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ADDENDUM 2010

 

 

 

 

 

Cet addendum se réfère à De la vie et à l’étude concernant le mouvement psychanalytique[1]. Au lieu d’apporter d’autres notes - déjà nombreuses - à ces textes, je préfère, en me servant, comme fil conducteur, des concepts fondamentaux de la théorie psychanalytique de S. Freud, expliciter les précisions qui s’imposent, et apporter les ajouts nécessaires. Cet addendum s’impose afin de  pouvoir continuer une investigation de vaste amplitude visant à mettre en évidence comment les fonctions vitales de l’espèce ont été modifiées par la spéciose-ontose dérivant de la répression et par là, à mieux fonder le cheminement à la naturalité de l’homme, de la femme. Dit brièvement le déroulement naturel des diverses phases du procès de vie a été fortement affecté; il fallut donc diverses actions extérieures à celui-ci pour qu’il puisse en fait s’accomplir (dynamique thérapeutique sous toutes ses formes). Cette intervention est une rupture avec le non-agir qui opère dans la naturalité et dans la connaissance de la totalité.

 

Je ne prends pas en compte la psychologie scientifique, qui peut seulement fournir des indications utiles sur le fonctionnement psychique, car au même titre que les sciences cognitives, elle participe de la dynamique de recouvrement, si ce n’est de celle de la répression à l’instar de la logique. D’autre part cela n’implique nullement que les phénomènes qui y sont abordés ne relèvent que de cette discipline; ils sont susceptibles d’être expliqués d’une autre façon. Ainsi de la dissonance cognitive.

 

«Selon la théorie de la dissonance cognitive, si une personne est amenée à faire une action qui est incompatible avec ses opinions ou attitudes, elle se trouve alors dans un état inconfortable de "dissonance cognitive". Cette dissonance doit être réduite et fournir donc la motivation des actions futures de cette personne en vue de la résolution de la tension créée par la dissonance cognitive. Une façon de supprimer la dissonance est de se convaincre que l’on est après tout d’accord avec ce que l’on a fait (ce qui relève de la méthode Coué ou de la positivisation, opérant dans la dynamique du recouvrement, du non voir, n.d.r). En d’autres termes, les opinions et attitudes sont modifiées pour être cohérentes avec le comportement[2]».

 

Le comportement se présente comme ce qui résulte de l’action du milieu social sur l’individu, c’est au fond ce qui est le plus immédiatement modifiable par la répression. Constamment l’être ontosé se trouve en situation de dissociation entre ce que recherche son être naturel et ce qu’exige l’être social, domestiqué. Pour échapper à la tension dilacérante, il se met en continuité avec ce qu’impose le monde dans lequel il vit, afin de ne pas réactiver constamment l’empreinte de la séparation. On peut expliquer ainsi le passage de certaines personnes de l’extrême gauche à la droite ou même à l’extrême droite. Elles recherchent ce qui les place au mieux en continuité. Comme elles n’ont connu que la répression elles choisissent en dernier recours ce qui les met le plus en conformité avec celle-ci, adoptant inconsciemment la dynamique de la servitude volontaire.

 

1. Les traumatismes

 

Venons-en à notre addendum. L’affirmation concernant l’existence de traumatismes infantiles, liés à de mauvais traitements, et leur influence déterminante dans la vie psychique de tout un chacun devient de plus en plus courante. Je rappelle qu’elle occupe une place centrale dans la première version de la psychanalyse (théorie de la séduction) et qu’elle fut en grande partie remise en cause lors de la mise en évidence que les enfants fantasment et, également, avec la théorisation au sujet des souvenirs recouvrants, ainsi qu’avec celle d’une sexualité infantile. Mais divers théoriciens, dont certains psychanalystes vont reprendre l’affirmation et l’étayer; A. Janov, particulièrement, ce qui le conduisit à l’idée d’empreinte. Toutefois le débat se poursuit entre ceux qui affirment la réalité des mauvais traitements et ceux qui la nient. Parallèlement s’impose de plus en plus l’importance de la vie affective non seulement du bébé mais du fœtus et en conséquence la nocivité extrême des méfaits qu’ils subissent. Mais la vie intra-utérine est encore totalement escamotée puisqu’on est déclaré vivant seulement après neuf mois d’existence, lors de la naissance.

 

À propos des mauvais traitements je puis citer Louise L. Lambrichs Puisqu’ils n’en diront rien – La violence faite aux bébés, Ed. Bayard, 2009.

 

Cette violence fut autrefois théorisée et revendiquée dans divers traités. En effet à la lecture d’abondantes citations de Pensées sur l’éducation de John Locke ainsi que de celles  de I. Kant tirées de Réflexions sur l’éducation et autres écrits[3], on se rend compte de l’importance de l’utilisation des châtiments corporels mais aussi psychiques (utilisation de la honte, de la culpabilité par exemple) dans l’éducation. La thèse soutenue est qu’il faut intervenir très tôt comme pour annihiler l’être naturel actif de tout enfant  vis-à-vis de la mise en domestication, de telle sorte qu’il accède au stade de tabula rasa (où tout a été effacé)[4] afin de pouvoir lui  imprimer  les principes de vie en société. Et ceci s’opère en une lutte prenant l’allure d’une guerre asymétrique parents-enfants  dont la responsabilité est attribuée à ces derniers[5].

 

Ces citations nous induisent trois remarques. La première est que J. Locke et I. Kant ont prôné  l’émancipation, la sortie de la minorité mais seulement pour les adultes et en confirmant la répression sur les femmes et les enfants, mettant en évidence que dynamique d’émancipation et dynamique de répression peuvent aller de pair et que les révolutionnaires se sont très souvent adonnés à la répression au nom même de la libération (c’est pour ton bien).

 

La deuxième  est que le procès de connaissance est utilisé pour justifier l’errance de l’espèce et de  la répression. Le débat sur l’origine des connaissances (innées ou acquises) n’a pour fondement que cette justification et donc n’a pas d’intérêt, sauf celui de mettre en évidence la spéciose. Le procès de connaissance entérine toutes les horreurs.

 

La troisième, intimement liée à la deuxième, concerne la genèse du concept de conscience. On constate  que J. Locke, adepte de la répression, en est le principal opérateur de sa mise au point. Ce qui confirme bien le rapport étroit entre conscience et répression et que toutes deux dérivent de la séparation[6]

 

Parmi les citations d’I. Kant faites par Alexandra Barral, j’ai choisi celle-ci: « La discipline transforme l’animalité en humanité. Par son instinct, un animal a déjà tout ce qu’il peut être [...] mais l’homme doit user de sa propre raison [...]. La discipline empêche que l’homme soit détourné de sa destination, celle de l’humanité, par ses penchants animaux [...]. La discipline est ainsi simplement négative, c’est l’acte par lequel on dépouille l’homme de son animalité ; en revanche l’instruction est la partie positive de l’éducation [...]. Celui qui n’est pas cultivé est brut, celui qui n’est pas discipliné est sauvage. Le défaut de discipline est un mal plus grand que le défaut de culture, car celui-ci peut se réparer plus tard ; mais la sauvagerie ne peut plus être chassée.» (Réflexions sur l’éducation) Elle exprime bien la haine de la nature qui est en fait haine de l’enfance[7]. L’émancipation consiste à sortir de celle-ci, où l’on est inachevé,  grâce à une discipline rationnelle et, par là, de l’animalité, de la nature.

 

Pour ce qui est de la vie intra-utérine: Thomas Verny, avec la collaboration de John Kelly, La vie secrète de l’enfant avant la naissance, Ed. France Loisirs, 1982.

 

D. Chamberlain apporte également beaucoup d’informations sur la vie intra-utérine[8]. En outre il affirme que les jeunes enfants peuvent se souvenir de leur naissance. Mais le plus important c’est son insistance à prouver que les bébés are fully human (sont pleinement humains). Ceci est déterminant parce que hommes et femmes se pensant inachevés au départ,  cherchent à se parachever à travers la mise en place de diverses prothèses, ce qui tend à produire des êtres totalement hors nature, artificiels au sens plein du mot. Parallèlement à la mise en place de ces prothèses on a eu le développement d’un discours théorique qui a présenté les étapes suivantes: l’homme n’est pas seulement un animal, puis l’homme n’est pas un animal, ce qui est vrai dans la mesure où l’animal n’est pas une machine ce à quoi aspire Homo sapiens, et est relayé maintenant par le suivant où l’on tend à passer de l’affirmation: l’homme est un être vivant, mais il n’est pas que cela, à cette autre: l’homme n’est pas un être vivant. La meilleure preuve c’est qu’il ne fait pas partie de la nature.

 

Ce n’est qu’en reconnaissant la plénitude de la puissance de l’espèce au sein du bébé qu’il est possible d’abandonner insatisfaction et haine de soi, et la fascination de la machine.

 

Dans un interview paru sur un site italien[9]: Qu’est-ce qui empêche le développement des enfants? Joseph. Chilton Pearce énumère les effets néfastes de la civilisation. Tout d’abord l’éducation et une instruction trop précoce en rapport à une séparation imposée de plus en plus tôt entre les parents (la mère avant tout) et l’enfant. À ce propos il dénonce la nocivité des écoles maternelles à laquelle nous pouvons ajouter celle des crèches. Il fait remarquer: «Plutôt que d’"enseigner" à l’enfant, il convient de lui assurer un milieu approprié, nourrissant». Il faut en finir avec l’interventionnisme rejeton de la répression.

 

Ceci a été précédé dit-il par "l’assistance de la baby-sitter", par l’accouchement médicalisé, technicisé. «James Prescott a découvert une parfaite correspondance entre la cohésion sociale et le mode selon lequel les enfants sont portés au monde[10] et donc éduqués. Selon Michel Odent, le système immunitaire se fixe à la naissance selon une forme immuable selon le rapport que le nouveau-né a avec la mère. Si nous interférons dans la mise ne place de ce lien fondamental de la vie au moment de la naissance, nous mettons en péril les liens successifs avec la terre, la société et avec l’autre sexe (c’est-à-dire avec le lien fondamentale de la vie)».

 

J. C. Pearce insiste sur la dégénérescence (concept dangereux car il a servi et peut encore servir à justifier la répression sociale) de l’espèce qu’il perçoit à travers la généralisation de l’obésité, de l’anorexie, de l’autisme, de la sexualité précoce, et, l’on peut ajouter, celle de la violence. Tout cela confirme notre affirmation sur l’obsolescence de Homo sapiens et sa disparition en cours.

 

L’essentialité de la relation entre la mère et le bébé est nettement bien exposée dans: Mère et bébé l’un contre l’autre - Du processus d’attachement à l’appartenance sociale, W. Maurer, Ed. Le souffle d’or, 2004.

 

L’importance  de la petite enfance, des bébés ne date pas d’hier Je donnerai deux exemples. Tout d’abord celui de Charles Darwin qui, il ne faut pas l’oublier, avec en particulier L’expression des émotions chez l’homme et chez l’animal, est  le fondateur de la psychologie animale, de l’éthologie et d’une sorte de psychobiologie qu’on retrouvera dans la sociobiologie comme le note Frank J. Solloway[11] qui nous indique qu’il « fut amené, dés 1838, à proposer l’"Histoire naturelle des bébés"[12]  comme un sujet fécond pour les recherches à venir ». p. 232  Et qu’il fit comme Piaget  des études sur ses enfants et qu’il publia en 1877 L’esquisse biographique d’un petit enfant[13] . Et, comme le dit le même auteur, il anticipe sur S. Freud en ce qui concerne l’importance de la sexualité chez l’homme et la femme comme le prouve son ouvrage La descendance de l’homme où la plus grande partie du livre est consacrée à la sélection sexuelle. Ce qui tend à signifier que Homo sapiens est le résultat d’une sélection sexuelle, ce qui implique qu’il ne fut pas passif  mais intervint dans son "engendrement".

 

En 1899 Ellen Key écrivit Le siècle de l’enfant [14]. Il y a trois ans grâce à une amie, j’ai pris connaissance de ce livre. Le titre me plut et surtout m’intrigua. De quel siècle s’agissait-il, de celui qui se finissait ou de celui à venir ? Et pourquoi l’enfant y serait-il déterminant. Je n’ai pas eu l’occasion de  le lire et je reste avec mes interrogations. D’après les quelques citations qu’en fait François Bochet dans le n° 30 de (Dis)continuité (p. 333), je perçois une personne bien imprégnée de répression et qui la justifie: «Le bon éducateur ne donne jamais d’ordre qui ne soit fondé; et il pourra éventuellement en donner la raison, mais si l’enfant n’est pas convaincu il devra cependant obéir, pour cette simple raison qu’il comprendra certainement: tous, y compris les adultes, doivent suivre certaines lois, et se plier à l’inévitable. Il faut ancrer en les enfants cette grande nécessité de la vie, et nous y réussirons sans recourir à des moyens violents, si nous avons commencé à les éduquer avant leur naissance en ayant la maîtrise de nous-mêmes et immédiatement après en ne cédant pas à leurs caprices. » Voilà un discours net et précis concernant  la dynamique répressive : la répression s’impose pour tous, et les adultes doivent être à même de la transmettre (d’autant plus que les enfants sont dominés par fantasmes et caprices) en recourant aux lois, à la "dialectique des droits et des devoirs ", aux ordres, à la fermeté,  à l’autorité qui est une médiation[15] à la quelle les adultes recourent parce qu’ils sont impuissants; ce qui est bien signalé par l’expression: argument d’autorité. L’impuissance, inconsciente, surgit en présence du mécanisme infernal auquel il faut se plier car il est inévitable.

 

Revenons à nos jours. Le texte suivant de Franz Renggli, prélevé sur Internet, résume tout ce qui est fondamental sur ce que devraient être les rapports parents-bébés, puis enfants, en intégrant le rôle du père, tandis qu’en faisant ressortir la nécessité de la présence d’autres femmes et hommes, il met en évidence la dimension communautaire, perdue, de l’espèce. Or c’est cette dimension qui permit la réalisation de Homo sapiens grâce à l’intégration du caractère prématuré du bébé consécutif au grand développement de l’encéphale et donc  du crâne.

 

«On trouve chez les mammifères 2 formes de développement de la relation mère-enfant, et du développement du petit: les nidifuges et les nidicoles. Chez les premiers, le petit se déplace dès la naissance comme les adultes, et suit sa mère, ou son troupeau où qu'il aille. C'est le cas par exemple chez les buffles ou les chevaux. Chez les nidicoles, comme par exemple les souris ou les chats, les petits naissent sans fourrure, les yeux fermés, et ils sont toujours plusieurs. Ils restent dans un nid, où leur mère les élève.

 

Par contre, la situation est tout autre chez les singes, nos proches cousins: dans leur cas, c'est la mère qui est le "nid". Le petit s'agrippe avec les mains et les pieds à la fourrure de sa mère, et il est porté de manière ininterrompue pendant la première période de sa vie. Ainsi porté, au contact corporel rassurant de sa mère, un petit singe est la plupart du temps calme. Et dans le cas où le petit se met à pleurer ou à gémir, sa mère réagit immédiatement, ce qui est aussi tout à fait sensé au niveau biologique: si le petit perd son agrippement d'une main ou d'un pied, il est menacé de mort, vu que les singes se déplacent principalement dans les arbres.

 

L'être humain a perdu sa fourrure il y a 4-5 millions d'années, lorsqu'il a quitté la forêt vierge, et qu'il s'est installé dans les savanes sèches et les steppes d'Afrique. Et malgré le temps passé depuis lors, les bébés humains naissent encore et toujours avec les mains et les pieds fermés, comme s'ils allaient s'agripper " à la fourrure " de leur mère. Les civilisations dites " primitives " ont cette connaissance et cette intuition de la vie, et c'est la raison pour laquelle les petits sont constamment portés, et dorment contre le corps nu de leur mère pendant la nuit.

 

Toutes les personnes ayant eu l'occasion d'observer ces peuples en sont revenues surprises de la tranquillité des bébés, visiblement calmés par le fait d'être en contact corporel constant avec leur mère ou une autre personne de référence. Mais il faut toutefois souligner que dans ces cultures, il y a toujours 10 à 20 personnes qui s'impliquent à s'occuper d'un bébé. On constate chez un petit enfant un besoin archaïque de contact corporel, ou, autrement dit, une peur archaïque lorsqu'il perd ce contact physique.

 

Les civilisations dites "développées" se démarquent par une séparation précoce et conséquente de la mère et de l'enfant. La règle veut que plus le degré de civilisation est élevé, plus la séparation est précoce et radicale, ce qui est visiblement une adaptation émotionnelle à l'aliénation de la vie en ville. Ainsi, un noyau de peur et de panique est comme imprimé à l'intérieur de chaque être humain. Mais on peut aussi dire que c'est aussi la source éternelle de toute notre curiosité pour la technique et notre créativité artistique : une beauté à couper le souffle, que nous pouvons admirer, dispersée autour du monde.

 

Dans les civilisations "développées", les mères et les enfants sont séparés depuis des millénaires. C'est n'est que dans les années 1970 que les mères de notre culture ont recommencé à allaiter leurs enfants, à les porter davantage, et même de les accepter dans leur lit pendant la nuit, selon les circonstances. Les enfants peuvent maintenant à nouveau être rassurés au contact de leurs parents. Et ce serait l'idéal si non seulement les parents pouvaient s'entraider pour cela, mais qu'encore au moins 10 personnes pouvaient contribuer à les décharger dans cette tâche, comme dans les cultures primitives. Car plus le lien entre l'enfant et sa mère est solide, plus l'enfant est rapidement prêt à créer des relations à d'autres personnes. Un éloignement millénaire des mères et des bébés est en train d'être transformé par des parents alternatifs: on offre de nouveau au bébé la proximité dont il a besoin et qu'il souhaite ardemment. Ce "processus de guérison" est déjà si avancé, que, dans les cliniques progressistes, on ne sépare plus les mères des nourrissons après la naissance.

 

Est-ce que la mère, ou les parents, n'est pas dépassée émotionnellement par ce processus ? Car, en tant que bébés, une telle proximité était interdite. Tout d'abord, une maman ne devrait porter son bébé qu'autant que cela lui paraît bon, et qu'elle le supporte physiquement. Ensuite, elle devrait chercher autant d'aide extérieure que nécessaire. Pour le bébé, à quoi sert-il d'avoir une maman qui est toujours là pour lui, et s'effondre, "dépressive ", à la fin de sa première année ? On peut dire que la tâche principale, la plus importante de la mère réside dans le fait de bien s'occuper d'elle-même, et, en quelque sorte, d'être une bonne mère envers elle-même. Si elle se sent bien, le bébé le ressentira aussitôt.

 

Mais il reste encore un troisième aspect à considérer: les parents d'un bébé, dont les vieux traumatismes et vieilles blessures se sont réveillés, parfois même déjà pendant la grossesse. C'est leur propre "bébé intérieur" qui pleure, car en tant qu'enfants, ils n'avaient pas le droit de pleurer, de crier. De tels parents ont la chance de pouvoir ainsi découvrir toutes leurs anciennes blessures, associées à de la tristesse, du désespoir et de la colère, et de s'en libérer. Ce "bébé intérieur " qui pleure est réveillé par leur enfant qui pleure. Ces parents ne veulent plus éduquer leurs enfants, mais ce sont les enfants qui deviennent les "enseignants " des parents. Et en tant que thérapeute de bébés et de leur famille, je voudrais encore insister sur ce point : chaque larme pleurée par le bébé au contact corporel de sa mère ou de son père est synonyme de guérison. Mais il s'agit aussi d'une guérison potentielle pour les parents eux-mêmes, s'ils parviennent à s'écouter, à écouter leur propre corps, à reconnaître et à accepter ce que les pleurs de leur bébé réveillent en eux. C'est ainsi que l'on peut dire qu'un petit enfant est une chance énorme pour les parents de se guérir eux-mêmes ! Il est cependant important dans ce processus, que la mère et le père puissent se soutenir émotionnellement l'un l'autre, ou qu'ils puissent l'un et l'autre mobiliser les ressources nécessaires: amitiés, activités, créativité ou spiritualité, qui leur donne de la joie, leur permettent de retrouver des forces ou de redonner un sens à leur vie.

 

Un dernier mot concerne les bébés qui pleurent beaucoup, et qui mènent ainsi leurs parents parfois au bord de l'épuisement. Les bébés souffrant des coliques des 3 mois, ou d'autre maladie, les bébés dont la grossesse a été difficile ou la naissance pénible. Les parents de tels enfants ne doivent pas essayer de tenir le coup plus longtemps, et attendre que les pleurs de leur enfant diminuent peu à peu et finalement s'arrêtent. Ces parents ne doivent pas avoir honte d'aller rechercher de l'aide de professionnels, pour eux et pour leur bébé. Souvent, il suffit d'une première consultation pour apporter une amélioration importante pour les bébés comme pour les parents». (Les bébés veulent être portés, Franz Renggli, Basel, 25.04.2001)[16].

 

À partir de ce texte on comprend encore mieux tous les méfaits de la relation mère enfant depuis des millénaires, conséquence de la séparation de Homo sapiens avec le reste de la nature. Les progrès de la civilisation sont en rapport constant avec la régression de la naturalité de cette relation. Les conséquences négatives se sont sommées à travers les âges et débouchent actuellement sur la dissolution de l’espèce.

 

Ce qu’expose F. Renggli, je le répète, est une merveilleuse confirmation de la thèse avancée depuis toujours que Homo sapiens est un animal communautaire, c’est une donnée biologique, une supra adaptation qui lui permet de surmonter ce qui, la prématuration, pourrait sembler (et est vécu, en tant que tel, par hommes spéciosés et femmes spéciosées) comme un handicap énorme, les prédestinant à toutes sortes de conduites pour compenser une infériorité, parfois vécue comme une ratée.

 

J’ajoute que le mode de porter le bébé implique un face à face qui permet de le voir et d’être vu, de lui parler sollicitant son écoute  lui permettant de vérifier la réalité de sa présence au monde. En revanche l’utilisation des poussettes introduit une immense distanciation. Pousser peut signifier mettre hors de, hors du monde naturel, hors du topos familial, du monde familial, etc. Dans un premier temps parents et enfant se faisaient face et il y avait une possibilité de continuité, mais aussi de surveillance (la répression n’est jamais loin); la confiance en la technique n’était peut-être par encore totale. Quand, à présent, les enfants sont placés de dos, il y a séparation avec confiance en la technique (rien d’ennyeux ne peut arriver). L’enfant est carrément poussé  vers l’extérieur et ça c’est cohérent avec la théorisation que l’être se construit, qu’il n’a pas d’essence, qu’il est un projet. Le pousser c’est faciliter sa mise en projet, et ce qu’il a devant (le domaine de consommation, épiphanie du capital) peut jouer le rôle d’attracteur, ce qui le prépare bien à devenir un adepte du coaching[17].Résumons: porter c'est opérer ensemble; pousser, c'est se séparer.

 

 

Revenons aux traumatismes en citant, en traduction italienne, L’origine della paura. I miti della Mesopotamia e il trauma della nascità, Roma, Ed. scientifiche Ma.GI  2004. (L’origine de la peur. Les mythes de la Mésopotamie et le drame de la naissance). À leur propos une investigation sur les représentations non seulement écrites mais picturales de ces mythes comme de ceux de la conception apporterait beaucoup de précisions à notre connaissance du vécu de ces deux phénomènes. En outre je me pose la question: à partir de quand trouvons-nous des représentations picturales de ces phénomènes et, pour ce qui concerne le paléolithique quel rapport peut-il y avoir avec les statues dénommées vénus. ?

 

Les traumatismes n’existent pas en tant que tels, comme cela apparaît le plus souvent dans les exposés des psychologues ou de divers spiritualistes qui les considèrent comme des épreuves dans la formation de l’individu, pouvant aller jusqu’à considérer qu’ils constituent des chances pour le développement de celui-ci[18]. Ils dérivent du comportement des parents au cours de l’accomplissment de leur procès de vie qui est déterminé par la sexualité. Pour bien saisir l’importance de celle-ci il faut l’envisager d’un point de vue paléontologique. Elle s’imposa il y a peut-être un milliard d’années en tant que phénomène d’union de deux noyaux (une symbiose), leur fusion et donc la réalisation d’une grande continuité, et en tant que phénomène de résistance à de mauvaises conditions de milieu. Le zygote résultant de l’union (fécondation) étant un «organisme» résistant qui – comme on peut le constater chez des êtres vivants actuels - lorsque les conditions redeviennent favorables se développe en subissant une réduction chromatique, donnant naissance à un organisme haploïde. La sexualité apparaît donc avant les sexes résultat d’une longue évolution ultérieure et la coexistence chez un même individu de deux types de cellules: somatiques et germinales, ces dernières se trouvant regroupées dans un appareil génital particulier à chacun des sexes. Dés lors pour qu’une union des noyaux soit possible - fondement de la sexualité - une foule de phénomènes devront intervenir dont l’ensemble forme la sexualité.

 

En nous limitant au cas de Homo sapiens s’imposent le développement du zygote, celui du fœtus (utérogestation), la parturition, l’haptogestation et tout le développement de l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne la maturité sexuelle et donc soit à même de s’accoupler avec un être de sexe complémentaire. Mais ceci nécessite à son tour non seulement chez Homo sapiens, mais aussi chez les mammifères et les oiseaux, des phénomènes incluant une dimension esthétique comme l’a montré Ch. Darwin - le beau est ce qui fait accéder à la continuité – et une dimension psychique qui, au niveau de Homos sapiens, prend une ampleur considérable car elle doit assurer la continuité non seulement entre les géniteurs mais aussi entre tous les membres de la communauté afin que l’haptogestation puisse se réaliser (prise en charge des enfants par tous les adultes). C’est pourquoi la jouissance a une telle importance et implique que sa visée puisse être séparée de la visée reproductive; l’acte sexuel permet le maintien de la continuité. Toutefois cette dimension psychique sera de plus en plus parasitée par les déterminations sociales. Autrement dit toutes les phases du procès de vie sont déterminées par la sexualité.

 

Grâce à toutes ces phases, se réalisent, non seulement la reproduction des individus et donc de l’espèce - un homme, une femme s’est reproduit, reproduite dés lors que leur fils ou leur fille est à son tour apte à se reproduire - mais également la multiplication des composants de l’espèce comme le prouve à suffisance la surpopulation, qui n’est pas récente, des hommes et des femmes. Voilà pourquoi on peut parler de reproduction sexuée (procréation), forme de reproduction qui contient comme moment fondamental, déterminant, la sexualité. Ce qui s’oppose à la reproduction végétative, qu’il vaudrait mieux appeler reproduction végétale, car le premier terme est souvent péjoratif, alors que l’autre indique qu’on le trouve dans le règne végétal; reproduction qui s’opère à partir de cellules somatiques.

 

On comprend dés lors que la sexualité soit la fonction vitale fondamentale porteuse d’un grand nombre de traumatismes. Fonction de continuité, elle subit au cours des millénaires une fragmentation dissociation importante (et une réduction intense) et les éléments dissociés tendent à s’autonomiser pour finalement alimenter une vaste combinatoire sexuelle. Séparation entre les sexes, entre enfants et parents, entre procréation et jouissance puis, au niveau de l’allaitement, posant la mère, puis la nourrice,   remplacée ultérieurement par un animal (élevage), mais séparation aussi dans l’acte de procréation, dans la gestation, etc. La dissociation a permis la réduction et un dépouillement de telle sorte que la sexualité a été réduite à l’acte sexuel, lui-même perverti, à ce qui est nommé curieusement le «sexe» [19]. Les organes copulateurs, qu’on ne doit pas montrer, sont chargés de l’opprobre que l’on inflige à la fonction fondamentale de la vie. Ce qui est compensé par la pornographie, exhibitionnisme de sexes, excès délirant, et voué à l’échec, d’exhiber ce qui fut perdu. Le transfert d’éléments faisant partie de la sexualité est venu nourrir la dynamique mystique comme J.J. Rousseau le fit remarquer il y a déjà longtemps, surtout à cause, ajouterai-je, de la possibilité d’accéder à la continuité. Ainsi la sexualité est réduite à une pratique qui peut être enseignée, à un exercice, à un devoir. Comment ne pas naître perturbés, marqués par un tel mode de vivre!

 

La sexualité tend à être ramenée à l’acte copulatif seul, mais cette réduction ne peut pas abolir le phénomène déterminant de l’union des noyaux de l’ovotide et du spermatozoïde. D’où le développement de la contraception, de l’avortement. En outre la peur de l’autre conduit à la remettre en cause: le clonage, avec, en plus la recherche d’une immortalité par sommation successive de clones. L’accès à une multiplication végétative[20] abolit  la dimension de l’autre, la souillure, et donc toute possibilité d’affectation. Enfin la sexualité en tant que relations entre êtres de sexes différents tend de plus en plus  à disparaître remplacée par diverses méthodes de procréation artificielle dont le parachèvement est la mise au point de l’utérus artificiel. Êtres humains et féminins sont de plus en plus connectés, rarement en contact, encore moins en continuité.

 

Cette intense réduction induit un phénomène compensateur: la sexualité devient sous forme abstraïsée un opérateur déterminant et envahissant - parce qu’il intervient dans toutes les sphères de l’activité des hommes et des femmes – dans la réalisation de la combinatoire se manifestant à travers la publicité, l’affichage de la spéciose [21].

 

A partir des travaux de S. Freud la mise en évidence des perturbations apportées aux phénomènes sexuels par suite de ce que je nomme la spéciose s’est amplement développée. Ceux d’Otto Rank montrèrent que les traumatismes ne se limitaient pas à la petite enfance mais concernait la naissance elle-même. À la suite de Lietaert Peerbolte (qui reprit des travaux de Nandor Fodor)[22] et d’autres théoriciens dont nous ne connaissons pas les travaux, on est amené à considérer que non seulement ils affectaient la vie intra-utérine mais également la formation des gamètes. En conséquence on peut essayer à partir de ces travaux de se représenter les perturbations subies au cours de l’ensemble du phénomène sexuel. Je précise que L. Peerbolte s’appuie sur une vaste étude  des rêves de ses patients et patientes. Il est difficile de vérifier la justesse de l’existence  de ces traumatismes mais on peut se rendre compte s’ils sont  possibles dans la mesure où ils sont compatibles, cohérents, avec le vécu total du patient, s’ils sont aptes à induire la compréhension de son ontose. À mon avis la démarche de L. Peerbolt est tout à fait juste. Je pense, en utilisant son étude et en mettant en évidence les moments de crise possibles déterminés par les perturbations dans les relations homme, femme, montrer comment s’implantent des troubles profonds. Autrement dit on peut considérer divers moments où des traumatismes peuvent être déterminants. Ils sont transmis "mémoriellement" aux stades suivants et, par le rejouement, peuvent être amplifiés et peuvent devenir  perceptibles même au niveau de l’adulte qui peut essayer de s’en libérer. Toutefois pour parvenir à inactiver l’empreinte, il serait nécessaire de régresser jusqu’à l’origine. Et là s’impose le rapport avec les générations antérieures.

 

Je vais donc procéder ainsi en commençant à exposer à quels moments de leur formation les gamètes peuvent être affectés. Commençons par le gamète femelle que L. Peerbolte a surtout étudié.

 

L’ovogenèse commence durant la vie intra-utérine à partir d’ovogonies qui subissent une phase d’accroissement et deviennent des ovocytes I (cellules à 2N chromosomes) qui vont subir la méiose qui s’arrête très tôt  à la prophase de la première division de celle-ci, exactement au stade diplotène où les chromosomes sont enroulés les uns autour des autres. La méiose reprendra à partir de la puberté et l’ovocyte I va parachever sa division. Toutefois ceci s’effectue en connexion avec la formation du follicule de De Graaf qui, à maturité, contient un liquide, le liquide folliculinique. La première division réductionnelle (du nombre de chromosomes) aboutit à la formation de deux cellules de taille différente, une petite le globule polaire I, une grande l’ovocyte II. Celui-ci subit la seconde division (ainsi que le globule polaire I) mais elle s’arrête au stade de la métaphase et l’on dit qu’on a affaire à l’ovocyte II bloqué en métaphase. En fonction de ce que vit la femme, et son vécu est dépendant de ses relations avec son entourage particulièrement avec son conjoint (l’homme avec qui elle est en relation d’amour), ce blocage peut-être le support de diverses perturbations. Ainsi celui de vivre l’indécision, l’inchoation ou maintien dans l’intentionnalité, ou résorption de celle-ci, qui vise normalement un début et une fin, est la «source» de l’éternité spéciosique? En effet d’après Grégoire de Nysse l’éternité «c’est ce qui n’en finit pas de commencer» c’est une attente, et en paraphrasant Saint Augustin, on peut dire l’éternité est une longue attente de l’éternité. Autrement dit celle-ci résulte d’un télescopage des extrêmes: fin et commencement, où l’un et l’autre se nouent empêchant, effectivement, un devenir[23], éternisant le présent. L’attente c’est ce que vivra l’enfant avec intensité, une attente qui ne commence pas d’en finir et qui le fixe dans un présent dont il voudrait s’échapper.

 

L’inchoation peut se représenter aussi de façon spatiale: c’est comme s’il y avait un seuil indéfini, qui s’étale au fur et à mesure qu’on le franchit, que l’on est dans l’acte de le franchir.

 

L’inchoation a une affinité avec le chaos,  ce qui ne peut pas s’organiser et commencer à devenir[24]. Elle en a de même avec l’inanité du fait qu'il y a télescopage du début et de la fin, posant: à quoi  bon faire? Dés que posé c’est épuisé. En conséquence elle est aussi en rapport avec l’inhibition où, très souvent, un tel télescopage s’impose.

 

L’inchoation est comme un refus non conscient (refoulement d’une souffrance virtuelle) du devenir potentiel appréhendé comme recélant une menace. Elle peut inclure, potentiellement, l’anticipation qui s’impose très souvent comme une conduite préventive par rapport à quelque chose de redouté.

 

À ce stade de nôtre étude nous pouvons percevoir le rapport avec la retenance. Celle-ci s’impose lors de la coupure de continuité et engendre la rétention (cf. thèses 73, 74, ,75 de Surgissement de l’ontose). Elle est due au fait que pour ne pas perdre notre substance, nous essayons de l’intégrer au plus profond de nous. Une fois l’intégration réalisée s’impose l’inchoation: comment à partir de là commencer un procès?

 

Par la suite, le devenir de l’inchoation se prolonge en quelque sorte  dans  la procrastination qui réimpose l’attente, celle du moment favorable, le kairos, de l’être sauveur, etc., ce qui est une base pour la dynamique du rejouement.

 

Ce peut être aussi le moment d’un refus de la dépendance puisque l’évolution ultérieure de l’ovocyte II dépend de la rencontre des spermatozoïdes: l’un d’eux permettra la reprise de la division aboutissant à la formation d’un deuxième globule polaire (petite cellule) et d’une ovotide, cellules à seulement N chromosomes[25]. Le refus de la rencontre avec le spermatozoïde et la volonté de faire seule, le refus de l’affectation est le support selon L. Peerbolte du désir d’immaculée conception et, j’ajouterai, de la théorie de l’émanation: le nouvel individu n’est pas engendré-e, mais résulte d’une émanation[26].

 

Une pause s’impose où loger une précision. L'affectation de l'ovocyte II peut être effective et mémorisée et cette mémoire est traduite à chaque phase du processus ontogénique, puis au niveau de l'être né. Il ne s'agit pas de naturalisation d’une donnée psychique recherchée dans l’ontogenèse car, à la base le phénomène est justement d'ordre psychique, résultant lui-même d'une relation d'homme à femme. En dernière analyse le phénomène d'inchoation peut s'enraciner dans le "blocage" de l'ovocyte II, de même celui de l'immaculée conception dans un refus de l'homme de la part de la femme qui affecte l'ovocyte II ce qui n'implique pas la réalisation d'une parthénogenèse mais peut servir de fondement au désir de celle-ci.

 

Il est évident que l’individu qui vit un blocage peut se servir de l'ovocyte II pour le signifier mais ce faisant ne traduit-il pas simultanément dans sa langue ce qui a été perçu au niveau cellulaire et engrammé (mémorisé) grâce à des substances biochimiques? Dans tous les cas ce qui est déterminant c'est l'appréhension que vit la femme, son rejouement de l'inchoation. Cela implique également que le phénomène biologique puisse ne pas être affecté. En conséquence l'individu n'accèdera pas à la perception de l'éternité spéciosique, mais il pourra la concevoir.

 

Se dévoile donc pleinement la nécessité d’atteindre l’élément émotionnel, affectif  support d’un embryon de pensée,  car c’est là-dessus que se fondent les élaborations ultérieures pouvant engendrer des fantasmes, et parce que c’est le support de la nostalgie se développant sur ce qui n’est pas atteint, sur un en-deça, manifestant la brisure de continuité. Or pour être présent  dans notre dimension individuelle il faut être "continu" depuis le début, c’est-à-dire depuis l’émergence qui aboutira à la conception ? Autrement dit, si au cours de celle-là les phénomènes ne se déroulent pas de façon continue et sont chargés d’éléments étrangers dus à diverses affectations, il ne peut pas y avoir accès à la continuité. Les différentes parties affectées constituent pour l’individu adulte autant de points de discontinuité, autant de points d’interrogation sur ce qu’il est ou, s’il extériorise et compense, sur ce qu’est le monde.

 

Mais la sortie de l’ovocyte II du follicule de De Graaf peut-être également  le support d’une affectation positive, comme le signale L. Peerbolte. «L’œuf sort de l’ovaire et attend tranquillement que quelque chose advienne. Selon la terminologie de Freud nous avons affaire avec le sentiment  océanique. L’ovule a la sensation de flotter sur une immense superficie d’eau et simultanément de faire partie de cette eau. On ne peut certes pas parler de conscience réelle. Il existe seulement une expérience de l’infinité et, de la part de l’ovule, une sensation de faire partie de cette infinité. Cette expérience est souvent représentée dans les rêves par des étendues d’eau et les notions de collectivité, de groupe, de communauté, etc., suggèrent  clairement une expérience ovarienne correspondante, en conséquence une expérience du temps précédent l’ovulation»[27].

 

À mon avis le sentiment océanique est en fait celui d’une participation sans fusion, la sensation d’être en continuité. L’ontose nous empêche de vivre cela  de façon non sporadique car l’être naturel est en fait au point sur l’éternité.

 

D’après L. Peerbolte il n’y aurait pas de phénomène de remémoration en ce qui concerne le spermatozoïde Plus exactement on n’a pas encore d’indication sur un souvenir, mais l’empreinte du vécu, non pas d’un spermatozoïde, mais des spermatozoïdes est à mon avis fort possible et très importante. Je dis bien des spermatozoïdes car la fécondation  ne peut avoir lieu sans l’intervention d’un grand nombre de ceux-ci. On peut évoquer comme exemple de possible revécu de la saga des spermatozoïdes: les mannerbunde, groupements d’hommes opérant dans un but commun qui les "soude" en un tout sans perdre de leur individualité, la quête du graal, de la femme, les diverses chevaleries. Dans tous les cas il y a un but commun dont l’accès implique un devenir à la transcendance. Il est intéressant de noter que ce phénomène de regroupement - sorte de dynamique d’initiation - s’opère à l’adolescence au moment où se réimpose cette quête de la bien-aimée, du bien-aimé. Diverses affectations peuvent faire en sorte que s’impose une autonomisation comme pour l’ovocyte II et alors c’est la quête en elle-même qui devient essentielle et cela permet de justifier un rejet de la mère, de la femme. Un même phénomène advient avec les pèlerinages où le but affiché, indiqué du  pèlerin devient secondaire sinon évanescent, pour devenir celui de l’accès à soi. Autonomisation et enfermement.

 

Le fait que les spermatozoïdes ont quitté leur demeure, leur heimat, induit qu’ils peuvent être - dans le cas où il n’y a pas harmonie entre l’homme et la femme - le support pour éprouver le sentiment  de se trouver en terre étrangère, d’être en exil. L’impossibilité d’un retour en arrière, car il y a le vide, implique la nécessité d’aller de l’avant, à contre courant, mais aussi la transcendance pour retrouver son origine. Et là se trouve l’enracinement de la nostalgie, phénomène qui peut être aussi en connexion avec un vécu de l’ovocyte II engagé dans l’oviducte et "regrettant" le calme et la sécurité de la communauté de l’ovaire. Dans les deux cas, mais peut-être plus fortement dans celui du spermatozoïde, être c’est se souvenir, car le souvenir assure la continuité.                           

 

Les difficultés pour remonter les voies génitales peuvent être à la base d’une empreinte de lutte pouvant être au fondement, chez les hommes onto-spéciosés, du terrible amour de la guerre, selon le titre du livre de  James Hillman.

 

La réalisation de l’acte sexuel lui-même est, avons-nous dit, porteuse de charges qui peuvent affecter les gamètes. En effet elle consiste le plus souvent en libération de tensions et rarement en une union vibratoire. La notion de pénétration implique une certaine agressivité qui serait l’apanage de l’homme, le partenaire actif, tandis que la passivité serait celui de la femme, alors que, naturellement, il s’agit d’un acte synergique où, comme l‘expose fort bien L. Peerbolte, la femme absorbe le sexe de l’homme qui l’introduit en elle, ce qui initie la série des contractions musculaires rythmiques qui enserrent le pénis et provoquent son accroissement, gonflement, engendrant la plénitude chez la femme et chez l’homme. C’est l’expression chez l’une et chez l’autre d’un mouvement spontané mais conscient, impliquant par suite des contractions du muscle vaginal comme une réactualisation de celles de l’oviducte en rapport au zygote, et de l’utérus en rapport au fœtus[28] qui opéreront par la suite  comme elles le firent auparavant  dans l’ontogenèse des deux amants.

 

L. Peerbolte signale que chez les femmes où ces contractions musculaires ne se présentent pas  s’impose une impression de vide, d’inaccomplissement, d’insatisfaction qui peut avoir une répercussion sur l’ovocyte II.

 

Le mouvement du rapport sexuel a un rythme lié à la respiration et se présente comme un mouvement spontané, naturel, involontaire mais conscient qui a une dimension de régénération, de même que le phénomène de la pensée en son immédiateté est aussi involontaire et conscient; d’où, en ce sens R. Descartes a raison: je pense donc je suis[29] et, d'ailleurs, on pourrait renverser sa proposition et dire: je suis donc je pense, avec la même légitimité. Du fait du caractère non volontaire du phénomène, il s'impose comme la révélation d'une évidence. Il comporte des vibrations, une  rythmicité, en relation avec la nature, au cosmos; réalisant comme une recharge à travers la continuité.

 

Ce mouvement est en connexion avec celui vibratoire au niveau cellulaire et avec tout ce qui vibre en la nature et le cosmos et c’est la réaffirmation de la continuité tant dans la dimension spatiale que temporelle (rejouement du phénomène initial d’il y a des millions d’années) qui potentialise le couple[30] car il a une dimension de régénération. L’acte onto-spéciosé, du fait de la mise en branle de tensions est au contraire générateur de fatigue, d’un certain épuisement après le coït, d’autant plus que ces tensions se réimposent à la suite de remontées inconscientes, accapareuses elles-mêmes d’énergie. Un acte d’union totale et un acte où la dimension agressive est plus ou moins importante ne peuvent pas avoir le même effet sur les gamètes et leur cheminement.

 

La sexualité en tant que fonction de continuité ne concerne pas seulement les organes génitaux mais l’intégralité de l’individu, c’est-à-dire de l’ensemble perçu et pensé le plus souvent dans la séparation: cerveau et corps. Les organes génitaux sont des lieux d’émergence de cette jouissance, qui rayonne dans tout l’être, comme l’encéphale est le lieu d’émergence de la pensée engendrée par l’ensemble de l’être humain, féminin, et rayonne en nous à  partir de là.

 

Pour pleinement se réaliser cette fonction de continuité nécessite l’intervention de la vison, de l’audition (écoute) de la parole, de la respiration. A propos de la vision je rappelle que selon l’étymologie du mot sexe proposée par G. Semerano c’est ce dont la vue suscite le désir, la mise en branle de l’amour et de la mise en continuité. En revanche la plupart du temps chacun opère  pour soi (masturbation à deux) tout en étant avec l’autre tandis que s’impose le fantasme du mâle qui doit faire jouir la femme.

 

C’est par le sexe que nous différons hommes et femmes, et la connaissance implique de voir le sexe. Voilà pourquoi les enfants ne sont pas préoccupés par la sexualité, plus précisément par l’acte sexuel comme le pensait S. Freud, mais par la différence des sexes. En voyant le sexe de la petite fille, le petit garçon perçoit le sien propre (la réciproque est certaine) et parvient à la "perception de  la dyade homme-femme" et à éviter de sombrer dans le "narcissisme".

 

Ceci explique  pourquoi durant la gestation (surtout en phase finale) les relations sexuelles, en tant que décharges de tensions, peuvent être fortement préjudiciables au fœtus et laisser des traces.

 

La nécessité de la continuité s’impose même après la fin de la phase reproductrice, en conséquence les relationnelles sexuelles persistent.

 

C’est au cours du déplacement des gamètes dans les voies génitales que ce que Nandor Fodor  nomme la recherche du bien aimé, de la bien aimée, trouve son fondement originel et qui a pour aboutissement la fusion des noyaux: la conception. Elle  implique l’union de l’homme et de la femme afin que se réalise cette fusion avec intégration de ce qui vient de l’un et de l’autre. C’est là que se révèle la toute puissance de l’amour vécue comme une immense énergie (ce qui recèle l’aptitude à produire une effectivité) permettant la réalisation de la continuité.

 

Pour cela tout doit être attirance, attraction, ce qui implique le développement d’une grande affectivité ainsi que la participation totale e chacun des partenaires.

 

Les gamètes provenant d’êtres fortement perturbés psychiquement peuvent être lestés d’une grande ambiguïté, et la recherche ne peut pas se dérouler dans l’évidence de sa nécessité.

 

Le désir de fusion n’est pas de s’unir à la mère, ceci relève de la confusion, mais il s’agit du phénomène de la conception, car là se réalise effectivement une fusion et c’est une nécessité "implacable" du phénomène vie. Sans la fusion l’ovocyte II meurt, de même pour le spermatozoïde. C’est la réactualisation de ce qui fut à l’origine de la sexualité: la fusion de deux noyaux de cellules différentes. Là aussi ce fut absolument nécessaire pour pallier à des conditions de vie défavorables mettant en cause l’être vivant. Ce phénomène se reproduit encore de nos jours pour des êtres haploïdes lorsqu’ils rencontrent des conditions similaires[31]. La perte de souvenirs bien antérieurs à la naissance condamne à se fixer à un stade inadéquat et ceci est en liaison avec l’idéalisation de la relation à la mère et au mythe d’une époque heureuse irrémédiablement révolue et non réactualisable.

 

Des difficultés ambiantales de la vie courante peuvent être revécues comme support d’une menace. Dés lors la fusion au sein d’un grand tout semble être la solution, mais c’est en réalité la perte de toute individualité, ce qui d’une certaine façon est la réalisation de la menace qu’on voulait éviter. C’est la dynamique où l’on croit qu’on déjoue alors qu’on rejoue.

 

On comprend également que la formation de la membrane de fécondation soit un support pour indiquer un désir d’isolement, du refus des autres. Pour se protéger on s’enferme et on régresse vers le follicule, le zygote ou l’utérus où l’on peut revivre un blocage.

 

La conception s’affirme comme l’acte fondamental, à la fois point d’arrivée du devenir des gamètes et donc de l’union d’un homme et d’une femme elle-même précédée d’un dynamique de recherche de continuité, et point de départ de la formation d’un nouvel être. La vie de tout homme, de toute femme commence à la conception et non à la naissance. Avec celle-ci on a l’apparition[32], la manifestation de ce à quoi a abouti un procès non visible – sinon par des moyens techniques dont l’utilisation est préjudiciable à l’embryon, au fœtus – qui s’est déroulé dans l’utérus. Ainsi en privilégiant la naissance on occulte toute une phase de notre vie absolument déterminante et l’on se rend inapte à s’atteindre dans notre continuité, dans notre essence. Mais ce qui a été occulté à la suite de refoulements multiples en rapport à des souffrances surtout au moment de la naissance, hante hommes et femmes. D’où le besoin impérieux de dire qui prend pour support le monde, le cosmos pour en déclamer l’origine. Une grande partie des récits produits dans les diverses aires concernent des faits qui ne peuvent pas être exprimés immédiatement mais par un détour, une autre concerne ce que l’espèce aimerait réaliser, ses idéaux en quelque sorte qui est en contradiction totale avec ce qu’elle fait – expression de sa schizophrénie. De telle sorte que dans une dynamique de libération-émergence nous ne pouvons nullement prendre appui sur un événement historique quelconque d’une certaine ampleur, mais sur des récits qui ne sont pas indemnes de spéciose.

 

Retournons à la conception et indiquons que dans Cosmogony and Conception: A Query,  F.B. Kuiper[33] prouve que les mythes cosmogoniques concernent en fait la conception. Il signale l’importance du mythe cosmogonique dans ce qui est désigné religions primitives. À ce propos il cite Mirca Éliade qui dit que le créateur, une fois la création achevée se retire et devient un deus otiosus. À travers ce retrait du dieu se dit l’oubli de la fécondation qu’il faut tout de même exposer. Ils concernent également le vécu des gamètes avant la conception et, pour affirmer cela, F.B. Kuiper s’appuie sur les travaux de N. Fodor et de L. Peerbolte dont nous avons parlé. Mais ce qui me semble le plus intéressant pour notre propos c’est la partie de l’œuvre consacrée à l’ouvrage d’un théoricien hollandais, Striker, qui a écrit La naissance d’Horus. F.B. Kuiper note, «Comme Striker l’observe c’est une chose connue que dans l’antique religion égyptienne embryogénie et cosmologie étaient une même chose. » (p. 131). À partir de là pour F.B Kuiper, selon le résumé qu’en a fait Cristina, le parallélisme cosmogonie-embryogonie  au sein des civilisations antiques  ne se fonderait pas tant sur des connaissances explicites concernant l’embryon mais plutôt «sur la possibilité de revivre sa propre vie prénatale. À ce propos il y a un certain parallélisme entre les pratiques des anciennes religions qui permettaient à la personne de retourner à leur propre stade embryonnaire et de la traiter, consciemment, à ce stade, comme cela advient dans le traitement psychanalytique moderne.» De même, toujours d’après le résumé, à partir des vécus de la vie prénatale il résulte en outre «qu’au moment de la conception il y ait un important "champ d’attraction" libidineux entre l’ovule et le spermatozoïde, expérience qui est ultérieurement "rappelée". Or dans les cosmologies on trouve justement que l’Amour est souvent mentionné comme le plus important facteur qui consent à la vie d’être créée» . Je préférerai dire qui consent à ce qu’un être vivant puisse advenir, car la vie ne peut pas être créée. Et j’ajoute que le récit permet une certaine expression de la naturalité, tandis que le vécu la nie, du fait du rejouement de la répression.

 

Nous avons signalé les "difficultés" que les spermatozoïdes rencontrent dans leur parcours pour atteindre l’ovocyte II. Leur ténacité à atteindre leur objectif peut être perçue comme une agression, c’est le choc de la conception décrit par N. Fodor et L. Peerbolte. Cela exprime l’impossibilité de tolérer l’autre, perçu comme étranger, et la volonté de faire par soi-même. Là nous sommes en pleine ontose car même les "difficultés" ne sont telles qu’à cause, peut-être, de l’expression d’une impatience et d’une tension.

 

Les événements de la vie intra utérine, particulièrement la conception et ceux qui la précédent peuvent être perçus comme des mystères qu’il faut dévoiler pour accéder à la connaissance de soi et cela passe notamment par une régression au stade embryonnaire, par une renaissance, une mort (qui est souvent perçue au cours de la naissance) et une résurrection. Les mystères - ce qui n’est pas compréhensible, et donc inaccessible - requièrent, pour les intégrer dans la connaissance, une mystique. Ilsont donc en rapport avec ce qui précède la conception, demeuré jusqu’à présent hors accès. Le mystère des origines fonde l’importance de l’ésotérisme, de l’occultisme, de l’alchimie dans sa dimension ésotérique.

 

Envisager que le cosmos puisse avoir une origine permet de conjurer l’angoisse engendrée par les divers traumatismes ainsi que de donner un sens à ce qui a été vécu.

 

Concevoir c’est comme reproposer notre conception qui est le point d’appui à partir duquel cette opération mentale, intellectuelle, peut se produire, se manifester. Ce n’est pas le lieu ici de démontrer toute l’essentialité de ce concept dans le champ de la connaissance.

 

Etant donnée la dynamique de lutte imposée par la répression et la spéciose, hommes et femmes tendent à penser par contraires (en lesquels gît une idée d’inimitié) même s’ils n’existent pas réellement. Il suffit qu’apparaisse une certaine dualité, un caractère dyadique pour les fonder. Ainsi hommes et femmes sont souvent posé-e-s comme étant des contraires. En ce cas la conception peut se présenter comme l’union des contraires, comme le dépassement d’une opposition, mais aussi comme un triomphe sur les contraires qui peuvent devenir supports du mal. La conception ne se présente pas alors comme une réconciliation mais une victoire du bien sur le mal, montrant à quel point l’espèce est infestée par la lutte, la guerre, toujours justifiée par la nécessité de cette victoire.

 

C’est avec la conception qu’on perçoit bien à quel point la sexualité détermine le mode de connaître. L’espèce a tendance à penser par couples (comme celui homme femme), ce qui peut dégénérer en pensée dualiste et où les contraires, se muant souvent en contradictions, sont opérants. Mais il faut préciser l’homme ou la femme n’est pas UN, UNE, mais est une dyade du fait même de l’intégration réciproque de l’apport de l’ovotide et du spermatozoïde, sinon aucune empathie, aucune continuité, ne seraient possibles. L’Un ne peut pas exister sinon dans l’autonomisation de la pensée. Dieu est UN et représente en lui-même la négation de la sexualité et, par là, il est totalité totalitaire. Or dieu est une production de la spéciose, une autonomisation achevée.

 

Je termine ces considérations sur la conception en signalant la nocivité du divorce pour les enfants,  quelles que soient les conditions dans lesquelles il se déroule car, fondamentalement, c’est une remise en cause de leur conception, c’est comme si cela opérait une dissociation de qui fut conçu.

 

Après la conception il est un phénomène extrêmement important pour le psychisme de l’individu, c’est la nidation c’est-à-dire la fixation du blastocyste sur la muqueuse utérine avec début de formation du placenta. S’il n’y a pas de perturbation la nidation s’effectue grâce à ce dernier qui résulte de l’action du blastocyste qui va devenir un embryon didermique (formé de deux feuillets: l’épiderme et l’endoderme), et de celle de l'utéus. Si la mère est dans un refus profond il peut y avoir non implantation mais une fausse couche. Si elle n’est pas disponible le blastocyste se trouve en situation d’abandon, de solitude, de séparation, de déréliction. Il doit opérer en dépit de la non présence de l’autre, générant ce que E. De Martino appelle la crise de la présence. Enfin on peut dire que c‘est là que peut s’imposer le numen, ce qui fascine, attire et fait peur: la toute puissance de la mère. Pour expliquer ce phénomène ce théoricien faisait appel à la parapsychologie  dont le discours peut nous sembler incohérent, irrationnel mais c’est peut-être seulement le dire d’un inexprimable, un inexprimable au niveau du blastocyste.

 

Depuis les travaux d’O. Rank, le traumatisme de la naissance a été amplement étudié, en escamotant souvent le fait qu’il n’est pas une donnée naturelle mais résulte du comportement aberrant de l’espèce. Ce traumatisme ne s’impose pas seulement lors de la sortie de l’utérus, mis également à cause de pratiques consécutives à celle-ci comme la coupure du cordon ombilical fondant l’empreinte de la peur de la castration, d’une amputation (comme une réduction de soi) comme peut la vivre la petite fille. Cette peur est renforcée quand, ensuite, il y a circoncision chez le petit garçon et pratiques similaires chez la petite fille.

 

La coupure du cordon ombilical provoque la séparation traumatique avec le placenta souvent vécu en tant que un double comme L. De Mause et les psychohistoriens l’ont amplement documenté. Selon L. Peerbolte la notion de double dériverait de la présence d’un jumeau non arrivé à terme. La gémellité serait plus fréquente que ce qui apparaît parce que beaucoup de jumeaux meurent ensuite dans l’utérus provoquant selon lui des terreurs au survivant, terreurs qui apparaîtraient dans des rêves ou dans les récits de certains romanciers[34].

 

Ensuite il y a la pratique de laver le bébé, comme pour lui enlever une souillure, celle de sa naturalité. Je n’insisterai pas sur l’allaitement, avec au début de celui-ci le refus d’utiliser le colostrum (pratique qui semble être remise en cause). Ce qui s’impose dans toutes ces conduites, c’est l’imposition de la séparation entre la mère et l’enfant, pour finalement fonder une naissance sociale, artificielle qui sera légitimée au travers de l’action du père. Toutefois par suite de l’évanescence du patriarcat cette séparation s’effectue en d’autres modalités.

 

Toutefois l’idée du traumatisme de la naissance n’est pas acceptée par tous, ainsi Lloyd Demause affirme: «Mon propos est de vouloir démontrer que a) la théorie posant une égalité entre naissance et séparation avec anxiété est fausse, b) que cette théorie a été construite  en tant que défense contre l’évidence que l’expérience du fœtus  dans l’utérus est effectivement individuelle et souvent traumatique plutôt que symbiotique et uniquement pacifique, et c) que la naissance est en fait une libération d’expériences traumatiques dans l’utérus plutôt qu’une séparation traumatique». [35]

 

Si on reprend l’ensemble des phénomènes depuis la gamétogenèse, on constate en leur sein de profondes similitudes en rapport à des milieux similaires qui ont pu faciliter la transmission de la mise en mémoire. Ainsi le blocage de l’ovocyte I se répète avec celui de l’ovocyte II, le liquide amniotique rappelle celui folliculinique, l’utérus  le follicule de De Graaf,   la progression du zygote grâce aux contractions de l’oviducte évoque celle du fœtus grâce à celles de l’utérus et l’on peut même rapprocher les contractions rythmiques lors de l’accouplement avec celles précitées de l’oviducte et de l’utérus. Tout est rythme et continuité[36].

 

 

2 – S. Freud n’a pas découvert l’inconscient[37] mais le phénomène qui rend inconscient et plus précisément le phénomène par lequel un fait psychique, un événement psychique, ne peut pas devenir conscient: le refoulement. Plus précisément encore il a découvert le refoulé dont il a déduit la cause: le refoulement. Ce qui a pu provoquer la méprise, c’est que S. Freud a pour ainsi dire mis en évidence que le champ de ce qui est inconscient est beaucoup plus important qu’on ne le pensait et que les phénomènes inconscients peuvent se manifester de façon masquée au cours d’une dynamique où l’individu se perçoit conscient. Mais c’est une perception immédiate, incomplète, comme il l’a très bien montré dans Psychopathologie de la vie quotidienne.

 

Le refoulement est un phénomène inconscient (sur quoi S. Freud n’a pas assez insisté) qui permet de ne pas être envahi, submergé par la souffrance (donnée également quelque peu escamotée par S. Freud, mais bien mise en évidence par A. Janov). Ce faisant, on ne va pas jusqu’au bout d’un vécu, et on réalise ce que F. Perls appelait une gestalt inachevée, une base importante pour le déploiement de la compulsion de répétition, le rejouement. On refoule également parce qu’on refuse de reconnaître l’horreur de ce qui est vécu. Les phénomènes psychiques opérant dans l’ontose se décryptent à partir de la connaissance de ce qu’est le refoulement.

 

Quand un affect, un sentiment, une pensée (donnée cognitive) rencontrent une résistance parce qu’ils ne peuvent pas être intégrés, ils deviennent inconscients et sont comme absorbés par l’ensemble des données inconscientes qui interagissent entre elles et sont en même temps affectés par ce qui est conscient, car il y a normalement une continuité entre le domaine inconscient et celui, conscient qui se manifeste lors de la présence au monde comme épanouissement de tout le procès psychique de l’individu où continuellement données conscientes et données inconscientes interfèrent. Puis en fonction de données conscientes, de souvenirs, d’impressions, etc., ce qui était refusé, non intégré peut ressurgir et devient conscient parce qu’il a pu être intégré. Ceci n’a pu se réaliser que parce que l’individu a persisté dans sa volonté d’intégrer.

 

L’inhibition résulte d’une angoisse ou d’une peur inchoative, une peur qui est perçue mais qui ne parvient pas en fait à s’exprimer, à se déployer. C’est un phénomène qui est déterminé en profondeur par des refoulements remontant à la petite enfance et même auparavant. L’individu est plus ou moins conscient de ce qu’il vit mais il ne perçoit pas réellement les causes profondes de son inhibition, obsédé par son tourment.

 

Le refoulement rappelons-le est un phénomène inconscient, à l’encontre de l’auto-répression. C’est un mécanisme de défense extrêmement puissant car il vise à empêcher que l’individu ne soit submergé par la souffrance. Accéder au refoulé implique de revivre cette souffrance, d’où les résistances (qui sont des défenses) énormes qui s’imposent à l’individu qui cherche à retrouver son être naturel, étant donné que la répression consiste en la négation de celui-ci, en une tentative de son éradication ce qui ne peut s’opérer qu’à travers de multiples souffrances.

 

Le procès de vie des hommes et des femmes consiste avant tout à enfouir le refoulé pour éviter de revivre une souffrance intolérable, d’où la dynamique du recouvrement qui fait appel à tout ce que l’espèce a pu produire: la religion, l’art, la politique, la science, la philosophie, ce qui n’empêche pas que ces divers domaines aient leur devenir propre, mais toujours déterminé en dernière analyse par le besoin de recouvrir; d’où, à travers ces diverses productions, l’espèce apparaît consciente, mais en fait elle se meut en fonction d’un procès totalement inconscient

 

Le refoulement fut un concept escamoté par divers psychologues qui œuvrèrent originellement à partir de la psychanalyse et il l’est parfois même chez S. Freud, certainement du fait qu’il n’est pas parvenu à être conscient du rapport à sa mère, mais surtout parce qu’il a escamoté pleinement la répression dont il tenait partiellement compte dans sa théorie originelle, celle de la séduction. La théorie des fantasmes s’accompagne de celles des pulsions[38] et les rapports enfants-parents sont évacués, on a affaire seulement à celles-ci qui, pour certaines, ont une base biologique. Dans tous les cas, la souffrance des enfants qui provoque le refoulement - phénomène inconscient - est totalement escamotée.

 

En définitive S. Freud a bien découvert le refoulement, phénomène inconscient, qui accroît le domaine de ce qui est inconscient substantivé et hypostasié en inconscient, mais son concept est inutilisable car la dynamique qu’il inclue ne correspond pas au processus de vie qu’il vise à décrire. Ceci s’impose d’autant plus à moi que pour lui c’est grâce au refoulement que l’espèce parvient à la civilisation qu’il ne remet absolument pas en cause, bien qu’il ressente souvent celle-ci comme la génératrice, la "fautrice", des maux de l’espèce.

 

La positivité du refoulement est encore plus affirmée chez A.  Janov bien que chez lui celui-ci il soit correctement mis en rapport à une souffrance insupportable qu’il faut en quelque sorte éliminer pour pouvoir vivre.

 

«Le système humain n’est pas libéral ; il est fasciste et ne connaît pas la pitié. Au nom de la survie de l’espèce, il néglige l’individu et nous force à nous couper de nous-mêmes. Sous l’effet du refoulement, nous nous conduisons de manière inhumaine, envers nous-mêmes et envers autrui, car en définitive c’est notre humanité qu’il refoule. Sous son influence, nous élevons des générations entières d’infirmes émotionnels qui font perdurer notre civilisation. La névrose n’est pas une perversion humaine; elle est l’essence  de l’être humain. Être névrosé, ce n’est pas être "malade", mais se conformer à  la finalité globale de la nature. Privés de leurs névroses, beaucoup d’entre nous souffriraient un véritable martyre. La névrose a fait de nous des êtres humains diminués, mais qui fonctionnent. Simplement nous ressentons moins les choses ». Le corps se souvient – comprendre et guérir la maladie en revivant la souffrance, Ed. Du Rocher, 199, pp. 23-24.

 

Toutefois cette affirmation est lestée de confusion: le refoulement est constitutif de l’espèce, un produit de l’évolution et a donc une détermination biologique plus que psychologique. Par là il porte à son achèvement le projet de S. Freud de donner un fondement biologique à sa théorie. En conséquence le refoulement devient une donnée naturelle: «Nos recherches ont montré que le refoulement est bien la défense biologique fondamentale». p 261) «L’évolution nous a offert la névrose comme solution de survie…». p. 31, qu’on doit mettre en relation avec: «Le refoulement étouffe donc en nous sentiments et émotions, et provoque ainsi la névrose». p. 59. Mais il fait intervenir également une humanité qui est refoulée. D’où vient-elle? Dés lors se poserait un antagonisme nature humanité.

 

Cette confusion, qui conduit selon moi, à une impasse, est due au fait de l’escamotage de la répression parentale qui n’est pas un phénomène naturel, mais dérive de la séparation d’avec la nature engendrant un heurt entre l’être naturel et l’artificialité, la domestication, qui lui est imposées


En effet que nous dit A. Janov: «Je suis persuadé que la plupart d’entre nous ont à la naissance, la capacité d’être normaux, mais des circonstances malheureuses compliquent parfois les choses». p. 279

 

«Les endorphines (anesthésiants naturels, n.d.r) sont à l’origine de l’inconscient et, d’une certaine manière, je les considère comme le fondement de l’évolution et le pivot de la civilisation. La vie humaine est devenue ce qu’elle est grâce au refoulement». p. 70

 

«Comme nous allons le voir, le refoulement est universel et remonte aux temps les plus reculés de la phylogenèse. (…) La faculté de bloquer des stimuli nocifs a donc une très longue histoire.» La biologie de l’amour, Ed. Du Rocher, p. 242

 

En outre il expose une théorisation du verrouillage qu’il apparente au refoulement. «Le verrouillage est un mécanisme électrochimique qui ferme les portes du cerveau à l’expérience consciente de la souffrance.» A. Janov, Le nouveau cri primal, Revivre et vaincre la souffrance, Ed. Presses de la Renaissance, p. 423. Mais le verrouillage est à la fois inconscient et conscient. C’est un phénomène qui permet de ne pas aller à ce qui a été refoulé et à la souffrance qui lui est liée. Une réponse immédiate à jusqu’à présentquelque chose qui nous tourmente,  nous soulage, mais peut devenir un verrou nous empêchant d’accéder à la cause effective du tourment. Historiquement on peut constater que la dynamique réformiste conduisit à mettre en place divers verrous, puis à tenter de les lever.[39]

 

Il ne suffit pas de revivre les souffrances primales mais on doit accéder à l’être originel à partir duquel une émergence peut se déployer et un autre cheminement s’effectuer. Sinon on ne parvient pas à la continuité et la dissociation amour pouvoir se poursuit et le premier opère en tant que compensation à la répression exercée par un pouvoir. On n’a pas à guérir d’une maladie mais à accéder à un autre procès de vie. Enfin parler de vaincre la souffrance c’est oublier qu’elle est nécessaire en tant qu’alerte biologique et c’est demeurer dans la dynamique de la lutte déterminée par la répression et la spéciose.

 

Pour escamoter le refoulement et la répression parentale il faudrait privilégier  les relations et réduire hommes, femmes, et enfants à de simples supports. C’est une tendance en cours.

 

Les difficultés d’accepter l’existence du refoulement sont en liaison avec le refus de l’évidence de la répression parentale, car celle-ci est choquante et remet en cause tout le devenir de l’espèce tel qu’il est officiellement figuré. En outre les divers conflits au sein de celle-ci: entre les sexes, entre descendants et ascendants, ente les nations, entre les classes opèrent en tant que phénomènes occultants. Enfin il y a un argument qui esquive le réel: la souffrance est rédemptrice.

 

Pour conclure je rappelle comment j’envisage le refoulement: Ce n’est pas uniquement la peur de la souffrance qui induit à refouler (thèse 73), c’est le surgissement d’une instabilisation qui rappelle l’instabilité, l’insécurité, la perte de certitude où nous fûmes placés. Ce qui est refoulé c’est un état qui est au-delà de celui de souffrance. Toutefois une connexion avec elle s’impose car: être en souffrance c’est être délaissé, en déréliction. (Thèse 80 de Surgissement de l’ontose)


[Dans l’exposé sur les concepts de la psychanalyse je n’ai pas été assez précis et radical surtout en ce qui concerne le refoulement de même que, si j’ai été interpellé par le fait que ce concept est à la fois sujet à discussions pour beaucoup,  et support de fascination pour d’autres qui en viennent à l’employer même en dehors de son domaine d’applicabilité, je n’ai pas cherché à en comprendre le pourquoi. Au départ je pense que cela est dû à l’approche que S. Freud en a faite. Il l’a intuitionné et non rigoureusement pensé à la suite d’une réflexion approfondie à partir du surgissement d’une donnée. En outre c’est un concept évocateur. Il évoque quelque chose d’insaisissable et de non vraiment recherché parce qu’en relation avec la répression. On ne peut pas escamoter, d’autre part, qu’il est lesté de confusion due au fait qu’il est indéniable qu’on puisse refouler consciemment. Mais dans ce cas le refoulement réalisé est conscient et ne relève pas de la même nature que ce que S. Freud  a essayé de nous expliquer. On se trouve plutôt en présence  du phénomène d’auto-répression qui peut s’exprimer également à l’aide d’autres verbes comme interdire, rejeter, repousser, inhiber, bloquer, mais aussi supprimer, abolir, confiner, réduire et, dans une dynamique conduisant à la mise en secret, escamoter, scotomiser. De là, la surcharge portée par le concept de refoulement qui "véhicule" comme une nébuleuse de données inconscientes et conscientes Dés lors s’impose à moi l’idée que lorsque S. Freud parla de refoulement et, à sa suite, une foule d’hommes et de femmes, cela  évoqua inconsciemment en eux, en elles, une répression subie et, côtoyant cette évocation, pointa la nostalgie d’un moment antérieur: d’où la fascination.

 

Par suite de sa dynamique de recouvrement théorique, S. Freud – pour lui la théorie était plus importante que la thérapeutique et soigner les autres lui permettait d’accéder à des concepts aptes à étayer cette dynamique – n’a pas analysé cet arrière-fonds du refoulement, ce qui aurait pu lui permettre  de vraiment ressentir que celui-ci est une réponse instantanée et inconsciente  à une souffrance intolérable. Ce faisant il opéra comme Johann Friedrich Herbart (1776-1841) – lui aussi voulut fonder une psychologie scientifique – qui considéra que le refoulement résultait d’une opposition entre représentations.  Or les faire intervenir, ou recourir aux pulsions ou aux principes de réalité et de plaisir, revient à opérer dans la séparation compatible avec une investigation scientifique.  Mais le refoulement échappe à celle-ci car il dérive de l’intervention de la totalité immédiate de l’individu. J.F. Herbart – comme A. Schopenhauer ou N. Hartmann entre autres - exerça une grande influence sur S. Freud toutefois, encore moins que pour lui, on peut affirmer qu’il mit au point le concept de refoulement. Son œuvre contient un point d’émergence de celui-ci. Il y en eut d’autres. À ce propos il convient de rappeler que lors de l’émergence liée à l’investigation de S. Freud, celui-ci n’est pas seul,  B. Pappenheim et J. Breuer opèrent ensemble, mais c’est lui qui chercha à en donner un fondement sans, rappelons-le, y parvenir.

 

Ce qui nous importe avant tout c'est la mise au point de concepts aptes à  mettre en évidence la spéciose et l'ontose, à partir de ressentis puissants des hommes et des femmes et de mettre en évidence que l’espèce est constamment tourmentée et travaillée par quelque chose qui la hante; quelque chose engendré au cours de son errance initiée avec sa séparation d’avec le reste de la nature. La difficulté de la mise point, commencée depuis fort longtemps, en témoigne également. Février 2011]

3 – La compulsion de répétition

 

Lorsqu’un phénomène émerge il a tendance à retourner à ce dont il provient, mais au fur et à mesure qu’il se structure, mûrit pourrait-on dire, celle-ci s’atténue et disparaît et ne demeure qu’un souvenir. En revanche, si un quelconque traumatisme advient au cours de l’émergence, un phénomène de compulsion de répétition, de rejouement[40], se met en place, visant chaque fois à mettre en place une dynamique pour retrouver ce qui est advenu et parachever et corriger, c’est-à-dire à tendre à rétablir la dynamique naturelle telle qu’elle doit se dérouler pour que l’individu ne soit pas négativement affecté. Il semblerait que le devenir conscient du traumatisme permet dans tous les cas, non pas (sauf exception) de réparer, de cicatriser, etc., mais d’intégrer et surtout de permettre à l’individu de se rendre compte que ce qui est advenu est indépendant de sa volonté et, surtout qu’il n’est pas coupable.

 

Autrement dit la compulsion de répétition dérive d’un défaut d’intégration d’un vécu parce que celui-ci fut affecté d’un inachèvement. Chaque fois qu’on rejoue se réimpose en nous une discontinuité qui, en définitive, accuse l’inachèvement originel. Ce phénomène d’inachèvement est, pour l’espèce, le support – en dehors des données biologiques qui pourraient lui donner une réalité – pour rejouer un inachèvement fantasmé.

 

La tendance à revenir à un état antérieur sans qu’il s’ensuive obligatoirement une compulsion de répétition, s’impose parce qu’il y a eu sensation de perte entraînant un regret, voire une nostalgie. Cela peut se percevoir dans une dimension paléontologique avec le regret, par exemple, de la perte de la symétrie rayonnée, amplifiée par celle de la continuité.

 

Enfin la compulsion de répétition peut se percevoir comme la réitération d’une hantise.

 

 

4 – La déréliction (Hilflosigkeit)

 

Comme je l’ai indiqué dans l’étude sur l’œuvre de S. Freud ce concept dit beaucoup de son vécu. En fait la déréliction s’est imposée très tôt chez lui et même le refoulement ne fut pas apte à éliminer la souffrance qu’elle engendra du fait que la déréliction dérive de la perception d’être abandonné, perception qui, si elle n’est pas revécue en atteignant l’être originel, ne peut être éliminée et rien ne peut l’empêcher de se réinstaurer.

 

Mais il y a une autre composante: la perte de la présence qui facilité l’installation de l’état hypnoïde et même des pertes de connaissance auxquelles S. Freud fut d’ailleurs sujet. C’est alors que divers phénomènes paranormaux peuvent  surgir comme on peut le constater lors des pratiques chamaniques.

 

La dynamique de revivre des traumatismes, des perturbations anciennes (telle la crise de la présence), a été empruntée depuis des milliers d’années, évidemment avec diverses variantes et souvent sans le but précis tel que je viens de l’énoncer, elle est corrélative (liée à) à celle de percevoir au mieux le fonctionnement psychique, d’atteindre à des capacités qui sont soupçonnées ou insoupçonnées et qui sont révélées dans des circonstances particulières, chez certaines personnes, dans des phénomènes troublants comme l’autisme, la multiplicité des personnalités etc. À partir de là l’investigation rencontre la parapsychologie, l’occultisme, le spiritisme, les pratiques mystiques, mais aussi l’enseignement hindou ou le bouddhisme. Personnellement je pense que tous ces phénomènes, dont traitent toutes ces approches théoriques, sont en relation avec la répression et que ce n’est qu’en retrouvant la naturalité qu’il est possible de résoudre leur caractère énigmatique, intriguant.

 

 

5. Je n’ajouterai rien au sujet de détournement (Verfuhrung.) dont j’ai signalé la centralité dans la dynamique de l’ontose, ni au sujet des souvenirs écrans qui interviennent selon moi dans la dynamique du recouvrement. En revanche je voudrais préciser le Unheimliche traduit en français par L’inquiétante étrangeté. Lors de l’analyse rapide de l’article de S. Freud portant ce titre[41] j’ai insisté sur le fait que dans celui-ci se manifeste de façon particulièrement percutante le phénomène de la remontée, comme cela apparaît lorsqu’il expose comment  ce phénomène  se constitue: «Le résultat auquel nous parvenons se formulerait alors dans ces termes: l’inquiétante étrangeté vécue se constitue lorsque les complexes infantiles refoulés sont ranimés par une impression, ou lorsque les convictions primitives dépassées paraissent à nouveau confirmées.» p. 258. Mon approche était juste mais insuffisante comme l’est l’exposé  freudien où l’origine des refoulés est plutôt énigmatique[42] .

 

Unheimliche est difficile à traduire et il semble qu’il pose problème même pour les allemands, comme cela apparaît au début du texte de S. Freud. À partir de son étude étymologique et linguistique qu’il opéra, on constate que l’on a affaire à un champ sémantique assez vaste dont Heim nous apparaît le centre. Ce mot indique le domicile, le foyer, le chez soi, l’intérieur, le centre à partir duquel on peut rayonner. De là Heimat,  le chez soi, le topos (le lieu) où l’on est advenu. Mais aussi Heimweh le mal du pays, la nostalgie qui implique qu’on a mal parce qu’on a perdu le lieu originel où l’on s’enracine, où l’on a une intimité avec ce qui nous entoure, la nature, le cosmos. Heimisch désigne ce qui concerne le topos, ce qui est originel, natal, et par là familier. Heimlich semble plus en rapport avec l’intime, le secret, et renferme aussi une idée de tranquillité, évoquant un lieu où l’on n’est pas affecté. En fait tous les mots semblent s’édifier à partir d’une relation réciproque entre l’individu et le topos; ainsi Heimlich peut désigner le fait d’être chez soi, d’avoir vraiment un lieu à nous, tranquille, le for intérieur et, encore une fois l’intimité. On comprend de ce fait que si le topos est affecté par l’ontose, elle-même en relation avec la dynamique de la répression parentale, ce Heimlich peut en venir à signifier le contraire de ce qu’il désigne et équivaloir à Unheimlich (un dénotant l’idée de contraire).

 

Sur Heim se construit aussi geheim (adjectif) signifiant secret et Geheimnis (susbstantif) ayant le même sens. La particule inséparable ge implique une idée d’ensemble, d’un collectif, aussi je pense à la signification suivante: tout ce qui concerne le for intérieur, ce qui est difficilement accessible, secret. Ce qui explique la définition de Schelling citée par S. Freud: «l’étrangement inquiétant qui aurait dû rester dans l’ombre et qui en est sorti.[43]» (p. 246) Ici encore s’impose le phénomène de la remontée  exprimée d’un point de vue moral, répressif. En même temps on constate que le concept de Geheimnis le secret subit un même phénomène que Heimlich. De quelque chose de positif qu’on veut peut-être protégé de l’investigation des autres, on passe à quelque chose de négatif, d’inavouable qui doit rester caché du fait d’une culpabilité, alors que dans l’autre cas on peut se réjouir de son secret et le confier à quelqu’un de familier

 

Ainsi: «Heimlich est donc un mot dont la signification évolue en direction d’une ambivalence, jusqu’à ce qu’il finisse par coïncider avec son contraire Unheimlich. Unheimlich est en quelque sorte une espèce de Heimlich.» (p. 223) De même le secret est une sorte de secret. C’est de l’ambivalence, de l’ambiguïté que surgit la dimension inquiétante, l’inquiétude enveloppante et sournoise. Or heimlich en tant qu’adverbe signifie en cachette, à  la dérobé, et Heimlich, en tant que substantif peut signifier sournoiserie.

 

L’ambivalence comme l’ambiguïté engendre le doute déstabilisateur  annonciateur d’inquiétude. D’ailleurs S. Freud cite en l’approuvant, un auteur, Jentsch, qui met en  avant le flou, l’incertitude, le doute comme éléments constitutifs de l’inquiétante étrangeté.[44]

 

Mais le doute, le flou proviennent de la confusion dont l’empreinte s’inscrit au début de la vie de chacun du fait de la coupure de continuité. À partir  de la remarque de Jentsch, S. Freud  fait une analyse  de L’homme au sable[45] du fait que celui-ci s’est basé sur une étude de ce conte pour son analyse de  l’inquiétante étrangeté. De cette analyse , on tire par exemple que l’Unheimlich serait en rapport au complexe de castration et par là à la figure ambivalente du père, ainsi qu’avec le "retour permanent du même"[46]. À ce propos il note «C’est seulement le facteur de répétition non intentionnelle qui imprime le sceau de l’étrangement inquiétant à quelque chose qui serait sans cela anodin, et nous impose l’idée dune fatalité inéluctable  là où nous n’aurions parlé sans cela que de "hasard"».[47]

 

À mon avis ce n’est pas la compulsion de répétition qui fonde la dimension inquiétante, mais ce qui est répété. Elle accroît la confusion parce que la répétition introduit un élément familier. L’individu se familiarise avec ce qui lui advient de façon réitérée. Ce qui s’impose à lui c’est un tourment, en rapport au fait qu’il ne saisit pas la cause de ce qui l’ennuie, sans qu’il soit réellement dans l’ennui; ce qui l’inquiète sans être réellement dans l’inquiétude. Aussi très souvent l’inchoation et la procrastination sont liées à l’Unheimlich.

 

La confusion peut venir du fait  que ce qui est familier est la répression car elle est habituelle, ce qui peut masquer fondamentalement l’être naturel. Cette familiarité est rassurante parce qu’elle est devenue presque constitutive de l’être de telle sorte que souvent des personnes s’étant impliquées dans un mouvement de libération, d’émancipation, retournent, à la suite de l’échec de celui-ci, à la mouvance répressive comme si, par là, ils accédaient à leur être réel.

 

Comme élément pouvant entrer dans la constitution de l’Unheimlich, S. Freud  fait intervenir le phénomène du double. Pour cela il s’appuie sur les travaux de O. Rank.[48] Ce phénomène peut se comprendre, à mon avis, à partir de ce qu’expose L. Peerbolte à propos de l’existence de jumeaux dont l’un n’aurait pas été viable et serait mort dans l’utérus. Ici, effectivement, nous avons un support important pour l’inquiétante étrangeté. Le jumeau est ce double très proche par la ressemblance mais inquiétant du fait de sa disparition, et surtout à cause de la souffrance causée par sa mort qui l’a constitué étranger

 

D’autres théoriciens, par exemple les psychohistoriens comme nous l’avons précédemment signalé, pensent que le double est le placenta. En ce cas si la mère, au cours de la gestation, n’est pas dans l’acceptation, le placenta peut fonctionner de façon défectueuse et être le support d’une menace et devenir inquiétant.

 

Mais qu’est-ce qui peut à ce point nous tourmenter de façon réitérée ? C’est quelque chose qui nous habité et nous hante, qui est secret et qui s’est installé malgré nous dans notre for intérieur (Heim) et qui fait qu’on ne peut essayer de s’atteindre sans le rencontrer. Ce quelque chose est l’étranger en nous. En allant plus à fond des choses et  en raisonnant à partir du procès, on peut dire que c’est la répression originelle, la mise en domestication qui greffe en chacun de nous un être artificiel, étranger qui conduit de façon confuse à se percevoir étranger à soi-même du fait qu’il s’agit dans tous les cas de soi[49]. Par suite de la nécessité de porter un procès à son terme, l’être naturel essaie de sortir de l’inachèvement[50] dû à l’insertion de l’être étranger qui bloque, provoquant des remontées récurrentes, mais le refoulement de la souffrance due à cette domestication est tel, qu’il est difficile de se rendre compte de ce qui nous tourmente, c’est-à-dire la présence de cet étranger en nous qui s‘impose comme étant nous-mêmes. De ce fait l’inquiétante étrangeté s’apparente à la hantise[51] et à ce que Nicolas Abraham et Maria Torok ont exposé au sujet du spectre, de la crypte, des non-dits familiaux, des secrets[52], qui se maintiennent à travers des générations.

 

On peut encore exprimer cela ainsi: plus on se rapproche de l’être naturel, plus surgit un malaise dû à la manifestation d’une étrangeté qui est la mise en place de la domestication, par la répression..

 

Le recouvrement permet de masquer l’inquiétante étrangeté mais la mise en déréliction favorise sa réapparition.

 

L’ambiguïté dont nous avons parlé  se retrouve dans un autre mot également construit sur Heim. Il s’agit de Heimlichkeit signifiant tranquillité, intimité, et semble exprimer l’idée d’une cordialité favorisant  un convivialité, mais aussi mystérieux, secret. Je pense qu’il serait bon d’avoir l’antonyme de celui-ci afin de désigner un état, une situation où s’impose un phénomène, comme cela advient avec Hilflosigkeit qui exprime la situation où se trouve l’être abandonné, qui se sent abandonné, sans aide (hilflos): la déréliction. Ainsi Unheimlichkeit désignerait l’état où l’on est plongé quand affleure l’inquiétante étrangeté (Das Unheimlich), une situation difficilement vivable, où le contact avec les autres n’est pas aisé du fait qu’une lutte larvaire s’impose en nous, une lutte avec soi-même et qu’on a tendance à extérioriser pour s’en libérer[53]. Elle s’instaure quand le sentiment d’être étranger à soi-même engendre une angoisse inconsciente qui grâce à divers supports et à des remontées peut devenir  presque consciente, et s’impose alors comme une inquiétude, et un sentiment d’être opprimé du fait d’un lestage. C’est un secret qu’on ne peut effectivement pas dévoiler non seulement à cause d’une honte de soi radicale mais du fait qu’il nous est impossible de nous séparer de cette dimension étrangère qui crée l’étrange familiarité. C’est en définitive le phénomène fondamental de l’ontose résultant de la répression parentale, la réalisation du compromis entre notre être naturel et celui artificiel imposé par la répression nous fondant être ambigu, ambivalent. Aussi chaque fois que nous sommes en présence de l’ambiguïté, de l’ambivalence, manifestée à partir de divers supports, l’empreinte de notre profonde affectation est activée, et nous sommes envahis d’une inquiétude difficilement "saisissable", localisable , qui semble nous envelopper, confinant le plus souvent à une angoisse.

 

C’est au plus profond de notre "archaïsme" que se loge l’inquiétante étrangeté, qui est au fond la sensation d’être possédé[54]. C’est là que se trouve son Heimat.[55]

 

Cette Unheimlichkeit se perçoit fort bien chez M Heidegger théoricien du souci de l’être, de la nécessité de le purifier, de lui restituer sa vertu, de le désaffecter de l’oubli, et de la recherche d’un Heimat, d’un enracinement. Or ce philosophe a eu (et a encore) un écho très important et pas seulement en Allemagne non, probablement, parce qu’il clarifiait quelque chose, mais parce ce qu’il théorisait entrait en résonance avec l’inquiétude de ses lecteurs.

 

Ainsi toute l’œuvre de E. De Martino, grand admirateur de M. Heidegger est une réflexion sur ce qu’il y a d’étranger en l’homme et sur ce qui cause la crise de la présence.

 

En revenant à l’Allemagne l’Unheimlichkeit affecte sa population après la fin de la Première guerre mondiale parce qu’avec la catastrophe  tout le recouvrement a été éliminé  réimposant la déréliction et, par là, l’inquiétant étrangeté. D’ailleurs S. Freud a publié son essai portant ce titre en 1919  mais il aurait commencé quelques années auparavant

 

On sent qu’à travers le mouvement nazi, allemands et allemandes aient voulu éliminer l’étranger en eux mais de façon mystifiée en voulant détruire l’étranger. La dérive se comprend fort bien du fait que l’étranger est le support pour vivre l’ennemi, la menace, et à partir de là peut se réinstaurer la dynamique de la lutte, de la guerre salvatrice, purificatrice.

 

L’eugénisme qui eut un grand développement au début du XX° siècle et se réimpose de façon périodique est aussi la manifestation de vouloir éliminer ce qui est étranger. Cette volonté on la sent percer également dans le débat au sujet de l’identité nationale, au sujet du métissage qui est support de grandes peurs. Enfin citons le cas exemplaire des juifs orthodoxes hantés par la nécessité de rejeter toute assimilation et de maintenir la spécificité du peuple juif et son élection.

 

Nous vivons la mort du capital mais l’activité de son cadavre est due au maintien de multiples empreintes placées à divers moments de l’histoire jusqu’à des époques fort éloignées. Si l’on veut accéder à Homo Gemeinwesen il faut totalement les désactiver. Le devenir de l’individualité et celui de l’espèce sont étroitement liés. En retrouvant la continuité, hommes et femmes n’ont plus besoin de jouer des rôles imposés par la société (et toute société est une société du spectacle), à trouver une forme, expression de la répression qu’ils subissent et opèrent, à chercher à s’incrémenter pour colmater une insatisfaction jamais pleinement perçue et abolir une haine de soi qui dérivent du fait d’être séparés  et réduits à individus insignifiants, au cours d’une dynamique d’obsolescence.

 

La continuité avec le reste de la nature, avec le cosmos s’établit avec la disparition des divers blocages liés aux traumatismes emprisonnés dans des empreintes ancestrales et donc avec la mise en continuité en nous, avec notre naturalité[56].

 

 

Jacques Camatte

   2010

 



 

[1] Cf. Œuvre de S. Freud. Je retiens comme fondamentaux et aptes à permettre une investigation profonde sur le devenir psychique de l’espèce les concepts suivants: traumatisme infantile, refoulement, compulsion de répétition (rejouement), déréliction (Hilflosigkeit), détournement (séduction, Verfuhrung), l’inquiétante étrangeté (Unheimlich), ainsi que, mais moins important: souvenir écran (recouvrant).

 

Dans Présentation j’ai affirmé l’intention de rédiger divers articles concernant non seulement l’œuvre proprement dite mais l’ontose de l’auteur aussi bien dans le cas de S. Freud que dans celui de C.G. Jung, etc.

 

Cet Addendum ne traite pas à fond les thèmes qu’il aborde, surtout pour ce qui concerne les phénomènes précédents la conception. Ultérieurement, il conviendra, si c’est possible, de reprendre le tout en vue de pouvoir bien délimiter ce que peut être le cheminement de libération-émergence.

 

[2] Jean-Noël Kapferer Les chemins de la persuasion – Le mode d’influence des media et de la publicité sur les comportements, Ed. Dunod, 1978 pour la première édition chez Bordas. Page 3 il indique le caractère de son ouvrage: «Ce n’est pas un ouvrage de psychologie des profondeurs. L’image de l’homme proposée par celle-ci nous paraît remise en question par la recherche contemporaine. Trop d’ouvrages, exagérant la pensée freudienne, présentent l’homme comme ballotté par une mer de pulsions qui en font un objet facile de persuasion aux praticiens qui sauront utiliser ces motivations et pulsions.» p. 8-9

 

La dimension répressive apparaît fort bien: «Peut-être la meilleure stratégie à long terme pour la modification des attitudes et des comportements n’est pas d’agir d’abord sur l’attitude, mais d’agir d’abord sur les intentions à partir d’opinions normatives, en veillant à ce qu’ensuite les attributions  aux pressions de l’environnement ne puissent plus être faites». p. 280. Autrement dit  la dynamique persuasive doit prendre en compte des données situées de plus en plus en profondeur, car c’est la réalisation de l’intériorisation qui est visée d’où, inévitablement, la confluence avec les "psychologies des profondeurs" qui, elles aussi, ne sont pas dépourvues d'une dimension manipulatrice, parfois très accusée.

 

[3] Cf. les articles John Locke et la violence éducative et I. Kant et la violence éducative de Alexandra Barral qui sont parus sur le site Internet: www.oveo.org; oveo observatoire de la violence éducative ordinaire. On trouve sur ce site divers articles concernant la violence faite aux enfants, des recensions de livres traitant du même sujet, un projet de loi concernant l’interdiction des châtiments corporels et psychiques.

 

Les citations que je reporte de J. Locke et d’I. Kant sont celles présentes dans les articles susmentionnés.

 

[4] « Dans les Essais sur l’entendement humain, Locke postule un esprit vierge, la tabula rasa qui se remplit d’expériences. Il faut donc très tôt imprimer à l’enfant de bonnes habitudes». Cette notion n’est pas nouvelle comme nous le signale, dans une note, Alexandra Barral, puisqu’elle fut utilisée par Aristote. Elle nous indique aussi que « tabula était la tablette d’argile sur laquelle les écoliers écrivaient et qu’ils rendaient vierge pour la rendre réutilisable ».

 

Ailleurs J. Locke écrit: «Si donc, dés les commencements, on tient de court les enfants qui sont faciles à gouverner durant leur bas âge, ils se soumettront sans murmure à ce régime, n’en ayant pas connu d’autres. »

 

[5] «Les pleurs  trahissent souvent la prétention de l’enfant à se faire obéir; ils sont comme la déclaration de son arrogance et de son entêtement.» (Pensées, §111.)

 

 

[6] Dans sa présentation au texte de John Locke Identitié et différence avec comme sous-titre L’invention de la conscience, Ed. du Seuil- Essai, Étienne Balibar explique que – dit rapidement – cette dernière remplace les notions de sentiment de soi, de for intérieur ou d’homme intérieur (St-Augustin) et il rapporte (p. 18) la définition qu’en donne J. Locke: «"Consciousness is the perception of what passes in a Man’s own Mind". C’est-à-dire: la "conscience", c’est la perception de ce qui (se) passe dans l’esprit d’un homme; mais aussi: c’est le fait, pour un homme, de percevoir ce qui (se) passe dans son propre esprit (dans un esprit qui est le sien, qui lui appartient en propre, qui est sa propriété. » En plus des accents stirnériens (L’unique et sa propriété) nous percevons bien la dimension séparatrice. La conscience surgit pour ainsi dire afin de statuer sur ce qui relève de l’identité et de ce qui relève de la différence, du normal et de l’anormal, logée dans un être se séparant toujours plus de la nature.

 

Ajoutons: «La formule qui dit que nous ne pouvons pas penser sans savoir que nous pensons et nous savoir "pensants", n’en  revêt pas moins une extrême importance. C’est elle qui à travers la discussion par Locke des idées innées conduira à faire de la  "conscience" le sujet même de la pensée, mais aussi à soulever le problème de l’inconscient». Pp. 38-39. Ce qui expose bien un phénomène de réduction d’autant plus que, comme le dit É. Balibar, la conscience est le métonyme d’être conscient. En outre la dynamique de l’identité et de  la différence impliquait nécessairement la production d’un contraire, l’inconscient qui, lui aussi, est un produit de la répression. Inconscience daterait de 1794, l’adjectif inconscient de 1820, le substantif ne s’imposera que par la suite. Le fait qu’il ait dû d’abord passer par une phase "adjective" signale toute la dépréciation qui affectait tout ce qui n’était pas conscient. Confirmation de la dimension orale et répressive de ces concepts.

 

[7] Ce qui se comprend fort bien du fait que, comme J. Locke, il subit de mauvais traitements durant son enfance.

 

[8] Nous avons utilisé deux textes pris sur Internet. Dans l’un d’eux D. Chamberlain affirme que les fœtus font des rêves. À leur sujet il affirme que le rêve est une «activité cognitive», « un exercice créatif de l’esprit, spontané et personnel» Ce qui me semble profondément juste, mais j’ajouterai qu’activité et exercice sont fortement perturbés par l’ontose.

 

[9] Le 15.07.2008 sur www.ariannaeditrice.it. C’est une sorte de résumé de ses livres: L’enfant magique, La fêlure de l’œuf cosmique, Ed. J’ai Lu, 1991 (le texte original date de 1971), Le futur commence aujourd’hui – Le prochain défi de l’intelligence humaine Ed. Du Rocher, 1996, traduction de Evolution’s End, 1992, en ce qui concerne les livres que nous lus auquel s’ajoute The biology of transcendance.

 

[10] Cette expression témoigne de la puissance de la dynamique interventionniste qui implique que l’enfant est en définitive manipulé, comme s’il n’était pas un acteur fondamental dans son accession au monde. En même temps elle renferme une confusion car les enfants qui "viennent au monde" doivent être portés pour accéder à la plénitude de leurs possibilités.

 

[11] Frank J. Sulloway, S. Freud biologiste de l’esprit, Ed. Fayard.

 

[12] À propos des peurs enfantines il écrivit: «Ne pourrions-nous soupçonner que les peurs vagues et cependant très réelles de l’enfance, qui sont tout à fait indépendantes de l’expérience, sont l’héritage des dangers réels et des basses superstitions des temps anciens de la sauvagerie?» Cité par F J. Sulloway, page 233, qui nous indique que Ch. Darwin se trouve également à la base de la mise en évidence de l’empreinte, p. 252

 

[13] F J. Sulloway signale qu’à la même époque H. Taine aborda la même question (p. 232).

 

[14] H. Arendt a elle aussi parlé du siècle de l’enfant.

 

[15] C’est aussi une prothèse pour compenser le fait ne pas avoir été porté; donc la prothèse pour se porter, s’affirmer au-dessus.

 

[16] J’ai déjà cité une partie de ce texte dans De la vie.

 

Le fait que la femelle devienne nid pour l‘enfant n’est pas particulier à l’espèce humaine. Le cas remarquable des marsupiaux en témoigne amplement. Toutefois dans le cas de notre espèce le mâle peut aussi constituer un nid.

 

[17] J’ai transmis ces remarques à un ami, Alain, à la suite de la lecture d’un article, Apprendre la liberté d’Alexandra Laignel-Lavastine paru dans Le Monde du 08.09.2006, concernant le livre d’Olivier Rey Une folle solitude, le fantasme de l’homme auto-construit, Ed. Du Seuil, 2006. Je cite ce qui m’avait interpellé et suscité la lettre à mon ami: «(…) le retournement des enfants dans leurs poussettes. Jusqu’à la fin des années 1960, en effet, les enfants avaient toujours fait face à l’adulte qui le promenait. Puis une révolution s’est opérée: voilà que les enfants invités à se construire par eux-mêmes, et à appréhender le monde à leur gré, ont été orientés vers l’avant, tournant du coup le dos à leurs parents.»

 

[18] Une variante d’une telle approche se trouve dans la théorisation de la résilience

 

 

[19] Il est banni en même temps en tant qu’élément fondamental de différenciation: on ne parle plus de différence sexuelle, mais de différence de genre; l’homme n’est plus un mâle, mais un masculin, la femme est ramenée à un féminin; autrement dit les catégories grammaticales permettent de cacher ce par quoi le scandale arrive, et le développement de la combinatoire sexuelle – délire spécio-ontosé – de se déployer dans la séparation d’avec les êtres réels, jadis naturels. Les partisans du genre m’apparaissent comme des adeptes de Jacques Lacan pour qui tout se ramène à des jeux de langue, ce qui se fonde sur une donnée réelle: la langue n’est pas structurée comme un inconscient mais recèle et véhicule le refoulé. Ce qu’avait déjà perçu S. Freud. Ainsi, personnellement, je me suis rendu compte que quand je dis: je me sens sûr, cela dit et cache: je me censure, c’est-à-dire que je suis en sécurité lorsqu’en me censurant j’applique les règles imposées par la répression. Variation: le dire est dans le dire et, quand on dit, on redit, ou dit doublement, sans duplicité.

 

Le terme de genre peut engendrer beaucoup de confusion car dans la systématique le genre désigne un regroupement d’espèces, analogie avec la grammaire en ce sens que, là, le genre indique tout ce qui est soumis à un type donné qui dépend de la sexualité; le neutre impliquant ce qui est autre, ce qui, dans la dynamique de la lutte des sexes, ne prend pas partie, ou qui ne peut pas être approprié. En fait depuis longtemps, les mots, femme, homme, enfant, adolescent, père, mère, etc., ne font plus référence à une donnée naturelle, mais à une donnée élaborée par la dynamique de la spéciose qui impose à chacun, chacune, de jouer un rôle. En conséquence, personnellement, j’emploie ce mot plutôt que genre dont la théorisation vise à approfondir encore plus la séparation au sein du procès de vie

 

La remise en cause de la sexualité dans sa naturalité est évidemment en relation avec le devenir hors-nature et s’impose donc bien avant l’apparition du christianisme.

 

C’est à dessein que je n’envisage pas ici l’œuvre de W. Reich, bien connue, ne serait-ce qu’à cause de sa profusion et de son ambiguïté.

 

Enfin je signale à cause de son immense importance, bien que cela sorte du cadre de cet addendum, le fait que la transmission de caractères, de données, de gènes d’informations, advient non seulement de façon verticale d’une génération  à l’autre (la sexualité), donc dans la diachronie, mais aussi de façon horizontale, donc dans la synchronie, par la transmissions de virus ou autres «particules» de vie d’une espèce à l’autre (appartenant même à des genres différents) comme l’expose, après P.P. Grassé, Francis Hallé dans son beau livre, vibrant d’amour pour son objet d’étude: Éloge de la plante. Pour une nouvelle biologie. Ed. du Seuil Points. 1999. Ma caractérisation est déterminée par le fait qu’il dénonce avec juste raison le dénigrement du règne végétal en mettant en évidence toutes les expressions dépréciatives qui prennent celui-ci comme support. Or ce dénigrement dérive d’une vaste ignorance de ce qu’est le phénomène vie sous sa forme végétale. J’ai dit ailleurs à quel point pour moi tout arbre est manifestation rayonnante de la continuité.

En définitive la continuité au sein du vivant qui régnait de façon immédiate il y a 4 milliards d’années perdure grâce à une autre modalité.

 

[20] Chez les végétaux on distingue la reproduction sexuée de la reproduction végétative où quasiment n’importe quelle partie du végétal peut engendrer la totalité d’un autre «individu» qui peut le plus souvent rester en liaison avec le premier ou bien s’en séparer. Cela a été utilisé par l’espèce humaine pour multiplier les variétés recherchées pour diverses raisons.

Problème d’un mode de déplacement de l’espèce par exemple avec les stolons du fraisier ou de la potentille.

 

[21] Cf. Divagation où j’examine le discours scientifique actuel sur le sexe qui englobe la sexualité et où les sexes sont remplacés par les genres.

 

[22] Cf. Psychic Energy in prenatal dynamics, parapsychology, peak experiences - a paraphysical approch to psychoanalysis and transpersonal psycho-dynamics, Servire publishers/Wassenaar, 1975. Nandor Fodor The search of the beloved, 1949

Cf. aussi  Major categories of early psychosomatic traumas de Bill Swartley sur le site Internet de la psychothérapie primale (en anglais).

Le ça de G. Groddeck peut être considéré en partie comme relevant d’un mouvement spontané.

 

[23] On peut se demander si le suicide n'est pas un moyen de sortir de cette inchoation où l'on est réduit à une intentionnalité, comme à un suspense indéfini déterminé par une menace totalement inconsciente. Ceci opère également à l’échelle collective: le déclenchement de la guerre de 1914-18 se présente comme une sortie d’inchoation avec libération de l’énergie accumulée dans la phase précédente, posant un suicide collectif. Tout en étant affectée par une dynamique du mouvement pour le mouvement, l’espèce se trouve en fait en situation inchoative qui peut préluder à la mise en place d’une dissolution. Et l’on pourrait dire: cela n’en finit pas de commencer!

On peut, d’autre part, imaginer que, grâce à la parole, le dieu de la Bible sort, «enfin», de l’inchoation, car parler est la manifestation d’une prise de décision.

 

[24] L’activité primordiale des dieux, n’est pas de créer, mais d’organiser le chaos. Hommes et femmes rejoueront amplement, puisqu’ils voudront constamment organiser, trouver la forme d’organisation adéquate, surtout aux époques charnières de dissolution de la communauté. Trouver la forme est une nécessité de la répression, elle-même dérivant de la séparation d’avec la nature. Curieusement chez diverses ethnies ce sont les femmes qui ont créé mais, ultérieurement, les hommes considèrent cette création comme un chaos qu’ils s’appliquent à organiser. Organiser c’est l’activité de l’homme spéciosé.

 

Cette activité apparaît souvent comme celle de la réalisation de la séparation. Il faut dissocier ce qui tend à demeurer coalescent et donc indifférencié.

 

[25] On doit noter que le stade ovule est en fait escamoté chez la femme.

 

[26] Elisabeth Horowitz présente de façon exemplaire le refus d’être engendré «Le but n’est pas de faire de la psychogénéalogie, il est de découvrir simultanément que, au plus profond de l’arbre généalogique, il y a la terreur d’être engendré et, en même temps, cette découverte s’accompagne toujours de l’émergence de ce que l’on pourrait appeler l’âme ». Elisabeth Horowitz, Se libérer du destin familial - Devenir soi-même grâce à la psychogénéalogie, Ed. Derby, Collection Chemins de l’Harmonie, p. 308

Ce qui est étrange dans ce livre c’est que l’arbre généalogique se présente comme le véritable acteur, opérateur, c’est lui qui, en quelque sorte, distribue naissances et morts afin de maintenir son équilibre, une sorte d’homéostasie.

Il existe différentes approches de la psychogénéalogie avec des psychothérapies correspondantes, ainsi de la constellation familiale. Citons aussi, à titre d’exemples, les livre Aie Aie mes aïeux! de Anne Schutzenberger, Ed. La méridienne. Desclée de Brouver, 1993; Comment paie-t-on les fautes de ses ancêtres. L’inconscient transgénérationnel, préface de Anne Ancelin-Schutzenberger, Ed. Dsclée de Brouver, 1998, de Nina Canault, ainsi que les travaux de Nicolas Abraham et Maria Torok.

 

[27] Ceci est cité par Kuiper, Cosmogony and conception: A Query, in History of religion, nov. 1970, vol.10, n°2, qui, à la suite de cela: écrit: « Le chercheur moderne s’occupant de la religion Védique peut considérer la possibilité que la figure mythologique de Varuna en tant que dieu du monde primordial puisse fonctionner psychologiquement, pour les dévots, comme un moyen  pour entrer en contact avec les premières strates de la personnalité et de remettre en œuvre son propre état prénatal.» pp. 116-117.

 

[28] Ce n’est pas qu’il n’y ait rien de neuf (sous le soleil), mais il y a continuité et rien n’est perdu, comme le désirait GWF. Hegel. On pourrait aussi envisager l’existence d’un mouvement spiralé!

 

[29] À partir de là des variations cartésiennes induites par la spéciose sont actualisables. Si je dis: je pense donc je suis, je m’affirme et je réactualise la dynamique de rejet de la réduction telle que l’opéra R. Descartes. Mais si je dis: je pense donc je te suis, je me trouve dans la dépendance et même dans la dynamique de la servitude volontaire. Même s’il s’agit de deux verbes différents, il y a dans les deux cas continuité, car le verbe suivre implique justement cette dernière sinon la progression ne peut pas se dérouler. Quand je suis, je suis pour ainsi dire mon parcours de vie, ce qui m’évoque Dante proclamant: suis ton chemin et laisse dire les gens (il aurait mieux valu dire: suis ton chemin et ouvre toi aux gens). Cela implique la non réduction à moi-même, à mon idiosyncrasie, à cet être pensant, à ce corps qu’on voit, car je ne suis que si j’effectue un cheminement en liaison au monde, à la nature, au cosmos. Mais si je suis quelqu’un, je suis détourné de celui-ci. Mais que dit le discours de la répression? Je pense donc tu suis, parce que tu ne peux pas faire par toi-même. Une variante plus insistante s’énonce: je pense donc tu me suis. Les parents ont la conscience, la connaissance du parcours de l’enfant qui ne peut que suivre. En conséquence l’être ontosé est à la recherche d’une direction, d’un sens, du sens de la vie, parce qu’il a été dépossédé de son parcours et de son cheminement.

 

[30] Rapport au mouvement régénérateur Katsugen undo découvert par Haruchika. Nogoshi et diffusé en France par Itsuo Tsuda. La pensée aussi résulte d’un mouvement spontané car dés qu’on vit, on pense. Ensuite la possibilité d’appliquer la pensée à ce qui est pensé s’ouvre de plus en plus: la réflexivité. Le rire se déploie aussi comme un mouvement spontané, régénérateur tant pour l'individu qui rit que pour ceux avec qui il est en présence, que pour la collectiivité dans son ensemble. Il recèle une dimension communautaire et une fonction de mise en continuité.

 

[31] L’accès aux grandes formes d’organisation est lié aux réponses à des modifications des conditions de milieu en rapport au devenir propre de la terre et à celui du système solaire. Ainsi lors du passage du stade unicellulaire au stade pluricellulaire, comme on peut le constater encore avec certaines amibes qui peuvent se grouper pour former un être pluricellulaire quand les conditions de vie sont défavorables.

 

[32] N’exister qu’à partir de notre apparition implique qu’on n’existe pas avant celle-ci. D’où la question ontosique inévitable: quelle est l’origine de l’être apparu ?

L’apparition signale un résultat, l’apparence un phénomène. Entre les deux des relations étroites s’établissent, comme entre image et apparence. À propos de cette dernière, je puis dire que c’est ce qui du réel peut être affecté et perçu. On comprend dés lors toute la dynamique de se masquer pour se rendre secret (rejouement de l’inquiétante étrangeté) aux autres, sollicitant en eux la question: qui est-il? On voit donc poindre de multiples thèmes que je ne puis aborder pour l’instant. Pour faire liaison et appel à se qui pourra être traité ultérieurement, je pose une question: Qu’est-ce que je fais apparaître (j’offre) quand je suis présent, une apparence, ou une totalité?

 

[33] In History of Religion, nov. 1970 vol.10, n°2. Je tiens à signaler que je dois la connaissance de ce texte à Cristina Callegaro qui m’en a communiqué une fiche détaillée. Je lui dois également la connaissance de Franz Renggli, L. Peerbolte, James Hillman, David Chamberlain.

 

[34] Il pense même que certains jumeaux pourraient provenir de la fécondation du globule polaire II et seraient peu viables.

 

Certains romans fantastiques semblent décrire cet évènement douloureux qui hante le romancier, comme me le signala Cristina Callegaro à propos d’E. A. Poe et de son livre La chute de la maison Usher.

 

[35] Lloyd Demause The fetal origins of history, p.251, chapitre 7 de Les fondations de la psychohistoire, Ed. PUF, 1986. Ce chapitre ne se trouve pas dans l’édition française. Nous avons traduit à partir d’un texte pris sur Internet.

 

[36] Je n’ai pris en compte que quelques moments du procès de l’embryogenèse et n’ai pas tenu compte de la fœtogenèse car cela serait trop long et suppose d’amples recherches complémentaires. En outre la prise en compte de la contraception sort du cadre de cette étude.

 

[37] Dans son livre: Histoire de la découverte de l’inconscient, Ed. Fayard, 1994 (1970 pour le texte original, The Discovery of the Inconscious. The History and Evolution of Dynamic Psychiatry), Henri F.Ellenberger ne nous indique pas réellement le moment où ce concept est fondé, tout en nous mettant en évidence comment la notion de données inconscientes opérant chez les individus s’impose à partir des expériences de Messmer, bien que cette idée soit ancienne et présente aussi en Orient. D’autre part, à mon avis l’importance du refoulement est escamoté et ceci parce qu’il ne perçoit pas qu’en définitive la question n’est pas celle de l’existence de l’inconscient affirmé bien avant S. Freud mais celle de savoir comment des données ne peuvent pas devenir conscientes et viennent accroître ce qui est inconscient.

La citation suivante est intéressante parce que son auteur semble postuler que le refoulement fut longtemps refoulé. «L’inconscient sans jamais être nommé, a toujours été à l’œuvre dans l’histoire de l’humanité ; ben des époques et des cultures ont reconnu son existence et l’ont pris en compte. Si bien que dans notre culture occidentale, l’histoire de l’inconscient, c’est d’abord l’histoire d’un refoulement et, à partir d’une certaine date, en fonction de ce que nous posons, celle d’un retour du refoulé. Le retour de ce qui aurait été longtemps refoulé s’est opéré selon la démarche dominante de notre époque, qui seule pouvait rendre l’inconscient acceptable par notre culture moderne: la démarche scientifique.» Jacques Mousseau, Histoire: l’inconscient avant Freud dans le livre L’inconscient sous la direction de J. Mousseau et P F. Moreau. Ed. CEPL, 1976 

S’il y a eu retour du refoulé cela s’est fait en dehors de toute démarche scientifique, mais celui-ci une fois affirmé, elle pouvait être opérationnelle.

 

 

[38] «Pour Sigmund Freud, le refoulement désigne le processus visant au maintien dans l’inconscient de toutes les idées et représentations liées à des pulsions et dont la réalisation, productrice de plaisir affecterait l’équilibre du fonctionnement psychologique de l’individu en devenant source de déplaisir. Freud, qui en modifie plusieurs fois la définition et le champ d’action, considère le refoulement comme constitutif du noyau originel de l’inconscient.» Elisabeth Roudinesco et Michel Plon Dictionnaire de psychanalyse, Ed. Fayard.

Deux citations de Sigmund Freud:

« Dans tous les cas observés on constate qu’un désir violent a été ressenti, qui s’est trouvé en complète opposition avec les autres désirs de l’individu, inconciliable avec les aspirations morales et esthétiques de sa personne. Un bref conflit s’en est suivi, à l’issue de ce combat intérieur, le désir inconciliable est devenu l’objet du refoulement. Il a été chassé de la conscience et oublié». Cinq leçons sur la psychanalyse

Originellement le refoulement ne découle pas d’un conflit interne mais du conflit entre enfants et parents; conflit entre l’être naturel de ceux-là et l’être domestique imposé par ceux-ci.

«Un destin possible pour une motion pulsionnelle est de se heurter à des résistances  qui cherchent à la rendre inefficace. Selon des conditions que nous allons maintenant étudier de plus prés, elle arrive alors en situation de refoulementMétapsychologie, Ed. Folio Essais, p. 45.

 

[39] On trouve dans les textes d’A. Janov des remarques qui indiquent la puissance de son ressenti. « Nous n’avons pas une empreinte; nous sommes cette empreinte.» p. 25.

«Peut-être devrions-nous parler de mécanisme de survie et non de névrose, pour qualifier notre comportemeni». p. 27

 

[40] Je préfère ce concept mis au point par A.Janov parce qu’à mon avis il exprime mieux la totalité du phénomène. Cf. Glossaire. Toutefois il faut le distinguer de celui de réactualisation qui implique un rythme, parfois difficile à individualiser qui fait qu’à des intervalles donnés, un phénomène semblable s’impose, comme le retour des saisons. L’éternel retour de F. Nietzsche et de S. Freud est porteur d’inquiétude tandis que le retour naturel génère sécurité et confiance.

 

[41] Que l’on trouve dans le livre (pp. 210- 263) portant le même titre, Ed. Gallimard, folio/essais, 1985, et comprenant d’autres textes. J’ai abordé cette étude dans Œuvre de Freud, Réorganisation de la théorie.

 

[42] Cette insuffisance je la perçois également dans cette affirmation: «Il n’est plus besoin maintenant que de quelques compléments, car avec l’animisme, la magie et la sorcellerie, la toute-puissance des pensées, la relation à la mort, la répétition non intentionnelle et le complexe de castration, nous avons à peu prés fait le tour des facteurs qui transforment l’angoissant en étrangement inquiétant». S. Freud ne met pas réellement en évidence l’angoissant logé à la base de tout.

 


[43] Cette phrase de Friedrich Schelling évoque la théorisation assez répandue sur l’existence en chacun, chacune, de l’ombre, d’un côté obscur peuplé d’instincts destructeurs, criminels, qui fait le pendant à celle concernant l’enfant pervers polymorphe ou criminel né. Nous serons amenés à l’aborder ailleurs.

 

[44] Cf. page 224, 2°§.

 

[45] Ce conte de E.T.A. Hoffmann Der Sandmann est paru en édition bilingue, Ed. Gallimard, folio, avec comme titre français: Le marchand de sable. La traduction est de Philipe Forget, avec une préface de Dorian Astor.

 

[46] Au sujet de cette expression le traducteur, Bertrand Féron, signale la parenté avec celle de F. Nietzsche, "éternel retour du même". Or celui-ci fut vraiment un homme très tourmenté.

 

[47] Ici aussi nous percevons l’insuffisance dont il est question dans la note 42. Aucun support ne peut être anodin pour exprimer l’inquiétante étrangeté.

 

[48] O. Rank, Le double, 1914, que je n’ai pas lu.

 

[49] «L’enfant pour sousvivre et survivre est poussé à créer son ontose». Invariance, série V, n° 4, p. 168. Sur le site cf. Apports d’autres théoriciens, début de l’avant-dernier paragraphe.

Le phénomène de l’étranger en nous peut provenir d’une virtualisation à partir de projections ou d’une identification. Ainsi la mère ou le père qui s’identifie à son en enfant crée en lui un être virtuel qui lui est étranger, et qui vient interférer avec celui qui provient de lui-même.

 

L’étranger peut servir à dire son mal être, grâce à une identification. Ainsi le saint ou la sainte qui présente les plaies du Christ, exprime toute sa souffrance par cette somatisation. Mais, par un détour, cela ne peut-il pas signaler qu’il recèle un étranger en lui qui lui inflige ces plaies?

En fait il conviendrait de traduire Unheimlich par inquiétant familier car ce qui inquiète ce n'est pas l'étrangeté, mais le familier, et c'est l'élément étranger, advenu en nous et s'intégrant en nous, rendant ce familier difficilement saisissable en lui-même,  qui provoque l'inquiétuede et l'impossibilité de se percevoir dans notre idiosyncrasie (note d'octobre 2012).

 

[50] C’est là l’empreinte initiale de la perception d’être inachevé qui hante l’espèce et qui conduit hommes et femmes à essayer de se modifier, de se transformer, d’acquérir de multiples prothèses.

 

[51] Cf. Surgissement de l’ontose, Invariance, série V, n°4.

 

[52] Une confirmation de la validité de cette approche théorique s’impose à la lecture du livre L’homme aux statuesFreud et la faute cachée du père, Ed Grasset, de Marie Ballmary.

 

Les non-dits qui s’accumulent dans la vie quotidienne provoquent à l’improviste des irruptions de colère qui peuvent apparaître irrationnelles.

 

[53] Avec la dynamique de la menace et de l’ennemi extérieur, c’est une autre source du besoin de la guerre. Dans Gloses IX j’ai indiqué que le kamikaze essayait de détruire l’ennemi extérieur comme celui intérieur.

 

[54] Ce n’est pas un hasard à mon avis si les mythes de possession ont une telle importance au cours des siècles, ainsi que les pratiques d’exorcisme qui en découlaient. Les phénomènes inconscients peuvent être perçu et l’ont été comme relevant de la possession; comme on s’en rend compte en lisant le livre de Henri F. Ellenberger: «Histoire de la découverte de l’inconscient.

Le cancer – voire d’autres maladies - se présente peut-être comme la forme somatisée de l’étranger en nous.

 

[55] Nous pouvons envisager, sur la base des travaux de L. Peerbolte, que le phénomène de l’inquiétante étrangeté, peut se mettre en place au niveau des gamètes. En conséquence une anamnèse profonde conduisant à ce stade de notre devenir peut permettre également d’accéder à des données transgénérationnelles et d’y retrouver, là encore, l’inquiétante étrangeté affectant l’espèce.

 

[56] J’ai été amené à mettre beaucoup de notes pour signifier aux lecteurs et lectrices que le discours théorique ne pouvait pas se limiter à ce qui était exposé pour apporter des complèments à des textes antérieurs. Cet addendum annonce aussi des investigations futures.

 

 

 

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