La
lettre que nous publions ci-après (du
04.09.1969) permit la dissolution du groupe qui tendait à se former sur
les
positions exposées dans la revue Invariance ; elle ouvrit un débat
-réflexion
important qui s'est poursuivi depuis et dont nous avons extériorisé
certains
points d'arrivée dans Transition, in série I, n°8
de la même revue.
Si certains points soulevés par cette lettre ont
été en partie traités, d'autres furent à peine effleurés. D'où la
nécessité –
étant donnée l'urgence de rompre de façon toujours plus nette avec le
passé –
de sa publication. Par là le lecteur pourra mieux se rendre compte de
l'évolution du travail accompli et de ce qu'il reste à faire.
Étant un point de rupture (par là un point
d'aboutissement) en même temps qu'un point de départ, cette lettre
contenait un
certain nombre d'imprécisions, germes d'erreurs possibles. Nous
indiquerons en
note la plus importante. D'autre part, vue l'impossibilité où nous
étions
d'indiquer « concrètement » le mode d'être des
révolutionnaires, une
fois rejetés la pratique du groupe, il y eut possibilité
d'interprétation du
refus groupusculaire comme un retour à un individualisme plus ou moins
stirnérien. Comme si la seule garantie allait désormais être la
subjectivité
cultivée en chaque révolutionnaire ! Il n'en était rien. Il fallait
avant tout
rejeter la perception de la réalité sociale et la praxis qui lui était
liée en
tant que point de départ du processus de rackettisation. Si on se
retirait donc
totalement du mouvement groupusculaire, c'était simultanément pour
pouvoir
entrer en liaison avec d'autres révolutionnaires qui avaient fait
d'ailleurs
une rupture analogue à la nôtre. Nous avons essayé de mettre en
évidence un
phénomène de convergence. Maintenant il y a une production directe de
révolutionnaires qui dépassent presque immédiatement le point où il
nous fallut
rompre avec la réalité ambientale. Il y a dès lors une
« union »
potentielle qui serait remise en cause si nous ne portions pas à bout
jusqu'au
plus profond de nos consciences individuelles la rupture avec la vision
politique. L'essence de la politique étant fondamentalement
représentation cela
veut dire que les groupes cherchent toujours à mettre au point sur
l'écran
social leur image. Ils veulent toujours expliquer la façon dont ils se
représentent afin d'être reconnus par certains comme l'avant-garde pour
représenter les autres, la classe. Ceci se révèle dans le fameux
« ce
qui nous
distingue » de divers
groupuscules en quête de reconnaissance. Toute délimitation est
limitation et
ceci conduit souvent à réduire assez rapidement, comme un peau de
chagrin, la
délimitation à quelques slogans représentatifs pour le marketing
rackettiste.
Toute représentation politique est écran, donc obstacle à une fusion
des
forces. Elle peut se produire au niveau d'un groupe comme à celui d'un
individu
; le repli sur ce dernier serait un renvoi du/au passé.
Camatte
Jacques - 1972
* * *
« Nous
deux, nous nous
moquons pas mal d'être populaires.
En voici la preuve, entre autres, par dégoût de tout culte de la
personne. Je
n'ai jamais permis que l'on fit de la publicité autour des nombreux
témoignages
d'admiration dont on m'accablait dans divers pays […]. Lorsque nous
adhérâmes,
Engels et moi, pour la première fois, à la société secrète des
communistes,
nous le fîmes à la condition sine qua non qu'on
écarterait des statuts
tout ce qui a pu être favorable au culte de l'autorité. »
« Peut-on
au milieu des relations et du
commerce bourgeois, rester au-dessus de l'ordure ? Ce n'est que dans
cette
ambiance qu'elle est naturellement à sa place […]. L'honnête infamie ou
l'infâme honnêteté de la morale solvable […] ne vaut pas pour moi un
liard de
plus que l'irresponsable infamie dont ni les premières communautés
chrétiennes,
ni le club des Jacobins, ni même notre vieille Ligue n'ont pu
s'affranchir
entièrement. Mais on s'habitue, au milieu des trafics bourgeois, à
perdre le
sentiment de la respectable infamie ou l'infâme
respectabilité. »
Avec
la constitution du capital en être matériel
et donc en communauté sociale, on a la disparition du capitaliste en
tant que
personnage traditionnel, la diminution relative, parfois absolue, des
prolétaires et l'accroissement des nouvelles classes moyennes. Toute
communauté
humaine, la plus petite soit-elle est conditionnée par le mode d'être
de la
communauté matérielle. Ce mode d'être découle du fait que le capital ne
peut se
valoriser, donc exister, développer son être que si une particule de
lui-même,
tout en s'autonomisant, s'affronte à l'ensemble social, se pose par
rapport à
l'équivalent total socialisé, le capital. Il a besoin de cette
confrontation
(concurrence, émulation) parce qu'il n'existe que par différenciation.
A partir
de là se constitue un tissu social basé sur la concurrence
d' « organisations » rivales (rackets).
« Elle fait renaître une
nouvelle aristocratie financière, une nouvelle espèce de parasites,
sous formes
de faiseurs de projets, de fondateurs, et de directeurs simplement
nominaux ;
tout un système de filouterie et de fraude au sujet d'émission et de
trafic
d'action. C'est là de la production privée sans le contrôle de la
propriété
privée. » Le
Capital,
t.7, p. 104
« L'expropriation s'étend ici
du producteur direct aux petits et aux moyens capitalistes eux-mêmes.
Le point
de départ du mode de production capitaliste est justement cette
expropriation.
Son but est de la réaliser et, en dernière instance, d'exproprier tous
les
individus de tous les moyens de production, lesquels, la production
sociale se
développant, cessent d'être des moyens et produits de la production
privée et
se bornent à être moyens de production entre les producteurs associés,
donc
peuvent être leur propriété sociale, tout comme ils sont leur produit
social.
Mais à l'intérieur du système capitaliste lui-même, cette expropriation
se
présente sous une forme contradictoire en tant qu'expropriation par
quelques
uns de la propriété sociale ; et le crédit donne toujours davantage à
ces quelques
uns le caractère de purs aventuriers de l'industrie
(Gluckritter). » Ibid,
p. 105
L'entreprise
siège du procès de production
(création de valeur) est un lieu qui freine le mouvement du capital, le
fixe.
Il doit donc surmonter cette fixation. Il faut qu'elle perde ce
caractère : on
passe alors à l'entreprise sans propriété mais qui permet une
appropriation du
produit forme mystifiée de la plus-value. Ceci est réalisé avec des
entreprises
où le capital constant est égal à zéro, où donc seule une certaine
avance de
capital est nécessaire afin de mettre en mouvement
« l'affaire ».
Ensuite on a même des entreprises fictives grâce auxquelles se
développe la
spéculation la plus effrénée.
« Le capital se
présente aujourd'hui en chacun de ses moments sous la forme d'une
organisation.
Derrière ce mot devenu synonyme non de fraternité au cours d'une lutte
ouverte
comme au temps glorieux des luttes ouvrières, mais fiction hypocrite
des l'intérêt
commun, derrière l'inexpressive et anti-mnémonique nom de
l'insaisissable
entreprise, parmi les affairistes, administrateurs, techniciens
ouvriers
spécialisés, manœuvres, cerveaux électroniques, robots et chiens de
garde, des
facteurs de la production et de stimulateurs du revenu national, le
capital
accomplit l'immonde fonction qu'il a toujours accomplie, une fonction
infiniment plus ignoble que celle de l'entrepreneur qui se faisait
personnellement payer, à l'aube de la société bourgeoise, intelligence,
courage
et véritable esprit de pionnier.
L'organisation n'est
pas seulement le capitalisme moderne sans personnage, mais le
capitalisme sans
capital, parce qu'il n'en a aucun besoin […].
L'organisation d'affaires
a son propre plan : elle ne
présente pas de maisons de commerce responsables, avec des actifs
mais
elle met en avant une « société pilote » avec un
capital fictif, et
si elle anticipe quelque somme c'est seulement pour se gagner la
sympathie de
certains bureaux d'État qui doivent examiner les offres, les
propositions et
les contrats. »
« On découvre ici,
d'autre part, la fausseté de la doctrine stupide sur la bureaucratie
d'État ou
de parti, nouvelle classe dominante qui couillonne prolétaires et
capitalistes
de même que se dévoile, sous un aspect nouveau et différent,
l'hypothèse
ridicule si facile à rejeter, d'un point de vue marxiste. Le
« spécialiste » est aujourd'hui l'animal de proie, le
bureaucrate, le
misérable lécheur de bottes. »
« L'organisation
diffère de la commune de travail (pure illusion
libertaire dont on n'a
aucun exemple dans des lieux déterminés) parce qu'il n'y a pas parité
de
prestation à une œuvre commune, mais dans chaque entreprise une
hiérarchie de
fonctions et d'avantages. Il ne peut en être autrement quand
l'entreprise a son
bilan en terme de profit et une autonomie dans le domaine du marché. […]
« … L'État se loue
à des organisations qui sont de véritables bandes d'affaires, de
composition
humaine changeante et insaisissable, dans tous les secteurs de
l'économie, sur
un itinéraire qui dans tous les systèmes capitalistes modernes est
marqué par
des formes odieuses qu'a assumé l'industrie du bâtiment, dont le siège
n'est
pas fixe. »
Non
seulement l'État se
loue à des bandes mais il devient lui-même une bande (racket).
Cependant il joue
toujours un rôle de médiateur.
« La monarchie
absolue est comme on le sait, créée par un développement de la richesse
bourgeoise tel qu'il est incompatible avec les anciens rapports sociaux
de la
féodalité. Pour être en mesure d'exercer son autorité sur tous les
points, elle
a besoin d'un levier matériel : la puissance de l'équivalent
général et
d'une richesse à tout instant mobilisable. »
L'État
équivalent général apparaît dans sa forme
pure à l'époque du fleurissement de la loi de la valeur, en période la
production marchande simple. En domination formelle du capital celui-ci
n'a pas
encore dominé la loi de la valeur, l'État est un médiateur entre
celui-ci et
les restes des autres modes de production subsistants, et le
prolétariat
lui-même. C'est aussi l'époque où le système du crédit ne s'est pas
encore
développé et n'a pas engendré, sur une vaste échelle, le capital
fictif. Le
capital a encore besoin du rigide étalon-or. Lors du passage à la
domination
réelle du capital, celui-ci se crée son propre équivalent général qui
ne peut
pas être rigide comme il l'était en période de circulation simple.
L'État
lui-même doit perdre sa rigidité et devient une bande médiatrice entre
les
différentes bandes, entre la totalité du capital et les capitaux
particuliers.
On
assiste, dans la sphère politique, à la même
transformation. Le comité central d'un parti ou le centre d'un
regroupement
quelconque joue le même rôle que l'État. Le centralisme démocratique ne
fait
que singer le mécanisme parlementaire correspondant à la domination
formelle du
capital. Le centralisme organique affirmé de façon seulement négative,
en tant
que refus de la démocratie, des différentes formes sous lesquelles elle
se
manifeste : assujettissement de la minorité à la majorité, votes,
congrès,
etc., retombe en fait dans les rêts des mécanismes sociaux actuels. De
là,
comme pour le fascisme, la mystique de l'organisation. C'est ainsi que
le
P.C.I. (Parti communiste international) s'est transformé en une bande.
Ce mouvement du capital peut d'autant
mieux se produire qu'il ne rencontre aucune opposition réelle dans la
société,
le prolétariat ayant été détruit. Son être réel a été nié et il
n'existe qu'en
tant qu'objet du capital. De même la théorie du prolétariat, le
marxisme, a été
détruite, d'abord avec l'œuvre révisionniste de Kautsky, puis avec
celle
liquidatrice de Bernstein. Ceci s'est opéré de façon définitive car
aucun
assaut du prolétariat n'a, depuis, réussi à la rétablir. Ceci n'est
qu'une
autre façon pour dire que le capital a réussi à établir sa domination
réelle.
En effet, pour aboutir à ce résultat le capital doit englober le
mouvement qui
le nie, le prolétariat, et constituer l'unité où le prolétariat n'est
qu'un
objet du capital. Cette unité ne peut être détruite que par la crise
telle que
la décrivait Marx. Il en découle que toute forme d'organisation
politique
ouvrière a disparu. A sa place, on a les bandes qui s'affrontent en une
concurrence obscène, véritables rackets rivaux dans le bavardage mais
identiques dans leur être.
L'existence de la bande découle donc
du mouvement du capital tendant à englober ses contradictions, de son
mouvement
de négation et de sa reproduction sous forme fictive. En effet, le
capital nie
ou tend à nier les éléments sur lesquels il s'est édifié : l'individu
et
l'entreprise, mais, en réalité, il les ressuscite sous forme fictive.
L'être de
la bande exprime bien cette dualité :
-
le
chef qui commande (et sa clique) = caricature
de l'individu traditionnel.
-
La
forme collective = caricature de ce que
devient la communauté basée sur les intérêts communs.
On a donc résorption du mouvement de
la négation dans la bande qui est la réalisation de l'apparence. Elle
réalise
d'autre part une autre exigence du capital : remplacer toutes les
présuppositions naturelles ou humaines par des présuppositions
déterminées
vis-à-vis du capital.
Vis-à-vis
de l'extérieur, la bande politique a tendance a masquer l'existence de
la
clique car elle doit séduire afin de recruter. Elle se pare alors d'un
voile de
modestie pour mieux élargir, par la suite, son pouvoir. Lorsqu'elle
s'adresse
(journaux, revues, tracts) aux éléments externes, elle prétend qu'il
faut être
compréhensible, il faut se mettre sur le terrain de la masse. Par là
elle veut
opérer la médiation à l'aide des données immédiates. Elle considère
tous ceux
qui sont en dehors comme des imbéciles et pour arriver à les séduire,
elle est
obligée de produire des banalités, des conneries. Et, finalement, elle
se
laisse séduire elle-même par ses propres conneries et, par là, se fait
absorber
par le milieu ambiant. Cependant une autre prendra sa place. Ses
premiers
vagissements théoriques consisteront à attribuer tous les méfaits, les
torts à
elle qui l'a précédé, cherchant ainsi un langage nouveau afin de
recommencer la
grande pratique de séduction. Car pour séduire il faut apparaître comme
étant
différent des autres.
Une
fois englobé dans la bande (la même chose
vaut pour tout type d'entreprise) l'individu est lié à elle par tous
les
ressorts psychologiques de la société capitaliste. S'il présente des
capacités,
on les exploite immédiatement sans lui permettre un approfondissement
de la
« théorie » qu'il a acceptée. En échange, on lui
donne une position
dans la clique, on en fait un chefaillon. S'il ne présente pas ces
capacités,
l'échange a tout de même lieu entre son adhésion et le devoir qu'il a
de
diffuser la position de la bande qu'il vient d'adopter. Même pour les
groupes
qui veulent échapper aux données de la société, le mécanisme de la
bande tend
tout de même à y prédominer du fait même de la différence de niveau
théorique
entre les membres qui composent ce groupement. L'incapacité où se
trouve
l'individu à affronter par lui-même les questions théoriques le conduit
à se
réfugier derrière l'autorité d'un autre élément qui devient
objectivement un
chef ou derrière l'entité groupe qui devient une bande. Car dans les
rapports
avec l'extérieur cet individu, en définitive, utilise cette
appartenance à la
bande pour se différencier et exclure les autres ne serait-ce que pour
se
prémunir contre ses propres faiblesses théoriques. Appartenir pour
exclure
telle est la dynamique interne de la bande qui est fondée sur une
opposition
avouée ou non entre extérieur et intérieur. Ainsi même un groupe
informel
retombe dans le racket politique et c'est le cas classique où la
théorie
devient une idéologie.
L'adhésion
à une bande donnée découle de la
volonté de s'identifier à un groupe en qui s'incarne un certain
prestige
théorique pour les intellectuels, organisationnel pour les hommes
soi-disant
pratiques. D'autre part, dans la formation
« théorique » intervient
le mécanisme mercantile. Étant donnée la masse croissante de
capital-marchandises
idéologiques à réaliser, il faut créer une motivation profonde afin que
ces
marchandises soient achetées. Pour cela la meilleure motivation est la
suivante
: apprendre plus, lire plus, pour être au-dessus, pour être différent
de la
masse. Ostentation du prestige et exclusion sont la manifestation de la
compétition sous toutes ses formes. Ceci s'opère de même entre les
bandes qui
doivent vanter leur originalité, leur prestige, afin d'attirer ; d'où
le culte
de l'organisation en place, la mise au pinacle des particularités de la
bande.
Dès lors, il ne s'agit plus de la défense d'une
« théorie » mais de
celle de la continuité d'une organisation donnée (cf. le P.C.I. et son
idolâtrie de la Gauche italienne).
L'acquisition théorique d'autre part,
est le plus souvent destinée à opérer des manœuvres : justifier
l'acquisition
du poste de chefaillon ou permettre de liquider celui en place.
L'opposition
extérieur-intérieur et la structuration de la bande développe au
maximum
l'esprit de compétition. En effet, étant donné la différence de
connaissance
théorique entre les membres, l'acquisition théoriques devient un
élément de la
bio-sélection politique qui est l'euphémisme de la division du travail.
Dans le
second cas on théorise la société en place, dans le premier cas, sous
prétexte
de la nier on introduit une émulation effrénée qui aboutit à une
hiérarchisation encore plus poussée. Et ce d'autant plus que
l'opposition
extérieur-intérieur se répète à l'intérieur de la bande, puisqu'il y a
le
centre et la masse des militants.
La
bande politique atteint son parachèvement dans
les groupes qui veulent soi-disant dépasser les mécanismes de la
société
actuelle : culte de l'individu, du chef, de la démocratie. En réalité,
avec
l'anonymat – posé simplement comme un anti-individualisme – on a
l'exploitation
effrénée des éléments de la bande au profit de la clique dirigeante qui
retire
le prestige de tout ce que la bande produit. L'affirmation du
centralisme
organique devient la généralisation de l'hypocrisie qui fait que l'on
opère les
mêmes saloperies que dans les autres groupes se réclamant du
centralisme
démocratique, mais en niant qu'on les fait.
Ce qui maintient une unité apparente
au sein de la bande, c'est le chantage de l'exclusion. En effet, ceux
qui
n'acceptent pas les normes sont rejetés avec des calomnies et, s'ils
s'en vont,
il en est de même. D'autre part, ceci sert de chantage psychologique
pour ceux
qui restent. Ceci se manifeste avec quelques différences dans les
différents
types de bandes.
Dans la bande d'affaires, forme
moderne de l'entreprise, l'individu est rejeté et se retrouve sur le
pavé.
Dans la bande de délinquants (en
laquelle se manifeste la réinsertion dans la société, de la révolte
sous sa
forme immédiate, la délinquance, l'individu seul n'est pas assez fort,
n'a pas
de protection ; il entre donc dans la bande), l'individu subit une
raclée ou
est tué.
Dans la bande politique, l'individu
est rejeté avec ces calomnies, lesquelles ne sont que la sublimation de
l'assassinat. La calomnie justifie son exclusion ou bien elle est
utilisée pour
le pousser à s'en aller de « plein gré ».
Il
est évident que dans la réalité les nuances
indiquées peuvent passer d'une bande à l'autre : ainsi il y a des
assassinats
liés aux affaires de même qu'il y a des règlements de compte qui
aboutissent à
des assassinats.
Le capitalisme est donc le triomphe de
l'organisation et la forme de celle-ci est la bande : c'est le triomphe
du
fascisme. Ainsi aux E.U., on a le racket à tous les
niveaux ; il en de même en URSS. La théorie
du capitalisme bureaucratique hiérarchisé dans le sens formel est une
absurdité, car la bande est un organisme informel.
Au
niveau de la théorie, il y a une alternative, c'est l'exaltation de la
discipline, l'exigence de la pureté du militant (cf. le groupe
« Rivoluzione comunista » qui rompit en 1964 avec le
P.C.I sur la
question de la création d'une vraie élite de militants ce qui ne fait
que
reporter à la lumière les positions de
« l'ultra-bolchevisme » que G.
Luckacs voyait comme alternative au parti de masse opportuniste tel
qu'il était
devenu en l'espace de deux ans, le parti communiste d'Allemagne ; cf. Remarques
méthodologiques sur la question de l'organisation). De même
que, sue le
plan de la vie sexuelle, l'alternative à la dissolution des mœurs est
l'ascétisme. Mais une telle alternative se meut à l'intérieur de la
société
capitaliste. Elle n'est pas en liaison avec l'être de la classe et donc
à son
futur. D'autre part, en s'abstrayant de la réalité, elle opère une
coupure
entre théorie et pratique.
Tout ceci ne fait qu'exprimer la
séparation croissante de l'individu de la communauté humaine, de la
misère dans
le sens de K. Marx. La formation de la bande est la constitution d'une
communauté illusoire. Dans le cas de la bande de délinquants, elle est
le
résultat de la fixation de l'instinct élémentaire de la révolte dans sa
forme
immédiate. La bande politique, au contraire, veut fixer cette
communauté
illusoire en tant que modèle pour
toute
la société. C'est un comportement utopiste sans aucune base réelle, car
les
utopistes créèrent des communautés – qui furent toutes absorbées par le
capital- à partir desquelles ils espéraient que, par émulation, elles
arriveraient à englober l'humanité. Ainsi est plus que jamais valable
la phrase
de l'Adresse inaugurale de la I° Internationale :
« L'émancipation des
travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Á l'heure actuelle, le prolétariat, ou
il préfigure la société communiste et réalise la théorie ou il reste ce
qu'est
la société. Le mouvement de mai a été le début de cette préfiguration :
il
découle de ce qui vient d'être dit que le prolétariat ne peut en aucune
façon
se reconnaître dans une quelconque organisation parce qu'il les subit
déjà sous
d'autres formes. Le mouvement de mai en est une claire manifestation.
Le prolétariat ayant été détruit, sa
forme d'être dans la réalité immédiate est le procès même du capital. A
l'époque de Marx le destin des partis ouvriers qui étaient les produits
du
mouvement immédiat du prolétariat de la société de l'époque était celui
de
s'insérer dans le jeu des règles parlementaires bourgeoises.
Aujourd'hui que la
communauté apparente dans le ciel de la politique constituée par les
parlements
et leurs partis a été effacée par le développement du capital, les
« organisations » qui se réclament du prolétariat ne
sont que de
simples bandes ou cliques qui jouent sous la médiation de l'État le
même rôle
que tous les autres groupes directement au service du capital. Ceci est
la
phase groupusculaire où, à la différence des sectes de l'époque de Marx
que
l'unité du mouvement ouvrier devait dépasser, ces partis, ces
groupuscules,
manifestent l'absence de la lutte des classes. Ils se disputent les
restes du
prolétariat. Ils théorisent le prolétariat dans la réalité immédiate et
s'opposent à son mouvement. En ce sens ils réalisent les exigences de
fixation
du capital. Le prolétariat n'a donc pas à les dépasser, comme ce fut le
cas
pour les sectes, mais à les détruire.
La
critique du capital doit donc être la critique du racket sous toutes
ses
formes, du capital comme organisme social, étant donné qu'il devient la
vie
réelle de l'individu et son mode d'être avec les autres (cf. à ce sujet
Marcuse, L'homme unidimensionnel ; Galbraith, Le
nouvel État
industriel). La théorie qui critique cela ne peut pas
reproduire le racket.
Donc, refus de toute vie de groupe (sinon illusion de la communauté). A
ce
sujet on peut reprendre la critique d'Engels au Congrès de Sonvillers
(ce qu'il
disait à l'époque au sujet de l'internationale s'applique aujourd'hui à
un
groupe) en faisant la remarque suivante, qu'au temps de Marx le
prolétariat ne
pouvait pas aller jusqu'à se nier (en ce sens qu'au cours de la
révolution il
devait s'ériger en classe dominante: 1848, 1871, 1917). Il y avait
réellement
une séparation entre parti formel et parti historique. Aujourd'hui le
parti ne
peut être que le parti historique et tout mouvement formel est la
reproduction
de la société et le prolétariat est en dehors. Un
groupe ne peut en
aucune façon prétendre réaliser la communauté sinon en substituant en
définitive au prolétariat qui peut seul le faire. D'où introduction
d'une
distorsion qui engendre une ambiguïté théorique et hypocrisie pratique.
Il
ne suffit pas de faire la critique du capital,
d'affirmer qu'il n'y a pas de liens organisationnels, il ne faut pas
reproduire
la structure de la bande qui est le produit spontané de la société.
C'est là
que doit porter la critique à la gauche italienne et à notre mode
d'être depuis
la rupture avec le P.C.I.
Le révolutionnaire ne doit pas se
reconnaître dans un groupe, mais dans une théorie qui ne dépend pas
d'un groupe
ni d'une revue car elle est l'expression d'une lutte de classes donnée.
C'est
en ce sens justement que se pose réellement l'anonymat qui n'est pas
négation
de l'individu (négation qu'opère la société capitaliste elle-même).
L'accord
est donc celui à un travail qui est en cours et qui doit être
développé. C'est
pourquoi des connaissances théoriques et la volonté d'acquisition
théorique,
non au travers du groupe qui se pose comme un diaphragme entre
l'individu et la
théorie, mais de façon autonome, personnelle, sont absolument
nécessaires,
sinon se répète la relation de maître à élève (autre forme de la
contradiction
esprit-matière, chef-masse) et se renouvelle la pratique du suivisme.
Il
est nécessaire de revenir à l'attitude de
Marx, après 1851 vis-à-vis de tous les groupes, afin de comprendre
comment doit
se faire la coupure avec la pratique de la bande :
-
refus
de toute reconstitution de groupe même
informel (cf. correspondance de K.Marx F.Engels, les divers ouvrages
sur 1848
et les pamphlets tels Les grands hommes de l'exil,
1852).
-
maintien
d'un réseau de contacts personnels avec
les éléments ayant réalisé (ou en voie de le faire) le degré le plus
élevé de
connaissance théorique : antisuivisme, antipédagogie ; le parti dans
son sens
historique n'est pas une école1.
L'activité de K. Marx a toujours été
de mettre en évidence le mouvement réel qui tend au communisme et de
défendre
les acquis du prolétariat lors de la lutte contre le capital. Ainsi de
la
position de K. Marx en 1871 qui dévoile « l'impossible
communisme »
action dans la Commune de Paris, ou qui déclare que la I°
Internationale n'est
fille ni d'une théorie ni d'une secte. Il est nécessaire d'avoir la
même
activité à l'heure actuelle. Les rapports de tous ceux qui veulent
entrer en
liaison avec le travail exposé dans la revue afin de le développer et
d'assurer
une exposition plus détaillée et précise, toujours plus claire, doivent
être
ceux indiqués plus haut au sujet du travail de K. Marx, sous peine de
retomber
à nouveau dans la bande.
Il en découle qu'il faut aussi
développer une critique de la conception du
« programme » chez la
gauche communiste italienne. Car que cette notion de
« programme
communiste » n'a jamais été suffisamment clarifiée est
démontré par le
fait qu'au sein de la Gauche ressurgit, à un moment donné, la polémique
Martov-Lénine qui était déjà elle-même un produit de la liquidation du
concept
de théorie révolutionnaire chez Marx, en tant qu'elle reflétait la
scission
complète entre les concepts de théorie et de praxis. Pour le
prolétariat dans
le sens de Marx, la lutte de classe est production et en même temps
radicalisation de la conscience. La critique du capital exprime une
conscience
déjà produite par la lutte de classe et anticipe sur son futur. Donc,
chez
Marx-Engels, mouvement du prolétariat = théorie = Communisme.
« Monsieur Heinzen
s'imagine que le communisme est une certaine doctrine
qui part d'un
principe qui en constituerait le noyau à développer
et à en tirer les
conséquences ensuite. Le communisme n'est pas une doctrine, mais un mouvement,
il ne part pas de principes, mais de faits. Les
communistes ont pour
présupposition non telle ou telle philosophie, mais toute l'histoire
passée et
surtout ses résultats effectifs (tätsächlichen) dans les pays civilisés
[…].
Dans la mesure où il est une théorie, il est l'expression théorique de
la
situation du prolétariat […] et le résumé théorique de la libération du
prolétariat.»
En
réalité pour K. Marx
le problème de la conscience venant de l'extérieur n'existant pas, il
n'y a pas
de question de formation de militants, d'activisme ou d'académisme ; de
même
que ne se pose pas, chez lui, la problématique de l'auto-éducation des
masses
dans le sens des « communistes de conseil » et
consorts, faux disciples
de R. Luxembourg et authentiques disciples du réformisme pédagogique.
La
théorie de Rosa Luxembourg du mouvement de la classe qui trouve dans sa
réalité
même les conditions pour se radicaliser, depuis le début de la lutte,
est la
plus proche des positions de K. Marx (cf. sa position sur la
« créativité
des masses » qui montre qu'elle était apte à saisir le
prolétariat au-delà
de son existence immédiate).
Ceci
montre la nécessité de dépasser la forme bourgeoise de percevoir et de
concevoir la réalité sociale reprenant en ce sens, comme le fit K.
Marx, la
démonstration de W.F.Hegel du caractère médiat de toute forme
d'immédiateté.
Car c'est le propre de la connaissance
« scientifique » d'accepter le
fait immédiat comme étant objet réel de connaissance sans percevoir et
concevoir la médiation qui le sous-tend. C'est sur la base d'une telle
gnoséologie que dans la société capitaliste l'apparence sociale devient
la
réalité et vice-versa. L'être réel du prolétariat est caché et la
classe est
perçue dans sa forme de vie apparente ; de là le problème de la
conscience
venant de l'extérieur, de là le fait que tous restent stupéfaits,
interdits,
lorsque le prolétariat manifeste son être véritable (1905-1917).
La
gauche communiste italienne, en dépit de ses meilleures
possibilités dans le domaine de la théorie du prolétariat, n'a pas
opéré, en
1950, la rupture définitive avec son passé 1919-1926 ; sa critique du
trotskysme, du communisme de conseils, etc., n'est pas arrivée jusqu'à
la restauration
intégrale des notions de parti et de prolétariat chez K.
Marx. D'où sa
position officielle et son essence réelle qui oscilla entre une
conception du
programme comme « école marxiste » et un petit
activisme de marque
trotskyste ; se second aspect est devenu prévalent à partir de 1960,
favorisé
par le fait qu'une clique de gangsters totalement étrangers à la
théorie et au
prolétariat s'était emparé de l' « école » grâce
surtout à ses
ambiguïté persistantes sur des problèmes d'importance vitale : question
syndicale,
rupture avec la notion d' « avant-garde du
prolétariat » qui s'était
opérée dans les faits et dans les discours non officiels mais qui
persistait
dans les tables du parti. C'est à partir de ce moment que ressuscite la
question Martov ou Lénine sur les questions d'organisation ce qui donne
la
mesure de la mort définitive de ce courant qui eut ensuite ses
funérailles de
3° classe avec mai 68.
On doit noter d'autre part que depuis
notre sortie du P.C.I., nous n'avons fait qu'essayer de lever
l'ambiguïté en
nous forçant de mettre en évidence les aspects positifs de la Gauche ;
ce
faisant nous ne faisions que la cultiver, en la portant à sa
manifestation
extrême (cf. les articles d'Invariance). Ce qui nous conduisit à
retomber dans
la pratique du groupe, même s'il était considéré comme informel, avec
la
tendance que cela comportait de se substituer au prolétariat. Il ne
s'agit plus
de raisonner sur l'accommodation au sein de la position de la gauche,
mais de
reconnaître que s'il y avait accommodation c'est, qu'au départ, il y
avait une
théorie qui n'était pas intégralement celle du prolétariat. Ainsi il ne
suffit
plus d'affirmer que la création du parti en 1943 était prématurée, mais
il faut
dire que c'était une absurdité. En conséquence, il faut couper avec le
passé et
retourner à la position de K. Marx.
Cette lettre est écrite non en tant
que rédaction définitive et exhaustive des thèmes traités, mais veut
être une rupture
avec tout le passé de « groupe ». Les signatures qui
suivent veulent
souligner cette rupture et non marquer une liquidation de positions
acquises au
sujet de l'anonymat.
Jacques CAMATTE – Gianni COLLU
1969
1
Parler de
reprendre une attitude adoptée par Marx à un certain moment de son
activité
révolutionnaire résultait de la non compréhension profonde que la phase
de
domination formelle du capital est totalement révolue. Or, Marx eut à
prendre
position uniquement au cours de cette période. D'autre part, son
comportement
théorique au sujet du parti n'est pas aussi rigide que ne l'indique,
ici, la
lettre. Mais ce qu'il y a de moins acceptable dans les affirmations qui
précèdent c'est d'ouvrir la voie à une nouvelle théorisation de la
conscience
venant de l'extérieur, par le biais d'une théorie élitiste du
développement du
mouvement révolutionnaire.
Le refus de toute organisation n'est
pas une simple position antiorganisationnelle. En rester là, serait
encore
extérioriser un volonté d'originalisation, tenter de se faire repérer
comme
étant autre, parvenir donc à attirer à soi un certain nombre
d'éléments.. D'où
se redéploierait le mouvement de rackettisation.
Notre position sur la dissolution des
groupes découle de l'étude du devenir du mode de production
capitaliste, d'une
part, de notre caractérisation du mouvement de mai, d'autre part. Nous
somme
profondément convaincus que le phénomène révolutionnaire est en acte et
que,
comme toujours, surtout en ce domaine, la conscience suit l'action.
Cela veut
dire que dans le vaste mouvement de rébellion contre le capital les
révolutionnaires vont adopter un comportement déterminé, non acquis
d'un seul
coup, compatible avec la lutte décisive et déterminante contre le capital.
On peut prévoir le contenu d'une telle
organisation. Elle combinera l'aspiration à la communauté humaine et à
l'affirmation individuelle qui est le trait marquant de la phase
révolutionnaire en cours. Elle tendra à réaliser la réconciliation de
l'homme
avec la nature car la révolution communiste est aussi une révolte de
celle-ci
contre le capital et d'autre part ce n'est qu'au travers d'un nouveau
rapport
avec la nature que l'on pourra perdurer, donc conjurer le second terme
de
l'alternative qui se pose aujourd'hui à nous : communisme ou
destruction de
l'espèce humaine.
Dès lors, afin de mieux percevoir ce
devenir organisationnel afin de faciliter, de ne pas inhiber quoi que
ce soit,
il est important de rejeter toutes les formes anciennes et de pénétrer
sans
a-priori, dans le vaste mouvement de notre libération. Car celui-ci se
fait à
l'échelle mondiale et il faut éliminer tout ce qui peut faire obstacle
au
déplacement révolutionnaire. Dans des circonstances données, au cours
d'actions
précises, le courant révolutionnaire se structurera non seulement
passivement,
spontanément, mais en pointant toujours l'effort de réflexion sur le
comment de
la réalisation de la véritable gemeinwesen (l'être humain) et de
l'homme social
impliquant la réconciliation des hommes avec la nature.
[Camatte. Note de 1972]