LA
RÉVOLUTION
ALLEMANDE
ET LE SPECTRE DU PROLÉTARIAT
L’histoire
Depuis qu’un nouvelle génération
de critiques remet en cause le mouvement ouvrier officiel, y compris sa
gauche
et son « gauchisme », en les considérant comme
mouvement et courant
du capital, après l’énième confirmation de leur rôle durant les
événements des
années 60, de Watts à Paris et à Gdansk, une recherche approfondie est
devenue
nécessaire pour situer, dans le contexte historique du développement de
la
société capitaliste, la tradition du marxisme de la seconde
Internationale,
puis de la social-démocratie.
La redécouverte de la guerre
civile espagnole, du mouvement réel, englobant la révolution russe et
d’autres
événements mineurs de l’histoire de la révolution (histoire qui
aujourd’hui ne
se donne plus les limites de l’époque du capitalisme naissant et mûr,
comme le
voulaient Marx et Bordiga), a rapidement mis ceci en
évidence : l’histoire
de la révolution allemande était d’importance exceptionnelle en raison
du
développement capitaliste de la zone allemande, par rapport aux autres
expériences historiques (Russie, Finlande, Hongrie, Italie, Chine et
puis
Espagne).
Les faits qui intéressent ici
et dans les deux partie successives de cette introduction, sont ceux
que l’on
peut appeler « de rupture », car ils tendent à rompre
avec
l’establishment politico-syndical des divers courants, partis et
organisation
du socialisme allemand officiel (social-démocratie et centriste, puis
affilié à
la III° Internationale) ou bien avec le mouvement ouvrier.
Actuellement, - avec une
exception – l’histoire du mouvement révolutionnaire allemand est écrite
au
niveau des organisations[1] ;
c’est-à-dire des formes de représentations que ce mouvement s’était
données et
qui se sont autonomisées ; en effet, elles ne furent des
facteurs
subjectivement révolutionnaires que pendant quelques mois, durant la
courte
période qui va de 1918 au printemps 1921, laissant par là à toutes ses
formes
politiques et militaires, en dehors de ses temps forts, une fonction
stabilisatrice et organisatrice au niveau politico-économique.
Cette fonction révèle le
contenu possible et donc souvent réalisé du mouvement comme gauche
radicale du
capital ; en réalité, à part quelques brefs moments de
confrontation (qui
ont malgré tout révélé une très importante agressivité parmi certains
groupes
de prolétaires), les formations de la gauche allemande ont eu pour but
réel
d’assurer la survie sociale d’une partie de la classe dont elles
étaient
l’expression, c’est-à-dire, des catégories les plus radicales du
prolétariat.
Cela signifiait évidemment, se poser des problèmes qui n’étaient pas
ceux d’une
révolution entièrement anticapitaliste, mais seulement ceux d’une
révolution
contre la misère capitaliste d’alors.
En laissant hors de ce
discours un jugement « réaliste » qui accepterait les
« conditions historiques » et qui limiterait
la critique – et
par conséquent la perspective peut-être possible aujourd’hui –, on peut
montrer
dans cette révolution, un caractère double ; et
cela, même lorsque sa gauche communiste
rompait avec les partis ouvriers, avec le parlementarisme, avec les
syndicats
et les conseils d’ouvriers et de soldats, surgis à la fin de la guerre
et
fonctionnant immédiatement comme la base démocratique
« directe »
pour une constitution social-républicaine.
Ce double caractère nous
apparaît évidemment aujourd’hui, à nous qui connaissons la fin de cette
révolution ; mais il est clair, également, que la fonction des
organisations (Unionen et Betriebsräte) que s’étaient données les
masses les
plus radicales du prolétariat et qui quittèrent les syndicats
officiels, même
étant affiliés à la III° Internationale, fut toujours
ambiguë ; elles se
constituèrent très tard (1919-1920)[2]
et dans ce contexte de revendications autogestionnaires de la vie
économique –
revendications nécessaires en raison du caractère bien particulier des
catégories en question, qui devaient vaincre la misère matérielle en
assurant,
même violemment, la remise en marche de l’appareil productif allemand,
largement
atteint par la crise de l’après-guerre.
Le mouvement radical allemand
n’a pas eu, par conséquent, un caractère économico-revendicatif
(syndical),
mais un caractère (de construction) gestionnaire (conseilliste), car
l’économie
était à reconstruire. Et c’est là que l’on voit combien cette
expérience est
restée prisonnière d’une réaction de négation à l’ordre capitaliste
traditionnel et tendant à la réalisation de l’être immédiat du
prolétariat. Il
n’y eut donc aucune perspective de dépassement positif, par le biais de
l’autonégation de la classe prolétarienne capitaliste.
Outre les limites du
mouvement radical même, qui n’a pas dépassé – selon les historiens –
500.000
prolétaires regroupés dans les « Unionen »[3],
il faut également introduire un autre facteur défavorable, avant
d’achever
l’étude du travail des « Linksradikalen » :
la révolution russe.
Il s’agissait là d’une
révolution ayant pour but capitaliste, le développement intensif d’une
économie
industrielle très jeune ; car la classe bourgeoise n’avait pas
la force et
l’audace de la faire avancer (au milieu des problèmes posés par la
guerre) et
préférait maintenir des conditions propres à empêcher même le processus
de
reproduction de la force de travail ouvrière, précipitant ainsi la
Russie dans
une situation quasi pré-industrielle ; dans cette révolution,
la classe
ouvrière fut la seule catégorie capitaliste à avoir une volonté
historique
suffisamment radicale pour faire sauter les dispositifs archaïques et
ouvrir la
voie à une accumulation capitaliste stable et moderne, sans classe
bourgeoise
au sens classique toutefois, et en cherchant à assurer par elle-même la
gestion
et la planification. (Par la suite, à cause de la guerre, du marché, de
la
structure économique russe et du retard politique de la bourgeoisie
mondiale,
cela ne fut réalisé qu’en passant d’une gestion ouvrière à une gestion
despotique d’état, par le biais du capital anonyme ; la
mimique des hommes
était changée, mais non leur soumission à la logique de la société
capitaliste).
Comme toute rupture, la
rupture russe a mis hommes et sentiments en mouvement : les
soviets et les
conseils, ainsi que les courants de la révolution (les bolcheviks de
gauche,
puis les anarchistes), furent compris comme l’expression d’une nouvelle
créativité
révolutionnaire ; cependant, en raison de leurs limites
historico-sociales
(à en juger par la forme de représentation dominante choisie par ce
mouvement,
le parti bolchevique, ambigu même d’un point de vue capitaliste,
Zinoviev et
Lénine !), ils ne réussiront pas – même en ce qui concerne la
vision
mondiale – à couper le nœud gordien de la politique :
indépendance
nationale, parlementarisme, politique de front, pour ne pas parler de
tout le
formalisme organisatif, comme le montre la critique de Gorter, même si
– tout
comme ses contemporains – il se meut dans le monde des expressions,
formations
politiques, sans arriver à en critiquer le contenu réel.
La rupture russe fut donc un
facteur d’élan révolutionnaire, mais son caractère gestionnaire et
politique a
immédiatement donné le ton à la révolution mondiale ; la
révolution
allemande ne parvint pas à dépasser cela, et de plus, ce développement
capitaliste en Russie suivit un cours parallèle à la récupération du
mouvement
ouvrier par le capitalisme en Allemagne. Cette récupération eut lieu
grâce à
l’autogestion ouvrière et à la démocratie , cette tentative audacieuse
fut un
échec comme on le vit par la suite, lorsque ce capitalisme dut
centraliser
toutes les forces pour résoudre les problèmes des années vingt et
trente qui
préparèrent la solution finale, à savoir, la seconde guerre mondiale.
Le recul historique qui nous
sépare des événements allemands, en révèle toutes les
limites ; mais une
étude approfondie de sources moins connues montrerait peut-être que
l’atmosphère fut beaucoup plus radicale dans le mouvement spartakiste,
dans
l’armée rouge de la Ruhr, dans les bandes de Hoelz et à la Leuna-Werk
que les
programmes et les directives gestionnaires, dominant totalement la vie
théorique et politique du mouvement révolutionnaire allemand[4],
ne le laissent entendre.
La
critique de Gorter
Déjà, avant la guerre de
1914-18, Hermann Gorter avait entrepris une critique radical-réformiste
typique
que la gauche affiliée à la II° Internationale, qui comprenait
également Anton
Pannekoek et Rosa Luxembourg. Cette gauche, tout en restant
complètement à
l’intérieur du formalisme de classe, du parlementarisme et de la vision
« trade-unioniste-déléoniste », cherchait un
expédient
révolutionnaire subjectif et semblait l’avoir trouvé dans l’agressivité
spontanée du prolétariat.
Pendant la guerre, cette
tendance se rapprocha de la gauche russe et même si elles n’étaient pas
tout à
fait en accord, elles formèrent les courants de la gauche de
Zimmerwald :
défaitiste et antimilitariste plus que clairement révolutionnaire. Vers
la fin
de la guerre (1917-18), ces gauches allemande et hollandaise (divisée
en
Allemagne en « Bremerlinke », puis en Socialistes
Internationalistes
et Spartakistes) soutinrent les bolcheviks en tant que dirigeants d’une
révolution qu’eux-mêmes considéraient comme anti-bourgeoise et
prolétarienne –
ce qu’elle fut, mais jamais dans le sens qu’ils espéraient.
C’est seulement avec les
directives tactiques de la III° Internationale et avec la politique
extérieure
de l’Etat soviétique qu’ils prendront conscience de la ligne
social-démocrate
classique du parti bolchevique, sans toutefois en comprendre au fond le
pourquoi. Il y eut l’attaque de Lénine contre l’extrémisme et les
réponses de
Pannekoek et de Gorter[5].
Au cours de ces polémiques et
après les expériences allemandes, cette critique que l’on peut lire
dans le
texte de Gorter prend forme et on peut la résumer par les points
suivants (tout
en en donnant en même temps les limites) :
1 – La révolution communiste
a pour centre les pays de haut développement capitaliste, ou bien ceux
de
l’Europe occidentale et des états (orientaux) américains. Les leçons
importantes sont pas conséquent ici et non en Russie, la tactique
internationale serait fixée par les communistes
« occidentaux »,
c’est-à-dire : opposition au parlementarisme, aux chefs et à
l’entrisme
dans les syndicats. Ici, comme dans toute l’analyse des communistes
allemands
et hollandais, la fonction capitaliste de la social-démocratie n’était
pas
claire : on comprenait vaguement qu’elle jouait un jeu
bourgeois, que le
rôle du tribun parlementaire comme celui de la figure paternaliste du
chef de
la hiérarchie du parti et du syndicat n’avait rien de révolutionnaire.
Mais
l’antiformalisme ne se donna jamais une base théorique qui dépasse les
arguments à fond démocratique. On les trouve trop souvent dans la
critique de
la Gauche Communiste Allemande, comme on trouve également dans la
conception du
parti (KAPD)[6],
une
vision d’avant-garde, mêlée à des éléments illuministes qui évoquent
les idées
de Tasca et de Gramsci. Cette conception du KAPD et de Gorter se trouve
par
conséquent à l’intérieur de la tradition d’origine russe
(bakounino-léniniste)
concernant le parti, et dont les commposantes dominaient la gauche
communiste
de cette époque, à savoir : démocratisme et centralisme
« prolétairen » dans le KAPD, didactisme et
blanquisme (gauche du
VKPD[7]
et du PC d’Italie).
Face à l’influence de cette
tradition liée historiquement aux traditions jacobines et maçonniques,
il y eut
la tradition travailliste – du type de la I° Internationale – qui avait
continué, bien qu’avec une portée théorique peu importante, dans le
syndicalisme ; elle ne vit surgir à la fin de la révolution
allemande,
qu’une Union Unitaire (AAUE), qui voulait l’usine comme base au lieu de
la
profession et qui soutenait, au niveau du programme, un ouvriérisme
anti-parti.
2 – L’autonomie du
prolétariat a été un point commun à la Gauche Allemande et à la Gauche
Italienne, et a été confirmée par leur hostilité commune envers les
« fronts ouvriers » et l’apologie de l’unité, même si
la Gauche
Italienne, historiquement en retard, voulait accepter un
« front unique
syndical ».
3 – L’opposition aux fronts,
dans les pays à haut développement capitaliste est suivie dans les pays
asiatiques, où la critique et la perspicacité de Gorter sont uniques
pour son
époque. Une expérience avait déjà eu lieu en Turquie, mais ce fut
seulement
après la défaite de la révolution chinoise qu’on commença, dans la III°
Internationale, à critiquer la soumission des communistes aux
organisations
national-bourgeoises.
Gorter comprenait également
les raisons de cette politique extérieure bourgeoise menée par l’Etat
soviétique et sa critique de la paix de Brest-Litovsk fut juste, bien
qu’incomplète, car il ne connaissait pas l’opposition communiste à
cette paix
qui abandonna les mouvements prolétariens et/ou communistes, dans la
Baltique,
en Finlande et en Ukraine, à la répression allemande et bourgeoise
locale, au
nom d’une unité national-démocratique que les bolcheviks de droite
considérait
comme prémisse historique aux révolutions communistes.
4 – Gorter fut, de la même
manière, parmi les premiers à comprendre la révolution russe comme
révolution
double, bien que restant prisonnier d’une logique gestionnaire et
ouvriériste ; il voyait comme mesures prolétariennes
anticapitalistes, les
mesures qui avaient au contraire pour fonction, une réorganisation et
une
centralisation de l’économie ; le but immédiat étant d’assurer
la
reproduction de la force de travail ouvrière (cf. le
« collectivisme de la
misère » de Gramsci en 1917 !).
Le facteur principal pour une
domination bourgeoise sur les événements prolétariens de la révolution
serait,
d’après Gorter, les paysans. Il ne comprit pas le rôle du capital
agraire comme
base d’un programme d’industrialisation ; il crut, en
revanche, que les
revendications pour la terre avancées par les paysans, auraient
affaibli le
prolétariat, c’est-à-dire, l’industrie des villes, en déplaçant le
poids
économico-politique à la campagne. Une telle façon de poser la question
ne
voyait pas que le développement russe suivait la logique d’un capital
désormais
anonyme.
La problématique importante
des vieilles communautés de campagne[8]
était inconnue à Gorter ; elle aurait amené – en même temps
qu’une analyse
qui aurait été fondée sur une révolution internationale et sur une
vision
d’opposition à l’industrialisation de la Russie – tout le discours de
la gauche
allemande et russe sous une autre lumière.
Par suite de cela, de
nombreux problèmes sont mal posés. Gorter fait une appréciation erronée
du rôle
des bolcheviks, puisqu’il considère que c’est eux qui avaient
l’initiative
révolutionnaire en octobre 1917[9].
Le grand changement en Russie survient, d’après Gorter, en 1921, quand
la
domination paysanne et bourgeoise est devenue totale avec la NEP et
avec
Kronstadt, révolte que Gorter considérait comme l’expression explosive
de la
dualité de la Russie révolutionnaire.
Après cette critique, Gorter
peut conclure que la Russie, la III° Internationale, la
social-démocratie et
mes mouvements démocratiques d’Asie sont à considérer comme des ennemis
de la
révolution.
Trois points plus généraux du
discours de Gorter sont à souligner :
-
Sa
fois en une révolution
toujours possible pendant une crise mortelle pour le capitalisme (en
admettant
en même temps que le monde entier constitue un ennemi pour la
révolution, le
prolétariat y compris, comme nous le verrons…)
-
Son
formalisme organisatif, conseilliste
et gestionnaire, qui l’amena à la formation de l’Internationale
Communiste
Ouvrière, et qu’il n’osa pourtant pas appeler « parti
historique »
comme le fera plus tard le bordiguisme de gauche, à l’occasion de la
création
volontariste d’une autre Internationale, le Parti Communiste
Internationaliste.
Même si Gorter a souligné l’importance de la critique et de la
préparation
théoriques des trois KAP de son Internationale (de Essen, de Holland et
de
Bulgarie, tendance de Sofia), une des raisons importantes de la
scission du
KAPD[10],
fut justement la création de cette Internationale comme celle de la
révolution
future.
-
Enfin,
son acceptation totale
(encore vive aujourd’hui dans les discussions entre les idéologies
entre les
idéologies de l’ultra-gauche) de la contradiction fictive entre gestion
conseilliste et gestion d’Etat et de parti.
Le
spectre du prolétariat
Un spectre erre dans
l’histoire des révolutions : c’est le spectre du
prolétariat ; tout
d’abord attendu comme le Messie qui viendrait enfin récompenser les
sacrifices
offerts au capitalisme progressiste, unificateur, centralisateur et
industrialisateur ; on le voit ensuite, au contraire,
apparaître en
costume social-démocrate, participant aux guerres impérialistes et aux
élections parlementaires, vivant et acceptant le rythme de la société
du
capital : production et consommation pour la reproduction de
la force de
travail pour une nouvelle production… demandant de temps en temps des
augmentations de sa part de la valeur produite, plate-forme
quantitative à
potentialité qualitative révolutionnaire, grâce au saut de la
gymnastique de
classe…
Le prolétariat mondial est
pour Gorter « hostile au communisme » ;
toutefois, prisonnier
d’une logique autogestionnaire et productiviste, il attend du même
prolétariat
la libération humaine, effectuée par la lutte de classes dont il est le
premier
à reconnaître les limites revendicatives et réformistes. Qui changera
cette
contradiction ? L’histoire ! Grand a-priori
passe-partout de
l’ultra-gauche. C’est ainsi que Gorter s’explique tous les lieux
communs
marxistes : en 1848 « une révolution
prolétarienne » n’était pas
possible, mais maintenant ! on attend la conscience-Godot[11].
Le gestionnaire
« unitaire » allemand Otto Rühle[12],
en critiquant la vie quotidienne des familles et des quartiers
ouvriers, fut le
seul a sentir que la critique devait aller bien au-delà de la
politique, comme
on le verra après une pause de trente ans dans un autre courant
conseilliste de
dimensions bien plus importantes, le courant situationniste. Mais Otto
Rühle,
quant à lui, en arriva à faire l’apologie de l’encadrement
« extra-bourgeois » donné aux prolétaires par
l’appareil productif
capitaliste.
En fait, jusqu’à ce qu’on en
arrive à concevoir la classe ouvrière comme partie intégrée et
intégrante du
processus de reproduction de la société capitaliste et qu’on en vienne
à poser
la révolution en termes qui échappent à la division en classes, la
perspective
suivra toujours le jeu des développements et des mutations de la
société capitaliste,
sans rien caractériser d’autre que les contradictions de classe comme
les
éléments du mouvement même du capitalisme, de la dialectique du
processus des
métamorphoses perpétuelles de la société capitaliste.
La critique révolutionnaire,
se détachant de cette rationalité dialectique formelle (classe/capital
– lutte
de classe/conscience – crise/révolution) qui fait de la pensée radicale
une
source d’innovation originale pour l’autocritique du capital, saisira
sa
science comme facteur de la reproduction sociale et cherchera à reposer
la
révolution dans les termes du Marx de 1844, du communisme comme
« la
solution véritable du conflit entre existence et essence, entre
objectivation
et autoaffirmation, entre liberté et nécessité, entre individu et
espèce ».
Une telle critique –
abandonnant le plan de la négativité et entreprenant immédiatement de
repenser
de manière positive et active la révolution, et par conséquent
nous-mêmes –
devra dépasser la séparation entre rationalité et affectivité. De plus,
unifiant art et science, cette critique devra nier la société du
capital en
participant de façon créative à cette rupture finale avec le vieux
monde,
rupture qui pourra engendrer une vie humaine et véritablement
communautaire.
C’est sur cela que se fonderait
aujourd’hui une vision révolutionnaire ; elle ne reconnaîtrait
pas la
critique du passé comme sa base immédiate. Toutefois, ce dépassement de
la
critique négative avancée par le vieux marxisme de gauche, oblige à
fixer la
portée et les limites de l’archéologie du communisme, problème qu’il
faudrait
reprendre une autre fois.
Carsten
JUHL
Copenhague
– Octobre 1973
(Traduit
de l’italien)
[1]
L’ouvrage
de base pour la recherche historique sur la gauche de la révolution
allemande
est le Syndikalismus und Linkskommunismus
von 1918-1923, Masenheim am Glan, 19169, de H. M. Block, dont
sont
essentiellement tirées les informations utilisées dans La
gauche allemande et la question syndicale dans la III°
Internationale, Copenhague, 1971, Kommunistisk Program, et
dans La gauche allemande (textes). Pour
l’histoire du mouvement communiste en Allemagne de 1918 à 1921,
par Denis
Authier, Paris, Brignoles, Naples, 1973. Même si le troisième texte Le KAPD et le mouvement prolétarien,
Invariance, Nouvelle Série (série II), n°1, 1971, doit beaucoup
d’informations
à Bock, il est jusqu’à maintenant la seule analyse qui essaie d’aller
au-delà
des formes de représentation, en tentant de voir quelles ont été les
aspirations révolutionnaires communes à ce mouvement et aux courants
les plus
avancés des mouvements de révolte allemands et italiens de la seconde
moitié
des années 1960 ; il entreprend en outre – en partant de
travaux
précédents – des formulations utilisables pour une nouvelle des_c_r_i_p_tion
du
développement historique de l’économie capitaliste. Ce texte
d’Invariance fait
par là une périodisation de la société capitaliste sur la base du
passage de la
soumission formelle à la soumission
réelle du travail au capital ; enfin, ce texte
abandonne le
fétichisme de la classe ouvrière et pose l’alternative
« communisme ou
destruction de l’espèce humaine ».
[2]
En
tant
que formes de médiation entre flux et reflux de la révolution, déjà
battue
pendant l’hiver 1918-19.
[3]
AAUD – Allgemeine Arbeiter - Union
Deutschlands (Union Ouvrière Générale d’Allemagne), sympathisant avec
le KAPD –
fondée en février 1920. Scission en octobre 1921 avec la fondation de
l’AAUE.
AAUE
–
Allgemeine Arbeiter - Union Einheitsorganisation (Union Ouvrière
Générale
Unitaire).
FAUD(S)
– Freie Arbeiter - Union Deutschlands (Syndikalisten) (Union Ouvrière
Libre
d’Allemagne (Syndicalistes)) – reconstitution de la vieille
confédération
syndicaliste en 1919.
FAU
(Gelsenkirchen) – Freie Arbeiter- Union (Gelsenkirchner Richtung)
(Union
Ouvrière Libre (tendance de Gelsenkirchnen)) – surgie en octobre 1920
après la
scission dans la FAUD(S). Membre du Profintern de Moscou.
[4]
Dans An Essay on Liberation, (1969)
H. Marcuse croit qu’il y eut
d’autres dimensions. Il renvoie le lecteur aux textes Der
Blau Reiter de F. Marc (1914) et Die
Kunst und die Zeit, de R. Hausmann (1919), in Manifeste
1905-33, Dresden, 1958.
[5]
Publiés dans l’anthologie A.
Pannekoek, H. Gorter. Organisation und
Taktik der proletarischen Revolution, Krankfurt a/M, 1969,
où H. M. Block
décrit dans l’introduction, l’histoire et les théories de la Gauche
Hollandaise. En français, respectivement dans Invariance, série I, n°7
et aux
Cahiers Spartacus.
[6]
KAPD – Kommunistische Arbeiter-Partei
Deutschlands (Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne) – fondé en avril
1920. Pour
la théorie du KAPD sur son rôle, cf. Thèses
sur le rôle du parti dans la révolution prolétarienne, Invariance,
série I,
n°8, 1969 ; en allemand, dans Partei
und Klasse 1921, Kommunismusmen, 1972.
[7]
VKPD – Vereinigte Kommunistische
Partei Deutschlands (Parti Communiste Unifié d’Allemagne) – fondé en
décembre
1920 par l’intermédiaire de l’unification du Parti Communiste
d’Allemagne (sous
la direction de Levi) avec la gauche du Parti Indépendant. Section de
l’Internationale
Communiste.
[8]
Cf. K. Marx à V. Zasulitjch, troisième
ébauche, février-mars 1881 ; question reprise et développée
plus tard par
J. Camatte dans l’introduction à une édition française des textes
d’Amadeo
Bordiga sur la question russe (cf. Invariance, série II, n°4).
[9]
Cf. I bolscevichi e la
rivoluzione d’ottobre. Verbali delle sedute del
Comitato centrale del Partito operaio social-democratico russo
(bolscevico) –
août 1917 à février 1918, Ed. Riuniti, 1962. D’après le
compte-rendu de
Skripnik (p. 211), il est évident que les bolcheviks ont agi sous la
pression
d’une initiative révolutionnaire des ouvriers anarchistes de
Pétrograd :
la « direction » bolchevique du mouvement russe doit
être considérée
comme un compromis historique entre révolution capitaliste bourgeoise
et
révolution capitaliste autogestionnaire, dont le caractère prolétarien
a dominé
dans toutes les premières années (cf. les textes d’Anweiler, Brinton,
etc.).
[10]
Entre la tendance dite d’Essen et celle
dite de Berlin.
[11]
La question de la conscience n’est pas
traitée dans ce texte de Gorter. Elle l’était en revanche dans la
réponse de
Pannekoek à Lénine Révolution mondiale et
tactique communiste et de manière plus approfondie dans le
texte de G.
Lukacs Histoire et conscience de classe
(1923), conception attaquée récemment par J. Baudrillard dans Le miroir de la production, Casterman,
1973, pp. 135-36, théoricien d’un « structuralisme de
gauche » qui
critique « la rationalité eschatologique » qui se
trouverait dans
tout le marxisme, coupable d’avoir fondé une notion d’histoire et de
succession
de modes de production sur lesquels on a érigé une nouvelle téléologie
d’
« autovérifications circulaires ».
[12]
Dans Von
die bürgerlichen zur proletarischen Revolution, 1924, O.
Rühle – bien que
gestionnaire encore plus limité que Gorter dans sa vision du contenu du
socialisme – comprit le premier la victoire de la
contre-révolution :
« La révolution est perdue dès maintenant pour le prolétariat
allemand ». Même Rühle soutint que, le prolétariat dans sa
majorité a été
l’ « ennemi », le « saboteur » et
le « traître »
s’opposant à « la libération et à la révolte de sa propre
classe » ; il posa toutefois la révolution en termes
de conseils
ouvriers et jamais en termes d’autonégation du prolétariat.