DIRE - VOIR - DIRE
Depuis
1992 la rédaction de Emergence de Homo Gemeinwesen
est interrompue. Cela n’est pas dû à un abandon délibéré de
l’investigation que
cette étude implique, mais à des raisons de devenir personnel (situer
mon comportement
théorique par rapport à tout ce qui advient en ce monde et à l’urgence
de le
quitter) et à la nécessité de réfléchir sur le point d"aboutissement du
mouvement du capital. Le lecteur trouvera un écho de ces
préoccupations dans
la partie finale de Communauté et devenir, édition
de Janvier 1994 et
dans Avertissement et dédicace 1995, texte qui
devait servir de préface
à une édition italienne d’un recueil de textes d'Invariance.
Toute
cette réflexion a eu son point d'aboutissement en juin 1996 à Bologne
et
au cours de l’été de la même année. À Bologne (15 et 16 juin) ce fut à
l’occasion
d'un colloque au sujet de Bordiga. Pour une fois j’ai accepté
d’intervenir, au
milieu de divers universitaires, parce que je sentais l'urgence de me
situer
(en tant qu’individualité et Gemeinwesen) non
seulement par rapport
à Bordiga mais par rapport à Marx et, par de là ces individualités
paradigmatiques, par rapport à tout le mouvement de refus de la
domestication opérant
depuis des millénaires, et ce en présence d'un certain nombre de
jeunes. Je
soulignais la grandeur de ce mouvement et son épuisement dans la
dernière
grande insurrection qui culmina en Mai-Juin 1968. Son obsolescence
nécessite à
la fois une réflexion profonde sur ce qui est advenu et une écoute
profonde en
chacun de nous de l’immense désir de libération, au sens précis de
sortir de ce
monde pour accéder à une dynamique de vie épanouissante. Je témoignais
d’un
immense possible de réalisation de cette dernière. Dans Epilogue
au Dialogue
avec Bordiga je devrais - si je parviens à le rédiger -
expliciter la
perspective qui fut alors exposée.
Au
cours de l’été 1996, je suis parvenu - particulièrement grâce
à l’apport de diverses personnes - à la conviction qu`il était possible
d’entreprendre
un cheminement libérateur au sein même de cette société communauté en
dissolution et que, pour cela, il faut partir du pôle individualité
(sans
omettre la dimension Gemeinwesen); ce qui implique une investigation du
devenir
humain où celle-ci occupe la place qui lui a été souvent niée ou qui
fut
escamotée.
Depuis
1993 c’est
François Bochet qui a assuré la parution d’ Invariance. Son œuvre
importante a
consisté
à mettre en évidence
l'apport de divers courants et individualités au phylum qui s’oppose à
la
domestication, fondement de Homo Gemeinwesen à venir. En outre ses
articles Prolétariat,
philosophie, Nature et Pensée, révolution, réaction
et catastrophes
sont de remarquables synthèses.
Je
voudrais signaler particulièrement les n° sur les naturiens
dont le premier parut en 1993 à peu prés au moment où se tint
la première
réunion de l'association Régénérer la nature.
L'apport des naturiens
nous permit de donner plus d’ampleur à l’interrogation sur le rapport
de l’espèce
humaine au reste de la nature. Cela nous fut utile également pour
apprécier la
contribution de mouvements récents comme celui de Deep Ecology
ou
l'écoféminisme. Un écho
sur
tout cela, ainsi que sur divers thèmes abordés
de
1990 à1996
se
trouve dans diverses
lettres envoyées à François
Bochet et
Flaviano
Pizzi que nous envisageons de
publier afin
de montrer
le
cheminement théorique poursuivi même s'il ne fut
pas
extériorisé dans des
publications.
Le
diagnostic qui s'impose à moi au cours de l’été 1996 est que
le mouvement de refus de la domestication est épuisé, que ce lui de
sortie de
ce monde est insuffisant. En même temps se concrétise en moi
l’implacabilité du
déroulement des évènements qui forment la trame de l’histoire depuis
des
millénaires. Il m’apparaît qu"au sein de ceux-ci ont opéré deux
attracteurs. Le premier fut celui de sortie du reste de la nature. Cela
veut
dire qu'à partir du moment où l’espèce se sépare de cette dernière il y
a
divers possibles qui surgissent dont celui de l’approfondissement de
cette
séparation, de sa réalisation plénière. C’est ce possible qui s"impose
en
tant qu'attracteur, de telle sorte que même les hommes et les femmes
qui
s"opposèrent à ce devenir, opérèrent en définitive dans son sens.
De
nos jours surgit un autre attracteur, celui d'une immergence
en la nature, d'une réunion au cosmos. On va constater que même ceux
qui
veulent absolument que l’espèce demeure distincte de tout le reste des
êtres
vivants, maintienne sa volonté de domination, accroisse la séparation,
vont
opérer à leur corps défendant dans une dynamique qui va favoriser la
réalisation d'une immergence. Ceci est lié à l’émergence de
l'individualité,
elle-même conditionnée par l’urgence de la mise en branle d'un procès
de
libération de la psychose produite et entretenue au cours dé
millénaires, afin
de pouvoir survivre au sein du devenir de séparation.
Le
but de cette nouvelle série d'Invariance est de
témoigner de ce mouvement et de la réalisation de la vaste immergence
dont la
nécessité a été affirmée depuis des années dans le cadre de cette
revue. Pour
cela il faudra dire comment cette psychose s'est imposée et a opéré,
voir
comment s'effectue la libération, pour à nouveau dire ce qui a été vu.
CAMATTE
Jacques
Janvier
1997