COMPLÉMENT
SUR LA QUESTION CHINOISE
J’ai
abordé quelque
peu le développement social de la Chine dans des lettres, en
particulier celle
du 14. 01. 1972, accompagnée de considérations sur divers textes
traitant du
sujet (Invariance, Série III, n°2, pp. 39-55) et
dans Remarques (Invariance,
même n°, pp. 56-57).
Le
14.01.72
Cher
Pier
Paolo,
Le
voyage de Nixon en Chine, puis en URSS, implique, signifie le
débordement du
capital qui tend à emplir tout l'espace planétaire non seulement sous
la forme
matérielle- sachliche, mais formelle, idéelle. La crise existe: elle
veut
l'unité à l'échelle mondiale. Il est évident que ce faisant il y a
perte sur le
plan démagogique, politique (en considérant la politique comme un
élément de la
représentation du capital, un spectacle situationniste), car
l'opposition en
deux blocs irréductibles c'était plus "payant" que cette unification;
le jeu
est toujours plus difficile lorsqu'il dévoile ses règles.
En
Chine on doit
passer par l'élimination de Mao; il est allé à moitié chemin et fera
donc la
fin de tous ceux qui procédèrent ainsi. Il le faut pour que l'orgie de
capital
puisse se donner libre cours. Mais pour donner à cette phrase un
contenu qui ne
soit pas une simple métaphore historique, il faut étudier la situation
des
paysans et leurs rapports au MPA et, alors, on pourra déterminer les
chances
qu'a le MPC (mode de production capitaliste) de se substituer au MPA (mode de production asiatique)..
Pour
pouvoir
envisager cette question, il faut tenir compte de ce qu'est le MPA: la
communauté centrale qui englobe les petites communautés et tous les
éléments,
corps du céleste empire, qui le font fonctionner parce qu'ils sont
intermédiaires entre les deux, mais n'ont pas existence autonome; en ce
sens
qu'ils seraient en liaison avec un mode de production en dehors du MPA,
ou
pouvant le nier. Ils sont immergés dans le corps total
communautaire-ethnie
représentant pour ainsi dire l'ensemble des chinois. À ce sujet ce
qu'on
appelle les féodaux parce que grands propriétaires fonciers - faudrait
voir les
modalités de tenure du sol,
de
propriété (?) - à mon avis, ne le sont pas. Je pense que dans l'immense
Chine,
il y a eu, en fait, convergence entre différentes unités importantes du
MPA,
les différents "royaumes" par exemple de l'époque des royaumes
combattants,
avant la formation unificatrice par les Tsin qui donnèrent le nom au
pays. Dans
chacune des unités géo-sociales il y avait un MPA typique, et,
peut-être, il y
a eu absorption de la fonction de l'unité supérieure de la part d'un de
ces
éléments, le Tsin en question (opération analogue, en quelque sorte, à
celle
aboutissant à l'équivalent général). Une fois prouvée la véracité ou
non de
cette
affirmation, il y aurait à étudier évidemment, le
fonctionnement précis de toutes ces unités et des intermédiaires. Tiens
compte
de la superficialité de tout ceci.
Bon, en acceptant cela, une fois que l'unité supérieure est détruite (1911)
et que
les bouleversements sociaux n'ont pas entamé profondément les unités
basales,
que, d'autre part, se développe le parasitisme des compradores, celui
des
étrangers, etc., qu'est-ce qui va permettre à la Chine de fonctionner?
Pour
qu'il y ait une démocratie il faut qu'il y ait des individus, ce qui
implique
la destruction des rapports à la communauté... Alors? À mon avis, se
posent
deux questions strictement liées:
-
Comment remplacer l'antique communauté supérieure?
-
Comment détruire - dans un premier temps - les unités basales, par quoi
les
remplacer?
Pour
que le MPC se développe, il faut qu'il y ait réponse positive,
c'est-à-dire
qu'il soit à même de faire quelque chose.
Une
remarque tout de suite: étant donnés les rapports internationaux et les
catastrophes économiques qui précèdent 1949, il est évident que la
Chine ne
peut pas voir le développement du MPC par le pôle valeur, mais cela
sera
peut-être possible par celui du travail-capital.
Avec la destruction de l'unité supérieure, au fond tous les chinois deviennent égaux; ils étaient esclaves de la communauté supérieure (le fameux esclavage généralisé indiqué dans les Grundrisse), ils sont libres; libres le sont surtout les petites unités, car il ne faut jamais perdre de vue ce point qui implique la non-autonomie de l'individu (celui-ci peut apparaître au sein de l'élément intermédiaire; voilà pourquoi les lettrés purent apparaître libres; l'élément intermédiaire a toujours plus de chance de s'autonomiser). Cependant quel peut être l'élément commun à tous ces êtres? C'est là, encore une fois, qu'on bute contre les unités basales. D'où, à mon avis, l'élément suivant: la dissolution des communautés basales implique que le phénomène aille jusqu'au bout: la prolétarisation totale de la population, la réalisation de la communauté travail.
Il
faut donc détruire les anciens rapports sociaux et faire pénétrer
simultanément
une nouvelle représentation, des nouvelles catégories de pensée avec
les
fondements mêmes du capital: travail aux pièces, importance du temps
quantitatif, émulation, importance de la technique et de la science.
Dés lors
on a les éléments qui pourront se connecter à la communauté; ils sont
implantés
même s'ils sont assez faibles, même si on n'a pas un développement
prodigieux
de la production, de l'industrialisation. La greffe est dés lors
possible, la
greffe du MPC sur la société chinoise. Il fallait inhiber les forces de
rejet
provenant du vaste corpus humain jadis enserré dans les petites unités
- est-ce
cela le sens de la révolution culturelle, en ce qui concerne son
mouvement
basal, gauchiste comme ils disent - et celles-ci dans celle supérieure?
Mais
il faut brancher l'ensemble sur le système mondial (la communauté
matérielle du
capital) qui renforce le greffon en apportant la sève du capital
mondial au
corps social chinois - sens du voyage de Nixon à Pékin. Autrement dit,
il y a
certaines potentialités de développement capitaliste en Chine, à la
base,
mais pour qu'elles deviennent effectives le secours de l'Ètat (comme ce
fut le
cas en Occident) n'est pas suffisant, il faut celui du capital en tant
que
communauté mondiale; ce n'est pas pour rien que la Chine a été acceptée
à
l'ONU. Nous vivons donc le moment suivant: la greffe va-t-elle prendre
réellement? Je crois que pour répondre à cette question il faut au
minimum cinq
ans.
Ainsi,
Mao,
en éliminant la gauche, permet la victoire de Chou En Lai, représentant
du
processus indiqué plus haut. Encore une fois le voyage de Nixon à Pékin
n'est
pas exclusivement un voyage stratégique: équilibrer la puissance de
l'URSS, ou
celle du japon; car les soviétiques pourraient reprendre un certain
avantage et marchander leur aide aux E.U. (résolution de la crise), contre une
position
ferme de ceux-ci vis-à-vis de la Chine. En fait il y aura une
intervention de
Nixon afin de faciliter la greffe en Chine (à ce propos Amadeo disait
que les
russes s'étaient vendus aux USA pour quelques millions de dollars, à
mon avis
il y a eu objectivement intervention de la communauté capital non
encore
parvenue réellement à sa domination pour faciliter le développement du
MPC en
URSS et c'est un point à préciser).
Le
MPC dans son ensemble en tant que
communauté matérielle n'a pas intérêt à une lutte URSS- Chine qui
pourrait
enrayer le développement du MPC dans ce dernier pays, une fois que les
antiques
rapports sociaux sont détruits car, il est vrai que, tant que ceux-ci
son en
place, le MPC peut avoir, au contraire, un intérêt à son non
développement dans
des aires données. Il faut préciser que je parle des tendances
objectives et
que cela a une faible importance de savoir s'il y a conscience des
processus en
acte. Ainsi il se peut donc que l'URSS veuille faire une guerre
préventive à la
Chine afin de s'assurer définitivement mainmise et puissance sur l'Asie
(cf.
Rapport de la Russie à son exigence militariste), mais le système
capitaliste
dans son ensemble risquerait de graves secousses, d'où l'on voit les
USA
prendre partie en quelque sorte pour la Chine, tout en restant
hostiles, en
maintenant la guerre du Vietnam - raisons de valorisation, mais aussi
raisons
militaires et économiques vis-à-vis de la Chine.
Sans
oublier
l'effet énorme que cela pourrait avoir sur l'Inde. Dans les discussions
Chine-USA, USA-URSS la nécessité d'éviter un bouleversement dans le
sous-continent sera peut-être un élément fondamental.
Ceci
a été rédigé en notes rapides en octobre 1971. Il est évident que la
guerre
indo-pakistanaise a apporté des éléments nouveaux. Il y a affirmation
de ce
rapprochement sino-étasunien dans le sens indiqué plus haut;
l'hostilité des
USA à l'Inde c'est aussi celle à la révolution par le haut en ce pays.
La
victoire des hindous les met à mon avis dans l'obligation de prendre au
sérieux
la révolution par le haut amorcée par Indira Gandhi, car Gandhi et
Nehru ne
firent que l'effleurer. Voilà pourquoi à mon avis ces évènements ont
une grande
importance.
J'ajoutais dans mes notes de cette époque des considérations sur les possibilités de pression sur l'URSS, la Chine et l'Inde de la part des USA; en ce qui concerne la politique monétaire mondiale. Cependant, là, on a affaire à une question très peu dévoilée et donc très délicate.
* * *
Quelques
commentaires à des articles de GUILLAIN.
Si
l'on peut se fier aux données fournies par Guillain, il est correct de
dire
qu'on a réellement une dictature du prolétariat en Chine, même si le
prolétariat
classique est minoritaire. Ceci évidemment en ce qui concerne le
contenu; mais
on précisera.
En
France et en Allemagne 1e prolétariat aussi était
minoritaire. Il y avait une paysannerie abondante au moment où Marx et
d'autres
auteurs socialistes parlaient de dictature du prolétariat. Le cas de la
Russie
peut servir aussi de référence.
Un
des points importants est la question de l'argent, de la monnaie.
Guillain
semble croire qu'on aille vers l'abolition de l'argent en Chine. Or,
là, il ne
faut pas être pressé dans un sens comme dans l'autre. Est-ce que Marx
prévoyait
une élimination immédiate de la monnaie en 1848? Même le bon de travail
dont il
est question dans la Critique du programme de Gotha
n'est pas une
suppression immédiate, en ce sens qu'on est encore sur un plan
mercantile et,
d'autre part, les conditions étaient certainement plus mûres dans les
années 70
du siècle dernier en Europe que dans les années 70 de ce siècle en
Chine. Cette
remarque uniquement pour rejeter tout a priori et essayer de voir ce
qu'il y a.
Considérons quelques points mis en évidence par Guillain:
-
refus de la
voiture, de la publicité, etc.,
-
limitation des naissances et éviter l'exode rural, avec essai de
mobiliser les
paysans libérés vers des entreprises implantées à la campagne (sauver
les
paysans),
-
éviter les
megalopolis,
-
énorme pression de l'endoctrinement.
Il
en conclut que
la Chine fait quelque chose de tout à fait nouveau autre chose que ce
qui se
fait ailleurs. Il en vient presque à penser à une troisième voie autre
que
capitalisme ou communisme. Or, ici il y a un point important: la
théorie
structuraliste postule justement qu'il n'est pas obligatoire que
l'humanité
passe au communisme, qu'il peut y avoir autre chose entre communisme et
capitalisme, non d'un point de vue diachronique car cela ne ferait
qu'éloigner
l'échéance du communisme mais du point de vue synchronique. Ainsi il y
a une
exigence profonde de tous les théoriciens à quelque niveau que ce soit
de nier
le passage du MPC au communisme; c'est l'argument du futur venant
compléter
symétriquement celui du passé: le marxisme ne peut pas rendre compte
des
sociétés sans écriture. Cependant si nous nions qu'il puisse y avoir
une autre
issue, nous ne pouvons pas nier qu'il y ait des particularités
originales et ce
pour le passage au MPC comme pour celui au communisme. Le cas de la
Russie nous
a montré à quelles conneries et quelles paralysies peut conduire la
volonté
d'appliquer un matérialisme historique d'autant plus caricatural qu'il
est déjà
caricature de ce qu'il veut exprimer.
Si
on généralise la
condition de prolétaire en donnant un salaire uniforme, donc en
détruisant la
hiérarchie (en fait, pour le moment, les chinois la réduiraient
grandement) en
imposant un travail manuel pour tous, on réalise le programme proposé
par les
communistes au siècle dernier.
En
ce qui concerne
les paysans (pour en revenir aux propositions de Guillain) Marx n'a
jamais
parlé de leur extinction immédiate, ou de leur expropriation immédiate;
la
question de maintenir des hommes dans un certain univers naturel est
délicate.
Une certaine liaison -industrie agriculture
n'est pas non plus en
contradiction avec le programme du siècle passé.
Autrement
dit on a
toujours affirmé assez mécaniquement qu’étant donné l'absence de
mouvement
prolétarien, les aires non blanches, devraient connaître des
révolutions
anti-formes précapitalistes, donc des révolutions capitalistes mais, et
ici,
hypothèse, par suite de la maturation sociale mondiale, n'y aurait-il
pas
possibilité de révolutions évoluant déjà dans un au-delà des formes
capitalistes, les court-circuitant sans pouvoir
les réaliser et donc réellement les dépasser. Le
fait qu'elles ne puissent pas être des révolutions communistes
n'implique pas
obligatoirement qu'elles doivent être des révolutions capitalistes
pures,
provocant une récapitulation, à quelques données prés, des vieilles
révolutions
bourgeoises; on aurait simplement remplacé la bourgeoisie par le
prolétariat
comme classe support de la transformation sociale (ce qui je dis là est
d'ailleurs critique envers moi-même et ne vise pas uniquement les
méchants
autres). Il faut, à mon avis, individualiser en quelque sorte un
caractère
d'irrationalité historique de ces révolutions, leur porte-à-faux. Et
cela ne
peut dériver que de ceci: énorme difficulté du développement du
capital,
corrélative à la persistance de modes de production puissants autre que
le MPC;
énorme défaite du prolétariat occidental qui seul pouvait réaliser la
greffe
d'une société communiste et donc de quelque chose
de pur (pas de
données mixtes) dans ces pays... Reprenons en faisant une citation de
Guillain:
«La
participation
ouvrière peut même aller plus loin. Les conceptions maoïstes revigorées
par la
révolution culturelle, encouragent les travailleurs à être les
créateurs mêmes
de leurs entreprises, les initiateurs de ses transformations, les
inventeurs de ses machines.»
Ceci
fait inévitablement
penser aux organisations d'entreprise, aux conseils; les ouvriers ont
leurs
entreprises qu'ils ont même créées!
En
reprenant ce qui
est dit plus haut: le développement du capital doit se faire par le
pôle
travail, il est possible de comprendre cela. En outre, si la communauté
supérieure est le capital (aidé avons-nous dit, peut-être même
représenté, par
la communauté mondiale) alors on comprend que cette dictature du
prolétariat
est inhibée dans son mouvement de devenir possible au communisme. Mais
alors il
faut aussi remarquer toute l'inversion par rapport à l'Occident: la
dictature
du prolétariat posée en fin de course du capital, ici, au début, et ce,
de
façon plus nette qu'en URSS (là, la phrase de Milioukov que tu cites,
vient
inévitablement à l'esprit: en Occident les classes ont produit 1'État,
en
Russie l'État a créé les classes). Mais alors on voit une possibilité
du
triomphe du structuralisme: au fond le développement social est celui
d'une
combinatoire de rapports sociaux et on peut faire une analyse
structurale
(grâce à la mathématique moderne, en particulier la théorie des
catégories dont
parle Lévi-Strauss) de tous les modes de production possibles et
surtout en
peut le faire en étudiant la combinatoire des rapports actuels en
démontrant la
non-possibilité du communisme. Il y a là un point extrêmement délicat
et que
j'avoue n'avoir pas vu quand j'ai abordé l'étude du structuralisme. I1
y a évidemment
une réponse car la combinatoire ne peut s'opérer qu'en faisant appel
non à des
éléments purs homogènes comme ceux d'un ensemble défini dé façon
mathématique;
ceux-ci sont définis selon la
loi du oui ou non
(fait partie d'un ensemble tel
élément s'il a telle propriété, il n'en fait pas partie s'il ne la
possède
pas). Ainsi il ne peut pas y avoir structurellement des éléments qui
puissent à la fois être du MPC et du communisme; pour les structuralistes, notre affirmation que le capital dépasse ses
limites
n'aurait aucun sens. Alors qu'avec
la
théorie du capital intégral, et c'est là le point intéressant, cela est possible. Mais ceci ne serait
qu'un
argument de méthode sur leur propre terrain. Il faut montrer la
possibilité d’une
telle analyse et par là même expliciter toute l'insuffisance.
En
revenant à Guillain, la question de la démocratie ne serait pas non
plus
antagonique à dictature du prolétariat; le manifeste parlait bien d'une
conquête de la démocratie...
Cependant
à la lecture de ces articles,
on a l'impression que se dégagent en Chine les éléments qui permettront
la
domination d'une dictature impersonnelle, la communauté capital. Sinon,
ce sera
une situation confuse, grosse de possibilités révolutionnaires sans
pour cela
réellement déboucher dans la révolution.
La lutte des classes en Chine
bureaucratique. P. Brune. S.B., n° 24
Tout
d'abord les réquisits théoriques de Brune: bureaucratie et capitalisme
d'État
avec une variante bureaucratique. Il y a tout d'abord une petite
contradiction
entre l'affirmation donnée page 37: «La Chine n'est pas une exception
historique» et «La nature de la révolution qui en 1950 a abattu le
pouvoir de
Tchang-Kai-Shek défie en effet toutes les analyses marxistes
traditionnelles.»
Mais
ceci n'a pas beaucoup d'importance, ce qui l'a plus c'est l'imprécision
initiale qui commande le reste du travail. En effet, après la première
phrase
indiquée plus haut, on a ceci:
«Au
contraire, son développement ne fait que reproduire dans ses lignes
fondamentales un processus plus général qui, dans son cheminement
contradictoire, tend d'abord à substituer de nouvelles formes
d'exploitation
aux anciennes pour déboucher ensuite sur une mise en question radicale
des ces
nouvelles formes d'exploitation par le prolétariat et les paysans.»
C’est une
formulation presque de révolution permanente; sa généralité dans toute
la
première partie est telle qu'on n'a rien à redire, mais dés que Brune
parle
d'action du prolétariat et des paysans, on peut se demander dans quel
milieu
social ils interviennent; d'autre part, est-ce que cela s'est
fait partout
ainsi?
Je
signale cela uniquement pour mettre en évidence la faiblesse
fondamentale, structurale
selon moi, de ces articles, en dépit de certains points intéressants.
On
entre de plein pied dans une société
chinoise dont on ne précise pas la nature sociale, on parle de
bouleversements
capitalistes. D'autre part, et c'est essentiel, quel fut le caractère
de la
révolution de 1911, quels furent les rapports de production après la
révolution? Comment se fait-il que la Chine semble démarrer avant la
Russie et
qu'en fait elle semble avoir pris un chemin de développement beaucoup
plus
long?
Brune
dit qu'il
s'est formé un capitalisme d'État;
il parle de monopoles; puis, il y a ceci qui me
semble déterminent non pour sa thèse, mais pour la mienne:
«Quelques années ont suffi pour que le grand capitalisme chinois devienne une organisation de trusts monopolistes reliés entre eux par des alliances familiales - les fameuses quatre grandes familles - qui on fait de l'appareil de l'État nationaliste leur instrument docile et leur quasi-propriété. Ruinée par les monopoles, la bourgeoisie chinoise s'est fonctionnarisée.» p. 37.
Ceci
montre à mon
avis l'impossibilité de développement du capital en Chine. En effet
rappelons
que le capital usuraire et le capital commercial sont des formes
antédiluviennes
du capital, qui sont comme des formes sans contenu parce qu'elles ne
dominent
pas le procès de production. Sans modification profonde des rapports
sociaux,
il n'était pas possible d'avoir une formation du MPC, c'est-à-dire
formation de
procès de production élémentaires qui soient procès de production du
capital;
il fallait fondamentalement séparation des travailleurs de la terre, de
leur
moyen de production. C'est pourquoi il n'y eut en fait dans ce que
décrit Brune
qu'une domination toute formelle qui, au bout d'un certain temps,
régresse et
le fit vers les formes classiques du capital usuraire et commercial;
intéressant à ce sujet l'importance des compradores qui sont
effectivement des
éléments possibles uniquement parce que le mode de production
capitaliste n'a
pas réussi à s'implanter. Ils commercialisent, livrent dans la
circulation
générale des marchandises, des produits qui ne furent pas engendrés en
tant que
marchandises: il y a récupération de plus-value, mais non production.
Je
mets ceci en liaison avec une affirmation que j'ai souvent faite:
peut-être que
le capitalisme ne pourrait se développer en Chine que lorsque le
capital s'est
constitué en communauté matérielle. Il fallait détruire l'ensemble des
unités
englobées dans l'unité supérieure. Celle-ci disparaissant, d'autres
pouvaient
la représenter. Mais il n'y avait plus dés lors de rapports organiques
avec les
unités inférieures comme lorsque le MPA était sain.
La
formation d'unités élémentaires ou leur reformation,
leur résistance à la transformations sous-tendait la réalité de cette
unité
supérieure devenue factice (depuis 1911) maintenue grâce à des rapports
avec
l'étranger.
La
tendance à l'autosubsistance, donc à former des unités se manifeste
après la
révolution en 1950.
«Cette
tendance des
paysans à se replier sur une économie purement familiale a du reste été
accentuée par la disproportion croissante des prix agricoles et des
prix
industriels.» p. 46.
«En
fait le
fonctionnement du grand capital est devenu complètement indépendant de
la
production industrielle chinoise; c'est dans la spéculation financière
et le
marché noir des produits américains que les quatre grandes familles
ramassent
leurs derniers milliards.» p. 39.
Il
est intéressant
de noter que l'usure se fait aussi bien sur le dos de paysans chinois
qu'aux
dépens en quelque sorte du capitalisme (ici étasunien) il est évident
que là il
rejoint la spéculation active durant la phase développée (peut-être la
fameuse
phase finale où il est en même temps fleurissement du gangstérisme) du
capital.
Ce phénomène s'est d'ailleurs répété plusieurs fois dans d'autres pays
que la
Chine. Car, il ne faut pas l'oublier le capital usuraire et le capital
commercial non fondé sur la production capitaliste tendent
inévitablement à
faire comme s'il n'y avait pas de procès de production.
De
façon
concordante il note que: «les forcés de révolution prolétarienne
déclinent et
se désagrègent...» p. 39.
Ailleurs:
«Une
nouvelle couche de paysans riches se reconstitue qui se subordonne les
plus pauvres
par l'intermédiaire de l'usure et du commerce des grains.»
Je
crois qu'il faut
comparer ce phénomène à celui de la formation des koulaks en Russie
comme je te
l'indiquais dans ma dernière lettre: À
partir de là on comprend cette
remarque, à mon avis, absurde «Cette contradiction entre le capitalisme
bureaucratique et la production bourgeoise ou marchande se manifeste
avec une
acuité particulière dans les rapports entre la ville et la campagne.»
Même
la remarque
suivante:
«Augmenter
les traitements sans arracher la production à sa stagnation c'était
retomber
dans les anciennes ornières et marcher droit vers un conflit avec les
masses
populaires. Il n'existait pas d'autre issue pour les couches sociales,
dont
les caractères particuliers de la crise et de la révolution chinoise
avaient
fait une nouvelle classe dirigeante, que de se lancer à corps perdu
dans une
politique d'industrialisation pour se donner les moyens d'exister comme
classe
privilégiée.» (p. 44), va encore dans le sens de ma
thèse; car cette
couche sociale n'a pas plus d'impact socio-économique que ne pouvait
l'avoir
les classe des lettrés-mandarins (classe mis ici pour groupe ou couche)
et il
n'est possible pour elle d'avoir existence - il ne s'agit pas
uniquement de
traitements plus ou moins élevés - que si elle se branche sur un corpus
nouveau
où, avec un autre contenu en quelque sorte, elle va jouer 1e rôle des
mandarins, etc...
Pour
que ceci
prenne toute sa validité il faut reporter ce passage - très intéressant
- sur
le passage des fonctionnaires à la révolution: «Dans les villes, les
fonctionnaires qu'on ne paie plus, les bourgeois exaspérés par les
pillages du
KMT sabotent les mesures de défense et se mettent au service du nouveau
pouvoir
dont l'implantation suit pas â pas l'avance de l'armée rouge. Lorsqu'en
1950
celle-ci atteint les frontières du Vietnam, elle n'a pas vaincu la
Chine
nationaliste en écrasant ses armées. Elle a intégré et absorbé son
appareil,
province par
province,
ville par ville. Au moment où Tchan-Kai-Shek et sa clique fuient à
Formose la
presque totalité des armées nationalistes y compris des généraux et
quelques
millions de fonctionnaires du KMT se sont ralliés au nouvel État.» p. 41.
Ce
passif, reliquat d'une impasse antérieure sera déterminant pour le
développement ultérieur. Selon moi, une fois l'unité supérieure
détruite on ne peut
reformer quelque chose de stable, de capitaliste (puisque le mode de
production
dominant est le MPC à l'échelle mondiale), qu'en réalisant à la base un
égalitarisme féroce, et en mettant au travail tout le monde pour
réaliser
l'accumulation, donc le développement du capital, pôle travail. Il
faudra mâter
coûte qu coûte cette couche... sans pour autant aller trop loin, sinon
le
capital ne peut même plus se développer. Des groupes de gauche ont dû
toujours opérer
en Chine et étaient peut-être sur la base de positions qui pourraient
être
proches des nôtres.
La
Chine à l'heure
de la perfection totalitaire,
n° 29, de Socialisme ou Barbarie.
Il
y a un point
important dans cet article c'est la militarisation du travail. Quoi
qu'en pense
Brune, il y a ici quelque chose qui n'est pas en contradiction avec ce
que dit
Marx dans le Manifeste puisqu'il parle lui aussi d'organiser des armées
du travail,
et Trotsky reprit cela... Mais ce qu'il y a de plus intéressant dans la
question des brigades et de la militarisation du travail dans
l'agriculture
c'est que ce n'est peut-être qu'au travers de rapports frustes comme
ceux de
l'armée qu'il était possible de réduire les anciens rapports sociaux et
de
créer quelque chose à la place, d'inhiber le plus possible cette
reconstitution
d'unités s'autosuffisant; Cf. en particulier les pp. 76-77 et 80, voici
un
échantillon:
«Cependant
si la
tendance à transformer les travailleurs en soldats de la
production est
commune à tous les régimes capitalistes, la rupture des liens familiaux
a été en
Chine plus brutale que partout ailleurs et la subordination de la vie
quotidienne de chacun à la production y est plus systématique et plus
cruelle
que dans n'importe quel pays.»
La
militarisation
du travail concernait surtout l'industrie et, d'autre part, elle ne
touchait
pas la vie privée; ce que Brune appelle peut-être la vie quotidienne.
Celle-ci
avait été remodelée par le développement du MPC. Plus il est nécessaire
d'accélérer le processus et de se substituer au processus social
lui-même, plus
il devait y avoir militarisation, despotisme, totalitarisme (cf. le
cas de
l'URSS). Je dois ajouter une précision: il y eu militarisation du
travail dans
l'industrie, mais Marx l'envisageait pour l'agriculture. Là on peut
dire que
c'est une revendication purement capitaliste, non pas parce qu'elle fut
réalisée par le Capital, mais parce que nous ne voyons pas apparaître
une
nouvelle communauté intégrant industrie et agriculture au sein d'une
nouvelle
répartition des hommes dans la nature.
Cette
donnée
explique la nécessité d'une volonté intransigeante et pour ainsi dire
inhumaine. On a souvent rappelé les propos de Mao disant que les
chinois
étaient une page blanche et qu'il fallait y écrire le «nouveau». C'est
un
volontarisme excessif qu'on a reproché au bolchevisme et à Staline (cf.
introduction des Cahiers du Communisme de Conseil
n° 3).
Je
pense qu'il
faudrait en profiter pour situer la donnée totalement dépassée du
programme de
1848, son aspect réformiste révolutionnaire et enfin que, maintenant,
décidément, i1 ne s'agit plus de construire mais de détruire; donc il
ne
s'agira pas de créer des armées... Cela correspondait à une immaturité
des rapports
sociaux qu'il fallait en quelque sorte créer en en créant les
conditions à leur
manifestation. Maintenant ils se manifesteront directement.
Il
semblerait en
tenant compte de toute l'évolution (c'est une note d'octobre 1971) au
cours de
la période démocratique: les 100 fleurs, les Communes, la révolution
culturelle
(1966-70) qu'il y ait un double mouvement entre ouvriers-paysans d'un
côté et
le parti de l'autre avec comme élément déterminant au cours de la révolution
culturelle: l'armée. Ce double
mouvement aboutit à une dictature du prolétariat; malgré elle la couche
dirigeante tendait à s'autonomiser et à singer le capital occidental
mais elle
est obligée de niveler et de se mettre plus ou moins (à l'exception des
plus élevés)
dans la masse. Au fond n'est-ce pas l'impossibilité d'une classe, au
sens
classique du terme, à se former; i1 y aurait une domination
impersonnelle de
l'unité supérieure devenant de plus en plus le capital. A nouveau on
aurait
l'esclavage généralisé! Ici une certaine convergence
avec l'Occident
où l'on a, mais avec des déterminations et un contenu différent, la même
chose.
Pourquoi dire: pas de classe au sens traditionnel du terme? Parce que
pour
parler de classe il faut qu'il y en ait au moins deux; la société est
divisée
en classes! Voilà pourquoi pour sauver la théorie des classes sous sa
forme
classique tout le monde sent le besoin de créer une classe qui fasse
l'opérateur logique, le complémentaire nécessaire: la bureaucratie.
Dés
lors le phénomène
de restauration qu'on a connu après diverses révolutions se
manifesterait en
Chine avec le retour du despotisme asiatique, mais en ayant un autre
contenu;
et, enfin, il ne faut pas oublier la convergence essentielle entre cela
et le
despotisme du capital. On a donc un devenir du capital par
l'intermédiaire de
la domination du travail. Il y a ainsi des éléments de la domination
formelle
du capital telle qu'elle se manifesta en Europe: prépondérance du
Capital
variable, par exemple, prépondérance du travail vivant sur le travail
mort. Or,
ceci est exacerbé par l'énorme population.
La
figure du paysan telle qu'elle a été modelée par les communes et la -
révolution culturelle (en se
méfiant toutefois
des informations
fournies) apparaît très différente de celle des paysans d'Occident en
ce sens
qu'il devient prolétaire et paysan; il est salarié et a un lopin de terre
(selon les conditions générales
une des figures peut l'emporter). La formation de ces communes
n'est-elle pas
liée à la résistance communautaire des paysans? D'autre part le
kolkhoze
lui-même ne participe-t-il pas de ces données?
Maintenant
quelques
remarques de moins grande amplitude:
-
importance de Liu-Chao-Chi dans le grand bond en avant, alors que
l'historiographie
a souvent présenté le contraire (cf. p. 69, 72, 85, 88); énorme
mouvement des
ruraux vers les villes: fuite devant les mauvaises conditions de vie à la
campagne; d'où,
réponse
des autorités: limiter ce phénomène; empêcher la formation de grandes
villes
pour éviter les perturbations provoquées dans les campagnes par ces
départs
massifs.
- empêcher
les
concentrations révolutionnaires.
En
Russie la fixation des paysans dans les kolkhozes freina aussi un
mouvement
similaire. À l'heure actuelle, encore, il faut accomplir des formalités
très
compliquées pour pouvoir quitter la campagne (nécessité d'un
passeport). Il y a
certains aspects de la kolkhozianisation qu'il faut revoir.
Ici
c'est le moment
de faire remarquer que ce que Guillain considérait comme un acte
révolutionnaire conscient, tendant à faire en sorte que la Chine ne
fasse pas
les mêmes conneries que l'Occident, est en fait un acte
contre-révolutionnaire,
visant à empêcher l'extension des mouvements révolutionnaires. D'où,
les
chinois ne feraient-ils pas du réformisme? Peur de développer
impétueusement un
prolétariat et de ne pas pouvoir 1e contenir, par suite d'une
impossibilité
immédiate d'intégration. Alors il y a freinage du procès
d'expropriation
d'autant plus qu'au niveau chinois il y aurait vite des villes de 80
millions
d'habitants; comment nourrir ces hommes? Nécessité d'un gigantesque
travail de construction
de routes, de chemins de fer en des lieux précis sans avoir encore
organisé un
véritable réseau de communications pour tout le pays. Ce que je dis
pour la
Chine est valable pour l'Inde (de là, à mon avis, cette révolution par
le haut
comme indiqué au début de cette lettre). Il y a donc un réformisme
style japonais.
Le japon n'a pas procédé (plus précisément n'a pas connu) une
destruction
énorme des rapports sociaux, de telle sorte que les rapports de
type
féodal ont servi de porte-greffe au procès de production capitaliste.
Ce n'est
que maintenant que ceci est remis en cause, mai cela a permis la greffe
du
capital sur la société féodale japonaise (ici cela pose un
éclaircissement à
donner pour le passage d'un mode de production à l'autre qui peut se
faire sans
révolution violente).
-
Chine et manque
de bras au moment de la mise en place des communes et du grand bond en
avant;
Amadeo avait développé le même point.
«Manquant
de
tout, les communes se replient sur elles-mêmes; essayent de vivre par
leurs
propres moyens et ce glissement vers l'autarcie achève de désorganiser
la
circulation des produits.» p. 87.
Ceci
confirme ce
qui est dit précédemment sur la tendance à la reformation des unités
basales s'autosuffisant.
Cependant encore une remarque: s'il n'y a pas
d'expropriation, rejet
des paysans de leur milieu, donc non séparation draconienne de
l'agriculture de
l'industrie, il ne peut y avoir un vrai développement du MPC; or la
puissance
dé la population et la peur des troubles inhibent le mouvement de
séparation.
Mais le capital arrive à refaire unité agriculture-industrie médiatisée
par un
développement énorme des échanges: première phase; seconde phase (se
qui se
manifeste surtout aux E.U.) remplacement total des produits agricoles
par des
produits de synthèse, ex: fabrication de protéines à partir du pétrole;
c'est
l'industrialisation totale de l'agriculture. En Chine ce dernier stade
est
impossible à réaliser même avec une intervention massive du capital
mondial; ce
ne peut être qu'une solution lointaine. Cependant pour être complet il
est
nécessaire de soulever cela, pour être à même de mieux situer le
devenir
probable...
L'article
de Brune
est plus une des_c_r_i_p_tion qu'autre chose. Il finit sans conclusion, sans
remarque essentielle. Il y a une constatation-interprétation: le régime
a été
ébranlé pour la deuxième fois. Cependant son analyse me confirme dans
l'idée
que le rôle des paysans sera plus important en Chine qu'en Occident et
qu'avec
les ouvriers, ils ont joué à un niveau plus élevé un rôle semblable à
celui des
sans-culottes.
Il
me faut revenir
toutefois sur l'intégration du prolétariat. Brune et S. Leys (Les
habits
neufs du président Mao) présentent les prolo comme dés
révolutionnaires
assaillis par des gardes rouges lancés par Mao Ze Dong; on parle qu'ils
luttaient pour une augmentation de salaire, etc... Or; je me pose la
question
suivante: dans les diverses révolutions anti-coloniales, dans la phase
d'après
la seconde guerre mondiale, on a souvent vu le prolétariat classique,
celui des
villes, rester impassible alors que la révolte bouleversait le pays et
ce n'est
qu'à la fin, lors de l'imminence de la victoire de la révolution,
qu'ils se
rallièrent à elle. Le cas le plus typique est celui de Cuba; mais ce
fut vrai
aussi en Algérie, et dans tous les pays d'Afrique. On peut dire qu'à ce
niveau
(surtout en Afrique) ils participaient en fait d'une autre société; ils
étaient
les prolétaires d'un capital étranger, d'une nation étrangère et
pouvaient,
dans certains cas, avoir une situation plus favorable; ils pouvaient
être
totalement déconnectés de la société qu'ils avaient quittée. En
abandonnant la
brousse ils faisaient un saut; ils atteignaient un nouveau mode de
production.
Pour la Chine, on ne peut pas dire absolument cela bien que le
phénomène du
capital soit étranger, c'est-à-dire édifié par des étrangers; dans tous
les
cas, il se peut qu'il y ait une promotion de la campagne à la ville,
qu'il y
ait une discontinuité même au niveau mental. Alors il n'est pas
impossible que
les ouvriers aient défendu une position particulière, comme un
privilège. Il y
eut au sein d'autres révolutions la tentative des féodaux par exemple
de
montrer que les bourgeois exploitaient les ouvriers et, ainsi, de les
faire
opérer pour leur compte;
il se peut que les augmentations de salaires furent démagogie mais que
cela a
suffi à mobiliser le prolétariat (en effet j'ai lu au sein de la
littérature
concernant la révolution culturelle que la «clique à Liu» aurait
augmenté les
salaires; il ne faut pas oublier que ce dernier aurait été lié aux
syndicats)
ce qui fait que pendant un certain temps on a représenté la révolution
culturelle comme lutte campagne-prolétariat; ce n'est que vers la fin
que cedi
fut escamoté; mais même là une remarque encore: Mao peut bien avoir été "plus
paysan" et utilisé les paysans pour reprendre le pouvoir, cela
n'empêche qu'il
ne peut triompher et faire triompher ces derniers qu'avec une idéologie
prolétarienne (cf. rapport au nivellement basal); le prolétariat
assumant
dés lors un rôle réactionnaire par blocage
du
développement
économico-social de la Chine, empêchant la généralisation du système.
En effet,
des salaires plus élevés pouvaient faire obstacle au nivellement
nécessaire
tant sur le plan économique qu'idéologique. Je crois que c'est un
aspect dont
il faut tenir compte. On pense trop: prolétariat= révolution. Or
celui-ci
peut-être intégré et ceci peut prendre, dans les différentes ambiances
historico-sociales des aspects divers. D'autre part ce ne serait pas le
seul
exemple où le prolétariat bloque un processus: cf. l'action des
syndicats
étasuniens contre l'automation, leur rôle au sujet de la guerre du
Vietnam, de
celle de Cuba, leur position vis-à-vis de noirs et de la jeunesse. Or,
les
syndicats n'ont une efficacité que si les prolétaires la leur donnent
(à noter
que Brune parle d'ailleurs d'un clivage dans la classe ouvrière et la
difficulté de son unification. n° 24. p. 77).
À
l'appui de ce que
je viens de dire, je voudrais faire noter la présence de gardes rouges
venant
des campagnes, et, en sens inverse: «L'envoi au travail prend l'aspect
d'une
véritable émigration intérieure qui a déplacé des millions de
personnes, en
particulier des jeunes venus des villes. Leur implantation au loin peut
être
faite pour plusieurs années, ou de façon définitive.» Guillain.
En
conclusion, il
faut nuancer les remarques: il se peut fort bien qu'il y ait une forte
activité
prolétarienne révolutionnaire, mais on ne peut pas l'envisager à la
façon des
auteurs précités; d'autre part, je suis persuadé qu'il y eut aussi une
importante fraction de la classe qui se heurta aux révolutionnaires,
dont les
plus virulents furent peut-être parmi les étudiants et les paysans (en
tenant
compte de ce que recouvre ce mot en Chine).
«
Par centaines de
milliers, les gardes rouges et les étudiants récalcitrants durent se
porter
volontaires pour être rééduquées par le travail jusque dans les
provinces les
plus éloignées: le Sin-Kiang, en Asie centrale, le Hilungkiang, proche
de la
Sibérie, la Mongolie, le Yunnan. Comme le dit le rapport Lin Piao « les
gardes
rouges et jeunes intellectuels étaient partis avec enthousiasme
s'installer
dans les régions montagneuses et rurales » Guillain. Il est remarquable
qu'on
ne précise pas l'origine sociale de ces gardes rouges.
Il
y a un point
intéressant chez Brune, c'est celui du rapport entre le mouvement des
Cent
fleurs et les mouvements dans l'Est européen surtout le mouvement
hongrois de
1956, intéressant surtout parce qu'il pose le rapport, car ce qu'il
traite ne me
convainc pas. Peut-être qu'une étude plus détaillée montrerait la
véracité de
ce que Brune avance: «Dés lors la révolution hongroise agit comme un
puissant
accélérateur sur la montée de l'opposition à travers toute la Chine.»
p.
86, n° 24.
Brune
escamote la
position de Mao (intéressante surtout pour maintenant) ; on ne sait pas
s'il
était vraiment pour ou contre le bond en avant et quelle fut sa
position lors
de l'échec de ce dernier (cf. pp. 101-102. n° 24).
De
tous ces articles et des évènements postérieurs se dégage une
question
non résolue: rôle de l'armée: ne jouerait-elle pas celui d'un corps de
liaison
souvent nécessaire dans ce pays de MPA? Surtout lorsque le parti ne
«joua»
plus. D'ailleurs ce parti lui-même n'est pas le même qu'en URSS et n'a
peut-être
pas le même rôle. Une armée aussi politisée ayant un rôle aussi
important, je
crois qu'il n'y eut que celle des «têtes rondes» lors de la première
révolution
anglaise.
Dans
les Cahiers
du Communisme de Conseil juillet 1969, n° 4, parurent Thèses
sur la
révolution chinoise de Cajo Brendel qui reprend une
perspective Pannekoeckienne:
révolution russe=révolution bourgeoise, le parti est une organisation
bourgeoise. Il parle de féodalisme en Chine et
n'effectue aucune analyse
sérieuse des rapports de production avant comme après la révolution de
1911; il
dit seulement que Sun Yat Sen voulait un compromis entre Chine ancienne
et
développement du monde moderne (là il aurait pu se poser la question du
pourquoi de la non réussite des chinois, alors que les japonais
parvinrent à un
résultat tangible); il décalque la révolution chinoise sur la
révolution russe;
plus précisément, avant Mao, c'est une copie de la révolution
française, après,
c'est celle de la révolution russe.
À
propos de la
commune de Canton:
«Il
n'est pas
question qu'ils soient entrés en action pour des buts de classe.
L'insurrection
de Tchang Hai de mars 1927 est une insurrection populaire qui a pour
but de
soutenir l'expédition militaire de Tchang Kai Chek vers le nord. Que
les ouvriers
y jouent un grand rôle, s'explique par le fait que Tchang Hai est par
hasard la
plus grande ville industrielle dé la Chine, et qu'environ un tiers des
ouvriers
y habitent. Le caractère du mouvement n'est pas prolétarien mais
radical
démocrate. Tchang Kai Chek l'étouffe dans le sang non parce qu'il
craint une
variante prolétarienne de la révolution mais parce qu'il méprise le
jacobinisme » (ne pas oublier que « C'est la période, girondine qui
commence
avec la défaite de Sun
Yat
Sen et de la gauche », ceci aux
alentours de 1927, ndr). Quant à la soi-disant commune de Canton, elle
n'est
rien d'autre qu'une
aventure sans perspective provoquée par les bolcheviks chinois qui
essaient -
sans avoir aucun atout politique - de gagner le jeu qu'ils ont déjà
perdu à Wu
Han. L'insurrection de Canton de décembre 1927 n'exprime pas une
résistance
prolétarienne tout comme le Koeng Tsiang Tang (PCC) n'exprime pas des
aspirations ouvrières. » pp. 25-28. Il y a une part de réalité là
dedans mais
quand il dit que c'est pour une «idée, pour des idéaux politiques que
le KTS se
bat» il déraille ou alors il pêche par un manque d'explications
profondes qui
pourrait étayer cela.
«La
période des Cent
fleurs est un combat spirituel contre le capitalisme d'État.
La révolution
culturelle qui vient plus tard est, comme nous le montrerons plus loin,
un
combat entre le parti et la nouvelle classe» (p. 37). Cette nouvelle
classe =
groupe qu'on peut caractériser comme des "managers", qui a une
puissance financière, qui dispose des produits de la production
industrielle
(de la nourriture et des marchandises) et qui peut fixer (évidemment)
le volume
des salaires et des avantages fiscaux. (p. 51).
Il
explique donc la
révolution culturelle par une lutte, entre cette classe et les couches
sociales, pour le parti (et dans ces couches il y a Mao); la
perspective est la
victoire de la nouvelle classe.
Enfin
C. Brendel ne
pense pas qu'il y ait autre chose qu'une simple coïncidence entre les
évènements de Hongrie et ceux des Cent fleurs en Chiné.
Autres
questions:
La
colonisation des
terres vierges au Kazakhstan ne peut pas être considérée uniquement
comme ayant
été nécessité par la crise agraire des années 60 (début) mais, déjà,
par le
conflit soviéto-chinois; en effet cette province se trouve juste à
proximité du
Sin-Kiang où les chinois ont leur industrie nucléaire, militaire.
D'autre
part, il
semble bien que la crise de 1929 profita à l'URSS, est-ce qu'une chose
similaire ne peut pas se produire pour la Chine? La crise monétaire
68-71
n'a-t-elle pas facilité le rapprochement USA Chine? On voit alors que
la
question de l'Asie ne peut être envisagée uniquement dans ses limites
géographiques.
Enfin
la montée de l'Inde et la possibilité - indiquée au début de cette lettre - d'une
révolution
par le haut, phénomène qui ne peut pas être limité à l'Inde proprement
dite,
car dés maintenant la secousse de la guerre provoque une nécessité
similaire au
Pakistan et au Bengla Desh; d'autre part il y a le mouvement de Ceylan
qui
impose un réformisme, si les dirigeants veulent conjurer la révolution.
Ce
qui est sûr
c'est que l'indépendance du Bengla-Desh ne résout rien, sinon de
réduire pour
un moment l'agitation naxaliste et celle des différentes tribus du nord
de
l'Inde, la question du Bengale semble bien être unitaire, c'est-à-dire
englober
la partie hindoue. Mais je préfère arrêter ces considérations ici
c'est superficiel.
Tout ce que je puis dire c'est une intuition que désormais le mouvement
révolutionnaire est en acte (révolution en tant que remise en question
de l'antique
statu quo) et que, finalement la société hindoue a peut-être reçu un
ébranlement tel qu'elle ne puisse plus se rééquilibrer dans son ordre
ancien.
Encore
un point tout de même: l'URSS
joue un grand rôle dans ces pays et on doit se demander dans quelle
mesure elle
n'est plus apte à conserver une grande influence dans la péninsule
indochinoise, ce qui expliquerait ce forcing en Inde, et,
corrélativement,
l'essai d'encercler la Chine pose l'alliance avec le japon! Mais le
plus
important c'est la question intérieure: peut-on considérer les
mouvements
d'opposition en URSS comme étant le point de départ de la révolution
comme Marx
considéra la convocation des nobles par lé tsar comme le début de
celle-ci au siècle
dernier. Si oui on comprend bien l'engrenage à l'extérieur, la fuite en
avant
qui caractérise la Russie.
Dans
un autre domaine, je voudrais indiquer quelques remarques qui furent
faites à
Paris, au sujet de l'Allemagne. On a dit que Lénine s'était illusionné
sur le
fait que la reconstruction de l'Allemagne serait celle du prolétariat;
on a
indiqué aussi le rôle de la S.D dans l'avènement du fascisme; plus
précisément,
la S.D soutenue par les étasuniens se propose justement de réaliser
pleinement
le capitalisme organisé dont parla Hilferding et, soi-disant à partir
de là,
d'arriver au socialisme; la faillite de la S.D est triomphe du nazisme;
en même
temps que la défaite des étasuniens (cf. la lutte contre le capital
étranger
effectuée par les nazis), les bolcheviks avons-nous dit eurent tendance
à
soutenir les nazis et ce n'est qu'au dernier moment qu'on eut le heurt
(d'autre
part après 1933 la Russie flirtera à nouveau avec Hitler). Ces
contradictions
est-ouest affectaient l'Allemagne entière, aujourd'hui les
contradictions sont
extériorisées avec l'existence des deux Etats allemands. Mais,
n'existent-elles
plus? Non, on a justement le mouvement nécessaire à leur manifestation;
simultanément il ne peut pas y avoir un néo-nazisme. Mais alors la
question
intéressante est justement celle-ci: est-ce que étasuniens et russes ne
s'illusionnent-ils
pas avoir résolu la question en divisant l'Allemagne? Le deux Etats
allemands
sont des puissances industrielles de première importance et il est
clair déjà
dans le déroulement des évènements mondiaux que la poussée allemande de
l'avant-guerre s'est encore renforcée; n'y aurait-il pas tendance à
l'unification? Il est certain que cela ne peut pas se poser dans les
termes
anciens, ni même que cela se posera nettement et clairement, mais ce
sera un «
problème » qui pourra venir offusquer la compréhension de la situation.
REMARQUES
La
lecture
postérieure de La bureaucratie céleste N.R.F. 1968,
d'Etienne Balazs
confirme qu'il n'y a pas de classe en Chine, surtout pas de
bureaucratie-classe
Toute l'analyse du rôle, de l'importance de la couche dés mandarins
lettrés, de
ses rapports avec le fils du ciel est remarquable mais ne permet pas de
dire
que ceux-ci forment une classe. L'auteur met en évidence le caractère
de
totalité organique de la société chinoise, sa dimension totalitaire où
rien ne
peut s'individualiser. Le fils du ciel lui-même est soumis à la même
dure loi.
Il est rappelé à l'ordre s'il commet la moindre faute. C'est la
communauté
autonomisée qui fonde la vie des chinois, théorisée de façons diverses
par les
confucianistes, les légalistes qui mettent en avant le droit de retirer
le
mandat céleste. C'est la communauté despotique, autonomisée nui
domine
et qui gère. Pas simplement la communauté immédiate
matérialisée par une génération donnée, mais la communauté en tant
qu'ethnie
pérennante; ce dont témoignait fortement le culte des ancêtres qui
prouve en
même temps qu'il n'y a pas de religion chinoise; culte qui ne semble
par avoir
été remis en cause avant la révolution du début de ce siècle.
Le
corollaire est
que l'État ne s'autonomise pas à cause des rapports particuliers entre
le fils
du ciel et la couche des mandarins lettrés. Le fils du ciel représente
la
communauté et il n'y a pas besoin d'une autre médiation.
Les
mandarins
lettrés semblent former l'élément déterminant parce qu'ils
matérialisent, personnalisent la ratio de la communauté despotique. En
fait, ils
sont tout autant dominés que dominateurs. Une remarque de Balazs (p.
144)
éclaire bien cet aspect:
«Or
les fonctionnaires lettrés sur qui repose l'administration de l'empire,
fondé
par le "Premier Empereur" "Quin Shihangdi" (221-210 av.
J.C.) et continué par la dynastie des Han, sont en général aussi des
propriétaires. Seulement, et, c'est très important pour la
compréhension de la
Chine impériale, la source de leur pouvoir n'est pas la propriété
privée mais
la fonction, dont l'exercice effectif détermine les privilèges.»
D'autre
part, il relève une autre donnée capitale: l'opposition des mandarins
aux
grands propriétaires fonciers dont l'accroissement de puissance
ruinerait
l'empire.
Le
MPA n'était pas opposé à un développement du commerce dans la mesure où
celui-ci
pouvait être contrôlé par l'État-communauté, l'État représentant de la
communauté. D'où sa floraison avant l'arrivée en force des européens
dans le
sud-est asiatique. Mais cet Ètat était un gros obstacle dans la mesure
où il
inhibait l'autonomisation de l'individu; de là l'impossibilité de
l'essor du
commerce sinon en tant que simple intermédiaire. Comme disait Marx
l'argent
n'est pas parvenu à sa troisième fonction qui implique qu'il tende à
s'emparer
et à dominer les extrêmes qu'il mettait en relation.
Divers
éléments pouvaient se développer dans le cadre du MPA jusqu'au moment
où cela
devenait invivable, provoquant une espèce d'engorgement du système
accélérant
un processus de décomposition dont on ne pouvait sortir qu'à la suite
d'une révolte
puissante qui balayait tout et permettait de redémarrer sur les mêmes
bases.
Rajeunissant le système, la révolte pouvait venir réellement de la base
où être
lancée par le haut (comme en grande partie la révolution culturelle).
Le MPA
était une impasse. Cela explique également l'énorme difficulté
d'implantation
du MPC en Chine. Comme je l'ai déjà affirmé, il ne peut réussir cette
dernière
que dans la mesure où il a convergence dans la réalisation de la
communauté
despotique.
La
position des mandarins lettrés dans la communauté du MPA nous fait
comprendre
pourquoi il n'y a pas eu d'intelligentsia en Chine; pourquoi aucun
populisme
n'y était possible.
Le
livre plus récent de Simon Leys Ombres chinoises
Ed. 10/ 18. 1974,
apporte une autre confirmation à la thèse soutenue dans la lettre qui
précède.
Relevons, en particulier, ceci:
«s'il
est vrai que l'univers chinois a toujours représenté
les caractères d'une entité organique, ce n'est qu'à dater de
l'époque des
Ming que cette civilisation de la totalité a commencé à se faire
totalitaire. »
(p. 304)
Or,
ce qui est intéressant c'est que Balazs situe
approximativement durant le règne de cette dynastie (1368 à 1644) les
origines
du capitalisme chinois. Sans entrer pour le moment dans une étude sur
la
validité d'une telle affirmation, sur le plan historique et sur le plan
économique (parler du capitalisme pour la Chine!), je veux signaler ce
point
car il est essentiel pour la compréhension de la Chine actuelle.
En
outre, il est possible de considérer avec Simon Leys que l'orthodoxie
communautaire est posée comme moyen de sortir de l'animalité, que les
mandarins
étaient les garants de celle-ci (maintenant les hommes du parti; ceci a
une
certaine similitude avec l'URSS). Quand il n'y a pas orthodoxie, il y a
chaos,
anarchie, etc... Il faut reformation de l'unité supérieure,
restructuration de
la communauté despotique pour que réapparaisse la civilisation.
Le
thème de la « sortie de l'animalité » est peut-être encore plus
important en
Chine qu'en Occident. Il faudra y revenir.
Le
livre de Pasqualini, enfin, Prisonnier de Mao - Sept ans dans
un camp de
travail en Chine Ed. Gallimard. 1975 apporte, à partir de
l'étude d'une
autre réalité, une pleine confirmation à la thèse de la communauté
despotique
autonomisée.[1]
Ces
quelques
remarques simplement pour indiquer que l'étude de la Chine telle
qu'elle est
annoncée dans le n° 2. Série II. 1972 (cf. Aperçu
sur les travaux ultérieurs: de la
négation à l'affirmation est en cours, mais qu'il faudra beaucoup de temps pour qu'on puisse
produire quelque chose de convenable. (Novembre 1975).
[1] D'autres confirmations nous les trouvons dans l'enthousiasme pour ainsi dire unanime que la Chine suscite chez les chrétiens à la recherche de la communauté que l'Eglise n'est plus capable de leur fournir.