C’EST
ICI QU’EST LA PEUR,
C’EST
ICI QU’IL FAUT
SAUTER !
Pour
comprendre les dimensions de la crise dont tout le monde parle – fait
dont
l’advenue était jugée impossible il y a 20 ans, époque approximative où
Bordiga
la prévit[1]–
il faut considérer quelles furent les solutions apportées à celles de
1913-1945[2].
D’un point de vue général nous l’avons caractérisée comme l’ensemble
des
bouleversements économiques et sociaux nécessaires pour la réalisation
de
l’accession du capital à sa domination réelle sur la société. Depuis
1945,
celle-ci s’est opérée dans les aires les plus développées du MPC.
Synchroniquement, dans d’autres aires, la domination formelle du
capital sur la
société initiait. Étant donnée la grande résistance opposée à
l’implantation de
ce dernier nous avons connu la grande période troublée de 1945 à 1952
puis une
autre de 1954 à 1962. Au cours de ces années, il y eut élimination des
vieux
empires coloniaux (les derniers vestiges sont actuellement balayés avec
l’indépendance de l’Angola et du Mozambique) et, aux E. U.,
principalement, se
produisait un développement technologique considérable permettant une
rationalisation plus complète du procès de circulation du capital,
tandis que
la tendance à la réalisation de la totalité s’amplifiait à partir du
moment de
l’achèvement de la reconstruction de l’Europe, de la coexistence
pacifique
(1956) et de la montée de la Chine après 1960. Tous ces phénomènes se
produisant de façon plus ou moins chaotique sapèrent le vieil ordre et
entrèrent en contradiction avec les anciennes
représentations; leur
résultante: le capital tendant à imposer son être en tant que
représentation générale et, dans un second temps (la coupure entre les
deux, ne
peut pas être rigoureuse), à devenir pure représentation, se révéla,
profondément, lors de la crise monétaire de 1967 et dans le mouvement
insurrectionnel de Mai 1968, puis, au niveau même de la représentation
du
capital, lors des décisions de Nixon d’août 1971. Depuis, les
différents
phénomènes se somment en tant que secousse ébranlant le MPC, mais ils
se
produisent en ordre dispersé et ne semblent pas avoir de liens entre
eux.
Pourtant les publications du Club de Rome à partir de 1972, la "crise"
liée à
la guerre du Kippour, les données actuelles sur la récession en acte
aux E. U.
et qui s’étend à l’Europe occidentale[3]
attestent tous la nécessité d’une autre représentation pour que soit
assurée la
reproduction totale du capitale.
À
la crise de 1913-45 les remèdes furent (en dehors des deux guerres
mondiales)
la mise en œuvre du plein emploi, l’intervention de l’État: politique
des
revenus et welfare state, intervention dans l’établissement des taux
d’intérêt,
contrôle des investissements, etc. Autrement dit il y eut, comme
l’affirma
Bordiga dès la fin de la deuxième guerre mondiale, défaite des
fascistes mais
victoire du fascisme. Ce qui signifie l’accession, sous forme
mystifiée, du
prolétariat à classe dominante, son exaltation et son intégration dans
le MPC.
Ceci ne pouvait se faire qu’en fonction du mode d’être du
capital ; d’où,
par suite de la réalisation de la communauté matérielle, la tendance
toujours
plus poussée de faire des prolétaires des consommateurs, provoquant un
immense
développement du crédit.
Toutes
les modifications qui pouvaient avoir lieu dans le cadre du système tel
qu’il
se délimita à la fin du second conflit mondial se sont effectuées; il
est
devenu inadéquat. Les moindres secousses l’ébranlent, et les données de
la
crise, en dehors des phénomènes structuraux, disons intrinsèques et
communs aux
différents moments du capital qui ne peuvent connaître qu’une variation
quantitative (destruction de la nature, des hommes, épuisement des
ressources,
accroissement des nuisances, etc., ont pour origine les solutions
apportées à
la crise précédente.
On
a eu réalisation du plein emploi mais, vue la non-flexibilité des
salaires à la
baisse, on a tendance à l’inflation. Le maintien de ce plein emploi
s’oppose
souvent aux nécessités de modernisation-rationalisation du capital. En
outre,
avec le grand développement de capital fixe (automation)[4]
durant les années 50 et 70, il y eut un bouleversement considérable de
la
structure de la population qui entre en contradiction avec le rôle
privilégié
qui était reconnu au prolétariat dans la phase précédente.
Le
capital avait surmonté sa contradiction le posant par rapport au
prolétariat en
intégrant celui-ci (en intériorisant la barrière qui le limitait) mais,
par
suite de son développement qui a conduit à une dévalorisation du
travailleur,
cette barrière devient évanescente. La solution antérieure apparaît
comme un
obstacle à la reconnaissance de son nouvel être qui réclame une autre
représentation. Plusieurs phénomènes indiquent cette remise en cause du
travail, surtout du travail productif: la recherche du
travail à mi-temps
ou à temps partiel, la lutte contre les chaînes de montage reconnue
valable par
les dirigeants capitalistes eux-mêmes, de même que le refus du travail
récupéré
de façon plus ou moins immédiate, d'ailleurs, à l’aide des mesures
précédentes,
en même temps que celui-ci est généralisé et que, de plus en plus,
l’importance
d’un travail immatériel tel que celui des services est mise au centre
du
problème économique. Enfin maintenant, après 1972, le travail est
récupéré en
tant que manifestation de la créativité des êtres humains ce qui est en
liaison
directe avec la volonté de piller toute leur substance (leur capacité
productive matérielle ayant été depuis longtemps absorbée) avec la
proclamation
de la nécessité d’une production immatérielle qui se fonderait sur les
déterminations esthétiques voire "transcendantes" des êtres
humains. Par là se dissout totalement le caractère privilégié du
prolétaire-travailleur productif. Non seulement cela permet de
parachever la
disparition des classes mais cela élimine une représentation
anachronique.
Cependant les résistances sont grandes et de divers côtés, à droite
comme à
gauche, on parle encore du prolétariat comme d’une classe distincte,
opératrice, etc. Le MPC devra donc détruire le mythe qu’il a lui-même
repris à
un moment donné et qu’il a revigoré en le pervertissant, en le
réduisant à un
ensemble de données matérielles du mode de production en place, données
nécessaires à se propre exaltation car, sans travail salarié, il ne
pouvait pas
y avoir de production capitaliste (Marx).
Ainsi le MPC se trouve en face d’une population humaine en voie d’homogénéisation qui s’est énormément accrue et vouloir réaliser le plein emploi conduirait à une impasse[5] ; aussi y a-t-il tendance, pour éviter les troubles sociaux découlant du chômage, à assurer une sécurité économique grâce à un impôt négatif, "allocation de ressources à un être humain du seul fait qu’il vit " (Drouin). Une telle mesure, toutefois, est grosse de conséquences inflationnistes.
La
nécessité d’une intervention étatique s’est manifestée aussi dans les
pays les
plus développés mais ceci ne conduit pas, à l’encontre de ce que
pensent
certains, à un capitalisme d’État, puisque le capital s’est constitué
en
communauté matérielle[6].
L’État classique n’est qu’une entreprise particulière, souvent
anachronique au
regard du développement du capital. Les nations, nécessaires à l’aube
du
capital afin de détruire le particularisme féodal, de dominer le
prolétariat
(domination formelle), de le domestiquer et de l’intégrer (domination
réelle),
deviennent des cadres inadéquats au mouvement du capital. La
multiplication et
l’accroissement des firmes multinationales le signalent à suffisance.
Auparavant la non-intervention de l’État dans le cadre national aurait
pu impliquer
une explosion révolutionnaire car, poursuivant leurs intérêts
particuliers les
diverses entreprises pouvaient fort bien détruire l’intérêt général.
C’est ce
que l’on pu voir sur la scène mondiale avec le heurt entre les États
(sans
oublier que les guerres furent un excellent moyen de domestication des
prolétaires, des êtres humains). La création de la SDN, de l’ONU
ensuite, est
une tentative d’instaurer un État mondial apte à entretenir une
régulation du
capital à l’échelle mondiale. De nos jours, les véritables
quanta-capital
opérateurs sont les firmes multinationales chez qui le management est
fondamental et représente en leur sein l’élément État, à tel point que
celui-ci
ne peut perdurer qu’en faisant lui-même du management. La nation,
l’État ne peuvent
plus représenter le capital, car ils représentent en réalité des
éléments
contradictoires. D’ailleurs une chance de survie des nations est
peut-être dans
une spécialisation à outrance où finalement elles deviendraient le
support de
deux ou trois entreprises multinationales comme le propose Attali[7].
Ceci ne peut être qu’une phase transitoire avant l’absorption de toutes
les
nations dans une communauté capitaliste mondiale qui sera bien autre
chose
qu’un super-État comme voudrait l’être l’ONU.
Les
firmes multinationales s’opposent non seulement aux États mais à l’ONU.
Elles
joueront un rôle efficace dans sa restructuration et sa réorientation.
La
communauté mondiale du capital ne peut pas être l’expression de la
sommation des
États capitalistes, elle sera celle de tout le capital mondial. Or, les
firmes
multinationales se présentent comme les organismes les plus aptes à
manifester
la rationalité du capital, surtout maintenant que les conséquences
désastreuses
de son procès de production se sont fait sentir.
Les
difficultés d’intégration des pays de l’Est dans le marché mondial
ainsi que
celles découlant des résistances opposées à l’implantation du capital
dans
divers pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine imposent non seulement
une
autre stratégie globale mais une autre structuration du MPC afin de
pouvoir
résoudre toutes ses difficultés. Là encore les multinationales jouent
un rôle
qui ira en s’accroissant.
Sans
une unification mondiale la crise monétaire ne peut trouver de
solution, de
même que c’est par l’entremise de cette dernière qu’il y aura
effectivement
mondialisation. Ainsi les DTS ne peuvent fonctionner qu’à la condition
que la
représentation soit commune (et c’est ici justement qu’apparaît le
mieux la
crise) ; il ne faut pas, par exemple, qu’il puisse y avoir un
étalon
refuge comme l’or. Pour ceux qui soutiennent encore l’utilité du métal
jaune il
y a l’idée que celui-ci représenterait un "acte
définitif " (Fabra)
palpable en quelque sorte (vision physiocratique) ce qui n’est
réalisable qu’en
faisant accomplir un pas en arrière. Le capital est
mouvement; ce qu’il
produit ne s’en retire pas, il doit s’y maintenir. Au stade le plus
développé,
sa production c’est son mouvement-capitalisation. L’or représenterait
ce qui a
été produit réellement, matériellement: la plus-value. Or, étant donné
l’évanescence de cette dernière, découlant de la fictivité du capital,
de
l’immatérialité de la production, etc., l’or n’est plus nécessaire. Il
le
devient de moins en moins également en tant que signe de propriété sur
le
travail d’autrui, du fait de l’accession du capital à la communauté
matérielle
et à cause de la généralisation du salariat; le tissu social
tend à
devenir un ensemble de relations tellement interdépendantes que chacun
participe en quelque sorte à l’exploitation des autres et est exploité
par eux.
Le titre de propriété c’est le capital, la communauté, qui le détient.
Les
divers pays du globe n’ayant pas atteint le même stade de développement
du MPC,
le capital parvient difficilement à imposer sa propre représentation
d’où les
difficultés du système monétaire international (vraie crise de la
représentation) où le dollar joue un double rôle celui de
capital-monnaie
étasunienne et celui de capital-monnaie référentiel international.
Les
conséquences néfastes du procès de production (pollution, nuisances,
etc.)
réclament une autre exploitation de la nature et des êtres humains. De
là
l’essor de l’industrie antipollution, de la production immatérielle,
comme cela
a déjà été signalé, de la détermination esthétique des êtres humains,
de celle "religieuse" et même de la lutte contre le capital.
On a
développement d’un néo-christianisme fondé sur un certain renoncement
aux biens
de ce monde, exaltant le capitalisme de la faim après le soi-disant
capitalisme
de l’abondance… Il est clair que, dans ce contexte, divers courants
préconisant
une alimentation modérée (à base de fruits) et le jeûne en tant que
nécessité
de repos physiologique pour les organes de l’appareil digestif,
puissent être
récupérés (comme l’est Marcuse en ce qui concerne la
sensibilité-sensualité)
dans la mesure où l’on aura isolé ces "pratiques"
du reste d’une
conception globale des rapports des êtres humains à la
nature; dans la
mesure où l’on en aura fait des pratiques de survie.
La
vieille représentation doit disparaître. Elle comporte les éléments
suivants: devenir de l’homme de la pénurie à l’abondance, de
l’émergence
du sein de la nature (animalité) à un stade humain grâce à un
développement des
forces productives (idéologie de la croissance), progrès indéfini,
individualisation toujours plus poussée impliquant une émancipation
exacerbée
où l’individu se libère des différentes déterminations naturelles et
humaines
et devient une maison de commerce qui, grâce au capital-argent, peut
faire ce
qu’il veut dans les limites du système. Du point de vue immédiat elle
postule
le plein-emploi (généralisation du travail avec sa glorification) et le
développement de la propension à consommer; c’est l’État qui
facilite les
deux derniers phénomènes.
Une
mutation du MPC est en train de s’opérer. Elle réclame une nouvelle
représentation afin que puisse s’effectuer la reproduction de toute la
communauté du capital d’autant plus que son cycle économique ne peut
pas
prendre pour présupposition le résultat de celui antérieur.
La
nouvelle représentation est déterminée par la mise en évidence de
limites
matérielles au développement du capital, de ce fait il va surtout être
question
de gestion des produits de la terre et de l’activité des êtres humains,
ainsi
l’économie perdra sa dimension chrématistique qui répugnait à Aristote
et que,
sous d’autres formes, Marx fustigeait[8];
ce sera la fin de l’économie politique.
«Il faut réviser
totalement notre conception du "profit", et en
ranger les différentes
catégories selon un ordre différent dans l’échelle des valeurs
sociales.» (Quelles
limites ? Le Club de Rome répond… » Éd.
Seuil. p.140).
Elle attribuera
une
grande importance au collectif, l’individu étant programmé, ce qui
implique en
liaison avec ce qui précède, la gratuité et la réalisation d’un vaste
ensemble
mondial.
« Le
chauvinisme et
l’égoïsme des nations ne sont que des projections de l’égocentrisme, de
l’agressivité et de la volonté de puissance de l’individu humain. Il
est fort
probable que si, dans sa conception des rapports entre l’homme et la
nature,
notre espèce ne réussit pas le passage de la souveraineté nationale à
la vision
globale, elle se trouve finalement condamnée ; nous de même,
en tant
qu’individus, nous avons à subordonner une partie de nos intérêts
propres aux
besoins généraux de la société. » (Le rapport de
Tokyo sur l’homme et
la croissance. Éd. Seuil. p.85).
Intériorisation
des limites révélées par le devenir du MPC, idéologie de ne pas
exagérer, péché
écologique, nécessité de changer de comportement tels sont les éléments
de
l’éthique proposée par le Club de Rome. Mais la résignation à une vie
limitée
n’est-ce pas le lot de la majorité des êtres humains depuis des
millénaires?
Ici on en donne un fondement différent, de telle sorte qu’il n’est pas
possible
de mettre en évidence un autre mode de vie. Les théoriciens du MIT
raisonnent
sur l’homme réduit actuel et en déduisent leurs conclusions :
« C’est
ma
conviction profonde que l’esprit humain n’est pas apte à interpréter le
comportement des systèmes sociaux qui entrent dans la classe des
systèmes à
boucles de réaction multiples, non linéaires. » (Jay W.
Forrester, Comportement
antiintuitif des systèmes sociaux in Vers un
équilibre global,
édition italienne Mondadori. 1973, p.18).
Or
la pensée linéaire et binaire n’a pu s’imposer dans le cerveau des
hommes qu’à
la suite de leur domestication!
Ainsi
les théorisations du Club de Rome et du MIT constituent les éléments
d’approche
d’une nouvelle représentation du capital, elles n’ont rien à voir avec
le
communisme. Elles n’affrontent pas, non plus, les données profondes du
devenir
du MPC car elles relèvent de conceptions physiocratiques, c’est-à-dire
qu’elles
ne prennent en compte que la production matérielle et n’envisagent pas
l’immatérialité du capital. En fait, celui-ci développe une réponse qui
englobe
diverses réponses ponctuelles aux diverses questions que pose sa
situation
actuelle: l’inflation. Elle amortit les contradictions qui
pourraient
surgir des solutions parcellaires; elle permet de les
surmonter mais elle
n’annule pas le point d’aboutissement vers lequel tend l’ensemble de
celles-ci : un despotisme toujours plus féroce. L’inflation
c’est le
crédit global que le MPC se donne à lui-même et en cela le capital agit
bien
selon son être: toujours maîtriser le futur (ce qui implique
qu’il ne
peut y avoir de révolution que s’il y a réellement rupture avec la
représentation en place) ; tous les déséquilibres, toutes les
difficultés
sont escamotées par celle-ci avec toujours en perspective que demain
tout sera
résolu. L’inflation c’est l’imagination du système en ce sens qu’il
projette
une image de lui-même dans le futur, image où toute contradiction est
éliminée.
La crise de représentation commence bien en 1968. Là est le phénomène
patent de
l’anthropomorphose. Le MPC réalise un possible du devenir humain.
Simultanément
elle est indication de la grande difficulté qu’il a à tenir unis les
différents
moments actuels. La vieille représentation a perdu sa force
opérationnelle. La
solution passe par cette imagination où tout le monde peut se
reconnaître dans
un non-antagonisme. L’inflation réalise l’utopie en devenir du
capital :
les hommes et les femmes se reconnaissent en lui (sinon ils ne
pourraient pas
le supporter), même s’ils luttent contre lui ; d’ailleurs,
jusqu’à
présent, c’est toujours contre ses conséquences qu’ils se sont élevés.
L’inflation est fondamentalement anticipation :
« Bref,
l’anticipation est la racine et le fruit de l’inflation. Elle préside à
la croissance,
l’alimente et l’amplifie. » (Ronze « L’inflation
ou la démesure de
l’homme » in revue Études, article repris dans Problèmes
économiques n°1388).
Concrètement
notons que :
« L’économie
américaine est aujourd’hui assise sur une montagne de dettes de 2500
milliards
de dollars représentant toutes les automobiles, tous les logements,
toutes les
usines et machines qui ont fait d’elle l’économie la plus importante et
la plus
riche du monde. » (The debt economy,
article de la revue Business
Week du 12.11.74 publié dans Problèmes économiques,
n°1409).
L’économie
de crédit dont parlent les auteurs de l’article n’est qu’une autre
expression
pour indiquer la société inflationniste dont font état d’autres
économistes. Au
sujet de l’inflation on voit donc pointer, parmi les théoriciens de
l’économie,
l’idée qu’il s’agit d’une représentation. Ceci est dit de façon plus ou
moins
claire, plus ou moins percutante, soit dans le but de la définir, soit
dans le
but de lutter contre elle.
« L’inflation
est,
essentiellement, un phénomène lié aux comportements et donc aux
attentes des
agents économiques. La lutte contre l’inflation implique d’abord une
foi solide
dans la stabilité économique. » (Jean Mouly dans Revue
internationale
du travail d’octobre 1973, reporté dans Problèmes
économiques, n°1361).
Ceux
qui expliquent l’inflation par la demande ont tendance à faire de
celle-ci un
phénomène politique et par là ils veulent mettre en évidence
l’intervention des
hommes, de la lutte des classes, d’où leurs diatribes contre les
dirigeants
syndicaux considérés comme les créateurs du désordre.
L’inflation
est une autre indication de ce que j’ai nommé l’échappement du capital.
En
effet dans un premier temps, lors de sa lutte contre les modes de
production
antérieurs, le MPC apparaît comme un mode de production apte à faire
baisser
les prix des objets manufacturés ; une contradiction semble le
tenailler
au début dans la mesure où il réalise difficilement la même chose dans
le
domaine agraire. En fait il y a, dans les zones où le MPC est le plus
développé, parallélisme d’action entre les deux secteurs (cf. les E.U.
et la
puissance de leur agriculture qui, dès la fin du siècle dernier, fut la
cause
déterminante de l’hégémonie du capital étasunien et de la ruine de
l’Europe
comme le prévit Engels). Or, cette période est celle où le MPC se
développe sur
la base de la loi de la valeur et tend à la dominer. Quand il a
supprimé les
autres modes de production et réalisé la soumission réelle du travail
au procès
de production du capital, il peut intégrer la non-flexibilité des
salaires à la
baisse (moyen d’ailleurs de transformer pleinement le prolétaire en
consommateur et donc de l’immerger dans la rationalité du capital) et
de ce
fait il s’échappe des contraintes de la loi de la valeur. Cela aboutit
à une
grande crise qui est celle d’une représentation donnée des rapports
sociaux en
place. Comment la communauté matérielle du capital doit être perçue par
les
hommes afin qu’ils intériorisent le procès et en assurent la
reproduction. À ce
propos, il ne faut pas oublier que la crise a toujours été aggravée par
l’intervention des hommes essayant de faire passer le capital dans des
canaux
rigides tels qu’ils les concevaient en fonction de leurs
représentations.
Avec
l’inflation il semblerait qu’il y ait accord entre aspirations des
hommes, déterminés désormais par des siècles de développement
des forces
productives, et le capital. De même le crédit put se généraliser quand
il prit
l’homme pour sujet[9],
autre moment de
l’anthropomorphisation du capital. Par le crédit l’homme fut arraché à
l’immédiateté de sa vie matérielle; sa vie privée spirituelle
et morale
fut emportée dans le flot économique; cette vie fut
d’ailleurs soustraite
à la sphère purement privée pour devenir caution de la vie
publique:
moment de la désacralisation. Avec l’inflation on a un mécanisme de
déracinement total de l’espèce qui apparaît comme une libération
vis-à-vis de
l’immédiat du capital, moment nécessaire pour couper tout lien au
passé, et
l’emporter dans un tourbillon où elle perdra finalement tout souvenir
de ce
qu’elle fut pour, qu’ensuite, le désarroi installé, les hommes ne
puissent plus
se retrouver que dans la rationalité du capital. Détruire la pesanteur
du
passé, tel est toujours l’objectif de ce dernier. De là la nécessité
d’abstraire l’humanité entière pour qu’elle se place dans un mouvement
où
toutes les vieilles présuppositions s’évanouiront et où l’unique
référentiel
sera le mouvement du capital. L’aliénation concerne directement
l’espèce dans
sa totalité ; le dépouillement opère sur elle et non plus
seulement sur
l’individu car l’inflation est le moyen d’acheter l’espèce en lui
faisant
miroiter des lendemains travaillants et chantants. Par là c’est
l’aboutissement
de la volonté de l’homme d’être hors nature et nous pouvons être
d’accord avec
R. Ronze qui affirme que l’inflation est une expression de la démesure
de
l’homme, qu’elle est « le langage d’une société en
transformation ».
Il ajoute :
« L’inflation
est
alors le signe d’une nouvelle logique économique propre à la société
technologique évoluée. Fidèle à son projet d’emprise
« totalitaire »
sur l’individu, cette société passe aujourd’hui de la sécurité
sociale à
la sécurité économique (idée déjà développée par
Bordiga au sujet du
fascisme, n.d.r.) passage d’autant plus naturel que la seconde prolonge
et
développe la première. » (article cité).
La consommation
et le
loisir sont les deux éléments importants qui font pénétrer les êtres
humains
dans la sphère de l’inflation. Le loisir n’est plus le moment de temps
libre,
le temps de non travail ; c’est le temps de consommer car tout
doit être
vendu, consommé-consumé, d’où la généralisation de la non-jouissance,
de la
catégorie de l’éphémère qui permet l’éternisation du capital comme
l’avait pressenti
Marx dans les Grundrisse. L’être humain est donc de plus en plus pris
en tant
que consommateur, que prédateur de la communauté matérielle ;
c’est cette
dernière qui produit et qui offre à consommer : l’inflation
est incitation
permanente à quitter la sphère immédiate, à renier l’être-là et à se
propulser
dans un devenir sur le mode de l’acquérir évanescent.
L’inflation
réalise le
capital fictif, espèce de tissu conjonctif du capital total, système de
liaison
et d’articulation[10].
« Á
partir du
moments où les projets des différents partenaires sont incompatibles
seule
l’inflation permet de les rendre (artificiellement) compatibles entre
eux. Ce
faisant l’inflation ne supprime pas la lutte des classes. Elle
l’empêche de
dégénérer en guerre civile, donnant l’illusion successivement aux uns
et aux
autres qu’ils ont gagné. Elle apparaît ainsi comme le fruit de qu’on
pourrait
appeler l’instinct de conservation. » (Ph. Simonnot
« Pour une
théorie ludique de l’inflation ». In Bulletin de la S.P.G.F.
reproduit
dans Problèmes économiques, n°1373).
Il
s’agit en fait non d’une opposition entre différentes classes mais
entre
différentes composantes du capital qui tendent à s’autonomiser. Il
faudra, pour
résoudre la crise, enrayer cette autonomisation et assujettir tous les
agents-partenaires à la rationalité du capital en tant que totalité, la
communauté matérielle.
Dans
le phénomène de l’inflation se fait nettement jour le conflit entre
matérialité
de la production capitaliste et immatérialité, entre ce qui est fixe et
ce qui
est mobile, ce qui est unique et ce qui est indéfiniment reproductible,
conflit
déjà analysé par Marx au sujet de la valeur de certaines choses, mais
aussi au
sujet de la plus-value (dans ce cas le capital-argent pouvait être
l’immatérialité de ce qui fut ajouté à la production).
« Il
faut encore
retenir ceci : le prix d’objets n’ayant en soi aucune valeur,
c’est-à-dire
n’étant pas le produit du travail, comme par exemple la terre, ou, du
moins, ne
pouvant pas être reproduits par le travail comme les antiquités, les
chefs-d’œuvre de certains artistes, etc., peut-être déterminé par des
combinaisons très fortuites. Pour vendre un objet, il suffit uniquement
qu’il
soit monopolisable et aliénable. » (Marx, Le Capital Éd.
Sociales, t. 8, p. 25).
Le
capital parvient à rendre aliénable ce qui semblait ne pouvoir l’être
par suite
d’une impossibilité de mise en mouvement à cause des caractères de
l’objet,
ainsi de la terre ; avec l’achat et la vente de titres de
propriété
(phénomène de représentation) cela devient possible et c’est le moment
où
l’homme n’est plus lié à elle. Toutefois Marx fait une autre
remarque :
« Cette
propriété
naturelle qui est ainsi monopolisable est toujours attachée à la
terre. »
(Ibid., t. 8, p. 37).
Ce
stade est à son tour dépassé avec la création d’une agriculture
industrielle où
la terre n’est plus qu’un support de processus chimiques. Le capital
réussit
donc à séparer les qualités et à les accaparer. Il en fut de même du
travail
universel que Marx définit ainsi :
« Remarquons
en
passant qu’il faut faire une différence entre travail universel et
travail
collectif. Tous les deux jouent leur rôle dans le procès de production,
l’un se
fond dans l’autre et réciproquement, mais ils ont aussi leurs
différences. Le
travail universel, c’est tout le travail scientifique, ce sont toutes
les
découvertes, toutes les inventions. Il a pour condition, en partie, la
coopération avec les hommes vivants, en partie l’utilisation des
travaux de nos
prédécesseurs. Le travail collectif suppose la coopération directe des
individus. » (o.c. t. 6, pp. 121-122).
En
absorbant le travail universel[11]
le capital s’est gonflé d’immatérialité et a rendu moins essentiel
l’apport de
travail immédiat de chaque individu ; il a, en même temps,
accusé le
conflit indiqué plus haut.
Grâce
à l’argent, au crédit, à l’inflation, en un mot au capital, tout a pu
être
arraché et mis en mouvement. À partir de ce moment y a-t-il besoin d’un
accroissement continu d’une production matérielle ? Comme
l’art s’est
affranchi de la nature puis des formes en considérant que tout est
possible, le
capital tend à se développer en abolissant le référentiel matériel.
L’inflation
est un moyen d’y parvenir.
« Ce
que nous allons
peut-être vivre, c’est l’inflation à l’état pur (un autre économiste
parlait de
croissance nominale, n.d.r.), sans croissance. La situation est
révolutionnaire
dans tous les sens du terme. » (Ph. Simonnot, o.c.).
D’où
la peur de bon nombre d’individus à cause du phénomène lui-même et à
cause de
toutes les inconnues qu’il engendre.
Le
résultat de la mutation du capital sera une domestication complète –
entrevue
depuis 1968 – si les êtres humains n’abandonnent pas la communauté
capital,
d’autant plus que cette mutation a besoin pour s’accomplir des éléments
du mode
d’être du capital et de ceux apportés par les opposants, les
contestataires
(les écologistes par exemple).
Pour
en revenir au présent, il est bien évident qu’il n’y a pas,
économiquement
parlant, possibilité de crise conçue comme moment d’écroulement du
système. Ce
qui ne nie pas l’éventualité de catastrophes dues aux conséquences du
procès de
production du capital. Il suffirait de variations climatiques de faible
amplitude pour révéler la destruction des sols et amener un
déséquilibre
considérable causant une diminution de la production agricole, donc une
famine; de graves épidémies au sein du cheptel sont également
possibles à
cause de l’insémination artificielle et de l’emploi des antibiotiques,
etc.
Pour
les partisans d’une technologie progressant de façon exponentielle
(comme le
définissent les défenseurs du projet du MIT), il n’y a qu’une pause
momentanée
dans la croissance. En ce qui concerne les matières premières, il est
évident
qu’il y a encore des ressources au fond des mers et même au sein de la
terre,
que l’énergie géochimique captée à grande profondeur peut apporter une
solution
à sa pénurie, etc., cela ne pourra qu’engendrer une inflation par les
coûts
(dès maintenant le prix du pétrole ne peut plus diminuer afin de rendre
rentables d’autres sources d’énergie; inflation et
anticipation sont
liées!). Dans cette optique technologique, on peut très bien
imaginer une
planète portant 100 milliards d’êtres humains et la disparition de
toute vie
autre qu’humaine; l’oxygène étant produit par les usines[12].
Lorsque tout référentiel disparaît et qu’il est remplacé par le progrès
indéfini (pléonasme voulu puisque le concept de progrès contient
l’indéfini),
il ne reste que l’échappement, le désir sans fin, débouchant dans
l’absurde du
point de vue humain. Et cette perte de référentiel est absolument
nécessaire
pour que l’humanité s’abandonne totalement au mouvement du capital.
Très
proches des précédents, en définitive, sont les groupuscules qui
affirment que
la crise est en réalité du bluff, position symétrique à celle
considérant comme
inévitable un écroulement prochain du MPC. Dans un cas le capital est
l’apprenti sorcier, dans l’autre le démiurge parfait ! Selon
ces groupes
l’homme n’est pas immédiatement menacé; la crise concerne
uniquement le
capital. La classe dominante s’en sert comme d’un épouvantail, comme
d’un
chantage pour pouvoir faire accepter l’installation de centrales
nucléaires ou
l’implantation d’oléoducs comme celui de l’Alaska; ce qui
implique tout
de même qu’il y a des problèmes réels d’approvisionnement en énergie.
Ceci est
d’autant plus vrai que les gens qui ont cette position raisonnent en
fonction
de la logique du développement des forces productives. Il est certain
qu’il y a
utilisation de la crise. Ainsi celle d’octobre 1973 fut fomentée de
toutes
pièces par les firmes multinationales et les E.U. On a répétition de ce
que fit
la classe dominante allemande dans les années 20:
l’utilisation de la
crise comme d’une arme contre le prolétariat, ce que mit en évidence le
KAPD au
troisième congrès de l’Internationale Communiste. Mais il ne faut pas
oublier,
non plus, que la classe dominante ne pu maîtriser le phénomène et
surtout
qu’elle ne se rendit absolument pas compte qu’elle favorisait la
naissance et
le triomphe du nazisme, mouvement nécessaire à la réalisation de la
domination
réelle du capital sur la société et sur la classe dominante d’alors, la
vieille
bourgeoisie qui, depuis lors, commença à disparaître.
Il
y a, sans aucun doute, manipulation de la crise, mais les faits sont
là. Il ne
peut y avoir qu’un infléchissement des phénomènes dans une certaine
direction.
Celui-ci peut, pour le moment, favoriser certains groupements mais, à
plus long
terme, il débouchera (sauf révolution) dans un renforcement du
despotisme du capital
au sein duquel disparaîtront beaucoup d’organisations qui, à l’heure
actuelle,
ont une certaine autonomie, une certaine possibilité de
dominer ; tel sera
le cas, dans une perspective plus éloignée, des États nationaux.
Si
on nie l’épouvantail-crise agité par les gens du Club de Rome ou par
certains
partis du secteur capitaliste, il n’en reste pas moins que des faits
bien
concrets demeurent: la surpopulation, non seulement en Asie
mais en
Europe; surpopulation qui peut inhiber le mouvement de
réinsertion des
êtres humains dans la nature, tout au moins le ralentir
dangereusement;
les nuisances diverses, la destruction de la nature avec la disparition
accélérée, depuis le début du siècle, de diverses espèces animales et
végétales
sans qu’elles puissent être remplacées, comme cela se produisit aux
époques
géologiques (remplacement des reptiles par les mammifères, par
exemple). Où
vivaient animaux et végétaux fleurit, exubérant, le béton, monstre
froid
tentaculaire.
Il
est évident que la surpopulation[13]
est un gros problème pour le capital. Les êtres humains apparaissent
comme sa
pollution; plus la population est nombreuse plus il peut y
avoir un
antagonisme avec celui-ci, surtout lorsqu’elle est jeune. Elle encombre
son
procès de production qui tend à l’automation. Mais le phénomène est
double car,
simultanément, la surpopulation est un moyen de domestiquer les hommes
en les
entassant dans les prisons que sont les grands ensembles où ils perdent
toute
communauté et tout rapport réel avec la nature (ce qui en reste).
Surpopulation
et urbanisation vont de pair avec la réduction des êtres humains à
particules
insignifiantes. Plus la population s’accroît moins il est possible de
pouvoir
penser selon la Gemeinwesen (communauté) ; il y a un phénomène
de destruction
de l’humanité en même temps que perte de sa diversité dans le monde
puisque
bientôt, sur la planète, il n’y aura plus que des hommes soumis au
capital.
Affirmer
que tout cela est uniquement problème pour ce dernier revient en
définitive –
étant donné que, souvent, le caractère plus ou moins capitalisé de
l’espèce est
reconnu – à prendre une position manichéenne et à poser la
dualité: ceux
qui savent et ont fui l’influence du capital et les autres. Comment
détruire la
capitalisation de ces êtres (sans les détruire) ? Si cela
réussit,
demeurera encore la surpopulation qui, évidemment, dès lors, pourra
être
affrontée de façon humaine.
En
outre, le capital n’est pas quelque chose venu d’on ne sait où. C’est
un
produit humain; l’anthropomorphose le prouve amplement.
La
position de ces groupes est fondée sur le postulat que la révolution
n’existe
qu’à partir du moment où il y a rupture du système et que ce n’est qu’à
partir
de ce moment-là qu’il est possible de vraiment s’attaquer aux divers
problèmes
qui ne sont donc reconnus qu’a posteriori. Mais accepter ce postulat
c’est se
condamner à l’inaction tandis que le capital tend à résoudre ces
derniers à sa
façon. Dans le programme communiste tel que l’envisageait Bordiga, il
était
clair qu’il fallait obligatoirement, après la révolution, que les pays
développés donnent aux pays pauvres, placés à un stade moins avancé de
développement des forces productives, produits et machines et même
savoir-faire
technique, pour que le communisme puisse se généraliser à l’échelle
mondiale.
De nos jours le Club de Rome propose quelque chose de similaire afin
que le MPC
n’explose pas, afin d’éviter l’apocalypse. Encore une fois le capital a
pillé
le programme, mystifié l’élan au communisme. Il le réalise en lui ôtant
tout ce
qu’il avait d’humain. Ridiculiser la proposition du Club de Rome
revient à
ridiculiser le programme communiste tout en laissant pleinement de côté
la
question de savoir pourquoi le capital peut – après les avoir vidées de
leur
contenu humain – réaliser des mesures tendant au communisme. Parce que
ce
dernier était conçu comme moment du plein développement des forces
productives.
Ce sont ceux qui sont les plus acharnés à défendre la technologie, dont
ils
postulent la neutralité, et la science qui serait en définitive
innocente, qui
maintiennent cette conception du devenir au communisme. On est, dans ce
cas, à
des degrés divers, sur le terrain où se sont placés anarchisme et
marxisme[14]:
la science est une nécessité pour l’émancipation des êtres
humains ; la
bourgeoisie ne peut pas lui permettre de jouer pleinement ce
rôle ; une
classe révolutionnaire accomplira l’œuvre immanente, pour ainsi dire
inscrite,
dans la science.
Il
faut penser le devenir à la communauté humaine[15]
dans une très grande diversité depuis les dernières communautés plus ou
moins
archaïques encore existantes jusqu’aux communautés humaines rompant
avec le
capital.
Nous
avons individualisé une des causes du mouvement de Mai-68 dans le
déséquilibre[16]
qui s’était opéré aux E.U. en 1967, début de la manifestation de la
crise
monétaire encore en cours maintenant. C’est en quelque sorte une autre
définition de la crise. Elle a l’avantage de démystifier son
importance, ses
effets révolutionnaires grandioses et de noter tout de même ce qui peut
correspondre
à une certaine réalité. Il est bien certain que si le MPC ne rencontre
plus de
phase critique, la révolution devient fort improbable, voire
impossible. Mais
il est également certain que l’existence de telles phases n’est pas
suffisante
pour produire la révolution, si les hommes et les femmes conservent
leurs yeux
d’antiquaire et voient la crise sur le mode de celle de 1929, se fient
à un
évènement extérieur pour que se déclenche le processus révolutionnaire.
Il ne
s’agit plus de lutter contre le capital mais de se placer hors de sa
dynamique.
Les ratées de celle-ci ont un rôle très important dans la production
des
révolutionnaires ; les analyser et en démystifier les vertus
subversives
intégrales, c’est-à-dire génératrices du grand soir, permet de rester
en
contact avec tous ceux qui n’ont pas pu effectuer le pas nécessaire. Il
ne
s’agit pas de se mettre dans un ghetto en faisant une anti-organisation
dans un
au-delà mythologique du capital.
Avec
Mai-68 on a eu émergence de la révolution et mise en branle sur une
échelle
mondiale de la production de révolutionnaires. La rupture d’équilibre
actuelle
ne peut qu’élargir le cercle de ceux-ci. Elle doit également provoquer
en eux
une radicalisation par une recherche vraiment à la racine de ce qui
cause
l’incapacité des hommes et des femmes à abattre, comme ils le
voulaient, le
MPC ; susciter leur propre remise en cause. Pour le moment, ce
qui se
manifeste, c’est seulement un certain recul du fait que tout ce qui
pouvait
être solide s’est effondré et qu’aucune dynamique n’est encore
concrètement
apparue et ne le peut dans l’immédiat. En outre rien de plus
conservateur que
les révolutionnaires car ils s’attachent avec acharnement à un schéma,
planche
de salut pour tous les temps et, lorsqu’une certaine faille se produit
dans la
société, ils se replient sur eux-mêmes, eu lieu de se débarrasser de ce
schéma
inhibiteur.
Il
est nécessaire d’intervenir, dans la mesure où c’est possible, au
moment de ces
ruptures afin d’amplifier le phénomène de production des
révolutionnaires
puisqu’il n’y a pas de certitude rigoureuse qu’une quelconque crise
économique
puisse engendrer un mouvement insurrectionnel de vaste ampleur. C’est
ce qui
s’est produit depuis 1913 et le nouveau Moyen-Âge dont parlent certains
auteurs
italiens (qu’ils situent dans un proche avenir), l’époque de barbarie
que
redoutaient Adorno et l’école de Francfort, ont commencé depuis lors.
Les
diverses crises ont provoqué la mort de la société bourgeoise mais les
forces
qui s’opposaient à elle furent incapables de s’imposer et de permettre
le
triomphe du communisme. Il s’en est suivi une période trouble où ce qui
fut
déterminant c’est le devenir du capital à la communauté matérielle
(réalisation
de la domination réelle) dans l’aire occidentale ; le moment
que nous
vivons est celui où l’instauration de cette communauté risque de se
parachever
à l’échelle mondiale et de devenir définitive, ce qui impliquerait la
disparition de l’espèce humaine. Ainsi, pour reprendre la comparaison
des
auteurs italiens, lors de l’effondrement de l’empire romain les
révolutionnaires de l’époque furent incapables d’imposer la formation
d’une
communauté humaine par suite de leur propre faiblesse mais aussi à
cause de la
puissance du phénomène mercantile déjà amplement développé à l’époque,
de
l’inféodation de l’Église au pouvoir établi, de la faiblesse des
communautés
barbares qui avaient été perverties au cours de leurs migrations et
contaminées
au contact de la civilisation gréco-romaine. Il fallut plusieurs
siècles pour
que s’instaure la communauté féodale au sein de laquelle le mouvement
de la
valeur d’échange était banni.
Les
moments les plus troubles de l’histoire humaine sont ceux où s’effondre
une
communauté naturelle ou médiatisée et que s’impose la formation d’une
nouvelle.
L’époque est d’autant plus instable, remplie de violence, elle
nécessite une
durée d’autant plus longue pour parvenir à une solution, que
l’opposition entre
le désir profond des êtres humains à créer une communauté humaine et le
mouvement de la valeur d’échange, puis du capital, est d’autant plus
floue.
Depuis près d’un siècle on considère le communisme comme la réalisation
d’un
processus interne au capital : le développement des forces
productives qui
permettra enfin d’abolir l’aliénation en assurant à tous une vie
matérielle
correcte compatible avec des exigences humaines, et non comme
l’instauration
d’une Gemeinwesen (communauté) humaine, comme l’avait affirmé le jeune
Marx.
Les évènements qui se sont déroulés depuis 1913 ont balayé la première
conception
et imposé la seconde, la seule qui soit apte à permettre aux êtres
humains de
poursuivre leur vie dans le cosmos ; qui fait ressouvenir de
leur vieux
désir communautaire, tout en lui donnant consistance nouvelle.
Parmi
les moments agités et cruciaux que vécut l’humanité (humanité, plus ou
moins
vaste car dans certains cas cela n’affecte qu’une portion de celle-ci),
on peut
indiquer celui qui nous est présenté comme la période du déluge, la fin
des
grands empires tels ceux d’Akkad, de Rome, l’époque des royaumes
combattants en
Chine, les moments de la décomposition de la communauté féodale à la
suite de
la surpopulation provoquant des difficultés agraires qui sont à la base
des
peurs de l’an mille, des croisades. Maintenant, en plus de la peur
ancestrale
que ces faits ont pu laisser au sein des êtres humains, il y a celle
d’une
apocalypse bien concrète dont on a pu avoir des phénomènes
prémonitoires lors
de la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki et, plus près de nous, le
phénomène de désertification du Sahel.
La
peur qui gît au cœur du monde a bien d’autres sources. La disparition
des
référentiels, des valeurs ; plus de parti révolutionnaire,
plus de classe
devant assurer l’émancipation, donc dissolution de tout
« idéal », ce
qui inhibe tout mouvement ; la perversion du socialisme et du
communisme
car ce qui a été déclaré, réalisé en tant que tel s’est révélé comme
une prison
plus ou moins dorée : la Suède ou l’URSS ! Peur que
tous les rêves ne
se transforment en cauchemars, comme le communisme transformé en un
système de
camps de concentration et d’asiles psychiatriques.
Les
êtres humains ne parviennent pas, d’une part, à puiser des forces en
eux-mêmes,
à se resubstancialiser, à réacquérir leurs dimensions perdues, d’autre
part, à
concevoir le mouvement vers la communauté humaine en sa totalité et en
ses
unités-diversités ; ils ne perçoivent qu’un néant et, en
conséquence,
appréhendent à se lancer dans un mouvement quelconque. C’est la perte
de tout
élan, de tout enthousiasme. Mais, plus profondément, il y a la
sensation d’une
insécurité profonde. L’être dans le monde n’est jamais assuré car tout
ce qui
est, est sujet à caution, et le monde lui-même dans son absurdité ne
peut
rassurer les êtres. Si, dans les communautés primitives, les êtres
humains
recouraient à la magie pour avoir confirmation de la réalité de leur
existence,
de leur être dans le monde[17],
il ne reste, à ceux d’aujourd’hui, qu’à rechercher réalité et vie dans
différentes sectes religieuses surgies au cours de ces vingt dernières
années.
Le refuge dans la religion est conjuration de la peur.
La
méconnaissance de la dynamique conduisant à la communauté[18],
doublée de la méconnaissance réciproque des êtres humains est
paralysante. On
l’a souvent signalé, le racisme commence dès que l’altérité, la
diversité d’un
être humain est vécu comme une agression, comme une remise en cause,
car elle
mine les référentiels profonds, cachés, obscurs, ceux qui donnent
certitude de
la présence de l’être dans le monde; si ces référentiels sont
bafoués, toute
réalité semble s’évanouir. Le terrorisme manifeste souvent la peur de
l’autre ; le détruire semble être le seul moyen de conjurer
cette peur qui
est en même temps angoisse à cause de la perte de la sécurité de l’être
dans le
monde.
L’existentialisme,
en son temps, a fort bien exprimé l’angoisse sociale de cette perte de
sécurité, mais, actuellement, le mal est encore plus profond parce que
tout est
remis en cause. Ce n’est plus l’existence immédiate telle qu’elle peut
être
déterminée par les rapports sociaux actuels, mais l’existence dans sa
dimension
historique, dans la tradition des êtres humains ; la religion,
la science,
l’art sont reconnues mortes, ne reste qu’un vide orné de désirs,
c’est-à-dire
quelques impulsions à être, à vivre. La recherche de la satisfaction
effrénée
de désirs n’est peut-être qu’une attitude conjuratrice de ce vide.
L’inflation
verbale plus souvent, d’ailleurs, que gestuelle ou pleinement
pratistique est,
comme dans le cas du capital, une tentative de créer quelque chose
au-delà de
la sphère immédiate en escamotant les difficultés du présent.
L’humanité
doit faire le saut – possible depuis longtemps – c’est-à-dire rompre
avec la
dynamique surgie lors de la rupture avec la nature, avec la communauté
et
emprunter une autre voie ou bien elle sera assujettie à un rêve fou –
vouloir
dominer la nature, être en dehors d’elle – qui se réalise avec le
capital et
qui aboutit à sa totale sujétion en courant de multiples risques de
destruction
dont les plus graves sont écologiques. Mais c’est de ce saut qu’elle a
peur; ce qui engendre un recul sur des positions antérieures,
sur des
moments précapitalistes qui ont été antagonistes au capital. Les êtres
humains
dans leur volonté de s’opposer à celui-ci, de le détruire, privilégient
en définitive
des périodes du passé qui ne furent souvent que des présuppositions à son
devenir. Ce faisant la lutte est dévoyée et les êtres humains
n’affrontent
pas les question réelles. Adorno, en revendiquant une société réglée
par
l’échange égal en est un bon exemple, de même ceux qui défendent la
démocratie
comme un moindre mal, les mouvements régionalistes et tous ceux qui
veulent
éliminer les conséquences dévastatrices du MPC en conservant sa
rationalité.
Beaucoup de groupes gauchistes ont peur de remettre en question
l’outil, la
machine, la technique et refusent de considérer la science comme une
simple
thérapeutique pour une pathologie de l’action humaine.
Ces
positions de repli sont multiples du fait qu’en arrivant au moment de
mutation
où nous sommes, une foule de contradictions, qui se sont manifestées
aux
époques antérieures et ne furent qu’englobées, réaffleurent de façon
plus ou
moins virulente. Certains individus peuvent se polariser sur ces
contrastes
secondaires et édifier là-dessus théorie et pratique. Ils se seront
seulement
mis en dehors du mouvement réel, même s’ils s’opposent s’ils
invectivent et, ce
qui peut souvent arriver, s’ils s’adonnent au terrorisme. Ce dernier se
manifeste fréquemment au moment où rien n’est possible ou ne l’est pas
encore,
au moment où la confusion est telle que la seule attitude pouvant faire
jaillir
quelque chose semble être une affirmation implacable de la violence. Le
terrorisme c’est l’impasse et c’est la possibilité pour le capital
d’éliminer
tranquillement des éléments perturbateurs.
Il
y a donc une peur du futur, soit celui chanté par Toffler, parce qu’il
apparaît
comme exacerbation de ce qui se manifeste déjà, soit celui que nous
pouvons
prôner parce qu’il est inconnu et qu’il implique le rejet des vieilles
représentations. Aucun terrorisme, aucune contre-peur ne peut faciliter
la
perception de ce devenir que nous envisageons. Pourtant il faut se
hâter car
nous sommes parvenus à un moment où une décision rapide s’impose.
Nous
avons tenté de mettre en évidence en quoi consiste la communauté
matérielle du
capital et le déterminisme qui opère en elle, non pour reconnaître
qu’il est
difficile de faire quoi que ce soit à cause de ce déterminisme, mais
pour le
refuser. Il est clair que, dans une pratique concrète de tous les
jours, ce
refus est difficilement réalisable, mais cela n’élimine pas la
possibilité, au
moins, de l’affirmer et, par là, de rejeter tout compromis avec la
dynamique de
la lutte anti-capitaliste qui ne fait que nous engluer dans la
communauté
matérielle.
On
a, à plusieurs reprises, souligné à quel point la conscience était, la
plupart
du temps, conscience répressive et que la pensée retardait énormément
sur la
réalité. Là aussi l’absence d’adéquation entre ces deux éléments, les
porte-à-faux,
sont générateurs d’angoisse, de peur, ne serait-ce qu’en tant
qu’appréhension
de ce qui peut advenir. Plus globalement on ne peut être que
douloureusement
impressionné de constater à quel point une espèce qui se vante d’être
supérieure, qui se targue de sa pensée, de sa conscience, n’accomplira
un
mouvement générateur de vie que contrainte et forcée. La pensée aura
été
inefficiente. Il n’y aura eu, ainsi, aucune générosité de vaste ampleur
pour
mettre fin à un devenir qui depuis plus d’un siècle n’engendre que
guerres,
aliénations, destructions des êtres humains et de la nature. Il faudra
aller
jusqu’au bout de l’abjection pour que, menacée dans son existence
biologique,
elle se "décide " enfin à se révolter.
Même
au moment où la situation sera favorable par suite d’un affaiblissement
de
toutes les contraintes, il n’est pas dit, encore, que l’espèce soit
capable de
vraiment se rebeller tant elle aura été domestiquée. Cette peur de la
trop
grande domestication possible détruit toute espérance qui n’est que
suicide
planifié et étalé. Un problème urgent se pose, ici et maintenant. On ne
peut
pas attendre que la révolution ait éclaté pour entreprendre quelque
chose. Il
faut prendre au sérieux l’injonction de Bordiga: se comporter
comme si la
révolution avait déjà eu lieu; il n’y a plus d’expériences à
faire, à
subir, qui seraient génératrices d’idées, de comportements nouveaux. Il
est
clair, encore une fois, que dans l’immédiat, pratiquement, les
possibilités
sont réduites mais on peut au niveau de l’affirmation être le plus
radical
possible en balayant toutes les représentations anciennes et en
remettant
vivement en cause le mouvement intermédiaire entre communautés
primitives et
communauté humaine à venir. Il faut, dès maintenant, entrer dans
l’autre voie
qui permet de se sauver et de constituer un pôle énergétique humain
d’une part
en puisant dans toute l’histoire les charges qui ont été émises lors de
la
rébellion contre le devenir du capital, d’autre part en portant à terme
une
convergence entre les différents éléments, non pour proclamer une
solidarité
révolutionnaire car celle-ci implique que les éléments sont atomisés,
séparés,
et qu’une certaine « éthique » permettra de les
réunir. Non, il
s’agit de trouver la communication immédiate entre humains. C’est cela
qu’il
faut acquérir, qui fait défaut et rend impuissants tous les
groupements. Les
hommes et les femmes se réunissent pour lutter contre quelque chose et
c’est
cet ennemi qui les unit, mais dès qu’ils doivent affronter leur
positivité, leur
œuvre réellement humaine, il y a faillite parce qu’ils n’ont plus de
dimension
humaine, ils sont trop étrangers les uns aux autres, trop réduits à
particules
du capital, inexpressives si ce n’est dans le champ d’action de
celui-ci. La
difficulté à communiquer dérive à la fois de l’absence de contenu des
êtres
humains et de la présence de diaphragmes que sont les représentations,
les
rôles, les caractères, etc.
La
peur sous ses formes multiples peut conduire à une rébellion mais elle
est en
même temps inhibitrice ; elle paralyse l’élan qui ne peut
engendrer tout
ce qui devrait être. Il faut la reconnaître à la façon dont Marx disait
qu’il
fallait avoir honte de la situation sociale où il se trouvait, non pour
réaliser une prise de conscience, mais pour rompre avec une dynamique
qui nous
broie. Étant donné que nous sommes parvenus à un point où en quelque
sorte,
l’espèce est prise au mot de son discours sur la conscience, sur la
pensée, sur
ses possibilités, sur son rapport à la nature et, qu’au fond, les
données de la
solution résident en elle, il ne reste qu’à paraphraser le vieux
proverbe latin
tant prisé d’Hegel et de Marx et dire à nous tous :
« C’est ici
qu’est la peur, c’est ici qu’il faut sauter ! »
Jacques CAMATTE
Mars
1975
[1] On peut trouver
cette prévision dans
différents textes de A. Bordiga. Dans Le cours du capitalisme
mondial dans
l'expérience historique et dans la doctrine de Marx (in
il
programma comunista fin 1957 et début de 1958), il a
donné quelques
éléments étayant celle-ci. Beaucoup de passages anticipent ce qu'ont
écrit, 15
ans plus tard, les gens du Club de Rome. On a publié dans Invariance n°
3,
série I et dans le n° spécial de 1968, de courts extraits où cette
prévision
était énoncée. Nous essaierons dans un prochain n° de rassembler tout
ce que
Bordiga écrivit d'important à ce sujet et le confronterons avec les
évènements
en cours.
[2] Dans les n° 2
et 6 de la série I on
trouvera le pourquoi d'une telle périodisation.
[3] On ne peut plus
nier la récession :
il y a bien diminution de la production, du produit national brut,
baisses
spectaculaires de la bourse, augmentation du chômage ; en outre, on a
eu, à la
fin de la décennie 60 et au début de celle de 70, une forte
augmentation des
salaires, phénomène qui, selon Marx, précède inévitablement la crise.
Toutefois
la diminution des prix de gros – autre indice important de la crise
selon A. Bordiga
– ne s'est pas vérifiée.
[4] Certains
auteurs se sont fondés sur
ces phénomènes technologiques pour expliquer les crises; c'est la
théorie des
cycles longs. C'est une représentation, au sens étroit du terme, d'un
phénomène
réel, mais elle tend à le surévaluer et à faire du capital quelque
chose de
purement technologique.
Marx avait déjà explicité le
renouvellement du capital fixe comme étant un moment de crise pour le
capital.
J'ai abordé cette question dans le n° 2, série I. Ce qu'il y a
d'important dans
le cycle-crise actuel c'est également un autre phénomène étudié par
Marx dans
le deuxième Livre du Capital: celui de l'avance
nécessaire de
capital-argent pour amorcer le cycle d'échanges des produits fabriqués
dans les
sections I et II de
la production
sociale du capital. Ainsi pour que le cycle des échanges s'amorce il
suppose
qu'un capitaliste de la section I, par exemple, avance 500 L. Il est
évident,
qu'à la suite d'une série d'opérations, ces 500 L. lui reviennent et
Marx
insiste sur le fait que ce capital argent est avancé et non dépensé.
Avec le
plan Marshall, à la fin de la guerre 39-45, on peut considérer que les
E.U. ont
fait une avance de capital à l'Europe. Il ne s'agit aucunement de don.
Les
dollars avancés devaient revenir aux E.U.. Ce qui se produisit et causa
ce qui
a été baptisé une pénurie de dollars, un manque de liquidités. Il
aurait fallu
en quelque sorte un nouveau plan Marshall. Or, pour des raisons qu'on
ne peut
aborder ici (indiquons seulement : une libération de capital, au sens
où
l'entendait Marx, se produisit aux E.U.), les étasuniens commencèrent à
ne pas
rapatrier leurs dollars à la fin des années 50. Il se constitua le
marché des
eurodollars. À peu près à la même époque les européens et les japonais
commencèrent à devenir plus compétitifs ; en outre beaucoup
d'entreprises
étasuniennes à l'extérieur des E.U. vinrent concurrencer les
autochtones. Il en
est résulté ce que nous avons appelé une crise de la représentation due
au
contraste entre le rôle du dollar en tant que représentant du capital
étasunien
et son rôle en tant que représentant du capital mondial.
Ensuite un autre phénomène s'est
fait jour: le renchérissement des matières premières d'où encore
nécessité
d'une avance par un partenaire capitaliste quelconque. C'est ici que
les
pétro-dollars pourraient servir à l'opération, c'est ce que les E.U.
voudraient faire en
les recyclant à leur
façon
[5] Dans une série
d'articles publiés
dans les n.° 15 et 16 du Daily Telegraph sous le
titre de Inflation's
path to unemployment et repris dans Problèmes
économiques
n° 1.399, F. Von Hayek prix Nobel d'économie 1974 avoue qu'on ne peut
pas
assurer le plein emploi. C'est un aveu d'impuissance surtout après la
soi-disant révolution keynésienne et le développement de l'économie
post-1930.
Il fait remarquer :
«La première condition à remplir
pour éviter un tel sort, c'est d'affronter les réalités et d'amener la
majorité
de la population à comprendre que, après les erreurs que nous avons
commises,
il est tout bonnement impossible de maintenir le plein emploi».
Le plein emploi fut considéré comme
la panacée pour lutter contre le chômage dont l'accroissement
intempestif fut
responsable des troubles sociaux des années 20. Aussi pour les éviter
les
capitalistes préfèrent-ils recourir à une autocritique en paroles mais
que nous
devons réaliser : nous nous sommes trompés, vous devez réduire votre
consommation car la demande excessive entraîne l'inflation ! Les divers
pouvoirs étatiques ont plutôt peur de prendre des décisions d'autant
plus que
les syndicats inféodés dans le système capitaliste sont une force
défendant un
stade antérieur du MPC. Il y a une inhibition du développement de ce
dernier à
cause du pôle travail du capital. Maintenant que le prolétariat est
intégré il
faut qu'il joue le jeu du capital. Ses vieilles organisations qui
rendent
rigides le fonctionnement du système devront être modifiées ou
disparaître. Ceci
sera facilité du fait même que la grève, arme des syndicats, devient de
plus en
plus inefficace et, au lieu d'être, comme autrefois, un moyen d'unir,
elle est
un élément de désunion des travailleurs.
[6] Cf. à ce sujet
le n° 2 série I
d'Invariance; Le VI Chapitre inédit du Capital et
l'œuvre économique
de Marx . Ce texte a été republié dans Capital
et Gemeinwesen.
[7] Cf. Attali in Le
monde du
04.01.75 qui parle de La crise pour caractériser la
situation actuelle.
Il considère qu'il y a une mutation en cours déterminée par trois
phénomènes :
l'inflation, la mondialisation et la troisième : « Produire là
où le taux
de rentabilité du capital est le plus élevé. » Ce qui aboutira
à une
« redistribution de la production » qui peut en
quelques années
« prolétariser et provincialiser des nations
entières », chose qu'il
veut éviter à la France. Ce qui est intéressant, c'est cette
possibilité de
disparition de certaines manifestations capitalistes en Europe
occidentale,
tandis qu'elles se produiront au sud de la Méditerranée, par exemple,
comme l'a
noté N. Macrae qui lui aussi a abordé cette question. Mais il est clair
que les
centres de décision du capital pourront très bien demeurer en Europe
occidentale et aux E.U. Dès lors quel sera le mode de vie imposé aux
européens.
Enfin si cette perspective se réalise, le capital aura accompli un
cycle entier
de vie sans qu'il y ait une révolution ! Alors comment lier encore le
devenir
de la révolution à celui du développement des forces productives?
Parallèlement à cela il est
important de noter que se vérifie concrètement notre affirmation que
tout
capital tend à se constituer en communauté. En effet :
« L'on
s'oriente de plus en plus vers des fusions groupant des entreprises de
branches
différentes. En 1969, celles-ci concernaient, s'agissant de fusions
importantes
à l'exception des banques et des compagnies d'assurance, moins de 1%
des actifs
acquis, mais en 1972, ce pourcentage avait augmenté de façon
spectaculaire pour
atteindre 31%. En nombre, le pourcentage est passé de 8 à 42 au cours
de la
période considérée. (Ceci en ce qui concerne l'Allemagne,
n.d.r.) » (Fusions
et politique de concurrence in Rapport
du Comité d'experts
de l'OCDE sur les pratiques
commerciales restrictives dont les extraits ont été
reportés in Problèmes
économiques, n° 1.412).
[8] Cf. à ce sujet Ce
monde qu'il
faut quitter in n° 5 série II d'Invariance.
[9] Le crédit a eu
différentes formes au
cours des âges. Il est certain qu'il ne peut exister qu'à partir du
moment où
les hommes sont aptes à considérer comme réelle une action du futur. On
peut
être d'accord avec Mauss sur le fait qu'avec le potlach, système de
dons et de
contre-dons, il y avait, au fond, un phénomène de crédit. Ce qu'il faut
ajouter
c'est que le mouvement de la valeur était alors vertical et aboutissait
à
l'offre à un dieu, ensuite il acquit un mouvement horizontal. D'autre
part,
dans ce système la valeur d'échange ne parvient pas à s'autonomiser ;
en
revanche, on peut dire que le pôle valeur d'usage de la valeur, lui,
s'autonomise
et engendre une certaine aliénation des hommes. Le principe déterminant
est
alors l'utilité ; avec l'autonomisation de la valeur d'échange ce sera
la
productivité.
[10] Cf. à ce sujet Invariance
n°
2 série I. Sur Internet cf. Capital et Gemeinwesen
[11] Dans La
destruction du temple
article paru dans « il programma comunista » n° 19 de
1962, Domenico
Ferla faisait la remarque suivante :
«Le travail universel de l'esprit
humain, fruit de la coopération entre les vivants et de l'utilisation
du
travail des morts n'a pas de valeur, ses produits ne peuvent être
reproduits
par le travail. Une chose qui n'a pas de valeur acquiert un prix, quand
il
devient objet de monopole. Quels sont aujourd'hui les monopolistes qui
donnent
un prix à la science, qui aliènent frauduleusement le travail universel
de
l'esprit humain ? Ce sont les savants définitivement soumis au capital.
La
métamorphose du savant en technicien est la métamorphose du savant en
monopoliste de la science. Comme le capital a trouvé une limite dans la
terre,
il a trouvé une limite dans la science, dans l'exploitation du travail
universel. Le capital a dépassé cette limite tout d'abord en rendant la
science
aliénable de même qu'il avait fait de la terre un « article de
commerce », ensuite en transformant les savants en
monopolistes, en
propriétaires fonciers et en négociant avec eux une rente. Ce progrès a
conduit
à l'appauvrissement de la terre, et à la décadence de la science. Les
«experts»
et les «techniciens », comme les propriétaires fonciers sont
des parasites
de la société, ils monopolisent le travail universel de l'esprit humain
pour le
céder au capital en échange d'une rente, ils s'aliènent le travail des
morts
pour exploiter le travail des vivants.»
[12] Nous sommes
bien conscients que
c'est un cas limite hypothétique difficilement réalisable car la vie
est un
continuum d'espèces et une seule ne peut réaliser la vie.
[13] Souligner que
la surpopulation est
un grave problème qui se pose à nous n'implique pas qu'il faille prôner
l'avortement comme solution, ni en faire une apologie, car cela demeure
toujours un acte horrible même s'il peut être nécessaire au sein de
l'horreur
de cette société, ni qu'il faille recourir à une continence absolue
pour une
génération entière ! La question est complexe et ne peut être résolue
qu'en
dehors de cela.
Souligner qu'il y a un
problème d'espace, que la diminution de celui-ci ne peut que rendre
fou,
n'implique pas que l'on accepte pour cela la théorie du
« territoire » chère à divers ethnologues.
[14] Car si
l'anarchisme n'a pas prétendu
faire une oeuvre scientifique, il a toujours, dans une perspective qui
reste
illuministe, défendu la science parce qu'elle aurait une charge
subversive
parce que dispensatrice de vérité.
[15] À la place du
mot communisme, je
préfère souvent employer une périphrase : réalisation de la Gemeinwesen
humaine. Il est difficile d'utiliser un mot qui sert à désigner une
réalité
sociale aussi épouvantable que celle de l'URSS. En outre, il pâtit des
limites
de l'époque où il fut engendré. Il a été forgé pour désigner un rapport
social
où il n'y aurait plus de propriété privée, mais une propriété commune.
Celle-ci
était envisagée comme une réponse immédiate à une situation intolérable
où
certains étaient riches et d'autres pauvres. Richesse et pauvreté
étaient
réellement des déterminations des hommes. De nos jours, les richesses
sont incluses dans
la communauté matérielle et, en
fonction de leur rôle joué au sein de celle-ci, les êtres humains ont
droit à
une consommation plus ou moins grande. Que pourraient-ils mettre en
commun ?
Voilà qui concrétise parfaitement l'affirmation selon laquelle le
communisme ne
peut être qu'une question d'être. Le mode d'être où hommes et femmes
pourront
enfin s'épanouir ne peut être trouvé que dans une communauté où
« l'être
humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme » (Marx).
[16] Cf. à ce sujet
Invariance n° 5 et 6
série I. (thèses 4.4.3.), en tenant compte de la caducité de la
position sur le
rôle du prolétariat. Sur Internet cf. La révolution
communiste: thèses
de travail
[17] Cf. Il
mondo magico (Le monde
magique) de Ernesto de Martino. Ed. Boringhieri. 1973, livre absolument
remarquable sur lequel nous reviendrons.
[18] Si nous
rejetons la science, cela
n'implique pas que nous soyons pour un obscurantisme ni que nous
voulions
fonder un nouveau gnosticisme tout en reconnaissant à ce dernier (le
mouvement
qui eut lieu au cours du deuxième siècle après Jésus-Christ) une très
grande
importance.