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À propos de : " La révolution communiste : thèses de travail " 1969

 

 

 

"La révolution communiste : thèses de travail"  est un texte qui a été publié seulement en partie ( cf. Invariance, série I, n° 6, republié en 1990, ainsi que le n° 5-6 de la série III, ( pp. 67-69 ) où se trouvait le plan de la totalité à la fin de l'article  Perspectives). Le plan originel comportait des chapitres qui ne se retrouvent pas dans celui retenu. Il s'agit de « Les classes et l'État », « Critique de l'économie politique ». Leur rédaction fut à peine ébauchée. Reproduire le texte n'a pas beaucoup d'intérêt, d'autant plus que nous avons traité ces questions dans des articles postérieurs à 1969. En outre nous serons amenés à le faire à nouveau dans le chapitre sur le capital de « Émergence de Homo Gemeinwesen ».

En ce qui concerne le plan définitif, en dehors des 4 premiers chapitres entièrement rédigés et publiés, seul le 5 avait été amplement développé. Rappelons que le sous-chapitre 5.1. « Le phénomène historique général » complètement élaboré a été publié. En revanche le 5.2. « Divers schémas expliquant les rapports entre les individus et l'Etat », est en fait incomplet dans la mesure où il devait y avoir un commentaire plus détaillé des schémas qui, rappelons-le, sont de Bordiga. Le chapitre 6 « Défense de la doctrine communiste » avait été ébauché et divers sous--chapitres avaient été même assez développés, particulièrement le 6.2.3. « La question de l'individu » qui avait donné lieu à un fort dossier. Malheureusement il a été perdu. Enfin en ce qui concerne le chapitre 8 « La révolution communiste » seuls les sous-chapitres 8.1. « Nécessité de la prévision » et 8.5. « La réunification de la classe et la formation du parti-Gemeinwesen ( communauté ) » présentaient un début de rédaction. Je ne reproduis rien parce que les éléments essentiels qu'ils renferment ont été exposés dans divers n° d'Invariance. En outre soit les questions n'ont plus d'importance à l'heure actuelle, soit elles seront reprises à un niveau plus élaboré ultérieurement. Pour en revenir au chapitre 5, en revanche, les divers textes ont une certaine importance, aussi je les publie ainsi que des fragments d'une lettre où était exposé un plan différent et où certains aspects de la question étaient abordés mais ne furent pas repris ultérieurement. Enfin je publie des travaux préparatoires qui consistent en des commentaires des oeuvres de jeunesse de K. Marx.

Pour en revenir aux texte "La révolution communiste : thèses de travail" tel qu'il fut publié plus ceux qui ne le furent pas et qui sont la plupart du temps à l'état d'ébauche, il est clair qu'ils présentent des faiblesses et des insuffisances par rapport à notre représentation actuelle mais ils sont importants pour montrer que nous avons abordé, en particulier, la mystification démocratique depuis fort longtemps. En outre nous pouvons revendiquer leur contenu général, soit en tant que tel soit en tant que moment correct d'une compréhension plus exhaustive du phénomène démocratique. Enfin le lecteur pourra constater que le nombre de thèmes abordés est très grand ce qui témoigne de l'ouverture du champ théorique que cela impliquait mais aussi la difficulté de porter à bout leur étude. Ce qui fut une des causes de leur abandon à partir du moment où d'autres thèmes s'imposèrent à nous à cause de notre affirmation concernant la fin du mouvement prolétarien et l'échappement du capital (cf. Avertissement 1972 au début du texte qui suit ). Précisons que la première cause qui retarda d'abord, puis contribua à abandonner la rédaction du reste des thèses fut le fait que nous nous étions rendus compte d'un manque de rigueur dans la terminologie utilisée ( par exemple l'utilisation du mot doctrine à la place de théorie ) . En conséquence, avant de poursuivre la rédaction des thèses, nous voulions réviser ce qui était paru. A ce sujet le lecteur peut se reporter à la lettre sur les rackets publiée sous le titre : « De l'organisation », Invariance, série II, n° 2.

Avec le texte "La révolution communiste : thèses de travail" nous voulions montrer l'importance du phénomène théorique. En effet au cours des événements de Mai-Juin nous avions noté une immense déliquescence avec un délire du verbiage rayonnant dans toutes les directions, en conséquence nous voulions créer un pôle puissant apte à supporter les flux divergents qui se manifestent au moment de l'éruption révolutionnaire. Cela nous semblait le seul moyen de pouvoir faire triompher la perspective révolutionnaire et ce sans réprimer qui que ce soit. Selon nous, hommes et femmes ne peuvent pas du jour au lendemain accéder à une vision correcte du devenir : ils doivent faire une immense excrétion de tout ce que la société de classe et celle post-classiste leur a injecté dans le corps. Donc, encore une fois, il fallait produire en quelque sorte l'organe d'un organisme futur, l'espèce humaine unifiée, ce qui impliquait qu'on soit réceptif à tout afin de pouvoir intégrer. C'est pourquoi, dans une certaine mesure, ce texte, considéré dans son intégrité, préfigure « Émergence de Homo Gemeinwesen ».

Cette préoccupation théorique s'accompagnait du souci de trouver un moyen d'intervention qui soit une ouverture au monde sans tomber dans le prosélytisme, la propagande, voire dans le délire publicitaire situationniste et, surtout, périsituationniste. En ce sens ce texte est en continuité totale, en ce qui concerne cette préoccupation, avec celui que j'écrivis en 1963, alors que j'étais membre du parti communiste international, « Pourquoi programme communiste ?». On doit noter que dans les deux cas je ne parlais pas au nom d'une organisation en place mais au nom d'un courant tendant à la formation d'un parti communiste mondial.

Enfin dans le cas des textes susmentionnés se manifestait la volonté de montrer l'originalité-spécificité de la gauche communiste d'Italie (comme dans « Origine et fonction de la forme parti » de 1961) et spécialement l'apport de A. Bordiga. Pour, à partir de là surtout avec « La révolution communiste : thèses de travail », exposer en quoi une nouvelle phase se manifestait, et délimiter en conséquence les nouvelles tâches qui s'imposaient.

Pour revenir à la question de l'interruption de la rédaction de ce dernier texte, il y eut trois moments de blocage. Tout d'abord fin 1969, la réflexion qui aboutit à la mise au point de la lettre sur les rackets, fit en même temps ressortir qu'il y avait des imprécisions dans le texte surtout liées à la terminologie, comme je l'ai précédemment indiqué. Je me mis donc à faire une autre rédaction en expurgeant tous les termes qui me semblaient inadéquats, tout en essayant de rédiger la suite des thèses. En outre je fus très occupé par des études sur le devenir du capital. Puis dans la période de 1972-73, sous l'impulsion décisive de divers camarades, qui se sont éloignés depuis, j'étais amené à remettre en question la théorie du prolétariat et donc à revoir tout ce qui concernait la théorie de la valeur et du capital chez K. Marx. On peut avoir un écho assez fidèle des problèmes qui furent soulevés à l'époque dans le texte : « Thèses provisoires 1973 » qui sont l'expression de mon point de vue, dans Invariance, série III, n° 4. Pour avoir un autre écho, on peut lire : « Texte de présentation des lettres, H et C. Bastelica » (lettres de janvier 1970 à octobre 1971) dans Invariance, série III, n° 1. Enfin le dernier moment est celui de 1974 : la réflexion sur tout le devenir de la révolution communiste et sur tout le devenir de l'espèce me conduisit à affirmer: il faut quitter ce monde (cf. Ce monde qu'il faut quitter, dans Invariance série II, n° 5)

Une autre raison particulière de la publication actuelle des textes préparatoires (des notes sur les œuvres  de jeunesse de K. Marx) est qu'ils ont pour objet une critique de « Socialisme ou Barbarie » groupement considéré dès le début comme le représentant de tout un courant dont les composantes se trouvaient aussi bien à droite qu'à gauche, tout particulièrement en ce qui concerne la bureaucratisation non seulement en URSS mais dans le monde entier. Cette théorisation de la bureaucratisation mondiale fut le point de départ de la théorie de C. Castoriadis sur le totalitarisme soviétique, sur la statocratie, etc., dont les événements de ces trois dernières années ont montré l'immense inanité. La critique qui fut faite de ce mouvement était celle de tout immédiatisme, donc de l'incapacité théorique de tous les intellectuels qui voulurent proposer une autre voie mais qui en définitive ne firent - comme cela apparaît nettement de nos jours -- que renforcer la propagande étasunienne contre l'Union Soviétique et inhiber toute tentative de compréhension du procès réel de réabsorption de l'immense vague révolutionnaire du début de ce siècle.

Enfin indiquons que nous considérons ces textes comme des matériaux de travail pour une recherche plus approfondie conduite en fonction de la constatation que le cycle du mouvement prolétarien est terminé, que le mouvement intermédiaire s'est aboli dans le triomphe total du capital. C'est dans cette perspective que nous reprendrons toutes ces questions dans le chapitre « Le capital » de notre étude « Émergence de Homo Gemeinwesen » qui ne consistera pas uniquement à exposer le devenir du capital mais à mettre en évidence le possible de sortie de son monde, ainsi que dans le chapitre concernant les réactions contre ce dernier.

A propos des insuffisances des textes que nous publions nous devons noter l'absence d'une étude concrète du phénomène historique total. Certes ceci fut abordé et cela constitua même le sous-chapitre 5.1. du plan de 1969, mais on s'est cantonné dans un domaine purement théorique et il manque une approche phénoménologique pour toute la période antérieure à l'apparition du prolétariat. Cela est dû au fait que nous voulions surtout nous préoccuper de l'incidence du phénomène démocratique sur le prolétariat. En outre nous manquions de documents historiques pour démontrer notre thèse dont les fondements se trouvent chez K. Marx et A. Bordiga. La recherche ultérieure tout particulièrement en rapport avec la rédaction de « Emergence de Homo Gemeinwesen » nous a apporté ce qui nous manquait et nous a conduit également à devoir envisager le devenir de la mystification démocratique en même temps que celui du mythe de l'Occident. Nous serons donc amenés à exposer tout cela ultérieurement en nous servant - comme nous l'avons déjà annoncé dans le n° 8, série IV d'Invariance - de l'oeuvre de A.M. Badi’.

Si nous considérons maintenant la mystification démocratique en relation avec le mouvement prolétarien, il manque la mise en évidence de l'insuffisance de la séparation, sur le plan théorique, de celui-ci vis-à-vis de la bourgeoisie, en ce qui concerne le féodalisme. On peut être d'accord avec K. Marx et divers révolutionnaires qu'il était nécessaire d'abattre ce dernier en tant que phénomène étatique oppresseur, mais bloquer avec la bourgeoisie sur le plan théorique pour le condamner en tant que phénomène obscurantiste, anti-progressiste, etc., fut une erreur très grave. On trouve certes dans l'œuvre de K. Marx des remarques « distanciatrices » par rapport à la bourgeoisie en ce qui concerne le féodalisme et d'autres modes de production précédant le capitalisme, mais elles sont insuffisantes ou ne furent pas publiées de son vivant.

Il est clair que c'est la capacité de résistance, plus grande que prévue, du féodalisme et donc son maintien en Europe centrale et en Russie qui induisit Marx à opérer un blocage non seulement pratique mais théorique avec la bourgeoisie. Cependant c'est cette même capacité du féodalisme à résister durablement qui aurait dû le contraindre (ainsi que les autres révolutionnaires) à rechercher les raisons profondes de cette persistance et par là à se rendre compte que l'analyse théorique qui avait été faite de ce mode de production et surtout des formations sociales qui lui étaient liées étaient trop superficielles. Nous devons tirer leçon profonde de ce fait parce que toutes proportions gardées, on peut constater que les révolutionnaires du XXe siècle ont répété vis-à-vis du capitalisme l'erreur de K. Marx vis-à-vis du féodalisme. La non advenue de la crise catastrophique ou sa dilution auraient dû les déterminer depuis des années à effectuer une recherche théorique de très vaste amplitude, alors qu'ils se sont contentés, en grande majorité, de répéter les litanies sur l'impérialisme stade suprême du capitalisme. Voilà pourquoi nous fûmes amenés au début des années soixante à reprendre toute l'oeuvre économique de K. Marx afin de mieux comprendre le devenir du capital. Les résultats de l'étude furent consignés dans « Capital et Gemeinwesen » (à l'origine, sous forme moins complète, le n° 2 de la série 1 d’Invariance) et dans le chapitre 4. « Le développement du capitalisme » de « La révolution communiste : thèses de travail ».

Se délimiter de façon plus nette vis-à-vis de la bourgeoisie au sujet du féodalisme aurait impliqué une investigation plus approfondie sur la question de la communauté et de l'État, sur celle du rapport à la nature, sur la validité du progrès. Or si on a quelques éléments d'approche tant dans l'œuvre de K. Marx que dans celle de ses successeurs comme R. Luxembourg, il n'y eut jamais une approche globale.

On peut dire qu'il n'a jamais été mis en évidence de façon exhaustive, radicale, percutante, que la mystification démocratique impliquait par sa seule manifestation l'existence d'un procès de connaissance totalement déterminé par le mouvement de la valeur puis par celui du capital; que donc le mouvement prolétarien dans la mesure où il avait pour programme celui de réaliser un autre mode de production, le communisme - négation totale du capitalisme - devait préalablement rejeter tout le procès de connaissance. A. Bordiga lui-même, partisan acharné de l'abîme qui devait exister entre bourgeoisie et prolétariat, défenseur prophétique du schisme fondamental d'avec la démocratie, n'a fait qu'effleurer la question au cours de certains réunions du parti communiste international la fin des années cinquante et au début des années soixante.

Une autre insuffisance concerne le mouvement nazi. Nous n'avions pas connaissance à l'époque de la « révolution conservatrice » du début de ce siècle. De telle sorte que nous ne pûmes en aucune façon mettre en évidence le vaste syncrétisme en quoi consiste ce mouvement sur le plan de la représentation; syncrétisme entre courants anticapitalistes de droite comme de gauche et le mouvement du capital. Il est clair que nous reviendrons ultérieurement sur tout cela. Toutefois il nous faut ajouter quelques considérations pour signaler l'importance de ce qui fut omis. En effet on ne peut pas comprendre l'ensemble du mouvement anti-capitaliste développé d'un pôle de droite sans tenir compte de l'importance du romantisme et de la lutte contre l'Aufklärung (à ce propos l'oeuvre de Herder est très importante), de celle de Goethe qui fut reprise par Steiner fondateur de l'anthroposophie qui s'illusionna sur la réalité du nazisme et, par de là ceux-ci, l'œuvre de J. Böhme, de Maître Eckhart, etc.. Enfin on peut signaler la comparaison historique qu'on peut faire entre la lutte des allemands (avec Luther) contre Rome, au moment du surgissement du capital, et celle de leurs descendants contre les USA au cours de ce siècle. Et l'on peut mettre cela en connection avec la volonté des allemands de trouver une troisième voie et de refuser le devenir occidental c'est-à-dire, selon l'époque, celui de l'Angleterre et de la France, puis celui des USA. A ce sujet il convient de rappeler la remarque de Dostoïevski selon laquelle l'Allemagne est la nation qui proteste, qui fut reprise par Th. Mann dans ses « Considérations d'un apolitique ».

Enfin il conviendra de rappeler que le nazisme posa des problèmes essentiels qui prennent une grande ampleur à l'heure actuelle : la destruction de la nature (le régime nazi promulgua des lois « écologiques » avant la lettre), la dégénérescence de l'espèce (qui avait été déjà signalée par Chamberlain, Gobineau, Nietzsche). A noter que là encore le nazisme récupérait des phénomènes qui lui étaient antérieurs, par exemple celui des Wandervogel, un mouvement de retour à la nature qui préfigura ce qui se développa en 1936 en France.

On ne doit pas escamoter le fait que le nazisme ne put triompher qu'en éliminant aussi bien les éléments de gauche que ceux de droite, particulièrement les partisans de la révolution conservatrice et qu'il s'imposa finalement comme un mouvement de conservation du capitalisme. A. Hitler ménagea la Grande-Bretagne. Il évita de détruire sa puissance en 1940 lors de la bataille de Dunkerque, comme il l'affirma quelques temps après et comme le souligna à maintes reprises A. Bordiga dans les années d'après la seconde guerre mondiale.

Á propos du fascisme italien, nous aurons peut-être l'occasion de mettre en évidence sa postérité dans les années 60 et 70 avec le mouvement d'exaltation du prolétariat, du pouvoir ouvrier, comme cela se manifesta par exemple dans l'oeuvre de M. Tronti (Cf.  Ouvriers et capital , Ed. Bourgois).

Nous n'avons pas traite du pétainisme quand nous avons abordé le devenir à la domination réelle du capital sur la société en France. Cela est dû en particulier au fait que nous ne possédions pas de documents sérieux, non superficiels sur ce mouvement. Nous voulions approfondir l'étude de la position de défense de la nature médiatisée par celle des paysans telle qu'elle apparaît dans l'œuvre de Giono, par exemple. Il y a une ambiguïté mystifiée dans ce mouvement social sur lequel nous reviendrons. On doit noter qu'il y a une certaine convergence dans une volante immédiate d'échapper au devenir du capital came cela s'exprime dans le pétainisme et dans le mouvement de rébellion de 1936 prônant un aller à la nature (cf. le mouvement des auberges de la jeunesse, l'essor du camping, le mouvement naturiste, etc.).

Nous avons voulu montrer que les USA connurent également un phénomène comparable au fascisme dans son sens large. Nous voudrions noter qu'il aurait été nécessaire de mettre en évidence à quel point s'est manifesté dans ce pays une distorsion entre l'affirmation théorico-représentationnelle d'une société libérale et la réalisation de celle réelle où l'intervention de l'Etat est effective. On peut dire qu'aux USA on a un Status otiosus. Il est caché, voilé, voire nié mais il est toujours terriblement présent tant au niveau fédéral total qu'au niveau de chaque état particulier ou dans divers organismes en lesquels il s'est pulvérisé, comme tous les événements de ce XXe siècle le montrent à suffisance.

L'étude de la mystification démocratique en rapport avec l'affirmation de la domination réelle du capital sur la société concernait surtout l'Occident. Elle devait être complétée par celle des mouvements qui dans d'autres aires (Chine, Inde, Japon, Afrique Noire, aire islamique, etc..) devaient permettre de réaliser la même domination. Or, nous l'avons maintes fois affirmé le capital ne peut s'implanter dans ces différentes aires qu'une fois qu'il s'est réalisé en tant que communauté, car elles n'ont pas connu le développement d'un phénomène démocratique. En outre, on a montré qu'il fallait une intervention du capital occidental pour atteindre ce résultat. Il est évident que la question de la mystification démocratique devait se retrouver lors de l'investigation concernant l'accession du capital à la domination réelle dans toutes ces aires. Voilà pourquoi nous avons à plusieurs reprises cité la phrase de A. Césaire : « Ce qu'il (le bourgeois humaniste du XXe siècle, n.d.r) ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme blanc, c'est d'avoir applique à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique. » Discours sur le colonialisme ) Cependant ceci n'est pas suffisant pour comprendre la totalité du phénomène de la réalisation du despotisme du capital dans ces aires. Nous y reviendrons dans le chapitre sur le capital in «Émergence de Homo Gemeinwesen».

Dans ce même chapitre nous reviendrons également sur le moment du développement du capital au début de ce siècle pour mettre en évidence tous les obstacles, venant de divers horizons de la société, s'opposant à son devenir, ce qui induisit la théorie de la décadence du mode de production capitaliste avec son corollaire au sujet du blocage de l'essor des forces productives. Cette espèce d'arrêt dans le développement plus ou moins considéré comme un phénomène de vieillissement, comme traduisant une perte de potentialités se retrouve chez A. Bordiga dans la mesure où il théorisa, vers la fin des années cinquante, un rajeunissement du capital; thèse que nous avons reprise mais que nous avons abandonnée lorsque nous avons exposé comment se réalisait la domination réelle du capital sur la société. Nous avons alors mis en évidence les verrous, les blocages au devenir du capital, à sa constitution en communauté matérielle, puis en communauté totale. Or ceux-ci provenaient aussi bien du sein de la classe prolétarienne que de celui des autres classes, même de la bourgeoisie. Ceci confirme bien que le capital dut s'imposer aux dépens des différentes classes présageant l'instauration d'une communauté-société sans capitalistes ni prolétaires, à la limite sans hommes ni femmes.

Un verrou important résida dans le mouvement artistique et littéraire. Ainsi en France la plus grande partie de celui-ci fut au XIXe siècle anti-bourgeois. Au début du XXe, en Allemagne, il est violemment anti-capitaliste. De telle sorte que le fait que ce mouvement, à l'heure actuelle, ait accepté le monde du capital, signifie à la fois sa fin et la victoire totale du capital dans tous les domaines de la vie de l'espèce.

Enfin dernière remarque afférente à une insuffisance théorique des textes soumis ci-dessous et contenue dans le plan de l'étude elle-même. Elle est liée à l'absence d'une investigation la plus approfondie possible du phénomène du droit et de l'insuffisance de celle du rapport démocratie propriété. Il aurait fallu insister sur le fait que rejeter la mystification démocratique impliquait de dépasser le débat sur la propriété tel qu'il fut abordé par tous les courants qui tentèrent de s'opposer au capitalisme et qui posèrent donc l'exigence du communisme en tant que solution pour le devenir humain. Il aurait fallu montrer que l'affirmation du communisme en tant que triomphe de la propriété commune sur la propriété privée revenait à demeurer au sein de la séparation qui avait fondé originellement les deux formes et donc à maintenir la séparation entre extérieur et intérieur. Or ceci conduisit inévitablement au non-rejet du procès de connaissance en place, à une pratique immédiatiste dans la mesure où il y eut tendance à exalter tout phénomène qui tendait à abolir ce qui était privé, contribuant par là en fait à augmenter la dépossession des hommes et des femmes.

Seule la réalisation de la communauté participante au devenir du cosmos permet une mise hors de toute thématique au sujet de la propriété qu'elle soit privée ou commune ainsi que de celle concernant l'opposition entre individualité et société ou totalité, en laquelle s'est enlisé le mouvement tendant à s'opposer au devenir capitaliste, à la réalisation de la domestication.

Pour terminer signalons que les études effectuées pour rédiger « Émergence de Homo Gemeinwesen » nous ont conduit à considérer le phénomène démocratique comme une production en série de l'unité supérieure, tout en étant contre cette dernière. Cependant il a besoin d'une unité donnée en tant que référent et référentiel. C'est pourquoi, au cours du temps, nous constatons plusieurs tentatives de réaliser une unité supérieure à partir du phénomène démocratique, ce qui nous donnera la gallérie des grands chefs, hommes providentiels, etc.,  les battilocchi, dont parlait sarcastiquement A. Bordiga.

Enfin nous essaierons de montrer de façon plus explicite, que lors de nos approches antérieures, que le phénomène de la démocratie[i], comme celui du fascisme, relevé totalement du passé.

 

 

 

 

CAMATTE Jacques

 Août 1991

 

 

 

 



[i]  Dans la formation de la démocratie et de la mystification on doit tenir compte des processus de migration, du nomadisme. Lorsque les peuples se déplacent en chariots (base pour la formation de la propriété privée), la Gemeinwesen n’a plus sa base immédiate et le « lien » entre elle et ses différents membres tend à s’évanouir. Surgit donc un élément pour que s’opère son abstraïsation et, ensuite, la possibilité de son accaparement.

 

Ceci doit être exposé et développé ultérieurement. (note  de  septembre  2009)

 



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