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LA RÉVOLUTION ALLEMANDE

 ET LE SPECTRE DU PROLÉTARIAT

 

 

 

 

         L’histoire

 

                   Depuis qu’un nouvelle génération de critiques remet en cause le mouvement ouvrier officiel, y compris sa gauche et son « gauchisme », en les considérant comme mouvement et courant du capital, après l’énième confirmation de leur rôle durant les événements des années 60, de Watts à Paris et à Gdansk, une recherche approfondie est devenue nécessaire pour situer, dans le contexte historique du développement de la société capitaliste, la tradition du marxisme de la seconde Internationale, puis de la social-démocratie.

                   La redécouverte de la guerre civile espagnole, du mouvement réel, englobant la révolution russe et d’autres événements mineurs de l’histoire de la révolution (histoire qui aujourd’hui ne se donne plus les limites de l’époque du capitalisme naissant et mûr, comme le voulaient Marx et Bordiga), a rapidement mis ceci en évidence : l’histoire de la révolution allemande était d’importance exceptionnelle en raison du développement capitaliste de la zone allemande, par rapport aux autres expériences historiques (Russie, Finlande, Hongrie, Italie, Chine et puis Espagne).

                   Les faits qui intéressent ici et dans les deux partie successives de cette introduction, sont ceux que l’on peut appeler « de rupture », car ils tendent à rompre avec l’establishment politico-syndical des divers courants, partis et organisation du socialisme allemand officiel (social-démocratie et centriste, puis affilié à la III° Internationale) ou bien avec le mouvement ouvrier.

                   Actuellement, - avec une exception – l’histoire du mouvement révolutionnaire allemand est écrite au niveau des organisations[1] ; c’est-à-dire des formes de représentations que ce mouvement s’était données et qui se sont autonomisées ; en effet, elles ne furent des facteurs subjectivement révolutionnaires que pendant quelques mois, durant la courte période qui va de 1918 au printemps 1921, laissant par là à toutes ses formes politiques et militaires, en dehors de ses temps forts, une fonction stabilisatrice et organisatrice au niveau politico-économique.

                   Cette fonction révèle le contenu possible et donc souvent réalisé du mouvement comme gauche radicale du capital ; en réalité, à part quelques brefs moments de confrontation (qui ont malgré tout révélé une très importante agressivité parmi certains groupes de prolétaires), les formations de la gauche allemande ont eu pour but réel d’assurer la survie sociale d’une partie de la classe dont elles étaient l’expression, c’est-à-dire, des catégories les plus radicales du prolétariat. Cela signifiait évidemment, se poser des problèmes qui n’étaient pas ceux d’une révolution entièrement anticapitaliste, mais seulement ceux d’une révolution contre la misère capitaliste d’alors.

                   En laissant hors de ce discours un jugement « réaliste » qui accepterait les « conditions historiques » et qui limiterait la critique – et par conséquent la perspective peut-être possible aujourd’hui –, on peut montrer dans cette révolution, un caractère double ;  et cela, même lorsque sa gauche communiste rompait avec les partis ouvriers, avec le parlementarisme, avec les syndicats et les conseils d’ouvriers et de soldats, surgis à la fin de la guerre et fonctionnant immédiatement comme la base démocratique « directe » pour une constitution social-républicaine.

 

                   Ce double caractère nous apparaît évidemment aujourd’hui, à nous qui connaissons la fin de cette révolution ; mais il est clair, également, que la fonction des organisations (Unionen et Betriebsräte) que s’étaient données les masses les plus radicales du prolétariat et qui quittèrent les syndicats officiels, même étant affiliés à la III° Internationale, fut toujours ambiguë ; elles se constituèrent très tard (1919-1920)[2] et dans ce contexte de revendications autogestionnaires de la vie économique – revendications nécessaires en raison du caractère bien particulier des catégories en question, qui devaient vaincre la misère matérielle en assurant, même violemment, la remise en marche de l’appareil productif allemand, largement atteint par la crise de l’après-guerre.

                   Le mouvement radical allemand n’a pas eu, par conséquent, un caractère économico-revendicatif (syndical), mais un caractère (de construction) gestionnaire (conseilliste), car l’économie était à reconstruire. Et c’est là que l’on voit combien cette expérience est restée prisonnière d’une réaction de négation à l’ordre capitaliste traditionnel et tendant à la réalisation de l’être immédiat du prolétariat. Il n’y eut donc aucune perspective de dépassement positif, par le biais de l’autonégation de la classe prolétarienne capitaliste.

                   Outre les limites du mouvement radical même, qui n’a pas dépassé – selon les historiens – 500.000 prolétaires regroupés dans les « Unionen »[3], il faut également introduire un autre facteur défavorable, avant d’achever l’étude du travail des « Linksradikalen » : la révolution russe.

                   Il s’agissait là d’une révolution ayant pour but capitaliste, le développement intensif d’une économie industrielle très jeune ; car la classe bourgeoise n’avait pas la force et l’audace de la faire avancer (au milieu des problèmes posés par la guerre) et préférait maintenir des conditions propres à empêcher même le processus de reproduction de la force de travail ouvrière, précipitant ainsi la Russie dans une situation quasi pré-industrielle ; dans cette révolution, la classe ouvrière fut la seule catégorie capitaliste à avoir une volonté historique suffisamment radicale pour faire sauter les dispositifs archaïques et ouvrir la voie à une accumulation capitaliste stable et moderne, sans classe bourgeoise au sens classique toutefois, et en cherchant à assurer par elle-même la gestion et la planification. (Par la suite, à cause de la guerre, du marché, de la structure économique russe et du retard politique de la bourgeoisie mondiale, cela ne fut réalisé qu’en passant d’une gestion ouvrière à une gestion despotique d’état, par le biais du capital anonyme ; la mimique des hommes était changée, mais non leur soumission à la logique de la société capitaliste).

                   Comme toute rupture, la rupture russe a mis hommes et sentiments en mouvement : les soviets et les conseils, ainsi que les courants de la révolution (les bolcheviks de gauche, puis les anarchistes), furent compris comme l’expression d’une nouvelle créativité révolutionnaire ; cependant, en raison de leurs limites historico-sociales (à en juger par la forme de représentation dominante choisie par ce mouvement, le parti bolchevique, ambigu même d’un point de vue capitaliste, Zinoviev et Lénine !), ils ne réussiront pas – même en ce qui concerne la vision mondiale – à couper le nœud gordien de la politique : indépendance nationale, parlementarisme, politique de front, pour ne pas parler de tout le formalisme organisatif, comme le montre la critique de Gorter, même si – tout comme ses contemporains – il se meut dans le monde des expressions, formations politiques, sans arriver à en critiquer le contenu réel.

                   La rupture russe fut donc un facteur d’élan révolutionnaire, mais son caractère gestionnaire et politique a immédiatement donné le ton à la révolution mondiale ; la révolution allemande ne parvint pas à dépasser cela, et de plus, ce développement capitaliste en Russie suivit un cours parallèle à la récupération du mouvement ouvrier par le capitalisme en Allemagne. Cette récupération eut lieu grâce à l’autogestion ouvrière et à la démocratie , cette tentative audacieuse fut un échec comme on le vit par la suite, lorsque ce capitalisme dut centraliser toutes les forces pour résoudre les problèmes des années vingt et trente qui préparèrent la solution finale, à savoir, la seconde guerre mondiale.

                   Le recul historique qui nous sépare des événements allemands, en révèle toutes les limites ; mais une étude approfondie de sources moins connues montrerait peut-être que l’atmosphère fut beaucoup plus radicale dans le mouvement spartakiste, dans l’armée rouge de la Ruhr, dans les bandes de Hoelz et à la Leuna-Werk que les programmes et les directives gestionnaires, dominant totalement la vie théorique et politique du mouvement révolutionnaire allemand[4], ne le laissent entendre.

 

La critique de Gorter

                   Déjà, avant la guerre de 1914-18, Hermann Gorter avait entrepris une critique radical-réformiste typique que la gauche affiliée à la II° Internationale, qui comprenait également Anton Pannekoek et Rosa Luxembourg. Cette gauche, tout en restant complètement à l’intérieur du formalisme de classe, du parlementarisme et de la vision « trade-unioniste-déléoniste », cherchait un expédient révolutionnaire subjectif et semblait l’avoir trouvé dans l’agressivité spontanée du prolétariat.

                   Pendant la guerre, cette tendance se rapprocha de la gauche russe et même si elles n’étaient pas tout à fait en accord, elles formèrent les courants de la gauche de Zimmerwald : défaitiste et antimilitariste plus que clairement révolutionnaire. Vers la fin de la guerre (1917-18), ces gauches allemande et hollandaise (divisée en Allemagne en « Bremerlinke », puis en Socialistes Internationalistes et Spartakistes) soutinrent les bolcheviks en tant que dirigeants d’une révolution qu’eux-mêmes considéraient comme anti-bourgeoise et prolétarienne – ce qu’elle fut, mais jamais dans le sens qu’ils espéraient.

                   C’est seulement avec les directives tactiques de la III° Internationale et avec la politique extérieure de l’Etat soviétique qu’ils prendront conscience de la ligne social-démocrate classique du parti bolchevique, sans toutefois en comprendre au fond le pourquoi. Il y eut l’attaque de Lénine contre l’extrémisme et les réponses de Pannekoek et de Gorter[5].

                   Au cours de ces polémiques et après les expériences allemandes, cette critique que l’on peut lire dans le texte de Gorter prend forme et on peut la résumer par les points suivants (tout en en donnant en même temps les limites) :

 

                   1 – La révolution communiste a pour centre les pays de haut développement capitaliste, ou bien ceux de l’Europe occidentale et des états (orientaux) américains. Les leçons importantes sont pas conséquent ici et non en Russie, la tactique internationale serait fixée par les communistes « occidentaux », c’est-à-dire : opposition au parlementarisme, aux chefs et à l’entrisme dans les syndicats. Ici, comme dans toute l’analyse des communistes allemands et hollandais, la fonction capitaliste de la social-démocratie n’était pas claire : on comprenait vaguement qu’elle jouait un jeu bourgeois, que le rôle du tribun parlementaire comme celui de la figure paternaliste du chef de la hiérarchie du parti et du syndicat n’avait rien de révolutionnaire. Mais l’antiformalisme ne se donna jamais une base théorique qui dépasse les arguments à fond démocratique. On les trouve trop souvent dans la critique de la Gauche Communiste Allemande, comme on trouve également dans la conception du parti (KAPD)[6], une vision d’avant-garde, mêlée à des éléments illuministes qui évoquent les idées de Tasca et de Gramsci. Cette conception du KAPD et de Gorter se trouve par conséquent à l’intérieur de la tradition d’origine russe (bakounino-léniniste) concernant le parti, et dont les commposantes dominaient la gauche communiste de cette époque, à savoir : démocratisme et centralisme « prolétairen » dans le KAPD, didactisme et blanquisme (gauche du VKPD[7] et du PC d’Italie).

                   Face à l’influence de cette tradition liée historiquement aux traditions jacobines et maçonniques, il y eut la tradition travailliste – du type de la I° Internationale – qui avait continué, bien qu’avec une portée théorique peu importante, dans le syndicalisme ; elle ne vit surgir à la fin de la révolution allemande, qu’une Union Unitaire (AAUE), qui voulait l’usine comme base au lieu de la profession et qui soutenait, au niveau du programme, un ouvriérisme anti-parti.

                   2 – L’autonomie du prolétariat a été un point commun à la Gauche Allemande et à la Gauche Italienne, et a été confirmée par leur hostilité commune envers les « fronts ouvriers » et l’apologie de l’unité, même si la Gauche Italienne, historiquement en retard, voulait accepter un « front unique syndical ».

                   3 – L’opposition aux fronts, dans les pays à haut développement capitaliste est suivie dans les pays asiatiques, où la critique et la perspicacité de Gorter sont uniques pour son époque. Une expérience avait déjà eu lieu en Turquie, mais ce fut seulement après la défaite de la révolution chinoise qu’on commença, dans la III° Internationale, à critiquer la soumission des communistes aux organisations national-bourgeoises.

                   Gorter comprenait également les raisons de cette politique extérieure bourgeoise menée par l’Etat soviétique et sa critique de la paix de Brest-Litovsk fut juste, bien qu’incomplète, car il ne connaissait pas l’opposition communiste à cette paix qui abandonna les mouvements prolétariens et/ou communistes, dans la Baltique, en Finlande et en Ukraine, à la répression allemande et bourgeoise locale, au nom d’une unité national-démocratique que les bolcheviks de droite considérait comme prémisse historique aux révolutions communistes.

                   4 – Gorter fut, de la même manière, parmi les premiers à comprendre la révolution russe comme révolution double, bien que restant prisonnier d’une logique gestionnaire et ouvriériste ; il voyait comme mesures prolétariennes anticapitalistes, les mesures qui avaient au contraire pour fonction, une réorganisation et une centralisation de l’économie ; le but immédiat étant d’assurer la reproduction de la force de travail ouvrière (cf. le « collectivisme de la misère » de Gramsci en 1917 !).

                   Le facteur principal pour une domination bourgeoise sur les événements prolétariens de la révolution serait, d’après Gorter, les paysans. Il ne comprit pas le rôle du capital agraire comme base d’un programme d’industrialisation ; il crut, en revanche, que les revendications pour la terre avancées par les paysans, auraient affaibli le prolétariat, c’est-à-dire, l’industrie des villes, en déplaçant le poids économico-politique à la campagne. Une telle façon de poser la question ne voyait pas que le développement russe suivait la logique d’un capital désormais anonyme.

                   La problématique importante des vieilles communautés de campagne[8] était inconnue à Gorter ; elle aurait amené – en même temps qu’une analyse qui aurait été fondée sur une révolution internationale et sur une vision d’opposition à l’industrialisation de la Russie – tout le discours de la gauche allemande et russe sous une autre lumière.

                   Par suite de cela, de nombreux problèmes sont mal posés. Gorter fait une appréciation erronée du rôle des bolcheviks, puisqu’il considère que c’est eux qui avaient l’initiative révolutionnaire en octobre 1917[9]. Le grand changement en Russie survient, d’après Gorter, en 1921, quand la domination paysanne et bourgeoise est devenue totale avec la NEP et avec Kronstadt, révolte que Gorter considérait comme l’expression explosive de la dualité de la Russie révolutionnaire.

                   Après cette critique, Gorter peut conclure que la Russie, la III° Internationale, la social-démocratie et mes mouvements démocratiques d’Asie sont à considérer comme des ennemis de la révolution.

                   Trois points plus généraux du discours de Gorter sont à souligner :

-         Sa fois en une révolution toujours possible pendant une crise mortelle pour le capitalisme (en admettant en même temps que le monde entier constitue un ennemi pour la révolution, le prolétariat y compris, comme nous le verrons…)

-         Son formalisme organisatif, conseilliste et gestionnaire, qui l’amena à la formation de l’Internationale Communiste Ouvrière, et qu’il n’osa pourtant pas appeler « parti historique » comme le fera plus tard le bordiguisme de gauche, à l’occasion de la création volontariste d’une autre Internationale, le Parti Communiste Internationaliste. Même si Gorter a souligné l’importance de la critique et de la préparation théoriques des trois KAP de son Internationale (de Essen, de Holland et de Bulgarie, tendance de Sofia), une des raisons importantes de la scission du KAPD[10], fut justement la création de cette Internationale comme celle de la révolution future.

-         Enfin, son acceptation totale (encore vive aujourd’hui dans les discussions entre les idéologies entre les idéologies de l’ultra-gauche) de la contradiction fictive entre gestion conseilliste et gestion d’Etat et de parti.

 

Le spectre du prolétariat

                   Un spectre erre dans l’histoire des révolutions : c’est le spectre du prolétariat ; tout d’abord attendu comme le Messie qui viendrait enfin récompenser les sacrifices offerts au capitalisme progressiste, unificateur, centralisateur et industrialisateur ; on le voit ensuite, au contraire, apparaître en costume social-démocrate, participant aux guerres impérialistes et aux élections parlementaires, vivant et acceptant le rythme de la société du capital : production et consommation pour la reproduction de la force de travail pour une nouvelle production… demandant de temps en temps des augmentations de sa part de la valeur produite, plate-forme quantitative à potentialité qualitative révolutionnaire, grâce au saut de la gymnastique de classe…

                   Le prolétariat mondial est pour Gorter « hostile au communisme » ; toutefois, prisonnier d’une logique autogestionnaire et productiviste, il attend du même prolétariat la libération humaine, effectuée par la lutte de classes dont il est le premier à reconnaître les limites revendicatives et réformistes. Qui changera cette contradiction ? L’histoire ! Grand a-priori passe-partout de l’ultra-gauche. C’est ainsi que Gorter s’explique tous les lieux communs marxistes : en 1848 « une révolution prolétarienne » n’était pas possible, mais maintenant ! on attend la conscience-Godot[11].

                   Le gestionnaire « unitaire » allemand Otto Rühle[12], en critiquant la vie quotidienne des familles et des quartiers ouvriers, fut le seul a sentir que la critique devait aller bien au-delà de la politique, comme on le verra après une pause de trente ans dans un autre courant conseilliste de dimensions bien plus importantes, le courant situationniste. Mais Otto Rühle, quant à lui, en arriva à faire l’apologie de l’encadrement « extra-bourgeois » donné aux prolétaires par l’appareil productif capitaliste.

                   En fait, jusqu’à ce qu’on en arrive à concevoir la classe ouvrière comme partie intégrée et intégrante du processus de reproduction de la société capitaliste et qu’on en vienne à poser la révolution en termes qui échappent à la division en classes, la perspective suivra toujours le jeu des développements et des mutations de la société capitaliste, sans rien caractériser d’autre que les contradictions de classe comme les éléments du mouvement même du capitalisme, de la dialectique du processus des métamorphoses perpétuelles de la société capitaliste.

                   La critique révolutionnaire, se détachant de cette rationalité dialectique formelle (classe/capital – lutte de classe/conscience – crise/révolution) qui fait de la pensée radicale une source d’innovation originale pour l’autocritique du capital, saisira sa science comme facteur de la reproduction sociale et cherchera à reposer la révolution dans les termes du Marx de 1844, du communisme comme « la solution véritable du conflit entre existence et essence, entre objectivation et autoaffirmation, entre liberté et nécessité, entre individu et espèce ».

                   Une telle critique – abandonnant le plan de la négativité et entreprenant immédiatement de repenser de manière positive et active la révolution, et par conséquent nous-mêmes – devra dépasser la séparation entre rationalité et affectivité. De plus, unifiant art et science, cette critique devra nier la société du capital en participant de façon créative à cette rupture finale avec le vieux monde, rupture qui pourra engendrer une vie humaine et véritablement communautaire.

                   C’est sur cela que se fonderait aujourd’hui une vision révolutionnaire ; elle ne reconnaîtrait pas la critique du passé comme sa base immédiate. Toutefois, ce dépassement de la critique négative avancée par le vieux marxisme de gauche, oblige à fixer la portée et les limites de l’archéologie du communisme, problème qu’il faudrait reprendre une autre fois.

 

 

 

 

Carsten JUHL

Copenhague – Octobre 1973

 

(Traduit de l’italien)

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]          L’ouvrage de base pour la recherche historique sur la gauche de la révolution allemande est le Syndikalismus und Linkskommunismus von 1918-1923, Masenheim am Glan, 19169, de H. M. Block, dont sont essentiellement tirées les informations utilisées dans La gauche allemande et la question syndicale dans la III° Internationale, Copenhague, 1971, Kommunistisk Program, et dans La gauche allemande (textes). Pour l’histoire du mouvement communiste en Allemagne de 1918 à 1921, par Denis Authier, Paris, Brignoles, Naples, 1973. Même si le troisième texte Le KAPD et le mouvement prolétarien, Invariance, Nouvelle Série (série II), n°1, 1971, doit beaucoup d’informations à Bock, il est jusqu’à maintenant la seule analyse qui essaie d’aller au-delà des formes de représentation, en tentant de voir quelles ont été les aspirations révolutionnaires communes à ce mouvement et aux courants les plus avancés des mouvements de révolte allemands et italiens de la seconde moitié des années 1960 ; il entreprend en outre – en partant de travaux précédents – des formulations utilisables pour une nouvelle des_c_r_i_p_tion du développement historique de l’économie capitaliste. Ce texte d’Invariance fait par là une périodisation de la société capitaliste sur la base du passage de la soumission formelle à la soumission  réelle du travail au capital ; enfin, ce texte abandonne le fétichisme de la classe ouvrière et pose l’alternative « communisme ou destruction de l’espèce humaine ».

 

[2]          En tant que formes de médiation entre flux et reflux de la révolution, déjà battue pendant l’hiver 1918-19.

 

[3]           AAUD – Allgemeine Arbeiter - Union Deutschlands (Union Ouvrière Générale d’Allemagne), sympathisant avec le KAPD – fondée en février 1920. Scission en octobre 1921 avec la fondation de l’AAUE.

AAUE – Allgemeine Arbeiter - Union Einheitsorganisation (Union Ouvrière Générale Unitaire).

FAUD(S) – Freie Arbeiter - Union Deutschlands (Syndikalisten) (Union Ouvrière Libre d’Allemagne (Syndicalistes)) – reconstitution de la vieille confédération syndicaliste en 1919.

FAU (Gelsenkirchen) – Freie Arbeiter- Union (Gelsenkirchner Richtung) (Union Ouvrière Libre (tendance de Gelsenkirchnen)) – surgie en octobre 1920 après la scission dans la FAUD(S). Membre du Profintern de Moscou.

 

[4]           Dans An Essay on Liberation, (1969) H. Marcuse croit qu’il y eut d’autres dimensions. Il renvoie le lecteur aux textes Der Blau Reiter de F. Marc (1914) et Die Kunst und die Zeit, de R. Hausmann (1919), in Manifeste 1905-33, Dresden, 1958.

 

[5]           Publiés dans l’anthologie A. Pannekoek, H. Gorter. Organisation und Taktik der proletarischen Revolution, Krankfurt a/M, 1969, où H. M. Block décrit dans l’introduction, l’histoire et les théories de la Gauche Hollandaise. En français, respectivement dans Invariance, série I, n°7 et aux Cahiers Spartacus.

 

[6]           KAPD – Kommunistische Arbeiter-Partei Deutschlands (Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne) – fondé en avril 1920. Pour la théorie du KAPD sur son rôle, cf. Thèses sur le rôle du parti dans la révolution prolétarienne, Invariance, série I, n°8, 1969 ; en allemand, dans Partei und Klasse 1921, Kommunismusmen, 1972.

 

[7]           VKPD – Vereinigte Kommunistische Partei Deutschlands (Parti Communiste Unifié d’Allemagne) – fondé en décembre 1920 par l’intermédiaire de l’unification du Parti Communiste d’Allemagne (sous la direction de Levi) avec la gauche du Parti Indépendant. Section de l’Internationale Communiste.

 

[8]           Cf. K. Marx à V. Zasulitjch, troisième ébauche, février-mars 1881 ; question reprise et développée plus tard par J. Camatte dans l’introduction à une édition française des textes d’Amadeo Bordiga sur la question russe (cf. Invariance, série II, n°4).

 

[9]           Cf. I bolscevichi e la rivoluzione d’ottobre. Verbali delle sedute del Comitato centrale del Partito operaio social-democratico russo (bolscevico) – août 1917 à février 1918, Ed. Riuniti, 1962. D’après le compte-rendu de Skripnik (p. 211), il est évident que les bolcheviks ont agi sous la pression d’une initiative révolutionnaire des ouvriers anarchistes de Pétrograd : la « direction » bolchevique du mouvement russe doit être considérée comme un compromis historique entre révolution capitaliste bourgeoise et révolution capitaliste autogestionnaire, dont le caractère prolétarien a dominé dans toutes les premières années (cf. les textes d’Anweiler, Brinton, etc.).

 

[10]         Entre la tendance dite d’Essen et celle dite de Berlin.

 

[11]         La question de la conscience n’est pas traitée dans ce texte de Gorter. Elle l’était en revanche dans la réponse de Pannekoek à Lénine Révolution mondiale et tactique communiste et de manière plus approfondie dans le texte de G. Lukacs Histoire et conscience de classe (1923), conception attaquée récemment par J. Baudrillard dans Le miroir de la production, Casterman, 1973, pp. 135-36, théoricien d’un « structuralisme de gauche » qui critique « la rationalité eschatologique » qui se trouverait dans tout le marxisme, coupable d’avoir fondé une notion d’histoire et de succession de modes de production sur lesquels on a érigé une nouvelle téléologie d’ « autovérifications circulaires ».

 

[12]         Dans Von die bürgerlichen zur proletarischen Revolution, 1924, O. Rühle – bien que gestionnaire encore plus limité que Gorter dans sa vision du contenu du socialisme – comprit le premier la victoire de la contre-révolution : « La révolution est perdue dès maintenant pour le prolétariat allemand ». Même Rühle soutint que, le prolétariat dans sa majorité a été l’ « ennemi », le « saboteur » et le « traître » s’opposant à « la libération et à la révolte de sa propre classe » ; il posa toutefois la révolution en termes de conseils ouvriers et jamais en termes d’autonégation du prolétariat.

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