LA MORT POTENTIELLE DU CAPITAL
L’idée[1] de
mort potentielle du capital apparaît de façon explicite dans L’écho du temps («Invariance», p. 6 du
nº 7, série iii, février 1980; p.
35 de Comunità e divenire, Ed.
Gemeinwesen, Bologna, 2000). Il m’est difficile d’en retracer la genèse de
façon exhaustive et, surtout, de façon immédiate. Toutefois la lecture de
diverses lettres fournit des matériaux permettant de se rapprocher de la
réalisation d’un tel objectif, et permet également de se rendre compte des difficultés
que je rencontrai pour la faire accepter du fait, en particulier, des défauts
d’exposition en lesquels elle fut exprimée; défauts à leur tour déterminés par
une insuffisance de recherche théorique qui aurait due être plus intense, vues
toutes les thématiques qui lui sont liées. Je vais, en conséquence, reporter
des extraits d’un certain nombre de lettres que j’envoyais pour répondre à des
demandes d’explication. Je les ferai suivre de commentaires afin de tendre à
une clarification la plus complète possible.
Lettre du 12 mars 1980
Dans sa lettre du 26 février 1980, David Brown, qui a traduit
en anglais de nombreux textes d’«Invariance» m’écrivit ceci, au sujet de la
traduction de Contre la domestication
qu’il était en train d’achever: «Penses-tu qu’il faille omettre quelque partie
de l’œuvre? par exemple la dernière phrase de l’essai…»[2]. Je
répondis tout d’abord le 07 mars 1980.
«Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’éliminer quoi que ce
soit du texte. En ce qui concerne la dernière phrase, je pense qu’il vaut mieux
la maintenir. Je ne dois pas fuir les responsabilités. Quand on affirme quelque
chose il faut être apte à affronter les événements. Je puis utiliser un passage
de La séparation nécessaire et l’immense
refus paru dans «Invariance», Supplément au nº 4, série iii, mars 1979 et ajouter des éléments
contenus dans L’écho du temps, nº 7,
série iii, qui va paraître en
avril. Je vais faire la note et t’envoyer cela».
Ce fut fait avec la lettre du 12 mars 1980.
«Voici la note que je te propose pour la phrase finale de Contre la domestication.
D’un point de vue immédiat, cette prévision paraît fausse. On
doit toutefois noter qu’il ne peut pas y avoir de prévision ayant une précision
absolue, car le procès est en général plus lent que prévu et parce qu’en toute
prévision gît le désir profond de celui qui l’émet, et que le désir est
toujours pressé; il ne saurait attendre.
En réalité on doit envisager les phénomènes en tenant compte
de la fin du procès révolution et dans l’optique de l’abandon de ce monde.
Affirmer simplement ceci, est esquiver. Or, il faut étudier cette prévision et
ce qu’il advient. On peut dire que sa part de vérité réside dans le fait qu’en
1978, de façon plus nette et déterminée qu’au cours des années antérieures, le
refus dont on a souvent parlé s’est manifesté, et que ce refus est gros d’une
destruction du capital.
Cette explication permet de cueillir la permanence de la
perspective mais ne clarifie pas la situation actuelle où il ne s’agit plus de
lutter contre le capital. Déjà en 1973, on avait noté que cette destruction
n’était pas directe, venant d’une opposition frontale des hommes et des femmes
au capital. S’il y a bien instabilité du système, baptisée crise par les
économistes, cela ne le met pas en cause et la catastrophe ne développe encore
que ses prémisses (mais le cours des choses peut s’accélérer).
Il y a un élément fondamental qui se révèle depuis 1978,
c’est que nous parvenons au bout du cycle capital tant du point de vue extensif
qu’intensif, ce qui rend plus facile son abandon. Il est plus aisé de prendre
position par rapport à quelque chose d’achevé que par rapport à quelque chose
en voie de formation, de développement.
Telle fut la précision que j’apportais en janvier 1979 dans
l’article La séparation nécessaire et
l’immense refus. Depuis je fus
encore amené à mieux déterminer comment peut se développer cette “destruction”
de la communauté capital. C’est ainsi que dans L’écho du temps (février 1980) j’essaye de mettre en évidence ce
que je nomme la mort potentielle du capital, due en particulier à son mouvement
d’anthropomorphisation et à celui de la capitalisation des hommes.
En instaurant pleinement sa communauté, le capital réalise
simultanément un projet de l’espèce et épuise ses possibles. Pour être
réellement contemporain de notre époque, il faut donc se rendre pleinement
compte de la mort potentielle du capital afin, dés lors, de commencer une autre
dynamique de vie».
Ce qui est affirmé en rapport à la mort potentielle du
capital c’est: 1º la manifestation d’un grand refus de la capitalisation, donc
l’importance de l’action des hommes et des femmes; 2º la fin du procès capital, avec
l’épuisement des possibles qu’il renfermait. Enfin il est affirmé la nécessité
de percevoir cette mort, pour pouvoir entreprendre une autre dynamique de vie.
Ainsi l’affirmation de ce concept se révèle comme déterminant dans tout le
cheminement de libération-émergence.
Au sujet de la prévision de 1973, je faisais remarquer ceci,
en 1978: “Il ne s’agit pas de lutter contre le capital, contre la domestication
ni de faire la révolution, mais de commencer une autre dynamique de vie”. En
mai 1973, j’écrivis: “Nul optimisme ne nous chuchote que dans cinq ans
commencera la révolution effective: la destruction du mpc”. Celle-ci ne se réalisera pas de façon directe en
s’attaquant au capital, mais en l’abandonnant; il s’écroulera. Ce qui compte
essentiellement, pour nous, c’est de créer de nouveaux rapports affectifs pour
un redéploiement de la vie»[3].
La précision porte sur la modalité de la disparition du mode
de production capitaliste. Elle ne concerne pas la prévision en tant que telle,
qui semble être entérinée. Cela implique que du moment que se dévoile une
certaine tendance à l’abandon du capital, de la dynamique en place, le procès
d’élimination du capital est amorcé. Il y a donc un non-dit qui peut être le
support d’une confusion. Toutefois, 23 ans après, ce qui me semble essentiel
c’est l’affirmation de la nécessité d’une autre dynamique de vie.
Pour en revenir à l’idée de mort potentielle du capital, je
trouve important de noter qu’elle naît à la suite d’une réflexion au sujet de
la non réalisation immédiate d’une prévision, rejouement de ce qui s’était
produit au sujet de la prévision bordiguienne d’une phase révolutionnaire vers
1975. Mais étant donné que cette réflexion ne fut pas conduite à fond, en
tendant à mettre en cohérence une diversité d’approches, il est normal que
cette idée soit lestée d’une certaine confusion.
A propos de l’action des hommes et des femmes, on doit noter
qu’à la fin des années ’70, début des années ’80, il s’effectue un immense
blocage dont ils ne commencent à sortir qu’au cours des années ’90, ce qui
amène un ressurgissement de questions qui n’avaient pas reçu de solutions
pertinentes et exhaustives.
Au cours de ces années ’80, avec la politique de Reagan et
celle de Thatcher il y eut un essai de redonner vie au capital. Cela a permis
en fait le devenir à la virtualité.
Dans la note il est fait état que l’émission de toute
prévision est lestée d’impatience. Je puis être, actuellement, plus explicite:
cette prévision est en fait une remontée.
La citation de Le temps
des lamentations qui n’a pas été
reportée est la suivante: «nous, sommes à la fin du capital qui pourrait être
la fin de l’humanité…» (p. 4, Supplément au nº 4, «Invariance», série iii, Juillet 1979; p. 89 de Comunità e divenire). A noter qu’en
d’autres endroits il est précisé d’une certaine humanité.
Lettre du 10 décembre
1982
Je réponds à une interrogation de François Bochet en sa
lettre du 25.11.1982: «Quand tu dis qu’en puissance le Capital a disparu ou est
mort, ne retombe pas dans les catégories d’Aristote?»[4]. Ceci
venait après un développement qu’il reprendra plus tard, de façon plus ample,
dans la lettre du 7.1.83, que je citerai ensuite. En conséquence je ne le
reporte pas. Toutefois je tiens tout de même à le faire en ce qui concerne deux
informations fort intéressantes: «La philosophie est nostalgique dit Novalis»;
«Leibniz comble l’espace entre Être en Puissance et Être en Acte par la
virtualité».
A cela, je répondis: «Quand je dis mort potentielle du
capital, je veux signifier qu’il est mort théoriquement; que sa raison d’être
fondamentale est désormais irrémédiablement finie, mais que tous les procès
qu’il a initiés ont une puissance, une dimension telle que cela ne peut pas
être épuisé tout de suite et que donc on aura encore capital pendant des
années. Je suis amené à penser que ce terme de mort potentielle est une image
prudente, mais qu’elle n’est pas rigoureusement exacte. Je peux envisager la
chose de cette façon, c’est-à-dire que c’est mon appréhension qui fait que je
dis mort potentielle, mais si je fais étude du phénomène, historiquement et
actuellement, je dois parler plutôt de mort “théorique” qui crée la
potentialité de sa mort, phénomène qu’on peut ressentir.
Plus généralement, je pense que l’on peut saisir des faits
théoriques survenant avant les faits effectifs. Mais ceci est de l’ordre de
l’appréhension de la réalité qu’il faut encore que je bûche.
Tu remarqueras que la continuité est rétablie mais seulement
entre deux termes: être, non-être, par exemple. Or la question concerne le tout
dont ils ont été abstraits. Ceci ne réfute pas du tout ta remarque sur Aristote
et me fait penser que je dois relire en partie sa Métaphysique et en partie la lire! Mais je suis dans la logique
maintenant, et il faut que je m’en sorte».
Lettre du 27 janvier
1983
Je réponds à la remarque que François Bochet me fit dans sa
lettre du 7.01.83: «Si l’on peut parler de “mort potentielle du capital”, cela
veut dire que les catégories d’Aristote ne peuvent pas être mises au rancart,
peut-être sont-elles indispensables pour l’appréhension du cycle
valeur-capital.
Dans la métaphysique d’Aristote il y a une polémique avec Diodore
Cronos (un philosophe mégarique, socratisme plus ou moins éléatisant) qui niait
la distinction acte/puissance et affirmait qu’il n’y a pas de futurs
contingents, déterminisme. Aristote réplique que l’être en puissance peut
aboutir à l’être ou au non-être, que nier la distinction acte/puissance c’est
nier tout mouvement, tout devenir. Or à la fracture du 17e siècle (ou plutôt théorisation de la fracture
du siècle précédent comme Aristote théorisait une fracture antérieure dans la
communauté), Spinoza (si j’ai bien compris) reprendra les arguments de Diodore
et Leibniz lui opposera, mutatis mutandis, les arguments d’Aristote: tous les
possibles ne sont pas réels, ne sont pas compossibles».
Voici ma réponse.
«J’en viens maintenant à la mort potentielle du capital. Je
n’ai pas terminé la métaphysique d’Aristote, mais je vais la reprendre;
toutefois la question litigieuse de l’être en puissance je l’ai rencontrée en
logique et je comprends de quoi il s’agit. Effectivement c’est en quelque sorte
la réappropriation de ce qui a été éjecté. Il en est ainsi sinon,
effectivement, toute représentation du devenir du capital serait impossible.
Je ne crois pas pour cela qu’il faille conserver la
philosophie d’Aristote[5]. En
fait quand je parle de mort potentielle du capital, je veux dire mort
théorique, mais je n’ai pas voulu employer cette expression parce que j’avais
peur des confusions et des pathos sur théorie-praxis et puis aussi parce que je
n’avais pas le temps ni grand désir de faire une étude plus précise pour justement
préciser.
Une comparaison: j’affirme que la dimension théorique
s’impose avant que le phénomène ne soit clairement apparent, c’est-à-dire avant
qu’il n’y ait une effectuation qui rende clair le phénomène. Marx dit quelque
part que si le nombre des ouvriers qui font réaliser la plus-value devient plus
grand que celui qui produit la plus-value, on a une révolution (j’ai abordé
cela en commentant les courbes de J.L. Darlet). Or le fait se manifeste en
1956, pour la première fois aux usa,
deux ans après on a la récession, qui se répète en 1963 et, depuis lors, les
récessions se sont étendues dans divers pays en étant, parfois oui, parfois
non, simultanées, jusqu’à ce que se manifeste le phénomène qui a beaucoup
intrigué et complexé les économistes: la stagflation. Effectivement, avant il
était possible, en intervenant, de jouer sur le chômage ou sur la production,
ensuite non. Car dans la mesure où le capital a dépassé des limites imposées
par la valeur-temps de travail, mais que les hommes sont toujours piégés par
les antiques représentations, il y a un blocage. L’inflation n’a aucune
importance, mais affirmer cela aboutit à l’affirmation de la gratuité! Or c’est
en contradiction avec les prémisses du capital et ces prémisses sont dans la
représentation des hommes et des femmes, et surtout dans leur affirmation du
pouvoir. Donc il n’est plus possible de solutionner!
Je dis que théoriquement le capital en se réalisant
pleinement, en s’échappant, réalise la rationalité et la spéculation (en dehors
de toutes les autres déterminations dont j’ai déjà parlé, comme la sécurité
etc., et même le projet alchimique et, à ce propos, je fais une digression:
c’est à la fin du xviiie siècle que tous les procès qui tendent à
comprendre le devenir humain à une communauté hors nature s’épuisent, ne reste
plus que le capital[6]
dont Hegel, mais aussi Goethe – à voir dans quelle dimension – décrit la
trajectoire formelle – Hegel a conscience d’un advenu, Goethe conserve le lien
avec tout le phénomène ancien –; à la fin de l’arc capital, tout ce qui avait
été refoulé se manifeste mais phagocyté en quelque sorte par le capital, ce
sont ses béquilles. Elles se manifestent en tant qu’éléments d’une combinatoire
qui “juvénilise” le capital), dés lors il n’a plus de possibles, plus d’avenir;
il ne peut que se répéter, il va vivre par son moment d’inertie et par
épuisement[7] de
tous les éléments de la combinatoire, ce qui évidemment peut être assez long.
Dés lors, comment peut apparaître le capital dans le devenir
total et dans la réalisation actuelle? Je pense qu’on peut le considérer comme
un outil de l’espèce; un outil qui a rendu et rend possible une certaine
adaptation, un certain comportement de l’espèce, une fois placée dans une
situation donnée de rupture-séparation d’avec la nature[8]. Cet
outil est complexe. On peut l’analyser; d’autre part on peut poser le possible
de son utilisation en dehors du champ sémantique capital.
Voilà pourquoi j’étudie la logique, le langage, les maths
etc., et plus généralement la représentation, car le capital devenu
représentation est, en fait, un immense appareil de représentation; il opère
comme un outil-représentation.
La production de cet outil implique une série de séparations
et la domestication de l’Homme, mais aussi implique la possibilité de se
connaître en tant qu’espèce; dés lors la question n’est pas d’une réunion
quelconque, mais de la création d’une autre dynamique dans laquelle peut
intervenir l’outil-capital. Le comment est à voir!
Les hommes manipulent et sont manipulés par l’outil, de là la
fascination, et comme ils sont hors nature, hors du possible d’un devenir
autre, ils sont totalement adaptés et leur domestication est l’expression de
celle-ci.
Donc plus que jamais fin de la problématique révolution; il
n’y a pas de contradiction fondamentale, telle qu’elle obligerait les êtres
humains à se révolter. On tend vers une résolution des difficultés: problème de
l’énergie (il n’y a qu’à voir le bouleversement qu’apporte le déploiement des
microprocesseurs), le problème de la démographie etc. Ce qui ne veut pas dire
que ce sera toujours indolore. Ce qui est sûr c’est que le procès révolution
est fini. Or, comme je l’ai dit précédemment, le capital accepte les autres
représentations du devenir (elles peuvent apparemment se poser comme antagoniques)
il y a possibilité d’un passage à une phase où la rationalité du capital puisse
enfin s’effectuer.
Dés lors comment la solution? A mon avis c’est là que la
dimension biologique va à nouveau jouer. Si nous nous laissons piéger par le
capital, c’est l’impasse pour nous, et c’est notre destruction, mais c’est
celle aussi des êtres vivants. On aura donc une rébellion de la nature qui
s’opérera chez certains d’entre nous qui de ce fait muteront en quelque sorte;
alors adviendra la coupure entre deux humanités. Ainsi il pourra y avoir une
période de coexistence entre notre mouvement de sortie du capital, notre
devenir à une communauté (puisque nous sommes déjà parmi ceux qui ont compris
la dimension biologique et qui opèrent à partir du phénomène vie et non à
partir de l’espèce humaine uniquement) et le capital en sa mort “potentielle”.
Les diverses catastrophes, crises etc. pourront être autant de moyens d’imposer
la mutation incluse dans le devenir de celui-ci (les nouveaux pauvres ne
vont-ils pas nécessiter une tendance plus explicite à la gratuité, à la justice
sociale, démocratique): la rationalisation (qui n’élimine pas la dimension de
la spéculation, la chrématistique, mais il faudra délimiter où elle va, dés
lors, se manifester).
Il n’est donc pas dit que tout s’écroule et qu’à partir de là
il y aura fondation d’une autre convivialité entre êtres humains-féminins.
Toutefois ce qu’il importe de poser est ceci: est-ce qu’avec cette réalisation
de la gratuité etc., y aura-t-il disparition du comportement originel,
fondateur du possible du capital? Je pense que non. Cela implique en
particulier qu’il peut y avoir régression et redémarrage réinstallant la
communauté capital; en quelque sorte une autre convergence possible avec le mpa[9].
Donc coexistence de deux formes; donc analogie avec la
question du double pouvoir dont parlaient les révolutionnaires. Certes la
question du pouvoir ne se pose plus dans les termes où la posait un L. Trotsky
par exemple, mais en fait elle prend une ampleur plus vaste, c’est celle de
l’existence».
Le commentaire qui suit concerne aussi ma lettre du 10
décembre 1982. Je ne réponds pas effectivement aux questions de François
Bochet, mais j’opère un déplacement, c’est-à-dire que j’essaie d’aborder le
phénomène que je suis en train de mettre en évidence en fonction de ma propre
représentation. Quand je dit mort théorique je veux signifier par là que je
décèle un phénomène qui n’est pas encore clairement apparent, mais je veux
signifier, aussi, qu’étant donné l’épuisement des prémisses, des possibles du
phénomène, celui-ci doit nécessairement, logiquement, disparaître. Dés lors
j’essaie de percevoir comment ceci peut se réaliser. Il reste, quand même, la
question du possible. Tout possible peut-il accéder à l’effectuation, se réaliser?
Cela impliquerait qu’il y ait une nécessité pour cela, et donc un déterminisme.
Dans le cas du capital, il faut tenir compte de l’action des hommes et des
femmes, comme cela est indiqué dans la note envoyée à David Brown. Cette action
est incluse dans la mort potentielle du capital. J’ajoute que selon moi
beaucoup de possibles avortent ou restent seulement en tant que tels, et
l’ensemble de ces derniers forme la potentialité-puissance de l’être (en
conservant la terminologie d’Aristote).
Une question surgit: peut-on tout simplement passer de
potentialité à possibilité, de potentiel à possible? Je veux résoudre par
moi-même toutes les questions et reprendre, ultérieurement, l’étude de la
logique et des mathématiques.
Enfin, le devenir du capital est perçu comme étant en grande
partie un devenir à la réalisation de la rationalité. Ceci ne peut se
comprendre qu’en tenant compte de la spéciose qui fait que l’espèce essaye de
sortir de la confusion, de fuir l’irrationnel, donc de réaliser la rationalité,
mais n’y parvient pas (parce que l’irrationnel est en elle à cause de sa
coupure d’avec la nature). Le capital, du fait de son anthropomorphose,
représente bien Homo sapiens. A cela
j’ajoute que ce qui m’importait le plus c’étaient les conséquences de la mort
potentielle du capital sur le devenir de tous ceux, toutes celles, qui veulent
en finir avec la domestication.
Lettre du 21. 05. 1983
Pour la comprendre il faut que je reporte quelques passages
de la lettre de François Bochet du 1 mai 1983.
«J’ai trouvé un nº 1 d’une revue que tu as dû recevoir «La
Banquise», le responsable de la publication est Gilles Dauvé. Rien de neuf: “le
prolétariat est toujours là” (p. 1) mais “la période récente (est caractérisée)
par une reflux relatif des luttes de classes dans les grandes catastrophes” “le
mouvement social s’est parfaitement figé… (mais) la lutte des classes reste le
moteur de l’histoire”. Dans un article, l’auteur critique: “L’optimisme forcené
de tant de groupes («Invariance», NdA)
révolutionnaires qui affirment depuis 10 ans (date de la prévision dans
«Invariance» nº 3, série ii) que
le vieux monde en est à son dernier quart d’heure»[10].
«Les différentes histoires des sciences vérifient bien que
“aucune contradiction n’est résolue avec le capital elles ne sont qu’absorbées”[11]; je
pense particulièrement aux maths (personne n’est encore sûr sur ce qu’est un
nombre depuis Pythagore jusqu’à Frege) et à l’astronomie car j’ai lu le livre
de Koyré Du monde clos à l’univers infini.
Donc aucun problème n’est résolu, mais peut-on nier qu’il y ait quand même
“évolution”(?) des représentations cosmo-logiques, même si l’on est retourné au
système d’Aristarque de Samos héliocentrique avec Copernic[12], il
n’y a jamais (?) retour pur et simple. Ou alors, le changement des représentations
correspond-il à une changement dans la structure du cosmos? ce qui semble
démentiel. Dans le cas contraire il existe une réalité, un cosmos plus ou moins
stable, il y a donc eu évolution mais l’évolution de la science et des ses
représentations étaient conditionnées par l’“économie” (pour aller vite), le
développement du capital nous permettrait de connaître notre monde, nous-mêmes,
notre cerveau etc. Mais alors y a-t-il acquis du capital et aurait-on pu
atteindre donc les connaissances actuelles de l’humanité sans passer par le
capital? Et puis enfin le capital était-il évitable? Tu dis quelque part qu’il
faut repartir à zéro, et dans une dernière lettre que l’humanité peut aussi
avoir à se servir de l’outil-capital?».
Je répondis ceci.
«C’est magnifique que Dauvet-Barrot
ait intitulé sa revue “La Banquise”, cela correspond très bien à ce qu’il est,
ainsi que ses comparses: des morts-vivants. Cela correspond aussi au fait que
ses élèves le dénommaient croque-mort[13]!
Évidemment des morts-vivants ne peuvent pas se lancer dans la “création” d’une
autre dynamique de vie. Mais il y a plus, en me reprochant “mon optimisme” ils
démissionnent de leur position de représentants, comme ils se conçoivent, d’une
classe qui doit être révolutionnaire. En effet que valent des chefs qui hurlent
à la défaite, à l’asphyxie?[14] Il
est certain que l’optimisme béat est ridicule, mais l’optimisme déterminé par
une certaine prévision est une assurance de force pour une lutte ou pour un
maintien en vie.
[…]
Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est ce qui fait la question
essentielle de ta lettre, et la question sur laquelle j’achoppe: la mort
potentielle du capital. On peut dire qu’à la fin des années ’70 il y a
l’échappement du capital, la phase conclusive de son procès de séparation. Il
se sépare de l’espèce, mais ce faisant l’espèce peut elle aussi se séparer de
lui. Donc on a, à la fois, un développement considérable du capital comme on le
voit à l’heure actuelle, et sa mort potentielle, dans la mesure où si les
hommes et les femmes le veulent, ils peuvent se séparer de lui. Autrement dit
il se manifeste un possible autre;
et je pense que c’est surtout de ce point de vue qu’il nous faut aborder la
question. A partir de là on peut envisager les différents aspects que j’ai déjà
abordés dans mes lettres précédentes.
Un des aspects essentiels a trait à la représentation. Le
capital en sa totalité diachronique et synchronique est la référence globale
pour le comportement des hommes et des femmes. Le capital en s’échappant pose à
la fois un despotisme plus poussé puisqu’il est tout puissant, incontrôlable et
doit tout contrôler, directement ou indirectement (importance du
capital-représentation), mais, en même temps, il s’évanouit en quelque sorte en
tant que phénomène directement déterminant, moteur. Comment les hommes et les
femmes vont-ils se conduire, se déterminer?
Là encore on signale un possible; rien n’est joué!
C’est aussi parce qu’il y a séparation qu’on peut avoir
outil. Dés lors on ne peut pas nier un apport du capital (parfois acquis dans
la lutte contre lui); il nous permet de connaître notre monde, notre cerveau.
Là il faut être prudent. Je dirai plus “précisément” qu’il nous met sur la
voie. Il nous a obligé à cela d’une part pour parvenir à son autonomisation, d’autre
part, maintenant, pour le fuir! Donc là encore du possible.
On ne peut pas dire que le capital était évitable, car ce
serait nier la réalité; ce qui est advenu est advenu nécessairement. Ce qu’on
peut faire, et cela a une importance énorme, c’est montrer qu’il y eut d’autres
possibles. Cependant, quand un certain nombre d’entre eux furent éliminés, non
utilisés, le développement (du capital) était inévitable: le cas de la Russie
est paradigmatique. La thèse de l’évitabilité du capital cèle un danger, c’est
celui de la morale, car, à la limite, on ne peut pas dire c’est bien ou mal,
mais: c’est, tout simplement. Il faudrait bien étudier comment la survie de
l’humanité a finalement canalisé l’espèce dans une certaine voie. Maintenant se
fait jour un autre possible qui nous donne, non seulement la dimension
moraliste que je récuse, mais la source de moyens de procéder autrement.
Il faut repartir à zéro dans le sens:
1 - ne pas se mettre en continuité avec le capital;
2 - considérer tout le devenir phénomène capital comme
n’ayant pas été la nécessité absolue et que c’est quelque chose dont on aurait
pu se passer (ce qui implique de déterminer à quelles conditions);
3 - donc n’étant pas en continuité, réacquérir les possibles
et faire en sorte qu’on se retrouve “avant le point de bifurcation historique”;
4 - en créant la réalité d’un développement qui ne peut pas
prendre en compte comme présupposition immédiate de notre vie, le phénomène
capital.
Ramené à la dimension d’outil, que l’espèce humaine s’est forgé
pour survivre dans son cheminement hors nature, il est possible d’utiliser une
dernière fois le capital!
Le capital est l’outil qui donc permet le possible de la
sortie de la nature et de ce fait est le possible voulant réaliser tous les
possibles (abolition de toutes les barrières, de tous les tabous – par là il
fut un outil de connaissance) par là il impose la question de que sommes-nous?
et il réalise une vaste introspection.
Phénomène de la représentation + capital outil = opérateur
global de l’espèce.
On peut immédiatement poser: ce possible est-il suffisant
pour qu’une nouvelle dynamique de vie soit possible? C’est là, selon moi,
qu’intervient notre volonté et le domaine de la vie. Il nous faut explorer au
maximum ce possible, élargir son domaine… Cela ne veut pas dire qu’on puisse
réussir à tous les coups; cela implique qu’une fois qu’on a compris le devenir
du capital et donc celui de l’espèce, il ne reste que la voie de ce possible à
emprunter.
[…]
Un ajout au sujet de la représentation: je pense que ce qu’il
y a de plus essentiel dans le capital, c’est de permettre de nous rendre
parfaitement compte de l’importance de la représentation. Mais il ne faut pas
oublier l’autre pôle important (ce ne sont pas des pôles qui s’excluent): la
Gemeinwesen. En effet, si tout est affaire de représentation, la possibilité
d’entente, de compréhension mutuelle, est due à notre dimension Gemeinwesen.
Dans la mesure où on la perdait, on avait besoin d’un despotisme, de la haine
de l’autre etc.».
Ce sur quoi il est insisté c’est la nécessité de comprendre:
1º comment se présente actuellement le capital. Cela conduira à l’idée de
dissolution qui s’imposera en 1989 avec l’article Émergence et dissolution, mais également à la mise en évidence du
passage du capital à la virtualisation, en 1997. 2º Quel est le comportement
que nous devons adopter pour pouvoir réellement quitter ce monde? C’est à
partir de là qu’il sera possible de parvenir à l’affirmation d’une dynamique de
libération-émergence, en 1997. Or, en quoi se résoud la mort sinon en une
dissolution? A partir de celle-ci s’impose l’émergence de la virtualité et
celle du devenir à Homo Gemeinwesen.
Lettre du 31. 01. 1986
Je réponds encore à des remarques-interrogations de François
Bochet en sa lettre du 25. 01.1986.
«Il faut, je crois, même si c’est difficile dans le langage
courant laisser tomber le concept d’être […] si l’on veut vraiment dépasser la
métaphysique, ne pas raisonner dans la coupure.
La grosse nouveauté du Stagirite (hormis sa critique des
Idées du maître) est l’introduction de la catégorie de “Puissance” (je pense à
la mort potentielle du capital). Il a bien senti que l’on ne pouvait pas vivre
(ne serait-ce qu’au niveau de la représentation) dans la coupure (déchirure,
blessure) Être-Non-Être. Il a atténué la dualité existante déjà, sans la
supprimer (il ne le pouvait pas); on reconnaît l’opportunisme des philosophes
et d’Aristote en particulier: faire avec ce qu’on a, c’est-à-dire dans le cycle
de la valeur (cf. sa Politique ). […]
Pour en revenir à Être, il est même faux de dire qu’il y a désubstancialisation
de l’Être, l’Être est désubstancialisation des hommes et des femmes»[15].
[…]
Je reviens sur le concept de “Mort potentielle du capital”.
Je repense sans cesse à la situation d’Aristote qui a voulu sauver le
non-encore existant, mais c’est un bricolage, rafistolage de la dichotomie de
Parménide. Pourquoi ne parles-tu pas de “Mort possible” du capital?».
Je répondis.
«Mort potentielle du capital: en fait je veux dire que l’âme
du capital est morte et qu’il ne reste que l’enveloppe. Initialement je voulais
écrire mort théorique, principielle, pour dire que ce qui fait l’essence du
capital s’est évanoui, mais reste tout de même phénoménologiquement toutes les
infrastructures intimement mêlées qui sont le capital; l’âme du capital n’étant
plus alimentée, ne pourra plus relancer le cycle. Le système va vivre de sa
propre inertie[16].
Voilà pourquoi voulant faire saisir que: immédiatement ils voient du capital,
mais qu’en fait celui-ci n’est plus opérant, j’ai pensé à parler de mort
potentielle du capital, pour dire qu’elle n’est pas révélée immédiatement. Je
pensais faire comprendre l’apparente contradiction.
Ici il n’y a pas opposition être non-être, ni un essai de
faire un pont par la puissance (bien que je l’avoue, ce concept me plaise
beaucoup). Le capital est mort (et il n’y a rien pour le remplacer) en tant que
formule générale, concept donnant vie; reste tout le corps, résultant du procès
d’incarnation – Einverleibung oder Verkörperung – et on peut le saisir
à travers toutes les machineries… de même que reste la capitalisation des
hommes. Leur représentation ne leur permet pas d’évacuer le capital et tout ce
qui le sous-tend, la valeur etc. éléments aptes à régénérer le capital au moins
dans la représentation. Par là le capital est bien vivant.
Je voulais parler de mort théorique pour souligner le primat
de l’affirmation théorique sur la praxis (dans ce cas précis) et pour relier à
Marx. En effet ce dernier déclarait que si les improductifs venaient à être
plus nombreux que les productifs, il s’ensuivrait une catastrophe. Or, les
improductifs, du point de vue de la plus-value, c’est-à-dire ceux qui ne
produisent pas mais font circuler, sont devenus plus nombreux que les
productifs aux usa en 1956. C’est
à partir de ce moment-là que date la mort potentielle du capital. Dés 1958,
nous avons la récession qui sera suivie de troubles divers. En dépit de la
progression globale du capital, nous allons de récession en récession et de
crise en crise au sein de la représentation amenant au moment crucial de
1973-1975 (en tenant compte que beaucoup de crises sont des moments
d’ajustement). Donc le phénomène qui apparaît de plus en plus nettement de nos
jours date de 1956.
Tout cela étant difficile à exposer (sur le plan théorique et
sur le plan pratique: recherche de documents), j’ai voulu donner une image et
j’ai parlé de mort potentielle en espérant préciser cela ultérieurement. Mais
le temps passe et je ne trouve pas le moment pour le faire.
Je voudrais aborder les points suivants:
- Le but du capital, sa réalisation.
- Le moment de 1914 – La question du développement des forces
productives. Théorie en rapport avec un moment bien déterminé historiquement.
Problème de l’aspect progressiste, cf. en ce cas l’arc du mouvement capital.
- Le rajeunissement du capital et la perspective de 1975.
- Les années de crise, 1972 et suivantes – La thématique du
club de Rome, limites du thème et Apocalypse
et Révolution/.
- La fin du capital – Le moment de 1956 – La crise de la
représentation – La rationalité et l’établissement du capital – L’irrationalité
et l’autonomisation du capital – Étude du rapport représentation spéculation –
Phénomènes plus concrets: défaite des usa
au Vietnam; dans quelle mesure la communauté despotique en Chine peut-elle
intégrer le capital?
Je ne pense pas que la philosophie ait réellement voulu
combler la blessure[17]. Je la vis comme l’opportunisme total.
La meilleure preuve: on la voit s’exalter chaque fois que l’être est fort, c’est-à-dire
l’État.
A propos de l’État étant donné qu’il a deux moments de
surgissement: sur la base de la communauté et sur la base du mouvement de la
valeur, on a deux courants différents et ayant, en même temps, des données
communes: la philosophie occidentale[18], née
sur la base de l’État en rapport à la valeur (intégrant les données antérieures
d’un État qui fut détruit, celui fondé sur la communauté), et la pensée
orientale, qu’il est difficile de désigner philosophie. Le fait qu’elle
contienne des éléments également présents en Occident permet d’instaurer la
confusion.
A propos des maths, je comprends maintenant pourquoi il fut
parlé de calcul sublime: possibilité de restaurer le continu, enrayer la
coupure[19]. Je
pense y voir de plus en plus clair à ce sujet, mais je suis encore loin de
pouvoir réellement m’atteler à une tâche!
A propos de la fin du capital, il faut tenir compte de la
possibilité d’autonomisation d’éléments qui avaient été intégrés en lui: ainsi
de la technique, ce qui fonde le possible du discours de J. Ellul.
Il est difficile d’éliminer le mot être. Ceci ne sera
possible qu’après adoption d’une autre mode de vie apte à éradiquer l’antique
comportement. Ce qu’on peut faire c’est “démystifier” toute la thématique
sous-tendant le mot. Il faut donc faire là un gros effort sur le plan de la vie
immédiate. Ce n’est pas la réflexivité qui peut nous permettre de résoudre!
Bien que sans réflexivité rien ne puisse se produire.
Il peut y avoir une réduction de l’être, une réduction de
l’être parce qu’étant abstraction, il peut recevoir un contenu. C’est toute la
dynamique de l’État et de la valeur. La communauté en place (la société
ultérieurement) donne une contenu à l’être. C’est de cela, qu’à un moment
donné, il est dépouillé. Et ce contenu résulte toujours d’un compromis entre le
passé et le présent».
Je constate que je ne réponds pas pleinement et je dirai de
façon effective à ce que me pose François Bochet. Je justifie, avant tout, ma
prise de position au sujet du capital. Ceci est dû au fait, en particulier, que
je n’ai pas les connaissances requises et d’autre part parce que je ne perçois
pas en profondeur sa préoccupation: la coupure initiale, alors que je suis en
train de cerner le moment de séparation d’avec le capital. Peut-être qu’inconsciemment
je ne réponds pas parce que je ne veux pas affronter ce moment qui m’évoque un
événement trop douloureux, celui de la coupure avec la mère. Et ceci est aussi
lié à ma réluctance, à l’époque, à lire la Métaphysique
d’Aristote. Or, qu’est-ce que finalement que la métaphysique sinon ce qui
et au-delà de la physis, au-delà de la mère. La mère, la physis, désignent le
topos de l’homme, de la femme. La coupure d’avec le reste de la nature
induisant la répression parentale, la domestication sociale, l’enfant désire
aller au-delà du topos pour trouver la plénitude. C’est la dynamique de la
transcendance et le posé de l’être qui cherche une autre demeure[20].
L’ontologie est phénoménologie de l’ontose.
Je percevais que François me soumettait quelque chose d’essentiel
mais je ne le sentais pas réellement en rapport avec la mort potentielle du
capital, puisque là il était plutôt question du passage de l’être, le capital,
à un non être. Mais il ne m’était pas possible de percevoir et de présenter le
phénomène ainsi, parce que la mort potentielle du capital n’impliquait pas
qu’il n’y eût plus rien. Au contraire, on restait en face de quelque chose qui
avait une grande puissance. C’est pourquoi, au cours de ma réflexion,
ultérieurement, j’ai parlé de dissolution. Lors d’une dissolution il y a bien
des résidus. Or, n’est-ce pas à cela qu’aboutit le phénomène mort. La mort
apparaît comme la dissolution de ce qui fut uni lors de la conception, de
l’union, ayant la puissance de tout le développement de l’être vivant, de toute
son organisation, sa structuration, support de son devenir. En outre les
éléments de dissolution, résultant de la mort, entrent dans la réalisation de
divers procès, de telle sorte qu’on n’est jamais en présence de rien, de
non-être. Ce qui est insoutenable dans la pensée de la mort, c’est la
disparition de ce que nous sommes au niveau du perçu, du pensé, au niveau de
notre représentation profonde, parce que nous sommes séparés de la totalité et
là c’est un rejouement énorme; rejouement du moment où nous fûmes niés du fait
de la coupure de la continuité.
Je ne réponds pas non plus exactement au sujet de l’être.
François parle de concept, moi de mot. Cela est dû au fait que j’ai escamoté
quelque chose d’essentiel. J’étais d’accord, et le suis encore amplement, et
l’étais même avant sa remarque, sur la nécessité d’éliminer le concept d’être.
Ce fut une thème important de conversations-investigations avec Henri Bastelica
(en rapport, particulièrement, avec la sémantique générale). La chose me
paraissait évidente et donc j’extrémisais ce que me proposait François:
éliminer le mot être. Ce faisant je n’étais pas réellement à son écoute et ne
reconnaissais pas profondément la justesse de son investigation. Cela n’empêche
pas que je reste en accord avec ce que j’ai écrit alors.
Un dernier mot sur la métaphysique. Je pensais de façon non
claire, précise, parce que je ne percevais pas le comment de la réalisation de
ce que je pensais, qu’il n’y avait pas à la dépasser. Maintenant je pense
fermement que cela ne s’impose absolument pas. Il s’agit d’emprunter une autre
dynamique de vie où nous ne serons plus à la recherche d’un topos idéal
(support de l’utopie) où nous pourrions être en sécurité, dans un au-delà de
l’horreur vécue, d’une transcendance[21] qui
nous permettrait d’effectuer ce passage dans l’au-delà (support d’une
représentation de la mort, et de la conception que toute naissance est une mort
à quelque chose, de quelque chose, et que donc, toute naissance implique une
séparation).
Enfin, je n’ai pas répondu du tout à la question: «Pourquoi
ne parles-tu pas de Mort “possible” du capital?» Dans la mesure où je puis me
souvenir de l’état où j’étais quand j’ai répondu à la lettre, je sens que mon
développement au sujet de l’être m’a fait oublier le reste. Mais pourquoi cette
nécessité d’oublier? Probablement parce que le fait de substituer possible à
potentielle revenait en fait à nier ma proposition. Parler de possible est
poser une éventualité, c’est introduire le fait que cela peut ne pas advenir.
Pour moi il y a une grande différence entre potentiel et possible. Potentiel
implique qu’un phénomène peut devenir en acte, ou si l’on préfère cela exprime
l’inchoaction de l’acte, le moment où tous les possibles de celui-ci, ou tout
au moins certains d’entre eux, peuvent se réaliser. Possible désigne un moment
antérieur, avant l’initialisation du procès. C’est celui où peut intervenir la
probabilité: quelle probabilité a tel phénomène possible de se réaliser et que
donc la potentialité puisse se révéler et se déployer? Tous ces moments, qui
tous désignent l’apparaître, ont fasciné philosophes et mathématiciens comme
cela se révèle pleinement par exemple dans l’étude de M. Heidegger sur la
physique d’Aristote[22] ou
dans celle de Paolo Zellini[23]. Or
un support remarquable pour percevoir l’apparaître et le disparaître est celui
du lever et du coucher des planètes, des étoiles. Et la notion de nombre ne
peut pas être séparée de la perception d’un rythme et d’une invariance.
J’ajoute que le problème de l’origine qui fascine l’humanité spéciosée est
celui de l’apparaître, de ce qui se forme, se particularise (d’où la quête des
particules élémentaires, difficilement séparables du continuum), support, au
niveau ontologique, donc de l’ontose, à la quête de l’individualisation, de
l’apparaître individu à partir d’un continuum, posé comme étant le social.
Cette individualisation nécessite ensuite une socialisation (éducation et
instruction) pour donner substance à l’individu, c’est-à-dire parachever la
domestication. On voit par là, sur le plan de la représentation, comment se
pose la dynamique de la production de l’être, sa et, conséquemment, le posé
possible de sa désubstancialisation.
La dynamique de l’ontose conduit à poser le problème de
l’origine comme celui du surgissement de la forme. Le jeune enfant est posé et
vécu comme étant informe. Le rôle des parents est de lui donner forme. Telle
est son origine en tant qu’être humain-féminin ontosé. Elle ne peut pas le
satisfaire d’où la recherche de l’origine de l’origine, et celle d’une
transcendance pour y parvenir.
Dans Gloses en marge
d’une réalité I, texte paru en 1986[24] mais
rédigé en 1983, le concept de mort potentielle du capital est réaffirmé en tant
que présupposition pour comprendre l’investigation effectuée au sujet de ce
monde.
Ultérieurement, je l’ai dit ce qui s’impose à moi c’est
l’idée de dissolution, mais celle-ci ne peut s’effectuer que parce qu’il y a
mort potentielle. Ultérieurement encore c’est l’émergence de la virtualité qui
apparaît comme étant fondamentale, mais celle-ci, également n’est possible que
du fait de la mort potentielle du capital. On a l’autonomisation d’une forme
due à l’évanescence d’un contenu – perte d’adhérence entre forme et contenu –
qui permet le développement de la virtualité. Toutefois cette forme est
déterminante, comme le fut la forme autonomisée féodale qui gérait en quelque
sorte la société qui devenait de plus en plus capitaliste. C’était une
conscience répressive, s’inféodant (c’est le cas de le dire) dans le passé,
métaphore excellente du passé répressif opérant en chaque homme, chaque femme,
de même que l’est la forme autonomisée du capital. Et elle devient d’autant
plus répressive, que s’impose la mort potentielle, que la dissolution prend de
plus en plus d’ampleur.
Mais qu’est-ce qui peut actualiser la potentialité, sinon la
séparation des hommes et des femmes de la dynamique de la séparation d’avec le
reste de la nature et donc du capital? C’est là que s’impose la dynamique de
libération-émergence qui n’est possible que si on parvient à saisir la
spéciose-ontose. Il nous faut sortir de la dissolution pour entrer dans la
positivité du devenir à Homo Gemeinwesen.
Certains ont dit que le mythe racontait ce qui avait eu lieu,
et qui n’était plus opérant, afin que par des rites il soit possible de le
réactualiser. La publicité est le mythe actuel qui expose tout ce qui advenu,
combiné dans la dynamique du capital, qui est potentiellement mort afin de nous
induire à le réactualiser.
Dans la dernière partie de Communauté et Devenir, celle rédigée en janvier 1994, j’indique
l’émergence de la virtualité, ce qui prépare l’article Forme, Réalité – Effectivité, Virtualité de 1997.
Il y est également affronté la question de l’échec. «Encore
une fois ce procès de dissolution n’affecte pas le corpus théorique auquel nous
adhérons. Il provoque seulement l’élimination de tous les éléments étrangers
qui lui avaient été ajoutés par suite de divers compromis. Voilà pourquoi nous
tenons à étudier l’histoire du mouvement prolétarien tant dans ses composantes
marxistes, qu’anarchistes, ou autres afin de mettre en évidence toutes les
données fondamentales surgies de divers horizons» (p. 26).
Dans Avertissement et
Dédicace, 1995, je signale la nécessité d’étudier tout le mouvement
d’opposition au capital, au cours du xxe siècle en essayant de déterminer si les
prémisses d’une dynamique nouvelle ne se sont pas manifestées. Ceci est
important pour déceler une inversion de tendance qui est absolument nécessaire
étant donnée la fin du procès révolution et la question de la violence qui lui
est liée.
Le résultat de cette
investigation est qu’il y a bien eu un échec, celui déjà signalé de la sortie
de la nature, qui se manifeste à travers ce que j’ai nommé la fin d’une
certaine humanité, ce qui pose simultanément l’émergence potentielle de Homo
Gemeinwesen.
Enfin dans Dire, Voir,
Dire, j’affirme l’existence d’un attracteur organisant et orientant les
possibles dans une direction déterminée et qui fait qu’inexorablement s’impose
une dynamique de réunion à la totalité de la nature. Or l’existence de cet
attracteur ne peut être comprise sans la perception de la mort potentielle du
capital qui met fin à l’existence de l’attracteur antécédent qui propulsait
l’espèce en dehors de la nature.
Tout est en place maintenant pour affronter le devenir,
puisque ce qui manquait: la mise en évidence de la spéciose-ontose, a été
réalisée. Dés lors tout peut-être repris (et non repartir à zéro), développé,
c’est-à-dire exposer le devenir à Homo Gemeinwesen à partir du mouvement de
sortie du monde-capital.
Je réaffirme que le désir de repartir à zéro relève du
comportement ontosique qui fut aussi le mien naguère. On doit partir de tout un
acquis qu’il faut savoir percevoir, dévoiler pour que tous les hommes, toutes
les femmes puissent à leur tour y accéder au cours de leur cheminement propre,
idoine à leur idiosyncrasie.
L’analyse phénoménologique précédente permet de clarifier
mais n’enlève pas toute la confusion incluse dans l’exposé de l’idée de mort
potentielle du capital, support pour moi pour manifester la mienne propre en
tant qu’être ontosé; cette confusion d’où j’ai essayé de sortir en mettant au
point justement cette idée. Au sein du rejouement que j’opère à partir de 1974,
date du suicide de Julien Blanc, elle s’exprime au travers de la tentative de
dépasser, en 1975 grâce à des articles C’est
ici qu’est la peur, c’est ici qu’il faut sauter et Humanité et suicide [25], la
question du suicide, de la mort. Cette année-là le suicide de Giorgio Cesarano
après celui d’Eddy Ginosa, lesquels seront suivis d’autres, réactivèrent ma
préoccupation au sujet du suicide, de la mort, particulièrement au cours de
l’année 1979, à la suite d’événements douloureux me concernant. Je ne veux pas
dire qu’il y eut stricte isomorphie entre les deux: mort au sein de l’humanité,
mort individuelle, mais la réflexion au sujet de ce qui pouvait mourir au sein
de l’espèce, au sujet de son extinction (qu’est-ce qui se finissait avec la fin
du procès révolution) fut le support inconscient pour dire une préoccupation
non claire en moi. Je vais essayer de clarifier en analysant chacun des
concepts.
Le concept de mort implique celui de fin. Celui-ci est en
rapport, et je l’ai vécu en rapport, avec la fin du procès révolution que, d’un
point de vue théorique, conscient, j’ai pu facilement intégrer mais
qu’inconsciemment, il est probable, que ce fut très douloureux. En effet, s’il
n’y a plus de révolution, s’il n’y a plus de sujet révolutionnaire, comment
pouvoir en finir avec le capital? Donc désarroi. Ce n’est pas pour rien que
simultanément s’est posé le possible de la fin de l’espèce, ou la fin d’une
certaine humanité. Je n’étais pas le seul à être assailli par l’idée de fin.
Elle fut largement alimentée par les publications du Club de Rome et Giorgio Cesarano,
avec Gianni Collu avait déjà parlé de Apocalypse
et révolution [26] en
1973.
«La révolution intègre et ne désintègre plus... Tout est-il
donc fini? Sommes-nous uniquement condamnés à subir? […] Il nous faut sortir du
cycle révolution contre-révolution en créant une autre dynamique de vie […] Il
est tout particulièrement important de situer l’immense impasse où se trouve
l’humanité et de dévoiler que toutes les contradictions qui, au cours du temps,
ne furent qu’englobées, se manifestent à l’heure actuelle masquant les
phénomènes essentiels»[27].
Ceci fut écrit en 1978 à un moment où se développait une grande vague de
terrorisme. Or la manifestation de celui-ci signifie le débouché dans une
impasse, l’arrivée dans une voie sans issue, la terminaison d’un arc historique
sans que rien de positif n’ait émergé, tout au moins de façon assez puissante.
Toujours à propos de la fin: «Si le premier ébranlement
provoque la fin de la société bourgeoise, on a, cette fois, la fin d’une
certaine humanité»[28]. Et,
plus loin dans l’article, p. 34, il est précisé qu’il s’agit de l’humanité «qui
se posait antagoniste au capital». Dans le même article, il est question de la
fin du projet révolutionnaire, de celle des nations.
Dans Mai-Juin 1968: le
dévoilement (mars 1977), j’insiste
sur la fin de la culture, thème qui est repris dans La révolte des étudiants italiens: un autre moment dans la crise de la
représentation: «Globalement, on peut encore appréhender d’une autre façon
Mai-Juin 1968 et ce qui s’en suivit en disant que ce fut le procès de
dissolution de la culture…»[29]. Ce
fut aussi «la dissolution des rôles, des statuts» ce qui fut perçu de façon
plus précise lors de la révolution des oeillets au Portugal en 1974. «La seule
chose qu’on veuille mettre en avant, c’est la volonté d’arriver à se mettre
hors la guerre de classe, même sous sa forme bâtarde, où elle se déroule à
l’heure actuelle, donc d’échapper aux rôles dévolus par le capital, sinon on
entre à nouveau dans l’engrenage et on régénère ce qu’on veut éliminer»[30]. L’étude
de la fin de divers phénomènes débouche sur l’idée que nous «vivons comme un
jugement dernier». Toutefois en 1977-1978 – moment où j’effectue une première
investigation sur la fin d’un procès – il n’est pas posé de façon rigoureuse
une fin ou une mort du capital.
Le concept de fin se trouve en relation avec celui de
réalisation. La réalisation de quelque chose implique la fin du procès qui
l’engendre. On a opéré une théorisation de la fin d’un procès du point de vue
du capital – terminaison d’un arc historique et épuisement de ses possibles.
Ceci ne put être affirmé qu’à la suite d’une ample investigation théorique. Je
puis dire que tous les articles à partir de l’étude sur le viº chapitre, en intégrant ce qu’avait
produit J. Louis Darlet[31],
avaient visé à cela.
A l’heure actuelle il est possible de mettre en relation la
fin du marché, sa disparition, avec l’affirmation de la virtualité. «Le marché
est en rapport avec la comparaison, l’échange, la représentation; il implique
une certaine fixation, à un lieu où prévaut un temps donné. Tout cela s’est
évanoui»[32].
Seule la virtualité peut sauver ce qui a été perdu, surmonter, recouvrir une
perte.
La fin du phénomène capital en tant que procès actif
déterminant est contemporaine de la réalisation de la rationalité mais
également de la spéculation, comme cela apparaît dans la formation du monde
virtuel. Cela signifie que le vieux problème de sortir de la contradiction, et
d’éliminer l’irrationnel n’a pas été résolu, mais qu’il a été reconduit sous
une autre forme.
On a opéré le constat de la réalisation d’un projet de
l’espèce: la sortie de la nature, avec l’espoir d’être à même de dominer un
procès, celui là-même de sortir; d’où la thématique essentielle de la
production, de l’intervention, de l’entreprise, de l’innovation etc. Mais comme
déjà dit plus haut c’est un échec. Quels sont les possibles de l’espèce Homo sapiens qui alors s’épuisent?
La fin de l’espèce, la fin «d’une certaine humanité» doit
être mise en relation avec l’échappement du capital, avec le fait que celui-ci
se sépare de l’espèce. En conséquence on a bien la fin de l’humanité qui
s’identifiait au projet capital, mais aussi celle de l’humanité qui s’opposait
à ce projet. En conséquence, il est possible de réaliser la pleine sortie de ce
monde et d’entreprendre une autre dynamique de vie.
Toujours en rapport avec le thème de la réalisation, je dois
nommer celle de la combinatoire intimement liée à celle de la récupération.
Au cours de la période 1978-1982 tous les articles[33] ont
visé à inventorier ce qui est en rapport avec la fin d’un procès, celui du
capital. Dés 1983 (approximativement) l’investigation porte sur la mise en
évidence d’un autre procès, d’où le thème de Situation au sein d’un procès qui deviendra Émergence de Homo Gemeinwesen. C’est alors l’accès à une immense
certitude, thème qui s’impose dés le début de la ivº série d’«Invariance».
Le concept de mort inclue ceux de disparition, de séparation
mais aussi celui de dissolution comme indiqué précédemment, et c’est à partir de
1989 que ce dernier concept va être substitué à celui de mort[34].
Je désigne par puissance
l’ensemble des possibles qui permettent à un être vivant donné de se
développer. C’est ainsi que je le posais, sans être en rapport avec la
thématique aristotélicienne que François Bochet m’a rappelée. J’ai parlé de
mort théorique pour signifier la potentialité de la mort du capital,
c’est-à-dire qu’il était affirmé que théoriquement il était possible de déceler
qu’existaient en puissance toutes les caractéristiques de cette mort.
Je voulais insister sur le fait que cette mort n’était pas
effective, d’une part à cause de l’autonomisation de la forme, d’autre part à
cause de la persistance de toute une infrastructure, de l’appareil technique,
du monstre automatisé…
J’ai souligné la difficulté de différencier potentiel de
virtuel. Or la non différenciation est le support pour réactualiser une immense
confusion dont il est, enfin, possible de sortir, du fait même de la
réalisation de la virtualité. J’ai parlé d’une mort potentielle et non
virtuelle pour signifier que tous les éléments nécessaires de la mort réelle,
effective, existent au sein de la société-communauté déterminée par le capital.
Il n’y aura pas besoin d’une intervention extérieure (venant de ceux qui s’opposent
à elle) pour la réaliser. Toutefois ce qui est nécessaire, pour ce faire, c’est
un procès de séparation, c’est-à-dire l’abandon de ce monde de la part des
hommes et des femmes.
A partir de ce qui précède je puis affirmer qu’à l’intérieur
du devenir hors nature il n’y a plus rien pour la mise en branle d’autres
procès, et même pour continuer le devenir en place. D’où ne reste plus que la
virtualité qui apparaît comme une mise en forme, en des modes divers, de la
substance [35]produite
au cours des millénaires. De façon complémentaire, je puis dire que
l’autonomisation de la forme a été nécessaire pour englober, récupérer ce que
le procès de domestication a nié: le phénomène vie.
En ce qui concerne le concept de capital, je n’ai rien à
préciser. Je vais plutôt examiner les conséquences qui furent envisagées du
fait de sa mort potentielle. Tout d’abord l’idée que le capital en tant
qu’outil pourrait être utilisé par l’espèce dans sa dynamique même de
libération-émergence. Au fond il était envisagé un immense détournement: le
capital en tant qu’outil de l’espèce pour réaliser son projet de sortie de la
nature, pourrait être utilisé pour une réinsertion dans celle-ci. Cela
impliquait également un total renversement. Mais cette dynamique envisagée
opérait encore dans la négation. Cela veut dire qu’on devait nier la forme pour
affirmer un contenu qui pourrait être utilisé. Mais ceci est en contradiction
totale avec la dynamique de libération-émergence qui procède à travers une
vaste affirmation.
Une autre conséquence avancée c’est qu’avec la fin du capital
s’impose une connaissance de soi de l’espèce. Ceci fut abordé dés le début des
années soixante et dix. «À propos du
capital est un texte qui complète le précédent[36]. On
y aborde surtout la question que le capital réalise un “projet” humain et qu’à
travers la réalisation de celui-ci l’homme parviendrait à sa propre
connaissance. Au cours du procès d’anthropomorphose le capital essaye de
reproduire le cerveau humain, moment de grave danger pour l’espèce, car ce
serait l’effectuation d’une domination pour ainsi dire absolue»[37].
En réalité ce qui s’impose c’est la connaissance d’un advenu:
de l’espèce spéciosée, de l’individu ontosé, ce qui s’exprime bien dans le fait
qu’elle soit accompagnée d’une menace, parce qu’elle opère dans le domaine de
la discontinuité, dans celui de la séparation d’avec le reste de la nature;
l’espèce œuvrant à s’édifier un monde, un topos de substitution, où elle serait
à l’abri. Toute nouvelle connaissance, dés lors, est grosse d’une menace de
perte toujours plus grande de sa naturalité. Le mythe d’Ève le dit clairement:
connaître entraîne l’expulsion du paradis.
Au niveau de chaque homme, de chaque femme, la connaissance
est infestée par l’ontose. Le phénomène opère également sur le plan
physiologique. Ce qui est exposé dans la physiologie, dans la biologie,
concerne un être ontosé et non l’être naturel.
L’idée de la mort potentielle du capital a été développée en
même temps qu’a été plus ou moins explicité un certain comportement des hommes
et des femmes en rapport au devenir de ce dernier[38].
Nous avons mis en évidence qu’il n’existait pas une contradiction, telle
qu’elle les obligerait à se révolter contre la domestication du capital. Ce
faisant s’évanouit un support pour revivre, inconsciemment, le moment initial
contradictoire, engendré par le traumatisme. Dans cette dynamique, l’espèce
produit constamment un support pour retrouver la contradiction en tant que
moment initiateur d’un devenir, afin de revivre son «origine». La contradiction
conduit à l’interprétation et non à la libération-émergence.
On a également développé sans de grandes précisions que la
mort du capital est connexe à la séparation nécessaire des hommes et des femmes
vis-à-vis de lui, à un vaste refus de son devenir. J’ajoute: il faut un acte de
volonté, pleinement conscient, pour sortir de ce monde. Vivre la dissolution
qui s’étale, avec l’évanescence du travail salarié, avec la fin des rôles[39],
formant seulement une base pour un autre devenir, est insuffisant, la combinatoire
en place et le devenir à la virtualité pouvant tout récupérer.
On est en présence d’un déblocage; mais il faut savoir où
aller. C’est là qu’intervient toute l’oeuvre théorique produit d’un effort
multimillénaire, en rapport à un désir de libération-émergence lui aussi
plurimillénaire. Pour ne plus rejouer, il ne suffit pas, au niveau de l’espèce
comme de l’individu, avoir revécu ce que des traumatismes ont provoqué, il faut
retrouver la naturalité, ce qui ne peut s’atteindre qu’en réacquérant l’immédiateté
et en comprenant ce qu’est le devenir à Homo Gemeinwesen, et en le voulant.
En rapport avec l’idée de la mort théorique du capital,
diverses questions annexes furent affrontées. Je voudrais seulement évoquer
celle de la connaissance – elle-même liée à ce qui précède – en rapport à ce
qu’évoqua François Bochet au sujet de la réaffirmation, redécouverte, d’une
donnée théorique bien des années après sa première affirmation. A la fin des
années cinquante, j’écrivis à A. Bordiga (malheureusement j’ai perdu la lettre)
pour lui demander ce qu’il pensait de
l’affirmation de V.I. Lénine: «La connaissance de l’homme ne va pas en ligne
droite, mais en courbe qui s’approche insensiblement d’une spirale»[40] car,
selon moi, ceci devait s’examiner en rapport avec la théorie que le communisme
supérieur était la réaffirmation d’un mode d’être déjà effectif au sein du
communisme primitif. Autrement dit, la réaffirmation d’une connaissance
demeurée en désuétude, voire oubliée pendant longtemps, devait être envisagée
en fonction des cycles de révolution et contre-révolution. Je le pensais encore
naguère mais, maintenant, je perçois que c’est nettement insuffisant. Il s’agit
de procès qui ont été initiés au sein d’un double mouvement de sortie de la
nature et de retour en elle qui fonde celui de libération-émergence. Ces procès
non achevés nécessitent un achèvement qui est périodiquement tenté et qui est
générateur de connaissances pouvant confirmer les précédentes. Seulement ces
procès sont constamment enrayés par suite de la prédominance jusqu’à nos jours
du mouvement de sortie de la nature, ce qui ne permet pas d’acquérir une
connaissance exhaustive, laquelle ne peut s’imposer qu’en continuité avec une
dynamique en totale rupture avec tout ce qui s’est effectué jusqu’à maintenant.
En outre cela fonde deux thématiques qui sont l’expression de la spéciose,
celle du rapport entre connaissance et perte, et celle, complémentaire, du
rapport entre connaissance et réacquisition d’une plénitude des hommes et des
femmes.
Très semblable à la question de la connaissance est celle du
phylum. A mon avis, plusieurs fois au cours des millénaires, hommes et femmes
se sont révoltés et on essayé de réaffirmer l’être naturel, originel. Ceci
n’implique aucunement qu’il y eut une continuité historique entre divers
groupements ayant opéré à des intervalles de temps parfois importants. Selon
moi, le phylum auquel je me rattache se présente comme l’intégrale de tous les
groupements ayant opéré successivement [41] dans
la dynamique du rejet de la domestication. Cela implique qu’il y a à la fois
une sorte de préformation (l’être naturel existe dés le départ), et une
épigenèse; c’est-à-dire qu’il y a bien un enrichissement; ce qui fonde
l’invariance: la possibilité d’acquérir au cours d’un devenir, tout en
conservant l’originalité, l’idiosyncrasie. Simultanément cela implique que l’on
doive considérer tout le devenir de Homo
sapiens en fonction de la spéciose et de l’ontose afin de pouvoir déceler:
1º comment celles-ci se greffent sur des procès naturels; 2º comment les
connaissances acquises peuvent être en continuité avec les procès réels ou avec
ceux de la spéciose-ontose. A partir de là, il sera possible de situer non pas
le progrès[42]
mais les apports permettant une émergence et un développement de Homo
Gemeinwesen.
Dans tout l’exposé qui précède, se loge un non-dit qui m’est
clairement apparu seulement après l’avoir rédigé: la non-mention de l’approche
bordiguienne au sujet de la mort du capital que j’avais totalement acceptée
(particulièrement dans Origine et
fonction de la forme parti). Pour asseoir son affirmation A. Bordiga
s’était fondé sur cette remarque de K. Marx: «Faire cette supposition[43],
c’est supposer l’inexistence de la production capitaliste et, par suite,
l’inexistence du capitaliste industriel lui-même. Car on supprime le
capitalisme jusque dans sa base si l’on suppose que le principe moteur est la
jouissance, et non l’enrichissement en lui-même»[44].
Ce qui m’a gêné c’est que j’ai été amené à percevoir dans le
surgissement de l’essentialité de la consommation, non pas une négation du
capital, mais un moment essentiel dans sa dynamique de se poser en tant que
nature, et dans la réalisation de son anthropomorphose. Donc cela m’apparut
comme l’accès à une domination plus puissante sur les hommes et les femmes.
D’ailleurs A. Bordiga, dans la même étude où il affirme la mort du capital[45],
fait cette remarque déterminante au sujet du développement de la consommation
parmi les ouvriers: «En acquérant à crédit, sans argent, l’ouvrier vend sa force
de travail future, comme s’il vendait sa propre vie et se faisait esclave».
Ce qu’on peut affirmer à partir de la citation de K. Marx,
c’est que le capital dépasse la limite posée par sa présupposition; il intègre
l’homme: anthropomorphose. Dés lors qu’est-ce qui peut amener la mort du
capital? Ce qui me semble important pour aborder une réponse à cette question
c’est de noter à quel point K. Marx s’évertue à mettre en évidence un mécanisme
impersonnel opérant au sein de la société humaine, support pour percevoir ce
qui l’obsède inconsciemment. Un mécanisme en rapport en définitive avec le
surgissement d’un être impersonnel: le capital. A mon avis il représente et
concrétise le mécanisme invisible qui affecte l’espèce et chacun de ses
membres: la spéciose-ontose. La mort du capital apparaît dés lors comme
résultant de l’insuffisance de cette représentation, de cette concrétisation,
en même tant que l’échec d’assurer une sécurité, une «libération» vis-à-vis des
contraintes naturelles (de plus en plus relayées par celles sociales devenant
toujours plus envahissantes), et un devenir perfectible au sein duquel l’espèce
pourrait enfin s’achever, surmonter son infériorité. De la mort-dissolution du
capital émergent la virtualité et la dynamique de libération-émergence.
Je terminerai cette approche théorique sur la mort
potentielle du capital en précisant ce qu’est mon comportement théorique.
J’affirme l’importance de la théorie qui permet de déceler ce qui est
invisible, ce qui est en puissance et permet d’établir une prévision. Cette
dynamique ne peut pas être considérée comme étant indemne de toute ontose. En
effet on peut mettre en relation la prévision et la divination si importante au
cours du devenir de Homo sapiens[46]. Or
en grande partie cette divination visait à déjouer une menace. L’espèce
spéciosée se sent, inconsciemment, intensément menacée. Ceci dit, je puis
préciser comment j’opère: trouver les solutions par moi-même puis aller aux
divers auteurs (aidé par des camarades, des amis, qui me signalent ce que
d’autres ont traité avant moi). Toutefois pour alimenter ma pensée, répondre à
des questionnements de camarades, pour des recherches afin de pouvoir fonder
l’assurance, donner assise à des affirmations, je fus et suis obligé d’aller
lire, et donc je rencontre des thèmes, des problèmes théoriques que je laisse
volontairement de côté (ce qui n’est pas un dédain, ni mépris), parce que je
veux aller à la racine (origine de l’origine), je ne puis alors réellement
prendre position. Ce comportement implique que le mode d’investigation, comme
celui d’exposition, parte obligatoirement du présent. Ce qui est en cohérence
avec la dynamique de libération-émergence: affirmer son désir de convivialité
entre hommes et femmes et de ceux-ci avec leurs enfants, qui est en rupture
totale avec ce qui prévaut à l’heure actuelle; ne pas chercher à justifier le
projet découlant de ce désir, en se fondant sur un passé; ne pas faire appel à
l’avenir pour dire qu’inévitablement il se réalisera; mais montrer comment,
dans le passé, hommes et femmes ont tendu, de façon parcellaire, à le réaliser;
se donner les moyens pour que dans l’avenir il soit réalisé.
Décembre 2001
[1] Je considère qu’il est plus cohérent de parler, ici,
d’idée plutôt que de concept. En effet, selon moi, une idée est un ensemble de
concepts articulés entre eux, comme ceux de mort, de puissance et de capital.
Quand je parlais de concept, c’est que je visais, en la privilégiant, la mort;
potentielle apparaissait comme une épithète, non absolument déterminante,
suivie d’un génitif, du capital, pour signifier ce sur quoi devait opérer le
concept.
En 1991, dans Épilogue au Manifeste du parti communiste,
1848, j’ai déjà effectué une approche théorique de la mort potentielle du
capital. «Invariance», série iv, nº
9, 1992, pp. 46-52.
[2] Voici la phrase contenant la prévision: «Nul
optimisme ne nous chuchote que dans 5 ans commencera la révolution effective:
la destruction du MPC!». «Invariance», série ii,
nº 3, 1973.
[3] Précisons après
le temps passé, Janvier 1978, «Invariance», série iii, nos 5-6, p. 37.
[4] J’ai reporté la phrase telle qu’elle a été écrite. Je
pense qu’il a voulu dire: «ne retombes-tu pas…».
[5] C’est une question que je n’ai pas abordée et, de ce
fait, je ne répondais pas pleinement à François. Je pense pouvoir le faire,
maintenant que j’ai mis en évidence l’ontose, si cela s’avère réellement
nécessaire.
[6] Ici le discours est quelque peu elliptique, voire
confus. Ce que je visais c’est non seulement la représentation mais aussi la
réalité. Cela signifie que j’aurais dû indiquer quels comportements réels ou
imaginés furent les substrats des divers procès de compréhension, et que le
mouvement du capital était celui qui finalement permettait à l’espèce (d’abord
en Occident) de pleinement sortir de la nature. L’Aufklärung, l’humanisme, sont des représentations de la sortie de
la nature qui sont insuffisantes pour représenter le devenir du capital.
[7] Il aurait mieux valu écrire: «en épuisant». J’ai dû
corriger un peu le texte afin de le rendre compréhensible, mais j’ai conservé
le contenu.
[8] La dernière proposition a été ajoutée dans la marge,
je ne sais pas quand. J’ai modifié la ponctuation du texte afin de le rendre
plus compréhensible.
[9] Le mode de production asiatique qui, plusieurs fois
au cours de l’histoire de la Chine, fut remis profondément en cause et presque
éliminé, mais qui se régénéra jusqu’au moment où s’imposèrent les interventions
des occidentaux apporteurs du capital.
[10] Il est intéressant de noter que François Bochet
reprit cette critique à mon encontre. En effet, dans son texte de 1998, Quelques mots sur le mouvement ouvrier
révolutionnaire, publié dans «(Dis)continuité» nº 1, il affirme, page iii: «Nous ne partagions plus
l’optimisme de la revue». Cela le conduit à exposer ce qu’il considère «l’échec
de l’humanité», «L’échec de la nature, au travers de l’échec de Homo sapiens» p. ii. Toutefois, en fonction de tout ce qu’il a écrit dans ce
texte et dans ceux qui suivirent, il est difficile de percevoir comment il est
passé de l’optimisme d’«Invariance» qu’il acceptait en 1983, à un pessimisme
profond, abyssal, tel qu’il s’étale dans ses derniers écrits. La réponse ne
réside pas sur le plan théorique. En outre il m’a reproché d’avoir émis la
prévision sur la fin du mpc pour
1978, et surtout de ne pas avoir déclaré que je m’étais trompé.
[11] Il s’agit d’une citation extraite d’un de mes
articles ou d’une de mes lettres.
[12] Je profite, aujourd’hui, de cette remarque fort
pertinente de François pour indiquer que S. Freud n’a pas cité cet astronome
parmi les penseurs qui auraient infligé une profonde blessure au narcissisme
humain. Comment se fait-il que ce narcissisme ait pu être assez fort pour
cicatriser cette blessure et qu’il ait fallu un rejouement à des siècles de
distance pour réactiver la blessure? Avait-il peur d’être, lui-même, remis en
cause, et que la blessure qu’il pensait avoir infligée pourrait être
promptement cicatrisée? J’ajoute qu’il est symptomatique que, à ma
connaissance, personne n’ait soulevé la question.
[13] C’est ce que nous indiqua Gilles lui-même lors d’une
rencontre à Paris chez les Pogorel, en 1971, et où était également présent
Henri Bastelica.
[14] Au début des années 50 A. Bordiga affirma lui aussi
qu’il y avait eu défaite, mais il posait simultanément la nécessité de
comprendre les leçons de la contre-révolution. Cela exprimait qu’il n’avait
aucun doute sur le procès révolutionnaire à venir et que donc il n’était pas
défait, réduit à l’impuissance. En outre, pour lui, le parti n’existant pas
réellement, il ne pouvait pas être un chef.
[15] Ceci est en fait un extrait d’une lettre à Jean-Louis
Rocagel. Seul le paragraphe que je reporte ensuite m’est directement adressé.
[16] Laquelle induira pour ainsi dire un vaste mouvement
de récupération afin de maintenir le système en vie.
[17] Ceci fait allusion à un autre passage de la lettre de
François à Jean-Louis: «La rupture a été établie au début de la philosophie,
l’oeuvre entière sera de combler cette blessure, cet écartèlement, comme si la
philosophie se sentait coupable d’une faute et qu’elle essayait de se racheter,
racheter son crime contre la continuité». En tenant compte: 1º qu’il est
préférable de parler de philosophes et non de philosophie; 2º que les
philosophes interprètent une coupure qui eut lieu avant leur propre
surgissement, je puis en fait donner raison à François.
[18] C’est un pléonasme parce qu’il n’y a de philosophie
qu’en Occident.
[19] Le sublime est une expression du numen lequel
s’impose à la suite de la coupure entre le tout petit enfant et la mère. Ce paragraphe
se réfère au passage suivant de la lettre à Jean-Louis: «Les maths comblent les
trous. […] Il faut aussi voir ça à l’œuvre dans la conquête du continu chez
Cantor (puissance du continu)…».
[20] M. Heidegger perçoit ce topos dans la langue: «La
langue est la maison de l’Être».
[21] Par la transcendance, espèce d’Aufhebung hégélienne, on arriverait à tout sauver. Elle apparaît
comme le complémentaire de la puissance aristotélicienne qui permet un passage
entre l’Être et le non Être, ce qui permet de ne pas se perdre. On ne peut pas
séparer la notion de transcendance, et même celle de puissance, de celle de
voie.
[22] Martin Heidegger Sull’essenza e sul concetto della Physis.
Aristotele, Fisica, B,1, in Segnavia, Adelphi, Milano, 1987.
[23] Paolo Zellini, Gnomon.
Un’indagine sul numero, Adelphi, Milano, 1999.
[24] «Invariance», série
iv, nº Spécial, avril 1986.
[25] «Invariance», série ii,
nº 6, 1975. L’article Le “suicide” de
Giorgio Cesarano, qui est signé de mon nom et de celui de Gianni Collu
traduit surtout la pensée de ce dernier.
[26] G. Cesarano - G. Collu, Apocalisse e rivoluzione, Dedalo, Bari, 1973. Une traduction
française parut dans «Invariance», série iii,
nnos 3,4,7,8,9. La traduction, que j’ai supervisée,
est de Lucien Laugier.
[27] La révolution
intègre, 1978, «Invariance», série iii,
nº 4, p. 4 et in Comunità e divenire,
p. 25.
[28] Précisions
après le temps passé (janvier 1978),
«Invariance», série iii, nº 5-6,
p. 31, 1980.
[29] «Invariance», série iii,
nº 5-6, p. 12.
[30] «Invariance», série iii,
nº 5-6, p. 8.
[31] Dans les Thèses
provisoires ainsi que dans Remarques,
j’ai précisé ma position vis-à-vis de l’investigation théorique de Jean-Louis
Darlet.
[32] Lettre à Flaviano Pizzi du 11 septembre 2000. Cette
disparition du marché devra être perçue également à travers diverses
représentations mathématiques et physiques, principalement, car cela touche
tout le domaine représentationnel.
[33] En version italienne, ils sont regroupés dans Comunità e divenire.
[34] Ce qui n’élimine pas la réflexion, tant sur
l’homicide des morts, que sur le capital en tant que cadavre qui, encore,
chemine.
[35] Avec l’anthropomorphose, le capital domine les hommes
et les femmes grâce à la substance de leur devenir qu’il s’est appropriée. Une
telle domination recèle pour lui un péril parce que la substance tend à inhiber
son procès. D’où le passage à la domination formelle grâce à l’autonomisation
de la forme. Dés lors la substance devient un support pour le développement de
la virtualité.
[36] Il s’agit de À
propos du dépassement de Marx. Cfr. note suivante.
[37] Envoi, in
«Invariance», Supplément au nº 4, série iii,
Juillet 1979, p. 13. Ce texte est en fait une lettre mise au début d’une
brochure qui fut diffusée uniquement parmi les camarades de la mouvance
«Invariance» en 1976, et qui contenait: Ce
monde qu’il faut quitter, Thèses
provisoires. À propos du dépassement de Marx (1973), À propos du capital, Lettres
de 1974, textes d’Henri Bastelica (Communauté
matérielle du capital, domestication. [24.09.1973]; Remarques sur les mathématiques, [29.09.1973], un tract de
Jean-Louis [Hérouville]: L’aventure c’est
l’aventure, [avril 1973]. La citation reportée ci-dessus fait partie d’un
ajout effectué en mai 1976 à la fin de Envoi,
juillet 1974.
[38] Leur blocage, par exemple, vers la fin des années soixante
et dix dont ils ne commencent à sortir, avec l’essor de la dissolution, que
vers la fin des années quatre vingt-dix.
[39] Celle-ci se manifeste fortement avec la dissolution
de la famille nucléaire et la recomposition d’une forme de famille plus ou moins
élargie mais où souvent les questions en rapport à la spéciose, à l’ontose,
sont escamotées. Ceci est encore plus vrai en ce qui concerne les familles
monoparentales fondées sur ce qui est nommé homosexualité.
[40] V.I. Lénine, À
propos de la dialectique, in Matérialisme
et empiriocriticisme, Ed. Sociales, Paris, 1948, p. 345. Lénine s’appuie
sur de nombreuses citations de G.W.F. Hegel. J’avais trouvé une citation
similaire, dont je n’ai pas noté la référence exacte et qui disait ceci, qui
est plus explicite: «La connaissance de l’homme n’est pas […] une ligne droite,
mais une ligne courbe qui s’approche infiniment d’une série de cercles, d’une
spirale».
[41] Le parti se présenta à moi comme un support pour
exprimer ce phénomène. Cf. Origine et
fonction de la forme parti, 1961, in «Invariance», série i, nº1, 1968. Voir maintenant la
brochure Forme et histoire, Milan, Août, 2002.
[42] Je laisse de côté la question de savoir s’il y a un
réel progrès de l’espèce ou simplement un cumul de connaissances.
[43] Que le capitaliste «consomme le dernier 1/5 comme
non-capitaliste, non en sa fonction de capitaliste, mais pour ses besoins ou
ses plaisirs personnels». K. Marx, Le
Capital, Ed. Sociales, Paris, 1952, Livre ii,
t. 4, p. 110.
[44] Idem, p.
111.
[45] A. Bordiga, Scienza
economica marxista come programma rivoluzionario, [Science économique marxiste
en tant que programme révolutionnaire], in «il programma comunista», nº12,
1960.
[46] Cf. à ce sujet Divination et rationalité, Ed. du Seuil, Paris, 1974, livre regroupant les contributions de divers auteurs. Celle qui m’apparaît la plus importante, pour ce que je vise, est celle de J. Bottéro: Symptômes, signes, écritures, pp. 70-193.