​Groupe Gemeinwesen

Pour une théorie minimale du capital

Collection anthologique d’extraits sur des concepts clés

Version 3.9.1. (2 octobre 2024)

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Groupe Gemeinwesen

Pour une théorie minimale
du capital

 

Collection anthologique d’extraits
sur des concepts clés

Version 3.9.1. (2 octobre 2024)

 

 

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Préface
Objectif et rédacteurs

Du paradis que Marx a créé pour nous, personne ne pourra nous chasser
( Pseudo Hilbert )

Il y a désormais une vaste littérature qui contient implicitement et développe de manière féconde un noyau théorique véridique (c'est-à-dire pleinement confirmé par le processus historique) qui trouve son origine dans une série d'intuitions de Marx. Cependant, force est de constater que, dans la masse des manuscrits et des ouvrages du savant, les textes fondateurs de ce noyau sont dispersés et nettement minoritaires par rapport à ceux qui proposent des thèses différentes, voire opposées (ces dernières étant d'ailleurs largement réfutées par la critique des faits). S'il faut donc prendre acte de l'échec de la prétention à considérer un ensemble discordant tel que le corpus marxien et marxiste comme une " théorie révolutionnaire " (Le fantôme de la théorie titre justement du bel essai de Jaime Semprun), il existe néanmoins à notre sens un sous-ensemble cohérent, une " théorie du capital ". Bien que, comme nous l'avons mentionné, implicite et actuellement non disponible sous une forme complète et cohérente, à l'exception peut-être du travail de Jacques Camatte. Il n'est pas difficile de citer quelques-uns des chercheurs qui, dans ce domaine, en suivant leurs propres et différentes voies, ont produit des résultats importants ; voici quelques noms par ordre alphabétique : Günther Anders, Jean Baudril­lard, Amadeo Bor­diga, Jacques Camat­te, Cornelius Casto­riadis, Gianni Collu, Guy Debord, Jacques Ellul, Ivan Illich, Robert Kurz, Henri Lefebvre, André Leroi-Gourhan, Marcel Mauss, Marshall McLuhan, Lewis Mumford, Fredy Perlman, Bruno Rizzi, Isaak Rubin, Marshall Sahlins, Kohei Saito, Alfred Sohn-Rethel, Ferdi­nand Tön­nies, Simone Weil, Jean Viou­lac. ¶ Le projet ne vise pas à produire une rédaction organique de ce noyau théorique, que nous appellerons provisoirement la Théorie Minimale du Capital, mais seulement à énumérer ce qui semble être les concepts clés, en les accompagnant de citations de diverses sources afin de faciliter la compréhension du concept et d’en montrer la cohérence substantielle.
Caveat: Certains des premiers commentaires sur cette anthologie (« Ce sont des documents d’une terrible lucidité, mais salutaires », « Je les trouve d’une lecture pénible, et ils risquent de nous faire oublier tout ce qu’il y a encore de joyeux et de vrai dans nos vies ») nous incitent à souligner, en utilisant l’analogie courante entre le capital et les formes de cancer justifiées par l’égale illimitation de la croissance, que ce recueil ne porte que sur la genèse et le développement de la maladie et non sur la manière de vivre avec elle et les remèdes possibles. Cependant, nous le considérons comme utile, car les traitements peuvent bénéficier de la compréhension du mécanisme par lequel ils contrecarrent.

 

Ce projet, fruit d'une collaboration entre plusieurs personnes, est un logiciel libre et, à ce titre, il s'est donné les moyens de prendre des décisions lorsque le besoin s'en fait sentir. Le produit qui en résulte est donc dans le domaine public et les différentes voies de recherche ou les divergences entre les participants peuvent donner lieu à des dérivations en utilisant pleinement les matériaux et les résultats des travaux antérieurs, voire futurs.
Les participants ont travaillé dans l'esprit de l'éditeur (qu'il soit laïc, catholique ou bouddhiste) d'une hypothétique entrée encyclopédique sur la théologie manichéenne, un esprit qui n'implique pas l'adhésion à ce qui est énoncé, mais plutôt l'intention d'une complétude et d'une clarté maximales : .   Aldo Zanchetta, Armando Ermini, Claudio Catanese, Enrico Salvatori, Fabrizio Bertini, Francesco Borselli, Franco Senia, Gabriella Rouf, Giacomo Di Meo, Giuseppe Petrozzi, Luigi Picchi, Marco Iannucci, Marisa Fadoni Strik, Riccardo De Benedetti, Stefano Borselli, Stefano Isola.   Contacts: il.covile@­protonmail­.com

 

Index des concepts

Chapitre § 1. Faits observés 

§ 1.1. Pauvreté des anciens et richesse des modernes ou vice versa ? Vice versa 

1.2. Abstraction 

§ 1.3. Évanescence de l'immédiateté 

§ 1.4. Solitude et extase de la promiscuité 

§ 1.5. Anxiété et dépression généralisées 

§ 1.6. Enfermement 

§ 1.7. Contrôle et surveillance 

§ 1.8. Marchandisation illimitée 

Chapitre § 2. Présuppositions lointaines du processus 

§ 2.1. Rejet de la réalité 

2.1.1. Représentation • Spectacle 

2.1.2. Développement extraordinaire des prothèses • Ersatz • Remplacement 

2.1.3. Refoulement • Escamotage • Détournement 

2.2. Anthropomorphose 

§ 2.3. Aspirations abstraites 

2.3.1. Immortalité 

2.3.1.1. Inimitié 

2.3.2. Idée de puissance • Contrôle total 

2.3.3. Honte prométhéenne 

§ 2.4. L'aube de la civilisation (tentatives de contrôle) 

§ 2.4.1. La religion 

§ 2.4.2. L'État 

2.4.3. Organisation • Bureaucratie 

2.4.3.1. Mégamachine 

2.4.4. Propriété privée 

Chapitre § 3. Le processus • Double mouvement 

§ 3.1. Le mouvement de la valeur 

3.1.1. Robinsonnade 

3.1.2. Valeur • Valeur d'usage • Valeur d'échange 

3.1.3. L'échange • Don • Troc 

3.1.4. Marchandise 

3.1.5. Aliénation 

3.1.6. Marchandise exclu • Équivalent général 

3.1.7. Argent 

3.1.8. Prêt • Crédit Dette 

3.1.9. Abstraction réelle 

3.1.10. Immortalité (recherchée dans la valeur) 

§ 3.2. Le mouvement du capital 

3.2.1. Le capital 

3.2.1.1. La crématistique 

3.2.2. Plus-value 

3.2.3. Autonomisation • Sujet automate 

§ 3.2.4. Modus operandi 

3.2.4.1. Combinatoire et Combinisme 

3.2.4.2. Subsomption toujours plus profonde du travail par le capital 

3.2.4.3. Extension de la subsomption aux loisirs, à la société, au corps 

3.2.5. Le temps du capital 

3.2.6. La marchandise du capital 

3.2.7. La technique du capital 

3.2.8. Les forces productives du capital 

3.2.9. Objectivation 

3.2.10. Immortalité (recherchée dans le capital) 

§ 3.3. Vers une étape ultérieure du processus 

3.3.1. Mort du capital 

Chapitre § 4. Résultats et buts du processus 

4.1. Suppression et remplacement de la communauté • Communauté matérielle 

§ 4.1.1. Gemeinwesen 

4.1.1.1. La grande communauté organique et cosmique 

4.2. Suppression et remplacement de l'homme 

4.3. Suppression et remplacement de la nature 

Sources ​

 

 

Chapitre 1.
Faits observés

 

§ 1.1. Pauvreté des anciens et richesse des modernes ou vice versa ? Vice versa

Henry David Thoreau 1854  161​ 
The farmer is endeavoring to solve the problem of a livelihood by a formula more complicated than the problem itself. [...] This is the reason he is poor; and for a similar reason we are all poor in respect to a thousand savage comforts, though surrounded by luxuries. surrounded by luxury, in comparison with the thousand comforts the savages have.  [532​  Walden or, Life in the Woods]

 

Guy Debord 1978  49​ 
De progrès en promotions, ils ont perdu le peu qu'ils avaient, et gagné ce dont personne ne voulait.  [275​  In girum imus nocte et consumimur igni]

 

Marshall Sahlins 1966 (1972)  92​ 

The Original Affluent Society
If economics is the dismal science, the study of hunting and gathering economies must be its most advanced branch. Almost universally committed to the proposition that life was hard in the paleolithic, our textbooks compete to convey a sense of impending doom, leaving one to wonder not only how hunters managed to live, but whether, after all, this was living? The specter of starvation stalks the stalker through these pages. His technical incompetence is said to enjoin continuous work just to survive, affording him neither respite nor surplus, hence not even the “leisure” to “build culture”. Even so, for all his efforts, the hunter pulls the lowest grades in thermodynamics — less energy ​/​ capita​/​year than any other mode of production. And in treatises on economic development he is condemned to play the role of bad example: the so-called “subsistence economy”. ¶ The traditional wisdom is always refractory. One is forced to op pose it polemically, to phrase the necessary revisions dialectically: in fact, this was, when you come to examine it, the original affluent society. Paradoxical, that phrasing leads to another useful and unexpected conclusion. By the common understanding, an affluent society is one in which all the people's material wants are easily satisfied. To assert that the hunters are affluent is to deny then that the human condition is an ordained tragedy, with man the prisoner at hard labor of a perpetual disparity between his unlimited wants and his insufficient means. ¶ For there are two possible courses to affluence. Wants may be “easily satisfied” either by producing much or desiring little. The familiar conception, the Galbraithean way, makes assumptions peculiarly appropriate to market economies: that man's wants are great, not to say infinite, whereas his means are limited, although improvable: thus, the gap between means and ends can be narrowed by industrial productivity, at least to the point that “urgent goods” become plentiful. But there is also a Zen road to affluence, departing from premises somewhat different from our own: that human material wants are finite and few, and technical means unchanging but on the whole adequate. Adopting the Zen strategy, a people can enjoy an unparalleled material plenty-with a low standard of living. ¶ That, I think, describes the hunters. And it helps explain some of their more curious economic behavior: their “prodigality” for example — the inclination to consume at once all stocks on hand, as if they had it made. Free from market obsessions of scarcity, hunters' economic propensities may be more consistently predicated on abundance than our own. Destutt de Tracy, “fish-blooded bourgeois doctrinaire” though he might have been, at least compelled Marx's agreement on the observation that “in poor nations the people are comfortable”, whereas in rich nations “they are generally poor”. […]
Sources of the Misconceptio
“Mere subsistence economy” “limited leisure save in exceptional circumstances”, “incessant quest for food”, “meagre and relatively unreliable” natural resources, “absence of an economic surplus,” “maximum energy from a maximum number of people” — so runs the fair average anthropological opinion of hunting and gathering.
[…] in reference to South American hunters:
“The nomadic hunters and gatherers barely met minimum subsistence needs and often fell far short of them. Their population of 1 person to 10 or 20 square miles reflects this. Constantly on the move in search of food, they clearly lacked the leisure hours for nonsubsistence activities of any significance, and they could transport little of what they might manufacture in spare moments. To them, adequacy of production meant physical survival, and they rarely had surplus of either products or time” (Steward & Faron 1958, p. 60).But the traditional dismal view of the hunters' fix is also preanthropological and extra-anthropological, at once historical and referable to the larger economic context in which anthropology operates. It goes back to the time Adam Smith was writing, and probably to a time before anyone was writing. Probably it was one of the first distinctly neolithic prejudices, an ideological appreciation of the hunter's capacity to exploit the earth's resources most congenial to the historic task of depriving him of the same. […] ¶ Is it so paradoxical to contend that hunters have affluent economies, their absolute poverty notwithstanding? Modern capitalist societies, however richly endowed, dedicate themselves to the proposition of scarcity. Inadequacy of economic means is the first principle of the world's wealthiest peoples. The apparent material status of the economy seems to be no clue to its accomplishments; something has to be said for the mode of economic organization. ¶ The market-industrial system institutes scarcity, in a manner completely unparalleled and to a degree nowhere else approximated.[…] ¶ Both Eyre and Sir George Grey, whose sanguine view of the indige nous economy we have already noted (“I have always found the greatest abundance in their huts”) left specific assessments, in hours per day, of the Australians' subsistence labors. (This in Grey's case would include inhabitants of quite undesirable parts of western Australia.) The testimony of these gentlemen and explorers accords very closely with the Arnhem Land averages obtained by McCarthy and McArthur. “In all ordinary seasons”, wrote Grey, (that is, when the people are not confined to their huts by bad weather)
“they can obtain, in two or three hours a sufficient supply of food for the day, but their usual custom is to roam indolently from spot to spot, lazily collecting it as they wander along” (1841, vol. 2, p. 263; emphasis mine). Similarly, Eyre states:
“In almost every part of the continent which I have visited, where the presence of Europeans, or their stock, has not limited, or destroyed their original means of subsistence, I have found that the natives could usually, in three or four hours, procure as much food as would last for the day, and that without fatigue or labour” ( 1845, pp. 254-255; emphasis mine).  [418​  Stone age economics, pp. 1-4,26]

 

Jean Baudrillard 1970  124​ 

Le paléolithique, ou la première société d'abondance. ¶ Il faut abandonner l'idée reçue que nous avons d'une société d'abondance comme d'une société dans laquelle tous les besoins matériels (et culturels) sont aisément satisfaits, car cette idée fait abstraction de toute logique sociale. Et il faut rejoindre l'idée, reprise par Marshall Sahlins dans son article sur la « première société d'abondance », selon laquelle ce sont nos sociétés industrielles et productivistes, au contraire de certaines sociétés primitives, qui sont dominées par la rareté, par l'obsession de rareté caractéristique de l'économie de marché. Plus on produit, plus on souligne, au sein même de la profusion, l'éloignement irrémédiable du terme final que serait l'abondance définie comme l'équilibre de la production humaine et des finalités humaines. Puisque ce qui est satisfait dans une société de croissance, et de plus en plus satisfait au fur et à mesure que croît la productivité, ce sont les besoins mêmes de l'ordre de production, et non les « besoins » de l'homme, sur la méconnaissance desquels repose au contraire tout le système, il est clair que l'abondance recule indéfiniment: mieux elle est irrémédiablement niée au profit du règne organisé de la rareté (la pénurie structurelle). ¶ Pour Sahlins, c'étaient les chasseurs-collecteurs (tribus nomades primitives d'Australie, du Kalahari, etc.) qui connaissaient l'abondance véritable malgré leur absolue « pauvreté ». Les primitifs n'y possèdent rien en propre, ils ne sont pas obsédés par leurs objets, qu'ils jettent à mesure pour mieux se déplacer. Pas d'appareil de production ni de « travail » : ils chassent et cueillent << à loisir », pourrait-on dire, et partagent tout entre eux. Leur prodigalité est totale: ils consomment tout d'emblée, pas de calcul économique, pas de stocks. Le chasseur-collecteur n'a rien de l'Homo œconomicus d'invention bourgeoise. Il ne connaît pas les fondements de l'Économie Politique. Il reste même toujours en deçà des énergies humaines, des ressources naturelles et des possibilités économiques effectives. Il dort beaucoup. Il a confiance et c'est cela qui marque son système économique en la richesse des ressources naturelles, alors que notre système est marqué (et de plus en plus avec le perfectionnement technique) par le désespoir face à l'insuffisance des moyens humains, par une angoisse radicale et catastrophique qui est l'effet profond de l'économie de marché et de la concurrence généralisée. ¶ L'« imprévoyance » et la « prodigalité » collectives, caractéristiques des sociétés primitives, sont le signe de l'abondance réelle. Nous n'avons que les signes de l'abondance. Nous traquons, sous un gigantesque appareil de production, les signes de la pauvreté et de la rareté. Mais la pauvreté ne consiste, dit Sahlins, ni en une faible quantité de biens, ni simplement en un rapport entre des fins et des moyens : elle est avant tout un rapport entre les hommes. Ce qui fonde la « confiance » des primitifs, et qui fait qu'ils vivent l'abondance dans la faim même, c'est finalement la transparence et la réciprocité des rapports sociaux. C'est le fait qu'aucune monopolisation, quelle qu'elle soit, de la nature, du sol, des instruments ou des produits du « travail », ne vient bloquer les échanges et instituer la rareté. Pas d'accumulation, qui est toujours la source du pouvoir. Dans l'économie du don et de l'échange symbolique, une quantité faible et toujours finie de biens suffit à créer une richesse générale, puisqu'ils passent constamment des uns aux autres. La richesse n'est pas fondée dans les biens, mais dans l'échange concret entre les personnes. Elle est donc illimitée, puisque le cycle de l'échange est sans fin, même entre un nombre limité d'individus, chaque moment du cycle d'échange ajoutant à la valeur de l'objet échangé. C'est cette dialectique concrète et relationnelle de la richesse que nous retrouvons inversée, comme dialectique de la pénurie et du besoin illimité, dans le processus de concurrence et de différenciation caractéristiques de nos sociétés civilisées et industrielles. Là où chaque relation, dans l'échange primitif, ajoute à la richesse sociale, chaque relation sociale, dans nos sociétés « différentielles », ajoute au manque individuel, puisque toute chose possédée est relativisée par rapport aux autres (dans l'échange primitif, elle est valorisée par la relation même avec les autres). ¶ Il n'est donc pas paradoxal de soutenir que dans nos sociétés « affluentes », l'abondance est perdue, et qu'elle ne sera pas restituée par un surcroît de productivité à perte de vue, par la libération de nouvelles forces productives. Puisque la définition structurelle de l'abondance et de la richesse est dans l'organisation sociale, seule une révolution de l'organisation sociale et des rapports sociaux pourrait l'inaugurer. Reviendrons-nous un jour, au-delà de l'économie du marché, à la prodigalité? Au lieu de la prodigalité, nous avons la « consommation », la consommation forcée à perpétuité, sœur jumelle de la rareté. C'est la logique sociale qui a fait connaître aux primitifs la « première » (et la seule) société d'abondance. C'est notre logique sociale qui nous condamne à une pénurie luxueuse et spectaculaire.  [478​  La Société de consommation, pp. 90-92]

 

Jean Baudrillard 1986  123​ 

La seule détresse comparable est celle de l'homme qui mange seul debout en pleine ville. On voit ça à New York, ces épaves de la convivialité, qui ne se cachent même plus pour bouffer les restes en public. Mais ceci est encore une misère urbaine, industrielle. Les milliers d'hommes seuls qui courent chacun pour soi, sans égard aux autres, avec dans leur tête le fluide stéréophonique qui s'écoule dans leur regard, ça, c'est l'univers de Blade Runner, c'est l'univers d'après la catastrophe. N'être même pas sensible à la lumière naturelle de Californie, ni à cet incendie de montagnes poussé par le vent chaud jusqu'à dix milles au large, enveloppant de sa fumée les plates-formes pétrolières off-shore, ne rien voir de tout cela et courir obstinément par une sorte de flagellation lymphatique, jusqu'à l'épuisement sacrificiel, c'est un signe d'outre-tombe. Comme l'obèse qui n'arrête pas de grossir, comme le disque qui tourne indéfiniment sur le même sillon, comme les cellules d'une tumeur qui prolifèrent, comme tout ce qui a perdu sa formule pour s'arrêter. Toute cette société ici, y compris sa part active et productive, tout le monde court devant soi parce qu'on a perdu la formule pour s'arrêter.  [474​  Amérique]

 

Juliet B. Schor  1993  63​ 

The labouring man will take his rest long in the morning; a good piece of the day is spent afore he come at his work; then he must have his breakfast, though he have not earned it at his accustomed hour, or else there is grudging and murmuring; when the clock smiteth, he will cast down his burden in the midway, and whatsoever he is in hand with, he will leave it as it is, though many times it is marred afore he come again; he may not lose his meat, what danger soever the work is in. At noon he must have his sleeping time, then his bever in the afternoon, which spendeth a great part of the day; and when his hour cometh at night, at the first stroke of the clock he casteth down his tools, leaveth his work, in what need or case soever the work standeth.” (James Pilkington, Bishop of Durham, ca. 1570)One of capitalism's most durable myths is that it has reduced human toil. This myth is typically defended by a comparison of the modern forty-hour week with its seventy- or eighty-hour counterpart in the nineteenth century. The implicit — but rarely articulated — assumption is that the eighty-hour standard has prevailed for centuries. The comparison conjures up the dreary life of medieval peasants, toiling steadily from dawn to dusk. We are asked to imagine the journeyman artisan in a cold, damp garret, rising even before the sun, laboring by candlelight late into the night. ¶ These images are backward projections of modern work patterns. And they are false. Before capitalism, most people did not work very long hours at all. The tempo of life was slow, even leisurely; the pace of work relaxed. Our ancestors may not have been rich, but they had an abundance of leisure. When capitalism raised their incomes, it also took away their time. Indeed, there is good reason to believe that working hours in the mid-nineteenth century constitute the most prodigious work effort in the entire history of humankind. ¶ Therefore, we must take a longer view and look back not just one hundred years, but three or four, even six or seven hundred. Consider a typical working day in the medieval period. It stretched from dawn to dusk (sixteen hours in summer and eight in winter), but, as the Bishop Pilkington has noted, work was intermittent — called to a halt for breakfast, lunch, the customary afternoon nap, and dinner. Depending on time and place, there were also midmorning and midafternoon refreshment breaks. These rest periods were the traditional rights of laborers, which they enjoyed even during peak harvest times. During slack periods, which accounted for a large part of the year, adherence to regular working hours was not usual. According to Oxford Professor James E. Thorold Rogers, the medieval workday was not more than eight hours. The worker participating in the eight-hour movements of the late nineteenth century was "simply striving to recover what his ancestor worked by four or five centuries ago."[...] ¶ The contrast between capitalist and precapitalist work patterns is most striking in respect to the working year. The medieval calendar was filled with holidays. Official — that is, church — holidays included not only long "vacations" at Christmas, Easter, and midsummer but also numerous saints' andrest days. These were spent both in sober churchgoing and in feasting, drinking and merrymaking. In addition to official celebrations, there were often weeks' worth of ales — to mark important life events [...] as well as less momentous occasions (scot ale, lamb ale, and hock ale) [...] . All told, holiday leisure time in medieval England took up probably about one-third of the year. And the English were apparently working harder than their neighbors. The ancien règime in France is reported to have guaranteed fifty-two Sundays, ninety rest days, and thirty-eight holidays. In Spain, travelers noted that holidays totaled five months per year.  [315​  Pre-industrial workers had a shorter workweek than today's]

 

Jaime Semprun 1993  61​ 

Chaque progrès apparaît foncièrement vicié et en règle générale tout ce qui devait faciliter la vie la dévore. L’idée que le processus historique commencé à la Renaissance puisse connaître un aboutissement heureux est si bien discréditée qu’on peut dire que les Temps modernes ont atteint leur point de perfection, la perfection étant précisément la qualité de ce qui ne peut plus être amélioré. Les Temps modernes sont donc achevés : ils avaient commencé dans les villes, ils finissent avec elles. Achevé, voilà un mot dialectique : à la fois « qui a atteint la perfection » et « qui a trouvé son terme ».  [307​  Dialogues sur l’achévement des temps modernes]

 

David Graeber & David Wengrow 2021  98​ 

Lahontan anticipates some of these arguments in his Memoirs, when he notes that Americans who had actually been to Europe — here, he was very likely thinking primarily of Kandiaronk himself, as well as a number of former captives who had been put to work as galley slaves — came back contemptuous of European claims to cultural superiority. Those Native Americans who had been in France, he wrote,
“...were continually teasing us with the faults and disorders they observed in our towns, as being occasioned by money. There’s no point in trying to remonstrate with them about how useful the distinction of property is for the support of society: they make a joke of anything you say on that account. In short, they neither quarrel nor fight, nor slander one another; they scoff at arts and sciences, and laugh at the difference of ranks which is observed with us. They brand us for slaves, and call us miserable souls, whose life is not worth having, alleging that we degrade ourselves in subjecting ourselves to one man [the king] who possesses all the power, and is bound by no law but his own will.”In other words, we find here all the familiar criticisms of European society that the earliest missionaries had to contend with — the squabbling, the lack of mutual aid, the blind submission to authority — but with a new element added in: the organization of private property. Lahontan continues:
“They think it unaccountable that one man should have more than another, and that the rich should have more respect than the poor. In short, they say, the name of savages, which we bestow upon them, would fit ourselves better, since there is nothing in our actions that bears an appearance of wisdom.”  [430​  The Dawn of Everything: A New History of Humanity]

 

Verba stultitiæ
Ernest Mandel 1974  42​ 
Primitive communities based on poverty ¶ During the major part of prehistoric existence, humanity lived in conditions of extreme poverty and could only obtain the food necessary for subsistence by hunting, fishing and fruit gathering. ¶ Humanity lived off nature as a parasite, since it was unable to increase the natural resources which were the basis of its subsistence. Humanity could not control these resources. ¶ Primitive communities are organised to guarantee collective survival in these extremely difficult conditions of existence. Everyone is obliged to take part in current production, and everyone's labour is necessary to keep the communities alive. The granting of material privileges to one part of the tribe would condemn another part to famine, would deprive it of the possibility of working normally, and would therefore undermine the conditions for collective survival. This is why social organisation, at this stage in the development of human societies, tends to maintain maximum equality within human communities. ¶ After examining 425 primitive tribes, the English anthropologists Hobhouse, Wheeler and Ginsberg found a total absence of social classes amongst all the tribes who knew nothing about agriculture. ¶ The Neolithic revolution ¶ It was only the development of techniques of agriculture and animal husbandry which modified this situation of fundamental poverty in any long term way. The technique of agriculture, the greatest economic revolution in humanity's existence, is attributable to women, as are a series of other important discoveries in pre-history (notably the techniques of pottery and weaving). ¶ This started to take place around 15,000 B.C. in a few places in the world, most probably first of all in Asia Minor, Mesopotamia, Iran and Turkestan, gradually progressing into Egypt, India, China, North Africa and Mediterranean Europe. It is called the neolithic revolution because it happened during that part of the Stone Age when the principal tools of work were made of polished stone (the final epoch of the Stone Age). ¶ The neolithic revolution allowed humanity to produce its food itself, and therefore to control more or less its own subsistence. Primitive humanity's dependence on the forces of nature was diminished. It permitted the building up of food reserves, which in turn released certain members of the community from the need to produce their own food. Thus a certain economic division of labour could develop, a specialisation of jobs, which increased the productivity of human labour. In primitive society there are as yet only the bare outlines of such specialisation. As one of the first Spanish explorers said in the Sixteenth Century about the American Indians: “They (the primitive people) want to use all their time gathering together food, because if they used it in any other way, they would be overcome with hunger.”  [260​  From Class Society to Communism. An introduction to marxism]

 

1.2. Abstraction

Ludwig Feuerbach 1843  116​ 
Et sans doute notre temps... préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être.  [454​  L’Essence du christianisme, Préface à la deuxième édition]

 

Max Stirner 1845  177​ 
Celui qui rêve de l’Homme perd de vue les personnes à mesure que s'étend sa rêverie; il nage en plein intérêt sacré, idéal. L'Homme n'est pas une personne, mais un idéal, un fantôme.  [570​  L'unique et sa propriété, II, 2, §3]

 

Karl Marx 1847  21​ 
Le temps est tout, l’homme n’est plus rien ; il est tout au plus la carcasse du temps.  [210​  Misère de la philosophie. Réponse a la philosophie de la misère de M. Proudhon]

 

Gianni Collu 2010  39​ 
Marx ? Un chasseur de fantômes.  [246​  Témoignages de Danilo Fabbroni]

 

Jacques Camatte 1974  65​ 

[...] le capital abstrait l’homme. Cela veut dire qu’il lui prend tout son contenu, toute sa matérialité : force de travail ; toute la substance humaine est capital. [...] L’homme c’est l’homme abstrait défini par la constitution. En plus de cela, il ne faut pas oublier que le capital s’est assujetti toute la science, tout le travail intellectuel humain, et il domine au nom même de cet amas de connaissances. Il est la connaissance, l’homme le manœuvre. À l’encontre de l’homme de la société féodale qui était surtout animal, l’homme de la société bourgeoise est un pur esprit.  [323​  Ce monde qu’il faut quitter]

 

Jerry Mander 1978  4​ 

A widely misunderstood Soviet film, Solaris, directed by Andre Tarkovski from the book by Stanislaw Lem, depicts problems faced by some astronauts in a space station that is orbiting the planet Solaris in a faraway galaxy. ¶ Of an original group of eighty-five astronauts, only two are left. Most have fled, others have gone mad and been shipped back to Earth. Several have killed themselves. ¶ The surface of Solaris is one vast ocean, which is also a single living mind. This planet-ocean-mind is playing some kind of awful mental trick on its visitors. ¶ Back on Earth, puzzled space officials send a psychologist, Kris Kelvin, to investigate. Before leaving the planet for outer space, Kelvin spends his final weeks visiting his father in a small house deep in some woods. He immerses himself in the forest and takes long, silent walks through meadows. The film moves exceedingly slowly at this point. There are long sequences in which nothing but natural events of the forest pass by the camera lens. Nature-time. ¶ Sometimes the camera follows Kelvin’s eyes as they absorb the surroundings. It rains. He is soaked. Back at his cabin, his body is warmed by a fire. ¶ Finally it is time to leave. Now the camera is in the front seat of the car, sitting where Kelvin is sitting. We see what he sees. ¶ Slowly the terrain changes. Winding wooded roads give way to straight, one-lane roads. The foliage recedes from the highway. Then we are on a freeway. The environment has become speeding cars, overpasses, underpasses, tunnels. Soon, we are in a city. There is noise, light, buildings everywhere. The natural landscape is submerged, invisible. Homocentric landscapes, abstract reality prevail. From there it’s a fast cut to space. ¶ Kelvin is alone in a small space vehicle, heading toward Solaris. Earth is gone. His roots have been abandoned. Grounding, by definition, is impossible. His whole environment is abstract. His planetary home now exists only in memory. ¶ Arriving at the space station, Kelvin understands Solaris’ trick. It enters visitors’ memories and then creates real-life manifestations of them. This begins to happen to Kelvin. His long-dead wife appears in his room. At first he believes it is an image of her; then he realizes it is not just an image, it is actually she. And yet, they are both aware that she is only a manifestation of his mind. So she is simultaneously real and imaginary. ¶ Other people from Kelvin’s life appear in the lab. He encounters the re-created memories of the other two astronauts; relatives, old friends, toys, scraps of long-abandoned clothing, technical equipment, potted plants, dogs, dwarfs from a childhood circus, fields of grass. Things are strewn wildly about as the visitors from Earth try to figure out what to do with all the real​/​unreal stuff that keeps appearing from their memories. The space station takes on the quality of a dream, a carnival, a lunatic asylum. ¶ The scientists consider returning to Earth as the others have. Kelvin favors this move as he feels his sanity slipping, yet he realizes that to leave means “killing” his rediscovered wife. Back on Earth she will be a memory, much as Earth has become in this space station. She understands this, and it is a source of anguish for both of them.  [202​  Four Arguments for the Elimination of Television]

 

Ivan Illich 2002  20​ 

Autrefois, celui qui mourait abandonnait le monde. Jusque là, il avait été dans le monde. ¶ Tous les deux, nous appartenons à la génération de ceux qui étaient encore « venus au monde » et qui sont menacés aujourd'hui de mourir privés de sol. Contrairement aux membres de toutes les autres générations, nous avons vécu la rupture avec le monde. ¶ Le renonçant prenait le bâton de pélerin et se mettait en route pour Santiago ; il pouvait solliciter la stabilitas à la porte du monastère, ou se joindre aux lépreux. Dans le monde russe comme dans le monde grec existait aussi la possibilité de ne pas devenir moine, mais fou et d'écornifler sa pitance le reste de sa vie en faisant le bouffon dans la cour de l'église avec les chiens et les mendiants. Mais même pour ces extrêmes fuyards du monde, le monde continuait d'être le cadre sensoriel de leur existence passagère. Le monde restait une tentation, précisément pour celui qui voulait y renoncer. La plupart de ceux qui prétendaient abandonner le monde se surprenaient eux-mêmes en train de tricher. L'histoire de l'a­scèse chrétienne est celle de la tentative héroïque de l'hônneteté dans le renoncement à un monde auquel chaque fibre de l'ascète restait attachée. Se sentant mourir, mon oncle Alberto se fit servir le VinSanto mis en cuve l'année de sa naissance. ¶ Aujourd'hui, c'est différent. L'histoire bimillénaire de l'Europe chrétienne appartient au passé. Ce monde, dans lequel est encore née notre génération s'est évanouï. Il est devenu insaisissable, non seulement pour nos cadets, mais pour nous-mêmes, les vieux. Certes, les vieillards se sont toujours souvenus de meil­leurs temps, mais ceci n'est pas une raison, pour nous qui étions là avant les régimes de Staline, de Roosevelt, d'Hitler et de Franco, d'oublier ces adieux vécus. ¶ Je me souviens du jour ou j'ai vielli d'un coup pour toujours. Jamais je n'oublierai les noirs nuages de mars dans la soleil du soir ni les vignobles de la Sammerheide entre Pötz­leinsdorf et Salmannsdorf près de Vienne, deux jours avant l'Anschluss. Jusqu'à ce moment, il m'avait paru évident qu'un jour j'engendrerais des enfants pour habiter la vieille tour familiale sur telle île dalmate. Depuis cette promenade solitaire, cela m'a paru impossible. L'exil du corps hors de la trame de l'histoire, je l'ai vécu à l'âge de douze ans, avant encore que de Berlin ne vienne l'ordre de gazer les fous dans tout le Reich. ¶ Pouvoir parler ensemble de cette rupture dans l'expérience du monde et de la mort est un privilège de la génération qui connut l'avant. Hellmut, je crois m'adresser à quelqu'un qui sait de quoi je parle. Le destin a fait de moi, très jeune, le collègue, le conseiller et l'ami d'hom­mes et de femmes nés plusieurs décennies avant moi. C'est ainsi que j'ai appris à me laisser édifier et former par des gens qui étaient trop vieux pour avoir pu connaître cette expérience de désincarnation. Par ailleurs, nos élèves sont tous enfants de l'époque d'après Guernica, Leipzig, Belsen et Los Alamos. Le génocide et le projet Génome, la mort des forêts et l'hydroponie, la greffe cardiaque et le medi­cide remboursé par la sécurite sociale sont également insipides, inodores, insaisissables et hors du monde. ¶ La parodie de fêtes de l'Avent autour du cadavre d'Erlangen célèbre l'inhumanité d'un monde sans relation à un sol. Nous qui som­mes assez vieux et assez jeunes pour avoir vécu la fin de la nature et la fin d'un monde en harmonie avec les sens, devrions être capables de mourir comme aucun autre. ¶ Ce qui fut peut retomber en poussière. Le passé peut être remémoré. Paul Celan savait que du monde que nous avons connu, il ne reste que de la fumée. L'apparition du virtual drive des ordinateurs m'a pourvu d'un em­blème pour un mode d'effacement irrévo­cable comparable à l'évanouissement du monde et de la chair. L'adhésion haptique au monde e gît pas enfouie sous des couches de décombres dans les profondeurs du sol. Elle a disparu, comme une ligne effacée de l'ordi­nateur. ¶ C'est pourquoi, nous les septuagénaires, sommes des témoins uniques qui gardons en mémoire, non seulement des noms, mais des modes de percevoir que plus personne ne con­naît. Toutefois, beaucoup de ceux qui ont vécu la rupture ont été brisés eux-mêmes. J'en connais qui ont rompu eux-mêmes le fil qui les reliait à l'existence d'avant la bombe atomique, d'avant Auschwitz et d'avant le SIDA. Encore à mi-chemin de leur existence, ils se sont transformés jusqu'à la moelle en viejos verdes en verts galants qui se comportent comme s'il pouvait encore y avoir des pères dans un Système en passe de devenir un show réalisa­ble. Ce qui dans le Troisième Reich était en­core de la propagande et pouvait donc encore être égratigné par la rumeur publique est aujourd'hui vendu comme menu de logiciel ou comme assurance, comme conseil aux étu­diants, « travail de deuil », thérapies anti­cancéreuses ou thérapie de groupe pour ceux qui restent. Nous les vieux appartenons à la génération des pionniers de ce non- sens. Nous sommes les survivants de la génération à cause de laquelle le Développement, la Communi­cation et les Services sont devenus des besoins universels. La désincarnation aliénante, la perte des sens, qui est perte du monde et l'impotence programmée que nous avons contribué à propager sont des abominations. Elles dépassent en profondeur et en altitude les masses de déchets que les nouvelles générations accumulent dans les entrailles de la terre et lancent dans l'atmosphère. Nous occupions déja des postes clés lorsque la télévision escamota la vie quotidienne. Moi- même, je reconnais avoir encouragé les pro­grammes éducatifs de la radio universitaire et assuré qu'ils soient reçus, qu'il pleuve ou qu'il vente, dans chaque village de Porto Rico. J'ignorais encore à cette époque combien cela allait rétrécir le rayon d'action des sens et boucher l'horizon. J'étais loin alors de deviner que bientôt, les pronostics météorologiques du programme télévisé de la soirée allaient déteindre sur le premier regard matinal par la fenêtre. Durant plusieurs dizaines d'années, j'ai traité à la légère, sans m'indigner, les abstractions trompeuses telles qu'« un milliard d'hommes sous une cloche de Gauss ». Depuis le mois de janvier de cette année, mon décompte bancaire me parvient orné d'un diagramme en colonnes censé me permettre de comparer d'un coup d'oeil mes frais d'auberge et mes dépenses de bureau. C'est ainsi que je vois ma condicio humana peu à peu réin­terprétée par le biais de centaines de minuscules informations, actes administratifs et conseils professionnels. Hellmut, lorsqu'il y a plus de vingt ans, toi et moi parlions de « l'édu­cation à perpétuité », je ne pouvais m'ima­giner combien insidieusement - smooth and slick - le projet éducatif allait se glisser dans la vie quotidienne. ¶ La réalité sensorielle est de plus en plus recouverte par des injonctions programmées à voir, entendre, sentir. L'éducation à la survie dans un monde artificiel commence dans les premiers livres scolaires, dont les textes ne sont plus que des modes d'emploi de tables graphiques, et s'achève par la docile dispo­sition des mourants à ne juger de leur état qu'à travers les résultats des examens de labo­ratoire. Des entités abstraites excitantes et colonisatrices de l'âme ont recouvert la per­ception du monde et de soi comme un capi­tonnage de plastique. Je le remarque lorsque je parle de la résurrection des morts à des jeunes gens : leur difficulté ne réside pas en un manque de confiance mais bien plutôt dans le caractère désincarné de leurs perceptions, dans un mode de vie en constante distraction de la chair. ¶ Dans un monde hostile à la mort, toi et moi ne nous préparons plus à ce que « la mort nous accueille », mais tout de même à une mort intransitive. A l'occasion de ton soixante-dixième anniversaire, célébrons l'amitié qui nous permet de louer Dieu pour la réalité sensible du monde par notre adieu même à celle-ci.  [206​  La perte du monde et de la chair Instituto Juan de Herrera]

 

§ 1.3. Évanescence de l'immédiateté

Jean Baudrillard 1970  125​ 

Il en est de même pour la relation : le système s'institue sur la base d'une liquidation totale des liens personnels, des relations sociales concrètes. C'est dans cette mesure qu'il devient nécessairement et systématiquement producteur de relations (publiques, humaines, etc.). La production des relations est devenue une des branches capitales de la production. Et parce qu'elles n'ont plus rien de spontané, et qu'elles sont produites, ces relations sont nécessairement vouées, comme tout ce qui est produit, à être consommées (à la différence des rapports sociaux, qui eux sont le produit inconscient du travail social et ne ré- sultent pas d'une production industrielle délibérée et contrôlée : ceux-là ne sont pas « consommés », ils sont au contraire le lieu des contradictions sociales).  [478​  La Société de consommation, note 1 p. 127]

 

Ivan Illich 1982  52​ 

For example, men and women have always grown up; now they need "education" to do so. In traditional societies, they matured without the conditions for growth being perceived as scarce. Now, educational institutions teach them that desirable learning and competence are scarce goods for which men and women must compete. Thus, education turns into the name for learning to live under an assumption of scarcity.  [287​  Gender, Chap. 1]

 

Jacques Camatte 1991  51​ 

Analysons le phénomène. Un homme, une femme, s’aiment; ils s`unissent. ils ont un enfant. Pour 1’esprit-capital c’est un crime parce que c’est un acte gratuit. Ils ont obtenu un être, considéré par les partisans de la dynamique capitaliste, comme un objet, un produit, sans rien payer. En revanche, demain, ils ne s’accoupleront plus, mais ils achéteront en commun un embryon. En fonction de leur disponibilités financières, ils pourront se procurer un génie ou un crétin. L’avantage c’est qu’ils pourront toujours récriminer, si le produit ne correspond pas à ce qu’ils désirent en ce qui concerné le sexe, la couleur des yeux, le QI, etc. En outre, la séparation des sexes sera pleinement possible [...] puisqu’il sera possible, ensuite, de faire poursuivre le développement de l’embryon in vitro. ¶ Pour faire triompher la génération artificielle, rémunératrice et pourvoyeuse d’emplois, on utilisera effectivement de tels arguments. On invoquera l’avantage de l’asepsie intégrale, la possibilité d’éliminer les tares. Ce qui a pour corollaire la nécessité de démontrer que tout être humain est normalement taré (à moins que la science n’intervienne). La tare médicale remplacera le péché originel, et le christianisme sera par là même sauvé. Les prêtres pourront s’occuper de leurs ouailles artificielles. Mieux, on montrera, comme c’est en train de se faire […] que la sexualité est dangereuse, que tout contact est un risque pathogène. De là, toute l’exaltation mercatelle du sida, des maladies sexuelles transmissibles. À la limite être naturel ne pourra (comme l’ont déjà écrit les auteurs de science-fiction, cf. Défense de coucher par exemple) qu’engendrer du dégoût, d’où la plongée obligée dans la virtualité (cela, Euripide ne l’avait pas envisagé!). S’il n’y a plus de contact tout peut être sauvé, mais Homo sapiens sera dépossédé de la sexualité comme il tend à l’être de la pensée, grâce à l’ordinateur. ainsi que de toutes les relations intra-spécifiques.  [283​  Gloses en marge d'une réalité VI]

 

§ 1.4. Solitude et extase de la promiscuité

Edgar Allan Poe 1840  151​ 
D’autres, une classe fort nombreuse encore, étaient inquiets dans leurs mouvements, avaient le sang à la figure, se parlaient à eux-mêmes et gesticulaient, comme s’ils se sentaient seuls par le fait même de la multitude innombrable qui les entourait.  [526​  L’homme des foules]

 

Jean Baudrillard 1986  122​ 

Le nombre de gens ici qui pensent seuls, qui chantent seuls, qui mangent et parlent seuls dans les rues est effarant. Pourtant ils ne s'additionnent pas. Au contraire, ils se soustraient les uns aux autres, et leur ressemblance est incertaine. ¶ Mais une certaine solitude ne ressemble à aucune autre. Celle de l'homme qui prépare publiquement son repas, sur un mur, sur le capot d'une voiture, le long d'une grille, seul. On voit ça partout ici, c'est la scène au monde la plus triste, plus triste que la misère, plus triste que celui qui mendie est l'homme qui mange seul en public. Rien de plus contradictoire avec les lois humaines ou bestiales, car les bêtes se font toujours l'honneur de partager ou de se disputer la nourriture. Celui qui mange seul est mort (mais pas celui qui boit, pourquoi ?). ¶ Pourquoi les gens vivent-ils à New York ? Ils n'y ont aucun rapport entre eux. Mais une électricité interne qui vient de leur pure promiscuité. Une sensation magique de contiguïté, et d'attraction pour une centralité artificielle. ¶ C'est ce qui en fait un univers auto-attractif, dont il n'y a aucune raison de sortir. Il n'y a aucune raison humaine d'être là, mais la seule extase de la promiscuité.  [474​  Amérique]

 

§ 1.5. Anxiété et dépression généralisées

Giorgio Cesarano & Gianni Collu 1973  133​ 

[Thèse 49] L’anthropomorphose des lois du capital marche de pair avec l’intensification des formes pathologiques complessives dont la vie quotidienne de chacun tend à n’être qu’une simple liste ou résumé. Aussi devient-il possible de dégager sans aucune équivoque, telle qu’elle est, la pathogenèse sociale de toute forme de « maladie mentale » en tant que maladie spécifiquement capitaliste. Quand l’individu se trouve pris comme première personne par le procès de valorisation et de dévalorisation, sa fonctionnalité nerveuse en devient simplement un double. (Tandis que dans la sphère de l’extériorité objective la domination réelle s’intègre à tout être, en le réduisant à son propre organisme, dans la sphère de l’intériorité colonisée l’être-capital réduit à lui-même la fonctionnalité de l’organisation égoarchique, mais ne réussit pas à s’emparer de l’essence organique. Sur ce terrain l’être-capital ne réussit pas à aller au-delà d’une phase de domination formelle. Dans l’essence organique se polarise désormais la subjectivité antagoniste du prolétariat révolutionnaire). ¶ Dans le cycle de la marchandise la valeur produite doit circuler en accomplissant diverses métamorphoses, sous les séduisantes dépouilles d’une quelconque valeur d’usage, pour parvenir à se réaliser et donc à se valoriser ; il en est de même pour l’individu réduit à fragment du mouvement complessif de la valeur et qui doit, en un continuum obsessivement contraint (question de « vie » ou de « mort »), valoriser sa propre survie qui doit, en tant qu’image ayant apparence de valeur d’usage, ou se réaliser en devenant la matrice d’une série, ou aller au-devant du désastre de la valorisation. Ce que la domination réelle du capital cherche à programmer dans ce circuit, c’est une « circulation simple » des différentes formes de survie, dans touts les cas projetées ou confectionnées, où la compétition soit totalement en vigueur. L’Ego-valeur, qui devient petite entreprise opérant sur le marché selon le schéma classique de la loi de la valeur (échange de pseudo-équivalents), est le sujet de l’ultime utopie « proud’honnienne » du capital, la société du libre-marché de la survie. ¶ Le cycle maniaque euphorique et le cycle dépressif, qui constituent désormais les moments focaux et caratérisant du non-vécu quotidien et en règlent le rythme émotif renversé, sont désormais les reflets évidents, l’un de la valorisation réalisée de la valeur – obtention d’une dignité ontologique tout à fait irréelle – l’autre d’une banqueroute toujours partiellement mortelle. La cyclothymie s’impose comme destin collectif.  [486​  Apocalypse et revolution]

 

§ 1.6. Enfermement

Jacques Camatte 2004  140​ 

Qu’est-ce qui empêche hommes et femmes de vivre en cette jouissance et les livre à la dépendance?
• L’enfermement dans un devenir hors nature fondé à partir d’une coupure de continuité avec celle-ci, avec le cosmos, pour échapper à une menace dont la raison, les fondements ont depuis longtemps été perdus, oubliés, scotomisés, refoulés.
• L’enfermement dans une domestication liée à l’abandon de toute naturalité, à un détournement dans l’artificiel, fondements de la répression parentale.
• L’enfermement dans un mode de connaître qui vise principalement la justification du devenir d’errance qui le fonde.
• L'enfermement dans une surnature peuplée d’hypostases, d’entités, dans un monde virtuel, forme profane de celle-ci.  [498​  Index [Page d’accueil du site Revue Invariance]]

 

AA.VV. 2024  139​ 

Hikikomori est un mot japonais désignant un état psychosocial et familial, concernant en majorité des hommes, qui vivent coupés du monde et des autres, cloîtrés le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, et ne sortant que pour satisfaire aux impératifs des besoins corporels. Il y avait environ 410 000 hikikomori au Japon en 2008, soit près de 0,2 % de la population. Le phénomène n'est pas limité au Japon et des cas ont également été recensés par exemple à Oman, en Espagne, en Italie, en Corée du Sud et en France  [494​  Informations communes]

 

 

 

§ 1.7. Contrôle et surveillance

Alexis de Tocqueville 1840  168​ 

J’avais remarqué durant mon séjour aux États-Unis qu’un état social démocratique, semblable à celui des Américains, pourrait offrir des facilités singulières à l’établissement du despotisme, [...]
On n’a jamais vu dans les siècles passés de souverain si absolu et si puissant qui ait entrepris d’administrer par lui-même, et sans les secours de pouvoirs secondaires, toutes les parties d’un grand empire ; il n’y en a point qui ait tenté d’assujettir indistinctement tous ses sujets aux détails d’une règle uniforme, ni qui soit descendu à côté de chacun d’eux pour le régenter et le conduire. [...]
Les empereurs possédaient, il est vrai, un pouvoir immense et sans contrepoids, qui leur permettait de se livrer librement à la bizarrerie de leurs penchants et d’employer à les satisfaire la force entière de l’état ; il leur est arrivé souvent d’abuser de ce pouvoir pour enlever arbitrairement à un citoyen ses biens ou sa vie : leur tyrannie pesait prodigieusement sur quelques-uns ; mais elle ne s’étendait pas sur un grand nombre ; elle s’attachait à quelques grands objets principaux, et négligeait le reste ; elle était violente et restreinte. ¶ Il semble que, si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter. ¶ Je ne doute pas que, dans des siècles de lumières et d’égalité comme les nôtres, les souverains ne parvinssent plus aisément à réunir tous les pouvoirs publics dans leurs seules mains, et à pénétrer plus habituellement et plus profondément dans le cercle des intérêts privés, que n’a jamais pu le faire aucun de ceux de l’antiquité. [...]
Lorsque je songe aux petites passions des hommes de nos jours, à la mollesse de leurs mœurs, à l’étendue de leurs lumières, à la pureté de leur religion, à la douceur de leur morale, à leurs habitudes laborieuses et rangées, à la retenue qu’ils conservent presque tous dans le vice comme dans la vertu ; je ne crains pas qu’ils rencontrent dans leurs chefs des tyrans, mais plutôt des tuteurs. [...]
Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer. ¶ Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres, ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. ¶ Au-dessus de ceux-là, s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leurs jouissances, et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle, si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? ¶ C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même.  [558​  De la démocratie en Amérique, tome 4, partie IV, chap. VI ]

 

Juan Do­noso Cortés 1849  167​ 

La cause de toutes vos erreurs, messieurs, c'est que vous ignorez la direction de la civilisation et du monde. Vous croyez que la civilisation et le monde avancent quand le monde et la civilisation rétrogradent. Le monde marche à grands pas à la constitution d'un despotisme, le plus gigantesque et le plus destructeur que les hommes aient jamais vu. [...]
Remarquez une chose, messieurs. Dans le monde ancien la tyrannie a été féroce et impitoyable ; et pourtant celle tyrannie était matériellement limitée, tous les Efats étant petits et les relations nationales étant impossibles de tout point; par conséquent, dans l'antiquité, il ne put y avoir de tyrannie sur une grande échelle, si ce n'est une seule, celle de Rome. Mais aujourd'hui, combien les choses sont changées! Les voies sont préparées pour un tyran gigantesque, colossal, universel, immense; tout est préparé pour cela. Remarquez-le bien, il n'y a déjà plus de résistances ni morales ni matérielles. Il n'y a plus de résistances matérielles : les bateaux à vapeur et les chemins de fer ont supprimé les frontières, et le télégraphe électrique a supprimé les distances. Il n'y a plus de résistances morales : tous les esprits sont divisés, tous les palriotismes sont morts.  [554​  La dictature]

 

§ 1.8. Marchandisation illimitée

Chuck Palahniuk 2005  138​ 
C'est ça, le Rêve américain : transformer ta vie en quelque chose que tu peux vendre.  [490​  À l'estomac]

 

Karl Marx 1847  53​ 

Finally, there came a time when everything that men had considered as inalienable became an object of exchange, of traffic and could be alienated. This is the time when the very things which till then had been communicated, but never exchanged; given, but never sold; acquired, but never bought – virtue, love, conviction, knowledge, conscience, etc. – when everything, in short, passed into commerce. It is the time of general corruption, of universal venality, or, to speak in terms of political economy, the time when everything, moral or physical, having become a marketable value, is brought to the market to be assessed at its truest value.  [211​  The Poverty of Philosophy. Answer to the Philosophy of Poverty by M. Proudhon, Chap. I §1 ]

 

Karl Marx 1867  87​ 

The circulation of money as capital, on the other hand, is an end in itself, because the utilization of value only exists within this constantly renewed movement. The movement of capital is therefore boundless.  [270​  The capital]

 

 

Chapitre 2.
Présuppositions lointaines du processus

André Leroi-Gourhan 1964  127​ 

Well-preserved habitats before the appearance of Homo sapiens are rare, and few of them have so far been researched with sufficient precision to yield very detailed fossil records. The little we do know is, however, enough to show that a profound change took place at a moment which coincided with the development of the cerebral apparatus of forms close to Homo sapiens and also with the development of abstract symbolism, as well as with the intensive diversification of ethnic units. These archaeological observations enable us to identify the phenomena of spatiotemporal insertion, from the Upper Paleolithic onward, with the symbolic apparatus of which language is the main instrument. They correspond to a real taking possession of time and space through the intermediacy of symbols, to a domestication in the strictest sense of the term, since they lead to the creation of controllable space and time within the home and radiating outward from the home. ¶ As a result of this symbolic "domestication" the human was able to pass from the natural rhythmicity of seasons, days, and walking distances to a rhythmicity regulated and packaged within a network of symbols - calendrical, horary, or metric ­ that turned humanized time and space into a theatrical stage upon which the play of nature was humanly controlled. The rhythm of regularized cadences and intervals took the place of the chaotic rhythmicity of the natural world and became the principal element of human socialization, the very image of social integration, to a point where our triumphant society's framework is today a checkerboard of cities and roads on which the movements of individuals are controlled by horary time. The link between humanized space-time and society is perceived so strongly that for some centuries an individual desiring to recover his or her spiritual balance has had nowhere to go except to a monastery or a desert cave, ending up like St. Simeon Stylites or the Bodhisattva in a contemplative immobility that is a rejection of both time and space.  [484​  Gesture and Speech, pp 314-315]

 

§ 2.1. Rejet de la réalité

T.S. Eliot 1935  1​ 
Allez, allez, allez, dit l'oiseau : le genre humain ​/​ ne supporte pas beaucoup la réalité.  [261​  Quatre quatuors : Burnt Norton]

 

2.1.1. Représentation • Spectacle

Guy Debord 1967  58​ 
[Thèse 1] Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.  [303​  La Société du Spectacle]

 

André Leroi-Gourhan 1964  135​ 

Isolated inside their micro-ethnicity, the group's members had to make their own shirts and construct their own social aesthetic as best they could, losing so much time in the process that the profit to the community as a whole was only slight. A considerable saving is obviously achieved in a system where the producing individual's life is divided between productive ' activity and passive reception of his or her share of community life, a share chosen, measured, prethought, and lived by others. Like the freeing from culinary art through canned food, freeing from social operations through television is a collective gain. The gain is offset by a risk of social hierarchization probably more pronounced than heretofore; a process of stratification by rational selection will skim off the rare elements in the mass of society and make of them the purveyors of remote-controlled adventure. An increasingly small minority will plan not only society's vital political, administrative, and technical programs but also its ration of emotions, its epic adventures, its image of a life which will have become totally figurative-for the transition from real social life to one that is purely figurative can take place quite smoothly. The first step was taken with the first hunter's tale told by a Paleoanthropian, and with the first novel and the first traveler's tale the path widened. Our society's emotional ration is already largely made up of ethnographic accounts of groups that have ceased to exist — Sioux: Indians, cannibals, sea pirates — forming the framework for responsiveness systems of great poverty and arbitrariness. One may wonder what the level of reality of these images will be when their creators are drawn from a fourth generation of people remote-controlled in their audiovisual contacts with a fictitious world. The imagination, which is nothing other than the ability to make something new out of lived experience, is in danger of declining appreciably. The mediocrity of our popular literature, illustrated magazines, radio, and television is an interesting pointer. It reflects a natural selection of authors and subjects, and we may assume that the statistical majority of consumers are getting the emotional food they need and can assimilate. But our world lives on a capital of survivors with which it may be able to recapture some degree of lived reality. Ten generations from now a writer selected to produce social fiction will probably be sent on a “renaturation” course in a park a comer of which he or she will have to till with a plough copied from a museum exhibit and pulled by a horse borrowed from a zoo. He or she will cook and eat the family meal at the family table, organize neighborhood visits, enact a wedding, sell cabbages from a market stall to other participants in the same course, and learn anew how to relate the ancient writings of Gustave Flaubert to the meagerly reconstituted reality, after which this person will no doubt be capable of submitting a batch of freshened-up emotions to the broadcasting authorities.  [484​  Gesture and Speech, pp. 360-361]

 

AA.VV. 1982  94​ 

[entrée : « Représentation »] [...] C'est L'idéologie allemandequi présente la première tentative de théorisation du procès de représentation [Vorstellung] comme systématisation déformée et mystifiée de la réalité. Se représenter, c'est se faire une représentation ailleurs et par d'autres de toutes pièces constituée, soit « partager pour chaque époque historique l'illusion de cette époque ». La notion de représentation indique, quant à l'idéologie, que celle-ci capte des éléments de connaissance à seule fin de les globaliser dans un système (de représentations) et qu'elle agit en outre sur les hommes comme une force matérielle objective: « L'« imagination », la « repré- sentation » que (des) hommes déterminés se font de leur pratique réelle se transforme en la seule puissance déterminante et active qui domine et détermine la pratique de ces hommes ». Dans Le Capital, Marx explique également comment la représentation comme effet de distorsion résulte, dans la conscience des agents de la production, de l'opacité de fonctionnement du mode de production capitaliste lui-même. […]  [234​  Dictionnaire critique du marxisme]

 

2.1.2. Développement extraordinaire des prothèses • Ersatz • Remplacement

Marcus Valerius Martialis 86-102  81​ 
Lise a les dents d’un noir d’ébène, ​/​ Sa sœur les a d’un ivoire éclatant : ​/​ Pour l’une, le pourquoi se devine sans peine ; ​/​ Pour l’autre, c’est le secret du marchand.  [369​  Épigrammes]

 

Karl Marx 1844  72​ 

By possessing the property of buying everything, by possessing the property of appropriating all objects, money is thus the object of eminent possession. The universality of its property is the omnipotence of its being. It is therefore regarded as an omnipotent being. Money is the procurer between man’s need and the object, between his life and his means of life. But that which mediates my life for me, alsomediates the existence of other people for me. For me it is the other person.
“What, man! confound it, hands and feet ​/​ And head and backside, all are yours! ​/​ And what we take while life is sweet, ​/​ Is that to be declared not ours? ​/​ Six stallions, say, I can afford, ​/​ Is not their strength my property? ​/​ I tear along, a sporting lord, ​/​ As if their legs belonged to me.” Goethe:Faust (Mephistopheles)Shakespeare in Timon of Athens:
“Gold? Yellow, glittering, precious gold? No, Gods, ​/​ I am no idle votarist! … Thus much of this will ​/​ make black white, foul fair, ​/​ Wrong right, base noble, old young, coward valiant. ​/​ … Why, this ​/​ Will lug your priests and servants from your sides, ​/​ Pluck stout men’s pillows from below their heads: ​/​ This yellow slave ​/​ Will knit and break religions, bless the accursed; ​/​ Make the hoar leprosy adored, place thieves ​/​ And give them title, knee and approbation ​/​ With senators on the bench: This is it ​/​ That makes the wappen’d widow wed again; ​/​ She, whom the spital-house and ulcerous sores ​/​ Would cast the gorge at, this embalms and spices ​/​ To the April day again. Come, damned earth, ​/​ Thou common whore of mankind, that putt’s odds ​/​ Among the rout of nations.”And also later:
“O thou sweet king-killer, and dear divorce ​/​ Twixt natural son and sire! thou bright defiler ​/​ Of Hymen’s purest bed! thou valiant Mars! ​/​ Thou ever young, fresh, loved and delicate wooer, ​/​ Whose blush doth thaw the consecrated snow ​/​ That lies on Dian’s lap! Thou visible God! ​/​ That solder’s close impossibilities, ​/​ And makest them kiss! That speak’st with every tongue, ​/​ To every purpose! O thou touch of hearts! ​/​ Think, thy slave man rebels, and by thy virtue ​/​ Set them into confounding odds, that beasts ​/​ May have the world in empire!” Shakespeare excellently depicts the real nature of money. To understand him, let us begin, first of all, by expounding the passage from Goethe. ¶ That which is for me through the medium of money – that for which I can pay (i.e., which money can buy) – that am I myself, the possessor of the money. The extent of the power of money is the extent of my power. Money’s properties are my – the possessor’s – properties and essential powers. Thus, what I am and am capable of is by no means determined by my individuality. I am ugly, but I can buy for myself the most beautiful of women. Therefore I am not ugly, for the effect of ugliness – its deterrent power – is nullified by money. I, according to my individual characteristics, am lame, but money furnishes me with twenty-four feet. Therefore I am not lame. I am bad, dishonest, unscrupulous, stupid; but money is honored, and hence its possessor. Money is the supreme good, therefore its possessor is good. Money, besides, saves me the trouble of being dishonest: I am therefore presumed honest. I am brainless, but money is the real brain of all things and how then should its possessor be brainless? Besides, he can buy clever people for himself, and is he who has [In the manuscript: “is”. – Ed.] power over the clever not more clever than the clever? Do not I, who thanks to money am capable of all that the human heart longs for, possess all human capacities? Does not my money, therefore, transform all my incapacities into their contrary? ¶ If money is the bond binding me to human life, binding society to me, connecting me with nature and man, is not money the bond of all bonds? Can it not dissolve and bind all ties? Is it not, therefore, also the universal agent of separation? It is the coin that really separates as well as the real binding agent – the […] [In the manuscript one word cannot be deciphered. – Ed.] chemical power of society. ¶ Shakespeare stresses especially two properties of money: ¶ 1. It is the visible divinity – the transformation of all human and natural properties into their contraries, the universal confounding and distorting of things: impossibilities are soldered together by it. ¶ 2. It is the common whore, the common procurer of people and nations. ¶ The distorting and confounding of all human and natural qualities, the fraternization of impossibilities – the divine power of money – lies in its character as men’s estranged, alienating and self-disposing species-nature. Money is the alienated ability of mankind.  [240​  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844]

 

Günther Anders 1956  99​ 

Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces êtres faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil – car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio – pour écouter les émissions du matin au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent et, en nous détendant ou en nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparences d’amis : car ensuite, même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférerons rester en compagnie de nos portables chums, nos copains portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme nos véritables amis.  [341​  L'Obsolescence de l'homme]

 

Stefano Isola 2023  117​ 

If in the first phase of AI, the term "intelligence" referred to an attempt, however crude and naively reductionist, to build mechanical models of it, current AI is rather about automated decision-making processes that have little or nothing to do with human intelligence. The persistent use of the term “intelligence” thus institutes what Eric Sadin has called a rhetorical act of force, and contributes in no small part to the general puerility with which AI performance is spoken of. But the use of misleading vocabulary does not stop there: not only do various devices often have names inspired by biological life, neuro-this, neuro-that, etc., but it is commonplace to say that a machine “thinks,” “sees,” “reads,” “learns,” “understands,” “speaks,” etc. This fiction, increasingly established in our culture, has a precondition, as we have seen: the assimilation of individual subjectivity to an isolated atom, operated by liberalism [read capitalism, Ed. note] from its origins and operationally reinforced by modern behaviorism. By the way, artificial intelligence used today is called narrow AI in that it is designed to perform specific tasks and only those tasks (e.g., only gaming, only facial recognition, only Internet searches, only driving a car, only text writing, only musical synthesis, etc.). But the long-term goal of many researchers is to create a general AI capable of equaling or surpassing humans in almost all cognitive tasks: according to the aforementioned Ray Kurzweil, computers will pass the Turing test by 2029, thus demonstrating that they possess a “mind” indistinguishable from that of humans (but far superior to it in all tasks of a computational nature). ¶ [...] the famous Turing test states that a machine can be called “intelligent” only when the nature of the (hidden) interlocutor can no longer be established during a conversation conducted indifferently by a person or a machine.  [460​  For good: the new power of artificial reason]

 

2.1.3. Refoulement • Escamotage • Détournement

Jacques Camatte 2010-2023  14​ 

[entrée : « Refoulement »] Concept forgé par S. Freud qui indique le procès inconscient empêchant (inhibant) que ce qui cause une souffrance intolérable ou qui pourrait la rappeler, la réactiver, puisse devenir conscient. Ce qu’il a perçu dans l’immédiat c’est la remontée d’un refoulé (phénomène inconscient pour le patient), particulièrement au travers de signes (symptômes) organiques. Il en a déduit qu’initialement il y avait eu un phénomène de refoulement (Verdrängung).  [200​  Glossaire]

 

Jacques Camatte 2010-2023  15​ 

[entrée : « Escamotage »] Dynamique qui fait disparaître une donnée importante tout en donnant, souvent, l’impression d’en tenir compte.  [200​  Glossaire]

 

Jacques Camatte 2010-2023  16​ 

[entrée : « Détournement »] Concept forgé par les membres de l’Internationale Situationniste, et qui eut une très grande vogue à partir de 1968. Je considère qu’il connote quelque chose de commun avec celui de S. Freud de Verführung, traduit par séduction. Le détournement fondamental, opérant une empreinte qui pourra être réactivée et induire des rejouements, consiste dans le fait que les parents détournent l’enfant de sa naturalité afin qu’il s’adapte au monde hors nature, artificiel. [...]  [200​  Glossaire]

 

2.2. Anthropomorphose

Karl Marx 1844  134​ 

Déjà dans la propriété foncière féodale, la seigneurie de la terre apparaît comme une puissance étrangère au-dessus des hommes. [...]. Le seigneur d'un majorat, le fils aîné, appartient à la terre. C'est la terre qui hérite du seigneur. [...] La propriété foncière féodale donne son nom à son seigneur, comme un royaume le donne à son roi. L'histoire de sa famille, de sa maison, etc., tout cela donne à son régime foncier un caractère individuel, et en fait formellement sa maison, fait de lui une personne.  [239​  Manuscrits de 1844]

 

Karl Marx 1844  64​ 

What constitutes the essence of credit? [...] Credit is the economic judgment on the morality of a man. In credit, the man himself, instead of metal or paper, has become the mediator of exchange, not however as a man, but as the mode of existence of capital and interest. The medium of exchange, therefore, has certainly returned out of its material form and been put back in man, but only because the man himself has been put outside himself and has himself assumed a material form. Within the credit relationship, it is not the case that money is transcended in man, but that man himself is turned into money, or money is incorporated in him. Human individuality, human moralityitself, has become both an object of commerce and the material in which money exists. Instead of money, or paper, it is my own personal existence, my flesh and blood, my social virtue and importance, which constitutes the material, corporeal form of the spirit of money. Credit no longer resolves the value of money into money but into human flesh and the human heart. [...] Since, owing to this completely nominal existence of money, counterfeiting cannot be undertaken by man in any other material than his own person, he has to make himself into counterfeit coin, obtain credit by stealth, by lying, etc., and this credit relationship [...] becomes an object of commerce, an object of mutual deception and misuse.  [322​  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique]

 

Jacques Camatte 2010-2023  5​ 

[entrée : « Anthropomorphose »] ~ de la divinité. Métamorphose du numen (du sacré) en une figure humaine. Elle s’accompagne d’une divinomorphose affectant originellement l’unité supérieure représentante de la communauté abstraïsée devenue Etat sous sa première forme. Ultérieurement elle peut concerner les mystiques.
~ de la propriété foncière. Phénomène exposé par K. Marx dans «Critique de la philosophie de l’Etat de Hegel» où il affirme en particulier que ce n’est pas l’homme qui hérite de la propriété foncière mais l’inverse. Cette anthropomorphose est l’expression suprème du phénomène de fonciarisation, du culte de l’autochtonie, de la mystique du sol. Son complémentaire, d’après K. Marx, est une zoomorphose des hommes et des femmes. On pourrait ajouter une chtonisation, compulsion à revenir à ce qui est posé comme fondement, comme origine: la terre en tant que sol (l’inhumation en serait un support) et «mystique» de celui-ci.
~ du travail. Phénomène qui s’impose lors de la dissolution du mode de production féodal avec autonomisation de la forme féodale et émergence de l’artisanat. Elle s’exprime à travers le grand mouvement artistique commençant dans les Flandres et en Italie, avec l’émergence de la figure de l’ingénieur, avec l’affirmation de la philosophie du faire. Elle est une des composantes de la genése de la science expérimentale.
Son influence se fait sentir au sein du mouvement socialiste particulièrement chez ceux que K. Marx appela les socialistes ricardiens, chez J.P. Proudhon, au sein de la Première Internationale et se retrouve effectivement chez K. Marx, F. Engels dans leur exaltation du travail posé comme une activité spécifiquement humaine. Elle se retrouve dans le désarroi qu’engendre ce qui est nommé actuellement la fin du travail.
Son complémentaire est la dépendance par rapport au travail à un point tel que l’homme est défini essentiellement par lui et ne peut se comprendre qu’à travers lui; on a l’Homo faber et l’exaltation de la technique, de l’humanisme ainsi que de l’activisme et du mouvement (le mouvement est tout).
~ du capital. Phénomène qui fait que le capital devient homme, «a human being» selon K. Marx. Son complémentaire est la capitalisation des hommes et des femmes tendant à devenir des objets techniques, immergés dans l’immédiateté du capital, qu’on peut percevoir aussi comme son immanence.  [200​  Glossaire]

 

Voir aussi :  Comprendre l’anthropomorphose

 

§ 2.3. Aspirations abstraites

 

2.3.1. Immortalité

Anonymous 2600-2450 a.C.  85​ 
What you seek you shall never find. For when the Gods made man, They kept immortality to themselves. Fill your belly.  [394​  The Epic Of Gilgamesh]

 

A.E. van Vogt 1971  118​ 
Alors qu’il réfléchissait à ce problème, il eut une autre idée. Vous avez dit mille, répéta-t-il. « Cela me paraît bizarre. Pourquoi vous, les zouvgites, vous êtes-vous réduits à un si petit nombre? Pourquoi un tel choix? »¶ « C’est une famille », explique le membre du comité. Son attention semblait ailleurs. « Bien sûr, là où il y a beaucoup de familles, l’une d’entre elles doit nécessairement finir par exterminer toutes les autres. C’est ce qui s’est passé dans le passé le plus lointain... »  [462​  The Battle of Forever Machine translation ]

 

2.3.1.1. Inimitié
Jacques Camatte 2010-2023  11​ 

[entrée : « Inimitié »] Dynamique par laquelle «l’autre» est utilisé comme support pour présentifier l’ennemi et, de là, initier le déploiement de diverses violences.
L’ennemi peut être transitoire, dans le jeu, dans les débats, dans toutes les formes de concurrence.
Elle fonde le comportement de l’espèce coupée de la nature.  [200​  Glossaire]

 

2.3.2. Idée de puissance • Contrôle total

Ludwig von Bertalanffy 1968  162​ 

We have a fair idea what a scientifically controlled world would look like. In the best case, it would he like Aldous Huxley's Brave New World, in the worst, like Orwell's 1984. [… ] The methods of mass suggestion, of the release of the instincts of the human beast, of conditioning and thought control are developed to highest efficacy; just because modern totalitarianism is so terrifically scientific, it makes the àbsolutism of former periods appear a dilettantish and comparatively harmless make-shift. Scientific control of society is no highway to Utopia.  [536​  General System Theory. Foundations, Development, Applications, p. 52]

 

Cornelius Castoriadis 1986  149​ 

Nous devons tenter de pénétrer plus profondément dans la question. L’illusion non consciente de l’« omnipotence virtuelle » de la technique, illusion qui a dominé les temps modernes, s’appuie sur une autre idée non discutée et dissimulée : l’idée de puissance. Une fois cela compris, il devient clair qu’il ne suffit pas de demander simplement : la puissance pour quoi faire, la puissance pour qui? La question est : qu’est-ce que la puissance et, même, en quel sens non trivial y a-t-il jamais réellement puissance?
Derrière l’idée de puissance gît le phantasme du contrôle total, de la volonté ou du désir maîtrisant tout objet et toute circonstance. Certes, ce phantasme a toujours été présent dans l’histoire humaine, soit « matérialisé » dans la magie, etc., soit projeté sur quelque image divine. Mais, assez curieusement, il y a toujours eu aussi conscience de certaines limites interdites à l’homme comme le montrent le mythe de la Tour de Babel, ou l’hubris grecque. Que l’idée de contrôle total ou, mieux, de maîtrise totale soit intrinsèquement absurde, tout le monde évidemment l’admettrait. Il n’en reste pas moins que c’est l’idée de maîtrise totale qui forme le moteur caché du développement technologique moderne. L’absurdité directe de l’idée de maîtrise totale est camouflée derrière l’absurdité moins brutale de la « progression asymptotique ». L’humanité occidentale a vécu pendant des siècles sur le postulat implicite qu’il est toujours possible et réalisable d’atteindre plus de puissance. Le fait que, dans tel domaine particulier et dans tel but particulier, on pouvait faire « plus » a été vu comme signifiant que, dans tous les domaines pris ensemble et pour tous les buts imaginables, la « ‹puissance » pouvait être agrandie sans limites.
Ce que nous savons maintenant avec certitude, c’est que les fragments de « puissance » successivement conquis restent toujours locaux, limités, insuffisants et, très probablement, intrinsèquement inconsistants sinon carrément incompatibles entre eux. Aucune « conquête » technique majeure n’échappe à la possibilité d’être utilisée autrement qu’il n’était visé à l’origine, aucune n’est dépourvue d’effets latéraux « ‹indésirables », aucune n’évite d’interférer avec le reste — aucune, en tout cas, parmi celles que produit le type de technique et de science que nous avons « développées ». A cet égard, la « puissance » accrue est aussi, ipso facto, impuissance accrue, ou même « anti-puissance », puissance de faire surgir le contraire de ce que l’on visait ; et qui calculera le bilan net, en quels termes, sur quelles hypothèses, pour quel horizon temporel?
Ici encore, la condition opérante de l’illusion est l’idée de séparabilité. « Contrôler » les choses consiste à isoler des facteurs séparés et à circonscrire avec précision les « effets » de leur action. Cela marche, jusqu’à un certain point, avec les objets courants de la vie quotidienne ; c’est ainsi que nous procédons pour réparer un moteur de voiture. Mais, plus nous avançons, plus nous voyons clairement que la séparabilité n’est qu’une « hypothèse de travail » à validité locale et limitée. Les physiciens contemporains commencent à se rendre compte du véritable état de choses ; ils soupçonnent que les impasses apparemment insurmontables de la physique théorique sont dues à l’idée qu’il existerait des choses telles que des « phénomènes » séparés et singuliers, et se demandent si l’Univers ne devrait pas être plutôt traité comme une entité unique et unitaire 8. D’une autre manière, les problèmes écologiques nous obligent à reconnaître que la situation est similaire en ce qui concerne la technique. Ici aussi, au-delà de certaines limites, on ne peut pas considérer que la séparabilité va de soi ; et ces limites restent inconnues jusqu’au moment où la catastrophe menace.
La pollution et les dispositifs visant à la combattre en fournissent une première illustration — banale, et facilement contestable.  [522​  Réflexions sur le «développement» et la «rationalité», pp. 148–150]

 

2.3.3. Honte prométhéenne

Günther Anders 1956  70​ 
When I try to investigate this “Promethean shame” further, then its basis, “the basic flaw” of the one who is feeling shame appears to be the nature of his own origins. T. is ashamed about having naturally growninstead of having been made.  [342​  The Outdatedness of Human Beings]

 

Jean Baudrillard 1968  109​ 

La société technicienne vit sur un mythe tenace : celui de l'avàncement ininterrompu des techniques et du « retard » moral des hommes sur ces techniques.  [434​  Le système des objects, pp. 174-175]

 

Jacques Camatte 2012  71​ 

Successivement l’idée d’avoir perdu le combat pour la reconnaissance, de ne pas avoir été à la hauteur, fondera la honte de soi, la haine de soi avec culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur. C’est ce que nous dit Gunther Anders à propos d’une variété de honte qu’il a individualisée: «…la honte prométhéenne… la honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées». C’est un rejouement d’une forme de honte qui comme les autres types de celle-ci affecte l’origine. «Si j’essaie d’approfondir cette ‹honte prométhéenne›, il me semble que son objet fondamental, l’‹opprobre fondamental› qui donne à l’homme honte de lui-même c’est son origine. T. a honte d’être devenu plutôt que d’avoir été fabriqué». On peut aller plus loin et dire que la honte dérive du fait d’avoir une origine. La honte de soi induit non seulement une dynamique de mépris de soi, mais une dynamique inconsciente de mise hors «condition humaine», afin de compenser cette honte, s’en consoler, en méprisant ceux qui restent liés à cette dernière. Alors l’homme peut effacer toute origine en s’engendrant machine (le post-humain). Mais en niant l’origine, les hommes affirment aussi une donnée de naturalité: ils n’en ont pas car ils proviennent d’une émergence. Mais on peut penser aussi, qu’actuellement, certains membres de l’espèce rougissent de ne pas être des organismes génétiquement modifiés (OGM).
En outre G. Anders met en évidence des données qui sont devenues saillantes avec les développements récents de la société-communauté. «En revanche la ‹honte prométhéenne› se manifeste dans le rapport de l’homme par rapport à la chose. Il manque alors, l’observateur, l’autre homme en face duquel on a honte». Et il précise la honte «… ce n’est pas d’être réifié mais, à l’inverse, de ne pas l’être».  [343​  Inversion et dévoilement]

 

Verba stultitiæ
Euripídēs 428 a.C.  113​ 
Ô Jupiter, pourquoi as-tu produit à la lumière du soleil les femmes, cette funeste engeance, née pour le malheur des hommes ? Si tu voulais propager la race des mortels, tu n'aurais pas dû attribuer ce rôle aux femmes ; les hommes, en te consacrant dans tes temples de l'airain, du fer ou de l'or, auraient acheté de quoi engendrer une postérité, chacun en raison de la valeur de son offrande ; et, sans femmes, ils auraient vécu libres au sein de leurs demeures.  [442​  Hippolyte]

 

Lotario di Segni (Innocenzo III) ~1195  23​ 
L'homme a été formé de poussière, de boue et de cendres ; ce qui est encore plus vil, de la semence la plus répugnante. Il a été conçu dans la démangeaison de la chair, dans la chaleur de la passion et la puanteur de la luxure, et pire encore, avec la tache du péché. Il est né dans le labeur, l'effroi et l'ennui. et, pire encore, il est né pour mourir. (...) L'homme est conçu du sang par l'ardente putréfaction du désir, comme si de funestes vers se tenaient auprès de son corps. Vivant, il engendre des poux et des lombrics ; mort, il génère des vers et des mouches. Vivant, il produit des excréments et du vomi ; mort, il produit de la pourriture et de la puanteur. Vivant, il n'engraisse qu'un seul homme ; mort, il engraisse de nombreux vers.  [218​  De la misère de la condition humaine]

 

Joseph Fletcher 1974  176​ 
Nous réalisons que l’utérus est un endroit obscur et dangereux, un milieu plein de périls. Nous devons souhaiter que nos enfants potentiels se trouvent là où ils peuvent être surveillés et protégés autant que possible.  [566​  The Ethics of Genetic Control]

 

§ 2.4. L'aube de la civilisation (tentatives de contrôle)

André Leroi-Gourhan 1964  131​ 

The individualization of time reflects the gradual integration of individuals in the social superorganism: Over tens of thousands of years a fabric of symbols, extremely loosely woven in the early stages, became superimposed upon the complex and elastic movement of natural time. The life of animals is no less regular than that of the nineteenth-century peasant — "up with the sun, to bed with the fowls" — both are still integrated within a cycle governed by a trilateral contract among nature, the individual, and society. But what was true of rural life until the twentieth century had no longer been true for several centuries of the urban environment and especially of its most socialized strata, the religious and military classes. For these, the progress and survival of the social group depend upon abstract time. Their motor and intellectual integration rests upon a vigorous rhythmic system materialized in bells and bugles, signals of a code of integration as well as segments of time. Faced with the need to ensure the collective's survival — for in all major religions the normal course of the universe depends upon the punctuality of sacrifices — the religious were the first, at the very dawn of civilization, both in the Old and in the New Worlds, to divide time into ideally regular segments, thereby becoming the dispensers of months, days, and hours. Not until recently, with the integration of the masses in a social mechanism where any failure on the part of a specialist can cause collective disorder, did symbolic time assume an absolutely imperative value. In earlier chapters we have seen on several occasions that the liberation of a faculty always leads to accelerated improvement, not of the individual as such but of the individual as an element of the social supermechanism. Expressed a thousand times by sociologists of all persuasions, this fact arises from the existence, parallel with biological evolution, of the stream of material development that sprang forth from the human as soon as language had pierced the confines of the concrete. It has led to the exteriorization of tools (already achieved much earlier as a fundamental condition), of muscle, and eventually of the nervous system of responsiveness. The exteriorization of time took place Simultaneously but along different lines; time became the grid within which individuals became locked at the moment when the system of responsiveness reduced the period required for transmission to hours, minutes, and eventually to seconds. In sectors where the limit has been reached, the individual functions as a cell, an element of the collective program, within a network of signals that not only control his or her gestures or effective mental activity but also regulate his or her right to absence, that is, to rest or leisure time. The primitive individual comes to terms with time, but perfect social time does not come to terms with anyone or anything, not even with space, for space no longer exists except in terms of the time required to travel through it. Socialized time implies a totally symbolic humanized space like that of our cities where clay and night fall at prescribed hours, summer and winter have been reduced to average proportions, and the relationship between individuals and their place of activity is instantaneous. This ideal has been only partially achieved; we need only think what the urban lighting, heating, and public transport must have been like a century ago to acknowledge that much of the journey is already done.  [484​  Gesture and Speech, pp. 317-318]

 

André Leroi-Gourhan 1964  132​ 

The integration of humanized space in the external universe takes place according to certain fundamental laws which, not surprisingly, are met with at all stages of human history, whatever the level of technoeconomic or ideological evolution of the particular group concerned. That which expresses itself in the human through architectural or figurative symbols applies in animals to the most elementary forms of acquisitive behavior; the physical and psychic balance of species which, like humans, draw a distinction between the refuge and the outside world rests upon comings and goings between the shelter and the territory. It is therefore only natural that the "shelter​/​territory" relationship should be the main term in the formula of spatiotemporal representation and that the form of the shelter should not Simply meet the practical requirements of protection and economy but also serve as the hinge between shelter and territory, between humanized space and untamed universe, the twin terms of spatiotemporal integration both static and dynamic. ¶ As we have seen, a tremendous break occurred when the primitive world adopted a new mode of integration in space through the settling of agriculture. Although no change in the basic ground plan was possible once that mode was established, major variations did take place, and they affected the ideology underlying the choice of forms. To put it differently, once the ground plan for the most ancient cities had been drawn, there was no reason for fundamental change throughout Antiquity, the Middle Ages, and down to the present day. Throughout its history the city must preserve its cosmogonic character, but the manner in which it is perceived as the image of the world may be profoundly altered by ideological evolution and historical circumstances. ¶ Creating an artificial area within which the human is isolated as in a magic circle is inseparable from being able to introduce into that area, materially or symbolically, the controlled elements of the external universe. Integrating the granary, repository of nourishment, is not so different from integrating the temple, symbol of the controlled universe. Transposing this proposition to the animal level, we can say that there is no categorical distinction between the burrow as a refuge and as a store of consumable goods. In the Mesopotamian city and the Dogon village alike, the temple and the storehouse are close to one another; indeed they are linked together within a close ideological network. 'The reason why the fabric of symbols that covers the functional reality of human institutions exhibits such extraordinary coincidences is precisely because the underlying forms are so deeply similar. ¶ It is a striking fact that the cities of classical Mediterranean antiquity within the Greek or Roman spheres of influence retain a geometrical layout directly inspired by archaic architectural ideas, although, by the time they were built, the old ideology of effective correspondences had already faded. Right into the modern era processions went on reproducing the movement of heavenly bodies and sacrifices signaled the start of the agricultural cycle, but they did so in an intellectual context with explanations supplied by functional realism. This is particularly noticeable in the development of the Roman world where, although every action was still imbued with religious significance, the rational development of the sciences had already begun to furnish a lateral explanation of the universe. A great distance already lay between the Heraclean world, or that of Gilgamesh, and the universe of Herodotus or Seneca. By a process already described many times, a new explanatory mode came into being-the mode of scientific explanation which, without completely eliminating the preceding stages, relegated them to halftones. A parallel with the present situation of astronomy and astrology comes to mind: No one would dream of questioning the scientific reality of the sidereal universe upon which our feeling of universal integration is now founded, yet a thousand times more human beings read horoscopes than works of astronomy. 'The old system of cosmogonic correspondences has survived in the background.  [484​  Gesture and Speech, pp. 335-335]

 

§ 2.4.1. La religion

Jacques Camatte 2010-2023  18​ 

[entrée : « Religion »] Union d’une épistémé (théologie) et d’une praxis (ensemble de rites). Elle est liée à l’État et implique la réinstauration de quelque chose qui a été perdu.  [200​  Glossaire]

 

§ 2.4.2. L'État

Jacques Camatte 2010-2023  19​ 

[entrée : « État »] Ne peut se définir, originellement, qu’au travers de l’exposé du procès d’abstraïsation de la communauté qui engendre une unité supérieure (pharaon, lugal, roi des rois, etc) qui représente la totalité de celle-ci. C’est le surgissement de l’État sous sa première forme qui s’effectue en même temps que se met en place le mouvement de la valeur dans sa dimension verticale (procès de valorisation). Simultanément s’opère une anthropomorphose de la divinité et une divinomorphose de l’unité supérieure, et la religion s‘instaure. Ultérieurement s’impose une seconde forme déterminée par le mouvement de la valeur en sa dimension horizontale, phénomène ne pouvant pas se réduire uniquement au domaine économique. Fondamentalement l’État, au travers de ces diverses formes, développées à partir des deux première sus-indiquées, tend à définir l’homme, la femme, à les enfermer dans ses déterminations.  [200​  Glossaire]

 

2.4.3. Organisation • Bureaucratie

Amadeo Bordiga 1966  76​ 

Capital today presents itself at all times in the form of an "organization," - and behind this word [... ] behind the inexpressive and antimnemonic acronym of the elusive corporation, among businessmen, administrators, technicians, skilled workers, laborers, electronic brains, robots and watchdogs, of the factors of production and the stimulators of the national income, it fulfills the vile function it has always performed, indeed a function immensely more vile than that of the entrepreneur in personal name who charged intelligence, courage and true pioneering at the dawn of bourgeois society.  [362​  Struttura economica e sociale della Russia d'oggi Machine translation ]

 

Lewis Mumford 1967  48​ 

The Benedictine Order, instituted by Benedict of Nursia in the sixth century, distinguished itself from many similar monastic organizations byimposing a special obligation beyond the usual one of constant prayer, obedience to their superiors, the acceptance of poverty, and the daily scrutiny of each other's conduct. To all these duties they added a new one: the performance of daily work as a Christian duty. Manual labor wasprescribed for no less than five hours a day; and as in the organization of the original human machine, a squad of ten monks was under the supervision of a dean. ¶ In its organization as a self-governing economic and religious society, the Benedictine monastery laid down a basis of order as strict as that which held together the earlier megamachines: the difference lay in its modest size, its voluntary constitution, and in the fact that its sternest discipline was self-imposed. Of the seventy-two chapters comprising the Benedictine rule, twenty-nine are concerned with discipline and the penal code, while ten refer to internal administration: more than half in all. ¶ By consent, the monk's renunciation of his own will matched that imposed upon its human parts by the earlier megamachine. Authority, sub mission, subordination to superior orders were an integral part of this etherealized and moralized megamachine. The Benedictine Order even an ticipated a later phase of mechanization, by being on a twenty-four hour basis; for not merely were lights burned in the dormitory during the night, but the monks, like soldiers in combat, slept in daytime clothes, so as to be ready at once for canonical duties that broke into their sleep. In some ways this order was more strict and far-reaching than that of any army, for no periodic letdowns or sprees were permitted. These systematic priva tions and renunciations, along with regularity and regimentation, passed into the discipline of later capitalist society.  [241​  The Myth of the Machine, Chap. 12, 1]

 

Jacques Camatte & Gianni Collu 1969  89​ 

Le capital comme mode social de production réalise sa domination réelle quant il parvient à remplacer toutes les présuppositions sociales ou naturelles préexistantes par des formes d’organisation propres qui médiatisent la soumission de toute la vie physique et sociale à ses propres besoins de valorisation. L’essence de la Gemeinschaft (communauté) du capital est l’organisation.  [291​  Transition]

 

2.4.3.1. Mégamachine
Lewis Mumford 1967  38​ 

In doing justice to the immense power and scope of Divine Kingship bothas myth and active institution I have so far left one important aspect for closer examination, its greatest and most durable contribution — the invention of the archetypal machine. This extraordinary invention proved in fact to be the earliest working model for all later complex machines, thoughthe emphasis slowly shifted from the human operatives to the more reliable mechanical parts. The unique act of kingship was to assemble the man power and to discipline the organization that made possible the performanceof work on a scale never attempted before. As a result of this invention, huge engineering tasks were accomplished five thousand years ago that match the best present performances in mass production, standardization, and meticulous design. ¶ [...] Men of ordinary capacity, relying on muscle power and traditional skills alone, were capable of performing a wide variety of tasks, including pottery manufacture and weaving, without any external direction or scien tific guidance, beyond that available in the tradition of the local com munity. Not so with the megamachine. Only kings, aided by the discipline of astronomical science and supported by the sanctions of religion, had the capability of assembling and directing the megamachine. This was an invisible structure composed of living, but rigid, human parts, each assigned to his special office, role, and task, to make possible the immense work output and grand designs of this great collective organization. ¶ [...] That invention was the supreme feat of early civilization: a technological exploit which served as a model for all later forms of mechanical organization. This model was transmitted, sometimes with all its parts in good working condition, sometimes in a makeshift form, through purely human agents, for some five thousand years, before it was done over in a material structure that corresponded more closely to its own specifica tions, and was embodied in a comprehensive institutional pattern that covered every aspect of life. ¶ [...] Though the megamachine was first assembled during the period when copper for tools and weapons came into use, it was an independent innovation: the mechanization of men had long preceded the mechanization oftheir working instruments, in the far more ancient order of ritual. But onceconceived, this new mechanism spread rapidly, not just by being imitatedin self-defense, but by being forcefully imposed by kings acting as onlygods or the anointed representatives of the gods could act. Wherever it was successfully put together the megamachine multiplied the output ofenergy and performed labor on a scale that was never conceivable before. ¶ [...] With the energies available through the royal machine, the dimensionsof space and time were vastly enlarged: operations that once could hardlyhave been finished in centuries were now accomplished in less than ageneration. On the level plains, man-made mountains of stone or bakedclay, pyramids and ziggurats, arose in response to royal command: in fact the whole landscape was transformed, and bore in its strict boundaries andgeometric shapes the impress of both a cosmic order and an inflexible human will. No complex power machines at all comparable to this mecha nism were utilized on any scale until clocks and watermills and windmillsswept over Western Europe from the fourteenth century of our era on. ¶ Why did this new mechanism remain invisible to the archeologist and the historian? For a simple reason already implied in our first definition: be-cause it was composed solely of human parts; and it possessed a definite functional structure only as long as the religious exaltation, the magicalabracadabra and the royal commands that put it together were acceptedas beyond human challenge by all the members of the society. Once the polarizing force of kingship was weakened, whether by death or defeat in battle, by skepticism or by a vengeful uprising, the whole machine wouldcollapse. Then its parts would either regroup in smaller units (feudal orurban) or completely disappear, much in the way that a routed army doeswhen the chain of command is broken. ¶ [...] Now to call these collective entities machines is no idle play on words. If a machine be defined, more or less in accord with the classic definition of Franz Reuleaux, as a combination of resistant parts, each specialized in function, operating under human control, to utilize energy and to perform work, then the great labor machine was in every aspect a genuine machine: all the more because its components, though made of human bone, nerve, and muscle, were reduced to their bare mechanical elements and rigidly standardized for the performance of their limited tasks. The taskmaster's lash ensured conformity. Such machines had already been assembled if not invented by kings in the early part of the Pyramid Age, from the end of the Fourth Millennium on. ¶ Just because of their detachment from any fixed external structures, these labor machines had much fuller capacities for change and adaptation than the more rigid metallic counterparts of a modern assembly line. In the building of the pyramids we find not only the first indubitable evidence of the machine's existence, but the proof of its astonishing efficiency. Wher ever kingship spread, the 'invisible machine,' in its destructive if not its constructive form, went with it. This holds as true for Mesopotamia, India, China, Yucatan, Peru, as for Egypt.  [241​  The Myth of the Machine, Chap. 9, 1]

 

Jaime Semprun 2005  62​ 

And so the automobile, a machine that cannot be more mundane and almost archaic, which everyone agrees finds so useful and even indispensable to our freedom of movement, becomes something else if we place it in the society of machines, in the general organization of which it is a simple component, a cog. We then see a complex system, a gigantic organization composed of roads and highways, oil fields and pipelines, gas stations and motels, organized bus travel and large areas with their parking lots, interchangers and bypass roads, assembly lines and "research and development" offices; but also police surveillance, signaling, codes, regulations, standards, specialized surgical care, "pollution control," mountains of used tires, batteries to recycle, sheet metal to press. And in all of this, like parasites living in symbiosis with the host organism, affectionate aphid tickles machines, men busy caring for them, maintaining them, feeding them and still serving them while they believe they are circulating on their own initiative, since they must be so consumed and destroyed at the prescribed rate so that their reproduction, the functioning of the general machine system, is not interrupted for even a moment.  [314​  Défense et illustration de la novlangue française Machine translation ]

 

2.4.4. Propriété privée

Costantinos Kavafis 1927  22​ 
La Bulle d’Or émise par Alexis Comnène pour rendre un éclatant hommage à sa ​/​ mère, la très sage Anne Dalassène (insigne par sa vie et ses œuvres), contient ​/​ diverses formules élogieuses. Rapportons ici une belle et noble phrase : ​/​ Entre nous, ​/​ le tien et le mien, ces mots si froids, n’ont jamais été prononcés.  [214​  Anne Dalassène Marguerite Yourcenar]

 

Karl Marx 1844  34​ 

Only at the culmination of the development of private property does this, its secret, appear again, namely, that on the one hand it is the product of alienated labor, and that on the other it is the means by which labor alienates itself, the realization of this alienation.  [240​  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844]

 

Karl Marx 1844  33​ 

Private property is thus the product,Private property is thus the product, the result, the necessary consequence, of alienated labor, of the external relation of the worker to nature and to himself.  [240​  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844]

 

Karl Marx 1867  88​ 

From the standpoint of a higher economic form of society, private ownership of the globe by single individuals will appear quite as absurd as private ownership of one man by another. Even a whole society, a nation, or even all simultaneously existing societies taken together, are not the owners of the globe. They are only its possessors, its usufructuaries, and, like boni patres familias, they must hand it down to succeeding generations in an improved condition.  [270​  The capital, Vol. III, VI, Chap. 46 ]

 

 

Chapitre 3.
Le processus • Double mouvement

Robert Musil 1930–1943  74​ 
This sense of Austro-Hungarian nationhood was an entity so strangely formed that it seems almost futile to try to explain it to anyone who has not experienced it himself. It did not consist of an Austrian and a Hungarian part that, as one might imagine, combined to form a unity, but of a whole and a part, namely of a Hungarian and an Austro-Hungarian sense of nation hood; and the latter was at home in Austria, whereby the Austrian sense of nationhood actually became homeless.  [354​  The Man Without Qualities, Chap. 42 ]

 

Jacques Camatte 1989  73​ 

Le phénomène de la valeur est indissolublement lié à celui du capital. Il y a continuité et discontinuité entre les deux. Continuité en ce sens que la première est en réalité la présupposition du second ; discontinuité en ce sens que le capital parvient à l’autonomisation et à la communauté, ce qui est impossible pour la valeur. La discontinuité fut possible quand la séparation fut enfin réalisée. C’est ainsi que nous avons présenté le phénomène capital dans divers travaux antérieurs.  [347​  9. Le phénomène de la valeur]

 

Jacques Camatte 2022  146​ 

[...] j'ai pu arriver à mettre en évidence l'aporie de l'affirmation: le capital domine la valeur, parce qu'il se substitue à elle, de même qu'il se substitue à la communauté, à la nature etc... C'est-à-dire que ce qui est substitué existe toujours mais n'est plus déterminé par son devenir propre mais par celui du capital, comme les relations humaines furent, au néolithque, substituées par le mouvement économique fondant la dualité: naturalité artificialité.  [514​  Précisions au sujet de Capital et Valeur]

 

§ 3.1. Le mouvement de la valeur

Karl Marx 1844  36​ 
The devaluation of the world of men is in direct proportion to the increasing value of the world of things.  [240​  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844]

 

Carl Schmitt 1959  145​ 
Bien sûr, même avant la philosophie des valeurs, on parlait de valeurs, mais aussi de non-valeurs. Cependant, une distinction était généralement faite, en disant : les choses ont une valeur, les personnes ont une dignité. On considérait qu'il était indigne d'accorder de la valeur à la dignité. Aujourd'hui, cependant, la dignité devient également une valeur. Cela signifie que le statut de la valeur s'est considérablement accru. La valeur est en quelque sorte revalorisée.  [510​  Die Tyrannei der Werte]

 

Jacques Camatte 1989  79​ 

Un des plus grands traumatismes qu’ait connu l’espèce est celui provoqué par le surgissement du mouvement de la valeur parce que celui-ci ne peut advenir que lorsque se produisirent simultanément la dissolution de la communauté, la formation des individus, de la propriété privée, des classes, de l’État médiateur, phénomènes qui constituent à la fois ses présuppositions et ses conséquences. ¶ Ainsi avec cette advenue il s’agit du bouleversement du rapport fondamental, du rapport au monde, de celui des relations entre êtres humains, féminins, ainsi que d’un saisissement, d’une appréhension d’un monde de plus en plus anthropomorphisé. ¶ C’est l’articulation essentielle du passage de l’espèce encore immergée dans la nature à l’espèce se créant un monde artificiel, de plus en plus hors nature et ce parce que non seulement il opère dans la dynamique de la scission comme le fait le phénomène État, qui pose simplement l’espèce en discontinuité avec la nature, mais parce qu’il fonde une positivité dans la mesure où la valeur tendra à fonder une autre communauté. ¶ autrement, le mouvement de la valeur est ce qui permet l’autonomisation des présuppositions sus indiquées et donc leur accession à une existence strictement discernable et effective, ensuite il s’autonomise par rapport à eux et les fonde ; ce qui pose deux moments : celui d’une domination formelle et celui d’une domination réelle. ¶ Le mouvement de la valeur eut tendance à émerger partout où ces présuppositions se vérifièrent, d’où la grande diversité des formes parce que, comme nous l’avons déjà indiqué, dans toutes les zones de développement de l’espèce il y eut une certaine tendance à produire la propriété privée, l’individu, etc.. Mais cela ne s’est pas épanoui partout ; en conséquence la valeur elle-même n’a pu atteindre le stade de son effectivité. En outre dans certains cas, comme dans l’Orient chinois, la valeur tandis réellement à s’autonomiser, mais cette autonomisation fut enrayée par la communauté despotique ; aussi ce n’est qu’en Occident qu’elle put parvenir à son effectivité et se transformer ensuite en capital.  [347​  9. Le phénomène de la valeur, 9.1.1. ]

 

 

 

3.1.1. Robinsonnade

AA.VV. 1982  29​ 

[entrée : « Robinsonnades »] Dans les Grundrisse, Marx désigne, sous ce terme ironique de « robinsonnades », l'idée d'individus isolés qui a servi de point de départ à nombre de théoriciens pour expliquer la genèse des corps sociaux. Ainsi « le chasseur et le pêcheur individuels et isolés, par lesquels commencent Smith et Ricardo, font partie des plates fictions du xviie siècle ». A la décharge de Rousseau, qui en est le père, Marx admet qu'il s'agit là d'une illusion de l'époque. Il ne trouve par contre aucune excuse à ceux qui, comme Bastiat, Carey et Proudhon reviennent « en pleine économie politique moderne » au mythe de l'origine. ¶ Dans Le Capital, Marx explique la genèse des robinsonnades en faisant valoir que « la réflexion sur les formes de la vie sociale, et, par conséquent, leur analyse scientifique, suit une route complètement opposée au mou- vement réel. Elle commence, après coup, avec des données déjà tout établies, avec les résultats du développement ». D'où le goût de l'économie politique et de Ricardo, à nouveau cité, pour les robinsonnades. [...] ¶ Derrière les « robinsonnades », qui sont l'apparence du procès d'anticipation de la société bourgeoise, s'opère la double critique de l'individualisme et des utopies sociales.  [234​  Dictionnaire critique du marxisme]

 

3.1.2. Valeur • Valeur d'usage • Valeur d'échange

Alasdair MacIntyre 1981  91​ 
One crucial point of incompatibility was noted long ago by D.H. Lawrence. When Franklin assens, ‹Rarely use venery but for health or offspring...›, Lawrence replies, ‹Never use venery›.  [414​  After Virtue. A Study in Moral Theory]

 

Guy Debord 1967  59​ 

[Thèse 46] La valeur d’échange n’a pu se former qu’en tant qu’agent de la valeur d’usage, mais sa victoire par ses propres armes a créé les conditions de sa domination autonome. Mobilisant tout usage humain et saisissant le monopole de sa satisfaction, elle a fini par diriger l’usage. Le processus de l’échange s’est identifié à tout usage possible, et l’a réduit à sa merci. La valeur d’échange est le condottiere de la valeur d’usage, qui finit par mener la guerre pour son propre compte.  [303​  La Société du Spectacle]

 

Jean Baudrillard 1972  40​ 

The status of use value in Marxian theory is ambiguous. We know that the commodity is both exchange value and use value. But the latter is always concrete and particular, contingent on its own destiny, whether this be in the process of individual consumption or in the labor process. (In this case, lard is valued as lard, cotton as cotton: they cannot be substituted for each other, nor thus "exchanged.") Exchange value, on the other hand, is abstract and general. To be sure, there could be no exchange value without use value the two are coupled; but neither is strongly implied by the other:
“In order to define the notion of commodity, it is not important to know its particular content and its exact destination. It suffices that before it is a commodity — in other words, the vehicle (support) of exchange value the article satisfy a given social need by possessing the corresponding useful property. That is all.” (Capital, I, VI)Thus, use value is not implicated in the logic peculiar to exchange value, which is a logic of equivalence. Besides, there can be use value without exchange value (equally for labor power as for products, in the sphere outside the market). Even if it is continually reclaimed by the process of production and exchange, use value is never truly inscribed in the field of the market economy: it has its own finality, albeit restricted. And within it is contained, from this standpoint, the promise of a resurgence beyond the market economy, money and exchange value, in the glorious autonomy of man's simple relation to his work and his products. ¶ So it appears that commodity fetishism (that is, where social relations are disguised in the qualities and attributes of the commodity itself) is not a function of the commodity defined simultaneously as exchange value and use value, but of exchange value alone. Use value, in this restrictive analysis of fetishism, appears neither as a social relation nor hence as the locus of fetishization. Utility as such escapes the historical determination of class. It represents an objective, final relation of intrinsic purpose (destination propre), which does not mask itself and whose transparency, as form, defies history (even if its content changes continually with respect to social and cultural determinations). It is here that Marxian idealism goes to work; it is here that we have to be more logical than Marx himself and more radical, in the true sense of the word. For use value indeed, utility itself is a fetishized social relation, just like the abstract equivalence of commodities. Use value is an abstraction. It is an abstraction of the system of needs cloaked in the false evidence of a concrete destination and purpose, an intrinsic finality of goods and products. It is just like the abstraction of social labor, which is the basis for the logic of equivalence (exchange value), hiding beneath the “innate” value of commodities. ¶ In effect, our hypothesis is that needs (i.e., the system of needs) are the equivalent of abstract social labor: on them is erected the system of use value, just as abstract social labor is the basis for the system of exchange value. This hypothesis also implies that, for there to be a system at all, use value and exchange value must be regulated by an identical abstract logic of equivalence, an identical code. The code of utility is also a code of abstract equivalence of objects and subjects (for each category in itself and for the two taken together in their relation); hence, it is a combinatory code involving potential calculation (we will return to this point). Furthermore, it is in itself, as system, that use value can be “fetishized”, and certainly not as a practical operation. It is always the systematic abstraction that is fetishized. The same goes for exchange value. And it is the two fetishizations, reunited — that of use value and that of exchange value that constitute commodity fetishism. ¶ Marx defines the form of exchange value and of the commodity by the fact that they can be equated on the basis of abstract social labor. Inversely, he posits the "incomparability" of use values. Now, it must be seen that:
1. For there to be economic exchange and exchange value, it is also necessary that the principle of utility has already become the reality principle of the object or product. To be abstractly and generally exchangeable, products must also be thought and rationalized in terms of utility. Where they are not (as in primitive symbolic exchange), they can have no exchange value. The reduction to the status of utility is the basis of (economic) exchangeability.
2. If the exchange principle and the utility principle have such an affinity (and do not merely coexist in the commodity), it is because utility is already entirely infused with the logic of equivalence, contrary to what Marx says about the “incomparability” of use values. If use value is not quantitative in the strictly arithmetical sense, it still involves equivalence. Considered as useful values, all goods are already comparable among themselves, because they are assigned to the same rational-functional common denominator, the same abstract determination. Only objects or categories of goods cathected in the singular and personal act of symbolic exchange (the gift, the present) are strictly incomparable. The personal relation (non-economic exchange) renders them absolutely unique. On the other hand, as a useful value, the object attains an abstract universality, an “objectivity” (through the reduction of every symbolic function).
3. What is involved here, then, is an object form whose general equivalent is utility. And this is no mere “analogy” with the formulas of exchange value. The same logical form is involved. Every object is translatable into the general abstract code of equivalence, which is its rationale, its objective law, its meaning — and this is achieved independently of who makes use of it and what purpose it serves. It is functionality which supports it and carries it along as code; and this code, founded on the mere adequation of an object to its (useful) end, subordinates all real or potential objects to itself, without taking any one into account at all. Here, the economic is born: the economic calculus. The commodity form is only its developed form, and returns to it continually.
4. Now, contrary to the anthropological illusion that claims to exhaust the idea of utility in the simple relation of a human need to a useful property of the object, use value is very much a social relation. Just as, in terms of exchange value, the producer does not appear as a creator, but as abstract social labor power, so in the system of use value, the consumer never appears as desire and enjoyment, but as abstract social need power (one could say Be­dürf­nis­kraft, Be­dürf­nis­ver­mö­gen, by analogy with Ar­beits­kraft, Ar­beits­ver­mö­gen).  [252​  For a Critique of the Political Economy of the Sign, Chap. 7]

 

Jacques Camatte 1989  106​ 

La valeur est un opérateur de l’activité humano-féminine, à partir du moment où il y a scission d’avec la communauté. C’est un concept qui inclut mesure, quantification, jugement d’existence. Il se purifie au cours de son autonomisation, c’est-à-dire qu’il se détache des représentations mythiques, et se charge de déterminations nouvelles par suite de son opérationnalité dans divers domaines — hors de celui strictement économique d’où il a surgi dans sa détermination qui le rendit opératoire — qui peuvent connaître des devenirs plus ou moins divergents.  [347​  9. Le phénomène de la valeur, 9.1.13. ]

 

Jacques Camatte 1995-1997  41​ 

Note 2 Dans la première édition du Capital Marx écrit— «Nous connaissons maintenant la substance de la valeur, c’est le travail. Nous connaissons la mesure de sa grandeur, c’est le temps de travail. Il nous reste à analyser la forme, cette forme qui donne à la valeur le caractère d’échange.«(p.31)
Il semble qu’ici Marx pense que la valeur préexiste à la valeur d’échange. Il est dommage qu il n’ait pas aborde le problème de l’origine de la valeur (cf. note 4).
Note 4 D’après d’autres analyses de Marx, il semblerait que ce soit l’activité humaine qui, à l’origine, soit potentiellement valeur..
«Si nous disons: en tant que valeurs les marchandises ne sont que travail humai coagulé, notre analyse de celles-ci se réduit à l’abstraction valeur, elle ne nous donne pas de forme valeur différente de sa forme naturelle. Il en va autrement dans le rapport de valeur d’une marchandise à une autre. Son caractère surgit de son propre rapport a l’autre marchandise. Le Capital, Ed. Sociales, L.I, t.1, p. 65)
On peut interpréter ceci en disant que le travail humain n’est que potentiellement valeur. On n’accède à sa réalité de valeur que par l‘abstraction. C’est donc en ce phénomène de potentialité de la valeur que réside l’idée qu’il puisse y avoir valeur avant valeur d’échange.
«Il ne suffit pas cependant d’exprimer le caractère spécifique du travail en quoi consiste la valeur de la toile. La force de travail humaine à l’état fluide ou le travail humain constitue la valeur. Il ne devient valeur qu’a l’état coagulé dans une forme objectivée. (Idem, p. 65)
Ce qui est donc l’essentiel, mais apparu secondairement, c’est la forme objectivee sans laquelle la valeur ne peut pas apparaître. En outre l’objectivation incluse dans ce procès est grosse d’une aliénation (cf. note 08).  [253​  Forme, réalité, effectivité, virtualité]

 

Robert Kurz 2004  68​ 

But occasionally Marx's critical intention must be pushed further against the letter of his theory. If the central concepts in the critique of political economy are to be understood as negative, critical ones, then this also applies to use value. It does not denote "usefulness" per se, but only usefulness under the dictates of the modern commodity-producing system. This was perhaps not yet so clear for Marx in the 19th century. Bread and wine, books and shoes, house-building and nursing always seemed to be the same things, whether they were capitalistically produced or not. That has changed radically. Food is bred according to packaging standards; products contain "artificial wear and tear" so that new ones have to be bought quickly; sick people are treated according to economic standards like cars in a car wash. The now decades-old debate about the destructive consequences of private transport and urban sprawl has remained completely inconsequential. ¶ "Usefulness" is obviously becoming increasingly dubious. What does it still have to do with the old ethos and pathos of utility value when you can watch a movie on a postage stamp-sized screen while walking with high-tech effort? As capitalist development progresses, it becomes clear that the category of use value itself is a negative one in the system of commodity production. It is not a question of the sensual-qualitative opposition to exchange value, but of the way in which the sensual qualities themselves are appropriated by exchange value. Use value turns out to be the "devaluation" of pleasure and beauty through the subjugation of things to the abstraction of exchange value. It is the category of "value" that unites both sides, the "use" and the abstract social form. ¶ It is, more precisely, a reduction of the concept of "utility" itself. The starting point is the use value of the commodity of labor power. As is well known, this does not consist in the fact that it produces concretely useful things, but that it produces surplus value. The use value is thereby already completely degraded to the function of exchange value. And this specific use value of the commodity labor power is increasingly rubbing off on all other commodities. It is becoming increasingly obvious that things are actually only waste products of capital valorization. On the material-content level, all that remains is the mere "functioning". The landmine should also go off reliably, that is its "usefulness". Capitalism is not concerned with the "what", the quality of the content as such, but only with the "how".  [334​  Farewell to utility value Machine translation ]

 

Jacques Camatte 2010-2023  13​ 

[entrée : « Valeur »] «C’est le phénomène de représentation du discontinu opérant dans la communauté se désagrégeant, posant par là la nécessité d’une quantification rendant apte la représentation du positionnement de ses membres en son sein».
«La valeur est un opérateur de l’activité humano-féminine, à partir du moment où il y a scission d’avec la communauté. C’est un concept qui inclut mesure, quantification, jugement d’existence. Il se purifie au cours de son autonomisation, c’est-à-dire qu’il se détache des représentations mythiques, et se charge de déterminations nouvelles par suite de son opéra­tio­na­li­té dans divers domaines — hors de celui strictement économique d’où il a surgi dans sa détermination qui le rendit opératoire — qui peuvent connaître des devenirs plus ou moins divergents».
Toute valeur est un équivalent général, que ce soit la valeur économique, la justice, l’honneur, l’amour, la bonté, etc…  [200​  Glossaire]

 

3.1.3. L'échange • Don • Troc

Karl Marx 1844  158​ 

The community of men, or the manifestation of the nature of men, their mutual complementing the result of which is species-life, truly human life – this community is conceived by political economy in the form of exchange and trade. Society, says Destutt de Tracy, is a series of mutual exchanges. It is precisely this process of mutual integration. Society, says Adam Smith, is a commercial society. Each of its members is a merchant. ¶ It is seen that political economy defines the estranged form of social intercourse as the essential and original form corresponding to man's nature. [...]
Exchange or barter is therefore the social act, the species-act, the community, the social intercourse and integration of men within private ownership, and therefore the external, alienated species-act. It is just for this reason that it appears as barter. For this reason, likewise, it is the opposite of the social relationship. [...]
Hence the greater and the more developed the social power appears to be within the private property relationship, the more egoistic, asocial and estranged from his own nature does man become. ¶ Just as the mutual exchange of the products of human activity appears as barter, as trade, so the mutual completion and exchange of the activity itself appears as division of labour, which turns man as far as possible into an abstract being, a machine tool, etc., and transforms him into a spiritual and physical monster. ¶ It is precisely the unity of human labour that is regarded merely as division of labour, because social nature only comes into existence as its opposite, in the form of estrangement.  [322​  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique]

 

Jacques Camatte 1989  107​ 

[...] Cl. Lévi-Strauss : « Il y a un lien, une continuité, entre les relations hostiles et la fourniture de prestations réciproques : les échanges sont des guerres pacifiquement résolues, les guerres sont l’issue de transactions malheureuses » (Structures élémentaires de la parenté, ed. Puf, p. 86).
[…] Toutefois, il ne faut pas omettre que le phénomène concerne des communautés : « D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent » (M. Mauss, Essai sur le don, in Sociologie et anthropologie, éd. PUF, p. 150).
En outre, c’est une totalité qui est transmise : « De plus, ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n’est qu’un des moments et où la circulation des richesses n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent » (Idem., p. 151).
Á ce niveau s’ébauchent divers éléments qui fonderont la valeur. Celle-ci ne peut pas s’affirmer car nous n’avons pas d’échange réel, mais plutôt un phénomène de compensation. D’autre part, ce ne sont pas les objets produits qui ont une importance mais l’affirmation qui, grâce à eux, est obtenue.
Par ce mécanisme s’exprime une réalité où il y a affirmation d’une volonté de non dépendance, d’autarcie, et celle d’abolir tout mouvement d’inégalisation.
Enfin, dans la mesure où ce sont deux communautés ou deux phratries d’une même communauté qui, comme l’indique M. Mauss, s’affrontent, on peut se demander si cette confrontation ne vise pas à prendre connaissance chacune l’une de l’autre, à parvenir à se représenter l’une à l’autre, au travers de diverses activités.
Ceci nous impose de revenir sur le phénomène de compensation.
« Mais nous sommes là au cœur d’une contradiction typique de la mentalité primitive. La notion d’équivalence et de compensation, donc de rachat se chevauchent, ou plutôt la première engendre la seconde » (L. e R. Makarius, L’origine de l’exogamie et du totémisme, p. 319).
En effet, pour réaliser une compensation, il faut calculer ce que représente une chose ou un acte. Actuellement, nous disons qu’il faut l’estimer, l’évaluer, ce qui postule l’existence de tout le système des valeurs.
Nous avons là une autre composante essentielle de la formation de la valeur : il ne s’agit plus de déterminer le pouvoir mais de déterminer la compensation. Or, ceci a une généralité plus vaste. M. Mauss fait remarquer :
« Mais si nous étendons notre champ d’observation, la notion de tonga prend tout de suite une autre ampleur. Elle connote en maori, en tahitien, en tongan et en mangarevan, tout ce qui est propriété, tout ce qui peut être échangé, objet de compensation » (o.c., p. 157).
Nous pouvons ajouter qu’en définitive l’échange est au départ un phénomène de compensation.  [347​  9. Le phénomène de la valeur, 9.1.12., 9.1.9. ]

 

3.1.4. Marchandise

Fredy Perlman 1968  121​ 

L’objectif principal de Marx n’était pas d’étudier la rareté, ni d’expliquer le prix, ni d’allouer des ressources, mais d’analyser comment l’activité de travail des personnes est régulée dans une économie capitaliste. L’objet de l’analyse est une structure sociale déterminée, une culture particulière, à savoir le capitalisme-marchandise, une forme sociale d’économie dans laquelle les relations entre les personnes ne sont pas réglées directement, mais par l’intermédiaire de choses. Par conséquent, « le caractère spécifique de la théorie économique en tant que science qui traite de l’économie capitaliste marchande réside précisément dans le fait qu’elle traite des relations de production qui acquièrent des formes matérielles ». (Rubin, p.47).  [470​  Le fétichisme de la marchandise. Une introduction à l’essai de I.I. Rubin sur la théorie de la valeur de Marx Machine translation ]

 

3.1.5. Aliénation

Günther Anders 1956  100​ 

La thèse selon laquelle notre dépendance envers les « amis familiers » et le « monde familier » nous aliène à nous-mêmes est peut-être devenue problématique. Non parce qu’elle irait trop loin, mais parce qu’elle n’ose pas aller assez loin. Car supposer que nous, hommes d’aujourd’hui, exclusivement nourris de succédanés, de stéréotypes et de fantômes, nous serions encore des « moi » ayant un « soi », et que ce serait ce régime alimentaire qui nous empêcherait d’être« nous-mêmes», ce serait faire preuve d’un optimisme qui n’est peut-être plus de mise. L’époque où l’on pouvait être victime de l’« aliénation », où celle-ci était un processus qui était effectivement à l’œuvre, n’est-elle pas déjà derrière nous – du moins dans certains pays ? N’avons-nous pas déjà atteint un état où nous ne sommes plus du tout « nous-mêmes », mais seulement des êtres quotidiennement gavés d’ersatz ? Peut-on dépouiller celui qui est déjà dépouillé ? Peut-on dénuder celui qui est déjà nu? Peut-on encore aliéner l’homme de masse à lui-même ? L’aliénation est-elle encore un processus ou n’est-elle déjà plus qu’un fait accompli ? Longtemps nous avons raillé ces « psychologies sans âme » qui, elles-mêmes, se gaussaient des catégories telles que le « moi » ou le « soi » et les tenaient pour relevant d’une métaphysique ridiculement scolaire, en disant qu’elles n’étaient que des falsifications de l’être humain. Avions-nous raison ? Nos moqueries n’étaient-elles pas pure sentimentalité ? Était-ce bien ces psychologues qui avaient falsifié l’homme ? N’étaient-ils pas déjà les psychologues de l’homme falsifié ? N’étaient-ils pas fondés, en tant que robots, à étudier les robots, à faire de la cybernétique plutôt que de la psychologie ? N’avaient-ils pas raison jusque dans leurs erreurs, si l’homme dont ils traitaient était déjà l’homme falsifié ?  [341​  L'Obsolescence de l'homme]

 

Giorgio Agamben 1996  163​ 

The Marxian analysis must be integrated in the sense that capitalism (or whatever other name one wants to give to the process that dominates world history today) was aimed not only at the expropriation of productive activity, but also and above all at the alienation of language itself, of the communicative nature of man.  [540​  Means Without End: Notes of Politics Machine translation ]

 

Jacques Camatte 2010-2023  2​ 

[entrée : « Aliénation »] Procès au cours duquel ce qui était propre devient autre, étranger. Le caractère négatif, nocif de ce phénomène découle du fait que l’autre recèle une dimension antagonique à soi, à ce qui nous est propre. ¶ «Au mouvement de séparation-scission (…) se relie celui d‘autonomisation (Verselbstständigung) des produits engendrés par l’activité humaine, celui des rapports sociaux qu’elle a engendrés. Elle s’accompagne aussi d’une depossession-expropriation (Ent­eig­nung) tandis que l’extériorisation (Ver­äus­se­rung) des capacités au cours de la manifestation (Ausserung) de l’être humain est en fait dépouillement (En­täus­se­rung). Il y a simultanément une extranéisation (Ent­frem­dung) due au fait que les produits deviennent étrangers aux producteurs et ceux-ci à leur communauté. Le mouvement résultant est une interversion-renversement (Verkherung) qui fait que les choses deviennent sujets (Ver­sub­jek­ti­vie­rung) et les sujets des choses (Ver­sach­li­chung) ce qui constitue la mystification dont le résultat est le fétichisme de la marchandise ou du capital qui fait que les choses ont les propriétés-qualités des hommes.» ¶ Cet ensemble de procès implique qu’à la fin soit engendrée une «figure» hostile à la personne qui a opéré; ce qui implique également l’existence d’un mécanisme dont hommes et femmes ne sont pas conscients et qui tend à inverser le but de ce qu’ils se proposent d’atteindre. Ainsi ils se trouvent enfermés, piégés, dans un devenir qu’ils voulaient éviter. Par là, l’aliénation s’apparente à la folie. [...]  [200​  Glossaire]

 

3.1.6. Marchandise exclu • Équivalent général

Jacques Camatte 2010-2023  9​ 

[entrée : « Équivalent général »] C’est ce qui résulte d’un phénomène d’exclusion d’un élément d’un ensemble qui, dès lors, va pouvoir représenter n’importe quel élément de cet ensemble. K. Marx a mis ceci en évidence en ce qui concerne l’argent (valeur), mais c’est valable pour toutes les valeurs. L’exclusion s’accompagne d’une élection. Dit autrement, ce qui est exclu devient élu, érigé au rang d’unité supérieure qui fonde et représente. Les concepts sont, en général des équivalents généraux. Ainsi l'Homme est un équivalent général. Il présuppose l'exclusion d'un type d'hommes donné - celui déterminé par le surgissement du mode de production capitaliste - qui va tendre à représenter tous les types d'hommes possibles (ayant existé et existant encore). Ceci apparaît nettement quand il est question des droits de l'Homme.  [200​  Glossaire]

 

3.1.7. Argent

Alfred Sohn-Rethel 1970  155​ 
Anybody who carries coins in his pocket and understands their functions bears in his mind , whether or not he is aware of it, ideas which, no matter how hazily, reflect the postulates of the exchange abstraction.  [274​  Intellectual and Manual Labour. A Critique of Epistemology, p. 59]

 

Alfred Sohn-Rethel 1990  157​ 
Strictly speaking [...] there is no right matter in nature to make money.  [282​  Das Geld, die bare Munze des Apriori Machine translation ]

 

Karl Marx 1844  159​ 

The complete domination of the estranged thing over man has become evident in money, which is completely indifferent both to the nature of the material, i.e., to the specific nature of the private property, and to the personality of the property owner. What was the domination of person over person is now the general domination of the thing over the person, of the product over the producer.  [322​  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique]

 

Karl Marx 1858  160​ 

Money is “impersonal” property. I can carry it around with me in my pocket as the universal social power and the universal social nexus, the social substance. Money puts social power as a thing into the hands of the private person, who as such uses this power. The social nexus, the social exchange of matter, itself appears in money as something entirely external, not having any individual relation at all to its possessor, so that the power he wields appears to be something quite incidental and external to him.  [223​  (Urtext) Second Draft of Critique of Political Economy]

 

Georg Simmel 1917  164​ 

Money is the only cultural product that is pure force, which has removed the bearer from itself, becoming absolutely and only a symbol. Up to this point it is the most characterizing of all the phenomena of our time, in which dynamics has conquered the leadership of all theory and praxis. That it is pure relation (and in this way equally historically characteristic), without including any content in it, is not contradictory. Force in reality is nothing but relation.  [544​  Aus dem nachgelassen Tagebuch]

 

Alfred Sohn-Rethel 1990  50​ 

Money thus serves as the socially recognized form of exchangeability of all other commodities and is thus the separate bearer of the real abstraction of exchange. Money is an abstract thing and its abstractness is recognizable as social abstractness. In the form of money this abstractly social property is explicitly imprinted on its natural form. Once coined into money, money is no longer a matter intended for use, but is a matter-money employed only for the purposes of exchange, and its structure thus coined now corresponds to the norms of uniformity, divisibility, type of movement, and quantification proper to abstraction-exchange. Certainly these norms still remain in money simple implications as long as it serves exclusively its practical-economic and commercial purposes, and the possessor of money never comes to identify them spontaneously.  [282​  Das Geld, die bare Munze des Apriori Machine translation ]

 

3.1.8. Prêt • Crédit Dette

Karl Marx 1844  64​ 

What constitutes the essence of credit? [...] Credit is the economic judgment on the morality of a man. In credit, the man himself, instead of metal or paper, has become the mediator of exchange, not however as a man, but as the mode of existence of capital and interest. The medium of exchange, therefore, has certainly returned out of its material form and been put back in man, but only because the man himself has been put outside himself and has himself assumed a material form. Within the credit relationship, it is not the case that money is transcended in man, but that man himself is turned into money, or money is incorporated in him. Human individuality, human moralityitself, has become both an object of commerce and the material in which money exists. Instead of money, or paper, it is my own personal existence, my flesh and blood, my social virtue and importance, which constitutes the material, corporeal form of the spirit of money. Credit no longer resolves the value of money into money but into human flesh and the human heart. [...] Since, owing to this completely nominal existence of money, counterfeiting cannot be undertaken by man in any other material than his own person, he has to make himself into counterfeit coin, obtain credit by stealth, by lying, etc., and this credit relationship [...] becomes an object of commerce, an object of mutual deception and misuse.  [322​  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique]

 

Jacques Camatte 1975  93​ 

Le crédit a eu différentes formes au cours des âges. Il est certain qu'il ne peut exister qu'à partir du moment où les hommes sont aptes à considérer comme réelle une action du futur. On peut être d'accord avec Mauss sur le fait qu'avec le potlach, système de dons et de contre-dons, il y avait, au fond, un phénomène de crédit. Ce qu'il faut ajouter c'est que le mouvement de la valeur était alors vertical et aboutissait à l'offre à un dieu, ensuite il acquit un mouvement horizontal. D'autre part, dans ce système la valeur d'échange ne parvient pas à s'autonomiser ; en revanche, on peut dire que le pôle valeur d'usage de la valeur, lui, s'autonomise et engendre une certaine aliénation des hommes. Le principe déterminant est alors l'utilité ; avec l'autonomisation de la valeur d'échange ce sera la productivité.  [420​  C’est ici qu’est la peur, c’est ici qu’il faut sauter, Note 9 ]

 

3.1.9. Abstraction réelle

Karl Marx 1847  95​ 

but this equalizing of labor [...] it is purely and simply a fact of modern industry. ¶ In the automatic workshop, one worker’s labor is scarely distinguishable in any way from another worker’s labor: workers can only be distinguished one from another by the length of time they take for their work. Nevertheless, this quantitative difference becomes, from a certain point of view, qualitative, in that the time they take for their work depends partly on purely material causes, such as physical constitution, age and sex; partly on purely negative moral causes, such as patience, imperturbability, diligence. In short, if there is a difference of quality in the labor of different workers, it is at most a quality of the last kind, which is far from being a distinctive speciality. This is what the state of affairs in modern industry amounts to in the last analysis. It is upon this equality, already realized in automatic labor, that M. Proudhon wields his smoothing-plane of “equalization,” which he means to establish universally in “time to come!”  [211​  The Poverty of Philosophy. Answer to the Philosophy of Poverty by M. Proudhon]

 

Alfred Sohn-Rethel 1970  154​ 

Labor is not abstract by nature, and its abstraction into "abstractly human labor" is not its own doing. Labor does not become abstract by itself. The seat of abstraction lies outside labor, in the socially determined form of the relation established by the exchange relationship. [...] The result of this relation is the commodity-value. The commodity-value has for its form the abstracted exchange relation and for its substance the abstracted labor. In this abstract relational determinacy of "form-value," labor, as "substance-value," becomes the purely quantitative determinative cause of "size-value."  [274​  Intellectual and Manual Labour. A Critique of Epistemology Machine translation ]

 

Alfred Sohn-Rethel 1970  156​ 

The exchange of goods is abstract because it is not only different from their use, but is also temporally separated from it. The action of exchange and the action of use are mutually exclusive of each other in time. [...] A commodity with its ultimate price [...] undergoes the fiction of full material immutability, which does not concern only human hands. It is as if even nature holds its breath in the body of commodities, as long as the price must remain unchanged. The action of exchange in fact only changes the social status of commodities [...]. Exchange is thus abstract for as long as it takes place. In this case "abstract" means that all signs of the possible use of the commodity have been deducted. By "use" we mean the use of production and consumption, synonymous with the whole sphere in which the organic exchange of man with nature is included, according to Marx. [...]
The action of exchange, by imposing separation from use, or more precisely from the actions of use, postulates the market as a spatially and temporally measured vacuum in the human process of organic replacement with nature. In this vacuum, commodity exchange realizes pure socialization as such, socialization in abstracto. Our question, "How is socialization possible in the forms of commodity exchange?" can also be formulated as a question about the possibility of socialization separate from the human process of organic exchange with nature. Commodity exchange is only able to exercise its socializing function or, to use one of our categories, its socially synthetic function, through its abstractness. Consequently, we could give a new formulation to the initial question, namely, "How is pure socialization possible?" [...]
In the exchange of commodities, the action and consciousness, the acting and thinking of the exchanger separate from each other and travel different paths. Only the action of exchange is abstracted from use, but not the consciousness of those who exchange. [...]
The commodity-form is the real abstraction that has its seat and origin only in exchange, from which it extends to labor and thought throughout the breadth and depth of developed commodity production. ¶ Thought is not touched by the abstraction-exchange directly, but only when it sees before it its results in completed form, that is, only post festum of the circulation process. Only then do the different aspects of abstraction communicate themselves to thought without giving any indication of their origin. "The mediating movement disappears in the result without leaving a trace."[…]
The execution of the exchange action puts the abstraction in force, while the exchanger has no consciousness of this effect. It is certain that the actual abstraction of social exchange is the root cause of all the traces left by this abstraction in men's thinking.  [274​  Intellectual and Manual Labour. A Critique of Epistemology]

 

Alfred Sohn-Rethel 1970  47​ 

The essence of commodity abstraction, however, is that it is not thoughtinduced; it does not originate in men’s minds but in their actions. And yet this does not give ‘abstraction’ a merely metaphorical meaning. It is abstraction in its precise, literal sense. The economic concept of value resulting from it is characterised by a complete absence of quality, a differentiation purely by quantity and by applicability to every kind of commodity and service which can occur on the market. These qualities of the economic value abstraction indeed display a striking similarity with fundamental categories of quantifying natural science without, admittedly, the slightest inner relationship between these heterogeneous spheres being as yet recognisable. While the concepts of natural science are thought abstractions, the economic concept of value is a real one. It exists nowhere other than in the human mind but it does not spring from it. Rather it is purely social in character, arising in the spatio-temporal sphere of human interrelations. It is not people who originate these abstractions but their actions. “They do this without being aware of it”. In order to do justice to Marx’s Critique of Political Economythe commodity or value abstraction revealed in his analysis must be viewed as a real abstraction resulting from spatio-temporal activity. Understood in this way, Marx’s discovery stands in irreconcilable contradiction to the entire tradition of theoretical philosophy and this contradiction must be brought into the open by critical confrontation of the two conflicting standpoints. But such a confrontation does not form part of the Marxian analysis. I agree with Louis Althusser that in the theoretical foundations of Capital more fundamental issues are at stake than those showing in the purely economic argument.  [274​  Intellectual and Manual Labour. A Critique of Epistemology, pp. 16-17]

 

Jaime Semprun 1993  150​ 

Et puis c’est toujours la même histoire: on reproche au marxisme d’être «grossièrement réducteur» en expliquant tout par l’organisation économique présente, alors que ce n’est pas dans la théorie mais dans la réalité que l’économie «réduit» toute la vie des hommes. C’est effectivement d’une grande grossièreté, mais c’est une grossièreté qu’il faut traiter come elle le mérite : grossièrement.  [307​  Dialogues sur l’achévement des temps modernes, p. 123 ]

 

Jaime Semprun 2003  148​ 

On peut en tout cas convenir aisément que l’analyse critique du fétichisme de la marchandise est très loin d’être devenue, dans le monde où nous vivons, une simple curiosité archéologique, et il n’est jamais mauvais de redire que ce n’est pas la théorie de Marx qui « réduit » tout à l’économie, mais « la société marchande qui constitue le plus grand “réductionnisme” jamais vu » ; et que «pour sortir de ce “réductionnisme”, il faut sortir du capitalisme, non de sa critique ».  [518​  Le fantome de la theorie]

 

Marco Iannucci 2018  137​ 

"Histoire" est le nom qu'il faut attribuer au devenir humain lorsqu'apparaît une tribu qui emprunte le chemin qui la conduit à dissoudre les liens communautaires ancrés dans l'activité transformatrice et à tenter de devenir autonome par rapport à l'être communautaire naturel (les deux processus ne font alors qu'un). Mais de tels moments se produisent-ils réellement ? La réponse est oui : il existe un mode de praxis humaine capable d'impliquer simultanément la socialisation (en la réalisant dans l'abstrait) et le processus d'échange organique avec la nature (en la séparant de cette socialisation) et c'est une praxis très répandue : l'échange qui transforme les produits en marchandises. En effet, c'est le propre de ces actes d'échange que de se dérouler dans un état de séparation à la fois spatiale et temporelle (je pourrais donc dire : essentielle) du processus d'échange organique entre les sujets humains et la nature. Plus la relation d'échange s'étend, libérée des prescriptions sacrées, rituelles, religieuses, magiques, de réciprocité, etc., et régie par la seule considération quantitative des valeurs en jeu, plus l'ensemble de la praxis humaine s'abstrait du lien organique avec les contraintes naturelles. Le processus se fait par étapes, et ce n'est pas un hasard si les échanges sont nés là où les liens communautaires étaient suspendus, c'est-à-dire, comme l'observe Marx : "L'échange ne commence pas entre les individus d'une communauté, mais là où les communautés s'arrêtent - à leurs frontières, dans la zone de contact des différentes communautés. Il s'agit de l'interruption des relations organiques, de l'arrêt de la nature [A. Sohn-Rethel], lors d'actes d'échange. Ce vide de l'expérience, cette rupture de la continuité entre l'homme et la nature, ne se produit pas seulement de facto, mais par nécessité et irrémédiablement à partir du moment où c'est le mouvement de la valeur qui régit les liens interhumains. En effet, l'acte d'échange se produit dans un espace et un temps nécessairement abstraits, c'est-à-dire autres que l'espace et le temps dans lesquels s'opère l'échange entre les communautés humaines et naturelles fondées sur l'activité transformatrice. Les relations entre les individus commencent donc à tourner autour d'une abstraction qui est réelle, puisqu'elle ne naît pas de la pensée mais de l'action (d'échange) et qu'elle est donc capable d'altérer radicalement le lieu unitaire de l'expérience, c'est-à-dire la correspondance entre le Gemeinwesen naturel et le Gemeinwesen humain. À la place, une séparation est établie entre la nature opposée en tant qu'objet et les sujets humains qui ne sont plus que des monades individuelles séparées et mutuellement opposées dans les motivations de leurs actions.  [356​  Un percorso nell'essere in comune. Machine translation ]

 

 

 

3.1.10. Immortalité (recherchée dans la valeur)

Karl Marx 1858  86​ 
L’immortalité ( Die Un­ver­gäng­lich­keit ) à laquelle tend l’argent en prenant une attitude négative vis-à-vis de la circulation (en s’en retirant)[...].  [388​  Fragment des Urtextes von „Zur Kritik der politischen Ökonomie“]

 

§ 3.2. Le mouvement du capital

 

3.2.1. Le capital

Jacques Camatte 2010-2023  7​ 

[entrée : « Capital »] Il est défini à partir de l’œuvre de K. Marx: la valeur parvenue à l’autonomie et pouvant se perpétuer (se pérenniser) du fait de l’assujettissement du mouvement social, au travers de la domination du rapport salarial (soumission du travail au capital).  [200​  Glossaire]

 

Marco Iannucci 2018  75​ 

Je me souviens encore très bien de l'émotion que j'ai ressentie à la lecture de ce livre [Le Capital]. C'était l'émotion que l'on ressent face à un dévoilement, quand quelque chose qui était caché, dissimulé, nous est soudain révélé. Le dévoilement opéré par Marx est profond et en même temps riche en détails, et je ne peux que me référer à ses paroles. Mais je ne veux rappeler ici que trois pierres angulaires, celles qui m'ont le plus frappé à l'époque :
Premièrement, j'ai été étonné et en même temps éclairé lorsque Marx m'a expliqué que le capital n'est pas une chose, mais une relation sociale entre des personnes, médiatisée par des choses. "Mais alors, me suis-je dit, le capital ne doit finalement pas être traité comme un objet de l'économie : s'il régit les relations entre les hommes, cela signifie qu'il n'appartient pas à une sphère particulière, mais qu'il est ce qui détermine la façon dont les hommes et les femmes vivent, ce qui façonne leur vie. Par conséquent, proposer de démanteler le capital, de le désactiver, de s'en extraire, ce n'est pas faire une opération politico-économique, mais c'est redessiner sa vie sous une autre forme, et ce redessinement n'est pas limité à une sphère prédéfinie, mais il est total, et va jusqu'à la racine de l'humain". Je commençais également à me rendre compte que si ce qui apparaît en surface, ce sont les "choses" (les marchandises, l'argent), alors que ce qui n'apparaît pas, c'est que ces choses servent de médiateur aux relations sociales, c'est pourquoi on peut toujours parler des choses, alors que la forme que prennent les relations sociales lorsqu'elles sont façonnées par ces choses, est le plus souvent passée sous silence ;
Mais de quels rapports sociaux le capital est-il porteur lorsqu'il s'installe parmi les hommes ? Évidemment de rapports sociaux correspondant à sa nature. Et quelle est cette nature ? Deuxième révélation : le capital est de l'argent en devenir, c'est de l'argent qui se valorise, qui augmente sa quantité. Autre illumination étonnante : mais alors il me dit que les relations humaines, si elles se soumettent au capital, prennent pour pivot de l'argent qui doit s'accroître, c'est-à-dire qu'elles prennent une forme fonctionnelle pour un processus qui doit finalement apporter, dans les poches de ceux qui y ont mis (investi) de l'argent, plus d'argent qu'il n'y en avait au départ. Les relations humaines sont donc façonnées en fonction de cet accroissement de l'argent dans l'un de leurs pôles, c'est-à-dire la valorisation qui fait de l'argent un capital. Cette valorisation devient le liant des relations humaines, avec une inversion que Marx souligne, où les relations sociales ne sont plus alors "immédiatement des relations sociales entre personnes [...] mais des relations de choses entre personnes et des relations sociales entre choses". Si vous ne jouez pas ce jeu, le processus vous relègue aux marges de la vie sociale, ce qui signifie souvent la vie tout court. Parce que la valorisation exige que tous les biens deviennent des marchandises, et si vous n'avez pas accès aux marchandises, vous mourez, socialement et physiquement. Et pour avoir accès aux marchandises, il faut posséder de l'argent, et le principal moyen qui vous est proposé pour l'acquérir est de devenir vous-même une marchandise, en vendant vos facultés humaines. Vous pouvez voir les conséquences énormes qui en découlent ;
mais jusqu'où ce processus pénètre-t-il dans la vie humaine ? Où s'arrête-t-il ? Réponse de Marx et troisième dévoilement : il n'a pas de limite prédéterminée, le capital ne s'arrête à rien. Cela signifie qu'il tend à transformer toutes les relations intra-humaines et les relations entre l'espèce et la nature en relations fonctionnelles à sa valorisation. Ceci est est vrai dans l'extension (Marx soulignait à cet égard la nécessité pour le capital de se créer un marché mondial) mais c'est aussi vrai dans l'intension, avec son entrée capillaire dans la détermination des actions que les individus accomplissent chaque jour. Marx, par exemple, a fourni les éléments permettant de comprendre que le besoin du capital n'est pas de créer des produits pour des besoins, mais des besoins pour des produits. Les actes que nous croyons accomplir naturellement et simplement pour satisfaire nos besoins, sont en réalité orientés de manière à passer par l'achat et la consommation de marchandises, afin d'assurer la valorisation maximale du capital. Notre action est un appendice de cette valorisation. Cela suppose que les représentations mentales qui sont associées à nos actes soient elles aussi calquées sur les besoins du capital (c'est le rôle de la publicité et de l'information de masse).  [356​  Un percorso nell'essere in comune.]

 

3.2.1.1. La crématistique
Aristotélēs IV a.C.  90​ 

Among the arts of patrimonial acquisition, only one species is a natural part of the economy, for one must have at one's disposal-or such an art makes available-a stock of goods useful to the city or household community. ¶ And it is plausible that in such goods consists genuine wealth. How much, of such possession, suffices for a life well lived, is not without limits, as Solon says in that verse of his: "for human wealth, ​/​ no clear term is decreed." ¶ A term, on the other hand, exists, as for the other arts: there is no means without a term, in number or size, for any art; and wealth is nothing but the sum of economic and political means. It is evident, then, that there is an art of wealth acquisition that belongs by nature to those who are concerned with economics and politics. And for there to be one, it is equally evident. ¶ But there is another art of asset acquisition that is precisely - and rightly - called "chrematistics," "the art of producing assets." It is because of such an art that no apparent limit is given to wealth and acquisition. Many believe that it is equal and identical to the art we have just discussed, given the affinity between the two: but it is neither identical nor too far removed. Only that the former is natural, the latter is not, but rather comes from some experience and acquired art. ¶ Let us begin with this point. Given a good, two uses can be made of it: both conform to the nature of the good, but not in the same way, since the first is proper to the object, the other is not. Example: a shoe. It can be worn, or be an object of exchange. And both are ways of using the shoe. One who exchanges a shoe with one who needs it, and gains money or nourishment from it, uses the shoe as a shoe, but does not put it to its proper use: the shoe is not meant to be bartered! And so it is with all goods. ¶ [...] In the primary community-which is the domestic community-obviously no practice of exchange is given; it is given instead in the more extensive communities. The members of the domestic community had in common, all of them, the same goods, while those who find themselves living in separate communities have access to many different goods, of which a reciprocal exchange is necessarily given, according to concrete needs, as is still the case among many barbarian peoples, through barter. And so mere useful goods are the object of exchange: a good for an equivalent good, but nothing more; for example, they give or take wine or grain, and so for any other similar good. Such a form of exchange is not against nature, nor does it in any way fall under crematistics, because it tends to complete natural self-sufficiency. ¶ Yet it is precisely from this form of exchange that crematistics logically derived. ¶ When recourse to foreign countries to import what was lacking and to export surplus goods became more systematic, the use of currency was resorted to as a matter of necessity. Not all naturally necessary goods are easy to transport: and so, in order to carry out exchanges, it was agreed to give and accept a good of a certain kind; a good that was useful in itself, but easier to handle for everyday needs: for example, iron, or silver, or other similar material, which at first was defined simply by its size and weight; later, however, they took to imprinting a mark on it, so that measurement could be avoided: the mark was worth as a sign of quantity. ¶ After the invention of currency, from the exchange practiced out of sheer necessity arose another species of chrematistics: trade. It, at first, was perhaps a rudimentary trade; but then, as experience increased, it became a more cunning art: and they knew well where and how to carry out exchanges in order to make a greater profit. ¶ Therefore, it seems, chrematistics has money as its object, and its specific function is to know from which sources to derive the most goods, because chrematistics is an art aimed at the production of wealth and goods. Not surprisingly, it is a common idea that wealth coincides with the abundance of money, because money is the object of trade and chrematistics. ¶ Sometimes, however, money seems a trifle, and a mere convention, devoid of natural value: it is enough for the subjects of exchange to change its conventional value, and lo and behold, money is no longer worth anything, and can no longer satisfy any vital need; so that, he who is rich in money, will often have nothing to eat. And indeed it is a well-curious wealth, that which will starve those who are rich in it: like that Midas of legend, who wanted too much, and prayed that all that was presented to him would become gold. And that is why we go in search of another kind of wealth, or creaminess: and not wrongly. There is another kind of wealth, another kind of chrematistics, and that is economics in the genuine sense. The one based on trade, on the other hand, produces goods, yes, but not in the absolute sense: it produces goods only through the exchange of goods. And it has money as its object, because money is the element and end of exchange. And that which comes from crematistics is a wealth that has no limit.  [408​  Τά πολιτικά Machine translation ]

 

3.2.2. Plus-value

Stephen Smith  2022  114​ 
Ma fille est ingénieur en aérospatiale. Lorsqu’elle a obtenu sa Maîtrise, elle a laissé un grand nombre de ses carnets à la maison. En tant que pilote, j’étais curieux et j’en ai sorti un pour y jeter un coup d’œil. Il devait s’agir d’un de ses premiers cours. La toute première chose sur la première page était la suivante : « Quel est l’objectif d’une entreprise aérospatiale? » La réponse était parfaite. « Gagner de l’argent. »  [446​  Comment in a forum]

 

Jean Vioulac 2009  143​ 

L’idéologie marxiste a le plus souvent défini le Capital comme « rapport social de production » ; donnée par Marx lui-même, la définition est incontestablement juste : dans la mesure où l’essence même de l’être est localisée dans le travail des individus, le Capital ne saurait avoir pour base ou assise qu’un certain mode d’actualisation de ce travail, conditionné par le rapport que les travailleurs entretiennent entre eux. ¶ Cette définition est cependant insuffisante à circonscrire le mode d’être du Capital, précisément parce qu’on y reconnaît une aliénation du travail, c’est-à-dire son devenir-autre. ¶ Le travail est aliéné parce qu’il s’actualise par un autre et pour un autre, et que son acte devient alors acte d’un autre : toute la question est de savoir quel est cet autre pour lequel s’aliène le travail, et qui par son aliénation conquiert une puissance dont il est par principe dépourvu. ¶ Or la spécificité du système est de ne pas aliéner un groupe d’hommes au profit d’un autre groupe d’hommes : ce type de rapport d’exploitation, qui reste immanent au champ des praxis, est caractéristique de l’esclavage ou du servage, où des exploiteurs s’approprient les produits particuliers de travailleurs particuliers, et usent et abusent des exploités pour satisfaire leurs fins particulières. ¶ Ce type de rapport social peut être condamné comme injuste ou justifié comme inévitable : il n’en reste pas moins que c’est la praxis subjective — celle des exploiteurs en l’occurrence — qui demeure constitutive : ainsi le monde grec, fondé sur l’esclavage, est-il en son essence praxique. ¶ La caractéristique du système capitaliste est tout au contraire d’arracher la production à la praxis subjective particulière pour la transférer dans une totalité abstraite qui seule a le statut de sujet. ¶ En s’obnubilant sur les capitalistes, le marxisme a souvent méconnu le fait sans cesse rappelé par Marx que le « capitaliste lui-même n’est détenteur de la puissance que comme personnification du Capital », et que le capitaliste, fût-il bénéficiaire du système, est tout autant dépossédé de son statut de sujet et n’a lui-même aucune autonomie par rapport au processus objectif de production. ¶ Le capitaliste n’est pas le sujet du processus, il n’est que serviteur du Capital et n’exerce jamais que le pouvoir que celui-ci lui accorde.  [506​  L’époque de la Technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique]

 

3.2.3. Autonomisation • Sujet automate

Joseph de Maistre 1796  69​ 
Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c'est la révolution qui emploie les hommes.  [335​  Considérations sur la France]

 

Karl Marx 1857  97​ 

Et dans cette forme totalement extranéisée du profit et dans la même mesure où la forme du profit dissimule son noyau interne, le capital acquiert de plus en plus une forme réifiée [sachliche], d’un rapport il devient toujours plus une chose, mais une chose qui a le rapport social dans le corps, qui l’a avalé, une chose se rapportant à elle-même avec une vie fictive et une autonomie, un être sensible suprasensible [sinnlich-übersinnliches Wesen]; et dans cette forme de capital et de profit il apparaît à la surface en tant que présupposition achevée. C’est la forme de son effectivité ou, mieux, sa forme d’existence effective. Et c’est la forme sous laquelle il vit dans la conscience de ses agents (supports), les capitalistes, qu’elle se déroule dans leurs représentations. ¶ Cette forme (métamorphosée) ossifiée du profit (et par là du capital en tant que son créateur, car le capital est raison, le profit la conséquence ; capital cause, profit effet ; capital substance profit accident ; le capital est seulement en tant que capital créant du profit, en tant que valeur qui crée un profit, une valeur supplémentaire).  [424​  Marx-Engels-Werke (MEW) Jacques Camatte]

 

Karl Marx 1858  101​ 

Dans le Capital, l’argent a perdu sa rigidité et, d’objet tangible, il est devenu procès. L’argent et la marchandise pris en eux-mêmes, de même que la circulation simple, n’existent plus pour le Capital qu’en tant que phases particulières, abstraites, de son existence, dans lesquelles il apparaît sans cesse, pour passer de l’une à l’autre et disparaître avec la même constance, Son caractère autonome ne se manifeste pas seulement en ce qu’il fait face à la circulation sous la forme de valeur d’échange abstraite et autonome – l’argent -, mais en ce que la circulation est en même temps le procès de sa promotion à l’autonomie ; c’est en elle qu’il devient chose autonome.  [388​  Fragment des Urtextes von „Zur Kritik der politischen Ökonomie“]

 

Karl Marx 1867  103​ 

[...] constantly passes from one form into the other without losing itself in this movement, and thus transforms itself into an automatic, self-processing subject.  [270​  The capital]

 

Ludwig Klages 1913  111​ 

Before the progressive research of modern times could be undertaken, the intellectuals had to be conditioned to adopt a philosophical theory upon which would be founded a required practice: we call that practice capitalism. ¶ No intelligent person can have the slightest doubt that the dazzling achievements of Physics and Chemistry have been pressed into the exclusive service of "Capital". The identifying characteristic of modern science is its substitution of numerical quantities for unique qualities, thus merely recapitulating, in the cognitive form, the fundamental law that the will must control everything, even that which resides in the brightly-colored domain of the soul and its values: the values of blood, beauty, dignity, ardor, grace, warmth, and the maternal sense; these must yield to the insidious values of the power which judges the worth of a man by the weight of his gold. A new word for this viewpoint has even been coined: "Mammonism." Nevertheless, how few are conscious of the fact that this "Mammon" is a genuine, substantial entity, which seizes hold of man, and wields him as if he were a mere tool that might help Mammon eradicate the life of the earth.  [440​  Man and Earth]

 

André Leroi-Gourhan 1964  136​ 

Humankind's fabulous triumph over matter has been achieved through a substitution. We have seen how, in the course of anthropoid evolution, zoological balance was gradually replaced by a new balance, perceptible from the very beginnings of Homo sapiens in the Upper Paleolithic. The ethnic group — the “nation” — came to replace the species, and the human, whose body is still that of a normal mammal, merged into a collective organism with a practically unlimited potential for achievement. The human internal economy, however, was still that of a highly predatory mammal even after the transition to farming and stockbreeding. From that point on the collective organism's preponderance became more and more imperative, and human beings became the instrument of a technical and economic ascent to which they lent their brains and hands. In this way human society became the chief consumer of humans, through violence or through work, with the result that the human has gradually gained complete possession of the natural world. If we project the technical and economic terms of today into the future, we see the process ending in total victory, with the last small oil deposit being emptied for the purpose of cooking the last handful of grass to accompany the last rat. The prospect is not so much a utopia as the acknowledgment of the singular properties of the human economy, an economy of which nothing as yet suggests that it may one day be properly controllable by the zoological (i.e., intelligent) human. In the last twenty years or so, the consumption ideal has at least been tempered by a growing skepticism about the infallibility of techno economic determinism.  [484​  Gesture and Speech, pp. 184-185]

 

Jacques Camatte 1966-1968  67​ 

Ιl s'est accru aux dépens du travail humain, non seulement de celui des prolétaires, mais aussi de celui de toutes les générations passées de travailleurs. Il est un monstre animé. Grâce au mouvement social, il s'est accaparé toute la matérialité de l'homme qui n'est plus qu'un sujet d'exploitation, un temps de travail déterminé: «Le temps est tout, l'homme n'est plus rien, il est tout au plus la carcasse du temps ». (Misère de la philosophie. Ed. Sociales, ρ. 47). De ce fait, il est devenu la communauté matérielle de l'homme; il n'y a plus de distorsion entre le mouvement social et le mouvement économique parce que ce dernier s'est totalement assujetti le premier.  [327​  Le Sixieme chapitre inédit du Capital et l'œuvre économique de Marx [Capital et Gemeinwesen] ]

 

Jean Vioulac 2009  144​ 

Le rapport social de production est ainsi, plus exactement, un dispositif de production. ¶ Une fois que ce dispositif est en place, le Capital devient effectivement sujet, et rompt les amarres avec ses propres détermination. ¶ Il y a certes tout un ensemble de conditions historiques nécessaires à l’avènement du Capital : mais ces conditions tombent en dehors du Capital lui-même une fois que ce dernier est constitué. ¶ Le Capital achevé n’est plus rapport social, il est chose subjectivée. ¶ Dans l’étude de l’économie spéculative, Marx souligne que le
« Capital acquiert de plus en plus une configuration chosique et, de rapport qu’il était se transforme de plus en plus en chose, en chose qui se comporte vis à vis de soi-même comme pourvu d’une vie et d’une autonomie fictive. » (Marx, Théories sur la plus-value).Il y a Capital à partir du moment où le pôle monétaire se pose comme « fondement de soi (Grund von sich) » ; à partir de ce moment, non seulement le Capital renie tout fondement hétéronome, mais il produit lui-même ses propres présupposés, et déploie en cela pleinement sa logique spéculative :
« Les présuppositions de son devenir sont dépassées dans son existence. Les conditions et les présuppositions du devenir, de la genèse du Capital impliquent précisément qu’il ne soit pas encore, mais qu’il devienne seulement ; elles disparaissent donc avec l’avènement effectif du Capital, avec le Capital qui, partant de sa propre réalité, pose lui-même les conditions de sa réalisation […] Le Capital, dès qu’il est devenu Capital, crée ses propres présupposés. » (Marx, Grundrisse)  [506​  L’époque de la Technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique]

 

§ 3.2.4. Modus operandi

 

3.2.4.1. Combinatoire et Combinisme
Jean Baudrillard 1968  108​ 

Ce qui fait défaut à la série n'est donc pas tellement la matière qu'une certaine cohérence de la matière et de la forme qui fait le caractèr accompli du modèle. Cette cohérence ou ensemble de rapports nécessaires, est détruite au profit de le jeu différentiel des formes, des couleurs ou de accessoires. Au style succède une combinatoire. La déqualification que nous avons signalée sur le plan technique prend ici l'aspect d'une déstructuration. Dans l'objet-modèle, il n'y a pas de détails ni de jeu de détails : les Rolls-Royce sont noires et ne sont que noires. Cet objet est hors-série, hors-jeu - c'est avec l'objet « personnalisé » que Je jeu s'élargit proportionnellement au caractère sériel (ou trouve alors quinze ou vingt teintes différentes dans une même marque) - jusqu'à ce qu'on rentre dans la pure ustensilité, où de nouveau le jeu n'existe plus (très longtemps les 2 CV furent toute d'un gris qui n'était même pas une couleur). Le modèle a une harmonie, une unité, une homogenéité, une cohérence d'espace, de forme, de substance, de fonction - c'est une syntaxe. L'objet de série n'est que juxtaposition, combinaison fortuite, discours inarticulé. Détotalisé, il n'est plus qu'un somme de détails qui ressortissent mécaniquemen à des séries parallèles.  [434​  Le système des objects, pp. 206-207]

 

Jean Baudrillard 1970  126​ 

Distinction ou conformité? ¶ [...] Ainsi la fonction de ce système de différenciation va bien au-delà de la satisfaction des besoins de prestige. Si l'on admet l'hypothèse énoncée plus haut, on voit que le système ne joue jamais sur des différences réelles (singulières, irréductibles) entre des personnes. Ce qui le fonde comme système, c'est précisément qu'il élimine le contenu propre, l'être propre de chacun (forcément différent) pour y substituer la forme différentielle, indus- trialisable et commercialisable comme signe distinctif. Il élimine toute qualité originale pour ne retenir que le schème distinctif et sa production systématique. A ce niveau, les différences ne sont plus exclusives : non seulement elles s'impliquent logiquement entre elles dans la combinatoire de la mode (comme les couleurs différentes « jouent » entre elles), mais sociologiquement : c'est l'échange des différences qui scelle l'intégration du groupe. Les différences ainsi codées, loin de diviser les individus, deviennent au contraire matériel d'échange. C'est là un point fondamental, par où la consommation se définit : (1) non plus comme pratique fonctionnelle des objets, possession, etc., (2) non plus comme simple fonction de prestige indi- viduel ou de groupe, (3) mais comme système de communication et d'é- change, comme code de signes continuellement émis et reçus et réinventés, comme langage. ¶ Les différences de naissance, de sang, de religion, jadis, ne s'échangeaient pas : elles n'étaient pas des différences de mode et touchaient à l'essentiel. Elles n'étaient pas « consommées ». Les différences actuelles (de vêtements, d'idéologie, de sexe même) s'échangent au sein d'un vaste consortium de consommation. C'est un échange socialisé des signes. Et si tout ainsi peut s'échanger sous forme de signes, ce n'est pas par la grâce de quelque « libéralisation » des mœurs, c'est que les différences sont systématiquement produites selon un ordre qui les intègre toutes comine signes de reconnaissance, et que, substituables les unes aux autres, il n'y a pas plus de tension ni de contradiction entre elles qu'entre le haut et le bas, qu'entre la gauche et la droite.  [478​  La Société de consommation, pp. 133-135]

 

Jacques Camatte 2010-2023  8​ 

[entrée : « Combinatoire et combinisme »] Combinisme: théorie et comportement — théorie et pratique ne sont pas séparées — dont le fondement est la combinatoire. Cela implique que le réel résulte de la mise en place de celle-ci, et que la présentation de celui-ci, son exposition implique une combinatoire d’épistémés, même très anciennes, et une combinatoire de pratiques. Celles-ci se présentent comme des manipulations dans son sens le plus général qui englobe l’expérimentation scientifique comme le bricolage, donc tout l’arsenal technique produit au cours de milliers d’années. Il ne peut y avoir de combinatoire que s’il y a coexistence, tolérance, permissivité, jeu, mise en jeu ou mise en scène; que si chaque élément a un certain jeu; d’autre part sont nécessaires la transparence, l’adaptabilité, et son complémentaire la sélection, ce qui implique également l’obsolescence pour le renouvellement de la combinatoire, et l’illusion du progrès, de même que l’imagination, l’innovation. Le tout est possible, et surtout probable, s’impose grâce aux réseaux et à la communication, agents essentiels de la mise en mouvement de la combinatoire et de sa réalisation. ¶ La combinatoireest en quelque sorte despotique: elle englobe tout, récupère tout, même les valeurs. C’est le jeu du capital devenu pleinement autonome, privé de substance, d’intériorité (anthropomorphisation autonomisée), qui se prête à tout grâce à l’expansion de la communication qu’hommes et femmes appréhendent en tant que valeur afin de pouvoir encore se situer dans leur monde. Toutefois la combinatoire ne peut-être effective que si les agents et agentes ont confiance en la dynamique qui, en définitive, est épiphanisation du mécanisme infernal. Un impératif moral domine le tout, même s’il n’est pas dit: il faut combiner pour s’adapter et, pour cela, on doit se dépouiller de tout ce qui, en nous, peut inhiber la communication, moteur de la combinatoire. ¶ Les phénomènes vitaux sont interprétés, vécus, à travers la combinatoire. Ex: la sexualité. On combine pour exister.  [200​  Glossaire]

 

3.2.4.2. Subsomption toujours plus profonde du travail par le capital
Karl Marx 1867  44​ 

[...] it is in the nature of the matter that where a subsumption of the labour process under capital takes place it occurs on the basis of an existing labour process, which was there before its subsumption under capital, and was formed on the basis of various earlier processes of production and other conditions of production. Capital thus subsumes under itself a given, existing labour process, such as handicraft labour, the mode of agriculture corresponding to small-scale independent peasant farming. If changes take place in these traditional labour processes which have been brought under the command of capital, these modifications can only be the gradual consequences of the subsumption of given, traditional labour processes under capital, which has already occurred.  [266​  Draft Chapter 6 of Capital. Results of the Direct Production Process]

 

Karl Marx 1867  45​ 

What is generally characteristic of formal subsumption remains valid in this case too, i.e. the direct subordination to capital of the labour process, in whatever way the latter may be conducted technologically. But on this basis there arises a mode of production — the capitalist mode of production — which is specific technologically and in other ways, and transforms the real nature of the labour process and its real conditions. Only when this enters the picture does thereal subsumption of labour under capital take place. [...] ¶ With the real subsumption of labour under capital there takes place a complete [and a constant, continuous, and repeated a] revolution in the mode of production itself, in the productivity of labour and in the relation between capitalist and worker. ¶ In the case of the real subsumption of labour under capital, all the changes in the labour process itself, analysed by us previously, actually take effect. Labour’s social powers of production are developed, and with labour on a large scale the application of science and machinery to direct production takes place. On the one hand, the capitalist mode of production, which now takes shape as a mode of production sui generis [in its own right]; changes the shape of material production. On the other hand, this alteration of production’s material shape forms the basis for the development of the capital-relation, which in its adequate shape therefore corresponds to a specific level of development of the productive powers of labour. [...] ¶ The capitalist mode of production develops the productivity of labour, the amount of production, the size of the population, and the size of the surplus population. With tile capital and labour thus released, new branches of business are constantly called into existence, and in these capital can again work on a small scale and again pass through the different developments outlined until these new branches of business are also conducted on a social scale. ¶ This is a constant process. At the same time capitalist production tends to conquer all branches of industry it has not yet [479] taken control of, where there is as yet only formal subsumption. Once it has taken control of agriculture, the mining industry, the manufacture of the main materials for clothing, etc., it seizes on the other spheres, where the subsumption is as yet only formal or there are still even independent handicraftsmen. We already noted when considering machinery[235] how its introduction into one branch brings about its introduction into others, and at the same time into other varieties of the same branch.  [266​  Draft Chapter 6 of Capital. Results of the Direct Production Process]

 

Karl Marx 1867  46​ 

The knowledge, the judgement, and the will, which, though in ever so small a degree, are practised by the independent peasant or handicraftsman, in the same way as the savage makes the whole art of war consist in the exercise of his personal cunning these faculties are now required only for the workshop as a whole. Intelligence in production expands in one direction, because it vanishes in many others. What is lost by the detail labourers, is concentrated in the capital that employs them. [43] It is a result of the division of labour in manufactures, that the labourer is brought face to face with the intellectual potencies of the material process of production, as the property of another, and as a ruling power. This separation begins in simple co-operation, where the capitalist represents to the single workman, the oneness and the will of the associated labour. It is developed in manufacture which cuts down the labourer into a detail labourer. It is completed in modern industry, which makes science a productive force distinct from labour and presses it into the service of capital.  [270​  The capital]

 

3.2.4.3. Extension de la subsomption aux loisirs, à la société, au corps
Jacques Camatte & Gianni Collu 1969  55​ 

La domination réelle du capital signifie donc que non seulement le temps de vie et les capacités mentales du prolétariat sont expropriés, mais que, le temps de circulation l'emportant désormais (dans l'espace) sur le temps de production, la société du capital crée à grande échelle une population "improductive" - c'est-à-dire qu'elle crée elle-même la "vie" selon ses propres besoins - afin de la fixer dans la sphère de la circulation et de la métamorphose de la plus-value accumulée. Le cycle se clôt sur une identité : tout le temps de la vie humaine est le temps socialement nécessaire à la création et à la circulation-réalisation de la plus-value ; tout est mesurable par les aiguilles des horloges. "Le temps est tout, l'homme n'est plus rien, il devient tout au plus la carcasse du temps" (Anti-Proudhon).  [291​  Transition]

 

Jacques Camatte & Gianni Collu 1969  89​ 

Le capital comme mode social de production réalise sa domination réelle quant il parvient à remplacer toutes les présuppositions sociales ou naturelles préexistantes par des formes d’organisation propres qui médiatisent la soumission de toute la vie physique et sociale à ses propres besoins de valorisation. L’essence de la Gemeinschaft (communauté) du capital est l’organisation.  [291​  Transition]

 

Jacques Camatte & Gianni Collu 1969  54​ 

Le point de départ de la critique de la société du capital actuelle doit être la réaffirmation des concepts de domination formelle et de domination réelle comme phases historiques du développement capitaliste. Toute autre périodisation du processus d’autonomisation de la valeur, […] n’a fait autre que mystifier le passage de la valeur à son autonomie complète, c’est-à-dire l’objectivation de la quantité abstraite en procès dans la communauté matérielle.  [291​  Transition]

 

Jacques Camatte 1972  57​ 

Dans la période de domination formelle, le capital ne parvient pas à s'assujettir et donc à s'incorporer la force de travail, elle lui est rétive, elle se rebelle au point de mettre en danger le développement de son propre procès, parce qu'il est totalement dépendant d'elle. Mais l'introduction des machines modifie tout cela. Le capital s'empare alors de toute l'activité que le prolétaire déploie dans 1a fabrique. Avec le développement de 1a cybernétique on constate que le Capital s'approprie, s'incorpore le cerveau humain; avec l'informatique, il crée son langage sur lequel doit se modeler celui des hommes, etc. À ce niveau, ce ne sont plus uniquement les seuls prolétaires - ceux qui produisent la plus-value - qui sont soumis au capital, mais tous les hommes, dont la plus grande partie est prolétarisée. C'est la domination réelle sur la société, celle où tous les hommes sont esclaves du capital (= esclavage généralisé, donc, convergence avec le mode de production asiatique).
Ainsi ce n’est plus le travail moment défini et particulier de l’activité humaine qui est soumis et incorporé au capital, mais tout le procès de vie des hommes. Le procès d’incarnation (Einverleibung) du capital commencé en Occident il y a près de cinq siècles est terminé. Le capital est désormais l’être commun oppresseur des hommes.  [299​  Note du 1972 in Marx et la Gemeinwesen]

 

Giorgio Cesarano & Gianni Collu 1973  182​ 

[Thèse 1] Dans sa dernière forme possible d'expression « politique » la dialectique radicale a définie les conditions d'existence du capital contemporain comme celles dans lesquelles, ayant, grâce à la contre-révolution, transcru au-delà de ses modes de domination formelle, il réalise actuellement, sur la planète toute entière et sur la vie toute entière de chaque homme, les modes d'une colonisation intégrale de l'existant qui se désignent par les termes de domination réelle.¶  « Le capital comme mode de production réalise sa domination réelle quand il parvient à remplacer toutes les présuppositions sociales ou naturelle préexistantes par des forme d'organisation propres qui médiatisent la soumission de toute la vie physique et sociale à ses propres besoins de valorisation. L'essence de la Gemeinschaft (communauté) du capital est l'organisation. [...] » (Transition)  [486​  Apocalypse et revolution]

 

3.2.5. Le temps du capital

Karl Marx 1847  80​ 

[...] men are effaced by their labor; [...] the pendulum of the clock has become as accurate a measure of the relative activity of two workers as it is of the speed of two locomotives. Therefore, we should not say that one man’s hour is worth another man’s hour, but rather that one man during an hour is worth just as much as another man during an hour. Time is everything, man is nothing; he is, at the most, time’s carcase. Quality no longer matters. Quantity alone decides everything  [211​  The Poverty of Philosophy. Answer to the Philosophy of Poverty by M. Proudhon, Part 2 ]

 

Guy Debord 1967  60​ 

[Thèse 147] Le temps de la production, le temps-marchandise, est une accumulation infinie d’intervalles équivalents. C’est l’abstraction du temps irréversible, dont tous les segments doivent prouver sur le chronomètre leur seule égalité quantitative. Ce temps est, dans toute sa réalité effective, ce qu’il est dans son caractère échangeable. C’est dans cette domination sociale du temps-marchandise que le « le temps est tout, l’homme n’est rien ; il est tout au plus la carcasse du temps » (Misère de la Philosophie). C’est le temps dévalorisé, l’inversion complète du temps comme « champ de développement humain ».  [303​  La Société du Spectacle]

 

Jacques Camatte & Gianni Collu 1969  55​ 

La domination réelle du capital signifie donc que non seulement le temps de vie et les capacités mentales du prolétariat sont expropriés, mais que, le temps de circulation l'emportant désormais (dans l'espace) sur le temps de production, la société du capital crée à grande échelle une population "improductive" - c'est-à-dire qu'elle crée elle-même la "vie" selon ses propres besoins - afin de la fixer dans la sphère de la circulation et de la métamorphose de la plus-value accumulée. Le cycle se clôt sur une identité : tout le temps de la vie humaine est le temps socialement nécessaire à la création et à la circulation-réalisation de la plus-value ; tout est mesurable par les aiguilles des horloges. "Le temps est tout, l'homme n'est plus rien, il devient tout au plus la carcasse du temps" (Anti-Proudhon).  [291​  Transition]

 

Jacques Camatte 1976  56​ 

On a abouti à l’organisation du temps pour le capital et c’est à partir de là que ce dernier peut mettre au point la programmation de tous les moments de la vie humaine.  [224​  Marx et la Gemeinwesen]

 

3.2.6. La marchandise du capital

Giorgio Cesarano & Gianni Collu 1973  128​ 

[Thèse 65] L’anthropomorphose du capital déplace l’axe de la valorisation de la production quantifiée de marchandises à la production quantifiée de marchandises à la production quantifiée valeur-homme. L’équilibre valorisation​/​dévalorisation, et l’équilibre espèce​/​planète, peut être compris comme un but que seul peut atteindre un capital-homme qui, tandis qu’il a fait de chacun l’entrepreneur de sa propre valorisation, efface fictivement de son mode d’être la quantification extériorisée pour la reproduire, à un niveau supérieur de mystification, à l’intérieur de la valorisation de l’Ego. Ce ne sont pas tant les quantités de « biens » de consommation et de « statues-symboles » dans lesquels chacun a été sollicité jusqu’ici à se dévaloriser qui doivent compter que, dans une civilisation néo-chrétienne d’égalitarisme bureaucratique, les quantités de soi, réalisées comme valeurs dans la circulation restreinte, mais multipliées en infinité d’identiques, des rapports d’échange entre « personnalités » entrepreneuses. ¶ Ainsi, tout comme le capital producteur d’objets réclamait ces
« conditions et présuppositions déterminées pour sa propre valorisation : 1) une société dont les membres concurrents s’affrontaient comme personnes qui ne sont en présence que comme possesseurs de marchandises, et seulement comme telles entrent en contact réciproque (chose qui exclut l’esclavage, etc.) et 2) que le produit social soit produit comme marchandise (ce qui exclut toutes les formes dans lesquelles, pour les producteurs immédiats, la valeur d’usage est le but principal et où, au maximum, l’excédent du produit se transforme en marchandise, etc.) », le capital producteur d’hommes-valeurs demande, comme conditions et présuppositions déterminées : 1) une société dont les membres concurrents s’affrontent comme personnes qui ne sont en présence que comme possesseurs de « personnalité » et seulement comme telles entrent en contact réciproque (chose qui exclut l’aliénation aux « choses », comme symboles de valeur et d’autoréalisation) et 2) que le produit social soit produit comme valeur de la marchandise « personne » (ce qui exclut toutes les formes dans lesquelles, pour les producteurs immédiats, la valeur d’échange des « choses » est le but principal et où au maximum, l’excédent du produit se transforme en dévalorisation).  [486​  Apocalypse et revolution]

 

Giorgio Cesarano & Gianni Collu 1973  129​ 

[Thèse 66] C’est seulement si l’on a bien compris comment le comment de la circulation des marchandises est dans le procès de valorisation un lieu seulement de communications grâce auquel A se transforme en A’, qu’on peut considérer sans scandale, du point de vue de la ra­tio­na­li­té capitaliste, le projet de l’économie autocritique. Les commentateurs progressistes du rapport du MIT et des propositions de Mansholt ont tort quand ils affirment que le capital ne peut subsister sans accroître continuellement la production de marchandises, substrat de sa valorisation, s’ils entendent par marchandises uniquement les « choses ». Peu importe la nature de la marchandise, si elle est « chose » plutôt que « personne ». Pour que le capital puisse continuer à s’accroître en tant que tel, il suffit que, au sein de la circulation, subsiste un moment où une marchandise quelconque assume la tâche de s’échanger contre A pour s’échanger ensuite contre A’. Ceci est, en théorie, parfaitement possible, pourvu que le capital constant, au lieu d’être investi en majorité dans les implantations aptes à produire exclusivement des objets, le soit dans les implantations aptes à produire des « personnes sociales » (services sociaux et « services personnels »).  [486​  Apocalypse et revolution]

 

Giorgio Cesarano & Gianni Collu 1973  130​ 

[Thèse 67] Le capital a dès le début transformé les hommes en marchandises, en les produisant comme forces de travail incorporées aux choses. L’aliénation consistait en ceci : être chacun un attribut de la marchandise, vivre sa propre subjectivité niée et se voir agrégé, comme chose au procès de croissance sur soi-même d’une subjectivité impersonnelle et aliénée, qui s’en approprie la force en en rejetant comme scorie inutile la substance humaine. En inversant la tendance, le capital ne fait que réinvestir dans la subjectivité de chacun, subordonnant la production de marchandises-choses à sa propre survie, au lieu de subordonner la vie de chacun à la production des marchandises. C’est ainsi qu’il peut tenter, en greffant sur chacun un répétiteur de sa propre volonté, de dépasser le point critique où production de marchandises-choses et survie deviennent inconciliables, où réduction du travail vivant et incrément de population inutile forment un mélange détonnant, où pollution et décroissance des ressources énergétiques minent la survie de son régime.  [486​  Apocalypse et revolution]

 

Jacques Camatte 2015  82​ 

Revenons à Le Capital. La première section a pour titre La marchandise et la monnaie. Dans le cadre d’une étude sur le capital, le fait de ne pas signaler le caractère de la marchandise et de la monnaie pouvait conduire à des confusions. Cependant K. Marx dans un autre texte déclare: «Nous partons de la marchandise, de cette forme spécifiquement sociale en tant que fondement et présupposition de la production capitaliste (…) Mais, d’autre part, la marchandise, est le produit, le résultat de cette production; ce qui apparaît au début comme l’un de ses éléments, en représente ensuite son produit le plus spécifique. En fait, ce n’est que sur la base de la production capitaliste, que le produit prend la forme générale de la marchandise, et plus la production capitaliste se développe, plus tous les composants de ce procès deviennent des marchandises.» (Le VI° chapitre inédit du capital, Ed. 10​/​18, p. 268, traduction modifiée cf: Resultate des unmittelbaren Produktionsprozesses, Verlag Neue Kritik Frankfurt, p.90 K. Marx insiste à plusieurs reprises dans toute son œuvre économique sur cette généralisation de la forme marchandise, particulièrement dans le livre II. N.d.A.) ¶ Le mode de production capitaliste généralise la forme marchandise, ce qui est pleinement reconnu et mis à la mode à l’heure actuelle sous le nom de marchandisation. Par là, le capital s’assure une présupposition solide pour l’accroissement de son propre procès. Cette marchandisation est d’ailleurs désormais un phénomène archaïque, révolu; ce dont il s’agit désormais c’est d’une capitalisation. ¶ En conséquence il eut été bon de libeller le titre du premier chapitre: la marchandise et la monnaie en tant que présuppositions du capital, pour exposer ensuite comment non seulement la monnaie (l’argent) mais la marchandise (la force de travail ainsi que les moyens de production) sont transformées en capital au cours d’un procès de production immédiat, unité d’un procès de travail et d’un procès de valorisation. S’il n’en advenait pas ainsi, le binôme, la dualité argent marchandise, persisterait et la discontinuité qui normalement s’impose, serait escamotée: «La production capitaliste est production de plusvaleur.» (Idem, p. 3 de Resultate, p. 72, édition française. Le traducteur, Roger Dangeville, a traduit le second Produktion par création. N.d.A.) Celle-ci confère à la forme monnaie et à la forme marchandise un contenu nouveau. On ne doit pas oublier que si le mouvement du capital n’est possible qu’à la suite de la séparation des hommes, des femmes, de leurs communautés, de la terre, des moyens de production, il s’instaure et s’impose en tant que phénomène d’union, de fusion de la monnaie et de la marchandise, de la force travail et des moyens de production. Ultérieurement se développe un phénomène de substitution: toutes les présuppositions du capital sont reproduites sous forme capitalisée.  [372​  12. Le mouvement du capital]

 

3.2.7. La technique du capital

Karl Marx 1857–1858  84​ 

Tant que le moyen de travail reste moyen de travail au sens propre, tel qu’il est entraîné immédiatement, historiquement par le capital dans son procès de valorisation, le fait qu’il n’apparaisse plus seulement maintenant comme moyen du travail par son côté matériel, mais en même temps comme un mode d’existence particulier du capital, déterminé par le procès global de celui-ci, – comme du capital fixe– ne lui fait subir qu’un changement formel. Une fois intégré dans le procès de production du capital, le moyen de travail passe toutefois par différentes métamorphoses, dont la dernière est la machineou, pour mieux dire, le système automatique de la machinerie(système de la machinerie : que le système automatiquen’est que la forme la plus parfaite et la plus adéquate de la machinerie et c’est seulement lui qui la transforme en un système), actionné par un automate, par une force motrice qui se meut d’elle-même ; cet automate consiste en de multiples organes, les uns mécaniques et les autres doués d’intellect, de sorte que les ouvriers eux-mêmes ne sont plus définis que comme ses membres conscients. Dans la machine, et plus encore dans la machinerie comme système automatique de machines, le moyen de travail est transformé quant à sa valeur d’usage, c’est-à-dire quant à son existence matérielle, en une existence adéquate au capital fixe et au capital en général ; quant à la forme sous laquelle il a été intégré comme moyen de travail immédiat dans le procès de production du capital, elle est abolie au profit d’une forme posée par le capital lui-même et qui lui est adéquate. À aucun égard, la machine n’apparaît comme moyen de travail de l’ouvrier individuel. La differentia specificade la machine n’est nullement, comme dans le cas du moyen de travail, de transmettre l’activité de l’ouvrier à l’objet ; au contraire, cette activité a une position telle qu’elle ne fait que servir d’intermédiaire au travail de la machine – que surveiller l’action de celle-ci sur la matière première et lui éviter tout incident. Dans ce cas-là, les choses ne se passent pas comme dans l’emploi de l’outil que l’ouvrier – en tant qu’organe – anime de son adresse et de son activité et dont le maniement dépend de sa virtuosité. La machine, qui possède adresse et force à la place de l’ouvrier, est au contraire elle même le virtuose qui, du fait des lois mécaniques dont l’action s’exerce en elle, possède une âme propre et qui consomme, pour son automouvement permanent, du charbon, de l’huile, etc., (matières instrumentales), de même que l’ouvrier consomme des aliments. Réduite à une simple abstraction d’activité, l’activité de l’ouvrier est déterminée et réglée de tous côtés par le mouvement de la machinerie et non l’inverse. La science, qui oblige les membres sans vie de la machine, en vertu de leur construction, à agir de la manière voulue, comme un automate, n’existe pas dans la conscience de l’ouvrier, mais agit sur lui à travers la machine comme une force étrangère, comme une force de la machine elle-même. Dans la production mécanisée, l’appropriation du travail vivant par le travail objectivé, – l’appropriation de la force ou de l’activité valorisante par la valeur pour soi – appropriation qui tient au concept même de capital, est posée comme caractère du procès de production lui-même, y compris sous le rapport de ses éléments matériels et de son mouvement matériel. Le procès de production a cessé d’être procès de travail au sens où le travail considéré comme l’unité qui le domine serait le moment qui détermine 8le reste. Le travail n’apparaît au contraire que comme organe conscient, placé en de nombreux points du système mécanique, dans des ouvriers vivants pris un à un ; dispersé, subsumé sous le procès global de la machinerie elle même, n’étant lui-même qu’une pièce du système, système dont l’unité existe, non dans les ouvriers vivants, mais dans la machinerie vivante (active) qui apparaît face à l’activité isolée insignifiante de cet ouvrier comme un organisme lui imposant sa violence. Dans la machinerie, le travail objectivé se présente face au travail vivant dans le procès de travail lui-même comme ce pouvoir qui le domine, que le capital est par sa forme, en tant qu’appropriation du travail vivant. L’intégration du procès de travail comme simple moment du procès de valorisation du capital est également posée du point de vue matériel par la transformation du moyen de travail en machinerie et du travail vivant en simple accessoire vivant de cette machinerie.  [378​  Fragment sur les machines]

 

3.2.8. Les forces productives du capital

Simone Weil 1934  166​ 

À vrai dire, Marx rend admirablement compte du mécanisme de l’oppression capitaliste ; mais il en rend si bien compte qu’on a peine à se représenter comment ce mécanisme pourrait cesser de fonctionner. D’ordinaire, on ne retient de cette oppression que l’aspect économique, à savoir l’extorsion de la plus-value ; et si l’on s’en tient à ce point de vue, il est certes facile d’expliquer aux masses que cette extorsion est liée à la concurrence, elle-même liée à la propriété privée, et que le jour où la propriété deviendra collective tout ira bien. Cependant, même dans les limites de ce raisonnement simple en apparence, mille difficultés surgissent pour un examen attentif. Car Marx a bien montré que la véritable raison de l’exploitation des travailleurs, ce n’est pas le désir qu’auraient les capitalistes de jouir et de consommer, mais la nécessité d’agrandir l’entreprise le plus rapidement possible afin de la rendre plus puissante que ses concurrentes. Or ce n’est pas seulement l’entreprise, mais toute espèce de collectivité travailleuse, quelle qu’elle soit, qui a besoin de restreindre au maximum la consommation de ses membres pour consacrer le plus possible de temps à se forger des armes contre les collectivités rivales ; de sorte qu’aussi longtemps qu’il y aura, sur la surface du globe, une lutte pour la puissance, et aussi longtemps que le facteur décisif de la victoire sera la production industrielle, les ouvriers seront exploités. À vrai dire, Marx supposait précisément, sans le prouver d’ailleurs, que toute espèce de lutte pour la puissance disparaîtra le jour où le socialisme sera établi dans tous les pays industriels ; le seul malheur est que, comme Marx l’avait reconnu lui même, la révolution ne peut se faire partout à la fois ; et lorsqu’elle se fait dans un pays, elle ne supprime pas pour ce pays, mais accentue au contraire la nécessité d’exploiter et d’opprimer les masses travailleuses, de peur d’être plus faible que les autres nations. C’est ce dont l’histoire de la révolution russe constitue une illustration douloureuse. ¶ Si l’on considère d’autres aspects de l’oppression capitaliste, il apparaît d’autres difficultés plus redoutables encore, ou, pour mieux dire, la même difficulté, éclairée d’un jour plus cru. La force que possède la bourgeoisie pour exploiter et opprimer les ouvriers réside dans les fondements mêmes de notre vie sociale, et ne peut être anéantie par aucune transformation politique et juridique. Cette force, c’est d’abord et essentiellement le régime même de la production moderne, à savoir la grande industrie. À ce sujet, les formules vigoureuses abondent, dans Marx, concernant l’asser-vissement du travail vivant au travail mort, « le renversement du rapport entre l’objet et le sujet », « la subordination du travailleur aux conditions matérielles du travail ». « Dans la fabrique », écrit-il dans le Capital,
il existe un mécanisme indépendant des travailleurs, et qui se les incorpore comme des rouages vivants… La séparation entre les forces spirituelles qui interviennent dans la production et le travail manuel, et la transformation des premières en puissance du capital sur le travail, trouvent leur achèvement dans la grande industrie fondée sur le machinisme. Le détail de la destinée individuelle du manœuvre sur machine disparaît comme un néant devant la science, les formidables forces naturelles et le travail collectif qui sont incorporés dans l’ensemble des machines et constituent avec elles la puissance du maître.Ainsi la complète subordination de l’ouvrier à l’entreprise et à ceux qui la dirigent repose sur la structure de l’usine et non sur le régime de la propriété. De même « la séparation entre les forces spirituelles qui interviennent dans la production et le travail manuel », ou, selon une autre formule, « la dégradante division du travail en travail manuel et travail intellectuel » est la base même de notre culture, qui est une culture de spécialistes. […]
Toute notre civilisation est fondée sur la spécialisation, laquelle implique l’asservissement de ceux qui exécutent à ceux qui coordonnent ; et sur une telle base, on ne peut qu’organiser et perfectionner l’oppression, mais non pas l’alléger. Loin que la société capitaliste ait élaboré dans son sein les conditions matérielles d’un régime de liberté et d’égalité, l’instauration d’un tel régime suppose une transformation préalable de la production et de la culture. […]
Il est rare cependant que les croyances réconfortantes soient en même temps raisonnables. Avant même d’examiner la conception marxiste des forces productives, on est frappé par le caractère mythologique qu’elle présente dans toute la littérature socialiste, où elle est admise comme un postulat. Marx n’explique jamais pourquoi les forces productives tendraient à s’accroître ; […]
L’essor de la grande industrie a fait des forces productives la divinité d’une sorte de religion dont Marx a subi malgré lui l’influence en élaborant sa conception de l’histoire. Le terme de religion peut surprendre quand il s’agit de Marx ; mais croire que notre volonté converge avec une volonté mystérieuse qui serait à l’œuvre dans le monde et nous aiderait à vaincre, c’est penser religieusement, c’est croire à la Providence. D’ailleurs le vocabulaire même de Marx en témoigne, puisqu’il contient des expressions quasi mystiques, telles que « la mission historique du prolétariat ». ¶ Cette religion des forces productives au nom de laquelle des générations de chefs d’entreprise ont écrasé les masses travailleuses sans le moindre remords constitue également un facteur d’oppression à l’intérieur du mouvement socialiste ; toutes les religions font de l’homme un simple instrument de la Providence, et le socialisme lui aussi met les hommes au service du progrès historique, c’est-à-dire du progrès de la production. C’est pourquoi, quel que soit l’outrage infligé à la mémoire de Marx par le culte que lui vouent les oppresseurs de la Russie moderne, il n’est pas entièrement immérité.  [550​  Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale]

 

Jacques Camatte 1973  119​ 

Mais, en même temps que K. Marx conçoit ce dépouillement en tant que limite, il aboutit, au cours de son analyse, à la mise en évidence de la possibilité qu'a le capital de s'échapper des conditions humaines. On perçoit l'autonomisation non des forces productives, mais du capital puisqu'à un moment donné elles sont une barrière qu'il doit s'efforcer d'abolir (überwältigen). En fait cela se réalise de la façon suivante : les forces productives ne sont plus les forces productives de l'homme mais du capital ; elles sont pour lui.  [466​  Déclin du mode de production capitaliste ou déclin de l'humanité ?]

 

Jean Baudrillard 1976  105​ 

We must distinguish what belongs to the mode and what belongs to the code of production. Before becoming an element of the commodity law of value, labour power is initially a status, a structure of obedience to a code. Before becoming exchange -value or use-value, it is already, like any other commodity, the sign of the operation of nature as value, which defines production and is the basic axiom of our culture and no other. This message, much more profoundly than quantitative equivalences, runs beneath commodities from the outset: to remove indeterminacy from nature (and man) in order to submit it to the determinacy of value. This is confirmed in the constructionist mania for bulldozers, motorways, 'infrastructures', and in the civilising mania of the era of production, a mania for leaving no fragment unproduced, for countersigning everything with production, without even the hope of an excess of wealth. Producing in order to mark, producing in order to reproduce the marked man. What is production today apart from this terrorism of the code? This is as clear for us as it was for the first industrial generations, who dealt with machines as with an absolute enemy, harbingers of total destructuration, before the comforting dream of a historical dialectic of production developed. The Luddite practices which arose everywhere to some extent, the savagery of attacking the instrument of production (primarily attacking itself as the productive force), endemic sabotage and defection bear lengthy testimony to the fragility of the productive order. Smashing machines is an aberrant act if they are the means of production, if any ambiguity remains over their future use- value. If, however, the ends of this production collapse, then the respect due to the means of production also collapses, and the machines appear as their true end, as direct and immediate operational signs of the social relation to death on which capital is nourished. Nothing then stands in the way of their destruction. In this sense, the Luddites were much clearer than Marx on the impact of the irruption of the industrial order, and today, at the catastrophic end of this process, to which Marx himself has misled us in the dialectical euphoria of productive forces, they have in some sense exacted their revenge.  [432​  Symbolic Exchange and Death]

 

3.2.9. Objectivation

Jacques Camatte 2010-2023  12​ 

[entrée : « Objectalisation »] Le fait de se considérer, voire de se comporter, comme un objet.  [200​  Glossaire]

 

3.2.10. Immortalité (recherchée dans le capital)

Karl Marx 1861  32​ 
L’immortalité ( Die Un­ver­gäng­lich­keit ) à laquelle tend l’argent en prenant une attitude négative vis-à-vis de la circulation (en s’en retirant), est atteinte par le Capital, qui se conserve précisément en s’abandonnant à la circulation.  [388​  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie]

 

Karl Marx 1858  96​ 

L’immortalité à laquelle tend l’argent en prenant une attitude négative vis-à-vis de la circula­tion (en s’en retirant), le Capital y parvient, qui se conserve précisément en s’abandonnant à la circulation. « Valeur d’échange supposant la circulation, en même temps qu’elle est sa condition préalable et qu’elle s’y conserve, le capital adopte alternativement la forme des deux éléments que recèle la circulation simple, mais, à la différence de ce qui se produit dans celle-ci, il ne se borne pas à passer d’une forme dans l’autre : au contraire, dans chacune des deux déterminations il est en même temps la relation, le rapport avec la forme opposée. S’il apparaît sous l’aspect d’argent, ce n’est maintenant que l’expression unilatérale, abstraite de sa généralité ; en dépouillant aussi cette forme, il n’en dépouille que la détermination contradictoire (la forme contradictoire de la généralité). Le poser sous son aspect d’argent, c’est-à-dire sous l’aspect de cette forme contradictoire de la généralité de la valeur d’échange, c’est en même temps dire qu’il ne doit pas, comme dans la circulation simple, perdre sa généralité, mais la détermination contradictoire de celle-ci ou qu’il n’adopte cette dernière que fugitivement, donc qu’il s’échangera de nouveau contre la marchandise; mais celle-ci devra, dans sa particularité, exprimer la généralité de la valeur d’échange, donc changer sans cesse de forme déterminée.  [388​  Fragment des Urtextes von „Zur Kritik der politischen Ökonomie“]

 

Karl Marx 1861  30​ 

Dans le capital, l’immortalité ( Die Un­ver­gäng­lich­keit ) de la valeur est posée (à un certain degré), en ce sens qu’elle s’incarne certes dans les marchandises périssables, qu’elle prend leur forme, mais qu’elle la change tout aussi constamment ; elle alterne entre sa forme éternelle dans l’argent et sa forme périssable dans les marchandises ; l’immortalité ( Die Un­ver­gäng­lich­keit ) ne peut se manifester que sous une forme éphémère, elle est ce qui passe – le processus – la vie. Mais le capital n’obtient cette capacité​/​cette qualité qu’en aspirant constamment, tel un vampire, le travail vivant pour s’en faire une âme. L’immortalité ( Die Un­ver­gäng­lich­keit ) – durée de la valeur sous sa forme de capital – ne se réalise qu’au travers de la reproduction, qui est elle-même double, reproduction comme marchandise, reproduction comme argent et unité de ces deux processus de reproduction.  [236​  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie]

 

Jacques Camatte 1976  102​ 

Le capital est accumulation de temps; il le résorbe, l’absorbe (on peut avoir les deux modalités) et, de ce fait, il se pose en éternité. Marx aborde cette question de l’éternité du côté formel. Il parle d’ Un­ver­gäng­lich­keit qui exprime l’idée de quelque chose d’impérissable, ainsi que l’idée qu’on ne peut pas passer à autre chose. ¶ « L’éternité – durée de la valeur sous sa forme capital – est seulement posée par la production qui elle-même est double: reproduction en tant que marchandise, reproduction en tant qu’argent et unité de ces deux procès de reproduction » (Grundrisse, p. 539) ¶ Développé du point de vue de la substance, l’éternité du capital implique aussi l’évanescence des hommes, c’est-à-dire aussi bien leur faible durabilité que leur insignifiance. Le capital enlève le temps à l’homme – l’élément de son développement selon Marx. Il crée un vide où le temps s’abolit; l’homme perd une référence importante; il ne peut plus se reconnaître, se percevoir. Et le temps congelé lui fait face.  [224​  Marx et la Gemeinwesen]

 

Jacques Camatte 2015  83​ 

K. Marx finit le premier livre avec la septième section: l’accumulation du capital qui se trouve en correspondance, concordance, avec la troisième partie du chapitre Les résultats, c’est-à-dire: La production capitaliste est production et reproduction du rapport de production spécifiquement capitaliste¶ Ajoutons que dans la septième section se loge une certaine confusion de termes entre accumulation et reproduction. Le capital n’accumule pas, ne s’accumule pas, mais se reproduit à une échelle constamment élargie. C’est l‘argent, en tant que numéraire, en tant que monnaie, qui fut accumulé sous forme de trésor, thésaurisé, ce qui faisait obstacle au mouvement de la valeur. Si le capital accumulait, il n’aurait pas envahi tous les domaines de la vie humaine comme cela s’est effectivement réalisé en conséquence de sa reproduction toujours élargie. L’accumulation évoque une statique; on pourrait dire une staticité. En revanche la reproduction implique la fluidité comme c’est exposé dans Résultats.  [372​  12. Le mouvement du capital]

 

§ 3.3. Vers une étape ultérieure du processus

 

3.3.1. Mort du capital

Jean Baudrillard 1976  0​ 

There have always been churches to hide the death of God, or to hide that God was everywhere, which is the same thing. There will always be animal and Indian reservations to hide that these are dead, and that we are all Indians. There will always be factories to hide that labor is dead, that production is dead, or that it is everywhere and nowhere. Because today there is no point in fighting capital in certain forms. On the other hand, if it becomes clear that it is no longer determined by anyone, and that its absolute weapon is to reproduce labor as imaginary, then it is capital itself that is very close to croaking.  [396​  L'échange symbolique et la mort Machine translation ]

 

Jacques Camatte 2010-2023  17​ 

[entrée : « Mort potentielle du capital »] Elle s’effectue à partir du moment où le nombre de ceux qui font circuler la plus-valeur devient supérieur à celui de ceux qui la produisent. Elle s’est effectuée d’abord aux USA dans le milieu des années cinquante du siècle dernier, et tend à se généraliser dans les diverses aires. Elle est également liée à une substantification énorme (production de capital fixe) qui inhibe le mouvement incessant du capital qui n’est tel que s’il se capitalise indéfiniment. D’où le déploiement massif de la spéculation qui correspond à une autonomisation de la forme capital et, tendanciellement, à son évanescence dans la virtualité.  [200​  Glossaire]

 

 

Chapitre 4.
Résultats et buts du processus

Ludwig Klages 1913  112​ 
A new word for this viewpoint has even been coined: "Mammonism." Nevertheless, how few are conscious of the fact that this "Mammon" is a genuine, substantial entity, which seizes hold of man, and wields him as if he were a mere tool that might help Mammon eradicate the life of the earth.  [440​  Man and Earth]

 

Jean Baudrillard 1976  120​ 
If, however, the ends of this production collapse, then the respect due to the means of production also collapses, and the machines appear as their true end, as direct and immediate operational signs of the social relation to death on which capital is nourished.  [432​  Symbolic Exchange and Death]

 

4.1. Suppression et remplacement de la communauté • Communauté matérielle

Karl Marx 1858  24​ 
En effet, l'argent apparaît comme leur communauté (Gemeinwesen) qui existe matériellement en dehors d'eux  [222​  Urtext (Grundrisse)]

 

Karl Marx 1844  165​ 

But the community from which the workers is isolated is a community of quite different reality and scope than the political community. The community from which his own labor separates him is life itself, physical and spiritual life, human morality, human activity, human enjoyment, human nature. Human nature is the true community of men [Das menschliche Wesenist das wahre Gemeinwesen der Menschen]. Just as the disasterous isolation from this nature is disproportionately more far-reaching, unbearable, terrible and contradictory than the isolation from the political community, so too the transcending of this isolation and even a partial reaction, a rebellion against it, is so much greater, just as the man is greater than the citizen and human life than political life.  [548​  Critical Notes on the Article:“The King of Prussia and Social ReformBy a Prussian”]

 

Karl Marx 1844  37​ 

If money is the bond binding me to human life, binding society to me, connecting me with nature and man, is not money the bond of all bonds?  [240​  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844]

 

Karl Marx 1861  171​ 

In the case of the world market, the connection of the individual with all, but at the same time also the independence of this connection from the individual, have developed to such a high level that the formation of the world market already at the same time contains the conditions for going beyond it.) Comparison in place of real communality and generality.  [409​  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie]

 

Karl Marx 1861  170​ 

The general exchange of activities and products, which has become a vital condition for each individual – their mutual interconnection – here appears as something alien to them, autonomous, as a thing. […] The less social power the medium of exchange possesses (and at this stage it is still closely bound to the nature of the direct product of labour and the direct needs of the partners in exchange) the greater must be the power of the community which binds the individuals together, the patriarchal relation, the community of antiquity, feudalism and the guild system.  [409​  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie]

 

Karl Marx 1861  27​ 

L’argent devient ainsi, directement et simultanément, la communauté réelle, la Gemeinwesen, puisqu’il est la substance générale de la survie de tous, et en même temps le produit social de tous…  [230​  Fondements de la critique de l'économie politique]

 

Karl Marx 1861  28​ 

L’argent étant lui-même la communauté (Gemeinwesen), il ne peut en tolérer d’autres en face de lui (…) Lorsque l’argent n’est pas lui-même la communauté, il lui faut la dissoudre.  [230​  Fondements de la critique de l'économie politique]

 

Karl Marx 1861  26​ 

Dans la société bourgeoise, par exemple, le travailleur existe d’une manière purement inobjective, subjective ; mais la chose qui se dresse en face de lui est désormais devenue la véritable communauté (Gemeinwesen) qu’il cherche à dévorer mais qui le dévore.  [230​  Fondements de la critique de l'économie politique]

 

Karl Marx 1867  173​ 

The obstacles presented by the internal solidity and organisation of pre-capitalistic, national modes of production to the corrosive influence of commerce are strikingly illustrated in the intercourse of the English with India and China. The broad basis of the mode of production here is formed by the unity of small-scale agriculture and home industry, to which in India we should add the form of village communities built upon the common ownership of land, which, incidentally, was the original form in China as well. In India the English lost no time in exercising their direct political and economic power, as rulers and landlords, to disrupt these small economic communities. […] the low prices of its goods served to destroy the spinning and weaving industries, which were an ancient integrating element of this unity of industrial and agricultural production. And even so this work of dissolution proceeds very gradually. And still more slowly in China, where it is not reinforced by direct political power.
(Note 6. […] in the north-west [of India] they [the British] did all they could to transform the Indian economic community with common ownership of the soil into a caricature of itself.)  [270​  The capital]

 

Jacques Camatte & Gianni Collu 1969  54​ 

Le point de départ de la critique de la société du capital actuelle doit être la réaffirmation des concepts de domination formelle et de domination réelle comme phases historiques du développement capitaliste. Toute autre périodisation du processus d’autonomisation de la valeur, […] n’a fait autre que mystifier le passage de la valeur à son autonomie complète, c’est-à-dire l’objectivation de la quantité abstraite en procès dans la communauté matérielle.  [291​  Transition]

 

Jacques Camatte 1976  25​ 

Dans l’œuvre totale de Marx, il y a donc juxtaposition entre l’individualisation d’un mouvement du Capital se constituant en communauté matérielle et l’affirmation de son impossibilité liée au fol espoir que le prolétariat se rebellera à temps et détruira le mode de production capitaliste (MPC). Or la communauté Capital existe ; cela implique un abandon de toute théorie classiste et la compréhension qu’une immense phase historique est terminée.  [224​  Marx et la Gemeinwesen]

 

§ 4.1.1. Gemeinwesen

Karl Marx 1844  35​ 
[...] my human, common being (mein menschliches, mein Gemeinwesen).  [240​  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844]

 

Karl Marx 1844  153​ 

Let us suppose that we had carried out production as human beings. Each of us would have in two ways affirmed himself and the other person. 1) In my production I would have objectified my individuality, its specific character, and therefore enjoyed not only an individual manifestation of my life during the activity, but also when looking at the object I would have the individual pleasure of knowing my personality to be objective, visible to the senses and hence a power beyond all doubt. 2) In your enjoyment or use of my product I would have the direct enjoyment both of being conscious of having satisfied a human need by my work, that is, of having objectified man's essential nature, and of having thus created an object corresponding to the need of another man's essential nature. 3) I would have been for you the mediator between you and the species, and therefore would become recognised and felt by you yourself as a completion of your own essential nature and as a necessary part of yourself, and consequently would know myself to be confirmed both in your thought and your love. 4) In the individual expression of my life I would have directly created your expression of your life, and therefore in my individual activity I would have directly confirmed and realised my true nature, my human nature, my communal nature.  [322​  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique]

 

Karl Marx 1844  66​ 

Since human nature is the true community (Gemeinwesen) of men, by manifesting their nature men create, produce, the human community (Gemeinwesen), the social entity, which is no abstract universal power opposed to the single individual, but is the essential nature of each individual, his own activity, his own life, his own spirit, his own wealth. Hence this true community (Gemeinwesen) does not come into being through reflection, it appears owing to the need and egoism of individuals, i.e., it is produced directly by their life activity itself. It does not depend on man whether this community (Gemeinwesen) exists or not; but as long as man does not recognise himself as man, and therefore has not organised the world in a human way, this community (Gemeinwesen) appears in the form of estrangement, because its subject, man, is a being estranged from himself. Men, not as an abstraction, but as real, living, particular individuals, are this entity. Hence, as they are, so is this entity itself. To say that man is estranged from himself, therefore, is the same thing as saying that the societyof this estranged man is a caricature of his real community (Gemeinwesen), of his true species-life, that his activity therefore appears to him as a torment, his own creation as an alien power, his wealth as poverty, the essential bond linking him with other men as an unessential bond, and separation from his fellow men, on the other hand, as his true mode of existence, his life as a sacrifice of his life, the realisation of his nature as making his life unreal, his production as the production of his nullity, his power over an object as the power of the object over him, and he himself, the lord of his creation, as the servant of this creation.  [322​  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique]

 

Karl Marx 1861  172​ 

This naturally arisen clan community, or, if one will, pastoral society, is the first presupposition – the communality [Gemeinschaftlichkeit] of blood, language, customs – for the appropriation of the objective conditions of their life, and of their life’s reproducing and objectifying activity (activity as herdsmen, hunters, tillers etc.). The earth is the great workshop, the arsenal which furnishes both means and material of labour, as well as the seat, the base of the community. They relate naïvely to it as the property of the community, of the community producing and reproducing itself in living labour. Each individual conducts himself only as a link, as a member of this community as proprietor or possessor. The real appropriation through the labour process happens under these presuppositions, which are not themselves the product of labour, but appear as its natural or divine presuppositions.  [409​  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie]

 

Karl Marx 1879  174​ 

In primitive communities in which, e.g., means of livelihood are produced communally and distributed amongst the members of the community, the common product directly satisfies the vital needs of each community member, of each producer; the social character of the product, of the use-value, here lies in its (common) communal character.  [564​  Notes on Adolph Wagner's “Lehrbuch der politischen Ökonomie”]

 

Jacques Camatte 2010-2023  104​ 

[entrée : « Individualité »] Aptitude à se poser en tant que moment d’émergence et qu’unité perceptible du phénomène vie. Pour tendre à éviter toute réduction, je parle d’individualité-Gemeinwesen pour signifier qu’il n’y a pas séparation entre les deux, a fortiori d’opposition. L’individualité a la dimension gemeinwesen, du fait même de son émergence, non suivie d’une séparation, mais du maintien de la participation au phénomène vie.  [200​  Glossaire]

 

Jacques Camatte 2010-2023  10​ 

[entrée : « Gemeinwesen »] Concept très utilisé par K.Marx et par G.W.F. Hegel. Il n’indique pas seulement l’être commun, mais aussi la nature et l’essence communes (Wesen). C’est ce qui nous fonde et nous accomune, participant au même être, à la même essence, à la même nature. C’est le mode de manifestation de cet être participant.
Je puis ajouter une interprétation personnelle au sujet de gemein. Ge est une particule inséparable qui exprime la généralité, le commun, le collectif. Mein indique ce qui est individuel: mien. Ainsi affleure sous-jacente, l’idée d’une non séparation entre ce qui est commun et ce qui est individuel; ce qui implique le concept de participation où l’on se perçoit soi dans un tout qui est comme consubstanciel.
La gemeinwesen se présente donc comme l’ensemble des individualités, la communauté qui résulte de leurs activités dans la nature et au sein du monde créé par l’espèce, en même temps qu’elle les englobe, leur donnant leur naturalité (indiquée par wesen), leur substance en tant que généralité (indiquée par gemein), dans un devenir (wesen).  [200​  Glossaire]

 

Marco Iannucci 2018  175​ 

If I now turn my gaze again in the direction of the world of nature I can grasp it more clearly, well understood in a relational-differential key with respect to transformative activity (there is no other way in): the world-environment on which human activity stands out to me is manifested as a field of processes in which everything happens in the form of the reciprocal production of one thing with another. But a field in which everything is constituted within the interplay of relations is a common field. This is how the living world appears to me whose boundaries, as far as I know, coincide with those of our planet. The human community intervenes on a world which itself has the structure of a community, with the transformative activity that after all functions in a similar way, as a relational context that has a determining power over the beings it involves. It is because we look at it from this position of ours, that the mutual production of things in nature appears to us humans as a making of itself. [...]
But does being in common have boundaries? [...]
How far does the sphere within which things are produced in a state of mutual action reach? Here, for the first time, I must turn to a dimension beyond the horizon of the human world. But I always have the transformative activity and the being-in-common human as revealers, mediators of everything, and keeping them in mind I can attempt another widening of gaze. This ground from which I come and in which I ultimately consist, what does it teach me? First, that everything I can reach is a node of relationships, emerges inside relationships. ¶ I try to widen my gaze beyond the boundaries of the living world on planet Earth and I see that, sure, life as I know it here breaks down there, but what lies beyond is in continuity with it, the Sun even in such a way that without it I cannot conceive of life, but also of the Moon the knowledge handed down tells me that it affects life down here in many ways. Every broader horizon that I draw upon only extends without limit this relational continuity: stars, galaxies, the boundaries of the knowable universe... ¶ I then make a further effort, of an almost intuitive kind, and broaden my vision beyond all boundaries, toward an all-encompassing horizon as the horizon of all relations. What I reach is a field totally inclusive and therefore unique. Nothing exists outside of it. But I don't mean this in the empirical sense of measurable spatiality, so I go to the boundaries of the universe, "look out" and see that there is nothing. Such a way of thinking is absurd and generates endless paradoxes. It is in an essential, that is, relational, sense that I understand it, because to exist is to be in relation.Therefore, something that stands outside the field of all relations simply does not exist, is an idle assumption that is instantly autonomous. ¶ This field, being unique, draws an insurmountable horizon that is of community, that is, within which everything is determined with everything. I derive from this an even more decisive confirmation that nature, the field in which transformative activity intervenes, itself has the structure of a being in common, and every action that takes place there can only reconfirm in itself this ultimate structure.  [358​  Un percorso nell'essere in comune. Machine translation ]

 

4.1.1.1. La grande communauté organique et cosmique
AA.VV. 2024  179​ 
The eukaryotic cell forms the basis of all animal and plant organisms. The commonly accepted theory of its origin is that of endosymbiosis, the union between a protobacterium and a prokaryotic cell. So an alliance, a community, is at the origin of life of the complex organisms that inhabit the Earth today.  [496​  Common information]

 

Pëtr Kropotkin 1902  180​ 

As soon as we study animals — not in laboratories and museums only, but in the forest and prairie, in the steppe and in the mountains — we at once perceive that though there is an immense amount of warfare and extermination going on amidst various species, and especially amidst various classes of animals, there is, at the same time, as much, or perhaps even more, of mutual support, mutual aid, and mutual defence amidst animals belonging to the same species or, at least, to the same society. Sociability is as much a law of nature as mutual struggle. Of course it would be extremely difficult to estimate, however roughly, the relative numerical importance of both these series of facts. But if we resort to an indirect test, and ask Nature: «Who are the fittest: those who are continually at war with each other, or those who support one another?» we at once see that those animals which acquire habits of mutual aid are undoubtedly the fittest. They have more chances to survive, and they attain, in their respective classes, the highest development and bodily organization. If the numberless facts which can be brought forward to support this view are taken into account, we may safely say that mutual aid is as much a law of animal life as mutual struggle; but that as a factor of evolution, it most probably has a far greater importance, inasmuch as it favors the development of such habits and characters as insure the maintenance and further development of the species, together with the greatest amount of welfare and enjoyment of life for the individual, with the least waste of energy.  [580​  Mutual Aid as a Factor in Evolution]

 

Marco Iannucci 2018  181​ 

Viewed in this way, capital reveals itself to me to be the final outcome of the attempt, carried on by all means by the Western tribe, to interrupt the universal connection between all things, to break free from the natural gemeinwesen. That is, it is the final outcome of our attempt to extricate ourselves from becoming by following the opposite path to the one that nature itself indicates to us. Because nature points it out to us: in the path I have taken so far I have in fact gathered enough elements to intuit that, if we operated on ourselves to bring human gemeinwesen into full consonance with universal gemeinwesen, we could experience in ourselves that becoming ultimately equals nonbecoming and opens up to the eternal, just as it does at the level of nature as a whole. But conversely we strive in every way to isolate ourselves from all the processes of the organic world, to replace them with a second technically reconstructed world in which we believe we can shelter ourselves from our arising and passing.  [358​  Un percorso nell'essere in comune.]

 

4.2. Suppression et remplacement de l'homme

Gustav Janouch 1920  184​ 
Kafka me coupa la parole : « Les fabriques ne sont que des organes servant à accroître le profit de l’argent. Nous ne jouons tous dans cette affaire qu’un rôle subordonné. Le plus important, c’est l’argent et la machine. L’être humain n’est plus qu’un instrument démodé servant à l’augmentation du capital, un reliquat de l’histoire, dont très bientôt les capacités, insuffisantes au regard de la science, seront remplacées par des automates qui penseront impeccablement. »
J’eus un soupir méprisant : « Oh, oui, c’est un rêve qu’affectionne H. G. Wells. »
« Non », dit alors Kafka d’une voix dure, « ce n’est pas une utopie : c’est simplement l’avenir, qui croît déjà sous nos yeux. »  [582​  Conversations avec Kafka]

 

Armand Robin 1946  178​ 
Au nom de rien on supprimera l’homme;
On supprimera le nom de l’homme;
Il n’y aura plus de nom;
Nous y sommes.
 [574​  Le programme en quelques siècles]

 

Amadeo Bordiga 1950  77​ 
Capital offers all the billions of four centuries of accumulation for the scalp of its great enemy: Man.  [366​  Imprese economiche di Pantalone Machine translation ]

 

Roberto Pecchioli 2024  115​ 

Harari affirme dans From Animals to Gods qu’
« il ne semble pas y avoir d’obstacle technique insurmontable à la production de surhommes. Les principaux obstacles sont les objections éthiques et politiques qui ont ralenti le rythme de la recherche humaine. Et aussi convaincants que soient les arguments éthiques, on voit mal comment ils pourraient résister longtemps à l’étape suivante, surtout lorsque l’enjeu est la possibilité de prolonger indéfiniment la vie humaine, de vaincre des maladies incurables et d’améliorer nos capacités cognitives et mentales ».L’appât est la santé, mais le but est la mort.
À Davos, la montagne enchantée de l’Agenda 2030 transhumain, Harari l’a exprimé en ces termes :
« La science remplace l’évolution par la sélection naturelle par l’évolution par le dessein intelligent. Il ne s’agit pas du dessein intelligent d’un Dieu au-delà des nuages, mais de NOTRE dessein intelligent, celui de nos nuages [les nuages informatiques, ndlr], les nuages d’IBM et de Microsoft. Ce sont ces nuages qui conduiront notre évolution ».Les applaudissements nourris des présents — tous membres éminents des oligarchies économiques, financières, technologiques et politiques — montrent ce qu’est la pensée dominante, le matérialisme grossier qui l’anime, le délire de la toute-puissance convaincue d’avoir détrôné et remplacé Dieu.
Pour le dôme du pouvoir, ivre d’hybris, l’humanité future transhumaine, anthropologiquement et ontologiquement différente de l’ancienne, a besoin d’une éclaircie drastique. Harari a la vertu de la franchise. La plupart des gens sont « inutiles », ne sont plus « nécessaires ». Nous sommes obsolètes, excédentaires, un obstacle à résoudre. Un frisson me parcourt l’échine.
« Nous n’aurons tout simplement plus besoin de la grande majorité de la population, car l’avenir prévoit le développement de technologies toujours plus sophistiquées, telles que l’intelligence artificielle [et] la bio-ingénierie. »  [450​  L’homme inutile et l’arche de l’oligarchie]

 

4.3. Suppression et remplacement de la nature

Ludwig Klages 1913  110​ 

However, as soon as the man of "progress" arrives on the scene, he announces his masterful presence by spreading death and the horror of death all around him. How many of the species of creatures that flourished in ancient Germanic lands have lasted into our century? Bear and wolf, lynx and wildcat, bison, elk and aurochs, eagle and vulture, crane and falcon, swan and owl, have all become creatures inhabiting only our fairy-tales; this was the case, in fact, even before the introduction of our new and improved wars of annihilation. But there is cause for even deeper merriment. Under the most moronic of all pretexts — which insists that vast numbers of animal species are actually noxious pests — our progress-monger has extirpated nearly every creature who happens not to be a partridge, a roe-deer, a pheasant, or, if need be, a pig. Wild boar, ibex, fox, pine marten, weasel, duck and otte — all animals with which the legends dear to our memory are intimately intertwined — are shrinking in numbers, where, that is, they have not already become extinct; sea gull, tern, cormorant, duck, heron, kingfisher, red kite and owlet are all ruthlessly hunted down; the communities of seals on the coasts of the North Sea and the Baltic are condemned to destruction. We know more than two hundred names of German towns and villages whose names derive from the word "beaver," a fact that constitutes proof of the flourishing of these industrious rodents in earlier times; today there still exists a small preserve on the Elbe river between Torgau and Wittenberg, but even this refuge will soon disappear without immediate statutory protection. And who is not afflicted with grave anxiety to witness, year after year, the disappearance of our beloved singers, the migratory birds? Only a mere generation ago the blue air of our cities was filled all summer long with the whir and buzz of swallows and the cries of sailors, sounds that, emerging from the distance, seemed to fill one with the yearning for travel. At that time, one could count, in one suburb of Munich alone, as many as three hundred occupied nests, whereas today one can only find four or five. More ominously, the countryside has become eerily silent, throbbing no longer as it once did every dew-laden morning in the joyous melody of Eichendorff’s "countless larks." Already one must consider oneself fortunate if, whilst walking along a remote forest path near a grassy, sunlit hollow, one is privileged to hear just once the luminous and yearning call of the quail; at one time, throughout the length and breadth of Germany, these birds numbered many, many thousands, and they lived in the songs of the common people as well as in the works of our poets. Magpie, woodpecker, golden oriole, warbler, rooster, grouse, and nightingale, they are all disappearing, and the decline seems to be utterly beyond remedy.  [440​  Man and Earth]

 

 

 

Sources

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1982 234  Dictionnaire critique du marxisme, Éd. PUF, 1982 ( 2.1.1.94, 3.1.1.29 )

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2024 496  Common information ( 4.1.1.1.179 )

Giorgio Agamben

1996 540  Means Without End: Notes of Politics, 2000 ( 3.1.5.163 )

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1956 341  L'Obsolescence de l'homme ( 2.1.2.99, 3.1.5.100 )

1956 342  The Outdatedness of Human Beings ( 2.3.3.70 )

Anonymous

2600-2450 a.C. 394  The Epic Of Gilgamesh ( 2.3.1.85 )

Aristotélēs

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1968 434  Le système des objects, Éd. Gallimard, 1968 ( 2.3.3.109, 3.2.4.1.108 )

1970 478  La Société de consommation, Gallimard, 1970 ( 1.1.124, 1.3.125, 3.2.4.1.126 )

1972 252  For a Critique of the Political Economy of the Sign, Telos Press Publishing, 1981, trad. Charles Levin ( 3.1.2.40 )

1976 396  L'échange symbolique et la mort, Ad hoc translations: ( 3.3.1.0 )

1976 432  Symbolic Exchange and Death, Sage Publications, 1993, trad. Iain Hamilton Grant ( 3.2.8.105, 4.120 )

1986 474  Amérique, Éd. Grasset & Fasquelle, 1986 ( 1.1.123, 1.4.122 )

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1968 536  General System Theory. Foundations, Development, Applications, Ed. George Braziller, 1968 ( 2.3.2.162 )

Amadeo Bordiga

1950 366  Imprese economiche di Pantalone, Ad hoc translations: ( 4.2.77 )

1966 362  Struttura economica e sociale della Russia d'oggi, Ad hoc translations: ( 2.4.3.76 )

Jacques Camatte

1966-1968 327  Le Sixieme chapitre inédit du Capital et l'œuvre économique de Marx [Capital et Gemeinwesen] , dans Invariance, Série I, №2, 1968, 1966-1968 ( 3.2.3.67 )

1972 299  Note du 1972 in Marx et la Gemeinwesen, 1972  ( 3.2.4.3.57 )

1973 466  Déclin du mode de production capitaliste ou déclin de l'humanité ? ( 3.2.8.119 )

1974 323  Ce monde qu’il faut quitter, 1974  ( 1.2.65 )

1975 420  C’est ici qu’est la peur, c’est ici qu’il faut sauter ( 3.1.8.93 )

1976 224  Marx et la Gemeinwesen, 1976  ( 3.2.10.102, 3.2.5.56, 4.1.25 )

1989 347  9. Le phénomène de la valeur, dans Émergence de Homo gemeinwesen, 1989  ( 3.73, 3.1.79, 3.1.2.106, 3.1.3.107 )

1991 283  Gloses en marge d'une réalité VI, 1991  ( 1.3.51 )

1995-1997 253  Forme, réalité, effectivité, virtualité, 1995-1997  ( 3.1.2.41 )

2004 498  Index [Page d’accueil du site Revue Invariance] ( 1.6.140 )

2010-2023 200  Glossaire ( 2.1.3.141516, 2.2.5, 2.3.1.1.11, 2.4.1.18, 2.4.2.19, 3.1.2.13, 3.1.5.2, 3.1.6.9, 3.2.1.7, 3.2.4.1.8, 3.2.9.12, 3.3.1.17, 4.1.1.10104 )

2012 343  Inversion et dévoilement, 2012 ( 2.3.3.71 )

2015 372  12. Le mouvement du capital ( 3.2.10.83, 3.2.6.82 )

2022 514  Précisions au sujet de Capital et Valeur, 11/11/2022  ( 3.146 )

Jacques Camatte & Gianni Collu

1969 291  Transition, dans Invariance n. 8, 1969 ( 2.4.3.89, 3.2.4.3.545589, 3.2.5.55, 4.1.54 )

Cornelius Castoriadis

1986 522  Réflexions sur le «développement» et la «rationalité», dans Domaines de l’Homme. Les carrefours du labyrinthe, II, Èd. du Seuil, 1986 ( 2.3.2.149 )

Giorgio Cesarano & Gianni Collu

1973 486  Apocalypse et revolution, trad. Invariance ( 1.5.133, 3.2.4.3.182, 3.2.6.128129130 )

Gianni Collu

2010 246  Témoignages de Danilo Fabbroni ( 1.2.39 )

Guy Debord

1967 303  La Société du Spectacle, Éd. Buchet-Chastel, 1967 ( 2.1.1.58, 3.1.2.59, 3.2.5.60 )

1978 275  In girum imus nocte et consumimur igni, Film, 1978 ( 1.1.49 )

Joseph de Maistre

1796 335  Considérations sur la France, 1796 ( 3.2.3.69 )

Juan Do­noso Cortés

1849 554  La dictature, 1862 ( 1.7.167 )

T.S. Eliot

1935 261  Quatre quatuors : Burnt Norton ( 2.1.1 )

Euripídēs

428 a.C. 442  Hippolyte, trad. Émile Pessonneaux ( 2.3.3.113 )

Ludwig Feuerbach

1843 454  L’Essence du christianisme ( 1.2.116 )

Joseph Fletcher

1974 566  The Ethics of Genetic Control, Traductions ad hoc: ( 2.3.3.176 )

David Graeber & David Wengrow

2021 430  The Dawn of Everything: A New History of Humanity, Farrar, Straus and Giroux, 2021 ( 1.1.98 )

Marco Iannucci

2018 356  Un percorso nell'essere in comune., Traductions ad hoc: ( 3.1.9.137, 3.2.1.75 )

2018 358  Un percorso nell'essere in comune., Ad hoc translations: ( 4.1.1.175, 4.1.1.1.181 )

Ivan Illich

1982 287  Gender, Pantheon Books, 1982 ( 1.3.52 )

2002 206  La perte du monde et de la chair, Ed. Il Covile, 2002, trad. Instituto Juan de Herrera ( 1.2.20 )

Stefano Isola

2023 460  For good: the new power of artificial reason ( 2.1.2.117 )

Gustav Janouch

1920 582  Conversations avec Kafka, 1951, trad. Bernard Lortholary ( 4.2.184 )

Costantinos Kavafis

1927 214  Anne Dalassène, trad. Marguerite Yourcenar ( 2.4.4.22 )

Ludwig Klages

1913 440  Man and Earth, trad. Joe Pryce ( 3.2.3.111, 4.112, 4.3.110 )

Pëtr Kropotkin

1902 580  Mutual Aid as a Factor in Evolution, Heinemann, 1902 ( 4.1.1.1.180 )

Robert Kurz

2004 334  Farewell to utility value, Ad hoc translations: ( 3.1.2.68 )

André Leroi-Gourhan

1964 484  Gesture and Speech, The MIT Press, 1993, trad. Anna Bostock Berger ( 2.127, 2.1.1.135, 2.4.131132, 3.2.3.136 )

Lotario di Segni (Innocenzo III)

~1195 218  De la misère de la condition humaine ( 2.3.3.23 )

Alasdair MacIntyre

1981 414  After Virtue. A Study in Moral Theory, University of Notre Dame Press, 1981 ( 3.1.2.91 )

Ernest Mandel

1974 260  From Class Society to Communism. An introduction to marxism, Ink Links Ltd, 1977, trad. Louisa Sadler ( 1.1.42 )

Jerry Mander

1978 202  Four Arguments for the Elimination of Television, Ed. William Morrow Paperbacks, 1978 ( 1.2.4 )

Marcus Valerius Martialis

86-102  369  Épigrammes ( 2.1.2.81 )

Karl Marx

1844 239  Manuscrits de 1844 ( 2.2.134 )

1844 240  Economic & Philosophic Manuscripts of 1844 ( 2.1.2.72, 2.4.4.3334, 3.1.36, 4.1.37, 4.1.1.35 )

1844 322  Comments on James Mill, Éléments D’économie Politique ( 2.2.64, 3.1.3.158, 3.1.7.159, 3.1.8.64, 4.1.1.66153 )

1844 548  Critical Notes on the Article:“The King of Prussia and Social ReformBy a Prussian” ( 4.1.165 )

1847 210  Misère de la philosophie. Réponse a la philosophie de la misère de M. Proudhon ( 1.2.21 )

1847 211  The Poverty of Philosophy. Answer to the Philosophy of Poverty by M. Proudhon ( 1.8.53, 3.1.9.95, 3.2.5.80 )

1857–1858  378  Fragment sur les machines, dans Grundrisse ( 3.2.7.84 )

1857 424  Marx-Engels-Werke (MEW) ( 3.2.3.97 )

1858 222  Urtext (Grundrisse) ( 4.1.24 )

1858 223  (Urtext) Second Draft of Critique of Political Economy ( 3.1.7.160 )

1858 388  Fragment des Urtextes von „Zur Kritik der politischen Ökonomie“, Traductions ad hoc: Cercle Marx ( 3.1.10.86, 3.2.10.96, 3.2.3.1013.2.10.32 )

1861 230  Fondements de la critique de l'économie politique ( 4.1.262728 )

1861 236  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie, Traductions ad hoc: Cercle Marx ( 3.2.10.30 )

1861 388  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie, Traductions ad hoc: Cercle Marx ( 3.1.10.86, 3.2.10.96, 3.2.3.1013.2.10.32 )

1861 409  Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie, Ad hoc translations: ( 4.1.170171, 4.1.1.172 )

1867 266  Draft Chapter 6 of Capital. Results of the Direct Production Process ( 3.2.4.2.4445 )

1867 270  The capital ( 1.8.87, 2.4.4.88, 3.2.3.103, 3.2.4.2.46, 4.1.173 )

1879 564  Notes on Adolph Wagner's “Lehrbuch der politischen Ökonomie” ( 4.1.1.174 )

Lewis Mumford

1967 241  The Myth of the Machine, 1967 ( 2.4.3.48, 2.4.3.1.38 )

Robert Musil

1930–1943 354  The Man Without Qualities, London, 1952  ( 3.74 )

Chuck Palahniuk

2005 490  À l'estomac, Éd. Gallimard, 2005 ( 1.8.138 )

Roberto Pecchioli

2024 450  L’homme inutile et l’arche de l’oligarchie, 2024  ( 4.2.115 )

Fredy Perlman

1968 470  Le fétichisme de la marchandise. Une introduction à l’essai de I.I. Rubin sur la théorie de la valeur de Marx ( 3.1.4.121 )

Edgar Allan Poe

1840 526  L’homme des foules, dans Nouvelles Histoires extraordinaires, Éd. A. Quantin, 1884, trad. Charles Baudelaire ( 1.4.151 )

Armand Robin

1946 574  Le programme en quelques siècles, dans Les Poèmes indésirables, Ed. Fédération anarchiste, 1946  ( 4.2.178 )

Marshall Sahlins

1966 (1972) 418  Stone age economics, Aldine Atherton Inc., 1972 ( 1.1.92 )

Carl Schmitt

1959 510  Die Tyrannei der Werte, 2024, Traductions ad hoc: ( 3.1.145 )

Juliet B. Schor

1993 315  Pre-industrial workers had a shorter workweek than today's, dans The Overworked American: The Unexpected Decline of Leisure, 1993  ( 1.1.63 )

Jaime Semprun

1993 307  Dialogues sur l’achévement des temps modernes, Éd. l’Encyclopédie des Nuisances, 1993  ( 1.1.61, 3.1.9.150 )

2003 518  Le fantome de la theorie, 2003  ( 3.1.9.148 )

2005 314  Défense et illustration de la novlangue française, Ad hoc translations: ( 2.4.3.1.62 )

Georg Simmel

1917 544  Aus dem nachgelassen Tagebuch, Ad hoc translations: ( 3.1.7.164 )

Stephen Smith

2022 446  Comment in a forum, Traductions ad hoc: ( 3.2.2.114 )

Alfred Sohn-Rethel

1970 274  Intellectual and Manual Labour. A Critique of Epistemology, Ed. Brill, 2021, trad. Martin Sohn-Rethel ( 3.1.7.155, 3.1.9.47154156 )

1990 282  Das Geld, die bare Munze des Apriori, Ad hoc translations: ( 3.1.7.50157 )

Max Stirner

1845 570  L'unique et sa propriété, Éd. P.V. Stock, 1899, trad. Robert L. Reclaire ( 1.2.177 )

Henry David Thoreau

1854 532  Walden or, Life in the Woods, 1854 ( 1.1.161 )

Alexis de Tocqueville

1840 558  De la démocratie en Amérique, Éd. Pagnerre, 1848 ( 1.7.168 )

Jean Vioulac

2009 506  L’époque de la Technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique, Éd. PUF, 2009 ( 3.2.2.143, 3.2.3.144 )

A.E. van Vogt

1971 462  The Battle of Forever ( 2.3.1.118 )

Simone Weil

1934 550  Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, dans Oppression et liberté, Éd. Gallimard, 1955 ( 3.2.8.166 )

 

 

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Wehrlos, doch in nichts vernichtet
Inerme, ma in niente annientato
(Der christliche Epimetheus
Konrad Weiß)

 


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