ADDENDUM
2010
Cet
addendum se réfère à De la vie et à l’étude
concernant le mouvement psychanalytique[1].
Au
lieu d’apporter d’autres notes - déjà nombreuses - à ces textes, je
préfère, en
me servant, comme fil conducteur, des concepts fondamentaux de la
théorie
psychanalytique de S. Freud, expliciter les précisions qui s’imposent,
et
apporter les ajouts nécessaires. Cet addendum s’impose afin de pouvoir continuer une
investigation de vaste
amplitude visant à mettre en évidence comment les fonctions vitales de
l’espèce
ont été modifiées par la spéciose-ontose dérivant de la répression et
par là, à
mieux fonder le cheminement à la naturalité de l’homme, de la femme.
Dit brièvement
le déroulement naturel des diverses phases du procès de vie a été
fortement
affecté; il fallut donc diverses actions extérieures à celui-ci pour
qu’il
puisse en fait s’accomplir (dynamique thérapeutique sous toutes ses
formes). Cette
intervention est une rupture avec le non-agir qui
opère dans la
naturalité et dans la connaissance de la totalité.
Je
ne
prends pas en compte la psychologie scientifique, qui peut seulement
fournir
des indications utiles sur le fonctionnement psychique, car au même
titre que
les sciences cognitives, elle participe de la dynamique de
recouvrement, si ce
n’est de celle de la répression à l’instar de la logique. D’autre part
cela
n’implique nullement que les phénomènes qui y sont abordés ne relèvent
que de
cette discipline; ils sont susceptibles d’être expliqués d’une autre
façon.
Ainsi de la dissonance cognitive.
«Selon
la théorie de la dissonance cognitive, si une personne est amenée à
faire une
action qui est incompatible avec ses opinions ou attitudes, elle se
trouve
alors dans un état inconfortable de "dissonance cognitive". Cette
dissonance doit être réduite et fournir donc la motivation des actions
futures
de cette personne en vue de la résolution de la tension créée par la
dissonance
cognitive. Une façon de supprimer la dissonance est de se convaincre
que l’on
est après tout d’accord avec ce que l’on a fait (ce qui relève de la
méthode
Coué ou de la positivisation, opérant dans la dynamique du
recouvrement, du non
voir, n.d.r). En d’autres termes, les opinions et attitudes sont
modifiées pour
être cohérentes avec le comportement[2]».
Le
comportement se présente comme ce qui résulte de l’action du milieu
social sur
l’individu, c’est au fond ce qui est le plus immédiatement modifiable
par la
répression. Constamment l’être ontosé se trouve en situation de
dissociation entre
ce que recherche son être naturel et ce qu’exige l’être social,
domestiqué. Pour
échapper à la tension dilacérante, il se met en continuité avec ce
qu’impose le
monde dans lequel il vit, afin de ne pas réactiver constamment
l’empreinte de
la séparation. On peut expliquer ainsi le passage de certaines
personnes de
l’extrême gauche à la droite ou même à l’extrême droite. Elles
recherchent ce
qui les place au mieux en continuité. Comme elles n’ont connu que la
répression
elles choisissent en dernier recours ce qui les met le plus en
conformité avec
celle-ci, adoptant inconsciemment la dynamique de la servitude
volontaire.
1.
Les traumatismes
Venons-en
à notre addendum. L’affirmation concernant l’existence de traumatismes
infantiles, liés à de mauvais traitements, et leur influence
déterminante dans
la vie psychique de tout un chacun devient de plus en plus courante. Je
rappelle qu’elle occupe une place centrale dans la première version de
la
psychanalyse (théorie de la séduction) et qu’elle fut en grande partie
remise
en cause lors de la mise en évidence que les enfants fantasment et,
également,
avec la théorisation au sujet des souvenirs recouvrants, ainsi qu’avec
celle
d’une sexualité infantile. Mais divers théoriciens, dont certains
psychanalystes vont reprendre l’affirmation et l’étayer; A. Janov,
particulièrement, ce qui le conduisit à l’idée d’empreinte. Toutefois
le débat
se poursuit entre ceux qui affirment la réalité des mauvais traitements
et ceux
qui la nient. Parallèlement s’impose de plus en plus l’importance de la
vie
affective non seulement du bébé mais du fœtus et en conséquence la
nocivité
extrême des méfaits qu’ils subissent. Mais la vie intra-utérine est
encore
totalement escamotée puisqu’on est déclaré vivant seulement après neuf
mois
d’existence, lors de la naissance.
À
propos des mauvais traitements je puis citer Louise L. Lambrichs Puisqu’ils
n’en diront rien – La violence faite aux bébés, Ed. Bayard,
2009.
Cette
violence fut autrefois théorisée et revendiquée dans divers traités. En
effet à
la lecture d’abondantes citations de Pensées sur l’éducation
de John
Locke ainsi que de celles de
I. Kant
tirées de Réflexions sur l’éducation et autres
écrits[3],
on
se rend compte de l’importance de l’utilisation des châtiments
corporels mais
aussi psychiques (utilisation de la honte, de la culpabilité par
exemple) dans
l’éducation. La thèse soutenue est qu’il faut intervenir très tôt comme
pour
annihiler l’être naturel actif de tout enfant
vis-à-vis de la mise en domestication, de telle sorte
qu’il accède au
stade de tabula rasa (où tout a été effacé)[4]
afin
de pouvoir lui imprimer les principes de vie en
société. Et ceci
s’opère en une lutte prenant l’allure d’une guerre asymétrique
parents-enfants dont
la responsabilité
est attribuée à ces derniers[5].
Ces
citations nous induisent trois remarques. La première est que J. Locke
et I. Kant
ont prôné l’émancipation,
la sortie de
la minorité mais seulement pour les adultes et en confirmant la
répression sur
les femmes et les enfants, mettant en évidence que dynamique
d’émancipation et
dynamique de répression peuvent aller de pair et que les
révolutionnaires se
sont très souvent adonnés à la répression au nom même de la libération
(c’est
pour ton bien).
La
deuxième est que le
procès de
connaissance est utilisé pour justifier l’errance de l’espèce et de la répression. Le débat sur
l’origine des
connaissances (innées ou acquises) n’a pour fondement que cette
justification et
donc n’a pas d’intérêt, sauf celui de mettre en évidence la spéciose.
Le procès
de connaissance entérine toutes les horreurs.
La
troisième, intimement liée à la deuxième, concerne la genèse du concept
de
conscience. On constate que
J. Locke,
adepte de la répression, en est le principal opérateur de sa mise au
point. Ce
qui confirme bien le rapport étroit entre conscience et répression et
que toutes
deux dérivent de la séparation[6]
Parmi
les citations d’I. Kant faites par Alexandra Barral, j’ai
choisi celle-ci:
« La discipline transforme l’animalité en
humanité. Par son instinct, un animal a déjà tout ce qu’il peut être
[...] mais
l’homme doit user de sa propre raison [...]. La discipline empêche que
l’homme
soit détourné de sa destination, celle de l’humanité, par ses penchants
animaux
[...]. La discipline est ainsi simplement négative, c’est l’acte par
lequel on
dépouille l’homme de son animalité ; en revanche l’instruction
est la
partie positive de l’éducation [...]. Celui qui n’est pas cultivé est
brut,
celui qui n’est pas discipliné est sauvage. Le défaut de discipline est
un mal
plus grand que le défaut de culture, car celui-ci peut se réparer plus
tard ; mais la sauvagerie ne peut plus être chassée.»
(Réflexions
sur l’éducation) Elle exprime bien la haine de la nature qui
est en fait
haine de l’enfance[7].
L’émancipation consiste à sortir de celle-ci, où l’on est inachevé, grâce à une discipline
rationnelle et, par là,
de l’animalité, de la nature.
Pour
ce
qui est de la vie intra-utérine: Thomas Verny, avec la collaboration de
John
Kelly, La vie secrète de l’enfant avant la naissance,
Ed. France
Loisirs, 1982.
D.
Chamberlain apporte également beaucoup d’informations sur la vie
intra-utérine[8].
En
outre il affirme que les jeunes enfants peuvent se souvenir de leur
naissance.
Mais le plus important c’est son insistance à prouver que les bébés are
fully human (sont pleinement humains). Ceci est déterminant
parce que
hommes et femmes se pensant inachevés au départ,
cherchent à se parachever à travers la mise
en place de diverses prothèses, ce qui tend à produire des êtres
totalement
hors nature, artificiels au sens plein du mot. Parallèlement à la mise
en place
de ces prothèses on a eu le développement d’un discours théorique qui a
présenté les étapes suivantes: l’homme n’est pas seulement un animal,
puis
l’homme n’est pas un animal, ce qui est vrai dans la mesure où l’animal
n’est
pas une machine ce à quoi aspire Homo sapiens, et est relayé maintenant
par le
suivant où l’on tend à passer de l’affirmation: l’homme est un être
vivant,
mais il n’est pas que cela, à cette autre: l’homme n’est pas un être
vivant. La
meilleure preuve c’est qu’il ne fait pas partie de la nature.
Ce
n’est qu’en reconnaissant la plénitude de la puissance de l’espèce au
sein du
bébé qu’il est possible d’abandonner insatisfaction et haine de soi, et
la
fascination de la machine.
Dans
un
interview paru sur un site italien[9]:
Qu’est-ce
qui empêche le développement des enfants? Joseph. Chilton
Pearce énumère
les effets néfastes de la civilisation. Tout d’abord l’éducation et une
instruction trop précoce en rapport à une séparation imposée de plus en
plus
tôt entre les parents (la mère avant tout) et l’enfant. À ce propos il
dénonce
la nocivité des écoles maternelles à laquelle nous pouvons ajouter
celle des
crèches. Il fait remarquer: «Plutôt que d’"enseigner" à l’enfant, il
convient de lui assurer un milieu approprié, nourrissant». Il faut en
finir
avec l’interventionnisme rejeton de la répression.
Ceci
a
été précédé dit-il par "l’assistance de la baby-sitter", par
l’accouchement médicalisé, technicisé. «James Prescott a découvert une
parfaite
correspondance entre la cohésion sociale et le mode selon lequel les
enfants
sont portés au monde[10]
et
donc éduqués. Selon Michel Odent, le système immunitaire se fixe à la
naissance
selon une forme immuable selon le rapport que le nouveau-né a avec la
mère. Si
nous interférons dans la mise ne place de ce lien fondamental de la vie
au
moment de la naissance, nous mettons en péril les liens successifs avec
la
terre, la société et avec l’autre sexe (c’est-à-dire avec le lien
fondamentale
de la vie)».
J.
C.
Pearce insiste sur la dégénérescence (concept dangereux car il a servi
et peut
encore servir à justifier la répression sociale) de l’espèce qu’il
perçoit à
travers la généralisation de l’obésité, de l’anorexie, de l’autisme, de
la
sexualité précoce, et, l’on peut ajouter, celle de la violence. Tout
cela
confirme notre affirmation sur l’obsolescence de Homo sapiens et sa
disparition
en cours.
L’essentialité
de la relation entre la mère et le bébé est nettement bien exposée
dans: Mère
et bébé l’un contre l’autre - Du processus d’attachement à
l’appartenance
sociale, W. Maurer, Ed. Le souffle d’or, 2004.
L’importance de la petite enfance, des
bébés ne date pas
d’hier Je donnerai deux exemples. Tout d’abord celui de Charles Darwin
qui, il
ne faut pas l’oublier, avec en particulier L’expression
des émotions
chez l’homme et chez l’animal, est
le fondateur de la psychologie animale, de l’éthologie et
d’une sorte de
psychobiologie qu’on retrouvera dans la sociobiologie comme le note
Frank J. Solloway[11]
qui
nous indique qu’il « fut amené, dés 1838, à proposer
l’"Histoire
naturelle des bébés"[12] comme un sujet fécond pour
les recherches à
venir ». p. 232 Et
qu’il fit comme
Piaget des études
sur ses enfants et
qu’il publia en 1877 L’esquisse biographique d’un petit enfant[13]
. Et, comme le dit le même auteur, il anticipe sur S. Freud
en ce qui
concerne l’importance de la sexualité chez l’homme et la femme comme le
prouve
son ouvrage La descendance de l’homme où la plus
grande partie du livre
est consacrée à la sélection sexuelle. Ce qui tend à signifier que Homo
sapiens
est le résultat d’une sélection sexuelle, ce qui implique qu’il ne fut
pas
passif mais
intervint dans son
"engendrement".
En
1899
Ellen Key écrivit Le siècle de l’enfant [14].
Il y a trois ans grâce à une amie, j’ai pris connaissance de ce livre.
Le titre
me plut et surtout m’intrigua. De quel siècle s’agissait-il, de celui
qui se
finissait ou de celui à venir ? Et pourquoi l’enfant y
serait-il
déterminant. Je n’ai pas eu l’occasion de
le lire et je reste avec mes interrogations. D’après les
quelques
citations qu’en fait François Bochet dans le n° 30 de (Dis)continuité
(p. 333),
je perçois une personne bien imprégnée de répression et qui la
justifie: «Le
bon éducateur ne donne jamais d’ordre qui ne soit fondé; et
il pourra
éventuellement en donner la raison, mais si l’enfant n’est pas
convaincu il
devra cependant obéir, pour cette simple raison qu’il comprendra
certainement:
tous, y compris les adultes, doivent suivre certaines lois, et se plier
à l’inévitable.
Il faut ancrer en les enfants cette grande nécessité de la vie, et nous
y
réussirons sans recourir à des moyens violents, si nous avons commencé
à les
éduquer avant leur naissance en ayant la maîtrise de nous-mêmes et
immédiatement après en ne cédant pas à leurs caprices. » Voilà
un discours
net et précis concernant la
dynamique
répressive : la répression s’impose pour tous, et les adultes
doivent être
à même de la transmettre (d’autant plus que les enfants sont dominés
par
fantasmes et caprices) en recourant aux lois, à la "dialectique des
droits
et des devoirs ", aux ordres, à la fermeté, à
l’autorité qui est une médiation[15]
à la
quelle les adultes recourent parce qu’ils sont impuissants; ce qui est
bien
signalé par l’expression: argument d’autorité. L’impuissance,
inconsciente, surgit
en présence du mécanisme infernal auquel il faut se plier
car il est inévitable.
Revenons
à nos jours. Le texte suivant de Franz Renggli, prélevé sur Internet,
résume
tout ce qui est fondamental sur ce que devraient être les rapports
parents-bébés, puis enfants, en intégrant le rôle du père, tandis qu’en
faisant
ressortir la nécessité de la présence d’autres femmes et hommes, il met
en
évidence la dimension communautaire, perdue, de l’espèce. Or c’est
cette
dimension qui permit la réalisation de Homo sapiens grâce à
l’intégration du
caractère prématuré du bébé consécutif au grand développement de
l’encéphale et
donc du crâne.
«On
trouve chez les mammifères 2 formes de développement de la relation
mère-enfant,
et du développement du petit: les nidifuges et les nidicoles. Chez les
premiers, le petit se déplace dès la naissance comme les adultes, et
suit sa
mère, ou son troupeau où qu'il aille. C'est le cas par exemple chez les
buffles
ou les chevaux. Chez les nidicoles, comme par exemple les souris ou les
chats,
les petits naissent sans fourrure, les yeux fermés, et ils sont
toujours
plusieurs. Ils restent dans un nid, où leur mère les élève.
Par
contre, la situation est tout autre chez les singes, nos proches
cousins: dans
leur cas, c'est la mère qui est le "nid". Le petit s'agrippe avec
les mains et les pieds à la fourrure de sa mère, et il est porté de
manière
ininterrompue pendant la première période de sa vie. Ainsi porté, au
contact
corporel rassurant de sa mère, un petit singe est la plupart du temps
calme. Et
dans le cas où le petit se met à pleurer ou à gémir, sa mère réagit
immédiatement, ce qui est aussi tout à fait sensé au niveau biologique:
si le
petit perd son agrippement d'une main ou d'un pied, il est menacé de
mort, vu
que les singes se déplacent principalement dans les arbres.
L'être
humain a perdu sa fourrure il y a 4-5 millions d'années, lorsqu'il a
quitté la
forêt vierge, et qu'il s'est installé dans les savanes sèches et les
steppes
d'Afrique. Et malgré le temps passé depuis lors, les bébés humains
naissent
encore et toujours avec les mains et les pieds fermés, comme s'ils
allaient
s'agripper " à la fourrure " de leur mère. Les civilisations dites
" primitives " ont cette connaissance et cette intuition de la vie,
et c'est la raison pour laquelle les petits sont constamment portés, et
dorment
contre le corps nu de leur mère pendant la nuit.
Toutes
les personnes ayant eu l'occasion d'observer ces peuples en sont
revenues
surprises de la tranquillité des bébés, visiblement calmés par le fait
d'être
en contact corporel constant avec leur mère ou une autre personne de
référence.
Mais il faut toutefois souligner que dans ces cultures, il y a toujours
10 à 20
personnes qui s'impliquent à s'occuper d'un bébé. On constate chez un
petit
enfant un besoin archaïque de contact corporel, ou, autrement dit, une
peur
archaïque lorsqu'il perd ce contact physique.
Les
civilisations
dites "développées" se démarquent par une séparation précoce et
conséquente de la mère et de l'enfant. La règle veut que plus le degré
de
civilisation est élevé, plus la séparation est précoce et radicale, ce
qui est
visiblement une adaptation émotionnelle à l'aliénation de la vie en
ville.
Ainsi, un noyau de peur et de panique est comme imprimé à l'intérieur
de chaque
être humain. Mais on peut aussi dire que c'est aussi la source
éternelle de
toute notre curiosité pour la technique et notre créativité artistique
: une
beauté à couper le souffle, que nous pouvons admirer, dispersée autour
du
monde.
Dans
les civilisations "développées", les mères et les enfants sont
séparés depuis des millénaires. C'est n'est que dans les années 1970
que les
mères de notre culture ont recommencé à allaiter leurs enfants, à les
porter
davantage, et même de les accepter dans leur lit pendant la nuit, selon
les
circonstances. Les enfants peuvent maintenant à nouveau être rassurés
au
contact de leurs parents. Et ce serait l'idéal si non seulement les
parents
pouvaient s'entraider pour cela, mais qu'encore au moins 10 personnes
pouvaient
contribuer à les décharger dans cette tâche, comme dans les cultures
primitives. Car plus le lien entre l'enfant et sa mère est solide, plus
l'enfant est rapidement prêt à créer des relations à d'autres
personnes. Un
éloignement millénaire des mères et des bébés est en train d'être
transformé
par des parents alternatifs: on offre de nouveau au bébé la proximité
dont il a
besoin et qu'il souhaite ardemment. Ce "processus de guérison" est
déjà si avancé, que, dans les cliniques progressistes, on ne sépare
plus les
mères des nourrissons après la naissance.
Est-ce
que la mère, ou les parents, n'est pas dépassée émotionnellement par ce
processus ? Car, en tant que bébés, une telle proximité était
interdite. Tout
d'abord, une maman ne devrait porter son bébé qu'autant que cela lui
paraît
bon, et qu'elle le supporte physiquement. Ensuite, elle devrait
chercher autant
d'aide extérieure que nécessaire. Pour le bébé, à quoi sert-il d'avoir
une
maman qui est toujours là pour lui, et s'effondre, "dépressive ", à
la fin de sa première année ? On peut dire que la tâche principale, la
plus
importante de la mère réside dans le fait de bien s'occuper
d'elle-même, et, en
quelque sorte, d'être une bonne mère envers elle-même. Si elle se sent
bien, le
bébé le ressentira aussitôt.
Mais
il
reste encore un troisième aspect à considérer: les parents d'un bébé,
dont les
vieux traumatismes et vieilles blessures se sont réveillés, parfois
même déjà
pendant la grossesse. C'est leur propre "bébé intérieur" qui pleure,
car en tant qu'enfants, ils n'avaient pas le droit de pleurer, de
crier. De
tels parents ont la chance de pouvoir ainsi découvrir toutes leurs
anciennes
blessures, associées à de la tristesse, du désespoir et de la colère,
et de
s'en libérer. Ce "bébé intérieur " qui pleure est réveillé par leur
enfant qui pleure. Ces parents ne veulent plus éduquer leurs enfants,
mais ce
sont les enfants qui deviennent les "enseignants " des parents. Et en
tant que thérapeute de bébés et de leur famille, je voudrais encore
insister
sur ce point : chaque larme pleurée par le bébé au contact corporel de
sa mère
ou de son père est synonyme de guérison. Mais il s'agit aussi d'une
guérison
potentielle pour les parents eux-mêmes, s'ils parviennent à s'écouter,
à écouter
leur propre corps, à reconnaître et à accepter ce que les pleurs de
leur bébé
réveillent en eux. C'est ainsi que l'on peut dire qu'un petit enfant
est une
chance énorme pour les parents de se guérir eux-mêmes ! Il est
cependant
important dans ce processus, que la mère et le père puissent se
soutenir
émotionnellement l'un l'autre, ou qu'ils puissent l'un et l'autre
mobiliser les
ressources nécessaires: amitiés, activités, créativité ou spiritualité,
qui
leur donne de la joie, leur permettent de retrouver des forces ou de
redonner
un sens à leur vie.
Un
dernier mot concerne les bébés qui pleurent beaucoup, et qui mènent
ainsi leurs
parents parfois au bord de l'épuisement. Les bébés souffrant des
coliques des 3
mois, ou d'autre maladie, les bébés dont la grossesse a été difficile
ou la
naissance pénible. Les parents de tels enfants ne doivent pas essayer
de tenir
le coup plus longtemps, et attendre que les pleurs de leur enfant
diminuent peu
à peu et finalement s'arrêtent. Ces parents ne doivent pas avoir honte
d'aller
rechercher de l'aide de professionnels, pour eux et pour leur bébé.
Souvent, il
suffit d'une première consultation pour apporter une amélioration
importante
pour les bébés comme pour les parents». (Les bébés veulent
être portés,
Franz Renggli, Basel, 25.04.2001)[16].
À
partir
de ce texte on comprend encore mieux tous les méfaits de la relation
mère
enfant depuis des millénaires, conséquence de la séparation de Homo
sapiens
avec le reste de la nature. Les progrès de la civilisation sont en
rapport
constant avec la régression de la naturalité de cette relation. Les
conséquences négatives se sont sommées à travers les âges et débouchent
actuellement sur la dissolution de l’espèce.
Ce
qu’expose F. Renggli, je le répète, est une merveilleuse confirmation
de la
thèse avancée depuis toujours que Homo sapiens est un animal
communautaire,
c’est une donnée biologique, une supra adaptation qui lui permet de
surmonter
ce qui, la prématuration, pourrait sembler (et est vécu, en tant que
tel, par
hommes spéciosés et femmes spéciosées) comme un handicap énorme, les
prédestinant à toutes sortes de conduites pour compenser une
infériorité,
parfois vécue comme une ratée.
J’ajoute
que le mode de porter le bébé implique un face à face qui permet de le
voir et
d’être vu, de lui parler sollicitant son écoute
lui permettant de vérifier la réalité de sa présence au
monde. En
revanche l’utilisation des poussettes introduit une immense
distanciation.
Pousser peut signifier mettre hors de, hors du monde naturel, hors du
topos
familial, du monde familial, etc. Dans un premier temps parents et
enfant se
faisaient face et il y avait une possibilité de continuité, mais aussi
de
surveillance (la répression n’est jamais loin); la confiance en la
technique
n’était peut-être par encore totale. Quand, à présent, les enfants sont
placés de
dos, il y a séparation avec confiance en la technique (rien d’ennyeux
ne peut
arriver). L’enfant est carrément poussé
vers l’extérieur et ça c’est cohérent avec la théorisation
que l’être se
construit, qu’il n’a pas d’essence, qu’il est un projet. Le pousser
c’est
faciliter sa mise en projet, et ce qu’il a devant (le domaine de
consommation,
épiphanie du capital) peut jouer le rôle d’attracteur, ce qui le
prépare bien à
devenir un adepte du coaching[17].Résumons: porter c'est opérer ensemble; pousser, c'est se séparer.
Revenons
aux traumatismes en citant, en traduction italienne, L’origine
della paura. I
miti della Mesopotamia e il trauma della nascità, Roma, Ed.
scientifiche
Ma.GI 2004.
(L’origine de la
peur. Les mythes de la Mésopotamie et le drame de la naissance).
À leur
propos une investigation sur les représentations non seulement écrites
mais
picturales de ces mythes comme de ceux de la conception apporterait
beaucoup de
précisions à notre connaissance du vécu de ces deux phénomènes. En
outre je me
pose la question: à partir de quand trouvons-nous des représentations
picturales de ces phénomènes et, pour ce qui concerne le paléolithique
quel
rapport peut-il y avoir avec les statues dénommées vénus. ?
Les
traumatismes n’existent pas en tant que tels, comme cela apparaît le
plus
souvent dans les exposés des psychologues ou de divers spiritualistes
qui les considèrent
comme des épreuves dans la formation de l’individu, pouvant aller
jusqu’à
considérer qu’ils constituent des chances pour le développement de
celui-ci[18].
Ils
dérivent du comportement des parents au cours de l’accomplissment de
leur
procès de vie qui est déterminé par la sexualité. Pour bien saisir
l’importance
de celle-ci il faut l’envisager d’un point de vue paléontologique. Elle
s’imposa il y a peut-être un milliard d’années en tant que phénomène
d’union de
deux noyaux (une symbiose), leur fusion et donc la réalisation d’une
grande
continuité, et en tant que phénomène de résistance à de mauvaises
conditions de
milieu. Le zygote résultant de l’union (fécondation) étant un
«organisme»
résistant qui – comme on peut le constater chez des êtres vivants
actuels - lorsque
les conditions redeviennent favorables se développe en subissant une
réduction
chromatique, donnant naissance à un organisme haploïde. La sexualité
apparaît
donc avant les sexes résultat d’une longue évolution ultérieure et la
coexistence chez un même individu de deux types de cellules: somatiques
et
germinales, ces dernières se trouvant regroupées dans un appareil
génital
particulier à chacun des sexes. Dés lors pour qu’une union des noyaux
soit
possible - fondement de la sexualité - une foule de phénomènes devront
intervenir dont l’ensemble forme la sexualité.
En
nous
limitant au cas de Homo sapiens s’imposent le développement du zygote,
celui du
fœtus (utérogestation), la parturition, l’haptogestation et tout le
développement de l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne la maturité
sexuelle et
donc soit à même de s’accoupler avec un être de sexe complémentaire.
Mais ceci
nécessite à son tour non seulement chez Homo sapiens, mais aussi chez
les mammifères
et les oiseaux, des phénomènes incluant une dimension esthétique comme
l’a
montré Ch. Darwin - le beau est ce qui fait accéder à la continuité –
et une
dimension psychique qui, au niveau de Homos sapiens, prend une ampleur
considérable
car elle doit assurer la continuité non seulement entre les géniteurs
mais
aussi entre tous les membres de la communauté afin que l’haptogestation
puisse
se réaliser (prise en charge des enfants par tous les adultes). C’est
pourquoi
la jouissance a une telle importance et implique que sa visée puisse
être
séparée de la visée reproductive; l’acte sexuel permet le maintien de
la
continuité. Toutefois cette dimension psychique sera de plus en plus
parasitée
par les déterminations sociales. Autrement dit toutes les phases du
procès de
vie sont déterminées par la sexualité.
Grâce
à
toutes ces phases, se réalisent, non seulement la reproduction des
individus et
donc de l’espèce - un homme, une femme s’est reproduit, reproduite dés
lors que
leur fils ou leur fille est à son tour apte à se reproduire - mais
également la
multiplication des composants de l’espèce comme le prouve à suffisance
la
surpopulation, qui n’est pas récente, des hommes et des femmes. Voilà
pourquoi
on peut parler de reproduction sexuée (procréation), forme de
reproduction qui
contient comme moment fondamental, déterminant, la sexualité. Ce qui
s’oppose à
la reproduction végétative, qu’il vaudrait mieux appeler reproduction
végétale,
car le premier terme est souvent péjoratif, alors que l’autre indique
qu’on le
trouve dans le règne végétal; reproduction qui s’opère à partir de
cellules
somatiques.
On
comprend dés lors que la sexualité soit la fonction vitale fondamentale
porteuse
d’un grand nombre de traumatismes. Fonction de continuité, elle subit
au cours
des millénaires une fragmentation dissociation importante (et une
réduction
intense) et les éléments dissociés tendent à s’autonomiser pour
finalement
alimenter une vaste combinatoire sexuelle. Séparation entre les sexes,
entre
enfants et parents, entre procréation et jouissance puis, au niveau de
l’allaitement, posant la mère, puis la nourrice,
remplacée ultérieurement par un animal (élevage), mais séparation aussi
dans l’acte
de procréation, dans la gestation, etc. La dissociation a permis la
réduction
et un dépouillement de telle sorte que la sexualité a été réduite à
l’acte
sexuel, lui-même perverti, à ce qui est nommé curieusement le «sexe» [19].
Les
organes copulateurs, qu’on ne doit pas montrer, sont chargés de
l’opprobre que
l’on inflige à la fonction fondamentale de la vie. Ce qui est compensé
par la
pornographie, exhibitionnisme de sexes, excès délirant, et voué à
l’échec,
d’exhiber ce qui fut perdu. Le transfert d’éléments faisant partie de
la
sexualité est venu nourrir la dynamique mystique comme J.J. Rousseau le
fit
remarquer il y a déjà longtemps, surtout à cause, ajouterai-je, de la
possibilité d’accéder à la continuité. Ainsi la sexualité est réduite à
une
pratique qui peut être enseignée, à un exercice, à un devoir. Comment
ne pas
naître perturbés, marqués par un tel mode de vivre!
La
sexualité tend à être ramenée à l’acte copulatif seul, mais cette
réduction ne
peut pas abolir le phénomène déterminant de l’union des noyaux de
l’ovotide et
du spermatozoïde. D’où le développement de la contraception, de
l’avortement. En
outre la peur de l’autre conduit à la remettre en cause: le clonage,
avec, en
plus la recherche d’une immortalité par sommation successive de clones.
L’accès
à une multiplication végétative[20]
abolit la dimension
de l’autre, la
souillure, et donc toute possibilité d’affectation. Enfin la sexualité
en tant
que relations entre êtres de sexes différents tend de plus en plus à disparaître remplacée
par diverses méthodes
de procréation artificielle dont le parachèvement est la mise au point
de
l’utérus artificiel. Êtres humains et féminins sont de plus en plus
connectés,
rarement en contact, encore moins en continuité.
Cette
intense réduction induit un phénomène compensateur: la sexualité
devient sous
forme abstraïsée un opérateur déterminant et envahissant - parce qu’il
intervient dans toutes les sphères de l’activité des hommes et des
femmes –
dans la réalisation de la combinatoire se manifestant à travers la
publicité,
l’affichage de la spéciose [21].
A
partir des travaux de S. Freud la mise en évidence des perturbations
apportées
aux phénomènes sexuels par suite de ce que je nomme la spéciose s’est
amplement
développée. Ceux d’Otto Rank montrèrent que les traumatismes ne se
limitaient pas
à la petite enfance mais concernait la naissance elle-même. À la suite
de
Lietaert Peerbolte (qui reprit des travaux de Nandor Fodor)[22]
et
d’autres théoriciens dont nous ne connaissons pas les travaux, on est
amené à
considérer que non seulement ils affectaient la vie intra-utérine mais
également la formation des gamètes. En conséquence on peut essayer à
partir de
ces travaux de se représenter les perturbations subies au cours de
l’ensemble
du phénomène sexuel. Je précise que L. Peerbolte s’appuie sur une vaste
étude des rêves de
ses patients et
patientes. Il est difficile de vérifier la justesse de l’existence de ces traumatismes mais
on peut se rendre
compte s’ils sont possibles
dans la
mesure où ils sont compatibles, cohérents, avec le vécu total du
patient, s’ils
sont aptes à induire la compréhension de son ontose. À mon avis la
démarche de
L. Peerbolt est tout à fait juste. Je pense, en utilisant son étude et
en
mettant en évidence les moments de crise possibles déterminés par les
perturbations dans les relations homme, femme, montrer comment
s’implantent des
troubles profonds. Autrement dit on peut considérer divers moments où
des
traumatismes peuvent être déterminants. Ils sont transmis
"mémoriellement" aux stades suivants et, par le rejouement, peuvent
être amplifiés et peuvent devenir
perceptibles même au niveau de l’adulte qui peut essayer
de s’en
libérer. Toutefois pour parvenir à inactiver l’empreinte, il serait
nécessaire
de régresser jusqu’à l’origine. Et là s’impose le rapport avec les
générations
antérieures.
Je
vais
donc procéder ainsi en commençant à exposer à quels moments de leur
formation
les gamètes peuvent être affectés. Commençons par le gamète femelle que
L.
Peerbolte a surtout étudié.
L’ovogenèse
commence durant la vie intra-utérine à partir d’ovogonies qui subissent
une
phase d’accroissement et deviennent des ovocytes I (cellules à 2N
chromosomes)
qui vont subir la méiose qui s’arrête très tôt
à la prophase de la première division de celle-ci,
exactement au stade
diplotène où les chromosomes sont enroulés les uns autour des autres.
La méiose
reprendra à partir de la puberté et l’ovocyte I va parachever sa
division.
Toutefois ceci s’effectue en connexion avec la formation du follicule
de De
Graaf qui, à maturité, contient un liquide, le liquide folliculinique.
La
première division réductionnelle (du nombre de chromosomes) aboutit à
la
formation de deux cellules de taille différente, une petite le globule
polaire
I, une grande l’ovocyte II. Celui-ci subit la seconde division (ainsi
que le
globule polaire I) mais elle s’arrête au stade de la métaphase et l’on
dit
qu’on a affaire à l’ovocyte II bloqué en métaphase. En fonction de ce
que vit
la femme, et son vécu est dépendant de ses relations avec son entourage
particulièrement avec son conjoint (l’homme avec qui elle est en
relation
d’amour), ce blocage peut-être le support de diverses perturbations.
Ainsi
celui de vivre l’indécision, l’inchoation ou maintien dans
l’intentionnalité,
ou résorption de celle-ci, qui vise normalement un début et une fin,
est la
«source» de l’éternité spéciosique? En effet d’après Grégoire de Nysse
l’éternité «c’est ce qui n’en finit pas de commencer» c’est une
attente, et en
paraphrasant Saint Augustin, on peut dire l’éternité est une longue
attente de
l’éternité. Autrement dit celle-ci résulte d’un télescopage des
extrêmes: fin
et commencement, où l’un et l’autre se nouent empêchant, effectivement,
un
devenir[23],
éternisant le présent. L’attente c’est ce que vivra l’enfant avec
intensité,
une attente qui ne commence pas d’en finir et qui le fixe dans un
présent dont
il voudrait s’échapper.
L’inchoation
peut se représenter aussi de façon spatiale: c’est comme s’il y avait
un seuil
indéfini, qui s’étale au fur et à mesure qu’on le franchit, que l’on
est dans
l’acte de le franchir.
L’inchoation
a une affinité avec le chaos, ce
qui ne
peut pas s’organiser et commencer à devenir[24].
Elle en a de même avec l’inanité du fait qu'il y a télescopage du début
et de
la fin, posant: à quoi bon
faire? Dés
que posé c’est épuisé. En conséquence elle est aussi en rapport avec
l’inhibition où, très souvent, un tel télescopage s’impose.
L’inchoation
est comme un refus non conscient (refoulement d’une souffrance
virtuelle) du
devenir potentiel appréhendé comme recélant une menace. Elle peut
inclure,
potentiellement, l’anticipation qui s’impose très souvent comme une
conduite
préventive par rapport à quelque chose de redouté.
À
ce
stade de nôtre étude nous pouvons percevoir le rapport avec la
retenance.
Celle-ci s’impose lors de la coupure de continuité et engendre la
rétention
(cf. thèses 73, 74, ,75 de Surgissement de l’ontose). Elle
est due au
fait que pour ne pas perdre notre substance, nous essayons de
l’intégrer au
plus profond de nous. Une fois l’intégration réalisée s’impose
l’inchoation:
comment à partir de là commencer un procès?
Par
la
suite, le devenir de l’inchoation se prolonge en quelque sorte dans
la procrastination qui réimpose l’attente, celle du moment
favorable, le
kairos, de l’être sauveur, etc., ce qui est une base pour la dynamique
du
rejouement.
Ce
peut
être aussi le moment d’un refus de la dépendance puisque l’évolution
ultérieure
de l’ovocyte II dépend de la rencontre des spermatozoïdes: l’un d’eux
permettra
la reprise de la division aboutissant à la formation d’un deuxième
globule
polaire (petite cellule) et d’une ovotide, cellules à seulement N
chromosomes[25].
Le
refus de la rencontre avec le spermatozoïde et la volonté de faire
seule, le
refus de l’affectation est le support selon L. Peerbolte du désir
d’immaculée
conception et, j’ajouterai, de la théorie de l’émanation: le nouvel
individu
n’est pas engendré-e, mais résulte d’une émanation[26].
Une pause
s’impose où
loger une précision. L'affectation de l'ovocyte II peut être effective
et
mémorisée et cette mémoire est traduite à chaque phase du processus
ontogénique, puis au niveau de l'être né. Il ne s'agit pas de
naturalisation d’une
donnée psychique recherchée dans l’ontogenèse car, à la base le
phénomène est justement
d'ordre psychique, résultant lui-même d'une relation d'homme à femme.
En
dernière analyse le phénomène d'inchoation peut s'enraciner dans le
"blocage" de l'ovocyte II, de même celui de l'immaculée conception
dans un refus de l'homme de la part de la femme qui affecte l'ovocyte
II ce qui
n'implique pas la réalisation d'une parthénogenèse mais peut servir de
fondement au désir de celle-ci.
Il
est
évident que l’individu qui vit un blocage peut se servir de l'ovocyte
II pour
le signifier mais ce faisant ne traduit-il pas simultanément dans sa
langue ce
qui a été perçu au niveau cellulaire et engrammé (mémorisé) grâce à des
substances biochimiques? Dans tous les cas ce qui est déterminant c'est
l'appréhension que vit la femme, son rejouement de l'inchoation. Cela
implique
également que le phénomène biologique puisse ne pas être affecté. En
conséquence l'individu n'accèdera pas à la perception de l'éternité
spéciosique, mais il pourra la concevoir.
Se
dévoile donc pleinement la nécessité d’atteindre l’élément émotionnel,
affectif support
d’un embryon de pensée, car
c’est là-dessus que se fondent les
élaborations ultérieures pouvant engendrer des fantasmes, et parce que
c’est le
support de la nostalgie se développant sur ce qui n’est pas atteint,
sur un
en-deça, manifestant la brisure de continuité. Or pour être présent dans notre dimension
individuelle il faut
être "continu" depuis le début, c’est-à-dire depuis l’émergence qui
aboutira à la conception ? Autrement dit, si au cours de
celle-là les
phénomènes ne se déroulent pas de façon continue et sont chargés
d’éléments
étrangers dus à diverses affectations, il ne peut pas y avoir accès à
la
continuité. Les différentes parties affectées constituent pour
l’individu
adulte autant de points de discontinuité, autant de points
d’interrogation sur
ce qu’il est ou, s’il extériorise et compense, sur ce qu’est le monde.
Mais
la
sortie de l’ovocyte II du follicule de De Graaf peut-être également le support d’une
affectation positive, comme
le signale L. Peerbolte. «L’œuf sort de l’ovaire et attend
tranquillement que
quelque chose advienne. Selon la terminologie de Freud nous avons
affaire avec
le sentiment océanique.
L’ovule a la
sensation de flotter sur une immense superficie d’eau et simultanément
de faire
partie de cette eau. On ne peut certes pas parler de conscience réelle.
Il
existe seulement une expérience de l’infinité et, de la part de
l’ovule, une
sensation de faire partie de cette infinité. Cette expérience est
souvent
représentée dans les rêves par des étendues d’eau et les notions de
collectivité, de groupe, de communauté, etc., suggèrent
clairement une expérience ovarienne
correspondante, en conséquence une expérience du temps précédent
l’ovulation»[27].
À
mon
avis le sentiment océanique est en fait celui d’une participation sans
fusion, la
sensation d’être en continuité. L’ontose nous empêche de vivre cela de façon non sporadique
car l’être naturel
est en fait au point sur l’éternité.
D’après
L. Peerbolte il n’y aurait pas de phénomène de remémoration en ce qui
concerne
le spermatozoïde Plus exactement on n’a pas encore d’indication sur un
souvenir, mais l’empreinte du vécu, non pas d’un spermatozoïde, mais
des
spermatozoïdes est à mon avis fort possible et très importante. Je dis
bien des
spermatozoïdes car la fécondation
ne
peut avoir lieu sans l’intervention d’un grand nombre de ceux-ci. On
peut
évoquer comme exemple de possible revécu de la saga des spermatozoïdes:
les mannerbunde,
groupements d’hommes opérant dans un but commun qui les "soude" en un
tout sans perdre de leur individualité, la quête du graal, de la femme,
les
diverses chevaleries. Dans tous les cas il y a un but commun dont
l’accès
implique un devenir à la transcendance. Il est intéressant de noter que
ce
phénomène de regroupement - sorte de dynamique d’initiation - s’opère à
l’adolescence au moment où se réimpose cette quête de la bien-aimée, du
bien-aimé. Diverses affectations peuvent faire en sorte que s’impose
une
autonomisation comme pour l’ovocyte II et alors c’est la quête en
elle-même qui
devient essentielle et cela permet de justifier un rejet de la mère, de
la
femme. Un même phénomène advient avec les pèlerinages où le but
affiché,
indiqué du pèlerin
devient secondaire
sinon évanescent, pour devenir celui de l’accès à soi. Autonomisation
et
enfermement.
Le
fait
que les spermatozoïdes ont quitté leur demeure, leur heimat, induit
qu’ils
peuvent être - dans le cas où il n’y a pas harmonie entre l’homme et la
femme -
le support pour éprouver le sentiment
de
se trouver en terre étrangère, d’être en exil. L’impossibilité d’un
retour en
arrière, car il y a le vide, implique la nécessité d’aller de l’avant,
à contre
courant, mais aussi la transcendance pour retrouver son origine. Et là
se
trouve l’enracinement de la nostalgie, phénomène qui peut être aussi en
connexion avec un vécu de l’ovocyte II engagé dans l’oviducte et
"regrettant"
le calme et la sécurité de la communauté de l’ovaire. Dans les deux
cas, mais
peut-être plus fortement dans celui du spermatozoïde, être c’est se
souvenir,
car le souvenir assure la continuité.
Les difficultés pour remonter les voies génitales peuvent être à la base d’une empreinte de lutte pouvant être au fondement, chez les hommes onto-spéciosés, du terrible amour de la guerre, selon le titre du livre de James Hillman.
La
réalisation de l’acte sexuel lui-même est, avons-nous dit, porteuse de
charges
qui peuvent affecter les gamètes. En effet elle consiste le plus
souvent en
libération de tensions et rarement en une union vibratoire. La notion
de
pénétration implique une certaine agressivité qui serait l’apanage de
l’homme,
le partenaire actif, tandis que la passivité serait celui de la femme,
alors
que, naturellement, il s’agit d’un acte synergique où, comme l‘expose
fort bien
L. Peerbolte, la femme absorbe le sexe de l’homme qui l’introduit en
elle, ce
qui initie la série des contractions musculaires rythmiques qui
enserrent le
pénis et provoquent son accroissement, gonflement, engendrant la
plénitude chez
la femme et chez l’homme. C’est l’expression chez l’une et chez l’autre
d’un mouvement
spontané mais conscient, impliquant par suite des contractions du
muscle
vaginal comme une réactualisation de celles de l’oviducte en rapport au
zygote,
et de l’utérus en rapport au fœtus[28]
qui
opéreront par la suite comme
elles le firent
auparavant dans
l’ontogenèse des deux
amants.
L.
Peerbolte signale que chez les femmes où ces contractions musculaires
ne se
présentent pas s’impose
une impression
de vide, d’inaccomplissement, d’insatisfaction qui peut avoir une
répercussion
sur l’ovocyte II.
Le
mouvement du rapport sexuel a un rythme lié à la respiration et se
présente
comme un mouvement spontané, naturel, involontaire mais conscient qui a
une
dimension de régénération, de même que le phénomène de la pensée en son
immédiateté est aussi involontaire et conscient; d’où, en ce sens R.
Descartes
a raison: je pense donc je suis[29]
et,
d'ailleurs, on pourrait renverser sa proposition et dire: je suis
donc je pense, avec la même légitimité. Du fait du caractère non
volontaire du
phénomène, il s'impose comme la révélation d'une évidence.
Il comporte des vibrations,
une rythmicité, en
relation avec la
nature, au cosmos; réalisant comme une recharge à travers la continuité.
Ce
mouvement est en connexion avec celui vibratoire au niveau cellulaire
et avec
tout ce qui vibre en la nature et le cosmos et c’est la réaffirmation
de la
continuité tant dans la dimension spatiale que temporelle (rejouement
du
phénomène initial d’il y a des millions d’années) qui potentialise le
couple[30]
car
il a une dimension de régénération. L’acte onto-spéciosé, du fait de la
mise en
branle de tensions est au contraire générateur de fatigue, d’un certain
épuisement après le coït, d’autant plus que ces tensions se réimposent
à la
suite de remontées inconscientes, accapareuses elles-mêmes d’énergie.
Un acte
d’union totale et un acte où la dimension agressive est plus ou moins
importante ne peuvent pas avoir le même effet sur les gamètes et leur
cheminement.
La
sexualité en tant que fonction de continuité ne concerne pas seulement
les
organes génitaux mais l’intégralité de l’individu, c’est-à-dire de
l’ensemble
perçu et pensé le plus souvent dans la séparation: cerveau et corps. Les
organes génitaux sont des lieux d’émergence de cette jouissance, qui
rayonne
dans tout l’être, comme l’encéphale est le lieu d’émergence de la
pensée
engendrée par l’ensemble de l’être humain, féminin, et rayonne en nous à partir de là.
Pour
pleinement se réaliser cette fonction de continuité nécessite
l’intervention de
la vison, de l’audition (écoute) de la parole, de la respiration. A
propos de
la vision je rappelle que selon l’étymologie du mot sexe proposée par
G.
Semerano c’est ce dont la vue suscite le désir, la mise en branle de
l’amour et
de la mise en continuité. En revanche la plupart du temps chacun opère pour soi (masturbation à
deux) tout en étant
avec l’autre tandis que s’impose le fantasme du mâle qui doit faire
jouir la
femme.
C’est
par le sexe que nous différons hommes
et femmes, et la connaissance implique de voir le sexe. Voilà pourquoi
les
enfants ne sont pas préoccupés par la sexualité, plus précisément par
l’acte
sexuel comme le pensait S. Freud, mais par la différence des sexes. En
voyant le
sexe de la petite fille, le petit garçon perçoit le sien propre (la
réciproque
est certaine) et parvient à la "perception
de la dyade
homme-femme"
et à éviter de sombrer dans le "narcissisme".
Ceci
explique pourquoi
durant la gestation
(surtout en phase finale) les relations sexuelles, en tant que
décharges de
tensions, peuvent être fortement préjudiciables au fœtus et laisser des
traces.
La
nécessité de la continuité s’impose même après la fin de la phase
reproductrice, en conséquence les relationnelles sexuelles persistent.
C’est
au cours du déplacement des gamètes dans les voies génitales que ce que
Nandor
Fodor nomme la
recherche du bien aimé, de
la bien aimée, trouve son fondement originel et qui a pour
aboutissement la
fusion des noyaux: la conception.
Elle implique l’union de l’homme
et de la femme
afin que se réalise cette fusion avec intégration de ce qui vient de
l’un et de
l’autre. C’est là que se révèle la toute puissance de l’amour vécue
comme une
immense énergie (ce qui recèle l’aptitude à produire une effectivité)
permettant
la réalisation de la continuité.
Pour
cela tout doit être attirance,
attraction, ce qui implique le développement d’une grande affectivité
ainsi que la
participation totale e chacun des partenaires.
Les
gamètes provenant d’êtres fortement
perturbés psychiquement peuvent être lestés d’une grande ambiguïté, et
la
recherche ne peut pas se dérouler dans l’évidence de sa nécessité.
Le
désir de fusion n’est pas de s’unir à la mère, ceci relève de la
confusion,
mais il s’agit du phénomène de la conception, car là se réalise
effectivement
une fusion et c’est une nécessité "implacable" du phénomène vie. Sans
la fusion l’ovocyte II meurt, de même pour le spermatozoïde. C’est la
réactualisation de ce qui fut à l’origine de la sexualité: la fusion de
deux
noyaux de cellules différentes. Là aussi ce fut absolument nécessaire
pour
pallier à des conditions de vie défavorables mettant en cause l’être
vivant. Ce
phénomène se reproduit encore de nos jours pour des êtres haploïdes
lorsqu’ils
rencontrent des conditions similaires[31].
La
perte de souvenirs bien antérieurs à la naissance condamne à
se fixer à un stade inadéquat et ceci est en liaison avec
l’idéalisation de la
relation à la mère et au mythe d’une époque heureuse irrémédiablement révolue
et non réactualisable.
Des
difficultés ambiantales de la vie courante peuvent être revécues comme
support
d’une menace. Dés lors la fusion au sein d’un grand tout semble être la
solution, mais c’est en réalité la perte de toute individualité, ce qui
d’une
certaine façon est la réalisation de la menace qu’on voulait éviter.
C’est la dynamique
où l’on croit qu’on déjoue alors qu’on rejoue.
On
comprend également que la formation de la membrane de fécondation soit
un
support pour indiquer un désir d’isolement, du refus des autres. Pour
se
protéger on s’enferme et on régresse vers le follicule, le zygote ou
l’utérus
où l’on peut revivre un blocage.
La
conception s’affirme comme l’acte
fondamental, à la fois point d’arrivée du devenir des gamètes et donc
de
l’union d’un homme et d’une femme elle-même précédée d’un dynamique de
recherche de continuité, et point de départ de la formation d’un nouvel
être.
La vie de tout homme, de toute femme commence à la conception et non à
la
naissance. Avec celle-ci on a l’apparition[32],
la manifestation de ce à quoi a abouti un procès non visible – sinon
par des
moyens techniques dont l’utilisation est préjudiciable à l’embryon, au
fœtus –
qui s’est déroulé dans l’utérus. Ainsi en privilégiant la naissance on
occulte
toute une phase de notre vie absolument déterminante et l’on se rend
inapte à
s’atteindre dans notre continuité, dans notre essence. Mais ce qui a
été
occulté à la suite de refoulements multiples en rapport à des
souffrances
surtout au moment de la naissance, hante hommes et femmes. D’où le
besoin
impérieux de dire qui prend pour support le monde, le cosmos pour en
déclamer
l’origine. Une grande partie des récits produits dans les diverses
aires
concernent des faits qui ne peuvent pas être exprimés immédiatement
mais par un
détour, une autre concerne ce que l’espèce aimerait réaliser, ses
idéaux en
quelque sorte qui est en contradiction totale avec ce qu’elle fait –
expression
de sa schizophrénie. De telle sorte que dans une dynamique de
libération-émergence nous ne pouvons nullement prendre appui sur un
événement historique
quelconque d’une certaine ampleur, mais sur des récits qui ne sont pas
indemnes
de spéciose.
Retournons
à la conception et indiquons que dans Cosmogony and
Conception: A Query,
F.B. Kuiper[33]
prouve que les mythes cosmogoniques concernent en fait la conception.
Il signale
l’importance du mythe cosmogonique dans ce qui est désigné religions
primitives. À ce propos il cite Mirca Éliade qui dit que le créateur,
une fois
la création achevée se retire et devient un deus otiosus.
À travers ce
retrait du dieu se dit l’oubli de la fécondation qu’il faut tout de
même
exposer. Ils concernent également le vécu des gamètes avant la
conception et,
pour affirmer cela, F.B. Kuiper s’appuie sur les travaux de N. Fodor et
de L.
Peerbolte dont nous avons parlé. Mais ce qui me semble le plus
intéressant pour
notre propos c’est la partie de l’œuvre consacrée à l’ouvrage d’un
théoricien
hollandais, Striker, qui a écrit La naissance d’Horus. F.B.
Kuiper note,
«Comme Striker l’observe c’est une chose connue que
dans l’antique
religion égyptienne embryogénie et cosmologie étaient une même
chose. »
(p. 131). À partir de là pour F.B Kuiper, selon le résumé qu’en a fait
Cristina,
le parallélisme cosmogonie-embryogonie
au sein des civilisations antiques
ne se fonderait pas tant sur des connaissances explicites
concernant
l’embryon mais plutôt «sur la possibilité de revivre sa propre vie
prénatale. À
ce propos il y a un certain parallélisme entre les pratiques des
anciennes
religions qui permettaient à la personne de retourner à leur propre
stade
embryonnaire et de la traiter, consciemment, à ce stade, comme cela
advient
dans le traitement psychanalytique moderne.» De même, toujours d’après
le
résumé, à partir des vécus de la vie prénatale il résulte en outre
«qu’au
moment de la conception il y ait un important "champ d’attraction"
libidineux entre l’ovule et le spermatozoïde, expérience qui est
ultérieurement
"rappelée". Or dans les cosmologies on trouve justement que l’Amour
est souvent mentionné comme le plus important facteur qui consent à la
vie
d’être créée»
. Je préférerai dire qui consent à ce qu’un être vivant
puisse
advenir, car la vie ne peut pas être créée. Et j’ajoute que le récit
permet une
certaine expression de la naturalité, tandis que le vécu la nie, du
fait du
rejouement de la répression.
Nous
avons signalé les "difficultés" que les spermatozoïdes rencontrent dans
leur parcours pour atteindre l’ovocyte II. Leur ténacité à atteindre
leur
objectif peut être perçue comme une agression, c’est le choc de la
conception
décrit par N. Fodor et L. Peerbolte. Cela exprime l’impossibilité de
tolérer
l’autre, perçu comme étranger, et la volonté de faire par soi-même. Là
nous
sommes en pleine ontose car même les "difficultés" ne sont telles qu’à
cause, peut-être, de l’expression d’une impatience et d’une tension.
Les
événements de la vie intra utérine, particulièrement la conception et
ceux qui
la précédent peuvent être perçus comme des mystères qu’il faut dévoiler
pour
accéder à la connaissance de soi et cela passe notamment par une
régression au
stade embryonnaire, par une renaissance, une mort (qui est souvent
perçue au
cours de la naissance) et une résurrection. Les mystères - ce qui n’est
pas
compréhensible, et donc inaccessible - requièrent, pour les intégrer
dans la
connaissance, une mystique. Ils sont
donc
en rapport avec ce qui précède la conception,
demeuré jusqu’à présent
hors accès. Le mystère des origines fonde l’importance de l’ésotérisme,
de
l’occultisme, de l’alchimie dans sa dimension ésotérique.
Envisager
que le cosmos puisse avoir une origine permet de conjurer l’angoisse
engendrée
par les divers traumatismes ainsi que de donner un sens à ce qui a été
vécu.
Concevoir
c’est comme reproposer notre conception qui est le point d’appui à
partir
duquel cette opération mentale, intellectuelle, peut se produire, se
manifester. Ce n’est pas le lieu ici de démontrer toute l’essentialité
de ce
concept dans le champ de la connaissance.
Etant
donnée la dynamique de lutte imposée par la répression et la spéciose,
hommes
et femmes tendent à penser par contraires (en lesquels gît une idée
d’inimitié)
même s’ils n’existent pas réellement. Il suffit qu’apparaisse une
certaine
dualité, un caractère dyadique pour les fonder. Ainsi hommes et femmes
sont
souvent posé-e-s comme étant des contraires. En ce cas la conception
peut se
présenter comme l’union des contraires, comme le dépassement d’une
opposition,
mais aussi comme un triomphe sur les contraires qui peuvent devenir
supports du
mal. La conception ne se présente pas alors comme une réconciliation
mais une
victoire du bien sur le mal, montrant à quel point l’espèce est
infestée par la
lutte, la guerre, toujours justifiée par la nécessité de cette victoire.
C’est
avec la conception qu’on perçoit bien à quel point la sexualité
détermine le
mode de connaître. L’espèce a tendance à penser par couples (comme
celui homme
femme), ce qui peut dégénérer en pensée dualiste et où les contraires,
se muant
souvent en contradictions, sont opérants. Mais il faut préciser l’homme
ou la
femme n’est pas UN, UNE, mais est une dyade du fait même de
l’intégration
réciproque de l’apport de l’ovotide et du spermatozoïde, sinon aucune
empathie,
aucune continuité, ne seraient possibles. L’Un ne peut pas exister
sinon dans
l’autonomisation de la pensée. Dieu est UN et représente en lui-même la
négation de la sexualité et, par là, il est totalité totalitaire. Or
dieu est une
production de la spéciose, une autonomisation achevée.
Je
termine ces considérations sur la conception en signalant la nocivité
du
divorce pour les enfants, quelles
que
soient les conditions dans lesquelles il se déroule car,
fondamentalement,
c’est une remise en cause de leur conception, c’est comme si cela
opérait une
dissociation de qui fut conçu.
Après
la
conception il est un phénomène extrêmement important pour le psychisme
de
l’individu, c’est la nidation c’est-à-dire la fixation du blastocyste
sur la
muqueuse utérine avec début de formation du placenta. S’il n’y a pas de
perturbation la nidation s’effectue grâce à ce dernier qui résulte de
l’action
du blastocyste qui va devenir un embryon didermique (formé de deux
feuillets:
l’épiderme et l’endoderme), et de celle de l'utéus. Si la mère est dans un refus profond il
peut y
avoir non implantation mais une fausse couche. Si elle n’est pas
disponible le
blastocyste se trouve en situation d’abandon, de solitude, de
séparation, de
déréliction. Il doit opérer en dépit de la non présence de l’autre,
générant ce
que E. De Martino appelle la crise de la présence. Enfin on peut dire
que c‘est
là que peut s’imposer le numen, ce qui fascine, attire et fait peur: la
toute
puissance de la mère. Pour expliquer ce phénomène ce théoricien faisait
appel à
la parapsychologie dont
le discours peut
nous sembler incohérent, irrationnel mais c’est peut-être seulement le
dire
d’un inexprimable, un inexprimable au niveau du blastocyste.
Depuis
les travaux d’O. Rank, le traumatisme de la naissance a été amplement
étudié,
en escamotant souvent le fait qu’il n’est pas une donnée naturelle mais
résulte
du comportement aberrant de l’espèce. Ce traumatisme ne s’impose pas
seulement
lors de la sortie de l’utérus, mis également à cause de pratiques
consécutives
à celle-ci comme la coupure du cordon ombilical fondant l’empreinte de
la peur
de la castration, d’une amputation (comme une réduction de soi) comme
peut la
vivre la petite fille. Cette peur est renforcée quand, ensuite, il y a
circoncision chez le petit garçon et pratiques similaires chez la
petite fille.
La
coupure du cordon ombilical provoque la séparation traumatique avec le
placenta
souvent vécu en tant que un double comme L. De Mause et les
psychohistoriens
l’ont amplement documenté. Selon L. Peerbolte la notion de double
dériverait de
la présence d’un jumeau non arrivé à terme. La gémellité serait plus
fréquente que
ce qui apparaît parce que beaucoup de jumeaux meurent ensuite dans
l’utérus
provoquant selon lui des terreurs au survivant, terreurs qui
apparaîtraient
dans des rêves ou dans les récits de certains romanciers[34].
Ensuite
il y a la pratique de laver le bébé, comme pour lui enlever une
souillure,
celle de sa naturalité. Je n’insisterai pas sur l’allaitement, avec au
début de
celui-ci le refus d’utiliser le colostrum (pratique qui semble être
remise en
cause). Ce qui s’impose dans toutes ces conduites, c’est l’imposition de
la séparation
entre la mère et l’enfant, pour finalement fonder une naissance
sociale,
artificielle qui sera légitimée au travers de l’action du père.
Toutefois par
suite de l’évanescence du patriarcat cette séparation s’effectue en
d’autres
modalités.
Toutefois
l’idée du traumatisme de la naissance n’est pas acceptée par tous,
ainsi Lloyd
Demause affirme: «Mon propos est de vouloir démontrer que a) la théorie
posant
une égalité entre naissance et séparation avec anxiété est fausse, b)
que cette
théorie a été construite en
tant que
défense contre l’évidence que l’expérience du fœtus
dans l’utérus est effectivement individuelle
et souvent traumatique plutôt que symbiotique et uniquement pacifique,
et c)
que la naissance est en fait une libération d’expériences traumatiques
dans
l’utérus plutôt qu’une séparation traumatique».
[35]
Si
on
reprend l’ensemble des phénomènes depuis la gamétogenèse, on constate
en leur
sein de profondes similitudes en rapport à des milieux similaires qui
ont pu
faciliter la transmission de la mise en mémoire. Ainsi le blocage de
l’ovocyte
I se répète avec celui de l’ovocyte II, le liquide amniotique rappelle
celui
folliculinique, l’utérus le
follicule de
De Graaf, la
progression du zygote
grâce aux contractions de l’oviducte évoque celle du fœtus grâce à
celles de
l’utérus et l’on peut même rapprocher les contractions rythmiques lors
de
l’accouplement avec celles précitées de l’oviducte et de l’utérus. Tout
est
rythme et continuité[36].
2
– S. Freud n’a pas découvert l’inconscient[37]
mais
le phénomène qui rend inconscient et plus précisément le phénomène par
lequel
un fait psychique, un événement psychique, ne peut pas devenir
conscient: le
refoulement. Plus précisément encore il a découvert le refoulé dont il
a déduit
la cause: le refoulement. Ce qui a pu provoquer la méprise, c’est que
S. Freud
a pour ainsi dire mis en évidence que le champ de ce qui est
inconscient est
beaucoup plus important qu’on ne le pensait et que les phénomènes
inconscients
peuvent se manifester de façon masquée au cours d’une dynamique où
l’individu
se perçoit conscient. Mais c’est une perception immédiate, incomplète,
comme il
l’a très bien montré dans Psychopathologie de la vie
quotidienne.
Le
refoulement est un phénomène inconscient (sur quoi S. Freud n’a pas
assez
insisté) qui permet de ne pas être envahi, submergé par la souffrance
(donnée
également quelque peu escamotée par S. Freud, mais bien mise en
évidence par A.
Janov). Ce faisant, on ne va pas jusqu’au bout d’un vécu, et on réalise
ce que
F. Perls appelait une gestalt inachevée, une base importante pour le
déploiement de la compulsion de répétition, le rejouement. On refoule
également
parce qu’on refuse de reconnaître l’horreur de ce qui est vécu. Les
phénomènes
psychiques opérant dans l’ontose se décryptent à partir de la
connaissance de
ce qu’est le refoulement.
Quand
un affect, un sentiment, une pensée (donnée cognitive) rencontrent une
résistance parce qu’ils ne peuvent pas être intégrés, ils deviennent
inconscients et sont comme absorbés par l’ensemble des données
inconscientes
qui interagissent entre elles et sont en même temps affectés par ce qui
est
conscient, car il y a normalement une continuité entre le domaine
inconscient
et celui, conscient qui se manifeste lors de la présence au monde comme
épanouissement de tout le procès psychique de l’individu où
continuellement
données conscientes et données inconscientes interfèrent. Puis en
fonction de
données conscientes, de souvenirs, d’impressions, etc., ce qui était
refusé,
non intégré peut ressurgir et devient conscient parce qu’il a pu être
intégré. Ceci
n’a pu se réaliser que parce que l’individu a persisté dans sa volonté
d’intégrer.
L’inhibition
résulte d’une angoisse ou d’une peur inchoative, une peur qui est
perçue mais
qui ne parvient pas en fait à s’exprimer, à se déployer. C’est un
phénomène qui
est déterminé en profondeur par des refoulements remontant à la petite
enfance
et même auparavant. L’individu est plus ou moins conscient de ce qu’il
vit mais
il ne perçoit pas réellement les causes profondes de son inhibition,
obsédé par
son tourment.
Le
refoulement rappelons-le est un phénomène inconscient, à l’encontre de
l’auto-répression. C’est un mécanisme de défense extrêmement puissant
car il
vise à empêcher que l’individu ne soit submergé par la souffrance.
Accéder au
refoulé implique de revivre cette souffrance, d’où les résistances (qui
sont
des défenses) énormes qui s’imposent à l’individu qui cherche à
retrouver son
être naturel, étant donné que la répression consiste en la négation de
celui-ci, en une tentative de son éradication ce qui ne peut s’opérer
qu’à
travers de multiples souffrances.
Le
procès de vie des hommes et des femmes consiste avant tout à enfouir le
refoulé
pour éviter de revivre une souffrance intolérable, d’où la dynamique du
recouvrement qui fait appel à tout ce que l’espèce a pu produire: la
religion,
l’art, la politique, la science, la philosophie, ce qui n’empêche pas
que ces
divers domaines aient leur devenir propre, mais toujours déterminé en
dernière
analyse par le besoin de recouvrir; d’où, à travers ces diverses
productions,
l’espèce apparaît consciente, mais en fait elle se meut en fonction
d’un procès
totalement inconscient
Le
refoulement fut un concept escamoté par divers psychologues qui
œuvrèrent
originellement à partir de la psychanalyse et il l’est parfois même
chez S.
Freud, certainement du fait qu’il n’est pas parvenu à être conscient du
rapport
à sa mère, mais surtout parce qu’il a escamoté pleinement la répression
dont il
tenait partiellement compte dans sa théorie originelle, celle de la
séduction.
La théorie des fantasmes s’accompagne de celles des pulsions[38]
et
les rapports enfants-parents sont évacués, on a affaire seulement à
celles-ci
qui, pour certaines, ont une base biologique. Dans tous les cas, la
souffrance
des enfants qui provoque le refoulement - phénomène inconscient - est
totalement escamotée.
En
définitive
S. Freud a bien découvert le refoulement, phénomène inconscient, qui
accroît le
domaine de ce qui est inconscient substantivé et hypostasié en
inconscient,
mais son concept est inutilisable car la dynamique qu’il inclue ne
correspond pas
au processus de vie qu’il vise à décrire. Ceci s’impose d’autant plus à
moi que
pour lui c’est grâce au refoulement que l’espèce parvient à la
civilisation
qu’il ne remet absolument pas en cause, bien qu’il ressente souvent
celle-ci
comme la génératrice, la "fautrice", des maux de l’espèce.
La
positivité du refoulement est encore plus affirmée chez A. Janov bien que chez lui
celui-ci il soit correctement
mis en rapport à une souffrance insupportable qu’il faut en quelque
sorte
éliminer pour pouvoir vivre.
«Le
système humain n’est pas libéral ; il est fasciste et ne
connaît pas la
pitié. Au nom de la survie de l’espèce, il néglige l’individu et nous
force à
nous couper de nous-mêmes. Sous l’effet du refoulement, nous nous
conduisons de
manière inhumaine, envers nous-mêmes et envers autrui, car en
définitive
c’est notre humanité qu’il refoule. Sous son influence, nous
élevons des
générations entières d’infirmes émotionnels qui font perdurer notre
civilisation. La névrose n’est pas une perversion humaine; elle est
l’essence de l’être
humain. Être
névrosé, ce n’est pas être "malade", mais se conformer à la finalité globale de la
nature. Privés de
leurs névroses, beaucoup d’entre nous souffriraient un véritable
martyre. La
névrose a fait de nous des êtres humains diminués, mais qui
fonctionnent.
Simplement nous ressentons moins les
choses ». Le corps se
souvient – comprendre et guérir la maladie en revivant la souffrance,
Ed. Du
Rocher, 199, pp. 23-24.
Toutefois
cette affirmation est lestée de confusion: le refoulement est
constitutif de
l’espèce, un produit de l’évolution et a donc une détermination
biologique plus
que psychologique. Par là il porte à son achèvement le projet de S.
Freud de
donner un fondement biologique à sa théorie. En conséquence le
refoulement devient
une donnée naturelle: «Nos recherches ont montré que le refoulement est
bien la
défense biologique fondamentale». p 261) «L’évolution nous a offert la
névrose
comme solution de survie…». p. 31, qu’on doit mettre en relation avec:
«Le
refoulement étouffe donc en nous sentiments et émotions, et provoque
ainsi la
névrose». p. 59. Mais il fait intervenir également une humanité
qui est
refoulée. D’où vient-elle? Dés lors se poserait un antagonisme nature
humanité.
Cette
confusion, qui conduit selon moi, à une impasse, est due au fait de
l’escamotage de la répression parentale qui n’est pas un phénomène
naturel, mais
dérive de la séparation d’avec la nature engendrant un heurt entre
l’être
naturel et l’artificialité, la domestication, qui lui est imposées
En
effet que nous dit A. Janov: «Je suis persuadé que la plupart d’entre
nous ont
à la naissance, la capacité d’être normaux, mais des circonstances
malheureuses
compliquent parfois les choses». p. 279
«Les
endorphines (anesthésiants naturels, n.d.r) sont à l’origine de
l’inconscient
et, d’une certaine manière, je les considère comme le fondement de
l’évolution
et le pivot de la civilisation. La vie humaine est devenue ce qu’elle
est grâce
au refoulement». p. 70
«Comme
nous allons le voir, le refoulement est universel et remonte aux temps
les plus
reculés de la phylogenèse. (…) La faculté de bloquer des stimuli nocifs
a donc
une très longue histoire.» La biologie de l’amour,
Ed. Du Rocher, p. 242
En
outre il expose une théorisation du verrouillage qu’il apparente au
refoulement. «Le verrouillage est un mécanisme électrochimique qui
ferme les
portes du cerveau à l’expérience consciente de la souffrance.» A.
Janov, Le
nouveau cri primal, Revivre et vaincre la souffrance, Ed.
Presses de la
Renaissance, p. 423. Mais le verrouillage est à la fois inconscient et
conscient. C’est un phénomène qui permet de ne pas aller à ce qui a été
refoulé
et à la souffrance qui lui est liée. Une réponse immédiate à jusqu’à présentquelque
chose qui
nous tourmente, nous
soulage, mais peut
devenir un verrou nous empêchant d’accéder à la cause effective du
tourment.
Historiquement on peut constater que la dynamique réformiste conduisit
à mettre
en place divers verrous, puis à tenter de les lever.[39]
Il
ne
suffit pas de revivre les souffrances primales mais on doit accéder à
l’être
originel à partir duquel une émergence peut se déployer et un autre
cheminement
s’effectuer. Sinon on ne parvient pas à la continuité et la dissociation
amour
pouvoir se poursuit et le premier opère en tant que compensation à la
répression exercée par un pouvoir. On n’a pas à guérir d’une maladie
mais à
accéder à un autre procès de vie. Enfin parler de vaincre la souffrance
c’est
oublier qu’elle est nécessaire en tant qu’alerte biologique et c’est
demeurer
dans la dynamique de la lutte déterminée par la répression et la
spéciose.
Pour
escamoter le refoulement et la répression parentale il faudrait
privilégier les
relations et réduire
hommes, femmes, et enfants à de simples supports. C’est une tendance en
cours.
Les
difficultés d’accepter l’existence du refoulement sont en liaison avec
le refus
de l’évidence de la répression parentale, car celle-ci est choquante et
remet
en cause tout le devenir de l’espèce tel qu’il est officiellement
figuré. En
outre les divers conflits au sein de celle-ci: entre les sexes, entre
descendants et ascendants, ente les nations, entre les classes opèrent
en tant
que phénomènes occultants. Enfin il y a un argument qui esquive le
réel: la
souffrance est rédemptrice.
Pour conclure je rappelle comment j’envisage le refoulement: Ce n’est pas uniquement la peur de la souffrance qui induit à refouler (thèse 73), c’est le surgissement d’une instabilisation qui rappelle l’instabilité, l’insécurité, la perte de certitude où nous fûmes placés. Ce qui est refoulé c’est un état qui est au-delà de celui de souffrance. Toutefois une connexion avec elle s’impose car: être en souffrance c’est être délaissé, en déréliction. (Thèse 80 de Surgissement de l’ontose)
[Dans l’exposé sur les concepts de la psychanalyse je n’ai
pas été assez précis et radical surtout en ce qui concerne le refoulement de
même que, si j’ai été interpellé par le fait que ce concept est à la fois sujet
à discussions pour beaucoup, et support
de fascination pour d’autres qui en viennent à l’employer même en dehors de son
domaine d’applicabilité, je n’ai pas cherché à en comprendre le pourquoi. Au
départ je pense que cela est dû à l’approche que S. Freud en a faite. Il l’a intuitionné
et non rigoureusement pensé à la suite d’une réflexion approfondie à partir du
surgissement d’une donnée. En outre c’est un concept évocateur. Il évoque
quelque chose d’insaisissable et de non vraiment recherché parce qu’en relation
avec la répression. On ne peut pas escamoter, d’autre part, qu’il est lesté de
confusion due au fait qu’il est indéniable qu’on puisse refouler consciemment.
Mais dans ce cas le refoulement réalisé est conscient et ne relève pas de la
même nature que ce que S. Freud a essayé
de nous expliquer. On se trouve plutôt en présence du phénomène d’auto-répression qui peut
s’exprimer également à l’aide d’autres verbes comme interdire, rejeter,
repousser, inhiber, bloquer, mais aussi supprimer, abolir, confiner, réduire
et, dans une dynamique conduisant à la mise en secret, escamoter, scotomiser. De
là, la surcharge portée par le concept de refoulement qui "véhicule" comme une nébuleuse de données inconscientes et
conscientes Dés lors s’impose à moi l’idée que lorsque S. Freud parla de refoulement
et, à sa suite, une foule d’hommes et de femmes, cela évoqua inconsciemment en eux, en elles, une
répression subie et, côtoyant cette évocation, pointa la nostalgie d’un moment
antérieur: d’où la fascination.
Par suite de sa dynamique de recouvrement théorique, S.
Freud – pour lui la théorie était plus importante que la thérapeutique et
soigner les autres lui permettait d’accéder à des concepts aptes à étayer cette
dynamique – n’a pas analysé cet arrière-fonds du refoulement, ce qui
aurait pu lui permettre de vraiment
ressentir que celui-ci est une réponse instantanée et inconsciente à une souffrance intolérable. Ce faisant il
opéra comme Johann Friedrich Herbart (1776-1841) – lui aussi voulut fonder une
psychologie scientifique – qui considéra que le refoulement résultait d’une
opposition entre représentations. Or les
faire intervenir, ou recourir aux pulsions ou aux principes de réalité et de
plaisir, revient à opérer dans la séparation compatible avec une investigation scientifique. Mais le refoulement échappe à celle-ci car il
dérive de l’intervention de la totalité immédiate de l’individu. J.F. Herbart –
comme A. Schopenhauer ou N. Hartmann entre autres - exerça une grande influence
sur S. Freud toutefois, encore moins que pour lui, on peut affirmer qu’il mit
au point le concept de refoulement. Son œuvre contient un point d’émergence de
celui-ci. Il y en eut d’autres. À ce propos il convient de rappeler que lors de
l’émergence liée à l’investigation de S. Freud, celui-ci n’est pas seul, B. Pappenheim et J. Breuer opèrent ensemble,
mais c’est lui qui chercha à en donner un fondement sans, rappelons-le, y
parvenir.
Ce qui nous importe
avant tout c'est la mise au point de concepts aptes à mettre en évidence
la spéciose et l'ontose, à partir de ressentis puissants des hommes et des
femmes et de mettre en évidence que l’espèce est constamment tourmentée et
travaillée par quelque chose qui la hante; quelque chose engendré au cours de
son errance initiée avec sa séparation d’avec le reste de la nature. La
difficulté de la mise point, commencée depuis fort longtemps, en témoigne également. Février 2011]
3
– La compulsion de répétition
Lorsqu’un
phénomène émerge il a tendance à retourner à ce dont il provient, mais
au fur
et à mesure qu’il se structure, mûrit pourrait-on dire, celle-ci
s’atténue et
disparaît et ne demeure qu’un souvenir. En revanche, si un quelconque
traumatisme advient au cours de l’émergence, un phénomène de compulsion
de
répétition, de rejouement[40],
se
met en place, visant chaque fois à mettre en place une dynamique pour
retrouver
ce qui est advenu et parachever et corriger, c’est-à-dire à tendre à
rétablir
la dynamique naturelle telle qu’elle doit se dérouler pour que
l’individu ne
soit pas négativement affecté. Il semblerait que le devenir conscient
du
traumatisme permet dans tous les cas, non pas (sauf exception) de
réparer, de
cicatriser, etc., mais d’intégrer et surtout de permettre à l’individu
de se
rendre compte que ce qui est advenu est indépendant de sa volonté et,
surtout qu’il
n’est pas coupable.
Autrement
dit la compulsion de répétition dérive d’un défaut d’intégration d’un
vécu
parce que celui-ci fut affecté d’un inachèvement. Chaque fois qu’on
rejoue se
réimpose en nous une discontinuité qui, en définitive, accuse
l’inachèvement
originel. Ce phénomène d’inachèvement est, pour l’espèce, le support –
en
dehors des données biologiques qui pourraient lui donner une réalité –
pour
rejouer un inachèvement fantasmé.
La
tendance à revenir à un état antérieur sans qu’il s’ensuive
obligatoirement une
compulsion de répétition, s’impose parce qu’il y a eu sensation de
perte
entraînant un regret, voire une nostalgie. Cela peut se percevoir dans
une
dimension paléontologique avec le regret, par exemple, de la perte de
la
symétrie rayonnée, amplifiée par celle de la continuité.
Enfin
la compulsion de répétition peut se percevoir comme la réitération
d’une
hantise.
4
–
La déréliction (Hilflosigkeit)
Comme
je l’ai indiqué dans l’étude sur l’œuvre de S. Freud ce concept dit
beaucoup de
son vécu. En fait la déréliction s’est imposée très tôt chez lui et
même le
refoulement ne fut pas apte à éliminer la souffrance qu’elle engendra
du fait
que la déréliction dérive de la perception d’être abandonné, perception
qui, si
elle n’est pas revécue en atteignant l’être originel, ne peut être
éliminée et
rien ne peut l’empêcher de se réinstaurer.
Mais
il
y a une autre composante: la perte de la présence qui facilité
l’installation
de l’état hypnoïde et même des pertes de connaissance auxquelles S.
Freud fut
d’ailleurs sujet. C’est alors que divers phénomènes paranormaux peuvent surgir comme on peut le
constater lors des pratiques
chamaniques.
La
dynamique de revivre des traumatismes,
des perturbations anciennes (telle la crise de la présence), a été
empruntée
depuis des milliers d’années, évidemment avec diverses variantes et
souvent
sans le but précis tel que je viens de l’énoncer, elle est corrélative
(liée à)
à celle de percevoir au mieux le fonctionnement psychique, d’atteindre
à des
capacités qui sont soupçonnées ou insoupçonnées et qui sont révélées
dans des
circonstances particulières, chez certaines personnes, dans des
phénomènes
troublants comme l’autisme, la multiplicité des personnalités etc. À
partir de là l’investigation rencontre la parapsychologie,
l’occultisme, le spiritisme, les pratiques mystiques, mais aussi
l’enseignement
hindou ou le bouddhisme. Personnellement je pense que tous ces
phénomènes, dont
traitent toutes ces approches théoriques, sont en relation avec la
répression
et que ce n’est qu’en retrouvant la naturalité qu’il est possible de
résoudre
leur caractère énigmatique, intriguant.
5.
Je n’ajouterai rien au sujet de détournement (Verfuhrung.)
dont j’ai signalé la centralité dans la dynamique de l’ontose, ni au
sujet des
souvenirs écrans qui interviennent selon moi dans la dynamique du
recouvrement.
En revanche je voudrais préciser le Unheimliche traduit
en français par L’inquiétante
étrangeté. Lors de l’analyse rapide de l’article de S. Freud
portant ce
titre[41]
j’ai insisté sur le fait que dans celui-ci se manifeste de façon
particulièrement percutante le phénomène de la remontée, comme cela
apparaît lorsqu’il
expose comment ce
phénomène se
constitue: «Le résultat auquel nous
parvenons se formulerait alors dans ces termes: l’inquiétante étrangeté
vécue
se constitue lorsque les complexes infantiles refoulés sont
ranimés par
une impression, ou lorsque les convictions primitives dépassées
paraissent
à nouveau confirmées.» p. 258. Mon approche était juste mais
insuffisante comme
l’est l’exposé freudien
où l’origine des
refoulés est plutôt énigmatique[42]
.
Unheimliche
est
difficile à traduire et il semble qu’il pose problème
même pour les allemands, comme cela apparaît au début du texte de S.
Freud. À
partir de son étude étymologique et linguistique qu’il
opéra, on constate que l’on a affaire à un champ sémantique assez vaste
dont Heim
nous apparaît le centre. Ce mot indique le domicile, le
foyer, le chez soi,
l’intérieur, le centre à partir duquel on peut rayonner. De là Heimat,
le chez
soi, le topos (le lieu) où l’on est
advenu. Mais aussi Heimweh le mal du pays, la
nostalgie qui implique
qu’on a mal parce qu’on a perdu le lieu originel où l’on s’enracine, où
l’on a
une intimité avec ce qui nous entoure, la nature, le cosmos. Heimisch
désigne
ce qui concerne le topos, ce qui est originel, natal, et par là
familier. Heimlich
semble plus en rapport avec l’intime, le secret, et renferme
aussi une idée
de tranquillité, évoquant un lieu où l’on n’est pas affecté. En fait
tous les
mots semblent s’édifier à partir d’une relation réciproque entre
l’individu et
le topos; ainsi Heimlich peut désigner le fait
d’être chez soi, d’avoir vraiment
un lieu à nous, tranquille, le for intérieur et, encore une fois
l’intimité. On
comprend de ce fait que si le topos est affecté par l’ontose, elle-même
en
relation avec la dynamique de la répression parentale, ce Heimlich
peut
en venir à signifier le contraire de ce qu’il désigne et équivaloir à Unheimlich
(un dénotant l’idée de contraire).
Sur
Heim se construit aussi geheim
(adjectif) signifiant secret et Geheimnis (susbstantif)
ayant le
même sens. La particule inséparable ge implique
une idée d’ensemble,
d’un collectif, aussi je pense à la signification suivante: tout ce qui
concerne le for intérieur, ce qui est difficilement accessible, secret.
Ce qui
explique la définition de Schelling citée par S. Freud: «l’étrangement
inquiétant qui aurait dû rester dans l’ombre et qui en est sorti.[43]»
(p. 246) Ici encore s’impose le phénomène de la remontée exprimée d’un point de vue
moral, répressif.
En même temps on constate que le concept de Geheimnis le
secret subit un
même phénomène que Heimlich. De quelque chose de
positif qu’on veut
peut-être protégé de l’investigation des autres, on passe à quelque
chose de
négatif, d’inavouable qui doit rester caché du fait d’une culpabilité,
alors
que dans l’autre cas on peut se réjouir de son secret et le confier à
quelqu’un
de familier
Ainsi:
«Heimlich est donc un mot
dont la signification évolue en direction d’une ambivalence, jusqu’à ce
qu’il
finisse par coïncider avec son contraire Unheimlich.
Unheimlich est en
quelque sorte une espèce de Heimlich.» (p. 223) De
même le secret est
une sorte de secret. C’est de l’ambivalence, de l’ambiguïté que surgit
la
dimension inquiétante, l’inquiétude enveloppante et sournoise. Or heimlich
en
tant qu’adverbe signifie en cachette, à la dérobé, et Heimlich, en
tant que substantif
peut signifier sournoiserie.
L’ambivalence
comme l’ambiguïté
engendre le doute déstabilisateur
annonciateur d’inquiétude. D’ailleurs S. Freud cite en
l’approuvant, un
auteur, Jentsch, qui met en avant
le
flou, l’incertitude, le doute comme éléments constitutifs de
l’inquiétante
étrangeté.[44]
Mais
le doute, le flou proviennent de
la confusion dont l’empreinte s’inscrit au début de la vie de chacun du
fait de
la coupure de continuité. À
partir de la
remarque de Jentsch, S. Freud fait une
analyse de L’homme
au sable[45]
du fait que celui-ci s’est basé sur une étude de ce conte
pour son analyse
de l’inquiétante
étrangeté. De cette analyse , on tire par exemple que l’Unheimlich serait
en rapport au
complexe de castration et par là à la figure
ambivalente du père, ainsi
qu’avec le "retour
permanent du même"[46].
À
ce propos il note «C’est seulement le facteur de répétition non
intentionnelle
qui imprime le sceau de l’étrangement inquiétant à quelque chose qui
serait
sans cela anodin, et nous impose l’idée dune fatalité inéluctable là où nous n’aurions parlé
sans cela que de
"hasard"».[47]
À
mon
avis ce n’est pas la compulsion de répétition qui fonde la dimension
inquiétante, mais ce qui est répété. Elle accroît la confusion parce
que la
répétition introduit un élément familier. L’individu se familiarise
avec ce qui
lui advient de façon réitérée. Ce qui s’impose à lui c’est un tourment,
en
rapport au fait qu’il ne saisit pas la cause de ce qui l’ennuie, sans
qu’il
soit réellement dans l’ennui; ce qui l’inquiète sans être réellement
dans
l’inquiétude. Aussi très souvent l’inchoation et la procrastination
sont liées
à l’Unheimlich.
La
confusion peut venir du fait que
ce qui
est familier est la répression car elle est habituelle, ce qui peut
masquer
fondamentalement l’être naturel. Cette familiarité est rassurante parce
qu’elle
est devenue presque constitutive de l’être de telle sorte que souvent
des
personnes s’étant impliquées dans un mouvement de libération, d’émancipation,
retournent, à la suite de l’échec de celui-ci, à la mouvance répressive
comme
si, par là, ils accédaient à leur être réel.
Comme
élément pouvant entrer dans la
constitution de l’Unheimlich, S. Freud
fait intervenir le phénomène du double. Pour cela il
s’appuie sur les travaux
de O. Rank.[48]
Ce
phénomène peut se comprendre, à mon avis, à partir de ce qu’expose L.
Peerbolte
à propos de l’existence de jumeaux dont l’un n’aurait pas été viable et
serait
mort dans l’utérus. Ici, effectivement, nous avons un support important
pour
l’inquiétante étrangeté. Le jumeau est ce double très proche par la
ressemblance mais inquiétant du fait de sa disparition, et surtout à
cause de
la souffrance causée par sa mort qui l’a constitué étranger
D’autres
théoriciens, par exemple les
psychohistoriens comme nous l’avons précédemment signalé, pensent que
le double
est le placenta. En ce cas si la mère, au cours de la gestation, n’est
pas dans
l’acceptation, le placenta peut fonctionner de façon défectueuse et
être le
support d’une menace et devenir inquiétant.
Mais
qu’est-ce qui peut à ce point nous
tourmenter de façon réitérée ? C’est quelque chose qui nous
habité et nous
hante, qui est secret et qui s’est installé malgré nous dans notre for
intérieur (Heim) et qui fait qu’on ne peut essayer de s’atteindre sans
le
rencontrer. Ce quelque chose est l’étranger en nous.
En allant plus à fond des choses et
en
raisonnant à partir du procès, on peut dire que c’est la répression
originelle,
la mise en domestication qui greffe en chacun de nous un être
artificiel,
étranger qui conduit de façon confuse à se percevoir étranger à
soi-même du
fait qu’il s’agit dans tous les cas de soi
On
peut
encore exprimer cela ainsi: plus on se rapproche de l’être naturel,
plus surgit
un malaise dû à la manifestation d’une étrangeté qui est la mise en
place de la
domestication, par la répression..
Le
recouvrement permet de masquer
l’inquiétante étrangeté mais la mise en déréliction favorise sa
réapparition.
L’ambiguïté
dont nous avons parlé se
retrouve dans un autre mot également
construit sur Heim. Il s’agit de Heimlichkeit
signifiant
tranquillité, intimité, et semble exprimer l’idée d’une cordialité
favorisant un
convivialité, mais aussi
mystérieux, secret. Je pense qu’il serait bon d’avoir l’antonyme de
celui-ci afin
de désigner un état, une situation où s’impose un phénomène, comme cela
advient
avec Hilflosigkeit qui exprime la situation où se
trouve l’être abandonné,
qui se sent abandonné, sans aide (hilflos): la
déréliction. Ainsi Unheimlichkeit
désignerait l’état où l’on est plongé quand affleure l’inquiétante
étrangeté (Das
Unheimlich), une situation difficilement vivable, où
le contact avec les
autres n’est pas aisé du fait qu’une lutte larvaire s’impose en nous,
une lutte
avec soi-même et qu’on a tendance à extérioriser pour s’en libérer[53].
Elle s’instaure quand le sentiment d’être étranger à soi-même engendre
une
angoisse inconsciente qui grâce à divers supports et à des remontées
peut
devenir presque
consciente, et s’impose
alors comme une inquiétude, et un sentiment d’être opprimé du fait d’un
lestage. C’est un secret qu’on ne peut effectivement pas dévoiler non
seulement
à cause d’une honte de soi radicale mais du fait qu’il nous est
impossible de
nous séparer de cette dimension étrangère qui crée l’étrange
familiarité. C’est
en définitive le phénomène fondamental de l’ontose résultant de la
répression
parentale, la réalisation du compromis entre notre être naturel et
celui
artificiel imposé par la répression nous fondant être ambigu,
ambivalent. Aussi
chaque fois que nous sommes en présence de l’ambiguïté, de
l’ambivalence,
manifestée à partir de divers supports, l’empreinte de notre profonde
affectation est activée, et nous sommes envahis d’une inquiétude
difficilement "saisissable",
localisable , qui semble nous envelopper,
confinant le plus souvent à une angoisse.
C’est
au plus profond de notre "archaïsme" que se loge l’inquiétante
étrangeté, qui est au fond la sensation d’être possédé[54].
C’est là que se trouve son Heimat.[55]
Cette
Unheimlichkeit se perçoit
fort bien chez M Heidegger théoricien du souci de l’être, de la
nécessité de le
purifier, de lui restituer sa vertu, de le désaffecter de l’oubli, et
de la
recherche d’un Heimat,
d’un enracinement. Or ce philosophe a eu (et a
encore) un écho très important et pas seulement en Allemagne non,
probablement,
parce qu’il clarifiait quelque chose, mais parce ce qu’il théorisait
entrait en
résonance avec l’inquiétude de ses lecteurs.
Ainsi
toute l’œuvre de E. De Martino, grand admirateur de M. Heidegger est
une réflexion
sur ce qu’il y a d’étranger en l’homme et sur ce qui cause la crise de
la
présence.
En
revenant à l’Allemagne l’Unheimlichkeit
affecte sa population après la fin de la Première guerre
mondiale parce
qu’avec la catastrophe tout
le
recouvrement a été éliminé réimposant
la
déréliction et, par là, l’inquiétant étrangeté. D’ailleurs S. Freud a
publié
son essai portant ce titre en 1919 mais il aurait commencé quelques
années
auparavant
On
sent qu’à travers le mouvement nazi,
allemands et allemandes aient voulu éliminer l’étranger en eux mais de
façon
mystifiée en voulant détruire l’étranger. La dérive se comprend fort
bien du
fait que l’étranger est le support pour vivre l’ennemi, la menace, et à
partir
de là peut se réinstaurer la dynamique de la lutte, de la guerre
salvatrice,
purificatrice.
L’eugénisme
qui eut un grand
développement au début du XX° siècle et se réimpose de façon périodique
est
aussi la manifestation de vouloir éliminer ce qui est étranger. Cette
volonté
on la sent percer également dans le débat au sujet de l’identité
nationale, au
sujet du métissage qui est support de grandes peurs. Enfin citons le
cas
exemplaire des juifs orthodoxes hantés par la nécessité de rejeter
toute
assimilation et de maintenir la spécificité du peuple juif et son
élection.
Nous
vivons la mort du capital mais l’activité
de son cadavre est due au maintien de multiples empreintes placées à
divers
moments de l’histoire jusqu’à des époques fort éloignées. Si l’on veut
accéder
à Homo Gemeinwesen il faut totalement les désactiver. Le devenir de
l’individualité et celui de l’espèce sont étroitement liés. En
retrouvant la
continuité, hommes et femmes n’ont plus besoin de jouer des rôles
imposés par la
société (et toute société est une société du spectacle), à trouver une
forme,
expression de la répression qu’ils subissent et opèrent, à chercher à
s’incrémenter pour colmater une insatisfaction jamais pleinement perçue
et abolir
une haine de soi qui dérivent du fait d’être séparés
et réduits à individus insignifiants, au
cours d’une dynamique d’obsolescence.
La
continuité avec le reste de la
nature, avec le cosmos s’établit avec la disparition des divers
blocages liés
aux traumatismes emprisonnés dans des empreintes ancestrales et donc
avec la
mise en continuité en nous, avec notre naturalité[56].
Jacques
Camatte
2010
[1]
Cf. Œuvre de S.
Freud. Je retiens comme fondamentaux et aptes à permettre une
investigation
profonde sur le devenir psychique de l’espèce les concepts suivants:
traumatisme infantile, refoulement, compulsion de répétition
(rejouement),
déréliction (Hilflosigkeit), détournement (séduction, Verfuhrung),
l’inquiétante étrangeté (Unheimlich), ainsi que, mais moins important:
souvenir
écran (recouvrant).
Dans
Présentation
j’ai affirmé l’intention de rédiger divers
articles concernant non seulement l’œuvre proprement dite mais l’ontose
de
l’auteur aussi bien dans le cas de S. Freud que dans celui de C.G.
Jung, etc.
Cet
Addendum ne traite pas à fond les thèmes qu’il aborde, surtout pour
ce qui concerne les phénomènes précédents la conception.
Ultérieurement, il
conviendra, si c’est possible, de reprendre le tout en vue de pouvoir
bien
délimiter ce que peut être le cheminement de libération-émergence.
[2]
Jean-Noël Kapferer
Les chemins de la persuasion – Le mode d’influence des media
et de la
publicité sur les comportements, Ed. Dunod, 1978 pour la
première édition
chez Bordas. Page 3 il indique le caractère de son ouvrage: «Ce n’est
pas un
ouvrage de psychologie des profondeurs. L’image de l’homme proposée par
celle-ci nous paraît remise en question par la recherche contemporaine.
Trop
d’ouvrages, exagérant la pensée freudienne, présentent l’homme comme
ballotté
par une mer de pulsions qui en font un objet facile de persuasion aux
praticiens qui sauront utiliser ces motivations et pulsions.» p. 8-9
La
dimension répressive apparaît fort bien: «Peut-être la meilleure
stratégie à long terme pour la modification des attitudes et des
comportements
n’est pas d’agir d’abord sur l’attitude, mais d’agir d’abord sur les
intentions
à partir d’opinions normatives, en veillant à ce qu’ensuite les
attributions aux
pressions de
l’environnement ne puissent plus être faites». p. 280. Autrement
dit la
dynamique
persuasive doit prendre en compte des données situées de plus en plus
en
profondeur, car c’est la réalisation de l’intériorisation qui est visée
d’où,
inévitablement, la confluence avec les "psychologies des profondeurs"
qui, elles aussi, ne sont pas dépourvues d'une dimension manipulatrice,
parfois très accusée.
[3]
Cf. les articles John
Locke et la violence éducative et I. Kant et la
violence éducative de
Alexandra Barral qui sont parus sur le site Internet: www.oveo.org;
oveo observatoire
de la violence éducative ordinaire. On trouve sur ce site divers
articles
concernant la violence faite aux enfants, des recensions de livres
traitant du
même sujet, un projet de loi concernant l’interdiction des châtiments
corporels
et psychiques.
Les
citations que je reporte de J. Locke et d’I. Kant sont celles
présentes dans les articles susmentionnés.
[4]
« Dans les Essais
sur l’entendement humain, Locke postule un esprit vierge, la tabula
rasa
qui se remplit d’expériences. Il faut donc très tôt imprimer à l’enfant
de
bonnes habitudes». Cette notion n’est pas nouvelle comme nous le
signale, dans
une note, Alexandra Barral, puisqu’elle fut utilisée par Aristote. Elle
nous
indique aussi que « tabula était la
tablette d’argile sur laquelle
les écoliers écrivaient et qu’ils rendaient vierge pour la rendre
réutilisable ».
Ailleurs
J. Locke écrit: «Si donc, dés les commencements, on
tient
de court les enfants qui sont faciles à gouverner durant leur bas âge,
ils se
soumettront sans murmure à ce régime, n’en ayant pas connu
d’autres. »
[5]
«Les
pleurs trahissent
souvent la prétention
de l’enfant à se faire obéir; ils sont comme la déclaration de son
arrogance et
de son entêtement.» (Pensées, §111.)
[6]
Dans sa
présentation au texte de John Locke Identitié et différence avec
comme
sous-titre L’invention de la conscience, Ed. du
Seuil- Essai, Étienne
Balibar explique que – dit rapidement – cette dernière remplace les
notions de
sentiment de soi, de for intérieur ou d’homme intérieur (St-Augustin)
et il
rapporte (p. 18) la définition qu’en donne J.
Locke: «"Consciousness
is the perception of what passes in a Man’s own Mind". C’est-à-dire: la
"conscience", c’est la perception de ce qui (se) passe dans l’esprit
d’un homme; mais aussi: c’est le fait, pour un homme, de percevoir ce
qui (se)
passe dans son propre esprit (dans un esprit qui est le sien, qui lui
appartient en propre, qui est sa propriété. » En plus des
accents
stirnériens (L’unique et sa propriété) nous
percevons bien la dimension
séparatrice. La conscience surgit pour ainsi dire afin de statuer sur
ce qui
relève de l’identité et de ce qui relève de la différence, du normal et
de l’anormal,
logée dans un être se séparant toujours plus de la nature.
Ajoutons:
«La formule qui dit que nous ne pouvons pas penser sans savoir
que nous pensons et nous savoir "pensants", n’en
revêt pas moins une extrême importance. C’est
elle qui à travers la discussion par Locke des idées innées conduira à
faire de
la "conscience" le
sujet même
de la pensée, mais aussi à soulever le problème de l’inconscient». Pp.
38-39.
Ce qui expose bien un phénomène de réduction d’autant plus que, comme
le dit É.
Balibar, la conscience est le métonyme d’être conscient. En outre la
dynamique
de l’identité et de la
différence
impliquait nécessairement la production d’un contraire, l’inconscient
qui, lui
aussi, est un produit de la répression. Inconscience daterait de 1794,
l’adjectif inconscient de 1820, le substantif ne s’imposera que par la
suite.
Le fait qu’il ait dû d’abord passer par une phase "adjective" signale
toute la dépréciation qui affectait tout ce qui n’était pas conscient.
Confirmation de la dimension orale et répressive de ces concepts.
[7]
Ce qui se comprend
fort bien du fait que, comme J. Locke, il subit de mauvais traitements
durant
son enfance.
[8]
Nous avons utilisé
deux textes pris sur Internet. Dans l’un d’eux D. Chamberlain affirme
que les
fœtus font des rêves. À leur sujet il affirme que le rêve est une
«activité
cognitive», « un exercice créatif de l’esprit, spontané et
personnel» Ce
qui me semble profondément juste, mais j’ajouterai qu’activité et
exercice sont
fortement perturbés par l’ontose.
[9]
Le 15.07.2008 sur www.ariannaeditrice.it.
C’est une sorte
de résumé de ses livres: L’enfant magique, La fêlure de l’œuf
cosmique,
Ed. J’ai Lu, 1991 (le texte original date de 1971), Le futur
commence
aujourd’hui – Le prochain défi de l’intelligence humaine Ed.
Du Rocher,
1996, traduction de Evolution’s End, 1992, en ce
qui concerne les livres
que nous lus auquel s’ajoute The biology of transcendance.
[10]
Cette expression
témoigne de la puissance de la dynamique interventionniste qui implique
que
l’enfant est en définitive manipulé, comme s’il n’était pas un acteur
fondamental dans son accession au monde. En même temps elle renferme
une
confusion car les enfants qui "viennent au monde" doivent être portés
pour accéder à la plénitude de leurs possibilités.
[11] Frank J. Sulloway, S. Freud
biologiste de l’esprit, Ed. Fayard.
[12]
À propos des peurs
enfantines il écrivit: «Ne pourrions-nous soupçonner que les
peurs vagues
et cependant très réelles de l’enfance, qui sont tout à fait
indépendantes de
l’expérience, sont l’héritage des dangers réels et des basses
superstitions des
temps anciens de la sauvagerie?» Cité par F J. Sulloway, page 233, qui
nous
indique que Ch. Darwin se trouve également à la base de la mise en
évidence de
l’empreinte, p. 252
[13] F J. Sulloway
signale qu’à la même
époque H. Taine aborda la même question (p. 232).
[14]
H. Arendt a elle
aussi parlé du siècle de l’enfant.
[15]
C’est aussi une
prothèse pour compenser le fait ne pas avoir été porté; donc la
prothèse pour
se porter, s’affirmer au-dessus.
[16]
J’ai déjà cité une
partie de ce texte dans De
la vie.
Le
fait que la femelle devienne nid pour l‘enfant n’est pas particulier
à l’espèce humaine. Le cas remarquable des marsupiaux en témoigne
amplement.
Toutefois dans le cas de notre espèce le mâle peut aussi constituer un
nid.
[17]
J’ai transmis ces
remarques à un ami, Alain, à la suite de la lecture d’un article, Apprendre
la liberté d’Alexandra Laignel-Lavastine paru dans Le
Monde du
08.09.2006, concernant le livre d’Olivier Rey Une folle
solitude, le
fantasme de l’homme auto-construit, Ed. Du Seuil, 2006. Je
cite ce qui
m’avait interpellé et suscité la lettre à mon ami: «(…) le retournement
des
enfants dans leurs poussettes. Jusqu’à la fin des années 1960, en
effet, les
enfants avaient toujours fait face à l’adulte qui le promenait. Puis
une
révolution s’est opérée: voilà que les enfants invités à se construire
par
eux-mêmes, et à appréhender le monde à leur gré, ont été orientés vers
l’avant,
tournant du coup le dos à leurs parents.»
[19]
Il est banni en
même temps en tant qu’élément fondamental de différenciation: on ne
parle plus
de différence sexuelle, mais de différence de genre; l’homme n’est plus
un
mâle, mais un masculin, la femme est ramenée à un féminin; autrement
dit les
catégories grammaticales permettent de cacher ce par quoi le scandale
arrive,
et le développement de la combinatoire sexuelle – délire spécio-ontosé
– de se
déployer dans la séparation d’avec les êtres réels, jadis naturels. Les
partisans du genre m’apparaissent comme des adeptes de Jacques Lacan
pour qui
tout se ramène à des jeux de langue, ce qui se fonde sur une donnée
réelle: la
langue n’est pas structurée comme un inconscient mais recèle et
véhicule le
refoulé. Ce qu’avait déjà perçu S. Freud. Ainsi, personnellement, je me
suis
rendu compte que quand je dis: je me sens sûr, cela dit et cache: je me
censure, c’est-à-dire que je suis en sécurité lorsqu’en me censurant
j’applique
les règles imposées par la répression. Variation: le dire est dans le
dire et,
quand on dit, on redit, ou dit doublement, sans duplicité.
Le
terme de genre peut engendrer beaucoup de confusion car dans la
systématique le genre désigne un regroupement d’espèces, analogie avec
la
grammaire en ce sens que, là, le genre indique tout ce qui est soumis à
un type
donné qui dépend de la sexualité; le neutre impliquant ce qui est
autre, ce
qui, dans la dynamique de la lutte des sexes, ne prend pas partie, ou
qui ne
peut pas être approprié. En fait depuis longtemps, les mots, femme,
homme,
enfant, adolescent, père, mère, etc., ne font plus référence à une
donnée
naturelle, mais à une donnée élaborée par la dynamique de la spéciose
qui impose
à chacun, chacune, de jouer un rôle. En conséquence, personnellement,
j’emploie
ce mot plutôt que genre dont la théorisation vise à approfondir encore
plus la
séparation au sein du procès de vie
La
remise en cause de la sexualité dans sa naturalité est évidemment en
relation avec le devenir hors-nature et s’impose donc bien avant
l’apparition
du christianisme.
C’est
à dessein que je n’envisage pas ici l’œuvre de W. Reich, bien
connue, ne serait-ce qu’à cause de sa profusion et de son ambiguïté.
Enfin
je signale à cause de son immense importance, bien que cela sorte
du cadre de cet addendum, le fait que la transmission de caractères, de
données, de gènes d’informations, advient non seulement de façon
verticale
d’une génération à
l’autre (la
sexualité), donc dans la diachronie, mais aussi de façon horizontale,
donc dans
la synchronie, par la transmissions de virus ou autres «particules» de
vie
d’une espèce à l’autre (appartenant même à des genres différents) comme
l’expose, après P.P. Grassé, Francis Hallé dans son beau livre, vibrant
d’amour
pour son objet d’étude: Éloge de la plante. Pour une nouvelle
biologie.
Ed. du Seuil Points. 1999. Ma caractérisation est déterminée par le
fait qu’il
dénonce avec juste raison le dénigrement du règne végétal en mettant en
évidence toutes les expressions dépréciatives qui prennent celui-ci
comme
support. Or ce dénigrement dérive d’une vaste ignorance de ce qu’est le
phénomène vie sous sa forme végétale. J’ai dit ailleurs à quel point
pour moi
tout arbre est manifestation rayonnante de la continuité.
En
définitive la continuité au sein du vivant qui régnait de façon
immédiate il y a 4 milliards d’années perdure grâce à une autre
modalité.
[20]
Chez les végétaux on distingue la reproduction sexuée de la
reproduction végétative où quasiment n’importe quelle partie du végétal
peut
engendrer la totalité d’un autre «individu» qui peut le plus souvent
rester en
liaison avec le premier ou bien s’en séparer. Cela a été utilisé par
l’espèce
humaine pour multiplier les variétés recherchées pour diverses raisons.
Problème
d’un mode de déplacement
de l’espèce par exemple avec les stolons du fraisier ou de la
potentille.
[21]
Cf. Divagation
où j’examine le discours scientifique actuel sur le sexe
qui englobe la
sexualité et où les sexes sont remplacés par les genres.
[22]
Cf. Psychic
Energy in prenatal dynamics, parapsychology, peak
experiences - a
paraphysical approch to psychoanalysis and transpersonal
psycho-dynamics,
Servire publishers/Wassenaar, 1975. Nandor Fodor
The search of the beloved, 1949
Cf.
aussi Major
categories of early psychosomatic
traumas de Bill Swartley sur le site Internet de la
psychothérapie primale
(en anglais).
Le
ça
de G. Groddeck peut être considéré en partie comme relevant d’un
mouvement
spontané.
[23]
On peut se
demander si le suicide n'est pas un moyen de sortir de cette inchoation
où l'on
est réduit à une intentionnalité, comme à un suspense indéfini
déterminé par
une menace totalement inconsciente. Ceci opère également à l’échelle
collective: le déclenchement de la guerre de 1914-18 se présente comme
une
sortie d’inchoation avec libération de l’énergie accumulée dans la
phase
précédente, posant un suicide collectif. Tout en étant affectée par une
dynamique du mouvement pour le mouvement, l’espèce se trouve en fait en
situation
inchoative qui peut préluder à la mise en place d’une dissolution. Et
l’on
pourrait dire: cela n’en finit pas de commencer!
On
peut, d’autre part, imaginer que, grâce à la parole, le dieu de la
Bible sort,
«enfin», de l’inchoation, car parler est la manifestation d’une prise
de
décision.
[24]
L’activité
primordiale des dieux, n’est pas de créer, mais d’organiser le chaos.
Hommes et
femmes rejoueront amplement, puisqu’ils voudront constamment organiser,
trouver
la forme d’organisation adéquate, surtout aux époques charnières de
dissolution
de la communauté. Trouver la forme est une nécessité de la répression,
elle-même dérivant de la séparation d’avec la nature. Curieusement chez
diverses ethnies ce sont les femmes qui ont créé mais, ultérieurement,
les hommes
considèrent cette création comme un chaos qu’ils s’appliquent à
organiser.
Organiser c’est l’activité de l’homme spéciosé.
Cette
activité apparaît souvent comme celle de la réalisation de la
séparation. Il faut dissocier ce qui tend à demeurer coalescent et donc
indifférencié.
[25]
On doit noter que
le stade ovule est en fait escamoté chez la femme.
[26]
Elisabeth
Horowitz présente
de façon exemplaire le refus d’être engendré «Le but n’est pas
de faire de la psychogénéalogie, il est de découvrir simultanément que,
au plus
profond de l’arbre généalogique, il y a la terreur d’être engendré et,
en même
temps, cette découverte s’accompagne toujours de l’émergence de ce que
l’on
pourrait appeler l’âme ». Elisabeth Horowitz, Se
libérer du destin
familial - Devenir soi-même grâce à la psychogénéalogie, Ed.
Derby,
Collection Chemins de l’Harmonie, p. 308
Ce
qui est étrange dans ce livre c’est que l’arbre généalogique se
présente comme le
véritable acteur, opérateur, c’est lui qui, en quelque sorte, distribue
naissances et morts afin de maintenir son équilibre, une sorte
d’homéostasie.
Il
existe différentes approches de la psychogénéalogie avec des
psychothérapies correspondantes, ainsi de la constellation familiale.
Citons
aussi, à titre d’exemples, les livre Aie Aie mes aïeux!
de Anne Schutzenberger,
Ed. La méridienne. Desclée de Brouver, 1993; Comment
paie-t-on les fautes de
ses ancêtres. L’inconscient transgénérationnel, préface de
Anne
Ancelin-Schutzenberger, Ed. Dsclée de Brouver, 1998, de Nina Canault, ainsi que les
travaux de Nicolas
Abraham et Maria Torok.
[27] Ceci est cité par Kuiper, Cosmogony
and
conception: A Query, in History of religion,
nov. 1970, vol.10, n°2,
qui, à la suite de cela: écrit: « Le chercheur moderne
s’occupant de la
religion Védique peut considérer la possibilité que la figure
mythologique de
Varuna en tant que dieu du monde primordial puisse fonctionner
psychologiquement, pour les dévots, comme un moyen
pour entrer en contact avec les premières
strates de la personnalité et de remettre en œuvre son propre état
prénatal.»
pp. 116-117.
[28]
Ce n’est pas qu’il
n’y ait rien de neuf (sous le soleil), mais il y a continuité et rien
n’est
perdu, comme le désirait GWF. Hegel. On pourrait aussi envisager
l’existence
d’un mouvement spiralé!
[29] À partir de là
des variations
cartésiennes induites par la spéciose sont actualisables. Si je dis: je
pense
donc je suis, je m’affirme et je réactualise la
dynamique de rejet de la
réduction telle que l’opéra R. Descartes. Mais si je dis: je pense donc
je te
suis, je me trouve dans la dépendance et même dans la dynamique de la
servitude
volontaire. Même s’il s’agit de deux verbes différents, il y a dans les
deux
cas continuité, car le verbe suivre implique justement cette dernière
sinon la
progression ne peut pas se dérouler. Quand je suis, je suis pour ainsi
dire mon
parcours de vie, ce qui m’évoque Dante proclamant: suis ton chemin et
laisse
dire les gens (il aurait mieux valu dire: suis ton chemin et ouvre toi
aux
gens). Cela implique la non réduction à moi-même, à mon idiosyncrasie,
à cet
être pensant, à ce corps qu’on voit, car je ne suis que si j’effectue
un
cheminement en liaison au monde, à la nature, au cosmos. Mais si je
suis
quelqu’un, je suis détourné de celui-ci. Mais que dit le discours de la
répression? Je pense donc tu suis, parce que tu ne
peux pas faire par
toi-même. Une variante plus insistante s’énonce: je pense donc tu
me suis.
Les parents ont la conscience, la connaissance du parcours de
l’enfant qui
ne peut que suivre. En conséquence l’être ontosé est à la recherche
d’une
direction, d’un sens, du sens de la vie, parce qu’il a été dépossédé de
son
parcours et de son cheminement.
[30]
Rapport au
mouvement régénérateur Katsugen undo découvert par Haruchika. Nogoshi
et
diffusé en France par Itsuo Tsuda. La pensée aussi résulte d’un
mouvement
spontané car dés qu’on vit, on pense. Ensuite la possibilité
d’appliquer la
pensée à ce qui est pensé s’ouvre de plus en plus: la réflexivité. Le
rire se déploie aussi comme un mouvement spontané, régénérateur tant
pour l'individu qui rit que pour ceux avec qui il est en présence, que
pour la collectiivité dans son ensemble. Il recèle une dimension
communautaire et une fonction de mise en continuité.
[31]
L’accès aux
grandes formes d’organisation est lié aux réponses à des modifications
des conditions
de milieu en rapport au devenir propre de la terre et à celui du
système
solaire. Ainsi lors du passage du stade unicellulaire au stade
pluricellulaire,
comme on peut le constater encore avec certaines amibes qui peuvent se
grouper
pour former un être pluricellulaire quand les conditions de vie sont
défavorables.
[32]
N’exister qu’à
partir de notre apparition implique qu’on n’existe pas avant celle-ci.
D’où la
question ontosique inévitable: quelle est l’origine de l’être
apparu ?
L’apparition
signale un résultat, l’apparence un phénomène. Entre les
deux des relations étroites s’établissent, comme entre image et
apparence. À
propos de cette dernière, je puis dire que c’est ce qui du réel peut
être
affecté et perçu. On comprend dés lors toute la dynamique de se masquer
pour se
rendre secret (rejouement de l’inquiétante étrangeté) aux autres,
sollicitant
en eux la question: qui est-il? On voit donc poindre de multiples
thèmes que je
ne puis aborder pour l’instant. Pour faire liaison et appel à se qui
pourra
être traité ultérieurement, je pose une question: Qu’est-ce que je fais
apparaître (j’offre) quand je suis présent, une apparence, ou une
totalité?
[33] In History of Religion,
nov. 1970 vol.10, n°2. Je
tiens à signaler que
je dois la connaissance de ce texte à Cristina Callegaro qui m’en a
communiqué
une fiche détaillée. Je lui dois également la connaissance de Franz
Renggli,
L. Peerbolte, James Hillman, David Chamberlain.
[34]
Il pense même que
certains jumeaux pourraient provenir de la fécondation du globule
polaire II et
seraient peu viables.
Certains
romans fantastiques semblent décrire cet évènement
douloureux qui hante le romancier, comme me le signala Cristina
Callegaro à
propos d’E. A. Poe et de son livre La chute de la maison Usher.
[35]
Lloyd Demause
The fetal origins of history, p.251, chapitre 7 de Les
fondations de la
psychohistoire, Ed. PUF, 1986. Ce chapitre ne se trouve pas
dans l’édition
française. Nous avons traduit à partir d’un texte pris sur Internet.
[36]
Je n’ai pris en
compte que quelques moments du procès de l’embryogenèse et n’ai pas
tenu compte
de la fœtogenèse car cela serait trop long et suppose d’amples
recherches
complémentaires.
En
outre la prise en compte de la contraception sort du
cadre de cette étude.
[37]
Dans son livre: Histoire
de la découverte de l’inconscient, Ed. Fayard, 1994 (1970 pour le texte original, The
Discovery of the
Inconscious. The
History and Evolution of Dynamic Psychiatry), Henri F.Ellenberger ne
nous indique pas réellement le moment où ce concept est fondé, tout en
nous
mettant en évidence comment la notion de données inconscientes opérant
chez les
individus s’impose à partir des expériences de Messmer, bien que cette
idée
soit ancienne et présente aussi en Orient. D’autre part, à mon avis
l’importance du refoulement est escamoté et ceci parce qu’il ne perçoit
pas
qu’en définitive la question n’est pas celle de l’existence de
l’inconscient
affirmé bien avant S. Freud mais celle de savoir comment des données ne
peuvent
pas devenir conscientes et viennent accroître ce qui est inconscient.
La
citation suivante est intéressante parce que son auteur semble postuler
que le
refoulement fut longtemps refoulé. «L’inconscient sans jamais être
nommé, a
toujours été à l’œuvre dans l’histoire de l’humanité ; ben des
époques et
des cultures ont reconnu son existence et l’ont pris en compte. Si bien
que
dans notre culture occidentale, l’histoire de l’inconscient, c’est
d’abord
l’histoire d’un refoulement et, à partir d’une
certaine date, en
fonction de ce que nous posons, celle d’un retour du refoulé. Le retour
de ce
qui aurait été longtemps refoulé s’est opéré selon la démarche
dominante de
notre époque, qui seule pouvait rendre l’inconscient acceptable par
notre
culture moderne: la démarche scientifique.» Jacques Mousseau, Histoire:
l’inconscient avant Freud dans le livre L’inconscient
sous la
direction de J. Mousseau et P F. Moreau. Ed. CEPL, 1976
S’il
y
a eu retour du refoulé cela s’est fait en dehors de toute démarche
scientifique, mais celui-ci une fois affirmé, elle pouvait être
opérationnelle.
[38] «Pour Sigmund
Freud, le refoulement
désigne le processus visant au maintien dans l’inconscient de toutes
les idées
et représentations liées à des pulsions et dont la réalisation,
productrice de
plaisir affecterait l’équilibre du fonctionnement psychologique de
l’individu
en devenant source de déplaisir. Freud, qui en modifie plusieurs fois
la
définition et le champ d’action, considère le refoulement comme
constitutif du
noyau originel de l’inconscient.» Elisabeth Roudinesco et Michel Plon Dictionnaire
de psychanalyse, Ed. Fayard.
Deux
citations de Sigmund Freud:
« Dans
tous les cas observés on constate qu’un désir violent a été ressenti,
qui s’est
trouvé en complète opposition avec les autres désirs de l’individu,
inconciliable
avec les aspirations morales et esthétiques de sa personne. Un bref
conflit
s’en est suivi, à l’issue de ce combat intérieur, le désir
inconciliable est
devenu l’objet du refoulement. Il a été chassé de la conscience et
oublié». Cinq
leçons sur la psychanalyse
Originellement
le refoulement ne découle pas d’un conflit interne mais du conflit
entre
enfants et parents; conflit entre l’être naturel de ceux-là et l’être
domestique imposé par ceux-ci.
«Un destin
possible pour une motion pulsionnelle est de se heurter à des
résistances qui
cherchent à la rendre inefficace. Selon
des conditions que nous allons maintenant étudier de plus prés, elle
arrive
alors en situation de refoulement.» Métapsychologie,
Ed. Folio
Essais, p. 45.
[39]
On trouve dans les
textes d’A. Janov des remarques qui indiquent la puissance de son
ressenti.
« Nous
n’avons
pas une empreinte; nous sommes cette empreinte.» p. 25.
«Peut-être
devrions-nous parler de mécanisme de survie et non
de névrose, pour
qualifier notre comportemeni». p. 27
[40]
Je préfère ce concept mis au point par A.Janov parce qu’à
mon avis il exprime mieux la totalité du phénomène. Cf. Glossaire.
Toutefois
il faut le distinguer de celui de réactualisation qui implique un
rythme,
parfois difficile à individualiser qui fait qu’à des intervalles
donnés, un
phénomène semblable s’impose, comme le retour des saisons. L’éternel
retour
de F. Nietzsche et de S. Freud est porteur d’inquiétude tandis que le
retour
naturel génère sécurité et confiance.
[41]
Que l’on trouve
dans le livre (pp. 210- 263) portant le même titre, Ed. Gallimard,
folio/essais, 1985, et comprenant d’autres textes. J’ai abordé cette
étude dans
Œuvre de Freud, Réorganisation de la théorie.
[42]
Cette insuffisance
je la perçois également dans cette affirmation: «Il n’est plus besoin
maintenant que de quelques compléments, car avec l’animisme, la magie
et la
sorcellerie, la toute-puissance des pensées, la relation à la mort, la
répétition non intentionnelle et le complexe de castration, nous avons
à peu
prés fait le tour des facteurs qui transforment l’angoissant en
étrangement
inquiétant». S. Freud ne met pas réellement en évidence l’angoissant
logé à la
base de tout.
[43]
Cette phrase de Friedrich Schelling évoque la théorisation
assez répandue sur l’existence en chacun, chacune, de l’ombre, d’un côté
obscur
peuplé d’instincts destructeurs, criminels, qui fait le pendant à celle
concernant l’enfant pervers polymorphe ou criminel né. Nous serons
amenés à
l’aborder ailleurs.
[44]
Cf. page 224, 2°§.
[45]
Ce conte de
E.T.A. Hoffmann Der Sandmann est paru en édition
bilingue, Ed.
Gallimard, folio, avec comme titre français: Le marchand de
sable. La
traduction est de Philipe Forget, avec une préface de Dorian Astor.
[46]
Au sujet de cette
expression le traducteur, Bertrand Féron, signale la parenté avec celle
de F.
Nietzsche, "éternel
retour du même".
Or
celui-ci fut vraiment un homme très
tourmenté.
[47]
Ici aussi nous
percevons l’insuffisance dont il est question dans la note 42. Aucun
support ne
peut être anodin pour exprimer l’inquiétante étrangeté.
[48]
O. Rank, Le
double, 1914, que je n’ai pas lu.
[49] «L’enfant pour
sousvivre et survivre est poussé à créer son ontose». Invariance, série V, n°
4, p. 168. Sur le site cf. Apports d’autres théoriciens, début de
l’avant-dernier paragraphe.
Le phénomène de l’étranger en nous peut provenir d’une
virtualisation à partir de projections ou d’une identification. Ainsi
la mère
ou le père qui s’identifie à son en enfant crée en lui un être virtuel
qui lui
est étranger, et qui vient interférer avec celui qui provient de
lui-même.
L’étranger peut servir à dire son mal être, grâce à une identification. Ainsi le saint ou la sainte qui présente les plaies du Christ, exprime toute sa souffrance par cette somatisation. Mais, par un détour, cela ne peut-il pas signaler qu’il recèle un étranger en lui qui lui inflige ces plaies?
En fait il conviendrait de traduire Unheimlich par inquiétant familier
car ce qui inquiète ce n'est pas l'étrangeté, mais le familier, et
c'est l'élément étranger, advenu en nous et s'intégrant en nous,
rendant ce familier difficilement saisissable en lui-même, qui
provoque l'inquiétuede et l'impossibilité de se percevoir dans notre
idiosyncrasie (note d'octobre 2012).
[50]
C’est là
l’empreinte initiale de la perception d’être inachevé qui hante
l’espèce et qui
conduit hommes et femmes à essayer de se modifier, de se transformer,
d’acquérir de multiples prothèses.
[51]
Cf. Surgissement
de l’ontose, Invariance, série V, n°4.
[52]
Une confirmation
de la validité de cette approche théorique s’impose à la lecture du
livre L’homme
aux statues – Freud et la faute cachée du père,
Ed Grasset, de Marie
Ballmary.
Les
non-dits qui s’accumulent dans la vie quotidienne provoquent à
l’improviste des irruptions de colère qui peuvent apparaître
irrationnelles.
[53]
Avec la dynamique
de la menace et de l’ennemi extérieur, c’est une autre source du besoin
de la
guerre. Dans Gloses IX
j’ai indiqué que le kamikaze essayait de détruire
l’ennemi extérieur comme celui intérieur.
[54]
Ce n’est pas un
hasard à mon avis si les mythes de possession ont une telle importance
au cours
des siècles, ainsi que les pratiques d’exorcisme qui en découlaient.
Les
phénomènes inconscients peuvent être perçu et l’ont été comme relevant
de la
possession; comme on s’en rend compte en lisant le livre de Henri F.
Ellenberger: «Histoire de la découverte de l’inconscient.
Le
cancer – voire d’autres maladies - se présente peut-être comme la
forme somatisée de l’étranger en nous.
[55]
Nous pouvons
envisager, sur la base des travaux de L. Peerbolte, que le phénomène de
l’inquiétante étrangeté, peut se mettre en place au niveau des gamètes.
En
conséquence une anamnèse profonde conduisant à ce stade de notre
devenir peut
permettre également d’accéder à des données transgénérationnelles et
d’y
retrouver, là encore, l’inquiétante étrangeté affectant l’espèce.
[56]
J’ai été amené à
mettre beaucoup de notes pour signifier aux lecteurs et lectrices que
le
discours théorique ne pouvait pas se limiter à ce qui était exposé pour
apporter des complèments à des textes antérieurs. Cet addendum annonce
aussi
des investigations futures.