VERS
"L'être
humain est la véritable Gemeinwesen (communauté) de
l'homme".
K.MARX
Il s'agit ici d'indiquer un
itinéraire individuel[1] qui
ne fut jamais perçu en tant que tel, ne serait-ce que parce
qu'il comportât la quête de celui de l'espèce, de la communauté
plus ou moins passive des hommes; tout rempli par la perception qu'il ne pouvait pas y avoir de
solution personnelle non seulement d'un point de vue théorique, mais affective. Autrement dit le besoin de
communauté se faisait sentir au niveau individuel
mais il était perçu à l'échelle de l'espèce; il était nécessaire de comprendre le devenir de celle-ci.
Deux présuppositions sont à la base
de l'activité qui produisit les textes présentés ici, signalant les
jalons essentiels d'un cheminement effectué sur plus de vingt ans: ce
sont K.Marx et A.Bordiga. Chez K.Marx je trouvais une définition de l'homme et
de son devenir, tout particulièrement la levée de la contradiction homme
individuel espèce (Gattungswesen) et résolution
globale de la question de l'État, de la religion. J'avais la
donnée intégrale-intégrante; A.Bordiga apportait l'explication du moment de l'époque:
celle d'une profonde phase de recul, le règne de la contre-révolution. L'articulation
entre les deux résidait dans le fait que pour A.Bordiga, aussi, le problème de
l'émancipation était un problème de l'espèce. Le devenir historique n'était pas
interprété en se fondant sur les faits et gestes des
grands hommes, mais en tentant de comprendre comment agissent,
réagissent les groupements d'hommes et de femmes, comment les questions se
posaient au nom de et pour l'espèce. Ainsi une vision du
mouvement immédiat venait s'ajouter à celle d'un mouvement de grande amplitude
historique. Lorsqu'une théorie est apte à apporter ces deux éléments, il est
inévitable qu'elle s'empare totalement de celui qui l'affronte.
Cette théorie appelée marxisme
n'était pas considérée comme devant être liée à l'individu K. Marx,
mais comme étant le produit du surgissement d'une nouvelle classe,
le prolétariat, et devant être valable durant toute la phase historique où cette
classe existerait (invariance du marxisme). En outre étant donnée la conviction
que cette théorie donnait une explication exhaustive du
devenir humain (du fait même que le prolétariat était la
dernière classe de l'histoire), on était amené à poser le caractère absolu de
la vérité sociale qu'elle affirmait.
A. Bordiga parlait d'invariance du
marxisme, de la théorie, parfois il ajoutait du prolétariat.
Systématiquement, je décidais d'employer l'expression totale: invariance de la
théorie du prolétariat, pour bien marquer le fait de son irruption avec le
surgissement de cette classe. Un domaine où j'essayais d'apporter
ma contribution à l'œuvre considérée, à l'époque, commune,
impersonnelle (une oeuvre qui serait de l'espèce), ce fut
d'essayer d'étayer cette affirmation.
Cette théorie explique le
devenir total de l'espèce et donc le passage, médiatisé par un
vaste mouvement intermédiaire, des communautés primitives à la communauté humaine future. Dans la
mesure où elle était reconnue comme valide-valable, opérante-opérationelle c'est elle qui apparaissait au premier plan. A partir
du moment où elle se révéla caduque,
c'est ce qu'elle désignait, expliquait, qui devenait fondamental. Ainsi en tant qu'expression de la théorie
du prolétariat, Invariance variait (il
y avait même négation), mais en tant qu'affirmation du devenir à la communauté
humaine, Invariance reste telle qu'elle fut désignée.
Le mot invariance pris au langage
mathématique indique qu'il y a permanence de quelque chose, pérennité
de certaines données humaines. Non pas une nature, ce qui
impliquerait de fonder définitivement une coupure entre nature naturante et nature
humaine, mais un corpus en lequel les diverses générations humaines peuvent se retrouver
tout en percevant leur différence; ce qui est obligatoirement lié à ce qui est
affirmé dans la Gemeinwesen, être commun des hommes dans leur devenir, être non
aliéné, non aliénant où il y a toujours possibilité de se
reconnaître, de se retrouver auprès de soi, comme dirait G.W.F.Hegel,
et, en même temps, forme que peut prendre cet être commun; de là
l'évidence de la phrase de Marx "L'être humain est la véritable Gemeinwesen
(communauté) de l'homme".
Invariance et programme sont des mots
qui, à partir du début des années 60, connurent une grande
vogue. Le second est lié à l'informatique[2].
L'information qui doit donner le maximum de liberté
(principe de néguentropie) implique en réalité une programmation rigoureuse,
une technique très développée qui a ses contraintes, pour pouvoir être captée,
analysée, utilisée. Il est également lié à la futurologie. Le premier fut
surtout utilisé par la biologie et désigne la constance de l'information au cours du temps. Ainsi les deux sont maintenant
lies à l'information dont la théorie est
présentée comme la seule pouvant "représenter" les divers phénomènes
physiques, biologiques, etc.
jusqu'au social. Le capital voulant se poser en définitive comme une accumulation d'informations qui seraient comme des
éléments unités, comprenant les
quatre dimensions fondamentales; comme une accumulation de vie; celle-ci étant définie
comme étant un mécanisme capable de produire et de traiter de l'information, ce qui revient à la définir par un produire. On
reste dans la vieille problématique de l'économie politique.
Il est à noter à quel point:
recherche sur les structures, programmation, théorie de l'invariance,
herméneutique, ou téléonomie, sont absolument liées et en relation directe avec
la constitution de capital en communauté matérielle: la structure achevée.
Dans son procès
d'anthropomorphose le capital capte tout ce qui est humain. La résistance des hommes sur
la base d'un futur sur lequel ils pensent avoir au moins maîtrise, la
perception d'une donnée constante qu'ils peuvent fonder une certitude de leur non dépossession absolue, de leur non
réduction à un pur objet du capital est absorbée par celui-ci. Mouvement double: nécessité de l'absorption de
l'humain, nécessité de se poser en
tant qu'être qui fonde lui aussi son invariance et tend à coloniser le futur.
Il semblerait donc que A.Bordiga
n'ait fait qu'anticiper le devenir du capital. S'appuyer
là-dessus pour dire, comme certains l'ont fait pour K Marx, qu'il n'a produit que le
discours du capital, est une opération tentante pour beaucoup. Mais, on ne peut
pas réduire de cette façon les révolutionnaires. En conséquence une réflexion plus intense sur ce que
peut-être la véritable alternative révolutionnaire s'impose de même qu'il faut examiner la question de savoir si
l'on peut encore parler de révolution
pour caractériser le bouleversement nécessaire pour en finir avec le capital.
Le cheminement dont il
s'agit présente trois grandes périodes. Ce n'est pas une construction
a posteriori, un découpage entrepris afin de produire un exposé didactique; c'est
ainsi que ce fut vécu. J'ajoute qu'il n'est pas question d'apologétique, ni de justification,
mais de présenter le plus rigoureusement possible ce qui est advenu. Ces trois périodes
sont:
1 — La phase de contre-révolution où
il s'est agi de déterminer en quoi cette contre-révolution se
distinguait de celles qui la précédèrent, en quoi elle accomplissait
ses tâches et s'épuisait. La réponse à ces questions engendrait automatiquement
l'interrogation au sujet des bases sur lesquelles allait
se manifester la nouvelle révolution (la dernière).
2 —
L'émergence de la révolution
en Mai 68 et la réflexion sur ce
qu'il fut. Pouvait-il être expliqué à l'aide du schéma marxiste de la
révolution? Confirmait-il ou non la théorie du prolétariat, ou
la faisait-il éclater?
3 . - La
recherche d'une nouvelle dynamique à partir de l'injonction constatation. "Ce
monde qu'il faut quitter".
L'affirmation de l'invariance de la théorie n'a pas stérilisé
la recherche. Tout au contraire, au cours
de ces vingt ans, il fallut affronter une série de questions qui se
présentèrent souvent comme des impasses pour le mouvement. Divers théoriciens
non liés à la gauche italienne les interprétèrent comme autant de faillites du
marxisme. Dans une première période j'acceptais les résolutions des problèmes,
les issues d'impasses apportées par A.
Bordiga, en essayant d'étayer ce qui parfois n'était donné que sous forme
lapidaire; ensuite je les affrontais moi-même, jusqu'au moment où, à l'aide de quelques camarades, je dus reconnaître l'épuisement
de la théorie et fus amené à poser la nécessité dé son abandon, non
celui de son dépassement (bien que cette préoccupation
se soit elle aussi faite jour), sans pour cela lancer l'anathème sur K.Marx, F.Engels, etc. . . parce qu'ils n'auraient
pas été révolutionnaires, mais de simples bourgeois!
J'ai dit que les diverses
phases mentionnées avaient effectivement été vécues telles
qu'elles sont dénommées ci-dessus. Ceci est en liaison avec l'anti-immédiatisme
de A.Bordiga et l'anti-immédiateté de K.Marx qui englobe
le premier: éviter l'immersion dans le continuum de l'immédiat surtout à partir du
moment où il s'avère être celui du capital.
Il fallait prendre appui sur une autre terre, celle du futur. À partir de la
prévision-perspective du communisme je pouvais, en suivant l'enseignement de A.Bordiga,
déterminer les caractères et les
limites de chaque phase avec laquelle j'étais contemporain. En outre, à l'époque, je pensais en terme de
stratégie: il me semblait qu'il était possible, grâce à un effort théorique, de conquérir de façon anticipée, des
positions sur le terrain de lutte afin d'engager cette dernière dans des
conditions favorables.
Anti-immédiateté,
réflexion-prévision, non volontarisme impliquant l'absence de tout
prosélytisme, une affirmation permanente d'un certain corpus de positions théoriques,
telles sont les composantes du comportement théorique au cours de ces périodes.
* *
*
La première phase qui va
jusqu'en 1968 est celle de la contre-révolution. Il est clair
que je me réfère ici à la révolution communiste. Elle fut vécue à la lumière des
clarifications théoriques de A.Bordiga. J'ai souvent évoqué les points forts de
son analyse prévisionnelle au cours du second après-guerre.
Je ne puis tout rappeler, mai je voudrais indiquer ce qui me semblait vraiment
essentiel: le marxisme, le communisme n'ont
rien à voir avec l'URSS; là-bas il y a le capitalisme; on est en période de contre-révolution; la révolution*n'est pas pour
demain; elle requiert pour sa réaffirmation une longue phase
préliminaire, car tout a été détruit; le parti, également, ne pourra réapparaître que dans un lointain avenir.
Fallait-il ne rien faire? Attendre? Non,
mais toute l'activité devait être orientée vers la réappropriation de la
théorie qu'il fallait simultanément restaurer et retrouver l'énergie
révolutionnaire des phases antérieures dans
les générations qui nous avaient précèdes. Le prolétariat ne peut pas reprendre son mouvement insurrectionnel en
suivant les directives d'un chef quelconque,
ou d'un messie; c'est la classe en sa totalité qui doit être à même de se
soulever et de trouver en elle, grâce au parti, qu'elle aura sécrété dans la
période antérieure et avec lequel elle s'identifiera non seulement
théoriquement mais pratiquement, les
énergies importantes, ainsi que la certitude du but et du mode de le réaliser parce que ceci se trouve déjà consigné
dans la théorie qui ne fait qu'expliciter la
mission historique du prolétariat. Ce résultat a ses prémices dans toute
l'histoire de l'humanité. Apparemment celle-ci est histoire (souvent
exhibitionniste) de grands hommes, en fait, elle est le produit de la vie de l'humanité entière.
C'est un phénomène inconscient,
et ce qui rend plus accusé ce caractère c'est le fait qu'il y a négation de la part des classes dominantes de tout
apport, de toute activité génératrice de progrès de la part de la classe opprimée, en des périodes
historiques déterminées, les périodes de
bouleversement. L'affirmation révolutionnaire postule une démystification constante de l'histoire.
L'acceptation de ces
idées-forces impliquait un type d'intervention théorico-pratique où
l'aspect théorique devait inévitablement l'emporter. Il fallait tout d'abord effectuer
une étude approfondie — en dépit des difficultés de l'époque par suite du
manque presque absolu de matériel et de documents — de la théorie et de l'histoire du mouvement
ouvrier. On ne doit pas oublier que la deuxième guerre mondiale avait éliminé révolutionnaires et cadres
révolutionnaires et que la guerre froide gelait toute pensée, toute
action dans des stéréotypes, et structurait une confusion généralisée en réactivant le mythe de l'URSS
socialiste du seul fait qu'elle était anti-étasunienne.
La levée des confusions n'est pas un
processus linéaire. Les anciennes ne sont pas réellement
détruites, elles sont écartées. Souvent elles sont amenées à rejouer masquées par celles qui
deviennent dominantes. Ainsi avec la déstalinisation de 1956, au lieu d'avoir clarification nette qui puisse
jouer le rôle d'un acquis pour tout un chacun,
l'illusion démocratique vint noyer toutes les percées de compréhension et on
eut un fatras, même si la période fut caractérisée par un certain élan pour
briser le carcan de divers schémas. Un
effort théorique encore plus important devait être fourni, d'autant plus que A.Bordiga en 1956-57
énonça de façon rigoureuse sa perspective
au sujet de la révolution dans les années 75-80 et, simultanément, dénia tout véritable caractère révolutionnaire
prolétarien aux mouvements de l'Europe de l'Est, en particulier l'insurrection hongroise de 1956. En outre,
l'affaiblissement du stalinisme avait
engendré une phase de critique rageuse qui dans beaucoup de cas voulut
tout jeter pardessus bord et fonder une modernité qui n'était en fait — dans le cas de la France par exemple — que le discours
réel du capital. Le cas le plus illustre fut la revue Arguments. La critique ne se faisait pas à partir du
pôle révolutionnaire, mais à partir du
pôle social triomphant.
S'il n'y avait pas de révolution
prolétarienne la société ne restait tout de même pas immobile, d'où la
nécessité de préciser en quoi le fascisme avait gagné la guerre, pourquoi
la détente succédait à la guerre froide. Les réponses à ces questions ne pouvaient
venir que d'une étude approfondie du devenir du MPC en ne se limitant pas au
schéma léniniste exposé dans L'impérialisme stade suprême du
capitalisme. En même temps s'imposait l'investigation des
phénomènes qui pouvaient accélérer la venue de la crise
capitaliste seule apte à déterminer une repolarisation des forces
révolutionnaires œuvrant à la reformation du parti.
C'est là qu'on rencontrait la question des révolutions anticoloniales qui
fut de 1950 à 1962 le phénomène immédiat le plus important[3].
L'étude de la question
nationale-coloniale s'est faite en deux périodes séparées par la prise de
connaissance du texte fondamental de K.Marx Formes qui précèdent la forme de production capitaliste (chapitre des Grundrisse) en 1958. Avant
cette date on essaya de délimiter des
aires géo-sociales, comme A. Bordiga l'avait fait lors de son étude de la révolution Russe. On chercha à
déterminer à quel niveau de développement
des forces productives elles se trouvaient et à individualiser le mode ou les modes de production y opérant. La
destruction des antiques rapports sociaux était
considérée comme progressive parce que permettant un développement du capital et donc la formation du
prolétariat. Après la lecture du texte de K.Marx, on n'a pas abandonné
réellement cette vision qui cadre avec la théorie du prolétariat mais on insista plus sur une critique du progrès,
sur la glorification des antiques rapports sociaux qui étaient plus humains; d'où une exaltation de
l'histoire des différents peuples
se soulevant contre les métropoles capitalistes, sans sombrer dans un populisme. En outre, pointa l'idée que
certaines régions de la terre pouvaient ne pas être favorables à un développement du MPC, mais on n'en
tira aucune conséquence importante.
Enfin, ce qui me passionna le plus dans le texte de K.Marx c'était d'y trouver une périodisation de l'histoire
humaine en fonction des divers types de communauté; malheureusement l'étude
immense que cela réclamait ne permit pas d'aller très loin dans l'investigation. Je me contentais
de signaler, de façon schématique, ce mode d'appréhender l'histoire dans Le VI° Chapitre inédit du
Capital et l'oeuvre
économique de Marx.
Fondamentalement, au départ, il
était évident que ces révolutions anticoloniales ne pourraient pas engendrer le
socialisme; toute perspective de double révolution était également à exclure;
restait à déterminer s'il ne pourrait pas y avoir une certaine transcroissance qui passait inévitablement par une
radicalisation au sein des métropoles provoquant un affaiblissement de
celles-ci permettant au mouvement anticolonial
d'atteindre plus de profondeur et d'amplitude.
Cette perspective n'était pas fausse puisqu'elle se réalisa mais en un laps de temps plus long que prévu et sous une forme bien moins révolutionnaire. Il faut attendre 1975 pour qu'on ait réalisation du phénomène escompté en 1960: la fin de la colonisation de l'Afrique[4].
Dans une dernière période
l'étude des pays ayant accédé à l'indépendance fut analysée
en tenant compte d'un phénomène inverse: dans quelle mesure ils renforçaient
le système capitaliste mondial? Il ne s'agissait pas d'en venir à un européocentrisme mais de constater
qu'une possibilité d'accélération d'un procès révolutionnaire avait été perdue.
La question des révolutions
anticoloniales donna lieu au sein de l'organisation à des
oppositions découlant de deux positions: une qui fut nommée, ultérieurement, en d'autres lieux,
tiers-mondiste, l'autre qu'on peut caractériser comme européocentrique, ayant pour arrière fond la théorie de la
décadence du MPC et l'impossibilité pour celui-ci d'accroître encore les forces
productives. Cette dernière ne manquait pas d'une certaine générosité: par son action le prolétariat a au fond
apporté la solution pour l'ensemble
des hommes de la planète; il a permis un essor des forces productives jusqu'au capital pleinement réalisé qui
est la base pour accéder au communisme;
non seulement il n'y a plus rien à développer mais on ne le peut pas; la seule action progressive est la destruction du
MPC. D'où, pour les partisans actuels de
cette théorisation, nous vivons une espèce de Moyen-Âge, une nouvelle barbarie,
etc . . . où le développement
technique n'est qu'une apparence de progrès. En affirmant cela, ils
manifestent de l'incohérence puisqu'ils ne mettent pas réellement les hommes et les femmes au premier plan de la transformation
qui doit se produire et éviter à divers peuples les phases pénibles de
la capitalisation.
La première position s'abandonnait
à l'immédiat, l'autre se figeait dans un acquit historique. On a trouvé
la solution; il suffit que sa connaissance soit divulguée ou que
d'autres en fassent par eux-mêmes la découverte. Sous-jacente se cache l'idée
de la nécessité d'une dictature du centre sur toute la
périphérie.
Pour ceux qui nient totalement la
caractère révolutionnaire des mouvements anticoloniaux comment
pouvait-on concevoir un aller au communisme au début du siècle
(moment où selon eux le MPC entre en décadence) puisque le prolétariat était absolument minoritaire à l’échelle mondiale? Que serait-il advenu
à l'Afrique par exemple?
La logique voudrait que dans ce cas ils accordassent une importance aux autochtones, mais ce serait sombrer
dans le populisme qu'ils honnissent. Le prolétariat d'Occident est alors l'avant-garde qui doit
exporter la conscience dans les autres pays. Mais comment peut-elle se greffer
là-bas si l'être de ces pays est différent?
Ce qu'à la suite de A.Bordiga on
craignit le plus c'était, bien qu'on la connut fort mal,
le fleurissement d'une théorie populiste au sein des peuples insurgés qui
aurait pu affirmer qu'une couche sociale autochtone — ou même
l'ensemble de la population — assurerait l'indépendance;
non pas parce qu'on était contre celle-ci mais parce qu'on y
voyait alors une phase purement bourgeoise démocratique qui fixerait le processus
à un stade intermédiaire de développement. Il fallait, même si le prolétariat indigène
était faible, mettre en avant la dimension internationale; toute théorisation de
vertus particulières à un peuple donné apparaissait en contradiction avec
l'internationalisme. On ne pouvait pas ne pas miser sur une transcroissance
possible, telle que l'avait montrée la révolution russe.
Cependant, vue la carence du mouvement prolétarien dans ces pays, on
fut bien amené à reconnaître que la lutte des races se révélait parfois beaucoup
plus révolutionnaire que la lutte des classes.
C'est donc en fonction de tout cela
qu'on pouvait être pour l'indépendance des pays coloniaux. En outre, on ne
pouvait pas être insensible à l'aspect purement humain: la fin d'un
assujettissement; le fait de l'affirmation d'une dignité humaine acquise
grâce à l'indépendance et le dévoilement d'une humanité qui avait été bafouée,
niée durant des siècles. Ceux qui dénigrent systématiquement ces mouvements révolutionnaires
devraient méditer sur le fait que rapporte F. Fanon: des savants français
faisaient des thèses pour démontrer que le cerveau des algériens était
structuré différemment de celui des européens ce qui expliquait
leur prétendue infériorité, ainsi que sur la phrase lourde de sens historique
d'Aimé Césaire: "Ce qu'il (le bourgeois humaniste
du XX° siècle) ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme blanc, c'est d'avoir appliqué
à l'Europe des procédés colonialistes
dont ne relevaient jusqu'ici que les arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et
les nègres d'Afrique".
Le mouvement de libération fut très important pour les
noirs qui en 1960 acquirent l'indépendance;
certes ce fut l'émancipation du noir et non de l'homme, mais cela eut une conséquence considérable par exemple
sur le mouvement révolutionnaire noir étasunien (confirmant la perspective).
Pour ces hommes luttant contre un racisme puissant il y avait là des preuves tangibles de leur humanité. Avec
juste raison ils purent enfin dire: "Black is beautiful". Ce
qui s'est produit c'est une émancipation progressive
dans le cadre du MPC, résultat identique à celui obtenu par les prolétaires en 1848 et en 1871. Ces mouvements
représentent en fait une extension de la domination du capital à des zones plus
vastes même si cette domination n'est pas
réelle. L'essentiel c'est l'élimination de la réduction des algériens, des
noir, etc. . . à un stade
infrabestial. À partir de 1960 on est obligé de reconnaître que l'humanité blanche n'est pas la seule humanité. Si des
conflits éclatent dans ces pays devenus indépendants cela pose la mise en cause
d'un système mondial non humain et, aussi, vue 1' impasse en Occident, celle de
poser leur propre devenir en rapport avec leur passé qu'ils redécouvrirent et non de singer l'occident.
La théorie de l'importance, de la
nécessité de l'indépendance de ces pays est liée à la théorie du
prolétariat; sur sa base on ne peut affirmer que cela (au moment historique
auquel on se réfère ici); l'alternative serait une théorie populiste. Malheureuement
(comme je le pense maintenant) il n'y en eut pas; il y eut seulement une
théorie substitutionniste: on remplaça le prolétariat par le
paysan comme le firent Mao Zédong ou Aimé Césaire.
Ils ne cherchèrent pas, à la différence des populistes russes, le possible d'un autre devenir; ils ne
posèrent pas le problème de greffer les acquis techniques occidentaux sur les vieilles
formes sociales communautaires. Au contraire —on peut anticiper jusqu'à nos jours — ils
veulent détruire leur vieux milieu social; tous proclament la guerre au tribalisme[5]
Affirmer que du moment qu'en
Occident le prolétariat ne fait rien, tout mouvement social
révolutionnaire ne peut que nourrir la contre-révolution, c'est vouloir faire
tout tourner autour de l'occident, c'est l'européocentrisme et une
justification du colonialisme, etc. . . c'est surtout faire peu de cas
dé l'impasse tragique ,où se trouvèrent et se trouvent une
multitude d'hommes et de femmes dans les diverses aires
dits arriérées. Enfin cela exprime de la façon la plus aiguë le renversement de
la proposition: "le prolétariat ne doit pas attendre
de messie" en "le prolétariat est le nouveau messie qu'il
faut attendre". En même temps, au sein de ce renversement, le
prolétariat prend, aux yeux des divers "attentistes", des figures
variées; chacun mettant dans cette classe ce qu'il a besoin pour résoudre
sa perspective historique.
C'est pourquoi ce fut une grande joie
quand, en 1960, une grande partie de 1'Afrique accéda à
l'indépendance due en grande partie à l'opiniâtreté de la lutte des algériens,
d'autant qu'on pouvait prévoir, qu'à bref délai, tout le reste suivrait et que
les nouveaux pays indépendants pourraient entreprendre une croisade pour libérer
leurs frères d'Afrique du Sud.
Il est un autre élément sur lequel
on a insisté qui montre que nous avions bien raison de pas avoir d'illusions
sur ce que pourrait donner ces mouvements: les diverses directions ne
purent négocier l'indépendance qu'après avoir éliminé les groupements les plus
extrémistes (révolution algérienne) ou les éliminèrent après son obtention au
prix d'une période de chaos (cas du Congo-Zaïre), de telle sorte que ce fut
toujours le potentiel révolutionnaire le plus bas qui put s'affirmer.
L'analyse de ces révolutions
n'apparaissait pas suffisante, encore moins exhaustive, aussi fallut-il faire une
nouvelle étude plus fouillée des différents modes de production et rejeter l'unilinéarisme. En effet en glorifiant
les antiques civilisations de ces pays il y avait en germe l'idée qu'il
n'était pas nécessaire que ces pays passent par les mêmes étapes qu'en Occident pour produire une
civilisation importante que, donc, il pouvait y avoir une autre voie de développement. Mais ceci ne pouvait pas
suffire, il aurait fallu montrer qu'il
n'y avait pas inéluctabilité d'un développement donné, celui de l'Occident.
Dans cette étude des révolution
anticoloniales surgit une difficulté toute spéciale: la Chine.
A.Bordiga apporta peu de choses; les autres membres du PCI ne firent que
broder des erreurs sur le canevas classique. Ce qui me semblait important c'était
le type même de la communauté chinoise (ce qui je devais analyser par la suite
en. tant que communauté despotique), mais je n'avais pas le temps ni les moyens
d'aborder cette investigation.
En ce qui me concerne,
au-delà des questions que je viens de signaler rappeler, le mouvement de libération
des peuples coloniaux faisait apparaître une donnée essentielle — étudiée déjà dans l'aire occidentale — celle de la
communauté.
Alors s'ouvre une période
(1962-1966) caractérisée par une impasse: en fonction de la
prévision on aurait dû avoir, au cours de ces années-là, une reprise
révolutionnaire liée à la crise du MPC. Or, il y avait soit une agitation qui,
pour la plus grande part, était liée à la défense des
anciennes structures, comme ce fut le cas pour les grèves dans le bassin
houiller belge en 1960 ou celle dans les charbonnages en France en 1963, ou bien elle échappait au vieux mouvement
ouvrier ainsi de la révolte des noirs
étasuniens et, en Europe, ce que l'on devait appeler les grèves sauvages[6] De plus en plus s'affirmait la spontanéité et l'autonomie,
mais non un mouvement réflexif, seul apte à engendrer le parti. La crise qui s'était annoncée sous
forme d'une récession en 1958, réapparaissait périodiquement en d'autres
récessions touchant successivement et
séparément divers pays. Les contrecoups de la décolonisation étaient de très faible amplitude et le mouvement
révolutionnaire anticolonial avait vite sombré dans un establishment prononcé. Seuls demeuraient Che Guevara
avec son idéologie d'un autre âge et
une aspiration de notre temps: en finir avec le statu quo de cette société, et la révolution en Chine: le
mouvement des gardes rouges qui, lui
aussi, apparaissait, dans son idéologie, comme un phénomène du passé.
En 1964-1966 — moment de la
rédaction de Le VI° Chapitre inédit du Capital et
l'œuvre économique de Marx, divers frémissements parcouraient
la société du capital. On sentait comme un début de quelque chose (tous
les groupuscules s'étaient réactivés) pourtant ce qui pouvait
être déterminant ne se produisait pas: la crise. D'où la volonté
d'expliciter le devenir du capital et sa possibilité de surmonter ses contradictions
sans passer par le stade de la crise ce qui, simultanément, explique sa
domination réelle sur la société et la formation de la communauté matérielle.
La validité de l'œuvre de K Marx
apparaissait évidente, à condition de la développer à
partir de sa totalité et des éléments qui n'avaient pas été utilisés, tout
particulièrement en ce qui concerne la communauté. Ce texte sur le
VI° Chapitre inédit était le complément à Origine et
fonction de la forme parti de 1961, avec intégration des
données développées entre temps sur le mouvement ouvrier français, les trois
internationales, ainsi que des travaux non publiés sur l'individu, la
philosophie, la mystification démocratique
(comprenant une étude de la démocratie et du fascisme).
De 1966 à 1968 les caractères
indiqués plus haut s'accusèrent. Aussi je fus amené à préciser le phénomène de
rajeunissement du capital à peine esquissé chez A.Bordiga et l'englobement de diverses contradictions, leur non
disparition. Ainsi le conflit
russo-chinois réactivait la vieille opposition des chinois aux "barbares
du nord"; que les russes, les nouveaux barbares l'emportent sur le front
chinois ou sur le front européen et tout le devenir ultérieur serait changé,
mais s'ils sont comprimés dans un espace donnée, si l'expansionnisme
russe, soviétique, venait a être stoppé,
quelles conséquences pour une révolution à l'intérieur de l'immense aire
soviétique?
Plus que jamais se faisait sentir l'exigence de situer le moment de la révolution. Or, celle-ci, en reprenant la phrase de F.Engels, ne pouvait se manifester qu'à partir du moment où la contre-révolution serait allée jusqu'au bout; c'est-à-dire à mon avis qu'elle devait réaliser les tâches immédiates de la révolution précédente, de celle qu'elle avait bloquée. Or une tâche immédiate de la révolution surgie dans les années 1917-1919 était de réussir une mondialisation généralisation de rapports sociaux qui auraient été la base du communisme et qui devint le support au passage de la domination formelle à la domination réelle du capital sur la société en Occident et l'extension de la première à l'ensemble du globe. Cela impliquait l'élimination du tsarisme, l'indépendance des colonies et leur intégration dans la communauté mondiale du capital. Dans ce nouveau monde le problème monétaire prenait une autre dimension (par le marché monétaire il y a constitution du capital en totalité dit K.Marx). Ainsi se vérifiât la réalisation de la communauté matérielle, et, s'il en était ainsi, la contre-révolution était allée jusqu'au bout.
Se posait également, pour beaucoup,
la question de comment reconnaître la révolution et en quoi elle consiste. Les
révolutions anticoloniales en avaient fourni quelques caractères, mais étant
donné leur développement dans une aire retardataire par
rapport à l'Occident, il est évident que cela ne pouvait pas satisfaire. Il
fallait penser
comment allait apparaître la révolution en domination réelle du capital.
Le phénomène
accélérateur ayant disparu (les révolutions anticoloniales) et la phase révolutionnaire se laissant
percevoir à distance, il était important, dans la perspective d'alors, de préciser quel serait le centre névralgique de son
développement que A.Bordiga pensait devoir être l'Allemagne. Cela reconduisait
à l'étude approfondie du capital et à individualiser dans la mesure du possible
le communisme présent en cette
société. Il fallait d'autre part essayer de cerner en quoi il consistait. Tout
cela était cohérent avec la volonté d'œuvrer à la formation d'un parti,
c'est-à-dire à une organisation qui présente
assez de stabilité dans le temps et l'espace pour pouvoir prévoir le futur; cette stabilité lui venant
uniquement de la théorie invariante sur un arc historique donné. Le parti était considéré comme nécessaire afin
de pouvoir saisir le moment de discontinuité
créant la béance par où s'engouffrerait la révolution.
Un autre exigence était satisfaite:
parvenir à saisir la dynamique mondiale des rapports sociaux; car,
quoique le MPC domine la planète, il n'y a pas identité de situation
en tous les points de celle-ci. Par là même, il était plus facile de percevoir leur
maturation.
Les quelques années avant 1968
marquent un moment particulier, indéfini, imprégné d'un
pressentiment (comme dirait G.W.F.Hegel) que quelque chose va se produire, car le
monde est effectivement en fermentation: on a une activation de la théorie classiste au travers du maoïsme
made hors Chine présent dans divers mouvements étudiants; il y a un certain retour aux sources, à K. Marx (peu importe
ici le but visé par ceux qui l'entreprirent)
avec L.Althusser et certains leaders de la SDS allemande. Ce qui trouble c'est que ce vaste mouvement qui
parcourt la société ne se fait pas de façon
unitaire mais, au contraire, accentue le phénomène de groupusculisation; il y a un certain retour à la théorie marxiste, une
purge limitée des tares lénino-trotskystes
qui lui furent appliquées, mais il n'y a aucun mouvement prolétarien même de
faible amplitude qui vienne prendre en charge ce que A. Bordiga appelait
l'œuvre de restauration et d'affirmation
de la théorie.
C'est cela que
j'abordais après novembre 1966 date de ma sortie du parti communiste
international, c'est sur cette inadéquation que je réfléchissais quand éclata
Mai 1968.
* *
*
Mai 1968 ne fut pas une surprise, non
qu'on l'eut prévu en totalité, mais on s'attendait à un phénomène révolutionnaire.
D'une part c'était postulé dans la prévision de
1956-57 puisque avant la grande crise révolutionnaire de 1975-80, il devait
obligatoirement se produire un phénomène de moindre importance mais décisif
pour le devenir-constitution du parti. D'autre part les différentes analyses
sur les révolutions impures, c'est-à-dire celles où interviennent
plusieurs classes, où donc plusieurs modes de
production sont présents et bouleversés, avaient conduit à postuler les données
d'une révolution pure qui devait
obligatoirement présenter une discontinuité absolue avec les premières. On avait analysé la révolution
en domination formelle du capital, on
espérait voir celle en domination réelle qui ne pourrait pas lui ressembler. En
conséquence, si on n'avait pas été
capable de la décrire on avait pensé i'inévitabilité de son originalité. Enfin la possibilité d'une
telle crise révolutionnaire était liée à la rupture d'équilibre de l'économie étasunienne. Or en mars 1968 à
propos d'une étude sur cette
dernière, je faisais remarquer qu'une telle rupture s'était produite et
qu'on pouvait donc s'attendre à un bouleversement révolutionnaire[7].
Un premier argument d'ordre historique
insistait sur les relations entre un phénomène se produisant aux USA et ceux affectant l'Europe: la guerre
d'indépendance des USA et 1789, la guerre
de Sécession et 1871, la grande crise de 1929-32 et la victoire du fascisme (victoire du nazisme et renforcement des autres
variantes fascistes[8]). Les autres arguments étayant cette perspective étaient fournis par l'histoire récente
des USA et la révolte étudiante à
travers le monde qui avait particulièrement touché l'Allemagne et
l'Italie. À partir da là on pouvait espérer que quelque chose de nouveau allait
se manifester, une discontinuité peut-être se
produire.
La prévision se fait à
l'aide de l'opérateur de connaissance: la théorie du prolétariat. Toutefois
étant donnée l'absence de parti ou, au moins, de noyaux importants, le phénomène
révolutionnaire à venir fut envisage comme devant être une cassure. C'est
tout. Cela veut dire qu'il ne fut en aucun cas possible de prévoir ce que
serait le mouvement que fut Mai 1968. Aussi l'important,
lorsqu'il advint, ce fut de le vivre pleinement afin de percevoir,
jusqu'au tréfonds, à quoi il correspondait, jusqu'où il pouvait
aller; pourrait-il bouleverser l'ensemble social? Il fallait vivre
le moment exceptionnel, s'en imprégner. Au delà du rapport avec la prévision
théorique, il y avait la réalité d'une vérification affective:
c'était bien cela la révolution, l'écroulement de l'établi, l'irruption d'une autre
modalité de vie; il se manifestait un élément irrationnel, de rêve. Il
s'agissait de vivre et non de faire le militant: non s'exciter en croyant à
l'efficacité de sa petite action pour
propulser les autres dans la direction qu'on juge qu'il faut prendre, mais être
écoute de tous; vivre pour vérifier quelque chose de perçu dans la période de non-vie. La seule intervention fut la production
du tract L'être humain est la véritable Gemeinwesen (communauté) de l'homme rédigé des la fin de la première semaine du
mouvement, mais diffusé (très peu) dans la dernière semaine de mai. Je pensais
qu'il ne serait pas compris mais qu'il servirait à prendre acte de cette émergence
et, simultanément, à affirmer que ce n'était pas la révolution, à l'encontre de
beaucoup qui devinrent révolutionnaires
seulement au moment de l'émergence. Ceci
ne vise que ceux qui durant la phase précédente avaient nié tout futur possible
à la révolution, non tous les jeunes qui eurent la joie de commencer une vie
réflexive avec cette merveilleuse
éclosion-explosion.
La vive exaltation qu'engendrait Mai
68 était mêlée d'une certaine inquiétude: est-ce que le choc
serait assez fort pour annihiler le passif de 50 ans de contre-révolution,
si on excepte quelques moments éruptifs au cours des journées de 1936 qui
eurent elles aussi l'aspect de fête, pleines de spontanéité — en cela elles
anticipaient — et les débuts de la révolution espagnole; ce
furent des échappées révolutionnaires au sein de la
contre-révolution. Mai 68 c'était le début d'un cycle. J'en avais la
conviction; il fallait l'étayer, le prouver. La réflexion ne pouvait pas être mise
de côté. Ce qui était immédiatement le plus important c'est qu'on avait affaire
à un mouvement révolutionnaire qui ne posait pas une détermination classiste,
qui manifestait donc bien l'exigence indiquée dans Origine
et fonction de la forme parti: une révolution à un
titre humain.
Il n'y avait pas
possibilité de mythiser ou mythologiser Mai 68, ni possibilité d'être
déçu car l'élément essentiel s'était effectué: la rupture dans le continuum de la contre-révolution, la
discontinuité. C'est pourquoi il n'a jamais été question d'une défaite de Mai
68. Il n'y a pas eu de bataille, ni alignement d'une armée quelconque contre une autre. Le mouvement ne s'opposa pas
directement à un immédiat mais à une
totalité; il ne s'en prit pas à des individus particuliers mais à tout un
système et, vue sa faiblesse, il s'est
souvent contenté d'exprimer une vie dans la brèche ouverte dans ce dernier.
L'absence d'une donnée classiste
immédiate pouvait sembler une infirmation de la théorie de K.Marx,
mais c'était une confirmation de son schéma global de la dynamique révolutionnaire. Les
classes les plus prés de la Gemeinwesen en place interviennent d'abord; d'où le rôle reconnu aux nouvelles
classes moyennes considérée comme les introductrices de la classe
révolutionnaire, celle qui doit accomplir le bouleversement des années 1975-80.
Les grandes grèves de 1970 comme celle de Kiruna ou la révolte des ouvriers polonais furent interprétées en
fonction de cette perspective. Il semblait réellement
que le prolétariat avait tendance à être ramené sur la scène mondiale.
La non-affirmation d'une donnée classiste
pouvait, en outre, se comprendre comme se
développant dans la dynamique de la révolution puisque K.Marx a souvent insisté que le but de celle-ci était la
suppression du prolétariat, la maturité du mouvement naissant avec Mai 68 devait s'affirmer dans la mesure où la
négation du prolétariat s'imposerait
de plus en plus. Ainsi ce que je pensais devoir mettre au premier plan ce n'est pas l'autonomie du prolétariat dont
parlait tant Potere Operaio, par exemple,
mais sa négation.
Autrement dit Mai 68 poussait à opérer une revitalisation
importante de la théorie du prolétariat. D'où
la volonté de faire connaître une contribution importante à celle-ci: l'œuvre de A.Bordiga; de même pour un
fort courant qui avait été laissé dans l'ombre:
la gauche germano-hollandaise et, en particulier, le mouvement allemand des années vingt, surtout le KAPD. L'émergence de
la révolution imposait de faire connaître
tous ceux qui avaient opéré dans le sens de son retour et que la contre-révolution avait asphyxiés, étouffés. Ce, d'autant
plus, qu'ils devenaient actuels et risquaient
d'être utilisés à des fins autres, c'est-à-dire: engluer le mouvement au stade où il était parvenu. Il fallait structurer
une compréhension. Mai 68 est accélération
d'une compréhension de quelque chose déjà amorcée auparavant, déjà en acte.
Mais l'acquisition de certaines données était insuffisante, la découverte de certaines
vérités demeurait superficielle et de faible portée ainsi en ce que concerne celle du rôle contre-révolutionnaire du PCF
affirmé à partir seulement des derniers événements, oubliant, en particulier, son rôle au cours des journées de
1936. Il fallait mobiliser toute
l'histoire du mouvement de résistance au triomphe du capital, au
triomphe de la contre-révolution dans les années vingt.
C'était un essai de
comprendre, en utilisant tous les ressorts possibles de la théorie des
classes, aussi bien à l'aide du schéma réduit comme avec celui ample, avec
espoir d'un retour du prolétariat sur la scène mondiale, retour dont on
percevait des signes avant-coureurs. Toutefois, une faille, c'est-à-dire
l'absence d'une telle manifestation, allait
conditionner la réflexion. Mai 68 ne pouvait pas être expliqué uniquement par cette théorie. Il y avait des déterminations
qui lui échappaient. Comment comprendre la profondeur du mouvement liée à son
absence de prise sur la réalité sociale bien qu'il effraye beaucoup de gens qui pourtant ne risquent rien? Parce
qu'il y avait manifestation de quelque
chose d'inconnu, d'étrange. Ceci, évidemment, fut senti bien avant d'être pensé.
La réflexion porta également sur le
fait que Mai 68 n'avait été le produit d'aucun mouvement ni
utilisé aucun. Le seul qui put dire avec juste raison que les mots
d'ordre de Mai correspondaient avec son agitation théorique fut l'I.S. Le
"nous étions dans toutes les têtes" a une réalité. L'I.S. a donc exprimé
correctement le moment de rupture; elle en
fut le langage, mais ne fut pas apte à lui fournir une représentation, peut-être parce que ce qu'il y
avait de révolutionnaire en elle était le langage, la représentation restant largement tributaire d'un passé
révolu (les conseils ouvriers et le
mythe du prolétariat). Le devenir ultérieur de ce mouvement le prouve à suffisance. D'autre part, pourquoi la
crise avait pu et pouvait être si longtemps éloignée? Cela imposa une réactivation concomitante de l'étude du capital
devenant communauté matérielle.
Dans La révolution communiste: thèses de
travail (1969), j'essayais de situer l'acquis
des mouvements prolétariens dans les trois aires essentielles: aire euronordaméricaine,
Russie, les pays ayant acquis récemment leur indépendance, de caractériser le moment où le capital était parvenu et je
réaffirmais l'opposition, l'extériorité du communisme par rapport à toute démocratie. L'illusion démocratique avait
ressurgi en Mai 68 sous la forme de la
revendication d'une démocratie directe. Pour situer la discontinuité, il me fallait préciser tout le
mouvement antérieur. Les thèses devaient se
terminer par une analyse du mode selon lequel la reprise révolutionnaire devait
s'effectuer en fonction du
schéma (ample) de la révolution indiqué dans le tract L'être humain est la
véritable Gemeinwesen (communauté) de l'homme.
L'étude du mode d'être du capital en
rapport avec ce que peut être le prolétariat, la recherche d'une
détermination fondamentale de ce dernier, accaparèrent le plus notre
attention. Cela devait aboutir à l'envoi le 04.09.69 de la lettre sur les
rackets écrite en collaboration avec Gianni Collu (elle fut
publiée en 1972 sous le titre De l'organisation).
Ainsi s'achevait la première phase de réflexion sur Mai 68 conduite
intégralement en fonction de la théorie du prolétariat, de la théorie de Marx. Avec
elle s'affirmait la nécessité de rompre avec un certain mode d'appréhender la réalité
ainsi qu'avec un comportement bien déterminé.
Ce faisant, le travail antérieur —
de la sortie du PCI en 1966 à l'été 1969 — devait recevoir une nouvelle
orientation. Les thèses de travail sur la révolution communiste dont le sommaire fut indiqué dans le n° 5 de la
série I. d'Invariance et dont la première partie fut publiée dans le n° 6 de la même série durent être revues, surtout à
cause d'une terminologie imprécise. En
ce qui concerne la seconde partie, étant donné le procès rapide de remise en cause d'une foule de questions
nécessitant d'abondantes recherches, elle ne put être menée à terme. Elle est restée à l'état d'ébauche, seuls
quelques éléments ont été, sous forme remaniée, incorporés dans des textes
ultérieurs.
La connaissance de cette lettre dans
un milieu certes restreint, permit la prise de contact avec des éléments
provenant d'autres horizons que ceux du PCI; un travail plus
intégrateur, une recherche dans le passé et dans l'avenir moins unilatérale, pouvaient
commencer. Cela amena également une petite crise: certains camarades n'étant
pas d'accord avec la lettre s'éloignèrent, d'autres en revanche voulaient aller
plus loin et affirmaient qu'il fallait cesser la publication de la revue car sa
seule existence
permettait la reformation d'un racket; enfin d'autres pensaient qu'un changement de titre s'imposait, à cause surtout de la
perspective d'une convergence avec d'autres
forces. Personnellement j'étais pour son maintien car elle était le moyen de se lier avec les autres en prenant contact avec
eux et par là il serait possible de s'ouvrir
à d'autres influences; il fallait d'autre part terminer la présentation de différents courants historiques dont il a été
question plus haut, et préciser les conclusion affirmées dans la lettre;
enfin il était urgent de revenir sur l'analyse de la domination réelle du capital sur la société. D'où les trois
numéros (8, 9, 10 de la série I) qui font réellement transition.
L'étude du capital porta sur un
réexamen-approfondissement de la définition de Marx: le capital est la
valeur en procès; pour cela je dus relire tout Le Capital (les quatre
livres) ainsi que les Grundrisse en Allemand et je constatais que, dans
l'original, la pensée de K.Marx apparaissait encore plus nette en ce
qui concerne cette définition du capital et, surtout,
apparaissait de façon très nette une donnée qui me semblait déterminante
pour la compréhension du moment que nous vivions: la tendance du capital à
dépasser ses limites. Ceci avait déjà été étudie dans Le VIe
Chapitre inédit du Capital et l'œuvre économique de
Marx mais, après cette nouvelle analyse, cela prenait
une plus vaste ampleur en constatant qu'il tendait à échapper réellement aux déterminations
rigides de son procès de production.
Ainsi au moment où
commence la deuxième série d'Invariance (1971), s'affirme
l'idée que le capital est allé au-delà de ses limites que, de ce fait, une
analyse strictement classiste s'avère difficile —
ce n'est pas pour rien qu'on parle de classe universelle[9] S'il en
est ainsi on comprend que la situation soit considérée a la fois plus mûre et
plus rétrograde parce que les représentations sont excessivement en retard sur le
phénomène réel; il y avait nécessité d'une action. Le déterminisme rigoureux ne
pouvait plus avoir d'impact et, d'autre part, dans l'ouverture créée par le
déploiement de cet au-delà, il pouvait y avoir une
compréhension diverse de la part d'un grand nombre d'hommes et de femmes; le procès de
production des révolutionnaires était clairement enclenché.
Une prise de position avait été
effectuée par rapport au mouvement post-Mai plus ou moins récupérateur qui essayait de
vivre de sa vie mais les "raisons profondes" de Mai n'avaient pas encore été individualisées. On ne pouvait pas être
satisfait. L'investigation devait
continuer. S'ouvrit alors la seconde phase de réflexion où l'on va essayer de pousser à bout toutes les
possibilités de la théorie de K.Marx en prenant connaissance simultanément des
divers mouvements révolutionnaires manifestés depuis 1917 et antérieurement, ainsi que des courants
contemporains les plus extrémistes comme Potere Operaio en Italie,
l'I.S. en France, la S.D.S. en Allemagne, etc. . . sans les mettre, évidemment, sur le même plan. Il fallait étudier en détail comment
ils concevaient le mouvement
révolutionnaire à venir.
Je l'ai déjà dit les
événements de Dantzig furent englobés dans la perspective émise
dans le tract L'être humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme, mais
la réflexion sur la crise monétaire et son rapport avec la crise réelle du
capital, l'étude du capital fictif ainsi que les précisions
apportées au concept de classe universelle conduisaient
chaque fois à élargir le discours, à accroître la sphère d'investigation. En
outre la question russe était reprise en se posant la question du pourquoi de
la résistance de l'aire slave à la pénétration du capital,
ce qui reconduisait inévitablement à une nouvelle étude des
communautés archaïques et même à l'origine de l'homme. Tout
cela sensibilisa à une perception d'un phénomène en profondeur: la dimension biologique
de la révolution, intuitionnée lors de la lecture du livre de Leroi-Gourhan Le
geste et la parole; ceci en liaison avec la réflexion
sur le mode d'être, sur la vie de Mai 68: volonté de prendre la
parole, d'agir par soi-même (éliminer les médiations), de faire grande place à
l'imagination (la dimension de la fête me semblait moins
essentielle, moins digne d'attention ayant toujours pensé que la révolution ne
pouvait pas être un acte de contrition).
C'était une autre base
pour affirmer que le procès de production des révolutionnaires
était enclenché. Je ne pouvais affirmer cela sans approfondir la thèse anti-racket,
ce qu'est la domination réelle du capital sur la société; sans mettre en évidence
l'intériorisation
de celle-ci c'est-à-dire comment le procès de production du capital s'emparait de la vie intérieure de chaque homme (non
pas une économie de l'intériorité par apposition à une économie de
l'extériorité), comment le mode d'être de chaque être humain se calquait sur celui du capital[10]
L'étude du capital et
des autres formes de production me convainquit toujours plus de la convergence
MPC-MPA, ce qui posait la réalisation d'une structure (la communauté matérielle du capital) et enracinait le
despotisme actuel dans une histoire
reculée. De son côté J. L. Darlet en arrivait à la conclusion que le capital
n'est que représentation, ce que je
préfère énoncer: le capital n'est plus qu'une représentation, pour tenir compte du fait que c'est au
travers d'un procès historique qu'il devient
tel et se résume à cela. Il est clair qu'à partir de là la problématique du
capital fictif est dépassée, posant
simultanément avec plus d'acuité la question de la classe révolutionnaire, d'autant plus qu'il n'était plus
possible de maintenir la thèse de la classe
universelle. L'affirmation de cette dernière peut se concevoir pour une période
de temps assez courte, moment de
négation du prolétariat et des classes mais, à partir du moment où le laps de temps se révélait devoir être plus long,
on ne pouvait plus l'utiliser surtout si, simultanément, on mettait en
évidence la réalisation de la communauté matérielle du capital de telle sorte
qu'il est plus exact, pour caractériser l'ensemble
social dans lequel nous vivons, de parler de communauté-capital, de despotisme du capital et non plus de mode de
production. En définitive la dynamique de
la production implique les classes puis un résultat qui est la
communauté-capital.
J.L.Darlet en constatant que le
capital s'était effectivement développé prend une position
inverse de celle de K.Marx qui dans le livre deuxième du Capital se pose
la question: quelles sont les conditions de la reproduction
globale du capital? En se fondant sur la loi de la valeur il montre qu'en
voulant respecter celle-ci, il est impossible de donner une
explication de l'existence actuelle du capital. Il considère que
l'importance essentielle qu'a cette théorie dans l'œuvre de K.Marx est liée au fait
qu'elle est couplée avec la théorie du prolétariat. Chacune étant une variante d'une
même théorie. En montrant l'évanescence du prolétariat, son intégration, il en
vient à affirmer la caducité des deux ou, si l'on veut, la caducité de la
représentation marxienne du devenir social. L'étude historique
conduisait à rejeter effectivement cette représentation, comme le montra l'étude de la
révolution russe.
Ainsi se parachevait la rupture avec
la théorie du prolétariat, donc avec K.Marx et avec tous ceux qui
l'avaient développée dans des dimensions, des figures différentes, comme les anarchistes.
Mais, selon moi, elle avait été valable. Ce que j'affirmais sous une autre forme en exposant l'échappement du
capital
L'œuvre de K Marx
m'apparaît à partir de là comme le point culminant de la réflexion
engendrée dans la période intermédiaire entre communautés primitives et communauté
à venir, un essai de penser le phénomène global et de s'opposer au phénomène
d'aliénation représenté par le monstre capital tel qu'il se présentait au moment
où il fit son étude, monstre capital qui est dans une certaine continuité avec
les éléments antérieurs[11]. En ce
sens il y a un lien avec les hérétiques ou les gnostiques même si, pour
K.Marx, la religion pouvait parfois n'être que l'opium du peuple.
Cette façon de voir s'imposait d'autant plus que la dialectique n'apparaissait
plus comme une forme au delà de la métaphysique, son dépassement mais, finalement,
comme l'affirme et le démontrera H.Bastelica, un cas particulier de celle-ci
parce qu'elle n'échappe pas à la pensée binaire surgie au moment où s'imposa la
dichotomie fondamentale intériorité-extériorité.
Ce ne sont pas seulement des
réflexions purement théoriques qui nous permirent de
parvenir à ces conclusions. L'élément fondamental qui ouvrit une dynamique de compréhension
fut la tentative, en 1972, de constituer une communauté. En effet il
nous était impossible de nous engager dans sa création sans avoir auparavant
remis en cause notre mode d'être déterminé par la communauté du
capital. Il fallait éviter de réédifier une cellule d'un tissu
capitaliste. Nous examinâmes à cette fin, au cours d'une approche
vitale les différentes présuppositions du capital, ce qu'est le couple
avec les aspects de la sexualité, le rapport entre binarité sociale —homme-femme
— et la pensée binaire, etc… C'est la tension pour créer quelque chose de nouveau,
qu'on ressentait profondément en tant que tel, qui nous permit un déblocage
cérébral; pourtant nous n'avions aucune illusion sur la réalisation concrète de
la communauté.
L'important était que nous vivions un possible. Nous en vînmes vite à penser qu'à divers moments de l'histoire d'autres
possibles se manifestèrent mais furent inhibés.
D'où l'urgence de se les réapproprier et de comprendre leur échec afin de pouvoir
enfin réaliser quelque chose qui soit réellement en dehors du capital. Il ne
fallait plus simplement attendre la
révolution pour être.
Au cours de cette année 1972 un
autre événement vint renforcer notre enthousiasme et notre détermination, ce
fut la publication du rapport du MIT pour le club de Rome: Les limites du
développement publié en français sous le titre Halte à la croissance. Il y avait là, une confirmation complète de la perspective de K.Marx
dont 1' œuvre essentielle est une
longue réflexion sur les limites du capital, de même que de celle de A.Bordiga qui dans les années 1956-58
avait dans L'économique capitaliste en Occident et le cours historique de
son développement établi une courbe de la
production minérale et une courbe de la production organique en montrant que se poserait un problème de ressources
minérales mais que surtout, le capitalisme affamerait de plus en plus l'homme parce que la courbe
organique croît de moins en moins vite pour une population toujours en progression.
La controverse au sujet de ce rapport,
comme à propos de la lettre de S. Mansholt à Malfatti, dévoilait
en même temps les protagonistes du drame et précisait le scénario du
heurt à venir. Les couches sociales les plus prés de l'organisation en place
sont pour
un réformisme et même pour une remise en cause du système (une autocritique dirent G. Cesarano et G. Collu); ceci est le point
de départ d'un révolutionement des mentalités qui aboutira à une remise
en cause d'une bien plus grande amplitude de la
part de ceux qui sont directement soumis, opprimés par le système, qui se
trouvent à la base. Avec,
simultanément, le mécanisme de récupération des critiques, des oppositions pour
justement rendre supportable l'insupportable. En revanche les porte-parole des couches les plus éloignées de l'organisation
en place refusent la remise en cause du système (parvenir à la croissance
zéro), restent totalement enfermés dans la perspective du développement
des forces productives et défendent le prolétariat en tant que catégorie du capital (capital variable), donc le
statu quo et ne se rendent pas compte des dangers énormes qu'implique un
tel aveuglement; car, l'épuisement des ressources
naturelles, la destruction de la nature tout comme la surpopulation sont des réalités
tangibles.
Les débat va porter entre
tenant du vieux capitalisme (que ce soient des libéraux des
radicaux ou des marxistes dans leur variétés communiste, trotskystes, etc…) et ceux
qui veulent une nouvelle orientation de la production tant des biens matériels que des
hommes afin que cela corresponde, en définitive, à l'être actuel du capital qui est
devenu représentation. Et puis il y aura ceux qui veulent un devenir en dehors
de tout cela parce qu'ils constatent que le développement des forces productives
mène à une impasse[12].
Le mouvement des lycéens de 1973
réactiva Mai 68 en montrant simultanément l'impasse: s'opposer au
système égale redonner force à celui-ci; il faut trouver d'autres
moyens, d'autres modes de lutte; que veut dire la violence? etc ... Ce
mouvement signe, tout au moins pour la France, la fin de
l'impulsion de Mai 68. Cette constatation poussait inévitablement à une réflexion sur
la dynamique de la libération, de
l'émancipation qui pose le mécanisme de sortie de l'aliénation. Ceci s'imposa
également à propos de l'analyse d'un
autre mouvement débouchant dans une vaste impasse, le mouvement féministe qui, dans un premier temps eut une
position classiste, puis posa la
nécessité de l'émancipation de la femme en tant que telle sans plus faire de référence à une quelconque classe,
que ce soit contre ou avec les hommes.
Or à quoi aboutit la logique de cette dynamique sinon à la destruction de 1'espèce puisqu'elle implique l'élimination d'un des
sexes? Dans sa forme plus modérée elle
fait de la femme un homme et elle entre dans la dynamique du capital (faire de l'homme une femme est une variante possible,
réalisable par le capital).
En conséquence, il faut non
seulement une rupture nette, absolue de représentation comme le fut Mai
68, mais il faut quitter ce monde, toute sa dynamique, en
trouver une autre; chercher dans le passé son possible, qui fut nié. En
conséquence l'étude des hérétiques (dans les divers pays), des gnostiques prit une
nouvelle dimension: constater l'errance de
l'humanité qui, à partir de la coupure avec la nature se lance de façon prédominante — c'est-à-dire que ce
fut le possible qui se réalisa — dans la
domination de la nature, dans la glorification de sa différence, se séparant
ainsi du continuum vital et parvenant, dans des souffrances et au travers de
carnages, à une conscience…
Cette nécessité de sortir du capital
se fait sentir d'une façon plus ou moins nette mais de tous côtés on a
peur du saut à faire. Ce qu'il faut c'est que le seul référentiel
actif soit un immédiat — par là il perd son caractère de référentiel qui
implique un procès d'abstraction — la Gemeinwesen, c'est-à-dire l'élément humain
dans sa continuité.
Cela ne supprime pas les anciens
problèmes. Ils sont redimensionnés, repris dans un autre perspective.
Ainsi de la question de la crise.
La rupture d'équilibre affirmée en
1974-75, notable auparavant, accélérée par la crise provoquée de 1973
n'aura pas le même effet qu'en 1968. Il est inévitable qu'elle aura
pour conséquence une cassure dans la représentation qui n'impliquera plus une émergence
de la révolution mais une maturation de celle-ci, des révolutionnaires, ne serait-ce
que par le rejet des vieilles représentations.
Les années de 1974-75 furent perçues
comme constituant une phase de repli, ce qui ne remet pas en
question l'affirmation de 1972 au sujet du procès de production des
révolutionnaires. Il faut reconnaître un retour offensif très puissant du vieux
monde et des vieilles problématiques: les événements du
Chili, ceux de Grèce, en même temps que l'affaire Lip, tendaient à réimmerger
l'ensemble des opposants au capital dans les vieilles pratiques; la
revitalisation du lénino-trotskysme et autres variantes de gauchisme
eut son point culminant dans la révolution portugaise. L'élan de 1968 s'éteint
au Portugal où se manifeste de façon plus percutante ce que le mouvement des
lycéens de 1973 avait révélé: l'impasse. Cette révolution qui est en
grande partie récapitulation des mouvements antérieurs marque bien la fin d'une
époque. Il semble que les divers événements ne se lassent pas de signifier à tout le monde qu'il faut
rompre radicalement avec une certaine représentation, une pratique qui englue…
Ce constat de piétinement que le
mouvement portugais nous livre nous oblige à repenser le phénomène
révolution (ce qui fut déjà abordé dans Décadence du mode
de production capitaliste ou décadence de l'humanité
quand on se rend compte avec K.Marx que c'est le capital qui
est révolutionnaire); alors on constate que le devenir de l'Europe
depuis le XVIe siècle est un devenir révolutionnaire et qu'il est en substance celui du
capital: que pendant longtemps la contre-révolution a été une tentative de s'opposer au capital mais qu'avec le
fascisme elle est, elle aussi, un élément
de son affirmation (il n'y a plus de droite réelle). Le binôme révolution contre-révolution est le posé d'une seule et unique
réalité, celle du capital et nous sommes
piégés dans la structure qui est la communauté capital.
Aussi la maturation dont il est
question plus haut ne peut plus être celle d'une révolution (de même
qu'il devait y avoir une dernière classe, le prolétariat, il devait y
avoir une dernière révolution, la révolution prolétarienne ou communiste); elle
concernera en premier lieu la prise de conscience de
l'impasse, du cercle vicieux révolution-contre-révolution et en conséquence la
nécessité de sortir de cette binarité.
*
* *
La phase qui commence en 1975 est
profondément déterminée par ce que l'affirmation
Ce monde qu'il faut quitter implique. Il semble que ce nous avons individualisé ainsi ait été perçu par d'autres qui le
réalisent plus ou moins. Cette phase nouvelle
n'est donc pas liée à une affirmation personnelle. En dehors de l'investigation
dans l'espace consistant à chercher
les conduites de sortie de ce monde, il est encore important de faire une analyse historique car, au
sein du vaste mouvement intermédiaire, il
y eut différents groupements humains qui projetèrent ce que nous voudrions
réaliser maintenant. On peut
considérer que par certains côtés les anarchistes tentèrent de façon superficielle une telle sortie; on peut
trouver dans leur "indifférence en matière politique" un
élément précurseur du fait du refus de jouer le jeu social en place.
Il semblerait alors que
tout se répète et que nous soyons condamnés à jouer des rôles
de plus en plus vieux (puisque nous nous penchons sur les hérétiques et les
gnostiques) dans des époques de plus en plus reculées. Ceci est en réalité une
certaine manifestation de l'invariance. Le besoin de
communauté humaine ne date pas d'hier et, au cours de
l'édification de la communauté capital actuelle qui plonge ses présuppositions
dans un lointain passé, qui fut marquée de profonds reculs comme par exemple
tout le moyen âge, divers tentatives de la réaliser eurent lieu.
Si l'on peut dire (G. Cesarano,
G. Collu) que le mouvement du capital est profanation du sacré on peut
affirmer que la révolution est la sécularisation de l'hérésie.
Ceux qui défendirent le
sacré contre le mouvement du capital, de même que ceux qui
s'opposèrent à la révolution ont, tout en luttant en faveur de la domination d'une
classe sur une autre, affirmé quelque chose d'humain. Car le sacré n'est qu'une
partie d'une manifestation globale, initiale. Il
n'apparaît qu'à partir d'une coupure qui oppose deux modalités
de la vie humaine (deux moments). Le capital restaure une
unité en profanant et en réduisant tout au même niveau. C'est la perte totale de ce
que les philosophes ont appelé la transcendance humaine. En même temps nous voyons
l'impasse de la dualité: les hérétiques en s'opposant à la religion établie
mais en laissant de côté le devenir profane ne pouvaient pas
avoir de prise tangible sur la réalité à transformer; en outre
ils n'allaient pas véritablement au-delà de la coupure fondatrice
de la religion et donc de leur hérésie. Autrement dit le binôme hérésie-religion
est assez similaire à celui révolution-contre-révolution, en tenant compte, en outre,
que les révolutionnaires, eux, ont méconnu, négligé l'importance du sacré. La
binôme progrès (science) — régression gît dans la même problématique. À cela s'ajoute
le fait que la science n'a pas fait disparaître la religion; elle a tout au
tout au plus réussi à la remplacer en fondant le scientisme;
surtout elle n'a pas pu fonder le visé profond de la religion car
celle-ci conserve quelque chose qui a été perdu. Toutes ces
affirmations impliquent de revenir sur diverses questions dites métaphysiques comme
le mal, la mort, etc . ..
Il n'est pas possible d'affronter
divers éléments constitutifs du phylum humain à un moment donné de son
devenir si on n'envisage pas les données de son origine car le
mode de vie actuel est justifié au nom d'une certaine nature biologique de
l'homme, ainsi du régime de plus en plus carnivore qui s'impose dans les pays
les plus développés. Or ce n'est qu'en abandonnant celui-ci
que l'humanité pourra réellement effectuer une réconciliation
avec la nature. Alors le problème de la vie sous toutes ses formes pourra
réacquérir une primauté qu'elle n'aurait jamais dû perdre. L'homme est
une modalité de la vie, celle avec laquelle il y a accession à un phénomène réflexif.
Pour que celui-ci s'épanouisse toutes les autres formes de vie sont nécessaires
d'où la nécessité de limiter de façon draconienne l'expansion démographique. C'est
essentiel également pour l'homme, car il n'est pas vrai que toutes les zones
du globe soient également viables, habitables; en outre l'accroissement démentiel
de la population justifie les interventions les plus stupides pour tenter d'accroître
la production vivrière.
Cette nouvelle phase se caractérise
par la sommation de tout ce qui a été acquis auparavant et par la
volonté d'emprunter une autre voie. C'est d'ailleurs la conclusion de la
réflexion sur les acquis antérieurs. Il ne s'agit plus de vouloir dépasser quoi
que ce soit mais de se placer en dehors d'un vaste mouvement historique
débutant lors de la dissolution des communautés primitives et se terminant
maintenant. On peut l'envisager comme une structure
totale dont on pourrait mettre en évidence les relations constantes,
les invariants et, en même temps, une donnée en devenir se
réalisant maintenant: la communauté capital.
Le capital est la manifestation
absolue de l'aliénation humaine et en même temps, il réalise un projet
humain. Le bien et le mal sont profondément humains, ils se forment
au sein de l'errance humaine.
Il nous faudra de ce fait chercher à
situer le moment, ou les moments, de 1' errance, ce qui ne peut
être effectué sans une étude de la paléontologie humaine en liaison avec celle
des variations climatiques du globe parce qu'on peut se demander dans
quelle mesure l'espèce humaine n'a pas été contrainte à une adaptation qui n'est
pas intimement compatible avec son être biologique; que l'adaptation est bien dans ce
cas un effet produit dans l'effort pour survivre dans des conditions très difficiles. Alors — en
faisant un saut, jusqu'à nos jours —il ne s'agit pas simplement pour nous de réaliser un retour à un stade naturel
donné, mais de repartir à zéro en utilisant en nous d'autres possibles
non explorés, refoulés.
Il ne peut être question
de proposer une nouvelle théorie à prétention universelle, une
autre représentation qui devrait être acceptée par tous, car il s'agit profondément
d'un mode d'être. Il nous faut, au début tout au moins, reconnaître une nouvelle voie, individualiser
un mouvement qui sera lié à la
réalisation de ces possibles pour qui tout
le mouvement intermédiaire n'est pas obligatoirement un apport, quelque chose qu'on pourrait utiliser en changeant
le mode d'emploi ainsi que la finalité.
Dans cette perspective,
la dénonciation de la coupure extériorité-intériorité revêt son ample nécessité
car il faut refuser le chantage du racket humain qui fonde la civilisation
au travers du fameux: "ce qui nous distingue des animaux" qui, à son tour,
justifie les massacres. Celui qui n'est pas inclus dans le distinguo peut être torturé,
tué. C'est un point de départ de tous les racismes.
On reprendra l'étude d'un
phénomène souvent mentionné: la domestication des êtres humains[13]
Comment la coupure d'avec la nature est en rapport avec elle; quels sont les problèmes qui en découlent, en particulier
l'angoisse de l'incertitude de l'existence
au monde et toutes les pratiques qui lui sont liées, l'adoption d'un mode de vie engendreur de troubles posant la nécessité
d'une intervention à tous les niveaux: la médicine en ce qui concerne la
santé corporelle, la religion pour réinsérer l'être
dans une communauté, (l'Etat relaie la religion lorsque la communauté primitive a été détruite) la philosophie qui justifie
la coupure et la nécessité de l'Ėtat,
la logique avec, au début, son couplage avec la rhétorique moyen de réinsérer dans la communauté par utilisation de mécanismes de
communication. La science plus tard
relayera le tout et donnera au concept d'intervention toute sa plénitude. Nous retrouverons cela avec K.Marx, en 1844 (cf. Thèses
sur Feuerbach et Idéologie allemande): il s'agit
d'intervenir pour transformer le monde. Sous une autre forme, c'est toute la philosophie-théorie de la praxis
qu'il s'agit d'examiner non pour aboutir à une théorie de la passivité mais pour déterminer dans quelles
conditions finalement les hommes et
les femmes ont été piégés dans une activité qui les aliène toujours plus.
Il s'est toujours agi d'intervenir
pour réparer un mal, dont il fallait guérir. La médecine, la religion, la
politique, la science opèrent avec un concept commun celui de
thérapeutique, bien qu'il ne soit opérationnellement apparent que pour la première.
L'espèce humaine serait l'espèce malade soit structurellement soit à cause de
son devenir. Situer l'errance revient à situer cette maladie qui est à la fois
camouflée et structurée par l'autonomisation de la représentation.
L'étude de la dimension biologique de la
révolution conflue dans celle de l'errance. Il
sera particulièrement important de mettre en évidence ce qui fut refoulé par la
dynamique de l'oppression et qui
tendit à s'affirmer à divers moments. La dimension spirituelle des êtres humains donnant lieu à la
vogue du spiritisme à partir de 1847,
le mouvement de réaffirmation du sacré, de l'irrationnel à partir de 1917, mais
aussi l'affirmation du corps et donc
de la dimension dionysiaque (avec affirmation du paganisme et rébellion contre l'église) dans les années vingt de ce
siècle qu'on trouve à la base du
fascisme surtout dans sa variante nazie. De là aussi la vogue actuelle de F.Nietzsche. On constate que ces
mouvements de réaffirmation de dimensions humaines qui furent niées se produisent aux périodes de facture de la
société bourgeoise. Il est certain
qu'il y en eut aussi au moment de son implantation en Occident. Enfin, en revenant à notre époque, la
psychanalyse et l'ethnologie sont une rationalisation
de cette révolte du corps (l'ethnologie dans sa dimension d'étude des mythes et des diverses modalités de la
sexualité). Elles sont un moment de l'extériorisation
dépossession de ce qui avait été simplement refoulé.
Tels sont quelques
éléments de la représentation de la nouvelle dynamique que nous
voulons entreprendre. Cette dernière doit être trouvée. Pour le moment nous essayons
de la percevoir à l'aide d'une activité globale. Ici, on ne peut l'évoquer que par
une représentation plus ou moins complète. Une telle recherche implique que
nous refusions toujours plus le mode de vie dominant surtout en ce qui concerne
l'alimentation avec les conséquences qui en découlent[14].
C'est pourquoi le projet communautaire de 1972 n'est pas
abandonné; il se pose en des termes plus précis, avec plus de rigueur en
liaison avec l'exigence: Ce monde qu'il faut quitter.
En ce qui concerne le
revue, son rôle demeure: maintenir les contacts, en prendre de
nouveaux. Il n'est pas possible d'éviter un phénomène dénoncé par bien d'autres
avant nous: la consommation passive et le fait de
demeurer dans un circuit mercantile, donc en plein dans le
domaine du capital. Toutefois dans la mesure où Invariance ne
donne aucune recette, aucune leçon, il est difficile qu'il se forme des
invariancistes. Il s'agit de vivre et non de faire acte
enseignant.
On est déterminé par
tout, particulièrement par l'absence de connaissances tant théoriques
qu'affectives. La revue doit permettre de transformer les absences en présences;
elle doit être recherche de l'autre. Elle doit créer une ouverture vaste comme
la vie.
On espère que ceux qui lisent feront
une étude pour leur propre compte et parviendront à édifier
leur représentation. Dès lors ce qui compte — dans la mesure où une
véritable diversité se crée — c'est la communication. Pour le moment celle-ci
passe essentiellement au travers du langage parlé et écrit. On ne peut pas les
négliger sous prétexte que dans la communauté humaine enfin réalisée les hommes
et femmes redécouvriront ou inventeront d'autres modes de
communication plus immédiats; intuitifs et globaux.
Pour le moment on ne peut être qu'à
l'écoute de tout ce qui tend à un devenir commun: percevoir
comment les différentes humanités tendent à la même réalisation globale.
On ne peut pas créer un langage car celui-ci dépend d'un autre mode d'être, d'une
autre vie. Il n'est pas non plus possible de défendre une langue particulière.
Si on ne peut pas créer immédiatement d'autres modes de communication, on ne doit
pas nier leur nécessité et leurs possibles en nous.
Dans cette perspective de
retrouvailles de toutes les humanités, dans une union différenciée
(non homogénéisée) il est important de trouver le sens de la diversité: savoir
vivre le divers de l'autre. Ceci n'est possible qu'avec la fin de la maladie:
se sentir mis ou cause par la manifestation d'une autre
modalité de vie. Les individualités humaines n'ont pas encore perçu la totalité
des possibles c'est-à-dire qu'il n'y a pas intégration et manifestation
immédiate de la Gemeinwesen. L'être s'affronte en tant qu'élément
unitaire vis-à-vis d'un autre placé dans la même situation: il y a
discontinuité. La possibilité d'un communication dans
l'accueil comme dans la négation (voire la destruction) est alors
l'existence d'une médiation, d'un équivalent général (dieu par
exemple). Il y a accord ou non avec ce dernier. En général la pression sociale opère
pour que l'accord se fasse. On retrouve ici le mécanisme du racket. Pour appartenir
il faut se plier à une discipline, accepter des régles, donc une domestication.
La destruction de toute parcellisation-médiation
s'impose.
On a souvent insisté, et
on le fait encore, sur le phénomène de racketisation à tel
point que d'aucuns sont conduits à penser que nous prônons une dynamique individuelle,
que nous rejetons toute union. En réalité notre méthode est d'essayer que
chacun devienne "autonome", c'est-à-dire affronte lui-même son
cheminement, qu'il ne dépende pas de la théorie, de l'organisation. À partir da
là l'union peut se produire. Elle implique la
destruction de la médiation afin que la démarche soit celle de retrouver au
niveau de chaque être la dimension de la Gemeinvvesen et que ce
soit l'immédiat humain qui nous lie en sorte que nous pourrons manifester un
divers infini sans avoir jamais la possibilité de nous perdre, de nous aliéner parce
qu'il nous est possible de nous retrouver dans une Gemeinwesen (posée relative à la
fois au collectif et à l'individualité).
Nous sommes, certes,
déterminés, mais c'est une détermination du capital. Il faut la
rupture d'un déterminisme qu'on reconnaît être agissant (reconnaissance d'un être
qu'on veut fuir, dont on ne veut pas accepter le despotisme). Jusqu'à
maintenant on a pensé, avec K.Marx, qu'il fallait une crise pour que
la révolution se produise. Or on constate que la lutte se faisant
en conservant les présuppositions du capital, en restant sur son terrain,
ne fait que renforcer sa domination. Il faut quitter ce monde, il faut
donc faire acte de volonté et ne plus simplement attendre un moment de rupture
appelé révolution. Ce disant je me garde bien d'énoncer des recettes. Ce que je
veux signaler c'est la nécessité d'un comportement différent, non un type précis
de comportement qui doit et peut réaliser cette coupure. Une telle affirmation
brise avec le matérialisme historique. Il faut, pour échapper à la destruction,
échapper à ce dernier, c'est à ce niveau tout particulièrement que
naît l'accusation d'idéalisme, d'humanisme, etc …Je ne puis
revendiquer ni l'idéalisme ni le matérialisme qui sont des représentations
inadéquates du procès de vie humaine, ce sont fondamentalement des
modes de pensée découlant de la coupure de l'humanité d'avec la nature, il est
vrai aussi qu'ils furent liés à des classes déterminées. Or nous sommes au
moment où celles-ci ne sont plus opérantes. Nous avons donc de
multiples raisons de rejeter toutes ces représentations.
Aucune religion, aucune
idéologie, aucune théorie actuelle ou passée ne peut être efficiente
pour représenter la dynamique qu'il faut entreprendre. On peut seulement y
trouver des éléments indiquant l'invariance d'une volonté de refus. Le
mouvement actuel est celui de la manifestation de l'épuisement définitif
de toutes les antiques représentations.
Cela ne veut absolument
pas dire qu'elles n'aient plus aucune utilité pour le monde du
capital. En fait dans le cas de la religion chrétienne, surtout en ce qui
concerne le catholicisme, on assiste à un certain
"rajeunissement" dû à deux faits essentiels: la faillite
de l'illuminisme avec la remise en question de la science qui lui est
directement liée, et la fin du mouvement ouvrier avec la perte
d'opérationnalité de l'œuvre de K.Marx. Pour les
catholiques qui ne veulent pas croire à la caducité de leur religion et de
leur Ėglise il se produit une sorte de virginisation: illuminisme, marxisme, mouvement
ouvrier, tout a failli, ils demeurent les seuls pour défendre une communauté
— la communauté hiérarchisée ecclésiastique — et sont les seuls dorénavant qui
soient aptes à s'opposer au capital. Ainsi s'opère un escamotage remarquable de
toutes les atrocités commises par l'église, tout souvenir de l'inquisition
s'évanouit; ou, si certains les mentionnaient encore, c'est en tant
qu'erreurs anciennes que la nouvelle Église ne saurait
commettre. Il leur est même possible d'excuser l'attitude ignoble des chrétiens vis-à-vis
des gnostiques et des hérétiques et de tender d'éviter tout débat au sujet des présuppositions de la fonda!ion de
l'Ėglise catholique. Car on verrait bien alors comment celle-ci s'est créée en
détruisant les sectes qui s'opposaient au monde en place de l'époque et en récupérant l'aspiration
communautaire, l'aspiration à un stade de
divino-humanité dont parlera encore Soloviev au début de ce siècle.
Si donc en mettant en
évidence que la lutte contre le capital n'était pas le monopole de la
gauche mais avait été aussi œuvre de la droite et de l'Ėglise elle-même, je ne
vise nullement à renier la lutte des matérialistes, des
encyclopédistes du XVIII° siècle contre le
religion, la lutte contre l'infâme, ni à rejeter la sentence de K.Marx "la
religion est l'opium de peuple", mais à dévoiler l'immédiateté de la lutte
de tous ceux qui nous précédèrent, l'insuffisance de leur
compréhension du phénomène religieux qui les conduisirent
souvent, en voulant éliminer ce dernier, à nier la "transcendance"
humaine. La religion ne pourrait pas avoir l'emprise qu'elle eut et qu'elle a encore
sur les hommes et les femmes, si elle n'était qu'obscurantisme, débauche,
vilenie, si on ne trouvait en elle que compromission avec (souvent accompagnée de
bénédiction) les divers Ėtats qui se sont
succédés qui furent et sont toujours répressifs. Sa force lui vient d'avoir recueilli et conservé quelque
chose qui lui est antérieur: l'aspiration à la communauté, qui naît de la destruction des vieilles communautés
organiques liées à la nature. C'est autour de cet élément que chacune
des grandes religions en place a organisé le
racket qui fait "chanter" hommes et femmes avec des promesses de l'au-delà que doit satisfaire, dans les cas de
la religion chrétienne principalement, un maître d'œuvre extraordinaire: le dieu usurier dont parlait A.Bordiga[15]. L'ignoble tromperie des prêtres fut, au
cours des siècles, de se présenter comme étant les seuls intermédiaires (intercesseurs) possibles entre
l'aspiration des hommes et des femmes et la réalisation de celle-ci.
Le stade actuel de la
domination réelle du capital a besoin d'une représentation communautaire
despotique qui peut s'élaborer, dans un premier temps, à partir d'un cocktail
de diverses représentations antérieures et surtout de celles tendant à rompre
avec celles-ci, au sein desquelles, en Occident, celle de l'Ėglise catholique peut
jouer un rôle déterminant.
Chercher une nouvelle dynamique
n'est pas une fuite, ni une mise hors du temps, car cela ne consiste pas
à rejeter tout ce qui nous a précédé; ce que nous avons reproché
à beaucoup de révolutionnaires qui n'aboutissent qu'au vide. L'ensemble du
mouvement ouvrier a fourni un acquis; il a été le dernier à lutter contre la domination du mécanisme
despotique qui atteint son parachèvement avec le capital. C'est un pôle humain, tout particulièrement en ce
qui concerne la démocratie. Si donc
on a fait table rase ... on conserve des racines dans ce vaste mouvement.
Ce qui manque dans la révolte des
jeunes c'est la dimension historico-théorique qui leur donnerait force, structure; ils percevraient
un énorme appui.
Notre position ne peut avoir une
certaine effectivité que si elle a une forte cohérence et refuse tout
compromis, ce qui lui donne un caractère intransigeant. A l'heure actuelle, où tout
est évanescent, une simple affirmation apparaît à beaucoup comme étant despotique. Or, ce qu'il faut éviter
avant tout c'est la déliquescence de
l'espèce. C'est pourquoi nous ne nous contentons pas de dire qu'il y a une
justification historique au
communisme, nous affirmons, de façon plus précise, plus péremptoire: seule la communauté peut sauver l'humanité.
L'être humain est la
véritable Gemeinwesen (communauté) de l'homme. Cette affirmation
a pour défaut de privilégier l'espèce humaine; elle pêche parce qu'elle n'indique
pas la nécessité de l'épanouissement de toutes les formes de vie pour que cette
communauté se réalise: la nécessité de la réconciliation de l'homme avec la
nature, de même qu elle ne signale pas l'impérieux besoin de la diversité
humaine. En réalité ces défauts ne sont pas imputables à la formule de K.Marx
mais à notre incapacité à expliciter réellement ce qu'est l'être
humain. Pour vraiment aller vers la communauté humaine il faut justement opérer
une telle clarification qui ne peut se réaliser qu'en empruntant une nouvelle
voie.
Camatte Jacques
Avril 1976
[1] Pour comprendre celui-ci le lecteur doit tenir compte de
tous les articles parus dans la revue Invariance ainsi que des préfaces
à Bordiga et la passion du
communisme Spartacus, et à Structure
économique et sociale de la Russie d'aujourd'hui Ed. de l'Oubli, et du n° spécial Dialogue avec
Bordiga.
[2] Avec un
langage qui leur est particulier, les savants redécouvrent, parfois inconsciemment, des problèmes fort anciens abordés de
façons très différentes par les hommes
qui les précédèrent. Ainsi avec les termes d'invariance et de programme on pourrait se croire fort loin du problème de
l'aliénation. Pourtant une analyse de Le
hasard et la nécessité de J. Monod, Ed. du Seuil, 1970, montre qu'à son corps défendant ce dernier le rencontre.
L'invariance est celle d'un programme transmis
à l'aide d'un code génétique qui se répète indéfiniment au cours du temps. Le
hasard apporte des perturbations qui peuvent être favorables. Dans ce cas
l'invariance doit «conserver le hasard», elle doit l'absorber. Autrement dit l'invariance (et la téléonomie) s'oppose au
changement, au devenir autre (aliénation);
mais quand celui-ci est favorable (ceci est déterminé de l'extérieur, par la sélection naturelle), le meilleur moyen de
réaliser ce devenir autre c'est de
l'intégrer dans le programme. Ainsi l'invariance dévore le hasard qui devient une
nécessité (dialectique hégélienne!). L'invariance est ordre et le hasard
désordre (anarchie). Dés lors c'est toujours
l'ordre qui l'emporte ou, s'il ne le peut, il récupère! On voit ici la parenté avec certaines théories au sujet de l'Ėtat.
Celui-ci est l'ordre qui s'oppose aux
troubles et aux diverses déviations. La société changeant il doit intégrer l'élément perturbateur tout en maintenant constamment
l'ordre. L'Ėtat serait le garant contre l'aliénation, «l'Ėtat régulateur de la
dialectique de l'ordre et du mouvement» (G. Burdeau, Article Ėtat,
Encyclopaedia Universalis). K. Marx disait
que le concept darwinien de la lutte pour l'existence correspondait étrangement à la concurrence des économistes, tout aussi
étrangement la théorie de J.Monod
reflète le devenir du capital. C'est son discours. En effet elle décrit fort bien, le mécanisme de développement du
capital. Les diverses perturbations de
son cycle productif provoquées par ceux qui le contestent sont intégrées. Il
n'y a qu'à voir à quel point il y a eu récupération de la critique de la
publicité faite par l'Internationale
Situationniste, à quel point tous les discoureurs du capital parlent avec assurance de changer la vie, de
la qualité de la vie, etc . . .
[3] J'ai
écrit dans Programme communiste quelques articles au sujet des
révolutions anti-coloniales:
«Encore- le PCF
et la question coloniale» n° 6. 1959, «Promotion de l'Afrique» n° 6. 1959, «Bien creusé vieille Taupe!» n° 14, 1961,
«Programme communiste et la question
algérienne» qui parut son forme modifiée dans le n 15, 1961. Il avait été accolé à un autre article rédigé par
R.Dangeville; le tout étant publié sous le titre «Bases et
perspectives économico-sociales du conflit algérien». Une traduction italienne correcte parut dans il programma
comunista, 1961. En 1969 il a été
publié en français dans sa version correcte dans le n 7 série I. d' Invariance.
Au sujet de Cuba
j'ai ajouté, à la traduction d'un article d'E. Sperduto «Les deux visages de la
révolution cubaine», un paragraphe «Amérique, voici ton Algérie», n° 16, 1961 où la sainte-alliance
russo-étasunienne est mise en évidence et
dénoncée.
En
dehors de ces articles et de ceux plus importants qui ont déjà été signalés, j'en ai publié un certain nombre d'un intérêt souvent
assez mince étant donné qu'ils visaient
l'actualité:
«L'accumulation
phénomène capitaliste et non socialiste» 1957, «Le
jardin de l'existentialisme» 1957, écrit en collaboration avec L. Laugier. Ces deux articles
parurent dans un bulletin ronéotypé: Travail de Groupe.
«Vieux Marx . . .jeune Amérique» P.C. n° 7, 1959
«La grandeur et son parti» P.C. n° 9,
1959.
«Petite chronique de la grandeur française »
P.C. n° 11, 1960;
«Coexistentialisme et
trahison» P.C. n° 14, 1961;
«Les amis du peuple ou à
propos d'un congrès» P.C. n° 16, 1961;
«Efficacité immédiate ou force
révolutionnaire» parut en italien dans il programma comunisla n° 4, 1964; «La
crise agricole russe a des causes sociales» parut en italien dans il programma comunista n°18, 1965. Il fut également publié dans Le prolétaire 28,
janvier 1966, après avoir
été manipulé, censuré, sous le titre «Le communisme n'est pour rien dans la crise agricole russe».
[4] Ce
n'est pas la première fois qu'un phénomène révolutionnaire s'effectue plus lentement
qu'on ne le pensait. K.Marx escompta une chute rapide du féodalisme; celle-ci
ne s'avéra réellement définitive qu'avec la révolution russe de 1917.
Le danger que présente cet
allongement de phase est de se laisser obnubiler par l'ennemi et de ne
plus parvenir à percevoir les phénomènes profonds qui transforment
plus ou moins imperceptiblement les données sociales.
Le tsarisme accapara 1'esprit de K.Marx et F.Engels qui
se demandaient par quel moyen on pourrait se
débarrasser de cet obstacle au libre développement de la société moderne. F.Engels en vint à souhaiter une
guerre révolutionnaire de 1' Allemagne contre la Russie dans laquelle la
première défendrait les acquis du MPC. Il ne
se rendait pas compte que dorénavant (1892) l'ennemi le plus dangereux n'était plus le tsarisme mais le capital tel qu'il
se développait en Allemagne même.
La résistance du féodalisme aurait dû amener K.Marx et F.Engels
à effectuer une recherche sur sa cause
profonde qui réside en grande partie dans la reformation de communautés au sein
de ce mode de production.
De même, à notre époque,
beaucoup se sont abandonnés à l'immédiateté constituée par la
persistance de diverses dominations coloniales et ne se sont pas rendus
compte des vastes changements intervenus entre 1954 (moment d'une reprise
importante des luttes) et 1968, par exemple, moment de l'offensive du Têt
effectuée contre le Sud-Vietnam par les nord-vietnamiens et les vietcongs, et,
à plus forte raison, entre 1920, date du congrès de Bakou, et les époques précitées.
Nous aussi nous n'avons pas assez
réfléchi aux causes du ralentissement du phénomène
révolutionnaire: La principale est la disparition du prolétariat. Cela
.nous réimpose un examen de l'histoire mondiale de ce siècle, non pas tellement
pour comprendre ce qui s'est passé mais pour déterminer comment les diverses
pays peuvent tendre au communisme.
[5]
En ce qui concerne
l'Afrique Noire, cette absence de théorie populiste doit être mise en liaison avec la terrible
oppression qu'elle a subie depuis la pénétration des premiers marchands portugais. Après la
deuxième guerre mondiale, un certain nombre de théoriciens ont surtout renversé le théorie
blanche: à la supériorité du blanc ils ont opposé celle du noir. Il en est
ainsi chez Fodé Diawara qui a écrit Le manifeste de l'homme primiti, Ed. Grasset, Paris
«Je pense avec quelques agacements à
tous ce» intellectuels d'Europe dits de gauche qui pensent qu'il n'y a objectivement pas de
salut pour l'"homme primitif" en dehors de
l'industrialisation sans prendre conscience le moins du monde que
cette assertion est profondément raciste: l'homme noir aura dû attendre 1'arrivée
de Marx et de l'homme blanc pour connaître la vraie "destination de l'homme"»,
p. 132.
il aurait pu indiquer une
autre voie que l'Afrique Noire devrait emprunter. En
fait il ne fait qu'affirmer que le blanc représente un stade humain antérieur et le
noir un stade final, lequel a été dénaturé, déformé, par l'introduction de la civilisation
blanche. Même si on admet une telle diagnose historique, on ne serait pas
beaucoup avancé parce que F. Diawara ne nous indique pas comment l'homme
noir pourra retrouver son état antérieur, ni comment les blancs et les jaunes
pourront progresser vers ce même état.
[6] En
1965 diverses grèves chez Peugeot et chez Berliet relancèrent une fois de plus le
débat sur l'importance de la lutte syndicale pour la formation du parti de classe. J'étais
d'accord, à l'époque, avec la perspective de la nécessite de luttes partielles (telles la lutte économique) pour
provoquer un certain déplacement de
forces en faveur du mouvement révolutionnaire et j'acceptais totalement l'affirmation de K.Marx:
«Si la classe ouvrière
lâchait prise dans son conflit quotidien avec le capital, elle
se priverait certainement elle-même de la possibilité d'entreprendre tel ou tel
mouvement de plus grande amplitude». Salaires Prix et Profit (1865).
Toutefois je pensais
que ceci ne pouvait plus s'envisager dans le cadre national. Aussi
dans un texte qui ne fut jamais publié parce que jamais fini, mais qui constitua
la substance d'une réunion avec des camarades de Paris, je me fondais sur le
chapitre XI du Livre III du Capital: «Les effets des fluctuations
générales des salaires sur les prix de production», pour étayer
cette affirmation. En effet K.Marx y montre comment une augmentation générale des
salaires provoque une diminution des prix
de production dans les zones de production à haute composition organique du
capital, une diminution dans celles où elle est inférieure à la moyenne sociale, et les laisse inchangés dans celles où
elle est égale à cette moyenne. A partir
de là, en identifiant en une approximation grossière les USA au premier groupe, l'Europe Occidentale au dernier et les
pays dits du tiers-monde au second, je
montrais les contradictions que pouvait entraîner une lutte pour une augmentation de salaires en Europe, par exemple, du
l'ait que les USA comme l'Europe pompent de la plus-value — à la suite
d'un mécanisme purement impersonnel — aux
pays sous-développés, et qu'à la suite d'une augmentation de salaires dans ces
zones évoluées les derniers pays ne pourraient qu'être lésés. En conséquence une lutte syndicale ne pouvait se faire qu'à
l'échelle mondiale si on voulait vraiment
qu'elle puisse unir l'ensemble des travailleurs. Suivaient ensuite des considérations sur les conséquences d'une
telle hausse des salaires à l'échelle mondiale.
Ce qui était visé en
définitive devait ressortir nettement dans un débat qui s'est
déroulé plus tard, en dehors de nous, à propos de l'échange inégal: c'est la
question de l'internationalisme prolétarien. Il y a des mécanismes objectif au sein du MPC qui le sapent
en profondeur, faisant en sorte que les prolétaires des zones hautement industrialisées «exploitent» en quelque sorte ceux des
zones retardataires; ce qui fonda ce que je nommais l'«alliance
maléfique» entre le prolétariat et la bourgeoise telle qu'elle se développa en
Angleterre puis aux USA.
Ces considérations
furent une des causes de mon rejet de la nécessité des syndicats,
de celle de leur conquête de la part du parti, etc . . .
On doit noter au sujet
de la polémique sur l'échange inégal que certains auteurs considéraient
le salaire comme une variable indépendante. Or celui-ci est un prix, il est
donc lui-même sujet à une vaste variation. D'autre part, à l'échelle mondiale il
tend à y avoir une certaine homogénéisation des salaires. Depuis quelques
années ceux-ci augmentent au Japon comme en Europe où ils
atteignent presque le niveau de ceux des E.U., ce qui peut
modifier les rapports entre ces différentes zones.
[7] J'indique
cette démarche uniquement pour faire comprendre un cheminement et non
pour exalter une prévision qui si elle fut juste, n'eut aucune efficience étant
donné qu'elle fut connue d'un nombre extrêmement limité de camarades.
[8] L'arrivée
de De Gaulle au pouvoir en
[9]A la même époque il était affirmé que le
moment le plus révolutionnaire avait été 1848, moment du surgissement de la classe
prolétarienne. Ultérieurement, 1'étude devait montrer que ce moment avait été précédé par
un débat (1840-1847 environ)
au sein de la gauche hégélienne, principalement, qui posa en fait tous les
problèmes que nous retrouverons par la suite. 1848 confirma Marx dans sa position sur la nécessité de
l'intervention, de l'utilisation de la politique. Ce qui occulta les autres positions mais ne
les élimina pas. Ceci fut abordé en 1973 dans les Thèses provisoires.
[10] Simultanément
j'abordais une étude, qui est encore loin d'être finie, sur les présuppositions
du capital dans le but tout d'abord de comprendre comment celui-ci pouvait
réaliser la philosophie. Aussi j'analysais l'Introduction à la critique de l'économie politique de 1857. Marx y
anticipe la recherche structuraliste en déterminant ce qu'est la
structure du mode de production capitaliste et les invariants
de l'économie, les abstractions de l'entendement = verständigte Abstraktion ainsi
que les conditions de scientificité de l'économie politique. La science
officielle abordera beaucoup plus tard une telle démarche. En effet c'est seulement assez
récemment qu'on rencontre en biologie, par
exemple. un même discours structural (plus élaboré en ce qui concerne son structuralisme): J.Monod Le hasard et
la nécessité,Le Seuil 1970; F.Jacob La logique du vivant Gallimard,
1970.
[11] Le
despotisme du capital apparaît comme étant celui de ce qui a été extériorisé ainsi
que de celui de l'errance humaine.
[12] J'ai
abordé une vaste étude au sujet de ce rapport du MIT mais l'ampleur des sujets
qu'il fallait étudier n'a pas permis encore d'arriver à un résultat tangible. Quelques
conclusions apparaissent toutefois dans les articles Ce monde qu'il faut quitter et C'est
ici qu'est la peur, c'est ici qu'il faut sauter! (Invariance n°5 et
n°6, série II).
En revanche G. Cesarano et G.
Collu ont rédigé une sorte de réponse: Apocalypse et révolution. Ed.Dedalo,
Bari, 1972, dont la traduction française est encours de publication dans Invariance.
[13] La plus part des
éthologues dont K. Lorentz, Eibl-Eibesfeld, etc., considèrent la domestication comme
étant liée à l'apparition d'une centre
plus ou moins permanent où les
hommes et les femmes pouvaient trouver protection et repos, donc sécurité. Dés
lors tout le développement de la civilisation est vu comme un renforcement de cette domestication qui est
posée uniquement dans une positivité. Ceci
nous oblige à commencer notre étude à partir de l'individualisation du phylum
humain.
[14] Avec la
sexualité et la nourriture — éléments déterminants — l'habillement intervient
dans la répression des hommes et des femmes ainsi que dans la manifestation de
leur rébellion. En effet, il peut servir à les uniformiser (armée, corps ecclésiastiques, etc . . .)
ou à s'originaliser et à se différencier (des Saint-simoniens aux hippies et à ceux qui rejettent la nécessité des habits). Cependant
un phénomène qui lui
était lié au départ et qui s'est autonomisé, la mode, vient masquer la répression. Elle a été beaucoup
analysée en liaison avec un phénomène dont elle est inséparable la réclame, la publicité. Son étude entre
dans le cadre de celui du procès de valorisation de l'individu capitalis, et
dans celle de la symbolique et de la sémiotique sociales: l'habit apparaît comme symbole et signe.
Nous y reviendrons
ultérieurement.
[15] Cf.
A.Bordiga: A janitzio on n'a pas de la peur la mort in Bordiga et la
passion du communisme, Spartacus, Paris, 1974, p. 197.
Pour mettre
en évidence l'originalité de leur histoire, spécifier leur identité, divers mouvements régionalistes
(occitan, breton, etc…) sont amenés à examiner le moment historique où tout ceci fut nié. Ils découvrent
alors le rôle éminemment
répressif et destructeur de l'Ėglise et redonnent vie à des sectes écrasées par cette dernière, comme celle des
cathares. Ainsi les forces du passé peuvent venir à l'aide de celles du présent pour éliminer une
oppression séculaire à condition de ne pas se laisser enfermer dans l'immédiat, c'est-à-dire de
sortir du cadre du
régionalisme.