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C’EST ICI QU’EST LA PEUR,

C’EST ICI QU’IL FAUT SAUTER !

 

 

 

 

         Pour comprendre les dimensions de la crise dont tout le monde parle – fait dont l’advenue était jugée impossible il y a 20 ans, époque approximative où Bordiga la prévit[1]– il faut considérer quelles furent les solutions apportées à celles de 1913-1945[2]. D’un point de vue général nous l’avons caractérisée comme l’ensemble des bouleversements économiques et sociaux nécessaires pour la réalisation de l’accession du capital à sa domination réelle sur la société. Depuis 1945, celle-ci s’est opérée dans les aires les plus développées du MPC. Synchroniquement, dans d’autres aires, la domination formelle du capital sur la société initiait. Étant donnée la grande résistance opposée à l’implantation de ce dernier nous avons connu la grande période troublée de 1945 à 1952 puis une autre de 1954 à 1962. Au cours de ces années, il y eut élimination des vieux empires coloniaux (les derniers vestiges sont actuellement balayés avec l’indépendance de l’Angola et du Mozambique) et, aux E. U., principalement, se produisait un développement technologique considérable permettant une rationalisation plus complète du procès de circulation du capital, tandis que la tendance à la réalisation de la totalité s’amplifiait à partir du moment de l’achèvement de la reconstruction de l’Europe, de la coexistence pacifique (1956) et de la montée de la Chine après 1960. Tous ces phénomènes se produisant de façon plus ou moins chaotique sapèrent le vieil ordre et entrèrent en contradiction avec les anciennes représentations; leur résultante: le capital tendant à imposer son être en tant que représentation générale et, dans un second temps (la coupure entre les deux, ne peut pas être rigoureuse), à devenir pure représentation, se révéla, profondément, lors de la crise monétaire de 1967 et dans le mouvement insurrectionnel de Mai 1968, puis, au niveau même de la représentation du capital, lors des décisions de Nixon d’août 1971. Depuis, les différents phénomènes se somment en tant que secousse ébranlant le MPC, mais ils se produisent en ordre dispersé et ne semblent pas avoir de liens entre eux. Pourtant les publications du Club de Rome à partir de 1972, la "crise" liée à la guerre du Kippour, les données actuelles sur la récession en acte aux E. U. et qui s’étend à l’Europe occidentale[3] attestent tous la nécessité d’une autre représentation pour que soit assurée la reproduction totale du capitale.

 

         À la crise de 1913-45 les remèdes furent (en dehors des deux guerres mondiales) la mise en œuvre du plein emploi, l’intervention de l’État: politique des revenus et welfare state, intervention dans l’établissement des taux d’intérêt, contrôle des investissements, etc. Autrement dit il y eut, comme l’affirma Bordiga dès la fin de la deuxième guerre mondiale, défaite des fascistes mais victoire du fascisme. Ce qui signifie l’accession, sous forme mystifiée, du prolétariat à classe dominante, son exaltation et son intégration dans le MPC. Ceci ne pouvait se faire qu’en fonction du mode d’être du capital ; d’où, par suite de la réalisation de la communauté matérielle, la tendance toujours plus poussée de faire des prolétaires des consommateurs, provoquant un immense développement du crédit.

 

         Toutes les modifications qui pouvaient avoir lieu dans le cadre du système tel qu’il se délimita à la fin du second conflit mondial se sont effectuées; il est devenu inadéquat. Les moindres secousses l’ébranlent, et les données de la crise, en dehors des phénomènes structuraux, disons intrinsèques et communs aux différents moments du capital qui ne peuvent connaître qu’une variation quantitative (destruction de la nature, des hommes, épuisement des ressources, accroissement des nuisances, etc., ont pour origine les solutions apportées à la crise précédente.

 

         On a eu réalisation du plein emploi mais, vue la non-flexibilité des salaires à la baisse, on a tendance à l’inflation. Le maintien de ce plein emploi s’oppose souvent aux nécessités de modernisation-rationalisation du capital. En outre, avec le grand développement de capital fixe (automation)[4] durant les années 50 et 70, il y eut un bouleversement considérable de la structure de la population qui entre en contradiction avec le rôle privilégié qui était reconnu au prolétariat dans la phase précédente.

 

         Le capital avait surmonté sa contradiction le posant par rapport au prolétariat en intégrant celui-ci (en intériorisant la barrière qui le limitait) mais, par suite de son développement qui a conduit à une dévalorisation du travailleur, cette barrière devient évanescente. La solution antérieure apparaît comme un obstacle à la reconnaissance de son nouvel être qui réclame une autre représentation. Plusieurs phénomènes indiquent cette remise en cause du travail, surtout du travail productif: la recherche du travail à mi-temps ou à temps partiel, la lutte contre les chaînes de montage reconnue valable par les dirigeants capitalistes eux-mêmes, de même que le refus du travail récupéré de façon plus ou moins immédiate, d'ailleurs, à l’aide des mesures précédentes, en même temps que celui-ci est généralisé et que, de plus en plus, l’importance d’un travail immatériel tel que celui des services est mise au centre du problème économique. Enfin maintenant, après 1972, le travail est récupéré en tant que manifestation de la créativité des êtres humains ce qui est en liaison directe avec la volonté de piller toute leur substance (leur capacité productive matérielle ayant été depuis longtemps absorbée) avec la proclamation de la nécessité d’une production immatérielle qui se fonderait sur les déterminations esthétiques voire "transcendantes" des êtres humains. Par là se dissout totalement le caractère privilégié du prolétaire-travailleur productif. Non seulement cela permet de parachever la disparition des classes mais cela élimine une représentation anachronique. Cependant les résistances sont grandes et de divers côtés, à droite comme à gauche, on parle encore du prolétariat comme d’une classe distincte, opératrice, etc. Le MPC devra donc détruire le mythe qu’il a lui-même repris à un moment donné et qu’il a revigoré en le pervertissant, en le réduisant à un ensemble de données matérielles du mode de production en place, données nécessaires à se propre exaltation car, sans travail salarié, il ne pouvait pas y avoir de production capitaliste (Marx).

 

         Ainsi le MPC se trouve en face d’une population humaine en voie d’homogénéisation qui s’est énormément accrue et vouloir réaliser le plein emploi conduirait à une impasse[5] ; aussi y a-t-il tendance, pour éviter les troubles sociaux découlant du chômage, à assurer une sécurité économique grâce à un impôt négatif, "allocation de ressources à un être humain du seul fait qu’il vit " (Drouin). Une telle mesure, toutefois, est grosse de conséquences inflationnistes.


         La nécessité d’une intervention étatique s’est manifestée aussi dans les pays les plus développés mais ceci ne conduit pas, à l’encontre de ce que pensent certains, à un capitalisme d’État, puisque le capital s’est constitué en communauté matérielle[6]. L’État classique n’est qu’une entreprise particulière, souvent anachronique au regard du développement du capital. Les nations, nécessaires à l’aube du capital afin de détruire le particularisme féodal, de dominer le prolétariat (domination formelle), de le domestiquer et de l’intégrer (domination réelle), deviennent des cadres inadéquats au mouvement du capital. La multiplication et l’accroissement des firmes multinationales le signalent à suffisance. Auparavant la non-intervention de l’État dans le cadre national aurait pu impliquer une explosion révolutionnaire car, poursuivant leurs intérêts particuliers les diverses entreprises pouvaient fort bien détruire l’intérêt général. C’est ce que l’on pu voir sur la scène mondiale avec le heurt entre les États (sans oublier que les guerres furent un excellent moyen de domestication des prolétaires, des êtres humains). La création de la SDN, de l’ONU ensuite, est une tentative d’instaurer un État mondial apte à entretenir une régulation du capital à l’échelle mondiale. De nos jours, les véritables quanta-capital opérateurs sont les firmes multinationales chez qui le management est fondamental et représente en leur sein l’élément État, à tel point que celui-ci ne peut perdurer qu’en faisant lui-même du management. La nation, l’État ne peuvent plus représenter le capital, car ils représentent en réalité des éléments contradictoires. D’ailleurs une chance de survie des nations est peut-être dans une spécialisation à outrance où finalement elles deviendraient le support de deux ou trois entreprises multinationales comme le propose Attali[7]. Ceci ne peut être qu’une phase transitoire avant l’absorption de toutes les nations dans une communauté capitaliste mondiale qui sera bien autre chose qu’un super-État comme voudrait l’être l’ONU.

 

         Les firmes multinationales s’opposent non seulement aux États mais à l’ONU. Elles joueront un rôle efficace dans sa restructuration et sa réorientation. La communauté mondiale du capital ne peut pas être l’expression de la sommation des États capitalistes, elle sera celle de tout le capital mondial. Or, les firmes multinationales se présentent comme les organismes les plus aptes à manifester la rationalité du capital, surtout maintenant que les conséquences désastreuses de son procès de production se sont fait sentir.

 

         Les difficultés d’intégration des pays de l’Est dans le marché mondial ainsi que celles découlant des résistances opposées à l’implantation du capital dans divers pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine imposent non seulement une autre stratégie globale mais une autre structuration du MPC afin de pouvoir résoudre toutes ses difficultés. Là encore les multinationales jouent un rôle qui ira en s’accroissant.

 

         Sans une unification mondiale la crise monétaire ne peut trouver de solution, de même que c’est par l’entremise de cette dernière qu’il y aura effectivement mondialisation. Ainsi les DTS ne peuvent fonctionner qu’à la condition que la représentation soit commune (et c’est ici justement qu’apparaît le mieux la crise) ; il ne faut pas, par exemple, qu’il puisse y avoir un étalon refuge comme l’or. Pour ceux qui soutiennent encore l’utilité du métal jaune il y a l’idée que celui-ci représenterait un "acte définitif " (Fabra) palpable en quelque sorte (vision physiocratique) ce qui n’est réalisable qu’en faisant accomplir un pas en arrière. Le capital est mouvement; ce qu’il produit ne s’en retire pas, il doit s’y maintenir. Au stade le plus développé, sa production c’est son mouvement-capitalisation. L’or représenterait ce qui a été produit réellement, matériellement: la plus-value. Or, étant donné l’évanescence de cette dernière, découlant de la fictivité du capital, de l’immatérialité de la production, etc., l’or n’est plus nécessaire. Il le devient de moins en moins également en tant que signe de propriété sur le travail d’autrui, du fait de l’accession du capital à la communauté matérielle et à cause de la généralisation du salariat; le tissu social tend à devenir un ensemble de relations tellement interdépendantes que chacun participe en quelque sorte à l’exploitation des autres et est exploité par eux. Le titre de propriété c’est le capital, la communauté, qui le détient.

 

         Les divers pays du globe n’ayant pas atteint le même stade de développement du MPC, le capital parvient difficilement à imposer sa propre représentation d’où les difficultés du système monétaire international (vraie crise de la représentation) où le dollar joue un double rôle celui de capital-monnaie étasunienne et celui de capital-monnaie référentiel international.

 

         Les conséquences néfastes du procès de production (pollution, nuisances, etc.) réclament une autre exploitation de la nature et des êtres humains. De là l’essor de l’industrie antipollution, de la production immatérielle, comme cela a déjà été signalé, de la détermination esthétique des êtres humains, de celle "religieuse" et même de la lutte contre le capital. On a développement d’un néo-christianisme fondé sur un certain renoncement aux biens de ce monde, exaltant le capitalisme de la faim après le soi-disant capitalisme de l’abondance… Il est clair que, dans ce contexte, divers courants préconisant une alimentation modérée (à base de fruits) et le jeûne en tant que nécessité de repos physiologique pour les organes de l’appareil digestif, puissent être récupérés (comme l’est Marcuse en ce qui concerne la sensibilité-sensualité) dans la mesure où l’on aura isolé ces "pratiques" du reste d’une conception globale des rapports des êtres humains à la nature; dans la mesure où l’on en aura fait des pratiques de survie.

 

         La vieille représentation doit disparaître. Elle comporte les éléments suivants: devenir de l’homme de la pénurie à l’abondance, de l’émergence du sein de la nature (animalité) à un stade humain grâce à un développement des forces productives (idéologie de la croissance), progrès indéfini, individualisation toujours plus poussée impliquant une émancipation exacerbée où l’individu se libère des différentes déterminations naturelles et humaines et devient une maison de commerce qui, grâce au capital-argent, peut faire ce qu’il veut dans les limites du système. Du point de vue immédiat elle postule le plein-emploi (généralisation du travail avec sa glorification) et le développement de la propension à consommer; c’est l’État qui facilite les deux derniers phénomènes.

 

         Une mutation du MPC est en train de s’opérer. Elle réclame une nouvelle représentation afin que puisse s’effectuer la reproduction de toute la communauté du capital d’autant plus que son cycle économique ne peut pas prendre pour présupposition le résultat de celui antérieur.

 

         La nouvelle représentation est déterminée par la mise en évidence de limites matérielles au développement du capital, de ce fait il va surtout être question de gestion des produits de la terre et de l’activité des êtres humains, ainsi l’économie perdra sa dimension chrématistique qui répugnait à Aristote et que, sous d’autres formes, Marx fustigeait[8]; ce sera la fin de l’économie politique.

 

«Il faut réviser totalement notre conception du "profit", et en ranger les différentes catégories selon un ordre différent dans l’échelle des valeurs sociales.» (Quelles limites ? Le Club de Rome répond… » Éd. Seuil. p.140).

 

Elle attribuera une grande importance au collectif, l’individu étant programmé, ce qui implique en liaison avec ce qui précède, la gratuité et la réalisation d’un vaste ensemble mondial.

 

« Le chauvinisme et l’égoïsme des nations ne sont que des projections de l’égocentrisme, de l’agressivité et de la volonté de puissance de l’individu humain. Il est fort probable que si, dans sa conception des rapports entre l’homme et la nature, notre espèce ne réussit pas le passage de la souveraineté nationale à la vision globale, elle se trouve finalement condamnée ; nous de même, en tant qu’individus, nous avons à subordonner une partie de nos intérêts propres aux besoins généraux de la société. » (Le rapport de Tokyo sur l’homme et la croissance. Éd. Seuil. p.85).

 

         Intériorisation des limites révélées par le devenir du MPC, idéologie de ne pas exagérer, péché écologique, nécessité de changer de comportement tels sont les éléments de l’éthique proposée par le Club de Rome. Mais la résignation à une vie limitée n’est-ce pas le lot de la majorité des êtres humains depuis des millénaires? Ici on en donne un fondement différent, de telle sorte qu’il n’est pas possible de mettre en évidence un autre mode de vie. Les théoriciens du MIT raisonnent sur l’homme réduit actuel et en déduisent leurs conclusions :

 

« C’est ma conviction profonde que l’esprit humain n’est pas apte à interpréter le comportement des systèmes sociaux qui entrent dans la classe des systèmes à boucles de réaction multiples, non linéaires. » (Jay W. Forrester, Comportement antiintuitif des systèmes sociaux in Vers un équilibre global, édition italienne Mondadori. 1973, p.18).

 

         Or la pensée linéaire et binaire n’a pu s’imposer dans le cerveau des hommes qu’à la suite de leur domestication!

 

         Ainsi les théorisations du Club de Rome et du MIT constituent les éléments d’approche d’une nouvelle représentation du capital, elles n’ont rien à voir avec le communisme. Elles n’affrontent pas, non plus, les données profondes du devenir du MPC car elles relèvent de conceptions physiocratiques, c’est-à-dire qu’elles ne prennent en compte que la production matérielle et n’envisagent pas l’immatérialité du capital. En fait, celui-ci développe une réponse qui englobe diverses réponses ponctuelles aux diverses questions que pose sa situation actuelle: l’inflation. Elle amortit les contradictions qui pourraient surgir des solutions parcellaires; elle permet de les surmonter mais elle n’annule pas le point d’aboutissement vers lequel tend l’ensemble de celles-ci : un despotisme toujours plus féroce. L’inflation c’est le crédit global que le MPC se donne à lui-même et en cela le capital agit bien selon son être: toujours maîtriser le futur (ce qui implique qu’il ne peut y avoir de révolution que s’il y a réellement rupture avec la représentation en place) ; tous les déséquilibres, toutes les difficultés sont escamotées par celle-ci avec toujours en perspective que demain tout sera résolu. L’inflation c’est l’imagination du système en ce sens qu’il projette une image de lui-même dans le futur, image où toute contradiction est éliminée. La crise de représentation commence bien en 1968. Là est le phénomène patent de l’anthropomorphose. Le MPC réalise un possible du devenir humain. Simultanément elle est indication de la grande difficulté qu’il a à tenir unis les différents moments actuels. La vieille représentation a perdu sa force opérationnelle. La solution passe par cette imagination où tout le monde peut se reconnaître dans un non-antagonisme. L’inflation réalise l’utopie en devenir du capital : les hommes et les femmes se reconnaissent en lui (sinon ils ne pourraient pas le supporter), même s’ils luttent contre lui ; d’ailleurs, jusqu’à présent, c’est toujours contre ses conséquences qu’ils se sont élevés. L’inflation est fondamentalement anticipation :

 

« Bref, l’anticipation est la racine et le fruit de l’inflation. Elle préside à la croissance, l’alimente et l’amplifie. » (Ronze « L’inflation ou la démesure de l’homme » in revue Études, article repris dans Problèmes économiques  n°1388).

 

         Concrètement notons que :

 

« L’économie américaine est aujourd’hui assise sur une montagne de dettes de 2500 milliards de dollars représentant toutes les automobiles, tous les logements, toutes les usines et machines qui ont fait d’elle l’économie la plus importante et la plus riche du monde. » (The debt economy, article de la revue Business Week du 12.11.74 publié dans Problèmes économiques, n°1409).

 

         L’économie de crédit dont parlent les auteurs de l’article n’est qu’une autre expression pour indiquer la société inflationniste dont font état d’autres économistes. Au sujet de l’inflation on voit donc pointer, parmi les théoriciens de l’économie, l’idée qu’il s’agit d’une représentation. Ceci est dit de façon plus ou moins claire, plus ou moins percutante, soit dans le but de la définir, soit dans le but de lutter contre elle.

 

« L’inflation est, essentiellement, un phénomène lié aux comportements et donc aux attentes des agents économiques. La lutte contre l’inflation implique d’abord une foi solide dans la stabilité économique. » (Jean Mouly dans Revue internationale du travail  d’octobre 1973, reporté dans  Problèmes économiques, n°1361).

 

         Ceux qui expliquent l’inflation par la demande ont tendance à faire de celle-ci un phénomène politique et par là ils veulent mettre en évidence l’intervention des hommes, de la lutte des classes, d’où leurs diatribes contre les dirigeants syndicaux considérés comme les créateurs du désordre.

 

         L’inflation est une autre indication de ce que j’ai nommé l’échappement du capital. En effet dans un premier temps, lors de sa lutte contre les modes de production antérieurs, le MPC apparaît comme un mode de production apte à faire baisser les prix des objets manufacturés ; une contradiction semble le tenailler au début dans la mesure où il réalise difficilement la même chose dans le domaine agraire. En fait il y a, dans les zones où le MPC est le plus développé, parallélisme d’action entre les deux secteurs (cf. les E.U. et la puissance de leur agriculture qui, dès la fin du siècle dernier, fut la cause déterminante de l’hégémonie du capital étasunien et de la ruine de l’Europe comme le prévit Engels). Or, cette période est celle où le MPC se développe sur la base de la loi de la valeur et tend à la dominer. Quand il a supprimé les autres modes de production et réalisé la soumission réelle du travail au procès de production du capital, il peut intégrer la non-flexibilité des salaires à la baisse (moyen d’ailleurs de transformer pleinement le prolétaire en consommateur et donc de l’immerger dans la rationalité du capital) et de ce fait il s’échappe des contraintes de la loi de la valeur. Cela aboutit à une grande crise qui est celle d’une représentation donnée des rapports sociaux en place. Comment la communauté matérielle du capital doit être perçue par les hommes afin qu’ils intériorisent le procès et en assurent la reproduction. À ce propos, il ne faut pas oublier que la crise a toujours été aggravée par l’intervention des hommes essayant de faire passer le capital dans des canaux rigides tels qu’ils les concevaient en fonction de leurs représentations.

 

         Avec l’inflation il semblerait qu’il y ait accord entre aspirations des hommes, déterminés désormais par des siècles de développement des forces productives, et le capital. De même le crédit put se généraliser quand il prit l’homme pour sujet[9], autre moment de l’anthropomorphisation du capital. Par le crédit l’homme fut arraché à l’immédiateté de sa vie matérielle; sa vie privée spirituelle et morale fut emportée dans le flot économique; cette vie fut d’ailleurs soustraite à la sphère purement privée pour devenir caution de la vie publique: moment de la désacralisation. Avec l’inflation on a un mécanisme de déracinement total de l’espèce qui apparaît comme une libération vis-à-vis de l’immédiat du capital, moment nécessaire pour couper tout lien au passé, et l’emporter dans un tourbillon où elle perdra finalement tout souvenir de ce qu’elle fut pour, qu’ensuite, le désarroi installé, les hommes ne puissent plus se retrouver que dans la rationalité du capital. Détruire la pesanteur du passé, tel est toujours l’objectif de ce dernier. De là la nécessité d’abstraire l’humanité entière pour qu’elle se place dans un mouvement où toutes les vieilles présuppositions s’évanouiront et où l’unique référentiel sera le mouvement du capital. L’aliénation concerne directement l’espèce dans sa totalité ; le dépouillement opère sur elle et non plus seulement sur l’individu car l’inflation est le moyen d’acheter l’espèce en lui faisant miroiter des lendemains travaillants et chantants. Par là c’est l’aboutissement de la volonté de l’homme d’être hors nature et nous pouvons être d’accord avec R. Ronze qui affirme que l’inflation est une expression de la démesure de l’homme, qu’elle est « le langage d’une société en transformation ». Il ajoute :

 

« L’inflation est alors le signe d’une nouvelle logique économique propre à la société technologique évoluée. Fidèle à son projet d’emprise « totalitaire » sur l’individu, cette société passe aujourd’hui de la sécurité sociale à la sécurité économique (idée déjà développée par Bordiga au sujet du fascisme, n.d.r.) passage d’autant plus naturel que la seconde prolonge et développe la première. » (article cité).

 

La consommation et le loisir sont les deux éléments importants qui font pénétrer les êtres humains dans la sphère de l’inflation. Le loisir n’est plus le moment de temps libre, le temps de non travail ; c’est le temps de consommer car tout doit être vendu, consommé-consumé, d’où la généralisation de la non-jouissance, de la catégorie de l’éphémère qui permet l’éternisation du capital comme l’avait pressenti Marx dans les Grundrisse. L’être humain est donc de plus en plus pris en tant que consommateur, que prédateur de la communauté matérielle ; c’est cette dernière qui produit et qui offre à consommer : l’inflation est incitation permanente à quitter la sphère immédiate, à renier l’être-là et à se propulser dans un devenir sur le mode de l’acquérir évanescent.

 

L’inflation réalise le capital fictif, espèce de tissu conjonctif du capital total, système de liaison et d’articulation[10].

« Á partir du moments où les projets des différents partenaires sont incompatibles seule l’inflation permet de les rendre (artificiellement) compatibles entre eux. Ce faisant l’inflation ne supprime pas la lutte des classes. Elle l’empêche de dégénérer en guerre civile, donnant l’illusion successivement aux uns et aux autres qu’ils ont gagné. Elle apparaît ainsi comme le fruit de qu’on pourrait appeler l’instinct de conservation. » (Ph. Simonnot « Pour une théorie ludique de l’inflation ». In Bulletin de la S.P.G.F. reproduit dans Problèmes économiques, n°1373).

 

         Il s’agit en fait non d’une opposition entre différentes classes mais entre différentes composantes du capital qui tendent à s’autonomiser. Il faudra, pour résoudre la crise, enrayer cette autonomisation et assujettir tous les agents-partenaires à la rationalité du capital en tant que totalité, la communauté matérielle.

 

         Dans le phénomène de l’inflation se fait nettement jour le conflit entre matérialité de la production capitaliste et immatérialité, entre ce qui est fixe et ce qui est mobile, ce qui est unique et ce qui est indéfiniment reproductible, conflit déjà analysé par Marx au sujet de la valeur de certaines choses, mais aussi au sujet de la plus-value (dans ce cas le capital-argent pouvait être l’immatérialité de ce qui fut ajouté à la production).

 

« Il faut encore retenir ceci : le prix d’objets n’ayant en soi aucune valeur, c’est-à-dire n’étant pas le produit du travail, comme par exemple la terre, ou, du moins, ne pouvant pas être reproduits par le travail comme les antiquités, les chefs-d’œuvre de certains artistes, etc., peut-être déterminé par des combinaisons très fortuites. Pour vendre un objet, il suffit uniquement qu’il soit monopolisable et aliénable. » (Marx, Le Capital Éd. Sociales, t. 8, p. 25).

 

         Le capital parvient à rendre aliénable ce qui semblait ne pouvoir l’être par suite d’une impossibilité de mise en mouvement à cause des caractères de l’objet, ainsi de la terre ; avec l’achat et la vente de titres de propriété (phénomène de représentation) cela devient possible et c’est le moment où l’homme n’est plus lié à elle. Toutefois Marx fait une autre remarque :

 

« Cette propriété naturelle qui est ainsi monopolisable est toujours attachée à la terre. » (Ibid., t. 8, p. 37).

 

         Ce stade est à son tour dépassé avec la création d’une agriculture industrielle où la terre n’est plus qu’un support de processus chimiques. Le capital réussit donc à séparer les qualités et à les accaparer. Il en fut de même du travail universel que Marx définit ainsi :

 

« Remarquons en passant qu’il faut faire une différence entre travail universel et travail collectif. Tous les deux jouent leur rôle dans le procès de production, l’un se fond dans l’autre et réciproquement, mais ils ont aussi leurs différences. Le travail universel, c’est tout le travail scientifique, ce sont toutes les découvertes, toutes les inventions. Il a pour condition, en partie, la coopération avec les hommes vivants, en partie l’utilisation des travaux de nos prédécesseurs. Le travail collectif suppose la coopération directe des individus. » (o.c. t. 6, pp. 121-122).

 

         En absorbant le travail universel[11] le capital s’est gonflé d’immatérialité et a rendu moins essentiel l’apport de travail immédiat de chaque individu ; il a, en même temps, accusé le conflit indiqué plus haut.

 

         Grâce à l’argent, au crédit, à l’inflation, en un mot au capital, tout a pu être arraché et mis en mouvement. À partir de ce moment y a-t-il besoin d’un accroissement continu d’une production matérielle ? Comme l’art s’est affranchi de la nature puis des formes en considérant que tout est possible, le capital tend à se développer en abolissant le référentiel matériel. L’inflation est un moyen d’y parvenir.

 

« Ce que nous allons peut-être vivre, c’est l’inflation à l’état pur (un autre économiste parlait de croissance nominale, n.d.r.), sans croissance. La situation est révolutionnaire dans tous les sens du terme. » (Ph. Simonnot, o.c.).

 

         D’où la peur de bon nombre d’individus à cause du phénomène lui-même et à cause de toutes les inconnues qu’il engendre.

 

         Le résultat de la mutation du capital sera une domestication complète – entrevue depuis 1968 – si les êtres humains n’abandonnent pas la communauté capital, d’autant plus que cette mutation a besoin pour s’accomplir des éléments du mode d’être du capital et de ceux apportés par les opposants, les contestataires (les écologistes par exemple).

 

         Pour en revenir au présent, il est bien évident qu’il n’y a pas, économiquement parlant, possibilité de crise conçue comme moment d’écroulement du système. Ce qui ne nie pas l’éventualité de catastrophes dues aux conséquences du procès de production du capital. Il suffirait de variations climatiques de faible amplitude pour révéler la destruction des sols et amener un déséquilibre considérable causant une diminution de la production agricole, donc une famine; de graves épidémies au sein du cheptel sont également possibles à cause de l’insémination artificielle et de l’emploi des antibiotiques, etc.

 

         Pour les partisans d’une technologie progressant de façon exponentielle (comme le définissent les défenseurs du projet du MIT), il n’y a qu’une pause momentanée dans la croissance. En ce qui concerne les matières premières, il est évident qu’il y a encore des ressources au fond des mers et même au sein de la terre, que l’énergie géochimique captée à grande profondeur peut apporter une solution à sa pénurie, etc., cela ne pourra qu’engendrer une inflation par les coûts (dès maintenant le prix du pétrole ne peut plus diminuer afin de rendre rentables d’autres sources d’énergie; inflation et anticipation sont liées!). Dans cette optique technologique, on peut très bien imaginer une planète portant 100 milliards d’êtres humains et la disparition de toute vie autre qu’humaine; l’oxygène étant produit par les usines[12]. Lorsque tout référentiel disparaît et qu’il est remplacé par le progrès indéfini (pléonasme voulu puisque le concept de progrès contient l’indéfini), il ne reste que l’échappement, le désir sans fin, débouchant dans l’absurde du point de vue humain. Et cette perte de référentiel est absolument nécessaire pour que l’humanité s’abandonne totalement au mouvement du capital.

 

         Très proches des précédents, en définitive, sont les groupuscules qui affirment que la crise est en réalité du bluff, position symétrique à celle considérant comme inévitable un écroulement prochain du MPC. Dans un cas le capital est l’apprenti sorcier, dans l’autre le démiurge parfait ! Selon ces groupes l’homme n’est pas immédiatement menacé; la crise concerne uniquement le capital. La classe dominante s’en sert comme d’un épouvantail, comme d’un chantage pour pouvoir faire accepter l’installation de centrales nucléaires ou l’implantation d’oléoducs comme celui de l’Alaska; ce qui implique tout de même qu’il y a des problèmes réels d’approvisionnement en énergie. Ceci est d’autant plus vrai que les gens qui ont cette position raisonnent en fonction de la logique du développement des forces productives. Il est certain qu’il y a utilisation de la crise. Ainsi celle d’octobre 1973 fut fomentée de toutes pièces par les firmes multinationales et les E.U. On a répétition de ce que fit la classe dominante allemande dans les années 20: l’utilisation de la crise comme d’une arme contre le prolétariat, ce que mit en évidence le KAPD au troisième congrès de l’Internationale Communiste. Mais il ne faut pas oublier, non plus, que la classe dominante ne pu maîtriser le phénomène et surtout qu’elle ne se rendit absolument pas compte qu’elle favorisait la naissance et le triomphe du nazisme, mouvement nécessaire à la réalisation de la domination réelle du capital sur la société et sur la classe dominante d’alors, la vieille bourgeoisie qui, depuis lors, commença à disparaître.

 

         Il y a, sans aucun doute, manipulation de la crise, mais les faits sont là. Il ne peut y avoir qu’un infléchissement des phénomènes dans une certaine direction. Celui-ci peut, pour le moment, favoriser certains groupements mais, à plus long terme, il débouchera (sauf révolution) dans un renforcement du despotisme du capital au sein duquel disparaîtront beaucoup d’organisations qui, à l’heure actuelle, ont une certaine autonomie, une certaine possibilité de dominer ; tel sera le cas, dans une perspective plus éloignée, des États nationaux.

 

         Si on nie l’épouvantail-crise agité par les gens du Club de Rome ou par certains partis du secteur capitaliste, il n’en reste pas moins que des faits bien concrets demeurent: la surpopulation, non seulement en Asie mais en Europe; surpopulation qui peut inhiber le mouvement de réinsertion des êtres humains dans la nature, tout au moins le ralentir dangereusement; les nuisances diverses, la destruction de la nature avec la disparition accélérée, depuis le début du siècle, de diverses espèces animales et végétales sans qu’elles puissent être remplacées, comme cela se produisit aux époques géologiques (remplacement des reptiles par les mammifères, par exemple). Où vivaient animaux et végétaux fleurit, exubérant, le béton, monstre froid tentaculaire.

 

         Il est évident que la surpopulation[13] est un gros problème pour le capital. Les êtres humains apparaissent comme sa pollution; plus la population est nombreuse plus il peut y avoir un antagonisme avec celui-ci, surtout lorsqu’elle est jeune. Elle encombre son procès de production qui tend à l’automation. Mais le phénomène est double car, simultanément, la surpopulation est un moyen de domestiquer les hommes en les entassant dans les prisons que sont les grands ensembles où ils perdent toute communauté et tout rapport réel avec la nature (ce qui en reste). Surpopulation et urbanisation vont de pair avec la réduction des êtres humains à particules insignifiantes. Plus la population s’accroît moins il est possible de pouvoir penser selon la Gemeinwesen (communauté) ; il y a un phénomène de destruction de l’humanité en même temps que perte de sa diversité dans le monde puisque bientôt, sur la planète, il n’y aura plus que des hommes soumis au capital.

 

         Affirmer que tout cela est uniquement problème pour ce dernier revient en définitive – étant donné que, souvent, le caractère plus ou moins capitalisé de l’espèce est reconnu – à prendre une position manichéenne et à poser la dualité: ceux qui savent et ont fui l’influence du capital et les autres. Comment détruire la capitalisation de ces êtres (sans les détruire) ? Si cela réussit, demeurera encore la surpopulation qui, évidemment, dès lors, pourra être affrontée de façon humaine.

 

         En outre, le capital n’est pas quelque chose venu d’on ne sait où. C’est un produit humain; l’anthropomorphose le prouve amplement.

 

         La position de ces groupes est fondée sur le postulat que la révolution n’existe qu’à partir du moment où il y a rupture du système et que ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’il est possible de vraiment s’attaquer aux divers problèmes qui ne sont donc reconnus qu’a posteriori. Mais accepter ce postulat c’est se condamner à l’inaction tandis que le capital tend à résoudre ces derniers à sa façon. Dans le programme communiste tel que l’envisageait Bordiga, il était clair qu’il fallait obligatoirement, après la révolution, que les pays développés donnent aux pays pauvres, placés à un stade moins avancé de développement des forces productives, produits et machines et même savoir-faire technique, pour que le communisme puisse se généraliser à l’échelle mondiale. De nos jours le Club de Rome propose quelque chose de similaire afin que le MPC n’explose pas, afin d’éviter l’apocalypse. Encore une fois le capital a pillé le programme, mystifié l’élan au communisme. Il le réalise en lui ôtant tout ce qu’il avait d’humain. Ridiculiser la proposition du Club de Rome revient à ridiculiser le programme communiste tout en laissant pleinement de côté la question de savoir pourquoi le capital peut – après les avoir vidées de leur contenu humain – réaliser des mesures tendant au communisme. Parce que ce dernier était conçu comme moment du plein développement des forces productives. Ce sont ceux qui sont les plus acharnés à défendre la technologie, dont ils postulent la neutralité, et la science qui serait en définitive innocente, qui maintiennent cette conception du devenir au communisme. On est, dans ce cas, à des degrés divers, sur le terrain où se sont placés anarchisme et marxisme[14]: la science est une nécessité pour l’émancipation des êtres humains ; la bourgeoisie ne peut pas lui permettre de jouer pleinement ce rôle ; une classe révolutionnaire accomplira l’œuvre immanente, pour ainsi dire inscrite, dans la science.

 

         Il faut penser le devenir à la communauté humaine[15] dans une très grande diversité depuis les dernières communautés plus ou moins archaïques encore existantes jusqu’aux communautés humaines rompant avec le capital.

 

         Nous avons individualisé une des causes du mouvement de Mai-68 dans le déséquilibre[16] qui s’était opéré aux E.U. en 1967, début de la manifestation de la crise monétaire encore en cours maintenant. C’est en quelque sorte une autre définition de la crise. Elle a l’avantage de démystifier son importance, ses effets révolutionnaires grandioses et de noter tout de même ce qui peut correspondre à une certaine réalité. Il est bien certain que si le MPC ne rencontre plus de phase critique, la révolution devient fort improbable, voire impossible. Mais il est également certain que l’existence de telles phases n’est pas suffisante pour produire la révolution, si les hommes et les femmes conservent leurs yeux d’antiquaire et voient la crise sur le mode de celle de 1929, se fient à un évènement extérieur pour que se déclenche le processus révolutionnaire. Il ne s’agit plus de lutter contre le capital mais de se placer hors de sa dynamique. Les ratées de celle-ci ont un rôle très important dans la production des révolutionnaires ; les analyser et en démystifier les vertus subversives intégrales, c’est-à-dire génératrices du grand soir, permet de rester en contact avec tous ceux qui n’ont pas pu effectuer le pas nécessaire. Il ne s’agit pas de se mettre dans un ghetto en faisant une anti-organisation dans un au-delà mythologique du capital.

 

         Avec Mai-68 on a eu émergence de la révolution et mise en branle sur une échelle mondiale de la production de révolutionnaires. La rupture d’équilibre actuelle ne peut qu’élargir le cercle de ceux-ci. Elle doit également provoquer en eux une radicalisation par une recherche vraiment à la racine de ce qui cause l’incapacité des hommes et des femmes à abattre, comme ils le voulaient, le MPC ; susciter leur propre remise en cause. Pour le moment, ce qui se manifeste, c’est seulement un certain recul du fait que tout ce qui pouvait être solide s’est effondré et qu’aucune dynamique n’est encore concrètement apparue et ne le peut dans l’immédiat. En outre rien de plus conservateur que les révolutionnaires car ils s’attachent avec acharnement à un schéma, planche de salut pour tous les temps et, lorsqu’une certaine faille se produit dans la société, ils se replient sur eux-mêmes, eu lieu de se débarrasser de ce schéma inhibiteur.

 

         Il est nécessaire d’intervenir, dans la mesure où c’est possible, au moment de ces ruptures afin d’amplifier le phénomène de production des révolutionnaires puisqu’il n’y a pas de certitude rigoureuse qu’une quelconque crise économique puisse engendrer un mouvement insurrectionnel de vaste ampleur. C’est ce qui s’est produit depuis 1913 et le nouveau Moyen-Âge dont parlent certains auteurs italiens (qu’ils situent dans un proche avenir), l’époque de barbarie que redoutaient Adorno et l’école de Francfort, ont commencé depuis lors. Les diverses crises ont provoqué la mort de la société bourgeoise mais les forces qui s’opposaient à elle furent incapables de s’imposer et de permettre le triomphe du communisme. Il s’en est suivi une période trouble où ce qui fut déterminant c’est le devenir du capital à la communauté matérielle (réalisation de la domination réelle) dans l’aire occidentale ; le moment que nous vivons est celui où l’instauration de cette communauté risque de se parachever à l’échelle mondiale et de devenir définitive, ce qui impliquerait la disparition de l’espèce humaine. Ainsi, pour reprendre la comparaison des auteurs italiens, lors de l’effondrement de l’empire romain les révolutionnaires de l’époque furent incapables d’imposer la formation d’une communauté humaine par suite de leur propre faiblesse mais aussi à cause de la puissance du phénomène mercantile déjà amplement développé à l’époque, de l’inféodation de l’Église au pouvoir établi, de la faiblesse des communautés barbares qui avaient été perverties au cours de leurs migrations et contaminées au contact de la civilisation gréco-romaine. Il fallut plusieurs siècles pour que s’instaure la communauté féodale au sein de laquelle le mouvement de la valeur d’échange était banni.

 

         Les moments les plus troubles de l’histoire humaine sont ceux où s’effondre une communauté naturelle ou médiatisée et que s’impose la formation d’une nouvelle. L’époque est d’autant plus instable, remplie de violence, elle nécessite une durée d’autant plus longue pour parvenir à une solution, que l’opposition entre le désir profond des êtres humains à créer une communauté humaine et le mouvement de la valeur d’échange, puis du capital, est d’autant plus floue. Depuis près d’un siècle on considère le communisme comme la réalisation d’un processus interne au capital : le développement des forces productives qui permettra enfin d’abolir l’aliénation en assurant à tous une vie matérielle correcte compatible avec des exigences humaines, et non comme l’instauration d’une Gemeinwesen (communauté) humaine, comme l’avait affirmé le jeune Marx. Les évènements qui se sont déroulés depuis 1913 ont balayé la première conception et imposé la seconde, la seule qui soit apte à permettre aux êtres humains de poursuivre leur vie dans le cosmos ; qui fait ressouvenir de leur vieux désir communautaire, tout en lui donnant consistance nouvelle.

 

         Parmi les moments agités et cruciaux que vécut l’humanité (humanité, plus ou moins vaste car dans certains cas cela n’affecte qu’une portion de celle-ci), on peut indiquer celui qui nous est présenté comme la période du déluge, la fin des grands empires tels ceux d’Akkad, de Rome, l’époque des royaumes combattants en Chine, les moments de la décomposition de la communauté féodale à la suite de la surpopulation provoquant des difficultés agraires qui sont à la base des peurs de l’an mille, des croisades. Maintenant, en plus de la peur ancestrale que ces faits ont pu laisser au sein des êtres humains, il y a celle d’une apocalypse bien concrète dont on a pu avoir des phénomènes prémonitoires lors de la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki et, plus près de nous, le phénomène de désertification du Sahel.

 

         La peur qui gît au cœur du monde a bien d’autres sources. La disparition des référentiels, des valeurs ; plus de parti révolutionnaire, plus de classe devant assurer l’émancipation, donc dissolution de tout « idéal », ce qui inhibe tout mouvement ; la perversion du socialisme et du communisme car ce qui a été déclaré, réalisé en tant que tel s’est révélé comme une prison plus ou moins dorée : la Suède ou l’URSS ! Peur que tous les rêves ne se transforment en cauchemars, comme le communisme transformé en un système de camps de concentration et d’asiles psychiatriques.

 

         Les êtres humains ne parviennent pas, d’une part, à puiser des forces en eux-mêmes, à se resubstancialiser, à réacquérir leurs dimensions perdues, d’autre part, à concevoir le mouvement vers la communauté humaine en sa totalité et en ses unités-diversités ; ils ne perçoivent qu’un néant et, en conséquence, appréhendent à se lancer dans un mouvement quelconque. C’est la perte de tout élan, de tout enthousiasme. Mais, plus profondément, il y a la sensation d’une insécurité profonde. L’être dans le monde n’est jamais assuré car tout ce qui est, est sujet à caution, et le monde lui-même dans son absurdité ne peut rassurer les êtres. Si, dans les communautés primitives, les êtres humains recouraient à la magie pour avoir confirmation de la réalité de leur existence, de leur être dans le monde[17], il ne reste, à ceux d’aujourd’hui, qu’à rechercher réalité et vie dans différentes sectes religieuses surgies au cours de ces vingt dernières années. Le refuge dans la religion est conjuration de la peur.

 

         La méconnaissance de la dynamique conduisant à la communauté[18], doublée de la méconnaissance réciproque des êtres humains est paralysante. On l’a souvent signalé, le racisme commence dès que l’altérité, la diversité d’un être humain est vécu comme une agression, comme une remise en cause, car elle mine les référentiels profonds, cachés, obscurs, ceux qui donnent certitude de la présence de l’être dans le monde; si ces référentiels sont bafoués, toute réalité semble s’évanouir. Le terrorisme manifeste souvent la peur de l’autre ; le détruire semble être le seul moyen de conjurer cette peur qui est en même temps angoisse à cause de la perte de la sécurité de l’être dans le monde.

 

         L’existentialisme, en son temps, a fort bien exprimé l’angoisse sociale de cette perte de sécurité, mais, actuellement, le mal est encore plus profond parce que tout est remis en cause. Ce n’est plus l’existence immédiate telle qu’elle peut être déterminée par les rapports sociaux actuels, mais l’existence dans sa dimension historique, dans la tradition des êtres humains ; la religion, la science, l’art sont reconnues mortes, ne reste qu’un vide orné de désirs, c’est-à-dire quelques impulsions à être, à vivre. La recherche de la satisfaction effrénée de désirs n’est peut-être qu’une attitude conjuratrice de ce vide. L’inflation verbale plus souvent, d’ailleurs, que gestuelle ou pleinement pratistique est, comme dans le cas du capital, une tentative de créer quelque chose au-delà de la sphère immédiate en escamotant les difficultés du présent.

 

         L’humanité doit faire le saut – possible depuis longtemps – c’est-à-dire rompre avec la dynamique surgie lors de la rupture avec la nature, avec la communauté et emprunter une autre voie ou bien elle sera assujettie à un rêve fou – vouloir dominer la nature, être en dehors d’elle – qui se réalise avec le capital et qui aboutit à sa totale sujétion en courant de multiples risques de destruction dont les plus graves sont écologiques. Mais c’est de ce saut qu’elle a peur; ce qui engendre un recul sur des positions antérieures, sur des moments précapitalistes qui ont été antagonistes au capital. Les êtres humains dans leur volonté de s’opposer à celui-ci, de le détruire, privilégient en définitive des périodes du passé qui ne furent souvent que des présuppositions à son devenir. Ce faisant la lutte est dévoyée et les êtres humains n’affrontent pas les question réelles. Adorno, en revendiquant une société réglée par l’échange égal en est un bon exemple, de même ceux qui défendent la démocratie comme un moindre mal, les mouvements régionalistes et tous ceux qui veulent éliminer les conséquences dévastatrices du MPC en conservant sa rationalité. Beaucoup de groupes gauchistes ont peur de remettre en question l’outil, la machine, la technique et refusent de considérer la science comme une simple thérapeutique pour une pathologie de l’action humaine.

 

         Ces positions de repli sont multiples du fait qu’en arrivant au moment de mutation où nous sommes, une foule de contradictions, qui se sont manifestées aux époques antérieures et ne furent qu’englobées, réaffleurent de façon plus ou moins virulente. Certains individus peuvent se polariser sur ces contrastes secondaires et édifier là-dessus théorie et pratique. Ils se seront seulement mis en dehors du mouvement réel, même s’ils s’opposent s’ils invectivent et, ce qui peut souvent arriver, s’ils s’adonnent au terrorisme. Ce dernier se manifeste fréquemment au moment où rien n’est possible ou ne l’est pas encore, au moment où la confusion est telle que la seule attitude pouvant faire jaillir quelque chose semble être une affirmation implacable de la violence. Le terrorisme c’est l’impasse et c’est la possibilité pour le capital d’éliminer tranquillement des éléments perturbateurs.

 

         Il y a donc une peur du futur, soit celui chanté par Toffler, parce qu’il apparaît comme exacerbation de ce qui se manifeste déjà, soit celui que nous pouvons prôner parce qu’il est inconnu et qu’il implique le rejet des vieilles représentations. Aucun terrorisme, aucune contre-peur ne peut faciliter la perception de ce devenir que nous envisageons. Pourtant il faut se hâter car nous sommes parvenus à un moment où une décision rapide s’impose.

 

         Nous avons tenté de mettre en évidence en quoi consiste la communauté matérielle du capital et le déterminisme qui opère en elle, non pour reconnaître qu’il est difficile de faire quoi que ce soit à cause de ce déterminisme, mais pour le refuser. Il est clair que, dans une pratique concrète de tous les jours, ce refus est difficilement réalisable, mais cela n’élimine pas la possibilité, au moins, de l’affirmer et, par là, de rejeter tout compromis avec la dynamique de la lutte anti-capitaliste qui ne fait que nous engluer dans la communauté matérielle.

 

         On a, à plusieurs reprises, souligné à quel point la conscience était, la plupart du temps, conscience répressive et que la pensée retardait énormément sur la réalité. Là aussi l’absence d’adéquation entre ces deux éléments, les porte-à-faux, sont générateurs d’angoisse, de peur, ne serait-ce qu’en tant qu’appréhension de ce qui peut advenir. Plus globalement on ne peut être que douloureusement impressionné de constater à quel point une espèce qui se vante d’être supérieure, qui se targue de sa pensée, de sa conscience, n’accomplira un mouvement générateur de vie que contrainte et forcée. La pensée aura été inefficiente. Il n’y aura eu, ainsi, aucune générosité de vaste ampleur pour mettre fin à un devenir qui depuis plus d’un siècle n’engendre que guerres, aliénations, destructions des êtres humains et de la nature. Il faudra aller jusqu’au bout de l’abjection pour que, menacée dans son existence biologique, elle se "décide " enfin à se révolter.

 

         Même au moment où la situation sera favorable par suite d’un affaiblissement de toutes les contraintes, il n’est pas dit, encore, que l’espèce soit capable de vraiment se rebeller tant elle aura été domestiquée. Cette peur de la trop grande domestication possible détruit toute espérance qui n’est que suicide planifié et étalé. Un problème urgent se pose, ici et maintenant. On ne peut pas attendre que la révolution ait éclaté pour entreprendre quelque chose. Il faut prendre au sérieux l’injonction de Bordiga: se comporter comme si la révolution avait déjà eu lieu; il n’y a plus d’expériences à faire, à subir, qui seraient génératrices d’idées, de comportements nouveaux. Il est clair, encore une fois, que dans l’immédiat, pratiquement, les possibilités sont réduites mais on peut au niveau de l’affirmation être le plus radical possible en balayant toutes les représentations anciennes et en remettant vivement en cause le mouvement intermédiaire entre communautés primitives et communauté humaine à venir. Il faut, dès maintenant, entrer dans l’autre voie qui permet de se sauver et de constituer un pôle énergétique humain d’une part en puisant dans toute l’histoire les charges qui ont été émises lors de la rébellion contre le devenir du capital, d’autre part en portant à terme une convergence entre les différents éléments, non pour proclamer une solidarité révolutionnaire car celle-ci implique que les éléments sont atomisés, séparés, et qu’une certaine « éthique » permettra de les réunir. Non, il s’agit de trouver la communication immédiate entre humains. C’est cela qu’il faut acquérir, qui fait défaut et rend impuissants tous les groupements. Les hommes et les femmes se réunissent pour lutter contre quelque chose et c’est cet ennemi qui les unit, mais dès qu’ils doivent affronter leur positivité, leur œuvre réellement humaine, il y a faillite parce qu’ils n’ont plus de dimension humaine, ils sont trop étrangers les uns aux autres, trop réduits à particules du capital, inexpressives si ce n’est dans le champ d’action de celui-ci. La difficulté à communiquer dérive à la fois de l’absence de contenu des êtres humains et de la présence de diaphragmes que sont les représentations, les rôles, les caractères, etc.

 

         La peur sous ses formes multiples peut conduire à une rébellion mais elle est en même temps inhibitrice ; elle paralyse l’élan qui ne peut engendrer tout ce qui devrait être. Il faut la reconnaître à la façon dont Marx disait qu’il fallait avoir honte de la situation sociale où il se trouvait, non pour réaliser une prise de conscience, mais pour rompre avec une dynamique qui nous broie. Étant donné que nous sommes parvenus à un point où en quelque sorte, l’espèce est prise au mot de son discours sur la conscience, sur la pensée, sur ses possibilités, sur son rapport à la nature et, qu’au fond, les données de la solution résident en elle, il ne reste qu’à paraphraser le vieux proverbe latin tant prisé d’Hegel et de Marx et dire à nous tous : « C’est ici qu’est la peur, c’est ici qu’il faut sauter ! »

 

 

Jacques CAMATTE

Mars 1975

 

 

 



[1] On peut trouver cette prévision dans différents textes de A. Bordiga. Dans Le cours du capitalisme mondial dans l'expérience historique et dans la doctrine de Marx (in  il programma comunista fin 1957 et début de 1958), il a donné quelques éléments étayant celle-ci. Beaucoup de passages anticipent ce qu'ont écrit, 15 ans plus tard, les gens du Club de Rome. On a publié dans Invariance n° 3, série I et dans le n° spécial de 1968, de courts extraits où cette prévision était énoncée. Nous essaierons dans un prochain n° de rassembler tout ce que Bordiga écrivit d'important à ce sujet et le confronterons avec les évènements en cours.

 

[2] Dans les n° 2 et 6 de la série I on trouvera le pourquoi d'une telle périodisation.

 

[3] On ne peut plus nier la récession : il y a bien diminution de la production, du produit national brut, baisses spectaculaires de la bourse, augmentation du chômage ; en outre, on a eu, à la fin de la décennie 60 et au début de celle de 70, une forte augmentation des salaires, phénomène qui, selon Marx, précède inévitablement la crise. Toutefois la diminution des prix de gros – autre indice important de la crise selon A. Bordiga – ne s'est pas vérifiée.

 

[4] Certains auteurs se sont fondés sur ces phénomènes technologiques pour expliquer les crises; c'est la théorie des cycles longs. C'est une représentation, au sens étroit du terme, d'un phénomène réel, mais elle tend à le surévaluer et à faire du capital quelque chose de purement technologique.

 

            Marx avait déjà explicité le renouvellement du capital fixe comme étant un moment de crise pour le capital. J'ai abordé cette question dans le n° 2, série I. Ce qu'il y a d'important dans le cycle-crise actuel c'est également un autre phénomène étudié par Marx dans le deuxième Livre du Capital: celui de l'avance nécessaire de capital-argent pour amorcer le cycle d'échanges des produits fabriqués dans les sections  I et II de la production sociale du capital. Ainsi pour que le cycle des échanges s'amorce il suppose qu'un capitaliste de la section I, par exemple, avance 500 L. Il est évident, qu'à la suite d'une série d'opérations, ces 500 L. lui reviennent et Marx insiste sur le fait que ce capital argent est avancé et non dépensé. Avec le plan Marshall, à la fin de la guerre 39-45, on peut considérer que les E.U. ont fait une avance de capital à l'Europe. Il ne s'agit aucunement de don. Les dollars avancés devaient revenir aux E.U.. Ce qui se produisit et causa ce qui a été baptisé une pénurie de dollars, un manque de liquidités. Il aurait fallu en quelque sorte un nouveau plan Marshall. Or, pour des raisons qu'on ne peut aborder ici (indiquons seulement : une libération de capital, au sens où l'entendait Marx, se produisit aux E.U.), les étasuniens commencèrent à ne pas rapatrier leurs dollars à la fin des années 50. Il se constitua le marché des eurodollars. À peu près à la même époque les européens et les japonais commencèrent à devenir plus compétitifs ; en outre beaucoup d'entreprises étasuniennes à l'extérieur des E.U. vinrent concurrencer les autochtones. Il en est résulté ce que nous avons appelé une crise de la représentation due au contraste entre le rôle du dollar en tant que représentant du capital étasunien et son rôle en tant que représentant du capital mondial.

 

            Ensuite un autre phénomène s'est fait jour: le renchérissement des matières premières d'où encore nécessité d'une avance par un partenaire capitaliste quelconque. C'est ici que les pétro-dollars pourraient servir à l'opération, c'est ce que les E.U. voudraient  faire en les recyclant à leur façon

 

[5] Dans une série d'articles publiés dans les n.° 15 et 16 du Daily Telegraph sous le titre de Inflation's path to unemployment  et repris dans  Problèmes économiques  n° 1.399, F. Von Hayek prix Nobel d'économie 1974 avoue qu'on ne peut pas assurer le plein emploi. C'est un aveu d'impuissance surtout après la soi-disant révolution keynésienne et le développement de l'économie post-1930. Il fait remarquer :

 

            «La première condition à remplir pour éviter un tel sort, c'est d'affronter les réalités et d'amener la majorité de la population à comprendre que, après les erreurs que nous avons commises, il est tout bonnement impossible de maintenir le plein emploi».

            Le plein emploi fut considéré comme la panacée pour lutter contre le chômage dont l'accroissement intempestif fut responsable des troubles sociaux des années 20. Aussi pour les éviter les capitalistes préfèrent-ils recourir à une autocritique en paroles mais que nous devons réaliser : nous nous sommes trompés, vous devez réduire votre consommation car la demande excessive entraîne l'inflation ! Les divers pouvoirs étatiques ont plutôt peur de prendre des décisions d'autant plus que les syndicats inféodés dans le système capitaliste sont une force défendant un stade antérieur du MPC. Il y a une inhibition du développement de ce dernier à cause du pôle travail du capital. Maintenant que le prolétariat est intégré il faut qu'il joue le jeu du capital. Ses vieilles organisations qui rendent rigides le fonctionnement du système devront être modifiées ou disparaître. Ceci sera facilité du fait même que la grève, arme des syndicats, devient de plus en plus inefficace et, au lieu d'être, comme autrefois, un moyen d'unir, elle est un élément de désunion des travailleurs.

 

 

[6] Cf. à ce sujet le n° 2 série I d'Invariance;  Le VI Chapitre inédit du Capital et l'œuvre économique de Marx . Ce texte a été republié dans Capital et Gemeinwesen.

 

[7] Cf. Attali in Le monde du 04.01.75 qui parle de La crise pour caractériser la situation actuelle. Il considère qu'il y a une mutation en cours déterminée par trois phénomènes : l'inflation, la mondialisation et la troisième : « Produire là où le taux de rentabilité du capital est le plus élevé. » Ce qui aboutira à une « redistribution de la production » qui peut en quelques années « prolétariser et provincialiser des nations entières », chose qu'il veut éviter à la France. Ce qui est intéressant, c'est cette possibilité de disparition de certaines manifestations capitalistes en Europe occidentale, tandis qu'elles se produiront au sud de la Méditerranée, par exemple, comme l'a noté N. Macrae qui lui aussi a abordé cette question. Mais il est clair que les centres de décision du capital pourront très bien demeurer en Europe occidentale et aux E.U. Dès lors quel sera le mode de vie imposé aux européens. Enfin si cette perspective se réalise, le capital aura accompli un cycle entier de vie sans qu'il y ait une révolution ! Alors comment lier encore le devenir de la révolution à celui du développement des forces productives?

 

            Parallèlement à cela il est important de noter que se vérifie concrètement notre affirmation que tout capital tend à se constituer en communauté. En effet :

                         « L'on s'oriente de plus en plus vers des fusions groupant des entreprises de branches différentes. En 1969, celles-ci concernaient, s'agissant de fusions importantes à l'exception des banques et des compagnies d'assurance, moins de 1% des actifs acquis, mais en 1972, ce pourcentage avait augmenté de façon spectaculaire pour atteindre 31%. En nombre, le pourcentage est passé de 8 à 42 au cours de la période considérée. (Ceci en ce qui concerne l'Allemagne, n.d.r.) » (Fusions et politique de concurrence in  Rapport du  Comité d'experts de l'OCDE sur les pratiques commerciales restrictives  dont les extraits ont été reportés in Problèmes économiques, n° 1.412).

 

  [8] Cf. à ce sujet Ce monde qu'il faut quitter in n° 5 série II d'Invariance.

 

[9] Le crédit a eu différentes formes au cours des âges. Il est certain qu'il ne peut exister qu'à partir du moment où les hommes sont aptes à considérer comme réelle une action du futur. On peut être d'accord avec Mauss sur le fait qu'avec le potlach, système de dons et de contre-dons, il y avait, au fond, un phénomène de crédit. Ce qu'il faut ajouter c'est que le mouvement de la valeur était alors vertical et aboutissait à l'offre à un dieu, ensuite il acquit un mouvement horizontal. D'autre part, dans ce système la valeur d'échange ne parvient pas à s'autonomiser ; en revanche, on peut dire que le pôle valeur d'usage de la valeur, lui, s'autonomise et engendre une certaine aliénation des hommes. Le principe déterminant est alors l'utilité ; avec l'autonomisation de la valeur d'échange ce sera la productivité.

 

[10] Cf. à ce sujet Invariance n° 2 série I. Sur Internet cf. Capital et Gemeinwesen

 

[11] Dans La destruction du temple article paru dans « il programma comunista » n° 19 de 1962, Domenico Ferla faisait la remarque suivante :

  «Le travail universel de l'esprit humain, fruit de la coopération entre les vivants et de l'utilisation du travail des morts n'a pas de valeur, ses produits ne peuvent être reproduits par le travail. Une chose qui n'a pas de valeur acquiert un prix, quand il devient objet de monopole. Quels sont aujourd'hui les monopolistes qui donnent un prix à la science, qui aliènent frauduleusement le travail universel de l'esprit humain ? Ce sont les savants définitivement soumis au capital. La métamorphose du savant en technicien est la métamorphose du savant en monopoliste de la science. Comme le capital a trouvé une limite dans la terre, il a trouvé une limite dans la science, dans l'exploitation du travail universel. Le capital a dépassé cette limite tout d'abord en rendant la science aliénable de même qu'il avait fait de la terre un « article de commerce », ensuite en transformant les savants en monopolistes, en propriétaires fonciers et en négociant avec eux une rente. Ce progrès a conduit à l'appauvrissement de la terre, et à la décadence de la science. Les «experts» et les «techniciens », comme les propriétaires fonciers sont des parasites de la société, ils monopolisent le travail universel de l'esprit humain pour le céder au capital en échange d'une rente, ils s'aliènent le travail des morts pour exploiter le travail des vivants.»

 

[12] Nous sommes bien conscients que c'est un cas limite hypothétique difficilement réalisable car la vie est un continuum d'espèces et une seule ne peut réaliser la vie.

 

[13] Souligner que la surpopulation est un grave problème qui se pose à nous n'implique pas qu'il faille prôner l'avortement comme solution, ni en faire une apologie, car cela demeure toujours un acte horrible même s'il peut être nécessaire au sein de l'horreur de cette société, ni qu'il faille recourir à une continence absolue pour une génération entière ! La question est complexe et ne peut être résolue qu'en dehors de cela.

 

                        Souligner qu'il y a un problème d'espace, que la diminution de celui-ci ne peut que rendre fou, n'implique pas que l'on accepte pour cela la théorie du « territoire » chère à divers ethnologues.

 

[14] Car si l'anarchisme n'a pas prétendu faire une oeuvre scientifique, il a toujours, dans une perspective qui reste illuministe, défendu la science parce qu'elle aurait une charge subversive parce que dispensatrice de vérité.

 

[15] À la place du mot communisme, je préfère souvent employer une périphrase : réalisation de la Gemeinwesen humaine. Il est difficile d'utiliser un mot qui sert à désigner une réalité sociale aussi épouvantable que celle de l'URSS. En outre, il pâtit des limites de l'époque où il fut engendré. Il a été forgé pour désigner un rapport social où il n'y aurait plus de propriété privée, mais une propriété commune. Celle-ci était envisagée comme une réponse immédiate à une situation intolérable où certains étaient riches et d'autres pauvres. Richesse et pauvreté étaient réellement des déterminations des hommes. De nos jours, les richesses sont  incluses dans la communauté matérielle et, en fonction de leur rôle joué au sein de celle-ci, les êtres humains ont droit à une consommation plus ou moins grande. Que pourraient-ils mettre en commun ? Voilà qui concrétise parfaitement l'affirmation selon laquelle le communisme ne peut être qu'une question d'être. Le mode d'être où hommes et femmes pourront enfin s'épanouir ne peut être trouvé que dans une communauté où « l'être humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme » (Marx).

 

[16] Cf. à ce sujet Invariance n° 5 et 6 série I. (thèses 4.4.3.), en tenant compte de la caducité de la position sur le rôle du prolétariat. Sur Internet cf. La révolution communiste: thèses de travail

 

[17] Cf. Il mondo magico (Le monde magique) de Ernesto de Martino. Ed. Boringhieri. 1973, livre absolument remarquable sur lequel nous reviendrons.

 

 

[18] Si nous rejetons la science, cela n'implique pas que nous soyons pour un obscurantisme ni que nous voulions fonder un nouveau gnosticisme tout en reconnaissant à ce dernier (le mouvement qui eut lieu au cours du deuxième siècle après Jésus-Christ) une très grande importance.

 

 

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