse réaliser son destin, se sauver de l'emprise du capital, sans en finir totalement avec les diverses représentations fondées par celui-ci ainsi qu'avec leur combinatoire, qu'elle ne peut pas le faire non plus en produisant une autre représentation car cela impliquerait la persistance de la dichotomie vie-représentation ; c'est pourquoi avons-nous parlé de commencer une autre dynamique de vie.

 

Nous voici parvenus à la conjonction de deux mouvements : celui de la vie qui, à travers l'espèce humaine, vient buter contre un phénomène qui la remet en cause, enraye son épanouissement et, par là, celui des êtres humains, et celui de la fragmentation de la représentation qui ne permet plus à ces derniers de se situer les uns par rapport aux autres et par rapport au monde.

 

Á l'échelle mondiale, nous vivons comme un jugement dernier où ce qui fut semble ressusciter pour comparaître devant l'instance du temps présent, celui de l'action à entreprendre, du saut à accomplir : vaste confrontation avec le possible humain, avec ce que doit être notre devenir. De là notre incessante volonté depuis des années de préciser ce que signifie « l'être humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme » (Marx). Ce qu'on ne peut atteindre à travers d'une réflexion, mais en empruntant une autre dynamique de vie au sein de laquelle la recherche des rapports affectifs épanouissant hommes et femmes sera prédominantes.

 

 

 

 

Jacques CAMATTE

 

 

Avril 1977

 

 



1          L'étude du mouvement post-Mai devait faire l'objet d'une analyse assez détaillée qui aurait également abordé la fameuse crise. Les événements qui se sont déroulés ces derniers mois en Italie imposent, pour une préface concernant les textes au sujet du mouvement de Mai-Juin 1968, un examen qui ne peut se faire sans référence à ce qui s'est antérieurement produit. J'aborderai cela brièvement pour y revenir ultérieurement de façon plus exhaustive.

 

 

2          Disons que c'est ainsi qu'opère la représentation du phénomène ce qui ne veut pas dire que je sois partisan d'une théorie des besoins.

            Le procès d'identification implique un choix, une attribution de valeur à quelque chose ou à un être. La chose ou l'être devenu moment et lieu de l'identification jouent le rôle d'un équivalent général. On ne peut donc pas analyser l'identité et l'identification sans reprendre l'étude de la valeur et de l'abstraction ce qui sera abordé dans l'étude plus vaste de la représentation.

 

 

3          J'envisage à dessein cette représentation – anhistorique et escamotrice de médiations sans nombre – du mode d'être des hommes et des femmes qui, aux dires de certains, serait celui-là même qui les poserait en dehors de l'animalité, à cause de sa forme actuelle (structuralisme) et parce qu'elle justifie un procès, également analysé par Marx, qu'on doit abandonner : l'échange.

 

 

4          Il ne s'agit en aucune façon de faire une étude détaillée de mouvements dont les causes sont multiples. En outre, je laisse à dessein de côté les questions purement économiques qui sont certes importantes, pour n'envisager que les conséquences essentielles sur la représentation que les sujets participants ont eu et ont de ce qu'ils vécurent et les implications qu'elles recèlent.

 

 

5          La confusion voulue dans la détermination de l'adversaire (l'insulte, la diffamation) ne fait que renforcer la crise de l'identification.

 

 

6          En italien : precari. Il s'agit de tous ceux qui n'ont pas un contrat de travail.

 

 

7          J'ai déjà critiqué cette autonomisation, en particulier dans la lettre du 5.1.1970, Invariance, série III, n°1.

 

 

8          Il y a quelques années j'ai théorisé la formation d'une classe universelle à la suite de la réalisation de la domination réelle du capital sur la société, en prévoyant que celle-ci ne pourrait s'unifier qu'à la suite de heurts importants surtout entre ceux qui sont dans le procès de production et ceux qui en sont exclus, avec la perspective que la crise tendrait de plus en plus à réduire les premiers à la situation des seconds ; dès lors le parti se formerait à la suite de ces luttes, comme produit de l'unification de cette classe universelle et ayant comme but et tâche immédiats la négation positive du prolétariat.

            Mon intention n'est pas ici, de mettre en évidence tout ce qu'a d'absurde cette position classiste prolétarienne. Cependant étant donné l'insistance avec laquelle celle-ci se réaffirme sous d'autres dormes, nuances, en se nourrissant de diverses justifications théoriques, quelques remarques s'imposent. Fondamentalement c'est une théorisation de la rationalisation du point de vue de l'homme réifié, que le capital peut très bien intégrer. En effet tout le discours sur le travail productif utile et sur le travail reproductif du capital débouche dans la revendication de l'abolition du travail noir, de la généralisation du travail aux chômeurs, aux étudiants, dans l'exigence de transports gratuits et la réduction de l'utilisation des voitures privées, etc. Réaliser cela peut être un voie d'issue pour le capital dans un pays où s'exerce une forte pression démographique qui pose un difficile problème d'emploi des hommes et des femmes. Toutefois ceux qui proposent ces mesures ne se rendent pas compte qu'ils demandent au capital de détruire les expédients qu'une foule d'hommes et de femmes avaient trouvés pour résister à la force du capital (ils détruisent leur possibilité d'être encore des étudiantes, car comment faire sans travail noir et sans travail occasionnel ?), qu'ils réclament le renforcement de son contrôle sur la population en faisant entrer la totalité des individus dans le cycle du travail pour le capital. Évidemment ils croient que ce sont des mesures qui permettront de mobiliser pour la révolution le plus grand nombre possible de prolétaires. Mais du moment que c'est un possible du système cela ne peut conduire qu'à une intégration plus puissante et va à l'encontre de leur revendication d'une autonomie non plus passive mais active. La distribution de vivres « récupérées » aux prolétaires va dans le même sens. Agir ainsi revient à les considérés comme des assistés, des usagers à qui il faut donner (c'est mettre en pratique la charité chrétienne tant honnie) et à les traiter en êtres tellement domestiqués qu'ils ne sont plus aptes à se rebeller. Alors où est le prolétariat révolutionnaire ou qui doit le devenir ? Le provocation-répression-radicalisation qui exalte la violence vaine et la réaffirmation du maître est absurde, comme l'est celui expropriation-réappropriation-rébellion qui aboutit à l'assistance et donc au maintien de l'assuré, du valet.

            A ce propos il est important de signaler un précédent français. Avant et pendant la grève des PTT qui dura 36 jours, la CFDT lança le mot d'ordre : arrêt du recrutement des auxiliaires et titularisation des auxiliaires en service. Un auxiliaire est un employé qui n'a pas de statut de fonctionnaire, qui n'a donc pas la garantie de l'emploi. Embauchés, au début, pour de courtes périodes saisonnières, les auxiliaires vinrent à former une catégorie représentant le quart du personnel en service. Cet auxiliariat était un débouché important (un élément de survie) pour les étudiants.

L'administration a donné satisfaction aux gens de la CFDT puisqu'elle titularise une certaine partie des auxiliaires et arrête leur recrutement. Tout étudiant devra, maintenant, pour obtenir un travail, passer divers concours et faire des stages qui se déroulent très souvent loin du lieu de résidence normale ; il devra embrasser la carrière de l'administration. Ainsi tout ce qui était avantageux, dans une perspective de vie marginale ou temporaire, a été perdu. Tel est le résultat – tarissement de l'infiltration d'une catégorie sociale plus ou moins marginalisée qui fut l'élément moteur de la grève de 1974 – de l'orientation programmatique que les gauchistes infiltrés dans la CFDT ont défendu dans leur optique d'unifier la classe afin de la renforcer dans sa lutte, escomptée, contre le capital (Cf. Le gauchisme et la grève des PTT, Supplément à Invariance, avril 1975. Le texte est de Lucien Laugier –ajout décembre 2008).

On a eu et on a un chantage vis-à-vis des prolétaires qui ont un travail stable : nous refusons d'utiliser nos petits expédients qui nous permettent de survivre mais qui peuvent nuire au niveau de vie de la classe, au nom d'une unité du prolétariat, mais surtout afin que vous, prolétaires, vous reconnaissiez notre caractère prolétarien et révolutionnaire et que vous vous mettiez en mouvement, que vous fassiez la révolution ; car, sans vous, nous ne pouvons rien faire !

 

 

9          Ces données expliquent que le mouvement étudiant a tout de suite relayé les mouvements autonomes dont nous avons parlé : les « prolétaires » sont venus chez les étudiants, ce qui était très dangereux pour le PCI, d'où sa virulence et sa hargne.

 

 

10       D'où les recherches de groupes comme celui de Radio-Alice qui publie également je journal A/Traverso.

 

 

11        En revanche Berlinguer s'y place délibérément. Il théorise la possibilité de la part du prolétariat d'utiliser l'austérité pour fonder un autre type de société. Or, c'est ce que lui et ses comparses reprochaient au Club de Rome lors de la publication des Limites du développement, 1972. Cette exaltation de l'austérité fut clairement prévue par G. Collu et G. Cesarano, lors de l'analyse qu'ils firent de cette publication (Cf. Apocalypse et révolution).


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