Au niveau
individuel, comme au niveau
de l’espèce, une rupture trop radicale, une discontinuité trop
soudaine, se
révèlent néfastes parce que, du fait de l’effondrement subit des
prothèses, des
défenses, et de l’évanescence des supports, d’immenses remontées se
produisent
génératrices de violences difficilement contrôlables, entraînant une
impossibilité de se positionner, signe d’une immense crise de la
présence.
La discontinuité
qui doit advenir
devrait se dérouler au cours d’un procès continu d’élimination de tout
ce qui
inhibe le développement de l’individualité, de l’espèce, à partir d’une
inversion totale du comportement des hommes et des femmes[1].
Inversion,
pour
désigner la mise en place d’un devenir contraire à celui effectué
jusqu'à nos
jours, comportant en particulier: sortie de la nature, répression,
refus,
abstraïsation, émeutes (soulèvements, révolutions) mais aussi guerres
et paix.
Mais cette inversion n'est pas un détournement de ce qui fut détourné
et n'est
pas un retour au moment où ceci s'est imposé. Non, car c'est à partir
du
potentiel gemeinwesen en nous ici et maintenant et en la communauté de
ceux et celles qui
convergent et participent, que cela s'effectuera (et je pense que dans
une
petite mesure cela s'effectue). Il ne s’agit donc pas de retourner à
une phase
antérieure, à un comportement ancestral, mais d’accéder à quelque chose
en
germe en nous, en l’espèce: la naturalité profonde qui a toujours été
réprimée,
en grande partie occultée, ainsi que la continuité avec tous les êtres
vivants,
avec le cosmos.
L’émergence du
concept d’inversion
tel que je l’expose s’est effectué au cours d’une phase assez longue
qui débute
lors de la fin du procès révolution, où l’impasse, le blocage, le
désarroi,
s’imposèrent sans nous affecter du fait de notre tenace investigation
au sujet
de la répression[2]
tandis que celle-ci
devenait de plus en plus évidente dans les divers domaines de la vie
des hommes
et des femmes.
La perception
plénière de l’inversion
est un phénomène bref en son surgissement mais son déploiement
nécessitera de
nombreuses années. Ce qui s’impose ce n’est pas simplement un aller en
sens
inverse, et la nécessité d’avoir un comportement en conséquence, car sa
réalisation implique un dévoilement à travers lequel elle est advenue,
et son
déploiement à partir d’elle, opérant de façon rayonnante, facilitant
une
affirmation, une manifestation au sein de la nature, au sein du cosmos.
La
simple inversion impliquerait une dépendance par rapport à ce dont on
provient
et dont on se distancie au
travers d’un
phénomène d’instauration d’une immense discontinuité.
L'inversion est
imposée par les faits
et surgit spontanément (phénomène non volontaire mais conscient) mais à
la
suite d’un long mûrissement en grande partie inconscient et, de là, se
déploie le
dévoilement de tout ce qui au cours du cheminement antérieur avait été
masqué,
voilé, escamoté. C'est-à-dire que le phénomène du recouvrement apparaît
pleinement
dans toute sa puissance. Dés lors la dynamique de libération-émergence
va prendre
toute son ampleur.
L’inversion
opère au sein de la
dissolution qui est insuffisante, au même titre que la libération, pour
accéder
à un monde nouveau.
L’inversion, en
définitive, apparaît
comme un échappement par rapport à ce qui est posé comme un
déterminisme qui
est en fait le mécanisme infernal des rejouements en connexion avec
l’empreinte
de la menace.
Du fait de la
difficulté à atteindre
rapidement la racine du phénomène de la répression et les empreintes
qui lui sont
liées, l’inversion s’accompagne souvent de la récupération de la part
des
dominants en tentant d’intégrer des éléments de cet autre devenir. En
effet
ceux-ci ne sont pas poussés par une simple volonté de manipuler, mais
par une
nécessité d’enrayer ce qui peut dévoiler le mécanisme infernal dont ils
sont eux-mêmes
victimes.
En
1974 j’ai
affirmé que le procès révolution était fini et je mettais en évidence
que celui
de libération pouvait aboutir à une vaste dépossession, que le résultat
des
révolutions consistait en définitive à renforcer le phénomène de
répression,
donc le pouvoir en place, car lutter contre celui-ci revient à lui
donner plus
d’assise, en lui fournissant un support[3].
Le phénomène révolution prôné par les marxistes et les anarchistes, en
ce qui
concerne l’aire occidentale, n’était plus opérationnel pour une
dynamique de
libération-émergence, d’où s’imposait la solution, pour ne pas être
uniquement
la proie de la répression et contribuer à sa pérennisation, de quitter
ce
monde.
Mais
le phénomène
révolution n’est pas seulement prôné par ceux qui veulent abolir un
ordre
social car les tenants de la répression eux-mêmes y recoururent dans le
but de
maintenir ou de restaurer le pouvoir. Ce fut la révolution conservatrice[4]
du début du XX° siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale, pour sa
phase
déterminante. Le discours de ses adeptes peut se traduire ainsi: je
réprime
pour votre bien en vous maintenant en continuité avec le passé, la
tradition,
et vous évite les égarements divers et multiples.
Le
mouvement de
mai-juin 1968 qui réactiva – tout au moins dans le discours – le
phénomène
révolutionnaire, bouscula les pouvoirs en place à tous les niveaux de
la
société-communauté du capital. La riposte qui s’ensuivit peut être
désignée
comme la révolution innovatrice dont nous avons essayé d’exposer
partiellement
la phénoménologie dans les Gloses en marge d’une réalité,
particulièrement dans les VI et X. Le discours cette fois est celui-ci:
je
réprime pour votre bien en vous assurant (créant) un futur. La
répression est
nécessaire pour éliminer toutes les représentations, les croyances
inhibitrices
de l’advenu de celui-ci, toujours changeant, fluctuant, et sur le mode
d’un
accès constant et nécessaire à un autre futur une fois le premier
atteint.
L’affirmation
de
cette révolution constitua une profonde rupture dans le devenir de la
répression jusque là effectuée en fonction du passé pour se garantir
contre un
futur que les révolutionnaires semblaient détenir, car constituant leur
territoire, leur
utopie. Si l’on peut dire que
la révolution conservatrice résulta d’un détournement de la révolution[5],
celui-ci acquiert une
ampleur encore
plus grande avec la révolution innovatrice. Les révolutionnaires sont
expulsés
du futur qui devient propriété et gisement de capitalisation,
virtualisation, pour
les tenants de la répression.
En
ce qui me
concerne cela m’obligea en fait à être cohérent avec la radicalité. Les
concepts de temps et d’espace n’ont pas surgi avec la révolution
bourgeoise et
avec le phénomène capital, mais le déploiement de ce dernier exige une
mise en
forme, une opérationnalité de ces concepts. En conséquence pour
envisager la
société communiste, le mode de connaître communiste, ces concepts
n’étaient pas
utilisables, et se dévoilait, se révélait, la nécessité de se penser et
de se
vivre en l’éternité, ce qui est accessible à tout un chacun.
La
dynamique
d’abandon de ce monde nous imposa une recherche constante concernant
les
racines de l’errance de l’espèce et de son mode de se comporter. En
2005 en rapport
aux émeutes qui eurent lieu dans les banlieues, en France, je parvins
au
constat que tout le monde (dominants et dominés) se trouve concerné par
la
répression et que la déterminante fondamentale du comportement de
l’espèce
c’était de poser l’autre comme ennemi, en tant que représentant de la
menace.
C’est pourquoi j’ai, alors, ajouté à la fin de la page d’accueil,
écrite fin
2003: Je n’ai pas d’ennemi: l’enfermement s’abolit[6].
Car c’est par
la fabrication de l’ennemi que l’enfermement, le solipsisme de
l’espèce, se
réalise en un immense piège.
En
2009, dans
Gloses X, j’aboutis aux constats:
«Ce monde-ci n’a
pas d’avenir parce
qu’il se trouve dans un au-delà».
«Ce monde n’a
pas d’avenir mais il se
trouve toujours sous la menace qui, avec la crise actuelle, se
manifeste de
façon particulière.»
«L’espèce
piétine et combine avec
tout ce qui est parvenu au-delà, écho d’un originel jamais
effectivement perçu.»
Ce piétinement
résulte du fait que de
nombreux phénomènes de grande amplitude s’achèvent et que rien de
nouveau ne s’impose
en dehors de la destruction de la nature et de celle de la
manifestation de
celle-ci en l’homme, sa naturalité.
Cependant cette
prise en
considération de l’horreur ne conduisait pas à affirmer qu’il n’y avait
plus
rien à faire ni même à dire qu’on devrait composer avec ce qui advient,
le
manifesté du "mécanisme infernal", auquel il semble impossible de se
soustraire, tandis qu’aucune rupture ne semble pouvoir surgir.
Toutefois dans
le cas où elle se produirait, comment la nommer puisqu’il ne pouvait
plus
s’agir de révolution impliquant un retour à quelque chose, ni de
s’opposer, de
détruire un ennemi, le support de tout le mal-être de l’espèce? Plus
précisément comment désigner le phénomène qui se présentera comme
mettant en
place la fin de l’errance et l’ébranlement de la libération-émergence
au niveau
de l’espèce? C’est alors que s’imposa à moi l’idée de la nécessité
d’une
inversion de comportement, permettant de retrouver une cohérence
effective, du fait
d’une union théorie praxis, qu’A. Bordiga ne considérait possible
qu’avec la
révolution seulement.
Or, en
réfléchissant à nouveau,
ultérieurement, sur son œuvre, je me suis rendu compte de façon très
immédiate
que c’est avec lui, ainsi qu’avec ceux et celles qui le soutinrent dans
son
investigation, qu’un phénomène d’inversion s’amorça au début des années 1950
qui, a posteriori, se présente bien comme un
moment où s’effectua un tournant.
Cette
amorce
d’inversion s’exprima au travers des affirmations fondamentales: on ne
construit pas le socialisme; nous n’avons plus besoin, en Occident,
d’un
accroissement des forces productives pour que celui-ci soit possible.
Il
l’était déjà suffisant en 1848 et ce qui s’impose à nous, maintenant,
c’est de
détruire car on a trop construit; en outre, dés le stade du socialisme
inférieur,
la loi de la valeur ne sera plus opérante. L’inversion est nette: plus
de
progrès mais un régrès[7].
A. Bordiga maintient tout de même son lien privilégié au futur. La
pratique,
l’approche théorique dépendent d’un événement logé en celui-ci: le
surgissement
du communisme. On doit se comporter comme si la révolution était déjà
un fait
advenu. Sa dynamique le conduira de façon cohérente, découlant
d’ailleurs du
dévoilement s’imposant avec l’inversion, à rejeter la technique et la
science.
Mais c’était insuffisant pour que l’amorce de celle-ci puisse
transcroître en
une inversion plénière. En effet si le devenir au communisme ne
dépendait plus
du développement des forces productives, sur quoi pouvait se déployer
un
mouvement réel abolissant l’ordre des choses? Quels étaient, chez les
hommes, chez
les femmes, les obstacles enrayant cette inversion? Une approche, où
les
données psychiques étaient déterminantes eût été nécessaire, et
fondamentale la
mise en évidence du rôle de la répression, Or, rien de tout cela ne fut
entrepris.
Dans
les années 1950
du siècle dernier, diverses données signalaient qu’une inversion était
nécessaire: augmentation de la population, de la production
(développement de
l’automation[8]),
du
trafic routier, par voie ferrée, aérien, maritime, impliquant une
énorme
destruction de la nature, début du changement climatique en rapport non
seulement à des tendances d’ordre cosmique mais aussi et de plus en
plus à
l’impact de l’activité humaine avec
bouleversement des biocénoses[9];
réactivation du phénomène guerre avec celle de Corée[10].
Élimination d’un phénomène de compensation comme le prolétariat dans la
société
capitaliste, de la forêt à l’échelle planétaire, en ce qui concerne la
nature.
Cette absence de compensation, de retenue, de frein, préluda à la mise
en place
de la dynamique du mouvement pour le mouvement dont l’épiphanie est
l’expansion
continue de la consommation, phénomène fondamental du recouvrement. Et
ceci était
soutenu par l’autonomisation du phénomène médiatique: transistors;
microsillons,
télévision, permettant un envahissement de la publicité, le tout
préludant à la
mise en place de la virtualité avec le soi-disant alunissage en 1969.[11]
Mais on ne doit pas oublier non plus le développement des armes
atomiques,
nucléaires, réactivant de façon intense l’empreinte de la menace[12].
Sur
le plan de
la pensée au sein de ce qui restait du mouvement révolutionnaire
s’imposèrent
un blocage et l’interrogation Que Faire? En fait,
il se produisit un
échappement du capital c’est-à-dire qu’au travers de la réalisation
plénière de
sa domination réelle sur la société, il échappa à toutes les
déterminations
limitatives. Et les révolutionnaires furent plongés dans la dépendance
et le
questionnement.
Quelle
fut
l’approche de A. Bordiga en ce qui concerne la possibilité d’une action
au sein
de la réalité sociale au moment où il pose l’amorce d’une inversion?
«Nous vivons à
une époque où notre
tâche, même en tant qu’exposants théoriques, n’est que de remastiquer,
remastiquer et foutre en l’air; nous ne produisons rien de nouveau. Il
y a des
époques où quelque chose est produit. Nous n’avons pas eu la chance de
vivre en
aucune d’elles, ni à son début, ni à sa mort. Rien n’est à faire.
Adaptons-nous
donc à notre tâche d’humbles remastiqueurs».[13]
Je pense qu’il y
a une certaine
analogie entre ce qu’il affirma et ce que j’ai exposé dans les Gloses,
pouvant
même considérer que son "remastiquer" correspond à mon "gloser".
Je n’ai rien exposé de bien nouveau, en ce qui concerne le devenir du
capital[14]
et
celui conduisant à la communauté humano-féminine, puisque même la mort de
celui-là fut affirmée par K. Marx et surtout par A. Bordiga. Mais
quelque chose
de nouveau s’affirme avec la nécessité de l’inversion dont il énonça
une faible
part, car il ne s’agissait encore que d’une amorce de celle-ci. "Rien
n’est à faire" peut se traduire par des affirmations ultérieures comme
"on n’a pas à lutter" ou "on n’a pas à chercher une forme
d’organisation". Signifierait-il par là qu’il s’agirait simplement de
vivre l’inversion? Il est possible de l’envisager. Je ne peux pas,
enfin, être
d’accord avec l’idée de s’adapter, d’autant plus que le contenu de la
phrase
recèle une intense réduction que le mot "humbles" dévoile pleinement.
Il rejoue la réduction où il fut placé du fait de la répression subie.
Dans Bordiga
et la passion du communisme, j’ai d’ailleurs écrit à
son sujet: "Il s'est
volontairement limité; il n'a
pas produit ce qui était
potentiellement en
lui.» En
conséquence, la dynamique de la
restauration d’un corps de doctrine prit, chez lui, l’ascendant sur la
mise en
évidence et le vécu de l’inversion. Les données de celle-ci furent
réduites à
des preuves de la validité de celui-là. Tout en étant amplement apte à
penser
selon le discontinu et le continu, il privilégia ce dernier. Mais en
définitive
le moment d’inversion ne se réduit ni à l’un ni à l’autre. Vivre
celle-ci
conduit à entrer dans la dynamique du dévoilement où continu et
discontinu
s’entremêlent, et où acteurs et actrices de celle-ci, effectuant une
mise en
discontinuité, opèrent en vue de la mise en continuité.
Avant
d’envisager de préciser en quoi
consiste l’inversion, ce qui la fonde, je dois insister sur le fait
que, dés le
départ, mon investigation théorique est sous-tendue par la dynamique de
son intuition,
c’est pourquoi j’adoptai pleinement les thèmes d’A. Bordiga et
j’essayai – par
exemple avec Origine et fonction de la forme parti
de 1961 – de montrer
comment à partir de ceux-ci quelque chose de nouveau s’imposait et que
tout un
passé s’abolissait.
Cette ébauche
d’inversion[15]
ne
put être développée du fait de difficultés à l’intérieur du parti
communiste
international. Après ma sortie de celui-ci (1966) la dynamique de
recherche
d’une radicalité fondamentale, déterminée en particulier par la
constatation que
d’autres, bien avant nous, avaient opté pour une dynamique que nous
pensions
nouvelle, par exemple celle d’abandonner ce monde, conduisit donc à
mettre en
évidence diverses insuffisances dans notre approche théorico-pratique
et à
tenter d’y pallier en recherchant le maximum de cohérence justement
dans la
recherche des racines profondes de l’errance. Mais tout cela
participait en
définitive d’une certaine inchoation et d’une procrastination du fait
que rien
ne s’imposait à nous comme donnée positive, affirmative, pouvant
fonctionner
comme support, d’où uniquement le maintien dans la dynamique de
l’abandon de ce
monde.
Pour parvenir à
l’inversion il faut,
d’autre part, percevoir en profondeur et en sa totalité toutes les
horreurs et
tous les blocages qui ont accompagné le devenir de Homo sapiens, sinon
nous
risquons encore de rejouer inlassablement ce qui, momentanément, peut
enrayer
tout élan.
Revenons sur la
dimension d’inversion
de l’œuvre bordiguienne qui s’exprime le mieux dans ses fameuses
affirmations
qui apparaissaient pour beaucoup sans fondements, comme des apories, ou
comme
des boutades, susciteuses de "malaises" dans le
parti: on ne lutte pas (rejet du militantisme);
on ne se sacrifie pas; on n’a pas de mérite, on opère avec la joie de
contribuer
à une réalisation donnée (pas de recherche de reconnaissance) puisqu’il
s’agit
de se comporter comme si la révolution était un fait déjà advenu, le
parti
étant la préfiguration de la société communiste. La dynamique de se
comporter "comme
si" vise la non dépendance par rapport à ce monde. Enfin le dépassement
de
l’individu s’exprime dans l’affirmation qu’on pense non seulement avec
son cerveau
mais avec le cerveau social.
Pour préciser
cela, je pense qu’il
est nécessaire d’envisager ce que fut le vécu entre, environ, 1952 et
1962[16],
de A.
Bordiga et de ceux qui partagèrent sa dynamique. À posteriori il se
présente
comme un essai de vivre sans support matériel ni même spirituel dans la
mesure
où il y eut rejet de diverses illusions, comme le mérite, le sacrifice,
ou le
besoin de reconnaissance.
Le premier
support à disparaître fut
celui du développement des forces productives engendrant un phénomène
de
socialisation qui devait entrer en contradiction avec l’organisation
capitaliste de la production et permettre le surgissement de la
révolution. En
fait on peut dire que depuis les années cinquante tous les phénomènes
de
socialisation sont détruits et l’on a la floraison d’une intense
privatisation
fondement d’un hyper individualisme, tandis que la consommation devient
prépondérante: on ne produit plus pour consommer, mais on consomme pour
produire (la consommation pouvant se réaliser en des modes divers). Au
départ le
support de ce renversement se présenta comme la soi-disant satisfaction
des
besoins des hommes et des femmes. Leur insatiabilité, entretenue,
justifiée, par
la publicité, engendra un processus sans fin qui était perceptible dés
cette
époque.
Mais
l’affirmation sur la nécessité
de détruire (il ne s’est pas agi d’une destruction créatrice) plutôt que de produire
n’infirma pas la toute
puissance de la production et ne remit pas en cause la théorie des
crises en
rapport aux divers phénomènes de surproduction, et en 1957 A. Bordiga
prédit
une énorme crise devant conduire à la révolution pour 1975. De ce fait
une
inversion réelle n’était pas réalisable.
Si les forces
productives sont trop
développées de quoi va dépendre la mise en branle de la révolution?
Aurait-on
manqué le moment favorable pour le déclenchement de la n+1 révolution?
Ces
questions affleurèrent mais ne s’imposèrent pas par suite d’une
impossibilité
de remettre en cause la théorisation du devenir de l’espèce, en
fonction des
révolutions, qui ne fut possible qu’en dilatant en quelque sorte le
concept
afin de pouvoir être applicable à tout mouvement important de révolte
contre
l’ordre établi ou à toute manifestation d’un nouveau comportement de
l’espèce.
Je ne pense pas qu’on puisse parler de révolution pour caractériser le
passage
des formes communautaires (le communisme primitif) aux sociétés de
classes. Il
en est de même en ce qui concerne l’implantation du christianisme. En
revanche
on peut parler souvent de soulèvements en vue de restaurer une phase
antérieure, comme dans l’antique Egypte, de renversements, d’émeutes,
qui
provoquent d’amples bouleversements sans réaliser une réelle
discontinuité.
L’affirmation du concept de révolution est en relation avec un désir
d’opérer
cette dernière, et de se séparer de quelque chose qui hante afin de
parvenir à
un plein épanouissement, développement, par la sortie de la minorité et
l’accès
à la maturité, comme chez les théoriciens bourgeois du XVIII° siècle.
Les
marxistes y ont inclus le retour à un stade antérieur considéré comme
plus
conforme à l’être de l’espèce: le communisme primitif. Ce qui remettait
en
cause la théorie linéaire du progrès, base d’une inversion qui n’eut
pas lieu.
Toutefois l’exaltation de l’accroissement des forces productives
conduisit de
plus en plus à escamoter cette donnée originelle et ce n’est qu’avec A.
Bordiga
– chez les marxistes – que s’imposa un rejet du progrès. Logiquement
cela aurait
dû conduire à poser la révolution comme le phénomène permettant de
retrouver, à
l’échelle de l’espèce, un mode d’être sans qu’il y ait domination d’un
sexe sur
l’autre, d’un groupement humain sur l’autre, etc., ainsi qu’une
"réconciliation" avec la nature.
En revenant à A.
Bordiga, notons un
certain dépassement en même temps qu’une justification de l’immédiat,
qui
n’opère pas dans la dynamique de l’inversion, est présent dans
l‘affirmation: ce
qui caractérise le marxisme n’est pas d’être une théorie de la
révolution mais
celle des contre-révolutions[17].
Ce
qui peut se concevoir comme équivalent à l’affirmation suivante: on
peut
exister même si la révolution n’est pas immédiate, même si on n’a pas
de
support
On peut dire que
s’est alors évanouie
la perspective qui s’imposa dés le début du XIX° siècle avec Owen,
Saint-Simon
et tant d’autres dont K. Marx lui-même, d’utiliser le mode de
production
capitaliste pour accéder au communisme, ce qui conduisit à envisager
une
dynamique de libération-émergence en absence de support, et donc de
dépendance
vis-à-vis de ce qui fut posé ennemi.
L’impossibilité
d’abandonner
totalement la nécessité du développement des forces productives fut
également
due au fait que la crise était pensée nécessaire pour que le
prolétariat se
manifeste. Dans les années 1952 à 1962, ce dernier, second support
important
pour une investigation théorique de grande ampleur, était absent: le
prolétariat révolutionnaire, classe pour soi, la classe qui devait
réaliser la
révolution et permettre l’instauration du communisme. La théorie devait
expliquer cette déconnection du prolétariat d’avec sa mission et les
conditions
de sa réaffirmation révolutionnaire.
L’absence de
prolétariat révolutionnaire
conditionnait celle d’un autre support essentiel: le parti. C’est à
propos de
celui-ci que la dynamique de l’inversion s’amorça le plus, tout en
étant assez
contradictoire du fait même de la nécessité, pour pouvoir exister, de
se distinguer
de la société en place impliquant la recherche d’une certaine forme de
reconnaissance faisant appel a une différenciation le: ce qui
distingue le
parti.
Comme je l’ai
affirmé dés le début
des années 70, l’anonymat fut une réaction très puissante à la
dégénérescence
au sein du mouvement ouvrier et à l’idéologie bourgeoise-capitaliste.
Mais
c’était une simple réaction. La tentative de lui donner une positivité
était
liée à celle de l’originalité du parti, de la forme parti qu’A. Bordiga
avait
en vue: un être impersonnel, préfiguration de l’espèce à venir. Cela
voulait
dire qu’il ne pouvait pas être défini par l’apport d’une ou de quelques
personnalités.
Pour saisir au
mieux cette donnée il
me semble qu’il faille tenir compte de la position anti-organisation
d’A. Bordiga.
Dans un article du début du siècle dernier il a dit, à peu prés: on
aura le
socialisme quand on ne cherchera plus à organiser. C’était une
affirmation de
la spontanéité et le refus de la médiation. Le parti n’est pas une
forme
d’organisation c’est un être vivant qui a une centralité comme tout
être
vivant, mais au fond il n’a pas de centre. En conséquence le
centralisme
organique est seulement ce qui se rapproche le plus de ce que
revendiquait A.
Bordiga pour désigner un mode d’être. Si le parti se manifeste dans sa
dimension d’anticipation de la société (communauté) à venir, alors
spontanément
la centralité nécessaire pour qu’émergent des productions tant
théoriques que
pratiques s’imposera. C’est en quelque sorte la limite idéale. Dans la
réalité les
choses sont difficiles du fait du poids de la société en place d’où le
recours
au centralisme organique qui fournissait un support aux camarades pour
"fonctionner"
et pour accéder à une compréhension plus profonde de ce qu’est le
parti, jamais
envisagé dans sa limite contemporaine, mais toujours posé en rapport
avec le
communisme à venir[18].
Si la nécessité
de l’organisation
s’impose avec tant de force chez beaucoup d’hommes et de femmes cela
dérive
d’un revécu très puissant et très douloureux, celui du chaos advenant
au moment
de la brisure de continuité qui expulse l’être de la totalité et de
l’éternité.
Le besoin de celle-ci, qui n’est plus perçue mais est scotomisée, va
conduire à
la reconstruire, à l’édifier à partir d’un élément, d’une donnée du
réel, et
cet élément devient le contenu du concept de dieu, celui qui organise,
qui
crée.
La thématique du
parti met en
évidence le non-agir de la Gauche italienne qui n’est pas une apologie
de
l’inaction mais reconnaissance de l’impossibilité de réaliser une
action qui serait
appuyée sur un vaste mouvement spontané, étant donné le triomphe de la
contre-révolution, ce qui se concilie avec le non volontarisme.
«Salvatori se
dit plus volontariste; il est certain que nous, nous ne l’avons jamais
été. La
volonté ne peut faire les révolutions, ni le parti les créer[19].»
On
ne peut pas non plus créer de partis.
On ne peut pas
intervenir mais la
volonté opère en tant que volonté de persister à travers l’affirmation
de
l’invariance de la théorie ainsi que celle de ne pas se laisser envahir
par le
phénomène capital. Ce qui est une forme d’intervention en vue d’une
autre
dynamique.
Ce non agir
affleure également dans
l’affirmation: on ne lutte pas. Au fond A. Bordiga visait à se
positionner au
sein du vaste mouvement qui tend à abolir les formes en place. Mais
cette
affirmation renferme potentiellement l’idée qu’on n’a pas d’ennemis,
donnée
fondamentale de l’inversion. En disant cela je ne signifie pas que
celle-ci fut
clairement posée ni entrevue effectivement, mais que l’application
d’une telle
formule ne pouvait qu’aboutir à la production de cette idée.
Sur quoi
s’appuyer? Sur une donnée du
futur. D’où la nécessité de la théorie et de la prévision laquelle
opère comme
une transcendance: ce qui permet de traverser la zone où il n’y a pas
de
support, pour atteindre un dieu, un esprit, ici le phénomène libérateur
qui,
dans le même temps, est posé comme un attracteur. Toutefois la
dynamique
d’opérer comme si la révolution était un fait déjà advenu amenait une
dimension
d’immanence compensatrice. Le comme si opéra lui aussi - dans la mesure
où il put
réellement être opérant - comme un support.
La nécessité
d’affirmer l’invariance et
celle de la restauration de la doctrine, aboutirent à une
rigidification (et
donc à une non ouverture à) sur une essentialité, montrant à quel point
il est
difficile de se passer d’un support et d’éviter de rejouer le blocage.
En effet
on avait affaire, là, à une réponse à une situation immédiate, non à
une
affirmation d’une perspective diverse, autonome, qui aurait évité la
mise en
dépendance, et donc l’enraiement de toute inversion possible. Et ce
faisant, se
réaffirmait la dynamique de l’inimitié. On se raidit contre l’ennemi,
repère et
support, afin de lui faire face ce qui, simultanément, permet de
signaler notre
présence. La rigidification, qui se présente comme un repli sur une
essentialité, déboucha dans la mise en contradiction et dans
l’impuissance.
La théorisation
du renversement de la
praxis[20]
exprima
également une amorce d’inversion car il s’agissait bien d’une inversion
de
comportement, mais cela demeurait dans le cadre du parti. Celui-ci
opérait
comme médiateur dans la réalisation de celle-là ce qui ne pouvait que
la
limiter, l’enrayer; d’autant plus que ce cadre n’était pas
effectivement remis
en cause. Dés lors, prévoir devint le fondement d’une dynamique visant
à se rassurer:
le phénomène qu’on désire aura bien lieu: rejouement de la mise en
place d’une
utopie ou tentative de conjurer l’advenu.
En définitive le
devenir vers
l’inversion demeura surtout sur le plan théorique comme cela apparaît
remarquablement bien dans l’affirmation: on ne fait pas d’expérience
(par
exemple: on n’expérimente pas de nouveaux rapports sociaux), expression
d’une
absence de doute, celle d’une certitude. En revanche les Naturiens
essayèrent d’opérer réellement,
concrètement, une inversion mais la non remise en cause de la
répression
parentale bloqua le devenir.
Même sur le plan
théorique
l’inversion ne dépassa pas l’ébauche particulièrement en ce qui
concerne le
rapport à la science. Bordiga n’alla pas au-delà du rejet: «Lançons
donc le cri
qui laisse perplexe tous ceux qui sont aveuglés par la force des lieux
communs:
à bas la science!»[21]
Il
eut fallu, en cohérence avec
la théorie
que toute forme sociale engendre son propre procès de connaissance,
affirmer
que la science, liée au mode de production capitaliste, ne pouvait pas
fonder
celui du communisme comme ne le pouvaient pas la religion, la
philosophie ou
l’art. En outre le phénomène scientifique, surgi du sein d’une forme
sociale où
la séparation d’avec le reste de la nature ainsi qu’au sein de l’espèce
atteint
presque son parachèvement, suscitant une grande incertitude, devait
nécessairement opérer une compensation et tenter d’éliminer celle-ci.
Il n’y
parvient pas; ce qui ne nous affecte aucunement, puisque la mise en
continuité
en rapport avec l’inversion de comportement génère une immense
certitude.
Dans un premier
temps j’ai pensé
représenter le phénomène d’inversion – en une dynamique de type
bordiguien –
par une parabole. Au sommet de la branche ascendante il y aurait le point d’inversion en
même temps point
d’inflexion, point admettant une tangente en ce lieu signalant en
quelque sorte
le possible d’un autre devenir qui serait représenté alors par le
déploiement
de la branche descendante et l’on aurait une décroissance, une
régression qui
contradictoirement pourrait être présentée comme une progression vers
une autre
phase de vie. Mais une telle représentation implique qu’on demeure au
sein
d’une même dynamique qu’elle soit ascendante ou descendante. En fait
tout doit
se passer en dehors car il s’agit au niveau de chacun, de chacune
d’entre nous,
et au niveau de l’espèce, d’accéder à l’être occulté et au devenir qui
lui est
intrinsèquement lié et qui, une fois la répression abolie, se
développera dans
la plénitude.
Le rejet de la
parabole est aussi
celui d’un support dans la représentation qui, sous forme de trope,
signale en
fait qu’on est bloqué et qu’on opère un détour pour être à même de
dire, indice
d’un manque d’immédiateté, de concrétude et donc d’affirmation certaine.
Avec la mort du
capital et le
déploiement de la virtualité, l’espèce ne parvient plus à recouvrir et
l’onto-spéciose se manifeste ouvertement. En outre le recours à la
virtualité
s’impose comme un rejouement de celui à la surnature et signale que la
même panique
l’assaille. Elle demeure sous la menace et le besoin de l’ennemi pour
la
conjurer, contribuant au maintien et au resurgissement de toutes les
incohérences violentes des rapports entre hommes et femmes. L’ennemi
est
essentiel comme cela s’est imposé à contrario à la suite de
l’écroulement du
bloc de l’Est (1989-1991). Sa perte fut une catastrophe car sans lui il
n’est
plus possible d’être reconnu, dynamique structurant en partie,
l’ontose-spéciose.
Qu’en est-il
donc après soixante ans,
maintenant que le capital est mort ainsi que le patriarcat, et que le
phénomène
valeur en sa totalité s’épuise. Les deux derniers phénomènes
entretenant une
importante relation. L’épuisement du phénomène valeur en sa phase
verticale
implique l’évanescence de l’autorité qui se vérifie avec la fin du
patriarcat. En
effet l’autorité est un opérateur de continuité qui permet que tout se
réalise
selon l’échelle, la verticalité, la transcendance. La communauté, lors
de sa
décomposition, perdit son être commun immédiat avec tendance à la
formation des
individus. D’où s’imposa la nécessité d’un principe compensateur
d’union, de
formation d’une unité supérieure garante de toute la hiérarchie, ce qui
donna naissance
à l’État sous sa première forme, communauté abstraïsée où un individu
fut exclu
du commun pour être la communauté en son unité, ce faisant l’autorité
lui fut
conférée. Elle permit d’intégrer la violence et de légitimer l’usage de
la
force. C’est ainsi également qu’elle opérait dans la famille réglant
les
relations père enfants, car, patriarcat oblige, elle était attribuée au
père[22].
J’ajoute que le phénomène de la valeur permit de réaliser et de
justifier la
répression toujours exercée en fonction de valeurs supérieures; ce qui
aboutit
– avec le développement du capital - à la destruction de la nature et
l’oblitération,
l’effacement, de la naturalité des hommes et des femmes, et au posé de
l’espèce
artificialisée comme valeur suprême.
Avant d’analyser succinctement ce à quoi nous sommes parvenus actuellement, il convient tout de même d’indiquer la puissance du mouvement prolétarien, et que les prolétaires n’ont pas opéré en vain. Je le fais en soulignant qu’il y eut deux tentatives notoires d’inversion qui échouèrent, en précisant que celles-ci nous apparaissent en tant que telles de nos jours, mais qu’à l’époque elles s’effectuèrent inconsciemment. Toutefois leur exposé n'est possible que si, au préalable, nous signalons qu'elles dépendent d'un évènement extrêmement important: la révolution de 1848, la manifestation de l'émergence du communisme, l'affirmation de sa possibilité. Celle-ci ne dérive pas seulement du fait que les forces productives étaient suffisamment développées pour que s'ébranle son devenir, mais aussi à cause du surgissement d'un sentiment de fraternité ne concernant pas uniquement une classe, mais l'ensemble de l'humanité. En germe émergea une inversion profonde, radicale, en même temps qu'un désir de sauter la phase de développement du capital, ou d'utiliser celui-ci pour réaliser le socialisme, le communisme, et donc d'abréger son cours historique. K. Marx maintint cette perspective. Il en vint à converger avec beaucoup de populistes russes qui désiraient sauter la phase du mode de production capitaliste. En outre, et c'est déterminant, c'est à partir de cette émergence qu'A. Bordiga put affirmer l'invariance du marxisme et être le protagoniste, avec les camarades qui partagèrent son investigation théorique, d'une autre tentative d'inversion, enrayée à son tour.
La première tentative eut lieu à partir de 1864 avec la fondation de l’Association Internationale des
Travailleurs
qui opéra en rupture avec la dynamique de division, liée à l’affirmation
des
nationalités, ainsi qu’avec une dynamique de sortie de la dépendance.
Les
travailleurs affirmèrent ce qu’ils désiraient sans se référer à des
autorités
supérieures quelconques. En outre se réaffirma la fraternité qui l’avait
été de façon universelle en 1848, dépassant potentiellement la dynamique
de
l’inimitié. Certes la réalisation du projet de l’A.I.T[23]
échoua, mais il fut l’anticipation de ce qui advient de nos jours sous
forme
mystifiée, la mondialisation, expression de l’inéluctabilité du
mouvement
d’émancipation et d’une insuffisance de radicalité de la part du
mouvement
ouvrier.
La seconde tentative eut lieu début 1917. Elle concerne la prise de position de Lénine et des camarades qui le soutinrent à propos de la paix. Il était pour une signature immédiate de celle-ci quelles que soient les conditions, telle que, par exemple, une grande réduction de la superficie de la Russie. Il avait bien perçu que les grandes manifestations en faveur de la paix, particulièrement celles des femmes, marquaient un profond tournant. La paix immédiate ne pouvait qu’accroître la puissance du mouvement et cela pouvait conduire à une transcroissance révolutionnaire tant en Occident qu’en Russie. Or, pour Lénine, seule la révolution dans les pays pleinement capitalistes, pouvait permettre une telle transcroissance et éviter les dangers liés au despotisme du féodalisme russe, et à ce qu’il nommait l’asiatisme, tandis que la forte intervention des femmes aurait pu imprimer une importante détermination féministe au mouvement en cours. La paix fut signée trop tard et le possible d’une inversion avorta. Toutefois la justesse de la position de Lénine et de tous les camarades qui adhérèrent à sa prise de position se vérifia a posteriori. D’une part, il fut impossible de surmonter la tare du despotisme et, dans un immense rejouement, les bolcheviks mirent en place un despotisme et une répression encore plus grands que celui et celle du tsarisme. D’autre part le développement des divers courants d’extrêmes gauches comme les gauches communistes italienne, allemande, hollandaise, anglaise, bulgare, etc. et la radicalisation au sein de certains partis prolétariens, la position de divers courants anarchistes ou celle de camarades comme G. Landauer, témoignent amplement que la perspective d’une transcroissance avait un réel fondement et qu’elle s’imposa, trop tard. L’échec de l’inversion du début du siècle, ne se limite pas à celui de la révolution russe. Il est celui de tout le mouvement prolétarien et de la révolution qu’il devait conduire. Il conditionne l’intégralité du développement de la société jusqu’à maintenant. Le comprendre et ressentir tout ce qui en a résulté, s’est imposé à nous pour envisager l’inversion tendant actuellement à s’ébranler. J’ajoute pour conclure que les deux exemples d’inversion que nous avons indiqués expriment la forme de celle-ci, nous devons lui donner un contenu.
En outre, le mouvement hippie (faites
l'amour et pas la guerre) et ce qui advint en mai-juin 1968 puis en Italie en
1977, constituèrent une mise en branle
d'inversion qui fut très vite enrayée, non seulement par les agents du pouvoir
en place mais également par ceux qui s'érigèrent contre lui en s'empêtrant dans
le délire organisationnel et dans l'enlisement des rejouements.
Revenons à nos
jours.
La théorie de la
décroissance, la
volonté d’accroître la solidarité avec l’économie solidaire, et les
expériences
communautaires visant à limiter l’individualisme comme le covoiturage,
tendance
à l’instauration de la gratuité, la pratique des systèmes d’échange
locaux (SEL)[24],
les
Associations de Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP)[25],
l’agriculture en ville, la perception de la faiblesse des relations
affectives,
la remise en cause de la rationalité, l’affirmation qu’un autre monde
est
possible, qu’il ne s’agit plus de conquérir le pouvoir, etc., tout cela
pourrait former des éléments pour une inversion, mais il me semble
qu’hommes et
femmes recherchent surtout d’autres recouvrements. Ainsi, avec la
revendication
du développement durable, il s’agit de masquer une inquiétude au sujet
de
l’obsolescence de tout, et de l’espèce elle-même. Tout est repris mais
doit
devenir durable, l’adjectif de la conjuration. On demeure dans le cadre
même de
la société-communauté et de sa dynamique même quand il s’agit de tout
repenser[26].
De
même il est souvent question de l’insurrection souhaitée des
consciences, qui
sont en fait des condensés de répression, et l’on recherche la
démocratie
idéale, celle qui en définitive masque au mieux la répression.
On peut noter
également d’autres
données signalant le possible d’une inversion, comme une certaine
tendance à s’ouvrir
à la manifestation d’une spontanéité, d’un non prévu; remise en
question de
l’exploitation, ainsi que de la répression des hommes sur les femmes
sans
accéder réellement à son origine, de même que les mauvais traitements
infligés
aux enfants sont dénoncés mais la répression parentale n’est pas prise
en
compte. Or celle-ci est en liaison avec la séparation d’avec le reste
de la
nature qui, par là même, n’est pas dénoncée, remise en cause.
La fin d’un
immense arc historique s’impose
avec la reconstitution, à l’aide de prothèses, de la communauté telle
qu’elle
s’imposa avec l’émergence de Homo sapiens, en précisant que celle-ci ne
put
advenir que grâce à cette forme de communauté. Hommes, femmes, réduits,
réduites
à entités, toutes sortes de prothèses assureront le procès de vie; ils,
elles,
vivront sans la peine de vivre. Ce seront des êtres formels, exprimant
la
virtualité et la garantissant, rendant obsolète la nécessité de toute
représentation.
Pour réellement
saisir là où nous en
sommes, il nous faut raisonner en fonction du déploiement depuis des
millénaires de la spéciose-ontose et, pour cela il convient
d’expliciter
l’importance de la dimension psychique résultant du retentissement en
l’espèce,
en tout homme, en toute femme, des traumatismes subis.
L'étude de la
spéciose nous conduit à
nous poser la question fondamentale: Comment exister dans le monde à
partir du
moment où il y a séparation d'avec la nature? "[27]
En
tenant compte d'un double mouvement: celui-là même de la sortie et
celui de
tendre à l'annihiler et retrouver la continuité, le contact avec
l'éternité,
fondement d'une confusion pour ainsi dire structurelle dans le mode de
pensée
de l'espèce, dans son affirmation en tant que présence au monde, à la
nature,
au cosmos. Cette question en implique une autre connexe: comment
exister en
conjurant constamment la menace qui a conduit Homo sapiens à se séparer
du
reste de la nature? Elle est, pour ainsi dire plus interne et plus
profonde,
car plus inconsciente, même si elle est térébrante et quasi
obsessionnelle, en
fondant l'idée que nous avons des ennemis, que nous ne pouvons vivre,
nous
affirmer qu'à travers la lutte contre ceux-ci, rejouant le refus du
devenir
naturel, et la nécessité de trouver une voie d'accès à la sécurité, un
topos où
il n'y aurait pas de menace, pas d'ennemis, fondement de toute utopie
et
uchronie. En tenant compte que la dynamique de séparation est celle de
sortir
d'un blocage, lesté d'une confusion, imposée par un traumatisme s'étant
constitué et réactivé au cours de plusieurs siècles.
La dynamique de
séparation d'avec le
reste de la nature induit celle de la répression de la naturalité, et
donc la
mise en place, l'édification d'une artificialité. La perte de la
continuité
induit l'interrogation sur le positionnement, sur la réalité ainsi que
la
recherche de repères permettant d'accomplir le procès de vie. Pourquoi
y
a-t-il quelque chose plutôt que rien? Cette question renferme une confusion
et une occultation. En effet elle masque l'interrogation anxieuse comment se
fait-il que j'existe alors que je pourrais ne pas exister, ce qui exprime une
incertitude intense.
Comment dès lors
Reprenons:
Que le devenir
de Homo sapiens
s’avère comme le déploiement de celle-ci résultant de la répression, se
trouve
affirmé, à son corps défendant, par Francis Fukuyama dans son livre La
fin
de l’histoire et le dernier homme écrit en 1992 justement
après
l’élimination de l’ennemi communiste (effondrement de l’URSS et de ses
satellites) et l’essor de la révolution innovatrice en connexion avec
ce qu’il
appelle la révolution libérale: l’innovation permettrait de libérer. Il
semble
avoir été écrit pour conjurer cette perte et sortir d’un engrenage
belliqueux. Le
thème fondamental est que «(…) l’Histoire, c’est-à-dire un processus
simple et
cohérent d’évolution qui prenait en compte
l’expérience de tous les peuples en même temps.[29]»
s’explique de
façon "non matérialiste" grâce à une théorisation empruntée à G. W.
F. Hegel «fondée sur ce qu’il appelait la "lutte pour la
reconnaissance"».[30]
Ce qui nous
intéresse ce n’est pas la
fin de l’histoire en elle-même et sa possibilité, mais en premier lieu
les
arguments utilisés pour en définitive donner un sens à l’histoire, puis
ceux
qui fondent la réalité de sa fin, car ils sont l’expression plénière de
l’ontose-spéciose.
«Le désir de
reconnaissance et les
émotions qui l’accompagnent – colère, honte et fierté –
font partie
intégrante de la vie de toute personnalité humaine. Selon Hegel, ce
sont les
moteurs du processus historique tout entier.»[31]
«Celle-ci (la
reconnaissance, n.d.r)
est le problème central de la politique parce qu’elle est à l’origine
de la
tyrannie, de l’impérialisme et du désir de domination. Pourtant, même si elle a une face obscure,
elle ne saurait être
simplement éradiquée de
la vie politique,
car elle est en même temps le fondement psychologique de qualités et de
vertus
comme le courage, l’esprit du bien public et la justice. Toutes les communautés
politiques doivent
faire appel au désir de reconnaissance, tout en se protégeant
elles-mêmes de
ses effets destructeurs.»[32]
«La démocratie
libérale remplace le
désir irrationnel d’être
reconnu comme
plus grand que d’autres par le désir rationnel d’être reconnu comme
leur égal.»[33]
Mais
l’égalité dont il parle ne relève-t-elle pas de l’irrationnel par
rapport au
naturel?
Toutefois il ne
nie pas qu’il puisse
y avoir des composantes irrationnelles aussi dans le désir d’être
reconnu dans
le cadre de la démocratie libérale. «Ce phénomène suggère que
l’économie
libérale ne réussit pas simplement sur la base des principes libéraux,
mais
requiert également des formes irrationnelles de thymos.»[34]
La fin de
l’histoire est déterminée
par le fait que la démocratie libérale «a définitivement résolu la
question de
la reconnaissance en remplaçant la relation du maître et de l’esclave
par la
reconnaissance universelle et égale.»[35]
Il
s’appuie sur l’œuvre d’Alexandre Kojève pour affirmer cela.
Il ne peut pas
en être totalement
sûr: «À cet égard, le niveau absolu de prospérité d’une nation ne
fournit
aucune solution, parce qu’il y aura toujours des citoyens relativement
pauvres,
donc littéralement invisibles (supports pour la manifestation d’une
indifférence, n.d.r) en tant qu’êtres humains pour leurs concitoyens
plus
aisés. En bref, la démocratie libérale continue à reconnaître
inégalement des
gens qui sont égaux en principe.»[36]
Quoiqu’il en
soit ce qui demeure
essentiel c’est le phénomène de reconnaissance, même s’il apparaît que
celle-ci ne peut
jamais être réalisée pour
tous et pour toutes. Son analyse et
la
mise en évidence chez GWF. Hegel de la dynamique qu’elle implique
permet de
mieux saisir la spéciose.
Le désir de
reconnaissance est celui
d’être vu, perçu en tant que tel et en tant que faisant partie d’un
ensemble plus ou
moins grand, le désir
d’être pris en compte. Être reconnu révèle qu’on existe pleinement,
effectivement et pas seulement en puissance. L’indifférence est souvent
vécue
comme plus insupportable que le mépris ou la haine. Comme le note F.
Fukuyama
il s’impose souvent comme désir d’apparaître plus grand que
(qu’il nomme
mégalothymie) ou, tout au moins, égal à (isothymie),
ce qui est
la dérive ontosique du phénomène naturel. qui découle d’un détournement
qui prend
racine dans la dynamique même du phénomène de la valeur[37]
dans
sa dimension initiale, originelle, de fonder une axiologie permettant à
hommes
et femmes se séparant de la nature de pouvoir se repérer les unes et
les autres
et au sein de la nature. Cette dynamique est sous-tendue par celle de
la
répression. Être reconnu, c’est échapper à l’activité négatrice des
répresseurs
et répresseuses, qui rend invisible, comme si on n’existait pas. Ce qui
implique
la mise en jeu d’une menace qu’on nie, pour se sauver. Poser,
théoriquement,
l’égalité entre les hommes, les femmes, permet le libre jeu du plus et
du moins
qui exalte le désir de reconnaissance qui est insatiable. Comme le
prouve le
devenir actuel: il faut toujours être plus. Et ce plus n’est
vrai que
s’il est reconnu et le phénomène recommence. Il faut toujours plus de
reconnaissance, comme il faut toujours plus recouvrir.
Il nous faut
quelque peu préciser la
position de G.W.F Hegel et percevoir son ontose-spéciose s’exprimant
dans la
dynamique de sortie de la minorité (grâce à l’Aufklärung), de la
dépendance. J’indique
ontose-spéciose parce que son ontose, forme individuelle de la
spéciose, nous
renseigne puissamment sur la réalité de celle-ci, telle qu’elle perdure
de nos
jours en se renforçant.
Son axiome de
base est: «La
conscience de soi est en soi et pour soi
quand et parce qu’elle
est en soi et pour soi pour une autre conscience de; c’est-à-dire
qu’elle n’est
qu’en tant qu’être reconnu[38]»
Cela
implique la séparation moi autre, l’absence de continuité sinon, au
moment où
j’affirme ma présence en tant qu’émergence du sein du phénomène vie,
mon
affirmation implique simultanément celle de toutes les autres, et une
médiation, la reconnaissance, n’est pas nécessaire.
Comme
l’interprète justement A.
Kojève, Hegel considère que l’homme qui va devenir maître, parce qu’il
n’a pas
peur de la mort, ne tue pas celui qui va devenir esclave, parce que,
lui, en a
peur, mais le supprime, le dépouille de ses qualités qui font de lui un
homme,
il ne "détruit que son autonomie[39]".
Autrement dit, il le tue en le conservant Aufhebung (souvent traduit
par
dépassement[40]).
À la base de cette
dynamique il y a celle des parents en rapport aux enfants (éducation).
Le père,
la mère, n’acceptent pas la naturalité, la spontanéité de l’enfant. Ils
tendent
par l’éducation à les éliminer ce qui le tue en le conservant, mais
dans la
dépendance, et en l’édifiant même: Aufhebung. Or ce qui est essentiel
c’est
l’importance accordée à la servitude qui est justement dépendance, et
au
travail. La phénoménologie de l’Esprit contient une
glorification du
travail et la mise en évidence que le devenir de l’espèce serait dû en
définitive à l’activité des esclaves qui en travaillant transforment la
nature
et se transforment eux-mêmes. Il y a même une justification de
l’esclavage car
seul celui qui a été esclave peut parvenir à la satisfaction, on
pourrait dire
à un épanouissement et, donc, de la répression: c’est pour le bien des
hommes
et des femmes. C’est une belle justification de la souffrance.
G.W.F. Hegel dit
son vécu d’enfant,
son esclavage et comment il est parvenu à sortir de la dépendance.
L’enfant
doit travailler pour édifier l’être qui pourra être reconnu. Il se
dépasse en
se supprimant esclave afin d’être admis
et devenir maître, devenir adulte en échappant à la
dépendance. Il y
parviendra en exerçant à son tour la répression sur son enfant, en
étant maître
par rapport à un esclave.
L’essence même
du travail que doit
effectuer l’enfant pour devenir un être de la société, non naturel, non
animal,
impliquant son déracinement, son arrachement à la naturalité et le
détournement
de sa pensée, est bien indiqué par A. Kojève reportant la conception de
GWF.
Hegel.
«Et d’après
Hegel, ce n’est que par
l’action effectuée
au service d’un autre
qui est "Travail" (Arbeit) au sens propre du mot, une action
essentiellement humaine et humanisante. L’être qui agit pour assouvir
ses propres
instincts qui, - en tant
que tels - sont
toujours naturels, ne s’élève pas au-dessus de la
Nature: il est un être
naturel, un animal. Mais en agissant pour un
instinct qui n’est pas
mien, j’agis en fonction de ce qui n’est pas – pour
moi - instinct.
J’agis en fonction d’une idée, d’un but non
biologique. Et c’est
cette transformation de la Nature en fonction d’une idée
non matérielle
qui est le Travail au sens propre du terme.» p.
171.
Le travail
apparaît donc comme étant
l’activité que nous développons afin d’être en adéquation avec la mise
hors-nature, avec l’artificialité qui en découle. Cette mise au travail
s’accompagne de la mise en dépendance vis-à-vis d’un monde idéel, de la
nécessité d’une surnature, de celle de la transcendance, rançons en
rapport à
l’échappée de la détermination naturelle.
Par le phénomène
du travail, de la
servitude, l’espèce s’autodomestique en même temps que s’impose
toujours la
médiation. Le maître par lui-même ne peut rien réaliser, il ne peut que
dominer. GWF. Hegel dit à sa façon ce qui s’est passé pour l’espèce.
«Une fois
que s'est opérée la scission au sein de la communauté, il n'y a plus
que deux
possibilités pour accéder à la Gemeinwesen: par le pouvoir qui s'enfle
et se
pose Gemeinwesen, ou par l'obéissance et le procès de représentation.
Le
pouvoir et le désir de soumission naissent simultanément, il n'y a pas
d'extériorité de l'un par rapport à l'autre.[41]»
Plus profondément et plus intimement, on peut dire qu’ils surgissent du
désir
d’être aimé. Or, obéir permet de l’être. En conséquence le besoin
d’obéir va
recouvrir et, au fil du temps, remplacer celui d’être aimé. La
servitude
volontaire s’instaurera à tous les stades du procès de vie, avec la
perte
d’immédiateté et le triomphe de la médiation.
Parvenu à ce
stade s’impose à
nous la nécessité de faire une
approche investigatrice un peu plus poussée au sujet du fondement de la
philosophie de G.W.F Hegel auquel nous n’avons fait que des allusions[42].
Dans la Phénoménologie de l’Esprit il débute par
la Certitude
sensible qui est une immédiateté mais elle n’est pour ainsi
dire pas pure
parce que simultanément s’est imposé à lui le risque de mourir, vécu
plus ou
moins intense au cours de la naissance, commun à chacun, à chacune,
support de
la notion de mort. Cette certitude sensible de soi est donc lestée de
celle d’un
risque, celui de mourir, fondant une médiation cachée au sein d’une
immédiateté,
et la perte de l’évidence. Or le comportement philosophique hégélien
postule que
toute immédiateté découle en fait d’une médiation pour ainsi dire
fondatrice.
La certitude sensible est simultanément une présentation de l’être
(être pour soi,
être là Dasein) mais également un être autrui, un être en situation,
une
situation particulière qu’Ernesto De Martino a envisagée et théorisée
dans la
"crise de la présence".
Précisons: c’est
lors de la coupure
de la continuité, de la séparation découlant de la non acceptation de
la
naturalité de l’enfant - que G.W.F Hegel a vécu de façon intense en
tant que
rejouement d’un puissant traumatisme subi probablement à la naissance -
que ce
risque se fonde. De ce fait, il n’est plus participant; il a quitté
l’éternité
et va exister par la médiation du temps qui lui permet de s’attribuer
une
origine et une fin. Certes il parle d’éternité mais ce n’est plus une
donnée
sensible, immédiate; elle devient une médiation pour poser le temps.
C’est un
renversement qui induit pour ainsi dire celui de l’origine: la mort et
non la
naissance ou, mieux, la conception; nous sommes mortels et non
conceptuels. La
naissance, ou la conception, relève de la nature et ne peut pas être le
point
de départ d’un homme, d’une femme. Seul le risque de mourir est apte à
le
constituer. C’est nous l’avons vu le thème de maîtrise et servitude.
Encore une
fois il interprète ce qu’il a vécu et sa philosophie est un discours
sur son expérience,
Erfahrung. Cela posé: je suis (j’existe) parce que je puis ne pas être;
je suis
parce que je risque de n’être pas (certitude sensible). Cela peut
s’exprimer
ainsi: si je ne peux pas être nié (répression) je ne suis pas[43].
D’où l’extrême importance de la négaton et de la négativité chez G.W.F.
Hegel. La
vie s’impose comme un long suicide ou un suicide différé. En outre dans
la
lutte pour la reconnaissance l’autre peut me "suicider".
La mort est
alors une médiation
permettant d’accéder à l’humanité par la reconnaissance. Le possible de
la mort
en l’homme fonde une virtualité d’où la nécessité du suicide car ce
possible ne
peut pas se réaliser en un continuum, il faut une intervention
violente. Ce
suicide est différé car il est posé (affronté) à travers le risque de
la perte
de sa vie, fondant une sorte d’inchoation non pour commencer mais pour
finir et,
de là, se déploie une procrastination. La mort est ce qui est renvoyé
au
lendemain, un lendemain le plus futur possible. G.W.F. Hegel dit
expressément:
«Il apparaît à la conscience [= à l’homme engagé dans la Lutte pour la
reconnaissance] [prise] en tant que conscience, qu’elle a pour but la mort
d’un autre; mais [en soi et pour nous, c’est-à-dire en vérité,] elle a
pour but
sa propre mort; [elle est] suicide, dans la mesure où elle s’expose au danger.[44]»
Mais le risque de mort est inconsciemment vécu comme risque de la perte
totale
de son être originel.
K. Marx
pensa-t-il également à G.W.F.
Hegel quand il écrivit ceci que nous avons déjà quelques fois cité: «La
mort
n’est-elle pas plus désirable qu’une vie qui ne serait qu’une simple
mesure
préventive contre la mort»? On pourrait, dés lors, en fonction d’une
réponse affirmative,
libeller la phrase ainsi: La mort n’est-elle pas plus désirable qu’une
vie qui
ne serait qu’un risque de mourir. En outre le risque
hégélien nous
évoque fortement le souci heideggérien: continuité
de la spéciose.
À la suite de la
citation de G.W.F.
Hegel, A. Kojève commente: «C’est par le danger de mort volontairement
encouru
dans une lutte de pur prestige qu’on atteint la vérité
de la
Reconnaissance. La "vérité", - c’est-à-dire la réalité-révélée, et
donc la réalité elle-même. Or, l’Homme n’est humainement réel que dans
la
mesure où il est reconnu. C’est donc la réalité
elle-même qui se
constitue ou se crée par l’acte volontaire d’affronter la mort. (…)
seul le
risque de la vie suffit pour réaliser l’être humain.
(…) Et c’est précisément par le risque de la
vie que l’Homme comprend qu’il est essentiellement mortel.
(…) Quant à
l’Esclave lui-même, il s’humanise (se réalise en tant qu’esclave ce qui
est encore
un mode d’être spécifiquement humain) par la conscience qu’il
prend de
sa finitude essentielle, en éprouvant l’angoisse de la mort, cette mort apparaissant pour lui au
cours d’une Lutte
pour la reconnaissance, c’est-à-dire comme quelque chose qui
n’est pas une
nécessité purement biologique». (pp. 570-571)
Cependant après
des siècles d’affirmation
de la spéciose, il serait préférable de dire "nécessité spéciosique"
en laquelle la détermination biologique a été absorbée par un
détournement. Et
ce détournement peut se concevoir comme une modification de la biologie
de
l’homme, de la femme en réponse au devenir hors nature. Il s’agit d’un
acquis
qui peut être remis en question.
L’expérience de
la mort est initiale
et initiatique, un vécu s’imposant au début de notre existence, elle
effectue
un commencement et nous initie au procès de vie affecté
fondamentalement par la
répression opérant d’entrée dans la non-reconnaissance de la naturalité
de
l’enfant. Or, que nous dit GWF. Hegel: «En éduquant l’enfant, les
parents
placent en lui leur conscience déjà-formée (gewordenes) et ils
engendrent leur
mort. – Dans l’éducation, l’unité inconsciente de
l’enfant se
supprime-dialectiquement; elle s’articule
en elle-même, elle devient conscience formée-ou-éduquée;
la conscience
des parents est la matière aux dépens de laquelle elle se
forme-ou-s’éduque.
Les parents sont pour l’enfant un pressentiment (Ahnen) obscur inconnu
de
soi-même; ils suppriment dialectiquement l’être-à-l’intérieur-de-soi
(Insichsen) simple-et-indivis [et] comprimé (gedrugenes) de l’enfant.
Ce qu’ils
lui donnent ils le perdent; ils meurent en lui; ce qu’ils lui donnent
c’est
leur propre conscience[45].
La conscience
est ici le devenir d’une autre conscience en elle, et les parents
contemplent
dans le devenir de l’enfant leur
[propre]
suppression-dialectique (Aufgehobenwerden).[46]»
Il
en ressort que personne ne peut être soi-même et qu’il y a une
impossibilité à
s’affirmer dans l’immédiat, d’où la nécessité d’un support, de l’autre.
J’en
conclus, à nouveau, que le
désir de
reconnaissance prend sa racine dans le fait de ne pas être reconnu
enfant en
tant qu’être naturel, ce que inconsciemment GWF. Hegel escamote, plus
précisément le fait qu’il n’a pas pu y parvenir.
Cette citation
pourrait faire croire
que la répression parentale serait un phénomène conscient. Mais le
fondement de
celle-ci sur laquelle peut effectivement se déployer une répression
consciente
est totalement inconscient parce qu’il fait partie de l’évidence
constituant le
contenu de l’affirmation de l’être ontosé[47].
Il
en est inconscient comme il l’est du refoulement, lequel découle de
l’impossibilité de supporter une souffrance doublée très souvent d’une
irrationalité, celle qui découle du fait que les parents aiment leurs
enfants
mais qu’ils ne peuvent pas (phénomène inconscient) les accepter dans
leur
naturalité, dans la spontanéité de leur surgissement. Voilà pourquoi
hommes et
femmes tendent à nier la répression. Certains et certaines vont même
jusqu’à
affirmer qu’elle disparaît et que les mœurs actuelles sont bien plus
douces que
celles d’autrefois. On peut avancer qu’au cours des siècles le procès
d’intériorisation de la répression a été tel que sa dimension
inconsciente
s’est énormément accrue et, surtout, le phénomène de recouvrement
fondamentalement assuré par la culture (d’où dérivent les mœurs) permet
de
vivre tout en étant inconscient. Répression et irrationalité sont liées
mais
leurs liens s’imposent dans le domaine inconscient. Toutes deux hantent
l’espèce.
L’être
inconscient et l’être
conscient sont présents en une superposition comme dans le cas du chat
de
Schrödinger, à la fois vivant et mort dans sa cage. Cette
"coexistence" de deux êtres ne correspond en rien à la schizophrénie.
Les remontées opèrent des percées, des trouées, voire des failles, au
sein de
l’être conscient.
Reprenons le
commentaire de A.Kojève:
«Enfin l’individualité humaine est, elle aussi,
conditionnée par la
mort. On peut le déduire en admettant avec Hegel qu’on ne peut être
individuel
qu’en étant libre sans être fini ou mortel. Mais cette conséquence
découle
aussi directement de la définition hégélienne de l’Individu».
«L’individu
pour Hegel, est une synthèse du
Particulier et de l’Universel. La particularité
serait purement
"donnée", "naturelle" animale, si elle n’était pas
associée, dans l’individualité humaine à
l’universalité du discours et
de l’action (le discours provenant de l’action. Or l’action du
particulier, -
et c’est toujours un particulier qui agit, n’est
vraiment universelle
que si elle représente et
réalise la
"volonté générale" d’une "communauté" (Gemeinwesen),
c’est-à-dire en fin de compte d’un État[48].»
p.
563
«Quoi
qu’il en soit, le but dernier du devenir
humain est d’après Hegel la synthèse de l’existence guerrière du Maître
et de
la vie laborieuse de l’Esclave. L’Homme qui est pleinement satisfait
par son
existence et qui achève par cela même l’évolution historique de
l’humanité, est
le citoyen de l’État universel et homogène, c’est-à-dire d’après Hegel,
le
travailleur soldat des armées de Napoléon.» p. 562.
En fait la
synthèse hégélienne
n’est-elle pas un compromis entre un phénomène de démesure, la
maîtrise, et sa
compensation, la servitude?
Avant de
poursuivre signalons que la
femme est exclue de la dynamique maîtrise servitude[49].
Or,
les femmes, à de rares exceptions prés, n’eurent jamais le droit, en
dehors de
l’époque récente, à avoir ni à utiliser des armes, comme l’ont fait
remarquer
diverses féministes. Les femmes furent réduites à fournisseuses de
protagonistes en recherche de reconnaissance, ou à celles de guerriers,
et
subirent une autre forme d’exclusion: alimenter un phénomène mais ne
pas y
participer. Elles ne peuvent pas donner et risquer la mort; elles ne
peuvent
pas être reconnues.
Voyons,
maintenant, d’autres données
concernant la reconnaissance qui sont compatibles avec celles
hégéliennes et
donc avec la dynamique de maîtrise et de servitude.
Ainsi de la
dynamique de devenir
maître pour tenter de récupérer tout ce dont on a été dépossédé, le
refoulé qui
hante l’individu. Mais qui est effectivement le maître, qui en fait
fonction
de, du fait de l’obsolescence de l’homme, de la femme? C’est le
mécanisme
infernal et la constante répétition du même type de vécu des hommes et
des
femmes.
Être reconnu
c’est être repéré parce
qu’on représente une différence, un divers. On la, le, constitue, lui
donne
corps, parce que c’est le possible pour que notre présence affecte
l’autre,
impliquant par là qu’on puisse avoir une certaine importance,
signifier. De
façon paroxystique être reconnu c’est être élu, c’est avoir reçu la
grâce, mais
c’est aussi une forme d’exclusion par rapport à la majorité des hommes
et des
femmes. La dynamique de l’élu est celle d’échapper au commun. Sous
forme
masquée c’est la même dynamique qui prévaut avec l’ésotérisme.
Avec
l’assimilation s’impose la perte
de ce qui peut être support de la dynamique de reconnaissance et il
n’est plus donc
possible d’être reconnu. Au niveau d’un collectif quelconque celui ou
celle qui
s’assimile peut être vécu comme un traître ou une traîtresse. Le
métissage
donne lieu à des dynamiques similaires.
Pour être
reconnu on peut prendre une
forme. On peut y recourir aussi afin d'échapper
à une forme qui nous détermine, et par là aussi échapper à un
déterminisme[50]
qui
inhiberait notre spontanéité et, en définitive, inhiberait toute
possibilité de
reconnaissance. À la base ici encore on a la dynamique de la valeur et
la
nécessité de la reconnaissance des formes. Toute forme est source d’informations qui peuvent
être manipulées
comme on peut le constater avec la publicité qui s’affirme comme le
délire du
désir de reconnaissance.
Si nous sommes
égaux - pas de
différences - alors comment peut-on être reconnu? Il faut sortir d’un
indifférencié causé par l’égalité qui peut aller jusqu’à l’identité et
rendre
difficile toute identification ce qui ne peut pas se réaliser sans
violence.
Toute
justification procède au sein
d’une dynamique de recherche de reconnaissance. On se justifie pour
être
reconnu dans ce que nous pensons être notre réalité qui a pu être mise
en
doute, dénigrée, etc.
La
reconnaissance opère également dans
la négativité et dans la répression: reconnaître quelqu’un comme
coupable. On
réprime ce qu’on ne comprend pas, qu’on ne peut pas reconnaître et qui
s’impose
comme un irrationnel qui provoque une remontée. Vouloir qu’on
reconnaisse notre
souffrance peut conduire au masochisme tandis que vouloir la
reconnaissance
d’une supériorité peut aboutir au sadisme.
L’échec dans la
dynamique, dans la
lutte pour la reconnaissance, induit la compensation qui fait office de
consolation:
c’est une nécessité d’avoir été esclave et d’avoir encouru la
souffrance.
Il ne suffit pas
de gagner, il faut
être reconnu. L’ennemi vaincu doit reconnaître sa défaite et sa
culpabilité et
par là sanctifier le maître et les principes selon lesquels il agit,
comme cela
s’est posé aux procès de Nuremberg et de Tokyo et comme cela se répète
depuis
de façon exaltée, particulièrement dans ce qui est nommé lutte contre
le
terrorisme. Les ennemis sont des terroristes donc des inhumains et la
guerre
devient humanitaire. Les procès visent à conférer l’humanité, summum de
la
reconnaissance, à ceux qui ont vaincu.
Successivement
l’idée d’avoir perdu
le combat pour la reconnaissance, de ne pas avoir été à la hauteur,
fondera la
honte de soi, la haine de soi avec culpabilité de ne pas avoir été à la
hauteur. C’est ce que nous dit Gunther Anders à propos d’une variété de
honte
qu’il a individualisée: «…la honte prométhéenne… la honte qui
s’empare de
l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même
fabriquées».
C’est un rejouement d’une forme de honte qui comme les autres types de
celle-ci
affecte l’origine. «Si j’essaie d’approfondir cette "honte
prométhéenne", il me semble que son objet fondamental, l’"opprobre
fondamental" qui donne à l’homme honte de lui-même c’est son origine.
T.
a honte d’être devenu plutôt que d’avoir été fabriqué»[51].
On
peut aller plus loin et dire que la honte dérive du fait d’avoir une
origine.
La honte de soi induit non seulement une dynamique de mépris de soi,
mais une
dynamique inconsciente de mise hors "condition humaine", afin de
compenser cette honte, s’en consoler, en méprisant ceux qui restent
liés à
cette dernière. Alors l’homme peut effacer toute origine en
s’engendrant
machine (le post-humain). Mais en niant l’origine, les hommes affirment
aussi
une donnée de naturalité: ils n’en ont pas car ils proviennent d’une
émergence. Mais on peut penser aussi, qu'actuellement, certains membres
de l'espèce rougissent de ne pas être des organismes génétiquement
modifiés (OGM).
En outre G.
Anders met en évidence
des données qui sont devenues saillantes avec les développements
récents de la
société-communauté. «En revanche la "honte prométhéenne" se manifeste
dans le rapport de l’homme par rapport à la chose. Il manque alors,
l’observateur, l’autre homme en face duquel on a honte». Et il précise
la honte
«… ce n’est pas d’être réifié mais, à l’inverse, de ne pas
l’être»[52].
Le surgissement
de la honte chez F.
Nietzsche est pour ainsi dire l’inverse de celui décrit par G. Anders,
mais
l’un et l’autre sont en fait en continuité. «Tous les êtres, jusqu’ici,
ont
créé quelque chose au-delà d’eux-mêmes, et vous voulez être le reflux
de cette
grande marée et vous préférez retourner à l’animal plutôt que de
surmonter
l’homme? Qu’est-ce que le singe pour l’homme? Un objet de dérision ou
une honte
douloureuse. Et c’est exactement cela que l’homme doit être pour le
surhomme:
un objet de dérision ou une honte douloureuse.»[53]
Revenons à
G.W.F. Hegel et la mort. Le
dépassement (la Aufhebung) signale son importance, sa nécessité au
niveau symbolique,
qu’on retrouve dans d’autres cultures et dans les théories des
naissances
multiples, des renaissances, et même des réincarnations.
Certes, comme le
dit A. Kojève, le
positif positivement fondé sur lui-même de K. Marx est une échappée
essentielle
et donc un appui historique mais, dans une certaine mesure, il entérine
que
tout le développement historique antérieur résulte de l’opposition des
contraires, du dépassement, de la Aufhebung, etc… la dimension
d’errance n’est
pas prise en compte. En conséquence la réalité de celle-ci persiste et
s’immisce en quelque sorte dans le positif. Il n’a perçu la répression
que sous
la forme de l’exploitation et, en outre, il l’a conçue en définitive
comme un
mal nécessaire pour le bien de l’espèce
N’ayant pas été
porté ou porté à
suffisance, l’homme qui devient maître a besoin de l’esclave pour être
porté et
ce qui le porte c’est la reconnaissance que ce dernier lui accorde.
Combien d’hommes
et de femmes s’effondrent à partir du moment où ils, elles, ne sont
plus
reconnus, reconnues, mettant en évidence l’importance du support.
"L'ontose se caractérise par l'adhésion, l'attachement aux supports, et
à
la peur de les perdre". (Invariance V, 5, p. 57) Prendre quelqu’un,
quelqu’une, quelque chose, comme support c’est opérer un détournement,
c’est
le, la, séparer du continuum et c’est se poser en tant que séparé. Plus
il y a
fragmentation, plus les supports sont nécessaires et ils opèrent un peu
comme
les grosses pierres émergeantes d’un torrent qui permettent de le
traverser
sans se mouiller. Des supports pour ne pas se perdre, pour sortir d’un
blocage.
Mais il y a toujours le risque de tomber,
métaphore de mourir.
L’homme
satisfait selon G.W.F. Hegel
(résultat de la synthèse maîtrise-servitude) est maître dans le
recouvrement
mais esclave dans le fondement, la dépendance n’ayant pas été
radicalement
éliminée. Et, ici, nous pouvons évoquer l’Unheimlich[54],
l’étrange familier pouvant se manifester comme l’être esclave que nous
ne
pouvons pas accepter. Ce qui nous amène à tenter d’accéder à
l’irrationnel
originel, absolument déterminant dans la mise en branle de l’errance,
et base
du phénomène occulte, ésotérique.
Mais qu’y a-t-il
derrière ce désir de
reconnaissance, qu’est-ce qui le porte, le fonde? C’est le besoin de
consolation de ne pas avoir été accepté dans sa naturalité, d’avoir
subi la
coupure d’avec la mère, ce qui est inexplicable et génère le sentiment
de
culpabilité qui à son tour engendre le besoin de pardon. Or besoin de
pardon et
de consolation sont insatiables comme l’a affirmé Stig Dagerman. On
peut dire
que derrière ce désir de reconnaissance se trouve toute l’irrationalité
engendrée par la répression, irrationalité qui est à la base de la
quête de la
rédemption et du désir de recouvrir une réalité inacceptable. Plus
précisément
et en dernière analyse, ce qui fonde l’élancement vers la
reconnaissance, c’est
la perte de la continuité, conséquence de la séparation, parce que si
on est en
continuité, non séparé, il y a connaissance mutuelle immédiate,
concrète, et la
reconnaissance, qui implique un "travail" où coopèrent "être
pour-soi" et "être pour autrui", n’est pas nécessaire.
L’impossibilité
de la réalisation de
la perspective de F. Fukuyama fondée sur l’œuvre de G.W.F Hegel est
évidente. La
multiplicité des conflits avec la réinvention continuelle de l’ennemi:
le
terrorisme et la lutte anti-terroriste de G.W. Bush, avec l’inhumain et
la
guerre humanitaire prônée par Barak Obama mais déjà mise en place au
cours des
conflits liés à la désagrégation de la Yougoslavie, le prouve amplement
. Mais
ce qui importait dans l’œuvre de ces deux auteurs c’est la mise en
évidence de
la lutte et de celle de la nécessité de l’ennemi pour les hommes
ontosés, les
femmes ontosées, une dimension essentielle de la spéciose. Non
seulement
la multiplicité des conflits est une preuve de la persistance de
l’histoire, et
la quête de reconnaissance s’impose encore plus qu’avant à travers,
comme nous
le verrons plus loin, les délires
du
marketing. En outre les inégalités toujours plus grandes traduisent les
résultats de la dynamique de reconnaissance et l’impossibilité qu’elle
opère
pour tous.
L’autre posé
non seulement dans une altérité mais dans une différence contradictoire
pouvant
justifier le conflit, est nécessaire non seulement pour être reconnu
mais pour
s’affirmer en niant. «L’être humain étant le seul autre du capital et
ce
dernier s’étant anthropomorphisé, il n’y a plus d’autre. D’où la mort
potentielle
du capital. Nous avons indiqué ailleurs que pour enrayer cette tendance
mortelle, le capital n’avait qu’un recours, la violence.»[55]
On peut ajouter que
le capital meurt aussi par
suite de l’évanescence de l’homme d’où la crise induite pour celui-ci
qui doit
trouver un support pour y fonder un ennemi. De là aussi le
développement de la
virtualité. Et cette dynamique est renforcée à cause de la destruction
de la
nature, l’ennemie primordiale, et de l’oblitération de plus en plus
grande de
la naturalité de
l’homme, de la femme,
tandis que la surnature s’évanouit. Le triomphe du virtuel permet de
réaliser
un rêve, créer un être totalement autre que lui, permettant, en
s’opposant, de
s’affirmer intégralement. La virtualité remplace la surnature.
Ne pas être
reconnu équivaut pour
l'individu à être inachevé, sans forme, indistinct. D'où d'une part,
l'insatisfaction, l'inassouvissement, l'insatiabilité, le mépris et la
haine de
soi, mais aussi la colère et la violence et surtout la honte, d'autre
part la
volonté de se parfaire de s'achever, de se modifier, d'aller au-delà de
soi, de
s'échapper dans la transcendance et finalement de se fonder hors
espèce, hors
nature, ce qui implique aussi la violence, la destruction créatrice[56].
Et
cela se perçoit avec l’importance toujours plus grande de la mode, et
avec l’entreprise
qui donne forme, jusqu’au
bodyart. Seulement on ne peut pas être achevé si on est séparé.
Cette
faillite s’effectue en même temps que la spéciose, avec ses effets
maléfiques,
s’affirme encore plus. Nous en avons une preuve nette à la lecture du
livre La
stratégie du choc – La montée d’un capitalisme du désastre[57],
de Noami Klein.
À partir de ce qu’elle expose, s’impose fortement à nous à quel point
l’espèce
vit sous la menace et la réactualise constamment, dans une dynamique
amplificatrice continue; à quel point elle est sous l’effet d’un
traumatisme
inconscient, lié à un risque d’extinction, qu’elle tend à extérioriser
avec le
danger de la réalisation de celle-ci, représentant en quelque sorte la
genèse
du phénomène et de son devenir, sa primordialité. Le désastre qui
provoque le
choc a été, depuis longtemps, une occasion de réaliser des affaires.
Dans
divers articles A. Bordiga avait dénoncé, dés le milieu du siècle
dernier,
l’économie du désastre qu’il soit dû à des causes purement naturelles
ou humaines,
ou à un combiné des deux. Toutefois l’approche de Noemi Klein est plus
radicale
du fait de la maturation du phénomène. «J’appelle "capitalisme du
désastre" ce type d’opération consistant à lancer des raids
systématiques
contre la sphère publique au lendemain des cataclysmes et à traiter ces
derniers comme des occasions d’engranger des profits.» p. 13. Quelques
pages
plus loin elle précise: «Le mot qui convient le mieux pour désigner un
système
qui gomme les frontières entre le Gouvernement avec un G majuscule et
l’Entreprise avec un E majuscule n’est ni "libéral", ni
"conservateur", ni "capitaliste". Ce serait plutôt
"corporatiste"» p. 29. En réalité ce "système" exprime le
mieux la réalisation de la domination substantielle (réelle pour K.
Marx) du
capital. L’entreprise est la forme fondamentale de l’organisation au
sein de
groupements humains où règne le mode de production
capitaliste
pleinement développé.
En 1957 Amadeo
Bordiga décrivit fort
bien ce dernier et ceci est encore pleinement valable de nos jours où
ce qui
devient prédominant est la virtualité qui put s’imposer grâce à ce
devenir. "Le capital
se présente aujourd'hui en chacun
de ses moments sous la forme d'une organisation. Derrière
ce mot devenu
synonyme non de fraternité au cours d'une lutte, comme au temps
glorieux des
luttes ouvrières, mais fiction hypocrite de l’intérêt commun, derrière
l'inexpressive et antimnémonique nom de l’insaisissable entreprise,
parmi les
affairistes, administrateurs, techniciens ouvriers spécialisés,
manœuvres,
cerveaux électroniques, robots et chiens de garde, des facteurs de la
production et des stimulateurs du revenu national, le capital accomplit
l'immonde fonction, qu'il a toujours accomplie, une fonction infiniment
plus
ignoble que celle de l'entrepreneur qui se faisait personnellement
payer, â
l'aube de la société bourgeoise, intelligence, courage et véritable
esprit de
pionnier.
"L'organisation
n'est pas
seulement le capitalisme moderne sans personnage, mais le capitalisme
sans
capital, parce qu'il n'en a plus aucun besoin (…)».
J’interromps la
suite des citations
pour exposer une interrogation: puisque le capital n’a pu exister
qu’avec le
travail salarié, que devient dés lors le prolétariat quand celui-là
disparaît?
Avec le corollaire: le devenir économique serait-il celui des formes
d’organisation? Or, en fonction du devenir actuel, avec l’énorme
développement
des mafias, organisations intégrant de façon exhaustive la répression
tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de ce qui peut apparaître comme un ersatz
de
communauté despotique, on a le rejouement des premières formes d’État.
La
production en tant que phénomène déterminant le mode de vie des hommes
et des
femmes est révolue. Ce qui s’impose c’est le mode d’organiser, de
contrôler,
donc de réprimer hommes et femmes, données devenues superflues mais
encore
inévitables. L’organisation mondiale qui se met en place tend à devenir
une
intégrale de mafias. Pour conclure, on ne peut envisager le capitalisme
sans
capital qu’en mettant en évidence la mise en place de la virtualité qui
permet
de réactiver ce qui fut, grâce à diverses techniques fondant ce qui est
appelé
progrès. Ici encore A. Bordiga nous a fourni un point de départ
réflexif.
On peut ajouter
qu’en remontant dans
le temps le thème de l’organisation s’impose également. Dans beaucoup
de mythes
de création celle-ci a été assurée par des femmes, mais elle est
défectueuse,
ne fonctionne pas bien et s’apparente au chaos. Les hommes alors
interviennent
et organisent celui-ci qui devient le monde. Ainsi, chaque fois, qu’il
est
question de chaos il est également question d’organisation. À la limite
celle-ci témoigne de l’intervention d’Homo sapiens grâce à laquelle il
se
caractérise, il se fonde.
"(...) L'État se
loue à des
organisations qui sont de véritables bandes, d'affaires, de composition
humaine
changeante et insaisissable, dans tous les secteurs de l'économie, sur
un
itinéraire qui dans tous les systèmes capitalistes modernes est marqué
par les formes
odieuses qu'a assumé l’industrie du bâtiment, dont le siège n'est pas
fixe."[58]
Toutes ces
citations sont extraites
de il programma comunista, n° 7 – 1957. En 1970 je
les ai incluses dans Capitalisme
et développement de la bande - racket, et je concluais: "Avec
la
constitution du capital en être matériel et donc en communauté sociale,
on a la
disparition du capitaliste en tant que personnage traditionnel, la
diminution
relative, parfois absolue des prolétaires et l'accroissement des
nouvelles
classes moyennes. Toute communauté humaine la plus petite soit-elle est
conditionnée par le mode d'être de la communauté matérielle. Ce mode
d'être
découle du fait que le capital ne peut se valoriser, donc exister,
développer
son être que si une particule de lui-même, tout en s'autonomisant,
s'affronte à
l’ensemble social, se pose par rapport à l’équivalent total socialisé,
le
capital. Il a besoin de cette confrontation (concurrence, émulation)
parce
qu'il n'existe que par différenciation. À partir de là se constitue un
tissu
social basé sur la concurrence d’"organisations" rivales (rackets)
"
Le grand
changement est constitué par
la disparition de "l’équivalent
total
socialisé, le capital" qui a été pulvérisé en une foule
d’entreprises. De même la fragmentation de l’État le réduit à une
organisation
entrepreneuriale de la représentation, et accuse son
obsolescence, avec disparition quasi complète
de son rôle dit bienfaiteur de même que de son rôle répressif, la
répression se
faisant au niveau des entreprises. La reconstitution d’une totalité,
ersatz
d’un phénomène communautaire, s’opère grâce à des réseaux et à diverses
organisations plus ou moins occultes, dont les diverses mafias, tandis
que le
mouvement pour le mouvement, justifié par la nécessité du développement
est
l’ersatz de la continuité.
Voyons
maintenant la doctrine du
Shock and Awe (choc et effroi) et la stratégie qui lui est liée au
travers de
sa genèse telles que les expose Naomi Klein. La formulation de Shock
and Awe date
de la seconde guerre contre l’Irak (2003)[59]
mais
les concepts qui la fondent sont antérieurs. La première application
d’envergure fut effectuée au Chili en 1973 avec le putsch qui renversa
le
gouvernement d’Allende.
Il y eut des
précédents dont parle
l’auteur mais où la stratégie était moins élaborée, depuis le coup
d’État en
Iran pour renverser le gouvernement de Mossadegh menaçant les intérêts
des USA
et de la Grande-Bretgne en 1953 (pp. 93 et 94), à celui au Guatemala
pour
sauvegarder les intérêts de l’entreprise United Fruit 1954 (p. 95),
mais
également au Brésil en 1964 (p. 101),en Argentine à la même époque, en
Indonésie en 1965 avec le renversement de Soekarno soutenu par les
communistes
(pp. 107-108) et son remplacement par Suharto[60].
On
pourrait remonter à la seconde guerre mondiale (avec le bombardement
non
seulement de l’Allemagne mais aussi des pays alliés) suivi du plan
Marshall,
qui permit la mise
en place de la
"colonisation"[61]
de
l’Europe occidentale (un phénomène similaire a concerné le Japon).
À la base de
l’élaboration de Shock
and Awe se trouvent des recherches psychiatriques, leur utilisation par
la CIA
pour la mise au point d’un manuel d’interrogation, et la théorie de
l’École de
Chicago.
«… au début des
années 1950 Cameron abandonna
l’approche freudienne traditionnelle de la "cure par la parole" comme
moyen de découvrir les "causes profondes" de la maladie mentale de
ses patients. Son ambition n’était ni de les guérir ni de les remettre
sur pied.
Il avait plutôt l’intention de les recréer[62]
grâce à une méthode de son invention appelée "confrontation psychique".
Selon les
articles qu’il fit paraître
à l’époque, le Dr Cameron croyait que la seule
façon d’inculquer à ses patients de nouveaux comportements
plus sains
était d’entrer dans leur esprit afin d’y briser "les anciennes
structures
pathologiques". La première étape, consistait donc à
"déstructurer". L’objectif, en soi stupéfiant, était de faire
régresser l’esprit vers un état où, pour reprendre les termes
d’Aristote, il
était comme "une tablette où il n’y avait rien d’écrit", une tabula
rasa[63].
Selon
Cameron, il suffisait pour parvenir à cet état, d’attaquer le cerveau
par tous
les moyens réputés entraver son fonctionnement normal – simultanément.
La
technique première du choc et de l’effroi appliquée au cerveau, en
somme.» p.
50
Le "choc et
l’effroi"
(Shock and Awe) c’est ce qui s’impose lors des traumatismes initiaux
tant au
niveau de l’espèce qu’au niveau de l’individu, engendrant confusion et
état
hypnoïde qui sont accrus du fait de la dimension irrationnelle de leur
réalisation
fondant en même temps l’empreinte de l’absurdité[64],
renforçant l’envahissement de l’irrationnel et de la confusion. Ainsi
se
dévoile parfaitement comment l’ontose-spéciose s’est mise en place.
Ajoutons que les
chocs répétés font
que l’espèce vit inconsciemment ses traumatismes, ainsi que sous la
menace pour
en arriver maintenant à gérer la menace, gérer l’extinction. Elle
essaie
également de les conjurer, comme essaya de le faire Alvin Toffler avec Le
choc du futur. Mais le choc dont parle Noemi Klein contient
en lui la
dimension du futur, d’un futur dont seuls les théoriciens et praticiens
du
Shock and Awe détiennent la connaissance et sont aptes à mettre en
branle.
«Certains
indices probants laissent
croire que Cameron était pleinement conscient de reproduire les
conditions
propres à la torture. Fervent anticommuniste, il se plaisait à penser que ses patients
participaient à l’effort de
la Guerre froide. Dans une interview accordée à un magazine populaire
de 1955,
il compare carrément ses patients à des prisonniers de guerre
confrontés à des
interrogateurs: "comme les prisonniers des communistes, ils ont
tendance à
résister [aux traitements] et doivent donc être brisés"». (p. 60).
«Pour être sûr
qu’aucun patient
n’échapperait à ce cauchemar, Cameron administra à quelques uns d’entre
eux du
curare, produit qui induit la paralysie. Ainsi ils étaient
littéralement prisonniers
de leurs propres corps». (p. 59) Il leur faisait frôler la folie qui
est enfermement.
«La CIA finança
à partir de 1957
jusqu’en 1961 les travaux de Cameron». (p. 61). Dans cette période la
CIA avait
profité des travaux de E. Cameron et avait
mis au point son manuel d’interrogation, véritable manuel
de torture.
«Le
détail qui
retient tout particulièrement l'attention des auteurs du manuel, plus
encore
que les méthodes proprement dites, c'est l'accent mis par Cameron sur
la
régression - l'idée que des adultes ne sachant plus qui ils sont ni où
ils se
situent dans l'espace et le temps redeviennent des enfants dépendants,
dont
l'esprit est une sorte de page ouverte
â
toutes les suggestions. Les auteurs y
reviennent sans cesse : "Les méthodes utilisées pour briser les
résistances, du simple
isolement
à l'hypnose en passant par la narcose, ne
sont que des moyens d'accélérer la régression. Au fur et à mesure que
le sujet
glisse de la maturité vers un stade plus infantile, les traits de sa
personnalité, acquis ou structurés, se désagrègent." C'est à ce moment
que
le prisonnier entre en état de "choc
psychologique" ou d’"apathie", selon le mécanisme
évoqué plus haut – bref, le point de frappe idéal par le bourreau,
celui où
"le sujet est le plus susceptible de coopérer"». (pp. 65-66)
Remarquons que
d’un point de vue
général intervenir dans le procès de vie de quelqu’un, sans qu’il l’ait
sollicité,
implique que l’intervenant présuppose que celui-ci n’a pas les
potentialités
requises, et qu’il n’est qu’une virtualité due à la projection qu’il
opère sur
lui. Son intervention revient à une extraction de ce qui est à l’état
virtuel
et cela ne peut pas se faire sans causer des souffrances. Une variante
de ce
phénomène consiste à anticiper sur le dire ou le faire de l’autre, ce
qui
revient à l’escamoter, et à engendrer en celui-ci un grand sentiment de
dépossession, d’impossibilité de s’affirmer.
La CIA justifia
ses agissements en
affirmant qu’«elle s’était intéressée au lavage de cerveau dans
l’intention de
protéger les soldats américains faits prisonniers. La presse retenait
surtout
un détail sensationnel: le gouvernement avait financé des "trips"d’acide.
Le scandale,
lorsqu’il éclata enfin au grand jour, vint en grande partie du fait que
la CIA
et Ewen Cameron avaient en toute insouciance, gâché des vies pour rien.
Les
recherches, en effet, se révélaient inutiles: tout le monde savait
désormais
que le lavage de cerveau était un mythe de la guerre froide.» (p. 61).
En ce qui
concerne les théoriciens de
l’école de Chicago, ils intégrèrent les données d’ordre psychique avec
celles
fournies par la CIA pour fonder la thérapie de choc, en vue de pouvoir
mettre en
pratique leur théorie; d’où leur recherche de soutiens auprès de
l’armée ainsi
que de la police.
«La mission de
Friedman (principal
théoricien de l’école de Chicago, n.d.r), comme celle de Cameron,
reposait sur
un rêve: revenir à l’état de santé "naturel", celui où tout est en
équilibre, celui d’avant les distorsions causées par les interventions
humaines. Là où Cameron projetait de ramener l’esprit humain à cet état
vierge
primordial, Friedman envisageait de déstructurer les sociétés et de
rétablir un
capitalisme pur, purgé de toutes les ingérences – réglementation
gouvernementale, entraves au commerce et groupes d’intérêts
particuliers.
Comme Cameron encore, Friedman était d’avis que la seule façon de
revenir à la
pureté originelle consistait à faire délibérément subir au "patient"
(ici l’économie dénaturée) des chocs douloureux: seule une "pilule
amère" pouvait avoir raison des distorsions et des modèles défectueux.»
(p.80)
Le capitalisme
pur serait celui où
serait presque exclusive l’activité d’entrepreneurs au sein
d’entreprises,
cellules fondamentales, unitaires de la société, devant engendrer des
produits
supports de profits. Cela implique que toutes les organisations en vue
d’une
quelconque activité, se transforment en entreprises et également tous
les individus
composant cette société, aboutissant à la mis en place d’un immense
réseau.
Le triomphe du
libéralisme implique
la réduction du rôle de l’État posé et
vécu comme opérateur de menace qui s’impose comme une impossibilité de
réalisation des capacités individuelles, et donc celle de la
reconnaissance. L’aide
que reçoit un homme ou une femme par l’intermédiaire d’un organisme
d’État
masque la différence qu’il ou qu’elle entretient en rapport avec un ou
une
autre, de ce fait l’adepte du libéralisme se voit privé d’une
reconnaissance puisque
l’aide tend à installer une dynamique d’égalisation et
d’indifférenciation. L’aide
sociale dénaturerait la donnée "naturelle": la différence entre les
divers individus, hommes ou femmes.
Revenons à la
liberté. «Mais
le droit de l'homme à la liberté ne repose pas sur l'union de l'homme
avec
l'homme, mais plutôt sur la séparation de l'homme d'avec l'homme, C'est
le
droit de cette séparation, le droit de l'individu
limité, limité à
lui-même». K. Marx La question juive[65].
Ici il
semblerait que le droit ne
soit pas en relation avec la récupération de quelque chose de naturel
qui a été
perdu. Cela concerne le rétablissement d’un état où s’est effectuée la
séparation, l’accès à l’autonomie, à l’indépendance, donc à la réalité
d’être
limité, délimité, repérable, reconnaissable. En instaurant des aides,
en
soutenant les défavorisés, l’État se comporterait en tant qu’opérateur
entravant
la mise en dépendance et inhibant la dynamique de la
reconnaissance. En outre ce rétablissement
est considéré lui-même comme celui d’un état originel, naturel de la
lutte de
tous contre tous. Mais l’individu ne peut pas vivre seul; il a besoin
d’une
"communauté" qui est devenue le marché, réactualisation de l’état
primordial, mais non de l’union qui le sauverait de la dépendance.
«L’école
de
Chicago avait donc une
mission purificatrice: débarrasser le marché des ingérences et le
laisser
donner sa pleine mesure en toute liberté». (p. 85) Mais le capital se
définit
avant tout comme ce qui fonde un mode de production donné où celle-ci
devient
prépondérante. C’est pour pouvoir écouler l’incrément énorme de
production
qu’il fallut constamment accroître la dimension du marché et détruire
les
économies fermées, plus ou moins autosuffisantes. À un moment donné la
taille
du marché, en rapport à la disparition de zones non soumises au mode de
production capitaliste, a pu apparaître comme étant une limite à la
reproduction élargie, selon la théorisation de R. Luxembourg, et même
comme la
cause d’un effondrement possible. L’accroissement énorme de la
consommation et
celle du phénomène d’obsolescence des produits, qui apparaît comme une
consommation virtuelle ou escamotée, a éliminé ce possible. Dés lors on
eut un
renversement d’importance, c’est le marché qui devint prévalant
entraînant un rejouement essentiel, celui de l’affirmation de la
valeur en
sa
troisième fonction, celle de monnaie universelle, contre laquelle
s’opposèrent,
à l’origine, les capitalistes, durant la période de ce que d’aucuns
appellent
le capitalisme pur, qui fut théorisé par Max Weber, caractérisé par la
libre
entreprise et l’éthique protestante. Ce qui importe à présent c’est la
monnaie
capital et la liberté d’écoulement, la fluidification, avec la
disparition de
la caractéristique de l’économie capitaliste, la production, qui est
désormais
considérée simplement comme une économie de marché. Un immense
escamotage s’est
opéré qui signale en fait la fin du capital
Les choses se
compliquent car il
existe un marché et des marchés qu’on doit mettre en parallèle avec le
capital
en sa totalité et les multiples capitaux particuliers. La grande
revendication
libérale est celle de la liberté des marchés; l’activité
des hommes, des femmes, pouvant lui
faire entrave, exprimant par là une forme accusée
de leur obsolescence, il faut les éliminer.
La revendication
plénière de la liberté
appelle le tout est possible afin d’échapper à un
déterminisme, à une
contrainte, et elle se présente alors comme la réalisation d’un
possible. Avec
raison G Anders fait remarquer: c’est possible donc on le fait, on doit
le
faire. De là l’exaltation de l’activité scientifique. La liberté
implique qu’il
n’y ait pas de contraintes – signalant par là un certain refus de la
répression
– pourtant: «Au cœur des enseignements sacrés
de l’école de Chicago figurait la conviction suivante:
«les forces
économiques – l’offre et la demande, l’inflation et le chômage –
s’apparentent
aux forces de la nature, fixes et immuables». P. 81
On est sorti de
la nature, on l’a
détruite mais son concept demeure en tant qu’opérateur de
justification. «Pour
eux (les technos ou Chicago boys, disciples chiliens de M. Friedman
n.d.r),
l’économie était l’équivalent de forces naturelles redoutables
auxquelles il
fallait obéir: "Aller à l’encontre de la nature est improductif. À ce
jeu
on se dupe soi-même", expliqua Pinera (…) Cette prétention commune –
recevoir
des ordres de la nature et de ses lois supérieures – cimenta l’alliance
entre
les Chicago boys et Pinochet.» p. 123
À partir de là
peut s’opérer le
triomphe de l’interventionnisme et le renversement fondamental:
"La
vie au service des urgences de l’économie". (p. 392)" Titre d’une
allocution de Jeffreys Sachs, économiste conseiller de Solidarité qui
proposa
et fit appliquer le traitement de choc pour la Pologne, qu’il prononça
le 13
janvier 1993. Dans ce cas ne s’agirait-il pas plutôt des urgences du
marché? En
se mettant au service des marchés
la vie
ne s’acquitterai-elle pas d’une forme de dette, ce qui viendrait
interférer
avec la dette de vie que nous examinerons ultérieurement.
C’est au Chili,
rappelons-le, lors du
renversement du gouvernement présidé par Allende en 1973 que fut mise
en place
la stratégie du choc. (p. 31) À partir de ce moment diverses
"améliorations" furent apportées car il s’agissait d’aller à la
racine. «Ainsi que l’affirmait la junte dans un éditorial de 1976: "Les
esprits doivent être nettoyés eux aussi, car c’est là que l’erreur
prend
naissance."» (p. 174) Cette pratique du nettoyage, de la purification
n’est pas nouvelle et fut appliquée par exemple en divers pays lors de
la
christianisation, comme lors de la déchristianisation en France, comme
en
Russie. L’usage de la terreur pour éliminer l’erreur est fréquent et a
sa
racine dans la nécessité d’éduquer afin d’éliminer les données
naturelles en
chaque individu[66].
Précisons que la
mise au point de la
dynamique du choc et de l’effroi et
son
perfectionnement comporte les étapes suivantes: profiter des désastres,
organiser
les désastres par intervention politico-militaire, créer la crise qui
est
désastre pour la majorité de la population afin d’initier un procès
politico-économique, création de crises comme mode de contrôler hommes
et
femmes, qui va s’imposer comme mode de gestion de l’extinction à venir,
une préparation
à la fin de la survie.
Et cela allait
dans le sens d’une
forme de plus en plus capitaliste de provoquer un choc et l’effroi,
dérivée d’un
mécanisme économique.
Examinons ce
perfectionnement. «C’est
en 1982 que Milton Friedman rédigea les lignes essentielles vouées à un
retentissement considérable, qui résument le mieux la stratégie du
choc: "Seule
une crise –réelle ou supposée – peut produire des changements.
Lorsqu’elle se
produit les mesures à prendre dépendent des idées en vigueur dans le
contexte.
Telle est, me semble-t-il notre véritable fonction: trouver des
solutions de
rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que le
politiquement impossible devienne politiquement inévitable."» (p.217)
La position de
Milton Friedman
présente une certaine analogie avec celle d’A. Bordiga pour qui
l’essentiel était
de maintenir inaltéré le programme jusqu’au moment où la crise du mode
de
production capitaliste permettrait de l’exécuter. Ce n’est pas sans
importance
que Milton Friedman dut attendre plusieurs années avant que ses idées
ne parviennent
à s’imposer.
Naomi Klein nous
indique que les
adeptes de l’école de Chicago considéraient que «(…) s’il peut
provoquer une
révolution à gauche, l’effondrement du marché peut aussi déclencher la
contre-révolution à droite. On baptisa cette théorie
"hypothèse de la crise». (p. 218)
Selon les
marxistes et
particulièrement A. Bordiga, répétons-le, la crise du capitalisme était
nécessaire pour que la révolution se déclenche, grâce à la destruction
des
illusions et la radicalisation des masses devenant plus perméables aux
positions
défendues par le parti ce qui favorise une prise de conscience, ainsi
que la sortie
de la minorité, de la dépendance. Or, les effets psychiques de
régression n’ont
pas été considérés, par exemple lors de la crise de 1929. La récession
économique est un analogon de la régression psychique. Dans les deux
cas il y a
retour à une mise en dépendance. Le phénomène révolution se heurte à
une
dynamique contradictoire: la volonté de se libérer se couplant avec la
mise en
dépendance provoquée par les chocs. Ainsi s’explique en partie
l’inchoation des
masses prolétariennes allemandes en 1919 qui avaient subi celui de la
guerre et
celui de la crise économique qui suivit celle-ci. En revanche pour les
"néo-conservateurs" la réalisation de leurs objectifs est effectivement
possible et les faits l’ont prouvée. Toutefois la contradiction n’est
pas
absente chez eux: mettre les gens en déréliction afin de les libérer,
et
confirmer par là l’illusion qu’eux-mêmes sont libres et qu’ils peuvent
manipuler le mécanisme infernal.
«Au milieu des
années 1980, quelques
économistes avaient observé qu’une hyperinflation provoquait les mêmes
effets
qu’une guerre militaire: favoriser la peur et la confusion, déclencher
des
vagues de réfugiés et causer un
grand
nombre de pertes en vies humaines.» (p. 242)
«Désormais on
n’avait plus besoin des
dictatures militaires. L’époque de l’"ajustement structurel" - la
dictature de la dette – avait débuté». (pp. 250-251) Forme actualisée de
la
dictature du don impliquant un contre don.
Dés lors se
révéla la nécessité de manipuler
la crise. C’est ce qu’exposa John Williamson le 13 janvier 1993 lors
d’une
conférence à Washington: «On peut se demander s’il n’y aurait pas lieu
de
songer à provoquer délibérément une crise dans l’intention de
supprimer les
obstacles politiques à la réforme. Dans le cas du Brésil, par exemple,
on
laisse parfois entendre qu’il faudrait
accepter l’hyperinflation pour effrayer les gens et les
obliger à
accepter les changements.» (p. 394)
Naomi Klein
montre, avec le cas du
Canada, comment la crise fut créée et ce qui s’en suivit. «Deux ans
après le
paroxysme de cette hystérie du déficit, la journaliste d’enquête Linda
Mc Quaig
montra de façon décisive que le sentiment d’urgence avait été créé de
toute
pièces et exploité par une poignée de think tanks financés
par les plus
grandes banques et sociétés du Canada…» (p. 396)
Ce qui précède
nous permet d’affirmer
qu’il n’est aucunement nécessaire de recourir à une théorie du complot
pour
expliquer les événements fondamentaux affectant la société-communauté
car,
depuis déjà bien longtemps, tout est en fait exprimé de façon fort
claire. La raison,
alors, d’une non lecture, d’une non écoute corrélative à la nécessité
du
complot, découle d’un besoin d’ésotérisme, d’occultisme.
Mais ce n’est
pas tout. En continuité
avec la théorisation de c’est pour ton bien s’est affirmée la
problématique de faire
subir un moindre mal pour éviter un mal plus grand. C’est grâce à ces
deux
données que la répression s’accomplit pleinement.
«Lorsque
les
Canadiens apprirent que la "crise du déficit" avait été montée de
toutes pièces par des think
tanks financés
par de grandes sociétés, il
était trop tard - les compressions avaient été effectuées et on n'y
pouvait
plus rien. Conséquence directe de toute cette affaire, les programmes
sociaux
destinés aux chômeurs du pays furent radicalement réduits, et ils ne
furent pas
augmentés par la suite, malgré des années de surplus budgétaires. Au
cours de
cette période, on eut à de nombreuses occasions recours à la stratégie
de la
crise. En septembre 1995, dans une bande vidéo fournie sous le manteau
à la
presse canadienne, on vit John Snobelen, ministre de l'Éducation de
l'Ontario,
affirmer, à l'occasion d'une réunion de fonctionnaires tenue à huis
clos, qu'il
fallait créer un climat de panique avant d'annoncer des compressions
dans le
domaine de l'éducation et d'autres mesures impopulaires. Il convenait
de
laisser filtrer des informations donnant à redouter une situation si
sombre
qu'"il préférait ne pas en parler". Il s'agissait, dit-il, de
"créer une crise utile"[67].
«
(…) À partir
de 1995,
dans la plupart des démocraties occidentales, le discours politique
était
saturé d'allusions au mur de la dette et à un effondrement économique
imminent.
On réclamait des compressions plus draconiennes et des privatisations
plus
ambitieuses. Pendant ce temps-là, les think
tanks de
Friedman
brandissaient le spectre de la crise. Les institutions financières les
plus
puissantes de Washington étaient disposées à faire croire à l'existence
d'une crise
grâce à la manipulation des médias, certes, mais elles prenaient aussi
des
mesures concrètes pour créer des crises bien réelles. Deux ans après
les
observations de Williamson, d'après lequel on pouvait "attiser" les
crises, Michael Bruno, économiste en chef (économie du développement) à
la Banque
mondiale,
reprit des propos identiques, une fois de plus sans attirer l'attention
des
médias. Dans une communication présentée devant l'Association
internationale
des sciences économiques, à Tunis, en 1995, et dont le texte fut publié
plus
tard par la Banque mondiale, Bruno déclara devant 500 économistes venus
de 68
pays que "l'idée
selon laquelle une crise suffisamment grave pouvait pousser des
décideurs jusque-là récalcitrants à instaurer des réformes susceptibles
d'accroître la productivité"
faisait
l'objet d'un consensus de plus
en plus grand. Bruno cita l'Amérique latine à titre d'exemple parfait
de crises
profondes apparemment bénéfiques"
et s'attarda en particulier sur
l'Argentine, où, dit-il, le président Menem et son ministre des
Finances,
Domingo Cavallo, avaient
l'art
de "profiter
du climat d'urgence"
pour réaliser
d'importantes privatisations. Au cas où l'auditoire n'aurait pas bien
compris,
Bruno ajouta: "Je
tiens à réitérer l'importance d'un thème majeur: l'économie politique
des crises graves tend à déboucher sur des réformes radicales aux
résultats
positifs."»
(pp. 398-400)
La justification
de toutes les
horreurs commises pour imposer les réformes, s’appuie sur la théorie de
la
destruction créatrice.
«La destruction
créatrice est notre
grande force, chez nous comme à l’étranger. Chaque jour, nous
abolissons
l’ordre ancien: des affaires à la science, de la littérature aux arts
plastiques, de l’architecture au cinéma, de la politique aux
droits….Tout y
passe. […] Ils doivent nous attaquer pour survivre (le comble de la
mise en
dépendance, n.d.r), de la même façon que nous devons les démolir pour
faire
progresser notre mission historique.» Michael Ledeen, The war against
the
Terror Masters, 2002 (p. 433)
J. Schumpeter
dans Capitalisme,
Socialisme et Démocratie affirma que ce processus de
Destruction
Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme:
«c’est en elle
que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise
capitaliste
doit, bon gré mal gré, s’y adapter.» Il apparaît comme ce «qui
révolutionne
incessamment de l’intérieur la structure
économique, en détruisant
continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des
éléments
neufs».[68]
Ce
disant ce théoricien tend à considérer le capitalisme comme un
organisme vivant
doué de catabolisme et d’anabolisme et, par là, d’une capacité de
régénération.
Il accordait une
importance
fondamentale à l’esprit d’entreprise, à l’initiative et à l’innovation,
toutes
données constamment exaltées à l’heure actuelle et posées comme vertus
suprêmes.
Or, comment,
dans le Manifeste,
K. Marx saluait-il l’installation du mode de production capitaliste et
l’action
de la bourgeoisie, sinon comme une destruction créatrice; ce qu’il
répétera
pour signaler l’action civilisatrice de l’Angleterre en Inde,
fomentatrice de
l’unique révolution qu’aurait connu ce pays. Il parla même de mission
historique. La révolution comme l’affirma Michel Bakounine se
caractérise par
cette dynamique, ce qui présuppose l’impossibilité de s’affirmer
immédiatement;
la destruction crée un champ de développement à cet effet.
Cette
théorisation fut remise en
cause par A. Bordiga qui, à propos de la destruction du capital
constant pour
permettre l’accroissement du taux de profit, parla d’homicide des
morts. Et, en cette affirmation, se logeait
aussi une certaine exigence d'inversion: ne pas détruire l'œuvre des autres
afin de pouvoir s'affirmer, être reconnu. Cependant la théorie bordiguienne de
la destruction
Chez K. Marx et
divers marxistes,
initialement, la révolution apparaît comme un procès d’émersion d’une
forme
sociale du sein de l’ancienne, le procès de destruction est réduit,
ainsi que
la violence. Mais la perpétuation du MPC a conduit à une production
énorme, et
à un changement de comportement des gens et à un blocage. S’impose un
rejouement
et l’accroissement de la consommation, consommation destructrice pour
régénérer
le procès, engendre un comportement différent, c’est-à-dire un
accroissement de
l’utilisation de la violence. De nos jours la création, l’innovation,
et le
développement durable sont prônés en définitive en compensation à
l’obsolescence.
Revenons à la
destruction créatrice
pour indiquer qu’actuellement elle s’effectue en même temps qu’hommes
et femmes
sont précipité-e-s dans la dépression. Autrement dit, dans la maladie
créatrice[69]
qui
s’apparente à une Aufhebung, la destruction de l’individu s’accompagne
d’une
création avec conservation de la pathogénie qui est niée dans sa
manifestation
immédiate.
Naomi Klein
mentionne l’intervention
des agences de notation mais n’y insiste pas du fait qu’à l’époque
elles
n’avaient peut-être pas encore acquis leur importance actuelle[70].
Leur rôle en définitive est de fournir des informations, les notations,
qui
sont déterminantes pour fonder ou non la confiance, la valider ou non.
Avec les
compagnies d’assurance, les institutions internationales comme le Fond
monétaire international, la banque mondiale, elles se trouvent au
sommet de la
hiérarchie répressive et de ce fait opèrent en tant que gestionnaires
de la
confiance et de la répression.
Précisons que le
phénomène de la
notation implique une mise en place d’un jugement et donc l’activation
de la
recherche de la reconnaissance, d’une reconnaissance valorisante
génératrice de
confiance, parce que la reconnaissance peut s’avérer négative et c’est
alors
que s’impose la rétrogradation - ou régression imposée - la
dévalorisation
lançant une dynamique de méfiance, de négativation vis-à-vis de
l’entité qui
subit la notation négative. Ainsi États et banques se retrouvent dans
la même
situation que les élèves devant leurs professeurs et le phénomène de
répression
qu’hommes et femmes veulent éliminer se réimpose en une manifestation
non
équivoque, éclatante. Et ceci n’a rien d’étonnant du fait que le
phénomène de
la valeur dans sa vaste amplitude fut un support pour la dynamique de
la
répression, particulièrement avec la fondation de la hiérarchie
(verticalisation)
tandis que lors de la phase horizontale du mouvement de la valeur elle
est
occultée avec la mystification démocratique. Or avec la mort du capital
s’opère
un rejouement faisant en sorte que la monnaie universelle, phase la
plus
évoluée de la valeur (la valeur généralisée, vulgarisée, à la portée de
tous et
de toutes et permettant la confusion et la mise en dépendance
généralisées), se
réimpose tant dans sa dimension verticale qu’horizontale, mais aussi la
répression qui avait été plus ou moins masquée. La virtualisation
permet de
réimposer ce qui fut et
donc d’effectuer
le rejouement. Par là tend à s’instaurer une totalité spéciosique qui
ne laisse
rien en dehors d’elle.
La pratique de
la notation est de réprimer,
ne serait-ce qu’à cause de l’assujettissement à une norme qui dans les
cas des
phénomènes économiques est parfois difficilement exprimée, comme cela
s’impose
également dans l’enseignement. Être noté c’est être repéré et placé sur
une
échelle axiologique, et c’est se trouver dans la pleine dépendance.
La notion de
notation doit être mise
en relation avec celle de sécurité et d’assurance. La note accordée à
une
entreprise, voire à un État, indique la fiabilité de celle-là et de
celui-ci,
dans quelle mesure ce que nous entretenons avec il ou elle peut être
sûr et,
pour nous prémunir contre un risque une assurance ne s’impose-t-elle
pas? Ce
qui confirme que l’essentiel c’est d’être assuré, ce qui exprime de la
façon la
plus prégnante que l’insécurité est à la base de la société-communauté.
Être
bien noté, c’est être rassuré. L’assurance doit engendrer la confiance
et nous
retrouvons le problème de la monnaie.
Le surgissement
de la puissance des
agences de notation a été perçu comme fondant la perte de souveraineté
des
États, et donc celle de leur autorité ce qui implique une mise en
dépendance. Chez
Hegel la reconnaissance est acquisition d’une autorité contrepartie du
risque
de mourir. Elle se présente le plus souvent comme un incrément
difficile à
cerner et à acquérir comme on peut le constater dans la littérature concernant
la
période des Royaumes combattants particulièrement dans le roman Les
Trois
royaumes. C’est ce que doivent obtenir les rois afin de fonder leur
souveraineté, par exemple une dimension thérapeutique. Plus
généralement c’est
ce qui permet de sortir de l’incertitude suscitée par la rupture de
continuité
et fonde toutes les variantes de reconnaissance et cela fut
particulièrement
vrai lors de l’instauration du patriarcat.
L’importance
acquise par les agences
de notation signale la toute puissance de l’information,
comme cela se
produisait déjà avec les bourses. Elle devient le support de la
monnaie. La
monnaie informatique (pas seulement parce que ses supports de
réalisation sont
des instruments informatiques mais parce qu’elle est constituée
d’informations)
se présente en fait comme l’évanescence même de la monnaie capital, et
signifie
son obsolescence. Ce qui compte c’est l’information qu’on a sur une
personne.
Et celle-ci indique si on
peut ou non
avoir confiance en elle. La médiation s’abolit. N’importe qui peut
créer de l’information.
La question est celle de son accumulation, de sa monopolisation, de sa
validation, d’où la nécessité d’institutions de contrôle Ainsi
s’achèvent
simultanément les phénomènes intermédiaires de la représentation et de
la manipulation
possible qui ne peuvent réapparaître qu’au niveau virtuel ce qui
implique la
mise au point de techniques toujours plus sophistiquées.
Notre prise en
compte de l’existence
de la monnaie informatique nous conduit à anticiper sur la question de
la dimension
de la monnaie en tant que représentation, que signe, et sur le fait que
la
dette, représentant ce qui manque, possède par là même une dimension
symbolique.
C’est là que nous retrouvons l’information car le signe peut se
concevoir comme
étant, tout au moins métaphoriquement, l’équivalent de celle-ci.
À l’origine,
l’information apparaît
comme une donnée permettant de lever un doute. Ensuite elle s’impose
dans la
dynamique de la néguentropie. Ce qui est cohérent car avec l’entropie
on a le
passage au chaos, mais grâce à des informations il est possible de
restaurer un
ordre. À l’heure actuelle le concept d’information prend une importance
hégémonique et devient une médiation fondatrice. C’est grâce à elle que
les
physiciens pensent parvenir à résoudre les contradictions entre
physique
relativiste et physique quantique. Notre propos n’est pas en rapport
avec une
recherche sur la validité ou non d’une telle dynamique, mais il vise la
relation biunivoque entre celle-ci et celle de la séparation toujours
plus
poussée de l’homme d’avec le reste de la nature, de la séparation au
sein de
l’espèce, au sein de l’individu. Dit autrement: comment la première est
le
support pour dire la seconde permettant par là d’exprimer la déchirure
psychique au niveau spécifique et au niveau individuel? Dans un article
intitulé
L’espace est-il discret? Michael Moyer, dans la
revue Pour la Science,
écrit «Le monde est-il flou? Ce n’est pas une métaphore. Pour Craig
Hogan (...)
si nous parvenions à observer les plus petites subdivisions de l’espace
et du
temps, nous découvririons un univers en perpétuelle effervescence, un
incessant
bourdonnement de fluctuations (…) Ce bruit serait la marque d’un espace
discontinu qui, au lieu d’être une toile de fond bien lisse à la danse
des
particules, serait au contraire constitué de petits morceaux
irréductibles: un
univers discret.
À la plus petite
échelle possible,
l’échelle de Plank (10-35), les deux piliers de
la physique du XX°
siècle, la théorie quantique et la relativité générale, semblent
irréconciliables. C’est à cette même échelle que des physiciens ont
développé
depuis quelques décennies une des_c_r_i_p_tion de l’Univers en termes
d’information,
c’est-à-dire de bits – des 0 et des 1. Selon cette théorie dite
holographique,
c’est l’information, et non la matière et l’énergie, qui constitue
l’essence
même de l’Univers. De cette information émerge le cosmos.»
Toutefois deux
restrictions:
1. «La nature de
ces bits
d’information, ou degrés de liberté, reste cependant inconnue[71]
à ce
jour faute d’une théorie complète de la gravitation quantique».
2. «Même si le
principe holographique
est correct, des questions subsistent. Sous quelle forme l’information
est-elle
codée? Comment est-elle traitée pour faire émerger l’Univers que nous
observons? Pour certains physiciens, l’Univers est un ordinateur qui
traite
l’information pour faire apparaître ce que nous percevons comme la
réalité
physique. Mais cet ordinateur est pour le moment une boite noire.»
Une première
remarque s’impose: on
est parvenu à une représentation totalement discontinuiste car si
l’information
est une grandeur physique, elle s’avère également comme un certain
quantum de
connaissance que nous extrayons du cosmos afin de pouvoir édifier une
représentation. Mais pourquoi matière, énergie et information
doivent-elles
être séparées, et pourquoi doit-on chercher ce qui détermine en
dernière
analyse? C’est la recherche de l’origine inévitablement engendrée par
la
coupure de continuité et donc celle de ce qui nous fonde afin de sortir
d’une
immense incertitude. Mais c’est aussi la nécessité de fonder le
principe de
domination: ce n’est que lorsque la communauté se fragmente avec la
formation
des individus (grandeurs discrètes) que peut s’effectuer celui-ci. À ce
moment-là un élément du discontinu (un individu) peut être exclu de
l’ensemble
pour être posé comme unité supérieure ou comme représentant de cet
ensemble.
Ainsi une éventuelle contradiction entre comportement, psychisme et
procès de
connaissance est évitée.
Autrement dit,
il n’y a pas de continuum,
mais un discretum. La continuité ne serait qu’une apparence, la
projection d’un
désir. La certitude est impossible.
La
représentation qui nous est
proposée nous reconduit à une position idéaliste, néoplatonicienne,
d’une part,
parce que les éléments opérant sont l’Un, l’Univers, et l’unité,
l’information;
d’autre part, en vertu de tout ce qui est dit dans l’article, l’univers
est
comme tapissé par les informations (remplaçant les idées) à partir
desquelles
tout va émerger. Ce que l’on peut exprimer autrement en affirmant que
de
l’Univers, remplaçant dieu, émane la réalité.
Ce qui est
essentiel est ceci, qui confirme
ce qui précède: «L’essence de l’univers serait
l’information, dont les
bits constitutifs seraient encodés dans la trame de l’espace-temps à
l’échelle
de Plank». Car là s’impose nettement le rapport au psychisme de
l’espèce. Ces
bits constitutifs, encodés, sortes d’engrammes, formeraient en fait
l’empreinte
de la menace qui détermine, au travers d’une longue errance, la mise en
forme
de l’espèce, sa spéciose à laquelle elle ne pourrait donc pas échapper.
En effet: «Selon
un principe
fondamental de la physique (…) l’information ne disparaît jamais. Elle
peut
changer de forme, être brouillée, mélangée, mais elle subsiste à un
niveau
fondamental.»[72]
Ainsi l’éternité
escamotée au profit
du temps, grandeur discrète qu’on peut manipuler, se réaffirme au
travers de
l’information. Par analogie, cela nous enseigne que le dire, la parole
qui
informe, prédomine et même préexiste au geste, la production de la
réalité. Ce
qui est en cohérence avec le triomphe de la virtualité, et de la
médiation. En
effet on pourrait penser l’information comme une médiation entre
l’énergie et
la matière, puisque tout ce qui est, informe et est affecté.
On peut
également considérer la prépondérance de l’information comme un
témoignage de
reconnaissance de la puissance de la répression en tant que mise en
forme,
ainsi que celle de l’échappatoire possible en recourant à la
manipulation des
formes, des informations.
Parvenu à ce
stade de dévoilement du
devenir spéciosique s’impose à nous la nécessité de revenir sur la
question de
la dette puisque la monnaie permet de l’exprimer, de la quantifier, et
de
l’annuler si la personne, ou l’institution, est solvable. Une première
approche
permet de constater qu’étant parvenu au bout du phénomène de la valeur
et du
capital, les données originelles se réimposent d’où la pléthore
d’études
concernant l’une et l’autre, leur origine ainsi que leurs rapports.
J’ai déjà
exposé tout le phénomène de la valeur, de la valorisation, qui inclut
toutes
les valeurs, particulièrement sa genèse, absente dans l’œuvre de K.
Marx;
phénomène nécessaire du fait de la coupure d’avec le reste de la
nature. Il
convient de noter qu’il parle fondamentalement de l’argent (das Geld)
qui
n’apparaît qu’à un moment donné du devenir du phénomène valeur,
impliquant des
relations déterminées des hommes, des femmes entre eux et elles, et
avec le
monde (l’ensemble des relations humaines à leur milieu, à la nature).
Pour comprendre
son investigation il convient de tenir compte qu’il ne sépare pas la
monnaie du
devenir du capital. Précisons: il se préoccupe de la transformation de
l’argent
en capital, mais de l’argent dans sa troisième fonction lorsqu’il opère
en tant
que monnaie universelle ce qui implique que le concept de monnaie
subsume tout
le mouvement, notamment les deux autres fonctions de mesure des valeurs
de et
moyen d’échange. Mais on ne peut pas étudier cela sans tenir compte des
deux
autres phénomènes qui opèrent souvent de façon contradictoire avec le
mouvement
de la valeur: le travail et la propriété foncière (la fonciarisation),
à quoi
il faut ajouter la surnature. Car, en définitive, qu’est-ce qui va
représenter
l’homme se séparant de la nature: le travail, la propriété foncière, la
valeur,
une donnée surnaturelle comme l’esprit, le divin? Qu’est-ce qui va le
fonder,
le distinguer, lui donner une place, le situer et par là le rassurer,
lui ôter
son immense inquiétude?
Lors du
surgissement du capital, le
travail et la propriété foncière opérant
à travers leur anthropomorphose, ainsi que la valeur (argent sous sa
troisième
forme) qui ne parvient pas à se poser en tant que communauté,
interviennent.
Les entrepreneurs – ceux qui vont permettre l’affirmation de ce que
nous
appelons capital avancent un quantum d’argent pour pouvoir mettre en
branle le
procès de production. Toutefois la réalisation du procès total de
production
incluant production immédiate et circulation nécessite le plus souvent
une
avancée supplémentaire d’argent. Cela conduisit à la mise en place du
crédit
sur une base capitaliste point de départ de la formation de ce qui fut
appelé
le capital financier, le capital porteur d’intérêt expression de la
mise en
place d’un vaste rejouement
Je ne traiterai
pas, en son
intégralité, de la question de la dette car cela demande une approche
multiple
et d’ample envergure. J’avancerai seulement quelques considérations.
L’étude de
la dette apparaît comme un support pour formuler une nouvelle théorie
de la
monnaie mais aussi une recherche d’un fondement de la science
économique qui
tend à présenter l’économie comme une donnée qui s’impose dés l’origine
d’où
les affirmations suivantes: "transhistoricité de l’abstraction
monétaire"
et "la monnaie et la dette comme composantes de toute société humaine".
Cela s’effectue à travers deux approches. Tout d’abord une approche
anthropologique qui théorise la dette primordiale soulignant la très
grande
antiquité du phénomène. Ainsi elle surgirait de la nécessité d’échanger
les femmes
et la prohibition de l’inceste fonderait en définitive la dette.
L’analyse du
don est reprise car en effet le don peut être interprété comme un
crédit que
celui qui donne accorde à celui qui reçoit. En retour celui-ci
contracte une
dette. Mais il y a plus car le don induit un contre don lequel contient
un
incrément. Donner crée une obligation, celle de donner plus. On a là
une
dynamique d’incrémentation qui s’apparente à celle du capital formel[73].
Avec
la circulation simple des marchandises régie par loi de la valeur, il y
a
échange d’équivalents et donc la dynamique de la dette était enrayée
Toutefois
les rejouements l’ont réimposée sous forme amplifiée parce que d’autres
éléments intervinrent en rapport à la mise en dépendance impossible à
abolir.
Ajoutons que la dette implique son antonyme le crédit qui peut être
considéré
comme relevant du droit tandis que la dette relève du devoir.
La seconde
approche peut être
caractérisée d’ontologique, il s’agit de la théorisation de la dette de
vie
qu’on peut considérer comme une variante et une radicalisation de celle
de la
dette primordiale[74]
Une citation importante
pour la situer: «Nous ne sommes pas à notre origine mais à notre
commencement.
Et ce commencement nous situe en dette d'origine. La dette n'est donc
pas qu’un
fait social, ce que je dois à la
société, ou économique,
ce qui participe des lois de l'échange; elle n'est même pas qu'un fait
moral.
La dette est une réalité ontologique qui me situe comme un sujet en
dépendance[75].
Elle est la situation première qui définit mon rapport à l'altérité. Ce
n'est
pas moi qui peux m'autoproclamer fille de... fils de... Je suis d'abord
nommé.
La dette n'est pas un accident historique, mais bien à mon origine,
comme une
origine où, encore une fois, je ne suis pas. "La dette révèle ainsi, à
l'origine, un rapport asymétrique, une structure de dépendance qui
permet
l'émergence de la subjectivité". La dette est antérieure, par
conséquent,
à la culpabilité morale qui est consécutive à une faute; elle est
antérieure
enfin au devoir qui m'enjoint de ne pas commettre de faute. Reconnaître
un
endettement originaire conduit à une éthique de la finitude, où le
sujet est
toujours en dépendance et où il ne saurait se donner l'autonomie
morale. Une
éthique de la finitude est autre donc qu’une éthique du devoir
comme
manifestation de l'autonomie de la raison».[76]
Je trouve
exprimée là de façon
percutante une présentation de la spéciose ontose dont le fondement est
la mise
en dépendance avec l’idée, qui affleure, que la naissance est la mise
en place
d’une dette qu’il serait impossible de rembourser ce qui est posé par
divers
théoriciens comme étant caractéristique de la dette, un élément
important de la
condition humaine. Et cela va jusqu’à l’expression
des phantasmes –
phénomènes de compensation – induits par la dépendance. «On peut tenter
de nier
la dette en voulant être sa propre origine. C’est un des sens, me
semble-t-il,
du mythe d’Œdipe. En tuant son père, et donc la filiation, en épousant
sa mère,
en couchant avec elle, c’est comme si Œdipe s’autoengendrait,
supprimant la
dette». Curieusement ici c’est la violation de l’interdit de l’inceste
qui
permet la suppression de la dette.[77]
La notion de
dette de vie implique
parfois l’idée que l’être naissant induirait en quelque sort la mort
d’un autre
et que le rachat de cette mort constituerait sa dette, expression de sa
culpabilité. On retrouve ainsi l’idée, rencontrée chez G.W.F. Hegel, de
la mort
comme fondement originel du devenir de l’individu, comme chez les
théologiens
catholiques qui posent le rachat de tous les péchés (de toutes les
dettes), la
rédemption, après la mort de l’individu.
La dette de vie
pourrait s’exprimer
en fonction de la représentation en place, en terme d’informations. Les
parents
sont des sources de celle-ci et l’on contracte une dette envers eux,
une dette
informationnelle. En retour pour acquérir de la confiance, pour être
reconnu et
rester en vie, il faut donner de l’information.
Certains
théoriciens de la dette
affirment qu’à l’origine s’est manifestée une violence qui résulte en
fait, selon
moi, de l’effectuation de la répression parentale et sociale et l’on
comprend
la "parenté" qui est établie entre mouvement économique, morale,
psychologie. En fait le phénomène de la valeur et le mouvement du
capital,
dévoilent toutes les modalités d’effectuation de la répression à
l’échelle
sociale, individuelle et les dynamiques de compensation qui les
accompagnent.
La dette
primordiale et la dette de
vie signalent et expriment la dépendance originelle et même la
déréliction, dette
qui ne peut pas s’épuiser; accompagnée de la violence ressentie, d’un
rejet,
d’un refus, de la confusion. Comme cela s’impose également au niveau de l’espèce: du
fait de la
séparation d‘avec le reste de la nature – pour fuir une menace -
s’affirme une
dette (une culpabilité) devant compenser la perte infligée à celle-ci.
Précisons: ce qui peut se nommer dette primordiale, dette de vie,
correspond à
la mise en dépendance du fait de la coupure originelle de continuité,
est un
phénomène de compensation, un essai de panser la déchirure de la
coupure de
continuité. Une multitude de recouvrements analogons de cette coupure
susciteuse de dépendance, tant au niveau de l’espèce qu’au niveau de
l’individu,
s’imposèrent au cours de l’errance et il
fallut une
immense crise initiée
au cours des années de la décennie soixante du siècle dernier se
déployant
maintenant en dissolution de tout ce qui fut construit au cours de
cette
errance, pour que la réalité primitive, initiale, se manifeste.
La dynamique de
la spéciose-ontose
implique que vivre c’est exprimer sa dette, sa reconnaissance pour une
existence octroyée et, ici, la reconnaissance est celle de la
dépendance alors
que dans la dynamique hégélienne elle s’imposait pour y échapper. Dés
lors on
peut penser que l’homme selon GWF.Hegel, celui qui va devenir maître,
lutte
pour échapper à une dette ce qui le conduit à mettre l’autre, son
antagoniste,
dans la dépendance, la servitude. C’est la monnaie, ersatz de la
confiance
elle-même opérateur de continuité, qui permet cette opération. Cette
dynamique
a nécessité la transmutation de la confiance en monnaie, donc son
objectalisation et, maintenant, avec l’évanescence de la valeur et du
capital,
sa virtualisation.
La monnaie (que
ce soit la monnaie
argent ou la monnaie capital) est ce qui non seulement fonde la
confiance, mais
en est son substitut, elle est support de l’autorité, de ce qui
autorise, de la
souveraineté; elle
est un opérateur de
mise en continuité. Elle permet la circulation qui, avec la confiance
ne peut
s’effectuer que s’il y a continuité apparaissant ici comme la
succession temporelle
des relations entre les hommes, les femmes. Mais quelle organisation –
puisqu’il faut tout de même un support - va pouvoir apporter autorité,
confiance etc. remplacer en définitive le procès de vie et la
continuité? On se
retrouve avec le problème de l’organisation piège.
Du fait de
l’évanescence de l’État
dans le phénomène de reconnaissance assurée par la monnaie, ce n’est
plus lui
qui imprime ou pose sa marque, mais un institut bancaire, ce qui entre
dans la dynamique
de la disparition des institutions et affirmation des données concrètes
de
façon mystifiée ou sous forme mystifiée. Donc ce n’est plus lui qui
possède l’autorité
– support – repère pour être porté et dans une certaine mesure un
vecteur de
continuité. Où se trouve-t-elle actuellement? Quel est le sommet de la
pyramide?
L’autorité donne, inspire la confiance qui originellement fut perdue
par suite
de la coupure de continuité. Cette évanescence de l’État est
concomitante à la
tendance à la mise en place de diverses monnaies locales avec les
systèmes
d’échanges locaux par exemple.
Dit autrement,
la monnaie apparaît
bien, en son contenu, comme la confiance en procès, la continuité
(c’est le
capital argent qui permit la continuité des phases du procès de
production
total). Elle est appropriée privatisée
monopolisée au niveau des centres d’émission création,
institutions
bancaires. Elle est émise en des quanta déterminés qui réintégreront le
centre
après effectuation de diverses opérations avec un incrément: la
confiance
accordée augmentée de la confiance due. Ainsi peuvent se rejouer
l’insatisfaction, l’insatiabilité, en même temps que se réaffirme le
lien
social, ce qui nous attache.
Enfin la
monnaie, par l’intermédiaire
de la dette, réactive la menace et l’autorité, qui fonde la confiance,
va assurer
en dernière instance, la répression. Mais elle peut s’exprimer
autrement: le
temps étant de l’argent, l’individu qui est très endetté doit en
conséquence un
grand quantum de temps. À partir de là on peut retrouver la dette de
vie car,
en donnant de son temps support de vie, il donne de sa vie et, si la
dette est
trop forte, il rencontre la menace de mourir. On retrouve le lien entre
la
reconnaissance (ici d’une dette) et le risque de mourir.
Pour conclure
cette digression j’en
viens rapidement à notre époque pour insister sur l’immense impasse où
nous
nous trouvons, et l’exigence d’opérer une inversion. L’impasse est en
même
temps le rejouement de ce qui s’imposa lors de la mise en errance.
On retourne aux
stades initiaux du
mouvement de la valeur dans sa dimension horizontale. Pour ne pas
remettre en
cause les rapports sociaux, la société, l’État, il fallut autrefois
recourir à
l'annulation de la dette comme en Mésopotamie, en Grèce. Je pense que
dans une
certaine mesure cela s'opère pour les banques et certaines entreprises
ce qui
n’exclut pas simultanément une création de monnaie ex-nihil. Mais cela
ne va
pas s'étendre aux particuliers car ce serait remettre en cause le
fondement
même de la répression qui nécessite l’existence des dominants et des
dominés,
des indépendants et des dépendants. Je veux signifier qu'il est
impossible de
remettre en cause le principe de la mise en dépendance car les
indépendants,
les dominants ne peuvent recouvrir leur propre mise en dépendance qu'en
la
réactualisant sur les autres et donc en réaffirmant le fait qu'ils
échapperaient au mécanisme infernal. La demande, à la base de la genèse
de la
dette, est liée aux besoins, aux désirs, aux phantasmes humains.
L'impossibilité de gérer cette dette implique la faillite totale non
seulement
du capital mais du phénomène économique dans sa totalité, c'est au fond
celle
de gérer les relations émotionnelles, affectives, intellectuelles de
l'espèce
sortie désormais de la nature. C'est, plus en profondeur, le problème
de la
compensation comme cela se posa originellement lors d'un crime.
Autrement dit
la société-communauté actuelle n'est plus en mesure d'opérer les
diverses
compensations nécessaires pour que le procès de vie socio-communautaire
puisse
se poursuivre. La dette en est une expression. Quand tout se dissout il
ne peut
plus y avoir de compensation. En outre les gouvernements, les
institutions
financières créent et injectent de la monnaie capital dans les circuits
économiques sans engendrer de modifications importantes, signalant la
perte de
confiance au sein même de ceux qui sont acteurs déterminants dans les
procès
économiques. L’autorité n’est plus effective et il n’y a plus de
garantie.
Dans tous les
cas annuler la dette
avec la volonté de redémarrer à zéro n’abolira pas le phénomène de
dépendance.
En fait il sera régénéré grâce à une destruction créatrice[78].
Pour
mieux percevoir ce que connote la dette il est bon de la
confronter à la
gratuité. Le danger de la gratuité s’exprime par l’absurde avec la
théorisation
de l’acte gratuit[79]
un acte qui, en amont,
n’est déterminé par rien, nulle raison, nulle cause et, en aval, par
aucune
nécessité de reconnaissance, d’un apport quelconque. Un acte dont la
motivation
est l’action elle-même, qui se détermine lui-même, échappant à toute
dépendance. Mais cela heurte la pratique quotidienne où tout est payant
et où
tout acte dépend de quelque chose, à l’idée qu’on ne puisse pas
échapper à une
règle, un lien, un mécanisme. Aussi de peur d’enfreindre la logique
relationnelle et s’endetter inconsciemment, l’individu préfère payer,
se
prémunissant contre la menace de dette: payer rassure et devient une
activité
apotropaïque. En payant l’individu est constamment en règle.
Il faut payer
pour exister, pour
sortir d’un état - comme l’argent sort d’une poche, d’un porte-feuille,
d’un
compte etc. - et le paiement se fait à travers une action donnée qui
opère en
tant que médiation. Le paiement lui-même peut apparaître alors comme la
métaphore
de l’existence. Quelle peut être l’action initiale fondatrice? C’est la
séparation d’avec le reste de la nature créant la dette originelle. Au
fond on
paie pour avoir rompu avec la participation, ce qui nous a conduit à nous
extraire
de la nature.
Ainsi on peut
accepter qu’il y ait
des prix bas, des réductions de prix, mais il doit toujours y avoir un
prix. La
gratuité ce serait comme si la vie n’avait pas de valeur, pas de prix.
La
valeur et le capital se sont "transsubstantatialisés" en nous[80]
Notons que dire
d’une affirmation
qu’elle est gratuite c’est qu’elle n’a aucun fondement et qu’une autre,
même
très différente, pourrait être tout aussi valable. Refuser la gratuité
serait
refuser le néant.
La charité
pourrait s’apparenter à la
gratuité mais en fait elle est effectuée en vue d’un salut ou, dans
l’immédiat,
en vue d’une reconnaissance, à travers la bienveillance et le
désintéressement
manifestés.
Être reconnu,
apparaître en son
intégralité, serait ne plus avoir de dette et donc plus de dépendance
affectant
notre idiosyncrasie. Le seul être qui se trouve dans une telle
situation c’est
dieu et cela exprime son aséité. Cette aséité de dieu, sa
transcendance, sont
des données compensatrices au sein de sociétés dominées par le
mouvement de la
valeur en sa dynamique horizontale où prédomine l’immanence qui peut
apparaître
comme une forme dérivée de l’appartenance ou même comme son ersatz. Or
cette
appartenance nous l’avons quittée, fondant l’origine de la dette et
dieu est
nécessaire pour nous racheter de celle-ci, pour assurer notre
rédemption.
Toutefois le capital parvient à l’aséité et abolit la nécessité de la
compensation apportée par la mystique, par la religion. La réalisation
du
mouvement pour le mouvement inclut l’acte gratuit et, par là même, il
assure
lui aussi une rédemption. Mais sa mort abolit tout et la dette
réapparaît ainsi
que la tentation de la gratuité.
Tant que
persiste l’échange, la
dynamique de la reconnaissance est inévitable de même que les notions
de crédit
et de dette, de droit et de devoir.
Le
caractère pernicieux de l’échange
n’a pas été saisi pleinement et, il a été mis au fondement du devenir
de
l’espèce. Ceci est corrélatif avec la confusion entre communication et
échange.
On ne doit pas s’étonner si celui des femmes s’accompagne, au cours de
siècles,
de la prostitution. En outre sous l’apparence de liberté il inclut
diverses
contraintes et illusions comme celle de la liberté du choix, celle de
penser
qu’on puisse échapper au rejouement de la coupure de continuité puisque
l’échange se manifeste comme sa résorption réitérée. Par là, il
s’affirme
recouvrement. Enfin celle de pouvoir échanger sans être affecté. Cette
dernière
illusion a été entretenue par divers théoriciens socialistes,
communistes qui
pensaient conserver l’échange au sein des phases précédant l’accès au
communisme, voire au sein de celui-ci.
À ce stade de
l’exposé - fondé sur le
livre de N. Klein concernant la nécessité du choc, de la catastrophe,
dans le
devenir de la société-communauté actuelle - une prise de position
s’impose à
nouveau à nous: le
rejet de la théorie
de la catastrophe - déjà exprimé dans la phrase mise en exergue -,
ainsi que
celui d’un choc nécessaire, pourvoyeur d’une impulsion pour que
s’enclenche non
plus la révolution, dont nous avons signalé depuis longtemps sa
désuétude, son
impossibilité devenue, mais l’amorce d’une autre dynamique, d’un
devenir
conscient de l’espèce. En outre nous ne pouvons plus entériner une
certaine
extériorité entre le développement économique et celui intellectuel et
psychique de l’espèce. Il s’agit d’un tout. Le premier ne fait
qu’extérioriser
le second et l’on peut dire que l’affirmation et son extériorisation
sont
inséparables.
Reprenons
l’analyse de La
stratégie du choc. La dernière partie est consacrée à ce
qu’on peut nommer
l’industrie de la sécurité qui tend à ne plus être assurée par l’État
mais par
diverses entreprises.
Ici se révèle
pleinement la dynamique
répressive qui s’impose en fait, se justifie en tant que dynamique de
protection, de garantie, contre les risques inscrits dans le devenir
social; en
tant que dynamique
de "c’est pour
ton bien". En même temps se dévoile la permanence de la menace qui,
originellement, est celle de la destruction, de l’extinction.
Ce n’est pas
nouveau. Interpellons K.
Marx: «La sûreté est le concept social le plus élevé de la société
bourgeoise,
le concept de la police: toute la société n'existe que pour garantir à
chacun
de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits, de sa
propriété
C'est en ce sens qu'Hegel appelle la société bourgeoise: "L'état du
besoin
et de la raison"».[81]
La
pulvérisation
de la société, de l’État, aboutit à ce que la sûreté soit assurée par
des
entreprises privées. En outre comme elle devient un objet d’entreprise
économique elle doit être enlevée à tout le monde,
assurant par là une mise en dépendance, un
état de précarité, d’instabilité, afin de pouvoir ensuite la monnayer.
C’est la
dynamique de la genèse du droit (ici celui à la sûreté): d’abord il
faut qu’il
y ait dépossession pour qu’ensuite on puisse régler la possibilité
d’accéder à
ce dont on a été dépossédé. On aboutit à un développement de la
valorisation à
partir de la dépossession, d’un manque, ce qui révèle la réalité
profonde de la
nécessité de la mise en valeur.
«Dans un rapport
("La défense
négligée: mobiliser le secteur privé pour soutenir la sécurité
intérieure")
(…) il est dit: "L’élan humanitaire qui pousse le gouvernement fédéral
à
fournir une aide d’urgence aux victimes d’une catastrophe nuit au mode
de
gestion des risques du marché"». (p. 646)
«L’une des
avenues qu’explorent les
entrepreneurs pour s’assurer d’autres sources de revenus stables, c’est
la
préparation des sociétés à l’hypothèse du désastre». (p. 649) On
retrouve ici,
sous la forme de l’hypothèse, la centralité du concept de risque auquel
sont
liés ceux de prévention et de précaution, ainsi que la contradiction
fondée
dans une irrationalité. D’une part la vie ne vaut pas la peine d’être
vécue si
on ne prend pas de risques: spéculation, jeux, sports, aventures; le
risque est
inhérent à la vie; là où l’on court un risque il y a une chance de
survie,
comme aurait pu le dire G.W.F. Hegel, là peut se vérifier si l’on a ou
non la
grâce. D’autre part il faut avant tout se prémunir contre lui, ce qui
est à la
base d’un déploiement de la répression. L’irrationalité découle en
définitive
de la volonté inconsciente de vouloir échapper à une insécurité
initiale tout
en voulant, assumant un plein développement de vie.
«Len Rosen,
éminent banquier
israélien, tint au magazine Fortune les propos
suivants "La sécurité
compte plus que la paix". Et Naomi Klein conclut: «Il n’est pas
exagéré d’affirmer
que l’industrie de la
guerre contre le terrorisme a sauvé l’économie vacillante d’Israël, de
la même
façon que le complexe du capitalisme du désastre a volé au secours des
places
boursières mondiales». (p. 676)[82]
Pour
assurer la sécurité de façon durable une menace permanente doit se
manifester,
ce qui peut contribuer à l’élaboration de la thèse du complot permanent.
«La recette de
la guerre mondiale à
perpétuité[83]
est d’ailleurs celle que
l’administration Bush avait proposée au complexe du capitalisme du
désastre
naissant, au lendemain du 11 septembre. Cette guerre, aucun pays ne
peut la
gagner, mais là n’est pas la question. Il s’agit plutôt de créer la
"sécurité" dans les pays forteresses soutenus par d’interminables
conflits de faible intensité à l’extérieur de leurs murs. (…) C’est
toutefois
en Israël que le processus est le plus avancé: un pays tout entier
s’est
transformé en enclave fortifiée à accès contrôlé entourée de parias
refoulés à
l’extérieur, parqués dans des zones rouges permanentes. Voilà à quoi
ressemble
une société qui n’a pas d’intérêts économiques à souhaiter la paix et
s’est
investie tout entière dans une guerre sans fin et impossible à gagner
dont elle
tire d’importants avantages». (pp. 683-684)
Ce qui se
réaffirme par là c’est ce
que dit, en des formes variées, le récit écrit par les philosophes, de
la lutte
de tous contre tous. Cette guerre sans fin est, selon un bel oxymoron,
une
inchoation de la fin; cela ne parvient pas à s’achever nous évoquant
l’inachèvement
de l’Homme et le fantasme de la fin du monde (apocalypse) et dériverait
de la
manifestation inévitable et originelle, comme la culpabilité, de la
méchanceté
des hommes, des femmes.
La recette de la
guerre mondiale à
perpétuité implique qu’il faut créer l’insécurité, réactualiser la
menace, pour
développer l’industrie de la sécurité et le droit à la sécurité. Ce qui
est
encore une base pour la production d’une théorie du complot, un complot
contre
tous les hommes, toutes les femmes.
Menace, sécurité
et culpabilité sont
intimement liées. La menace est multiple et obsessionnelle. Son
fondement, son
support, est double: externe, au départ la nature puis le monde même
créé par
les hommes et les femmes, interne du fait qu’on est coupable et qu’on
relève de
ce fait d’une justice immanente (autre figure du mécanisme infernal)
qui doit
nous faire expier nos fautes. Il est comme impossible d’être innocenté.
La
fable du péché originel suivie de la rédemption par le Christ n’a pas
permis de
lever la culpabilité et l’a probablement accrue: culpabilité de la mort
de
celui-ci. Et cela se comprend car si on était innocenté, plus de
développement
possible, comme cela se révèle parfaitement avec la théorie du karma.
Dans ce
cas, si la faute n’est pas actuelle, elle fut commise dans une vie
antérieure,
de telle sorte que personne ne naît innocent. Naître tel abolirait tout
développement possible, l’innocence s’apparentant à la perfection. En
revanche
naître coupable est le point de départ d’un tel développement, d’un
perfectionnement, support pour le déploiement de diverses
psychothérapies
spiritualistes, religieuses. Cette dynamique se répète à l’heure
actuelle de
façon profane d’une manière quelque peu contradictoire: il n’y a pas de
présomption d’innocence et il faut donc constamment prouver qu’on n’est
pas
coupable, ce qui est une autre façon d’être sécurisé. Cela permet aux
diverses
entreprises juridiques de prospérer et à l’individu d’espérer pouvoir
atteindre
à un moment donné la sécurité. Cela s’impose de façon spectaculaire
pour les
hommes politiques, les chefs d’entreprises, les directeurs
d’institutions etc.,
mais aussi pour le commun des mortels et des mortelles.
En fait de
guerre durable on tend à
la manifestation de conflits parcellaires, c’est-à-dire mettant en
cause un
nombre limité d’individus, mais leur généralisation exprime la lutte de
tous
contre tous que divers penseurs postulèrent avoir régné à l’origine.
On peut
penser que la lutte continue, obstinée de l’homme, au sein de l’espèce
et
contre l’extérieur, opère comme une compensation à son obsolescence;
elle le
réactive en donnant un "sens à la vie"et, tant qu’il existe de
l’ennemi,
il y a de l’histoire. [84]
Ainsi, en ce qui
concerne les
mécanismes économiques et la dynamique de la société-communauté, on ne
constate
rien de fondamentalement nouveau par rapport à la situation d’il y a
soixante
ans. En revanche ce qui l’est c’est le dévoilement accentué de
l’ontose-spéciose
et l’innovation technique, allant croissant depuis les années soixante
du
siècle dernier, en a fourni les supports. Nous l’avons déjà affronté
précédemment
avec la question de la reconnaissance et de la menace. Je veux revenir
sur la
première en
reprenant sans l’exposer le
discours de K. Marx à propos de la marchandise[85]mais
en tenant compte de ce qui est exposé par Naomi Klein dans No
Logo – La
tyrannie des marques, qui révèle bien d’autres aspects de ce
phénomène déjà
présents, sans être pleinement apparents, depuis des siècles.
Ici on accède
directement à la misère
sociale, à la déréliction, à des données de la vie quotidienne. «On est
aux
prises avec ce dilemme: "Je vaux mieux que cela même si je ne trouve
pas
d’autre emploi». Alors on se dit: "C’est temporaire; je vais trouver
quelque chose de mieux"»[86]
p.
359 Naomi Klein commente, à la suite: «Cet état intériorisé
d’itinérance
perpétuelle a fait l’affaire des employeurs du secteur des services…».
En effet
la mise en procrastination fragilise les individus, et le recours à
l’espérance
les induit à positiver – dynamique du recouvrement - ce que la
société-communauté en place leur conseille amplement.
Induire la
dynamique du doute de soi
pour rendre dépendant. «De nature, la quête du cool est minée par le
doute de
soi "Est-ce que c’est le cool?" se demandent
mutuellement les multitudes d’adolescents en
train de faire leurs achats». P 122.
N. Klein nous
expose le devenir à l’"obsolescence
des produits" (à une sorte de dématérialisation) et le passage sur le
plan
des idées, à une spiritualisation, ce qui est en relation avec la
dynamique qui
révèle l’insatisfaction des hommes, des femmes, avec la réalisation
plénière du
monde mercatel. La consommation toujours renouvelée, quoi
qu’insatisfaisante,
peut être conçue comme une réponse à: pourquoi y a-t-il quelque chose
plutôt
que rien? [87]
Ce questionnement exprime
le déracinement de l’être n’étant plus en continuité et possédé par la
spéciose. Il s’agit toujours de remplir un vide, et d’enlever une
insatisfaction qui crée justement un vide dans l’individu. L’objet
consommé
comble ce vide et donne une réponse, opérant en complémentarité à
produire pour
confirmer qu’il y a bel et bien quelque chose, et conjurer que soi-même
on est
quelque chose, un existant. La preuve n’est jamais suffisante. D’autre
part on
doit noter la confusion entre l’objet (objectalisation) et l’être qui
résulte
d’une identification qui opère aussi comme une occultation de l’être
remplacé
par l’objet, ce qui permet de ne pas ressentir la déréliction, en même
temps
que cela engendre la perte de possibilité de percevoir l’évidence.
Elle nous parle
de la dynamique de «se
débarrasser de l’univers des objets» et nous expose: «Puisque nombre
des
sociétés les mieux connues ne fabriquent plus de produits et n’en font
plus la
réclame, mais les achètent et en font le branding[88],
ces
entreprises sont à jamais en quête de nouvelles façons créatives de
construire et
de renforcer leurs images de marque». p. 31. C’est une dynamique de
compensation
qui fonde un refus de l’objectalisation. Mais la dynamique de
reconnaissance
qui s’imposait au niveau des objets marchandises se rejoue au niveau
des
marques, des entreprises de marketing, et donc, en définitive, au
niveau des
hommes et des femmes opérant dans celles-ci.
Avant de
continuer il convient
d’apporter quelques précision au sujet de l’objectalisation, concept
que nous
avons mis au point lors de la rédaction de De la vie[89]
qu’on peut tout
simplement définir comme le fait de se considérer, voire de se
comporter en
objet. Ce phénomène se retrouve dans la schizophrénie comme l’expose
Harold
Searles et il indique toute l’ambiguïté du phénomène: assumer d’être un
objet
et refuser de l’être, et ceci entre dans un cadre plus vaste du rapport
à l’environnement
non humain. Cela entraîne une
dissociation cognitive et l’individu
pour s’en sortir assume
le plus souvent
l’objectalisation.
«Tout indiquait
qu’il avait
effectivement été traité par ses parents moins comme une personne que
comme un
objet, une poupée. Mais à présent, dans sa vie quotidienne d’adulte, il
faisait
inconsciemment ce que font tant de malades, quels que soient leurs
troubles; il
s’attachait à maintenir une emprise fantasmatique sur un processus
qu’il vivait
plus profondément, comme totalement hors de son emprise. Dans le cas
présent,
il encourageait inconsciemment les autres à le traiter d’objet».[90]
Voici une autre
citation fort
éclairante sur la question de l’objectalisation. «Du raisonnement de
Stärke,
qui me parait profondément juste, découle cette conséquence surprenante
que
chez un enfant qui n’a été nourri qu’au biberon, un objet inerte
constitue le
centre de sa personnalité. (…) Je trouve en tout cas l’idée stimulante;
on vit
tant de parents, névrosés ou psychotiques, affligés de doutes
profondément
ancrés quant à leurs qualités d’êtres humains ou mêmes d’êtres vivants.
Il est
certain que de tels doutes peuvent avoir de multiples causes; mais dans
certains cas, l’une d’elles pourrait bien résider dans un allaitement
exclusivement
au biberon, surtout si l’enfant n’a pas été tenu et affectueusement
contre elle
par sa mère mais laissé seul avec son biberon bien calé».[91]
L’enfant et le biberon forment un tout indifférencié, le biberon
devient un
support de continuité ce qui va être en rapport avec le doute sur soi,
il
devient le pont entre l’être humain et son environnement humain et même
non
humain. Il devient support vecteur de continuité. H. Searles, à la
suite de
Donald Winnicott parle d’objet transitionnel. Il remarque en outre que
la privation
d’un tel objet est une véritable castration. Ainsi, selon moi, le pénis
est un
support vecteur de continuité et cette dernière ne concerne pas
effectivement uniquement
le domaine de la
sexualité. On doit
envisager cette question dans un cadre plus vaste. La coupure de
continuité
entraîne le surgissement des limites, dont la plus importante et
fondatrice est
l’origine. L’enfant encore en rapport avec la continuité, la
participation,
doit recourir à des vecteurs de continuité afin de pouvoir la revivre
et
retrouver une intégrité. Les zones limites, les interfaces de réalités
différentes posées telles par la séparation et entérinées par la
répression
parentale, génèrent des troubles profonds et un sentiment plus ou moins
profond
d’insécurité. Se pose la question de comment vivre les deux réalités
discontinues? Pour l’autiste la solution semble être de refuser ce qui
n’est
pas soi et de se renfermer en soi-même. Pour le schizophrène, comme le
montre
H. Searles, l’incertitude est profonde et la solution peut consister en
une
objectalisation, ou bien en une exaltation de soi et un
mépris des autres, etc. Le vécu de la
continuité n’est plus possible, ce qui s’impose à nous, à des titres
plus ou moins
extrêmes, et nous apprenons à recourir à des
médiations afin
de pouvoir faire un transit d’une réalité à l’autre. La transcendance
en est
l’expression la plus aboutie. L’objectalisation peut être envisagée
comme une
médiation réifiée et bloquée.
Les troubles
psychotiques dont parle
H.Searles dérivent de la perte de la participation[92]
qui
fait que l’individu ne se sent plus faire partie non seulement du monde
des
hommes et des femmes, mais de la nature, du cosmos qui s’accompagne de
celle de
ses participations. Ce sont tous les objets qui, dans la vie immédiate,
assurent d’une certaine façon la continuité avec la totalité à laquelle
il
participe et peuvent être conçus comme ce qui se trouve à l’interphase
de
celle-ci et de l’individu. En conséquence de la séparation et du
déploiement du
phénomène de la valeur, ils vont devenir des possessions, entraînant la
réduction et l’enfermement de
l’être
humain, féminin, en des limites, ainsi que des supports pour exprimer
amitié et
inimitié. Les participations entrent dans la constitution de
l’individualité avant
son morcellement. De ce fait pour les schizophrènes particulièrement,
individus
encore en puissant rapport avec leur naturalité, la privation d’un objet
familier correspond à une castration.
S’affranchir de
la dépendance c’est
aussi s’affranchir des limites et c’est ne plus recourir à de multiples
supports permettant de redonner au vide sa prégnance existentielle et
cognitive, et au monde de ne plus être un simple plein inhibant les
possibilités d’un devenir. En effet les supports sont maléfiques du
fait qu’ils
induisent un attachement, une fixation.
Tous les
troubles dérivent de la
coupure, de la perte de continuité, de celle de la participation et de
la
séparation de l’individu de ses participations.
La crise de la
présence selon E. De
Martino, où il y a doute de soi comme de la réalité du monde, se
produit quand
l’individu se trouve à l’interphase de deux réalités (zones limites),
particulièrement lorsqu’il affronte la surnature (support le plus
souvent de
l’intériorité des hommes, des femmes), comme il l’expose bien en ce qui
concerne l’expérience chamanique et la génération de phénomènes
parapsychologiques.
L’espèce, au
cours de son errance,
pour échapper aux chocs, aux traumatismes du changement - moments de
discontinuités entre deux réalités – a eu recours au repli sur le
passé, à la
nostalgie, ou bien elle s’en est remise au futur, et à l’utopie. Le
progrès fut
la médiation nécessaire. Depuis quelques années elle opère un vaste
recouvrement, grâce à l’innovation qui l’amène à l’objectalisation.
Devenir un objet
est un moyen de
survivre à la coupure de continuité et au refus de la reconnaissance de
la
naturalité de l’individu.
Revenons à ce
qu’expose Naomi Klein. Ce
qui est actualisé c’est l’importance déterminante de l’empreinte comme
cela
s’impose avec la pratique du branding susmentionné.
Il faut déposer en
chaque client, cliente, une trace permanente une marque qui, une fois
activée,
à la suite de la présentation du produit, activera l’empreinte, la
marque, et
déclenchera le désir d’achat. L’individu reconnaîtra ce qui lui est
devenu
nécessaire et, en consommant la marque supportée par l’objet, il sera
lui-même
remarqué, reconnu. La reconnaissance implique contradictoirement
l’imitation[93]et
la
dynamique de participer pour ne pas être exclu ainsi que la
consommation
ostentatoire et la transsubstantiation: on consomme la marque et on
acquiert
ses vertus (ce en quoi se résume la marque)
Mais opérer un
marquage des individus
ne suffit pas il faut aussi marquer le territoire, l’Umwelt,
l’environnement[94],
déjà
opéré avec la publicité à l’aide de panneaux. Il faut artificialiser
les
bordures de route pour maintenir la pression de l’artificiel. Ce
marquage
induit une présence obsessive, comme une hallucination continuellement
renouvelée rappelant qu’on est artificialisable. Marquer l’environnement
c’est
faciliter l’artificialisation des hommes et des femmes.
Le Branding est
en rapport également avec
la dynamique du racket car marquer pour se
démarquer équivaut à «Appartenir
pour exclure telle est la dynamique interne de
la bande qui est fondée sur une opposition avouée ou non entre
extérieur et
intérieur[95]».
Mais
il faut ajouter la donnée mystificatrice de la totalité de la dynamique
du
marketing: donner à croire à un dépassement des oppositions. Avec le
branding s’impose
un comportement d’escamotage de la réalité pour lui substituer une
"réalité" idéelle peuplée de fantasmes. C’est donc un
"exposé" de la spéciose.
On assiste à un
vaste envahissement
du psychisme de l’homme ontosé, de la femme ontosée en même temps que
sa
révélation, grâce aux supports qui permettent sa manifestation. À ce
propos
revenons à l’objectalisation et à son refus.
«Nous disons
maintenant que Nike est
une société orientée marketing, et que le produit est notre outil de
marketing
le plus puissant.» p. 55 La marque devient une entité spirituelle,
comme cela
est suggéré à maintes reprises. Ainsi: «En 1923, Barton écrivit que le
rôle de
la publicité consistait à aider les entreprises à trouver leur âme». p.
34
Or la
spiritualité constitue la voie
de l’échappement aux divers traumatismes, quelle que soit leur ampleur,
la voie
d’issue par excellence qui laisse inchangé ce qui est en place.
Ainsi peut
s’imposer comme une sortie
de l’objectalisation, en rapport à une autonomisation permettant une
spiritualisation.
Dés lors la reconnaissance s’opère
à
travers les entreprises, les marques. Les marques deviennent des
supports pour
accéder à, et développer un fantasme.
On ne produit
pas des objets mais des
images qui ne reflètent pas strictement les objets car elles sont
porteuses
d’intentionnalités. L’individu fragmenté devenu entreprise ne se
produit pas,
ne s’exprime pas, ne se perçoit pas dans sa corporéité qu’il rejette,
car ce qui
est essentiel c’est son image, ce qui fonde un spiritualisme iconique.
Mais
cela exprime également l’inaccessibilité du réel. On ne peut que le
symboliser
et en demeurer irrémédiablement séparé.
Avec le
marketing se réalise un triomphe des sophistes, des bateleurs. C’est
normal: si
le réel est inaccessible il est possible de fonder un réel probable. Ou
si l’on
veut, le réel ne peut pas être un antagoniste puisqu’il est inopérant,
ce qui
laisse la place aux maîtres illusionnistes de la persuasion. «Avec
cette
manie de la marque apparut une nouvelle race de gens d’affaires,
lesquels vous
informaient avec fierté que la marque X n’était pas un produit mais un
style de
vie, une attitude , un look, une idée». p.57
Un autre domaine
envahi c’est celui
de l’identité et de la différence ainsi que celui de la reconnaissance
et surtout
de la prévention de l’insécurité, de l’incertitude.
Naomi Klein nous
parle de «l’obsession
de l’identité de la marque» qui implique l’obsolescence des produits,
la
permanence de sa non altération ainsi que de la lutte contre
l’anonymat. On est
parti d’une certaine indistinction: «Le marché se trouvait inondé de
produits
uniformes, de fabrication massive, presque impossibles à distinguer les
uns des
autres». p. 33. Alors: «Le branding concurrentiel devint une nécessité
des
l’ère industrielle – dans un contexte de monotonie manufacturée, il
fallait
fabriquer, en même temps que le produit, la différence d’image.» p. 33.
Un
produit, résultat d’une production en série doit être présenté comme
étant
quelque chose produit pour chaque client individuellement, comme le fit
remarquer G. Anders. À la limite on va faire croire
à l’acquéreur ou à
l’acquéreuse que c’est lui, elle, qui l’a en fait créé.
Il faut être
identique à soi mais non
aux autres, sinon s’installent homogénéisation, standardisation,
indifférenciation résultant du grégarisme, provoquant l’indifférence et
donc la
non reconnaissance.
Mais là se
rencontrent et s’opposent
deux tendances, celle d’être reconnu, avoir une identité propre, et
celle de
participer à un groupe, à un ensemble plus ou moins vaste, avoir une
identité
collective. Être reconnu c’est en définitive être exclu, et vouloir
être
reconnu c’est s’exclure pour être repérable. Ceci se complique du fait
de la
dynamique de l’affectation: pour participer on peut tendre à affecter
un
comportement donné, en même temps qu’il y a tendance à fuir
l’affectation en
tant que remise en cause de l’être originel par la répression imposant
de
prendre une forme donnée.
La production de
masse doit permettre
de s’identifier, de s’individualiser, et de participer. Il
faut
introduire de la différence qui fasse saillie afin d’exister, il faut
saillir
pour exprimer et par là être reconnu. Ainsi s’exprime la séparation. Si
on
n’est pas séparé, il y a des différences mais elles ne sont pas mises
en
saillie par rapport à une totalité (un continu) qui est d’ailleurs de
moins en
moins perçue. «À mesure que la culture s’homogénéise à l’échelle
mondiale, le
rôle du marketing est d’écarter le moment cauchemardesque où les
produits
cesseront de ressembler à des styles de vie ou à des idées magnifiques,
pour
apparaître comme des
objets omniprésents
qu’ils sont en réalité». p. 193 Autrement dit on doit enrayer une forme
d’entropie (une anthropose): l’installation de l’identique, de
l’indifférencié.
L’entropie psychique c’est l’indifférence.
Ici intervient
encore un phénomène,
celui du recouvrement: parvenir à une originalité en se distinguant des
autres
permet de recouvrir le fait de ne pas avoir été reconnu, distingué,
repéré.
Grâce au marketing on parvient à enrayer l’évanescence du recouvrement.
De ce fait tous
les intermédiaires
entre concepteurs de branding et clients et clientes vivent et
participent à la
dynamique de ceux-là qui, par le branding, peuvent arriver à se poser
différents et à être reconnus non pas en tant qu’objets mais en tant
que
personnalités crées, imaginées. Clients et clientes sont les supports
de la
reconnaissance. D’où la multiplicité des manipulations, des
constructions
réalisant une certaine épiphanisation du mécanisme infernal.
La possibilité
d’être reconnus en tant
que personnalités dérive d’un phénomène qu’on peut qualifier
d’absorption. Deux
citations pour situer. Tout d’abord: «Avec cette manie de la marque
apparut une
nouvelle race de
gens d’affaires,
lesquels vous informaient avec fierté que la marque X n’était pas un
produit
mais un style de vie, une attitude, un ensemble de valeurs, un look,
une idée.»
p. 57. Ensuite, à la même page: «Nike, annonça Phil Knight à la fin des
années
1980, est "une société de sport": sa mission n’est pas de vendre des
chaussures mais d’"améliorer la vie des gens par le sport et la forme
physique "et de garder vivante la magie du sport". Le phénomène
s’étend en absorbant des personnalités, des célébrités en divers
domaines du
sport ou de la culture. Ce phénomène d’absorption se présente aussi
comme étant
nécessaire pour masquer un escamotage, le fait que Nike pour produire des chaussures
exploite des travailleurs
particulièrement dans des usines, plus ou moins autonomes, à
l’extérieur des
USA. Il va s’amplifier et concerner la culture elle-même. Ce faisant,
en
devenant culture, le marketing tend à remplacer tout le devenir
antérieur «L’effet,
sinon l’intention originelle, d’un branding avancé, c’est de reléguer
la
culture hôte à l’arrière-plan pour donner la vedette à la marque. Il ne
s’agit
plus de sponsoriser la culture mais d’être la culture.» p. 67. Et la
dynamique
(enflure, inflation, démesure) ne s’arrête pas là puisque la visée est:
«que la
marque devienne la vie même». p. 245. En conséquence la domination se
réalise grâce
à la culture, voire grâce à la vie, par l’intermédiaire du mécénat,
sponsoring,
etc. C’est là qu’interviennent les diverses fondations des grandes
marques qui
peuvent par leur intervention escamoter le fait de l’exploitation,
donnant lieu
à un rejouement. Les grandes marques doivent exploiter salariés et
salariées
afin de pouvoir financer leurs fondations qui permettront à ceux-ci et
à
celles-ci, à travers le branding, d’accéder à une personnalité. De
même, dans
le mode de production féodal, les riches (nobles et clergé) devaient
s’enrichir
toujours plus afin de pouvoir donner l’aumône aux pauvres.
Dés lors grâce
aux marques hommes et
femmes peuvent récupérer ce qu’ils ont perdu. « (...) si les
entreprises
fabriquent des produits ce sont les marques que les consommateurs
achètent» p.35.
Ils achètent une renommée afin d’être reconnus. Or comme pour le
produit ce qui
importe ce n’est pas la personne mais sa renommée. En quelque sorte il
s’agit d’acquérir
une marque au sens littéral du terme, une trace, qui permette d’être
repéré. Et
cette marque est d’une certaine façon extraite de la réputation, de la
célébrité, de la renommée de la gloire, de la visibilité. Et ce par la
médiation des marques. C’est l’expression d’une forme de dépendance.
Ici une
incidente à propos de la
visibilité qui entretient un rapport fondamental avec la
reconnaissance. Le non
visible ne peut pas être reconnu; il est le support de la manifestation
de l’indifférence,
et va induire l’activité déployée par celui ou celle qui en est
affectée pour
la lever et se rendre visible. De même que s’affirme toujours la
dynamique de
l’incrémentation pour vaincre l’égalisation et être repérable, visible.
D’où la
production des surcroîts que sont dignité, gloire, renommée, honneur.
L’honneur
en particulier se présente comme le surplus de la dignité, c’est la
magnification de la présence (honneur et face – perdre l’honneur,
perdre la
face), d’où la connexion à grandeur en opposition à petitesse. Grâce à
l’honneur, l’individu occupe un plus grand espace et colonise du temps.
Perdre
l’honneur revient à perdre de la signifiance et
devenir un homme ou une
femme insignifiant, insignifiante, quelconque, du commun, qui n’a pas
de
relief. L’honneur donne autorité, souveraineté, renommée, gloire. Tout
cela
doit être quantifié pour être représenté et assurer une certaine
pérennité.
D’où la nécessité du mouvement de la valeur puis du capital qui put
donner
consistance à auréole, autorité, prestige, sainteté et souveraineté.
Honorer de
sa présence, donne signification.
Mais le visible
a "à voir"
avec le pouvoir et la répression: être visible c’est être atteignable,
accessible, dépendant, dominé; être invisible c’est être hors
d’atteinte,
indépendant, dominant, et l’idéal c’est de voir sans être vu. Il
renferme une
contradiction être visible pour être reconnu, être invisible pour
échapper à la
menace. Elle n’affecte pas seulement les hommes et les femmes du
pouvoir, plus
généralement ceux et celles qui sortent du commun, mais à des degrés
plus
faibles et dans une "visibilité" moins puissante, tout individu. [96]
Cette
contradiction est résolue au
niveau de dieu qui est accessible par ses manifestations, et
inaccessible par
suite de sa transcendance qui crée l’espace pour l’admiration,
l’adulation, la
célébration, la vénération. C’est le fondement de la dynamique mystique
en
rapport au sacré, au numineux. Visible et invisible ont à "voir" avec
la surnature, le mystique, le religieux. L’invisible est le lieu de la
menace
et du complot. Visible est ce qui prend forme, qui apparaît, qui a une
forme,
ce qui nous renvoie à la dynamique de la répression, de la valeur et du
capital.
Le visible et
l’invisible opèrent en
tant que supports pour revivre la discontinuation (une discontinuité
toujours
accrue) où nous sommes plongés, et l’invisible est le caractère
fondamental de
la surnature. Apparaître c’est devenir visible, ce qui fonde la
présence.
Disparaître c’est
devenir invisible
instaurant l’absence. Dans la dynamique spéciosique le visible est le
"conscient" et l’invisible "l’inconscient". Or, tout le
devenir est succession d’apparitions et de disparitions ce qui donne à
l’espèce
de multiples supports pour dire son déchirement. Dans le procès de
connaissance
en place le visible sous forme de l’apparence est dévalorisé, tant sur
le plan
scientifique, que religieux, ou mystique, en pleine cohérence avec le
rejet de l’immédiat
et de la concrétude.
En effet l’apparent est opposé au réel ce qui, par un glissement plus
ou moins insidieux,
peut conduire à le poser irréel, de
l’ordre de l’illusion. En même temps s’impose la dynamique de
l’inimitié qui
stipule qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Enfin l’apparent
relève de la
forme, il est son expression et celle-ci est l’objet de la répression:
il faut
acquérir une forme compatible avec le devenir en place et avec le
contenu, l’être
domestiqué. Or il est vrai que l’apparence n’épuise pas le réel d’un
être,
d’une chose, d’un phénomène. Une telle affirmation peut cependant
donner lieu à
une recherche indéfinie de ce qui constitue le réel (analogon à la
recherche de
l’origine), support pour exprimer une insatisfaction profonde, ou bien
à une
mise à l’épreuve quand l’individu doit en quelque sorte justifier son
apparence.
En outre il est clair que celui-ci ne veuille pas être réduit à une
apparence
ce qui équivaut à une non
reconnaissance. Toutefois une telle énonciation implique
l’évanescence
de l’intuition qui fait qu’à partir de celle-ci on puisse accéder à ce
qui
fonde l’autre. Le procès de connaissance, libéré de la répression et
fondé sur
la participation, permet d’être présent à tous les niveaux de réalité
de ce qui
advient, de ce à quoi je participe, dans une jouissance redoublée, à
partir de
la prise en compte de l’apparence. Ce qui ne nie pas que des hommes et
des femmes puissent
atteindre d’autres niveaux,
et en opérant différemment.
Enfin le visible
et l’invisible sont
en relation avec l’apparaître et le disparaître et, en définitive avec
l’être
et le néant. Chez les Pirahas le concept d’être n’existe pas a
fortiori celui
de néant. C’est l’apparaître et le disparaître qui désignent la
présence et
l’absence de ce qui est. Leur langue exprime bien le mouvement des
êtres et des
choses.[97]
Nous trouvons
confirmation de notre
approche théorique dans le livre de Nathalie Heinich De la
visibilité qui
renferme une analyse luxuriante et très éclairante sur les phénomènes
médiatiques qui, selon moi, sont totalement conquis par le marketing.
Tout
d’abord une citation sur le fait qu’il est impossible de séparer le
domaine
économique du reste de l’activité et du vécu de l’homme, de la femme.
Cependant
je n’entérine pas ce qui m’apparaît comme un escamotage de ce qu’il y a
d’irrationnel dans l’économie, lequel est support pour vivre celui qui
affecte
le psychisme de l’espèce. «Ce n'est pas, pour autant, que cette
économie serait
"irrationnelle" (ou alors, l'économie de la Bourse le serait aussi,
qui repose non sur l'utilité d'un bien mais sur la spéculation, au
double sens
de l'anticipation des actes d'autrui et du pari sur l'augmentation des
prix):
c'est simplement une économie en grande partie immatérielle, car fondée
non sur
l'utilité mais sur l'émotion que suscite la rencontre avec une
célébrité ou
avec ses doubles. L'on pourrait même, renversant la perspective,
suggérer que
l'économie "normale", celle qui repose sur l'offre et la demande de
biens matériels, n'est qu'un cas particulier d'une économie générale où
les
émotions, l'attachement à autrui, la quête de reconnaissance sont les
mobiles
essentiels du comportement des acteurs - et l'économie de la visibilité
en
serait une illustration privilégiée.»[98]
Ce écrivant,
Nathalie Heinich définit
ce que Giorgio Cesarano il y a quelques années a nommé l’économie de
l’intériorité[99]
et qui est
l’intériorisation de "l’économie normale", une donnée fondamentale de
la domestication et comme un reflet de l’anthropomorphose du capital.
Ensuite:
«L'idole certes est
fabriquée de main d'homme, mais cela n'importe guère (ce pourquoi
aucune des
critiques de la "fabrication" des stars n'atteint leurs admirateurs),
car ce qui fait l'idole n'est pas sa "fabrication" mais "son
investissement comme le regardable, comme ce qui comblera un regard. Ce
qui
qualifie l'idole, c'est le regard. Elle n'éblouit de visibilité
qu'autant que
le regard la regarde" Ainsi "le regard seul fait l'idole", mais
ce regard est lui même médiatisé par l’icône, image
qui "suscite un
regard infini" du fait qu'elle "tente de rendre visible
l'invisible comme tel, c'est-à-dire de faire que le visible
ne cesse de
renvoyer à un autre que lui-même, sans que cet autre ne soit pourtant
jamais
reproduit" Si la théologie, décidément, a des choses à nous dire sur le
culte des célébrités, celui-ci en retour nous permet de comprendre un
type de
rapport au divin devenu, aujourd'hui, beaucoup moins familier.[100]
La croyance en
dieu devient de plus
en plus évanescente, mais la fonction qui lui était dévolue demeure et
suscite
le surgissement de supports nouveaux pour sa réalisation engendrant la
reconnaissance. On peut dire aussi que c’est cette fonction, absolument
nécessaire à l’espèce spéciosée.
Enfin une
dernière citation:
«C’est à propos
de cette dernière que
Françoise Gaillard a décrit ce sentiment, peu glorieux mais humain,
d’une
"justice immanente " et d’une dette acquittée par le malheur: "Eux
aussi ils ont leur lot! Car, reconnaissons-le, avec leur luxe insolent,
ils ne
sont supportables que si on peut les plaindre. Quant à leur bonheur, on
ne le
leur pardonne que si, le partageant avec eux, il nous fait rêver... et
parce
qu'on le sait fragile. Les voilà donc condamnés à nous fournir du rêve
ou du
malheur: un mariage en carrosse doré à Westminster Abbey, un crash en
Mercedes
noire dans un souterrain parisien. [...] La mort de la princesse de
Galles
[...] fut ressentie comme un destin tragique parce que Diana était une
célébrité. De ce seul fait elle nous devait cette tragédie. C'était le
remboursement de sa dette à notre égard, a nous qui l'avions rendue
célèbre."»[101]
C’est la somme
des reconnaissances
qui a été accordée (don) à Diana qui constitue sa dette (contre don).
Ses fans se
posent en tant que parents et donc, inconsciemment, réactualisent,
positivement
(au sens où ce sont eux qui opèrent et ne sont pas passifs), la dette
originelle, celle contractée du fait d’exister, et compensent par là
celle qui
leur fut infligée.
En définitive la
visibilité se
présente comme la pathologie de la présence et de l’affirmation dont la
racine
réside dans la non reconnaissance en rapport à la coupure de
continuité. Être
visible c’est être reconnu et la grande quantité de gens qui
reconnaissent,
fondant la célébrité, traduit l’ampleur de l’ersatz de continuité. Mais
l’insatisfaction demeure car seule la totalité peut représenter
pleinement
celle-ci. Enfin ce qui est reconnu n’est pas la naturalité de l’être
devenu
célèbre; en conséquence la dynamique de reconnaissance n’est pas
désamorcée.
Visible et
invisible sont en rapport
à la consommation, au marché immatériel des sentiments et des émotions
en
continuité avec celui du capital et des marchandises. Or, la tendance
inhérente
au mouvement du capital est de réduire le temps de circulation -
complément à
celle d’escamoter le procès de production - qui a pour support, le
marché, les
marchés, ce qui engendre l’idée aberrante d’une accélération du temps.
Le
concret de la production et de la circulation s’évanouissant, en même
temps que
se généralise l’obsolescence de tout. Ne reste que le mouvement pour le
mouvement[102].
Consommer
nécessite de l’argent. Pour
en acquérir il faut obtenir un emploi qui garantisse une certaine
rémunération.
Tout ce que nous avons considéré du branding opère dans la
phase de
circulation des produits marchandises, mais il peut être utilisé par
tout
individu qui dés lors, se pose comme entreprise, particulièrement
lorsqu’il
recherche un emploi et devient son propre produit; ce qui est une forme
d’intériorisation de l’objectalisation. Mais il est possible de le
concevoir
comme une séparation dans l’individu réifié entre un sujet postulé
libre et sa
dimension réifiée qui prend une forme compatible avec l’activité
imposée par
les exigences économiques du marché, hypostase pour signifier la
circulation de
tous les "produits" marchandises, concrets, immatériels ou virtuels,
engendrés au sein de cette société-communauté en dissolution, ainsi que
le lieu
qui peut être un espace concret ou virtuel où elle peut se manifester.
Son
existence implique celle du marketing, même peu évolué aux stades
initiaux de
la circulation simple des marchandises. À l’heure actuelle il
nécessite, pour
opérer, qu’hommes et femmes se réduisent à des formes sans contenu, et
que
celui qu’il donne soit fait d’images, d’illusions, réalisant une sorte
d’ionisation
qui permet d’orienter les individus[103].
Ils
deviennent des marques, et s’impose à eux une dynamique contradictoire,
déjà
exposée, de marquer et de se démarquer afin d’être reconnaissable. Et
tout cela
se connecte à l’idée que c’est la volonté des divers opérateurs,
opératrices
qui fonde le mouvement invisible du marché. Ce qui simultanément permet
la
liberté de chacun, de chacune, et l’affirmation d’un mécanisme infernal
(en ce
sens qu’on ne peut pas y échapper) résultant en définitive de leurs
diverses
activités.
Le marché, lieu
à a fois saisissable
et insaisissable, véritable métaphore du topos où doit se dérouler
l’utopie,
est celui où est réparti et circule ce qui a été engendré par la
production (le
geste) tandis que la circulation, comme on le voit avec la publicité,
relève de
la parole, du récit. Et ce récit est écrit par la main invisible, le
mécanisme
infernal alors qu’il devrait été régi par la justice, la diké[104]
gouvernant
la juste répartition.
Dans sa
recherche d’un emploi, et
donc dans son utilisation du branding, l’individu, comme c’est le cas
pour les
marques (et leurs défenseurs), rencontre l’insécurité et la peur de la
perte
d’identité qui, ici, s’affirme comme originalité, distinguo, variante
du logo.
Il est guetté par la dépression qui s’apparente à une forme d’entropie.
Il est
à la recherche d’un emploi durable, alors qu’on lui propose d’exister
sur le
mode de la fluidification, exister par le mouvement pour le mouvement.
Donc maintenant
être reconnu c'est
être employé, rendu visible à quelque niveau que ce soit, et avec une
ampleur
variable. Mais cela va plus loin: être reconnu c'est avoir la garantie
de
pouvoir être employé. "Le contrat psychologique entre employeurs et
employés, a nettement changé. Le bon jargon, c'est de garantir
maintenant
l'"employabilité", mais non "l'emploi".»[105] Donc après
avoir été jeté (à l'égal
d'un rasoir ou d’un mouchoir), après avoir servi, l'individu a la
garantie de
la possibilité de pouvoir à nouveau être employé, et donc d'être
reconnu. Il
n'existe plus que sur le mode du possible et le possible devient un
support
d’incertitude[106].
Celle-ci transparaît
clairement dans le discours de plus en plus fréquent au sujet de "la
sécurisation du parcours professionnel" qui s’avère comme
l’organisation
d’une insécurité permanente qui envahit tout le champ de vie de
l’individu et
tout particulièrement sa psyché. Or c’est pour échapper à l’insécurité
qu’hommes
et femmes se lancèrent dans une dynamique de sortie de la nature et
dans
l’édification d’un monde artificiel qui s’achève de nos jours.
La réalité du
mécanisme infernal se
manifeste dans le fait que tout le monde est un employé, en fait un
employable,
l’homme est posé, je le répète simultanément sujet et objet,
(objectalisation),
comme l’a perçu G. Anders, au service de la société-communauté, du
conglomérat
d'entreprises luttant pour la contrôler, l'organiser, c'est-à-dire
gérer sa
dissolution. À noter que ce nom est le passif du verbe employer ce qui
signifie
bien la dépendance, l'assujettissement
avec la possibilité de pouvoir à nouveau être employé et
donc être
reconnu. Il n'existe plus que sur le mode du possible. Précisons:
l’individu ne
fait pas, mais il est employé à faire, à effectuer, en quelque domaine
que ce
soit. Demeure la division employeurs employés mais ceux là aussi sont
en fait employés,
employables. Toutefois leur réalité d’être employés est masquée dans
l’immédiat
du fait même qu’ils emploient, et par les recouvrements qui leur sont
offerts.
Ils doivent jouer à l’employeur pour ne pas percevoir leur passivité
réelle car
ils sont mus par le mécanisme infernal. Plus leur obsolescence en tant
qu’employeurs
se vérifie, plus ils essaient de masquer, qu’il s’agisse de chefs
d’État, de
dirigeants d’institutions financières, de congrégations religieuses, de
stars
du sport ou du spectacle et cela débouche dans l’accroissement de la
violence
et de la confusion. En termes anciens cela peut
s'exprimer ainsi: l'aliénation est généralisée et concerne l'ensemble des
hommes et des femmes. Nous avons été amenés, naguère, à une telle conclusion, déjà
présente dans La
Sainte Famille de K.
Marx et F. Engels, nous conduisant à théoriser, momentanément, la classe universelle
– comme ces derniers y avaient été eux-mêmes conduits. Mais le fondement de
l'aliénation, la spéciose-ontose, n'avait pas encore été dévoilé: le mécanisme
infernal découlant de la dynamique de sortie de la nature et de la répression.
Il serait
intéressant de percevoir le
"contrat psychologique" entre employeurs et qui les emploie, en
définitive, selon moi, le mécanisme infernal. Il est important de noter
que
tout le monde est réprimé mais cela s'opère à l'échelle sociale grâce à
la
division répresseurs (bourreaux) réprimés (victimes), ce qui fait qu'un
certain
nombre d'individus pensent échapper à la répression comme à
l'employabilité car
ils se trouvent au sommet de la hiérarchie qui commande la dépendance.
Mais en
définitive être employé c’est
être consommé par l’organisme social, par la "mégamachine", tandis
qu’être désemployé (ne plus avoir d’emploi), équivalant à mis hors
service,
devenir obsolescent, c’est être éjecté de la consommation. De là: être
reconnu
c’est être consommé, ne pas l’être c’est être rejeté comme un déchet.
Cette
mise au rebut va au-delà de la dépression et de la déréliction. Cela
montre à
quel point l’acte de consommation du produit, porteur d’une marque
donnée, est
devenu essentiel. On peut généraliser. Étant donné que pour produire
l’espèce
consomme ce que produit la terre, ce qui a été engendré au cours de
millions
d’années, toute son activité apparaît comme une immense prédation, sans
aucune
compensation, conduisant à l’épuisement de la terre, contenu de la
catastrophe
en cours. En outre être consommé tout en consommant devient un acte de
production des rapports fondamentaux de la société communauté en voie
de
dissolution et de reproduction du mécanisme infernal.
Enfin de nos
jours l’emploi devient une
forme d‘assistanat.
Consommer c’est
recouvrir, d’où
l’extraordinaire importance de divers gadgets tant matériels
qu’immatériels.
Gadgets qui sont des supports pour exprimer les "excroissances"
individuelles, les insatisfactions, les projections.
Naomi Klein
montre que pour lutter
contre les marques, les partisans du non logo recourent en fait à une
dynamique
similaire à celle des adeptes du marketing. C’est une énième preuve
qu’il faut
sortir effectivement de ce monde.
En reprenant la
thématique de la fin
de l’histoire nous pouvons dire qu’elle ne s’impose pas quand tout le
monde
serait reconnu, mais quand tout le monde serait asservi[107],
et
percevrait à des degrés divers son asservissement, euphémisme de
servitude. Or
tout le monde tend à réaliser qu’il est au service de, ou sous la
dépendance de
quelque chose qui le dépasse et cela, j’insiste, est vrai pour qui que
ce soit
dans la société-communauté. En conséquence, pour s’en sortir il va
falloir
faire le front commun, d’où la théorisation de la démocratie
participative,
mais en conservant les rôles de dominants et de dominés. Et cela est
clairement
exprimé dans le concept de gouvernance qu’on
peut définir comme gestion de la
servitude: en gérant les désastres (causant la déréliction, une forme
de mise en
servitude) et, à cette fin les créer. Affirmer cela n’implique pas
l’acceptation d’une théorie du complot car les choses se font
ouvertement. Tout
complot se révèle inutile. La gouvernance est présentée par certains
comme la
fin de la politique, l’affaiblissement de l’État, nécessitant ainsi la
gestion
de la servitude généralisée. Il est lui-même asservi par des instances
supérieures,
comme les agences de notation.
Le même contenu
peut être exprimé en
disant que la fin de l’histoire a lieu quand tout le monde est
employable car
être employé implique l’asservissement et la mise en insécurité qu’on
peut
considérer comme une sécurité constamment menacée. Dés lors nous
pouvons à nouveau
libeller notre
affirmation sur la fin de
l’histoire en disant qu’elle s’impose quand tout le monde est menacé et
que pointe
le risque d’extinction et la perte d’assurance accroissant la
dépendance. Pour
échapper à la menace et donc à la dépendance s’opère un lancement dans
un devenir
toujours plus artificiel, avec à la base ce qui est possible doit se
faire (G.
Anders). Le possible n’est plus vécu comme élément de la plénitude du
phénomène
vie, ou du cosmos, comme support d’une jouissance intense, expression
d’une
imagination de la nature dont celle de l’espèce est une confirmation.
L’obsolescence
de l’Homme que nous
avons amplement illustrée, est en connexion totale avec sa superfluité.
L’une
et l’autre désignent en fait un seul et même phénomène. La seconde
constitue un
des leitmotivs du livre d’Hannah Arendt, Les origines du
totalitarisme
(Ed. Quarto/Gallimard, 2002). "La tentative totalitaire de rendre les
hommes
superflus reflète l’expérience que font les masses modernes de leur
superfluité
sur une terre surpeuplée. Le monde du mourir, où l’on enseigne aux
hommes
qu’ils sont superflus (…)". Pp. 808-809. Un autre leitmotiv est la
loneliness
que je traduis par déréliction au lieu de désolation. «La solitude peut
devenir
déréliction; cela se produit lorsque, tout à moi-même, mon propre moi
m’abandonne. Les hommes solitaires ont toujours été en danger de tomber
dans la
déréliction, quand ils ne trouvent plus la grâce rédemptrice de
l’amitié pour
les sauver de la dualité, de l’équivoque et du doute». p. 835
Dit autrement,
l’état d’insécurité
permanente, la guerre de tous contre tous, la nécessité de l’ennemi,
l’insatisfaction, la perception d’un inachèvement du fait même d’être
bloqué,
enfermé, tout cela nous
conduit à poser
qu’en définitive on retrouve la situation initiale, celle avant la mise
en
place de tous les recouvrements nécessaires à masquer, escamoter, la
déréliction.
Avant de
poursuivre signalons la
position de G. Anders qui met en rapport le fait d’être employé et
celui de
consommer ce qui renforce encore l’idée de dépendance avec une
dimension
d’addiction. «Tout le monde est d’une certaine manière occupé et
employé comme travailleur
à domicile. Un travailleur à domicile d’un genre pourtant
très particulier.
Car c’est en consommant la marchandise de masse – c’est-à-dire grâce à
ses loisirs
– qu’il accomplit sa tâche qui consiste à se transformer en
homme de masse»[108].
Grâce à la consommation, en définitive, il n’y a plus de réelle
différence
entre loisir et travail, en même temps la signification profonde de ce
dernier
apparaît nettement en rapport avec la répression: l’activité qui
transforme
l’homme, la femme, en être domestiqué, et le domus ne se réduit pas au
domicile
dont parle G. Anders, c’est toute la société. Or l’être domestiqué est
un être
assisté.
L’assistanat
généralisé présuppose
des prothèses et donc un développement énorme de la technique ce qui
induit
l'obsolescence de l'Homme. Cela permet aussi grâce à la combinatoire
des
éléments résultant de la fragmentation, sur des milliers d'années, de
l'antique
communauté, la reformation mystifiée de celle-ci, qui ne peut avoir
aucune
stabilité, car toujours remise en cause, elle est fluide et sa réalité
s’échappe constamment, se défait continuellement. En effet la fin de
l’histoire
ne se réalise pas seulement quand tout le monde est assisté mais
surtout quand,
de façon mystifiée, tend à se rétablir
la communauté originelle qui caractérisa Homo sapiens lors de son
émergence du
sein du phénomène vie. Nous avons déjà maintes fois indiqué que, du
fait de la
prématuration du bébé humain la forme communautaire des relations entre
les
composants de l’espèce avait une importance primordiale, fondatrice,
une forme
où la continuité est en quelque sorte substance de celle-ci. La
mystification
ne put être réalisée qu’à l’aide d’un développement énorme de la
technique pour
mettre au point les diverses prothèses. En outre nous assistons à
l’affirmation,
au sein d’un monde discontinu, de multiples mises en continuité,
expressions à
la fois de la dissolution de la société communauté en place et de
l’émergence
possible d’un autre
mode de vivre, mais
aussi supports d’une grande confusion.
Pour conclure il
convient de noter le
fondement irrationnel de cette thématique de la fin de l’histoire,
considérée
comme le récit d’un devenir qui va enfin poser l’homme, le faire
accéder à un
autre mode de vie. Or lorsqu’on veut indiquer qu’un phénomène est
révolu et ne
semble plus avoir un rapport avec le monde actuel, on dit qu’il est
historique;
il fut opérant mais il ne l’est plus. Ainsi du mouvement prolétarien
qui
disparaît au cours de la période 1950-1980. Évoquer cette période c’est
se
mettre en rapport avec un monde qui nous apparaît étranger. La
perspective de
la révolution et celle de l’accès au communisme se sont évanouies.
Selon K.
Marx nous sommes restés dans la préhistoire. Ainsi soit l’histoire se
finit,
soit elle n’a pas commencé. Toutefois dans le cas de ce dernier il
s’agissait
d’une histoire consciente. Or l’on peut dire que toute histoire est
consciente
en ce sens que les historiens qui la produisent le font consciemment
même si
des données inconscientes peuvent être à la base du discours
historique, ce qui
ne l’est pas c’est l’activité des hommes donnant lieu à des événements
dont le
récit, ne serait-ce qu’en tant que recueils de tous les souvenirs de ce
qui
fut, constitue l’histoire.
Mais il n’y a
plus de problème du
sens de l’histoire et de sa fin puisque ce sont les agents du marketing
qui
créent le sens, le donnent, et substituent un récit à l’histoire.
Toutefois la
peur de la fin du monde persiste et coexiste avec sa conjuration par le
marketing
Dés lors on vit
un irrationnel,
élément fondamental de la répression: l’imposition d’un sens.
Toutefois une
dynamique de la fin est
bien présente au cœur de ce monde: fin de la nature, de la sortie de
celle-ci,
du recouvrement, du mouvement économique, du patriarcat, de l’espèce,
et
escamotage de la répression parentale,
comme de celle sociale
On s’achemine
vers la fin de la
dialectique maître esclave avec "l’autodomestication" et le
rejouement: l’espèce pensait avoir échappé au "maître", à la nature,
à dieu, mais c’est le mécanisme infernal dont elle est la
"productrice" qui opère en tant que "maître" qui a besoin
de ses esclaves pour perdurer. En même temps on a le maintien d’une
certaine irrationalité
à laquelle l’espèce ne semble pas pouvoir échapper en notant que la
nature,
dieu, comme le destin ou la fatalité ont pu être les supports de ce
mécanisme
Le discours et
la pratique du
marketing signalent la fin du débat sur la prévalence entre le geste et la
parole, entre l’activité et la représentation, ainsi que l’évanescence
de la discordance
entre ce qui est affirmé et ce qui est vécu (théorie et pratique), du
fait que
c’est le récit qui apparaît désormais déterminant. Et cela a un
fondement dans
l’autonomisation de la forme et le devenir à la virtualité. Ainsi c’est
la
représentation, la monnaie, qui peut s’apparenter à un immense récit,
qui
prédomine à l’heure actuelle et non l’activité des hommes, des femmes,
le
travail comme l’exposait K. Marx dans Le Capital.
On pourrait dire qu’il
a produit un récit conjurateur d’un devenir qu’il refusait: celui de
l’irrationalité et de l’élimination des hommes et des femmes. On
comprend
l’importance actuelle de la monnaie conçue comme phénomène originel et
pérenne,
et cela peut être en rapport aussi avec le fait que si la monnaie se
présente
comme l’analogon de la confiance, elle opère en même temps comme
support
d’expression de la violence et de l’inimitié, car la continuité qu’elle
offre
est artificielle et génératrice de discontinuité. S’il possède de la
monnaie
l’individu est en continuité avec ce monde, sinon il en est séparé.
La lecture
conjointe de No Logo
de Naomi Klein et d'un numéro de Science et Avenir consacré à Qu'est-ce
que
l'Homme? comportant la réponse de cent scientifiques traitant
du propre de
l'homme[109]
(et je trouve que ces
trois mots composent un syngtame typiquement stirnérien), m’a conduit à
la
conclusion suivante: Homo sapiens est en réalité Homo logo, celui qui
est
homologué et qui se pense ainsi, inaltérable, non périssable, car non
"démodable", (suranné, dépassé), éminemment repérable. Ceci dans la
dynamique positive, mais il existe aussi une dynamique négative en
rapport à la
haine de soi de l’espèce, le logo exprime alors cette négativité. Dans
les deux
cas il sert de support pour un accès.
Homo logo dérive
aussi de Homo logos,
car le logos est la parole explicative et justificatrice; celle qui est
le
mieux à même d’exprimer le discernement, la séparation, de cataloguer,
de classifier,
activités prémices à celle de collectionner[110].
Homo logo s’adonne à une logomachie grâce à la parole, au dire
fondateur de
récits produits, réalisés à l’aide de divers supports. Il tend, de
façons multiples,
à fonder et à justifier son être logo[111].
Il serait
intéressant d’analyser la
contribution de chaque scientifique, cela nous permettrait de mettre en
évidence divers aspects de l’ontose. Je me limiterai à quatre
contributions en
rapport aux thèmes que nous traitons.
Eric Boëda
considère l’Homme «Un
inventeur qui fait sans cesse évoluer ses
inventions», et il affirme «L’un des paradoxes de l’espèce humaine est
sa
capacité à créer des objets qu’elle va employer à rendre obsolètes». Ce qui implique que
l’innovation entraîne l’obsolescence,
support possible pour signaler l’inanité de l’action. Or, il affirme:
«les
lignées d’objets se succèdent dans le temps, chaque nouvelle lignée répondant à un besoin
sociétal que la
précédente ne permettait pas de satisfaire. Il s’agit d’un phénomène
cyclique.
Ce cycle d’évolution est indépendant de l’Homme, mais ce dernier
l’accompagne
et lui donne son sens historique. Et c’est ce paradoxe qui définit
l’Homme». Ce
qui s’impose donc c’est une forme du mécanisme infernal auquel l’Homme,
pour se
fonder, donne un sens, ce qui est la même problématique qu’avec
l’histoire. Il
expose d’une certaine façon l’objectalisation. «Qu’est-ce que cela nous
dit de
l’Inventeur? (…) Il est cyclique. Il fait évoluer les objets par son
instabilité (que je ne peux expliquer), les manipule sans cesse et les
amène au
changement». Ce serait l’instabilité qui, je pense, est psychique, qui
cause la
dépendance de l’Homme vis-à-vis des objets. Or cette instabilité est
une
composante de la schizophrénie. L’importance déterminante des objets
transparaît lumineusement dans la conclusion de l’article: «Car, selon
moi, les
artéfacts (outils préhistoriques, n.d.r) ne sont pas morts». L’auteur
veut-il
dire que c’est grâce aux objets que l’espèce pourrait compenser son
instabilité, mais elle rejoue du fait qu’elle les rend obsolètes.
En conclusion de
sa contribution,
Jean Guilaine déclare: «Dans un improbable sursaut de survie, ce
prisonnier de
ses propres dérives saura-t-il retrouver le chemin de la sagesse, en un
mot
redevenir sapiens?». Ce qui pose la constatation
d’une errance et la
nécessité d’un redémarrage à zéro. C’est analogue à ce que proposent
certains
défenseurs du capitalisme qui considèrent que celui-ci s’est dévoyé et
qu’il
faut revenir à sa pureté originelle. Mais c’est dans la dynamique même
du sapiens
comme dans celle du capital que réside le dévoiement. Ajoutons que le
logo ici
serait la dérive.
Pour
Jean-Gabriel Ganascia: «La
question aujourd’hui porte non sur l’assimilation de l’Homme à une
machine,
mais sur la nature de cette machine.» Ici l’objectalisation est
achevée. Cela
nous rappelle l’affirmation d’Alain Turing selon laquelle la machine
peut
penser. Et j’ai ressenti, en fonction des données de sa biographie,
qu’il fut
traité en fait comme une machine et que le meilleur moyen de survivre à
la non
reconnaissance de son être, était d’assumer ce statut de machine mais
en
affirmant sa qualité d’homme, qui lui est refusée, la pensée car c’est
grâce à
elle qu’il put assurer une telle autonomisation mécanique.
Les citations
qui suivent, de Daniel
Kaplan illustrent l’instabilité et l’insécurité de l’espèce.
«Mais dans les
années à venir, deux
questions ontologiques se poseront d’une manière impérieuse qu’il
faudra bien
leur donner, ensemble, des réponses opératoires. La première concerne
l’Humanité, le destin commun des Hommes; la seconde, les frontières de
l’humain.[112]»
«Il faudra dire
où commence et où
s’arrête l’Homme».
On retrouve
constamment le problème
des limites supports des crises de la présence. En outre, d’une
certaine façon,
l’affirmation (despotique) a depuis très longtemps été faite. Ce fut le
rôle de
l’État que de définir l’Homme.
«Tout cela est,
précisément, humain:
tant que nous resterons capables d’en débattre (des limites de l’homme,
n.d.r) dans
la plus grande confusion, nous saurons, sans forcément comprendre
pourquoi, que
nous sommes des hommes».[113]
En conclusion le
logo, ici, est
l’incertitude. Pour G. Anders il serait l’artifice: «L’artifice est la
nature
de l’homme»[114]
L’inacceptation
de la nature, en tant
que telle, a conduit l’espèce à la transformer et à se poser en tant
qu’architecte
paysagiste (comme Le Nôtre au XVII°), pendant inévitable du chirurgien
esthétique en rapport au corps de l’individu, à sa donnée naturelle.
L’espèce s’isole
du reste de la
nature, mais elle a peur d’être réabsorbée, d’être assimilée par elle,
menace
toujours présente. Pour inhiber ce phénomène, elle a recours au
despotisme –
rejoué au sein des diverses nations, de façon plus ou moins intenses et
à
divers moments historiques – qui s’exprime fort bien, tant au sein de
son procès
de connaissance qu’au coeur de sa pratique. En conséquence, spontanéité
et
naturalité forment des supports pour revivre cette menace. L’autorité
s’impose
pour maintenir la séparation et faire obstacle à la spontanéité.
La soif d'être
reconnu en
définitive par le reste de la nature pousse donc
Homo sapiens à se transformer en logo, à
se publiciser, à laisser une empreinte partout dans la nature qu'il
réduit à un
support pour sa marque (son empreinte), son logo (dynamique du
branding). Et,
comme cela n'est pas suffisant - sinon il serait satisfait - il tente
d'aller
faire la même chose sur d'autres corps célestes. C'est la conquête
chimérique
de l'espace grâce au marketing. Ce désir effréné de reconnaissance est
peut-être en rapport avec le sentiment d’avoir été, à l’origine, comme
refusé,
nié.
L’espèce a
d’autant plus besoin d’un
logo qu’elle subit une grande obsolescence (ainsi elle est trop lente
pour les
processus auxquels elle s’intègre), une dissolution, une liquéfaction.
Il n'y a
plus de contenu, seulement une forme déterminée non par un contenu
puisqu'il
n'y en a plus, mais par le support sur lequel ça s'écoule. Jusqu'au bout
elle se
fait porter. Ce qui confirme bien que la non reconnaissance prive
l'individu de
sa forme. Elle conjure tout cela grâce au discours relevant du
marketing
concernant la durabilité.
La
reconnaissance au niveau de
l’espèce à travers le propre de l’Homme, posant Homo logo, ce qui le
rassure sur
son existence, complète le thème souvent débattu de la condition
humaine. En
outre le logo peut servir comme un principe de stigmatisation:
condamnation de
celui ou de celle qui ne correspond pas au logo. Il remplace l’État qui
définissait l’Homme. Cela lui permet de camoufler également le problème
de
l’origine qui le tenaille. Grâce au logo, l’espèce accède à une
certaine
certitude. Ici encore, l’objet est un vecteur pour atteindre ce qui a
été
perdu.
Mais rien n’est
résolu. La nature
détruite en tant que tout, subsiste par lambeaux, il n’y a plus
d’ennemi. Par
qui peut-il être reconnu? Il doit donc déplacer sa recherche de
reconnaissance vers
le cosmos, au moins la portion la plus accessible, repérable. Mais
surgit une difficulté
car ici, à la différence d’avec la nature, il y a une certaine
hétérogénéité.
Or pour être reconnu, l’autre doit avoir quelque chose en commun. Dés
lors ne
reste que la virtualité et, devenant virtuel, se faire reconnaître par
des
ersatz
En outre, par
suite de la nécessité d’une
libération[115]
le plus souvent non
perçue consciemment, il s’effectue une régression, au sens de retour à
un état
antérieur, initial, afin de revivre les traumatismes fondateurs, vers
la
communauté, vers la mise en place du langage, celle de la sexualité,
etc. qui
vient interférer avec les données supra indiquées, et obscurcir le
devenir
actuel.
La régression
s’exprime non seulement
avec la formation d’une novlangue[116]
mais avec la
remise en cause de l’écriture et de la lecture et même du langage
verbal avec
l’hyperdéveloppement des icônes, et par les pratiques permises par le
téléphone
portable avec la langue abrégée, presque réduite à des onomatopées des
SMS
(Short message Service) ou textos. Le téléphone portable est l’objet
polytechnique par excellence qui permet l’accès à tout, pouvant
suggérer une
toute puissance à cause de la vaste possibilité de recouvrement qu’il
offre, mais
qui n’abolit pas l’isolement de l’individu qui demeure séparé. C’est le
gadget
qui permet de supporter l’isolement, la solitude. Il exprime le
triomphe de la
manipulation nécessaire à des êtres manipulés, conditionnés. Une espèce
de
prêt-à-porter de la survie.
G. Anders a
abordé ce phénomène dés
1956: «Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer
la
journée sous l’égide de ces apparences d’amis: car ensuite, même si
l’occasion
se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous
préférerons rester en compagnie de nos portable chums
nos copains
portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz
d’hommes mais
comme nos véritables amis»[117]
La
tendance à rendre tout portable, supportable, ne pouvait pas ne pas
s’amplifier. Une autre longue citation vient confirmer ce qui précède.
G.
Anders indique les conséquences qui découlent du fait qu’avec la radio
et la
télévision ce n’est plus nous qui allons au monde mais que c’est lui
qui vient
à nous.
«1. Quand c'est
le monde qui vient à
nous et non l'inverse, nous ne sommes plus «au monde», nous nous
comportons
comme les habitants d'un pays de cocagne qui consomment leur monde.
2. Quand il
vient à nous, mais
seulement en tant qu'image, il est à la fois présent et absent,
c'est-à-dire
fantomatique,
3. Quand nous le
convoquons à tout
moment (nous ne. pouvons certes pas disposer de
lui mais nous
pouvons l'allumer et l'éteindre), nous détenons une puissance divine.
4. Quand le
monde s'adresse à nous
sans que nous puissions nous adresser à lui, nous sommes condamnés au
silence,
condamnés à la servitude.
5. Quand il nous
est seulement
perceptible et que nous ne pouvons pas agir sur lui, nous sommes
transformés en,
espions et en voyeurs.
6. Quand un
événement ayant eu lieu à
un endroit précis est retransmis et peut être expédié n'importe où sous
forme
d'«émission», il est alors transformé en une marchandise mobile et
presque
omniprésente: l'espace dans lequel il advient n'est plus son « principe
d'individuation ».
7. Quand il est
mobile et apparaît en
un nombre virtuellement illimité d'exemplaires, il appartient alors, en
tant
qu'objet, aux produits de série. Il faut payer pour recevoir ce produit
de
série: c'est bien la preuve que l'événement est une marchandise.
8. Quand il n'a
d'importance sociale
que sous forme de reproduction, c'est-à-dire en tant qu'image, la
différence
entre être et paraître, entre réalité et image, est abolie.
9. Quand
l’événement sous forme de
reproduction prend socialement le pas sur sa forme originale,
l'original doit
alors se conformer aux exigences de la reproduction et l'événement
devenir la
simple matrice de sa reproduction.
10. Quand
l'expérience dominante du
monde se nourrit de pareils produits de série, on peut tirer un trait
sur le
concept de «monde» (pour autant que l'on entende encore par «monde»
ce dans
quoi nous sommes). On perd le monde, et les émissions font
alors de l'homme
un "idéaliste".»[118]
Ainsi, ici, le
monde, surtout
envisagé en tant qu’ensemble d’évènements devient une sorte de
recouvrement,
celui qui conserve, qui fonde une occultation, qui va s’accroître
démesurément
grâce au développement de l’innovation, ce qui implique une plus grande
répression, toujours invisible, de ce dont on s’est séparé, dont on se
sépare.
On ne nous propose plus des projets. Ils nous sont apportés et nous
devons
travailler avec pour nous adapter à la dynamique du projet global mis
en place.
La fuite en avant n’existe plus puisque le futur vient à nous. Le temps
en tant
que prison se parachève, de même que le devient le monde recouvrant. La
répression escamotée, occultée par le discours scientifique, se trouve
en fait
accrue. Elle devient de plus en plus impersonnelle du fait de
l’insuffisance de
la répression parentale à cause de l’obsolescence des rôles, des
fonctions et,
plus en profondeur, de celle des hommes et des femmes. Il n’existe
aucune
science d’où l’on pourrait tirer une thérapie pour résoudre les
immenses
difficultés de l’espèce. Car en tant que produit de la séparation, elle
ne peut
pas effacer la discontinuité espèce nature ni les discontiuités en son sein.
C’est la langue
de l’économie qui exprime
le mieux la psyché de l’être spécio-ontosé: insatisfaction, démesure,
dépression, manie, culpabilité etc., et c’est à travers l’activité
économique nécessitant
un énorme développement de la technique, que l’espèce a en grande
partie
cherché à résoudre ses problèmes. Mais celle-ci n’a fait que contribuer
à les
accroître et à provoquer une brisure paléonto-géologique fondant ce que
d’aucuns nomment anthropocène, en rapport à la destruction des espèces,
des
sols, à la remise en cause d’un phénomène constitutif d’une très grande
partie
du monde vivant: la sexualité.
À ce propos
s’impose à nous la
nécessité de préciser que la sexualité comme la technique ne sont pas
les
agents initiaux des troubles, de la pathologie de l’espèce. Ils lui
sont des
supports pour exprimer sa spéciose produite et se révélant au cours de
l’errance. En conséquence nous sommes en profond désaccord avec S Freud
posant
la sexualité comme la fonction perturbatrice par excellence ainsi
qu’avec sa
théorisation au sujet d’une sexualité infantile qu’il a mise eu point
pour
étayer sa conception de la sexualité et de son rôle dans les
pathologies
psychiques, et dans la vie "normale" des hommes et des femmes[119]
Il
en est de même avec G. Anders, ainsi que bon nombre de théoriciens
considérant
la technique comme incarnation du mal logé en l’espèce, mal qu’elle
subit et
mal qu’elle inflige. La technique est nécessaire pour la réalisation de
la
spéciose, adaptation de l’espèce à la dynamique de séparation de la
nature.
D’un point de
vue psychique
l’activité économique vise à recouvrir et à dévoiler, c’est-à-dire à
essayer de
trouver quelque chose de caché par exemple au sein du phénomène de la
dette ou
au sein de la production, avec le phénomène de l’exploitation et la
production
de plus-valeur.
Revenons à notre
thème principal.
Nous avons vu
que ne pas être reconnu
équivaut pour l'individu à être inachevé, sans forme, indistinct. D'où
d'une part,
l'insatisfaction, l'inassouvissement, l'insatiabilité, le mépris et la
haine de
soi, mais aussi la colère et la violence et surtout la honte, d'autre
part la
volonté de se parfaire, de s'achever, de se modifier, d'aller au-delà de
soi, de
s'échapper dans la transcendance et finalement de se fonder hors
espèce, hors
nature, ce qui implique aussi la violence, la destruction créatrice[120].
Ceci
vaut également pour l’espèce.
Il est possible
que la lutte - le
conflit - ait été constamment présente depuis le début avec la tendance
à la
domination, à la mise en esclavage, mais en même temps s’est affirmé au
sein de
l’espèce le désir d’un autre mode de vie
comme les récits sur l’âge d’or, ceux de divers poètes ou philosophes
ou tout
simplement d’hommes et de femmes, tentant de dévoiler un mode de vie en
harmonie avec la nature. Il n’est pas possible de
simplement considérer
les horreurs commises comme relevant d’une condition humaine, du
tragique de
l’espèce, et que la guerre
est
constitutive de son comportement.
En conséquence
s’impose à nous en
premier lieu par rapport à tout le courant porteur de ce désir, courant
se
finissant en ce qui nous concerne avec la Gauche italienne et les
formations
qui la précédèrent, de nous ouvrir aux insuffisances, inconséquences,
contradictions, incluses au sein des œuvres de ceux qui au cours des
siècles se
trouvèrent dans ce courant, non pour condamner, nous lamenter ou
sombrer dans
la haine de soi pour y avoir participé nous-mêmes, mais pour ne pas
rejouer,
réitérer cela et pouvoir effectuer une inversion effective. En second
lieu,
bien que cela puisse se faire simultanément, nous devons opérer de même
vis-à-vis
de ceux qui au cours de l’errance humaine ont défendu l’ordre en place,
en
exerçant une domination, expression plus ou moins exacerbée de la
répression
sociale, en effectuant des massacres et toutes sortes d’horreurs. Car
manipuler
celle-ci leur donnait la possibilité de ne pas percevoir la répression
parentale subie et donc la souffrance infligée à leur être originel.
Opérer
autrement c’est nier celui-ci et donc une dimension de l’espèce, et
c’est les
conforter dans la dynamique de l’inimitié et dans celle de réprimer
pour le
bien de ceux qu’ils assujettissent de diverses façons. En outre,
actuellement, c’est
ne pas se rendre compte pleinement du mécanisme infernal qui, de façon
de plus
en plus évidente, les assujettit eux aussi.
S’il faut
s’ouvrir aux insuffisances,
inconséquences, contradictions, des hommes et des femmes qui nous
précédèrent,
il convient aussi de s’occuper de leur vécu réel escamoté par
l’histoire
officielle qui ne s’occupe que des dominants, à tel point que les
opprimés
semblent n’avoir en rien contribué au devenir humain. À cette dynamique
Carlo
Ginzburg apporte une puissante contribution. Dans Le fromage
et les vers,
il met en évidence une connaissance paysanne
millénaire, irréductible au
christianisme prouvant que la culture dominante domina certes, mais ne
mit pas
obligatoirement les dominés dans une dépendance cognitive. «Avec une
terminologie imprégnée de christianisme, de matérialisme élémentaire,
instinctif, de générations et de générations de paysans». La
connaissance
s’impose de façon spontanée et autochtone et subit un gauchissement à
cause du
milieu dominé par la répression qui tend à rendre invisible, comme on
peut le
déduire de la belle citation de Louis Ferdinand Céline, faite par
l’auteur, en
exergue du premier chapitre de son livre «Tout ce qui est intéressant
se passe
dans l’ombre. On ne sait rien de la véritable histoire des hommes».
Citons
encore: «Il y aurait donc dichotomie culturelle, mais aussi échanges
circulaires et influences réciproques, particulièrement intenses dans
la
première moitié du XV° siècle, entre culture subalterne et culture
hégémonique». [121]
À mon avis, il en fut
toujours ainsi, à la suite d’un entre lacs de détournements réciproques
inconscients, et de récupérations de la part des dominants.
J’ajoute en ce
qui concerne les
contradictions, particulièrement entre la théorie et la pratique que,
tant sur
le plan individuel que collectif, on veut déjouer et ne pas faire comme
les
autres, mais la dynamique du mécanisme infernal, conduit, plus ou moins
insidieusement, à faire le contraire de ce qu’on a affirmé. De ce fait
on ne
peut pas seulement s’occuper des actions, mais on doit tenir compte
aussi des
intentions affirmées dans les discours, sinon la perception et la mise
en
évidence de ce mécanisme s’avéreront toujours impossibles. Aucune
inversion ne
pourra s’ébranler.
Je précise et
j’insiste: il est
absolument nécessaire de réaliser à quel point le parcours de vie de
Homo sapiens
est semé d’horreurs et que le courant qui tenta d’y échapper en fut
tout de
même affecté[122].
En effet les diverses
tentatives de libération, d’échapper au mécanisme infernal,
s’accompagnèrent du
rejouement du recours à la violence et ce furent des échecs et des
massacres.
D’où l’urgence de l’inversion dévoilement. Aucune alternative ne
s’impose
puisque l’extinction de l’espèce qui se profile est comme programmée
dans la
catastrophe en cours. Au sein du devenir de celle-ci s’imposent deux
comportements, un lié à l’impasse, perçue confusément, générant un
blocage et
une inchoation, l’autre est celui de s’adonner au développement à tout
prix
afin de sortir de la dépendance et s’affranchir de tout, à l’innovation
constante, au mouvement pour le mouvement qui permet de tout masquer,
en
particulier la stagnation de l’espèce. C’est pourquoi la conquête
spatiale est
vivement revendiquée, avec
comme
corollaire une forte augmentation de la population. «La terre est le
berceau de
l’humanité. Peut-on passer sa vie entière dans un berceau?[123]»
On
doit sortir de sa niche, se servir de la technique, de la science pour
conquérir d’autres espaces, pour pouvoir nier la catastrophe et
l’extinction
possible fondant l’obscurantisme scientifique. On peut même avancer
qu’il
s’agit de se servir de la science pour nier la pensée en tant
qu’expression de
la naturalité de l’espèce, rentrant en totale contradiction avec ce qui
fut
considéré comme sa dimension libératrice. En effet il y a tendance à se
servir
de la science pour mettre au point des techniques d’évasion qui sont
une forme
extrême de recouvrement dans la fuite, et pour nier les données
recouvertes
ainsi que la pensée qui en quelque sorte s’échappe d’elle.
Dit autrement le
blocage où l’espèce
est placée et résultant de l’évanescence des supports, se trouve
masqué,
scotomisé par la dynamique du mouvement pour le mouvement qui est un
essai
mystifié de retrouver la continuité – dont l’ersatz est
l’autonomisation de la
forme capital couplée avec l’explosion de la virtualité. Grâce au
numérique
tout devient virtuel. Virtualité et recouvrement sont liés. La
recomposition du
continuum s’opère grâce
au numérique
mais n’y a-t-il pas des discontinuités infinitésimales qui provoquent à
long
terme un mal être où l’individu ne peut pas se sentir en adéquation
avec le "continuum"
qu’on lui propose. La virtualité avec la numérisation rend peut-être possible d’influer à
distance sur le psychisme
des hommes, des femmes: guerre psychique et non plus seulement
psychologique.
La numérisation
relève d’une longue
histoire. On dit que c’est Archytras de Tarente, contemporain de
Platon, qui le
premier a considéré le "un" comme un nombre. Ce qui peut être
interprété en disant que l’individu était, dès lors, potentiellement
numérisé,
expression de son caractère discret, quantitatif du fait d’être séparé.
Pour le
devenir effectivement un long procès fut nécessaire. En effet le Un
dans son
ambiguïté d’être en même temps le tout, reflet d’une séparation non
encore
pleinement vécue, possédait une sorte de transcendance, et le rendait
difficilement réductible. Le phénomène de la valeur, puis celui du
capital, le
firent entrer dans l’immanence, comme le zéro, tous deux supports
fondamentaux
pour, maintenant, exprimer l’information.
Pour l’homme
réduit, la femme
réduite, à une entité, toutes sortes de prothèses assureront le procès
de vie,
sans qu’il, qu’elle, ait la peine de vivre; il, elle, ne sera qu’un
support. Ce
seront des êtres formels exprimant la virtualité et la garantissant
étant en
adéquation avec le continuum virtuel. Le virtuel comme le plastique
tend à tout
remplacer, à tout recouvrir. Par sa plasticité constitutive du fait
qu’il
résulte d’un nombre infini d’éléments discontinus pouvant jouer les uns
par
rapport aux autres, il permet une grande flexibilité facilitant la
fluidité[124].
D’une certaine façon le monde virtuel est une expansion du monde
plastique. En
écrivant cela je tiens présente la dynamique de la spèciose qui a
besoin de
recouvrements et de substitutions.
Ainsi il nous
faut vivre le bout de l’impasse
en son actualité qui est en même temps la voie
royale à l’extinction, le
bout de l’errance, l’immense catastrophe où l’on se trouve, et
percevoir en
quoi consiste l’inversion nécessaire et le dévoilement, déceler des
signes de
ceux-ci dans le comportement des hommes et des femmes ici et maintenant.
La phrase de
Günther Anders, qui fait
allusion à la onzième thèse de K. Marx sur L. Feuerbach, que nous
allons
citer, exprime bien l’impasse en laquelle se trouvent ceux qui eurent
(ou ont)
partie liée avec le mouvement révolutionnaire qui se déploya à partir
de la
révolution française. «Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le
changeons
de toute façon. Il change même considérablement sans notre
intervention. Nous
devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son
tour. Afin
que le monde ne continue pas à changer sans nous. Et que nous ne nous
retrouvions pas à la fin dans un monde sans homme.»[125]
Tout d’abord des
questions au sujet
de cette citation. Le premier nous se réfère à qui,
à l’ensemble des
hommes? Le second nous est-il de même nature?
Qu’implique interpréter? G.
Anders nous propose en définitive un détournement car le changement du
monde
s’effectuera dans tous les cas selon une nécessité qui peut apparaître
comme
une fatalité mais qui est en fait celle du mécanisme infernal puisqu’il
nous
dit que nous le changeons dans tous les cas, ce qui implique une grande
dimension inconsciente qui est soulignée par l’indication qu’il change
en
grande partie sans nous ce qui est comme une paraphrase de ce qu’a
affirmé K.
Marx au sujet de l’activité inconsciente des hommes et des femmes. Le
détournement consistera en une interprétation qui change d’objet, non
plus le
monde mais son changement, dynamique que rejetait K. Marx. Le
détournement
relève en fait du rejouement. Ici, il s’imposera
de façon redoublée comme celui de la
dépendance. La menace qu’il fallait empêcher de se réaliser pourra dés
lors
s’exécuter: l’apparition d’un monde sans hommes, sans femmes. Enfin
interpréter
relève encore du récité, un récit herméneutique qui peut se résoudre en
un
récit de la conjuration.
Pour conclure
sur le thème de la
destruction de la nature et l’occultation toujours plus grande de la
naturalité
de tout un chacun, chacune, je me référerai à un texte de M. Eliade [126]
qui
concerne, dit synthétiquement, le rapport de la nostalgie, celle du
moment
d’avant la séparation, à l’utopie, la réunion des opposés, la fusion
des
contradictions. Ce texte est intéressant en lui-même mais aussi du fait
qu’il
fut écrit en 1958, avant le grand bouleversement du mouvement de Mai-Juin
1968 et
celui consécutif de la révolution innovatrice mettant en place le
mouvement
pour le mouvement permettant de tout escamoter.
Il date donc des
années au sein desquelles
se situe le moment déterminant très particulier dont nous avons parlé.
Il se
présente comme une phénoménologie de la spéciose. Il y est question de
traumatisme
originel, de menace, d’occultation de possibles, de dynamique des
contraires
(contradictions) dont les fondamentaux, bien et mal (le ce qui arrive
avec ses
affectations positive ou négative), séparation et déchirure.
"Qu'est-ce que
nous révèlent
tous ces mythes et ces symboles, tous ces rites et ces techniques
mystiques,
ces légendes et ces croyances impliquant plus ou moins clairement la coincidentia
oppositorum, la réunion des contraires, la totalisation des
fragments?
Avant tout, une profonde insatisfaction de l'homme de sa situation
actuelle, de
ce que l'on appelle la condition humaine. L'homme se sent déchiré et
séparé. Il
lui est difficile de se rendre toujours parfaitement compte de la
nature de
cette séparation, car parfois il se sent séparé de "quelque chose" de
puissant, de totalement autre que
lui-même; et d'autres fois il se
sent séparé d'un «état» indéfinissable, atemporel, dont il n'a aucun
souvenir
précis, mais dont il se souvient pourtant au plus profond de son être:
un état
primordial dont il jouissait avant le Temps,
avant l’histoire. Cette séparation
s'est constituée comme une
rupture, à la fois en lui-même et dans le Monde. C'était une «chute»,
pas
nécessairement dans le sens judéo-chrétien du terme, mais une chute
néanmoins
parce que se traduisant par une catastrophe fatale pour le genre humain
et à la
fois par un changement ontologique dans la structure du Monde. D'un
certain
point de vue, on peut dire que nombre de croyances impliquant., la coincidentia
oppositorum trahissent
la nostalgie d'un Paradis perdu; la nostalgie
d'un état paradoxal dans lequel les contraires coexistent
sans pour
autant s'affronter et où les multiplicités composent les aspects d'une
mystérieuse Unité."
"En fin de
compte, c'est le
désir de recouvrer cette Unité-perdue, qui a
contraint l'homme
à concevoir
les opposés comme les aspects complémentaires d'une réalité unique.
C'est à
partir de telles expériences existentielles, déclenchées par la
nécessité de
transcender les contraires, que se sont articulées les premières
spéculations
théologiques et philosophiques. Avant de devenir les concepts
philosophiques
par excellence, l'Un, l'Unité, la Totalité constituaient des nostalgies
qui se
révélaient dans les mythes et les croyances, et s'exhaussaient dans les
rites
et les techniques mystiques. Au niveau de la pensée présystématique, le
mystère
de la totalité traduit l'effort de l'homme pour accéder à une
perspective dans
laquelle les contraires s'annulent, l'Esprit du Mal se révèle
incitateur du
Bien, les Démons apparaissent comme l'aspect nocturne des Dieux. Le
fait que
ces thèmes et ces motifs archaïques survivent encore dans le folklore
et
surgissent continuellement dans les mondes onirique et imaginaire
prouve que le
mystère de la totalité
fait partie intégrante du drame humain. Il revient sous des
aspects
multiples et à tous les niveaux de la vie culturelle - aussi bien dans
la
théologie mystique et dans la philosophie que dans les mythologies et
les
folklores universels; dans les rêves et les fantaisies des modernes que
dans
les créations artistiques".
Mircea Eliade
envisage l’homme
actuel, comme celui d’époques très reculées et il constate qu’il est
insatisfait, ce qui le caractérise suis generis. Cette insatisfaction
semble
juxtaposée à la perception d’un déchirement et d’une séparation. Or
cette
dernière est en fait la cause profonde de l’insatisfaction. Il est
séparé de
quelque chose ce qui retentit en lui sous la forme d’un déchirement. La
difficulté à parvenir à une perception pleinement consciente est due à
une
culpabilité et au refoulement de celle-ci surtout de la souffrance qui
induisit
la nécessité de se séparer de la nature. Car c’est d’elle qu’il est
séparé,
qu’il s’est séparé. Elle est le support
du numineux surtout quand elle est posée en continuité avec la
surnature ce qui
n’est pas accessible avec les sens mais dont on intuitionne plus ou
moins
profondément la réalité. Le numineux comme l’a montré Rudolf Otto
fascine et
effraie, ce qui contribue encore à voiler la perception de ce en quoi
consiste
la séparation. Ce numineux provient en fait d’une coupure de
continuité entre
nature et surnature ce qui fonde son extériorité en même temps que sa
capacité
à engendrer l’attraction, l’aspiration qu’il exerce sur hommes et
femmes:
fascination et effroi. Il est le support de toute divinité ou entité
spirituelle. C’est par rapport à cet autre qu’il se pose et qu’il
aspire à
s’identifier, à imiter, à mimer. De nos jours, selon G. Anders, ce tout
autre
se perçoit dans la machine qu’il désire mimer, mais qui lui suscite une
honte
de ne pas être achevé, une forme aiguë d’insatisfaction, de
fascination,
d’effroi du fait de la perception de la menace de se perdre.
L’état primordial c’est celui
d’avant la séparation.
C’est celui qui correspond à la phase occultée, avant la déchéance du
passage
de l’éternité au temps, induisant en l’Homme la nécessité de dire ce
qui lui
advient en un récit apotropaïque, l’histoire. Deux moments donc
s’imposent
celui d’avant la mise en branle de la coupure, et celui où elle se
réalise
effectivement. Or celle-ci hormis des moments d’accélération du
phénomène se
produit presque insidieusement le rendant quasiment inconscient. Dés
lors ce
n’est qu’à la suite de certaines effectuations que cela devient
conscient et le
traumatisme de la séparation se réactualise. D’où les immenses crises
qui se
produisent lorsque s’avèrent des discontinuités plus ou moins profondes
jusqu’à
ce que, dans ce qui peut apparaître comme une volonté d’échapper au
temps, il
se fonde, se crée pour ainsi dire, grâce à l’innovation, en fonction du
futur,
puisque celui-ci, selon Saint Augustin, est à l’origine du temps. Ce
dont
l’homme se souvient c’est de son être originel puissamment recherché
par divers
hommes, diverses femmes, comme les gnostiques. Cette recherche est à la
base de
toutes les quêtes mystiques plus ou moins intégrées dans les diverses
religions. La mystique comporte attente (rapport au futur) et
transcendance qui,
à un moment donné, permet d’accéder à un immédiat, ce qui est visé, le
numen,
abolissant par la même la coupure entre nature et surnature.
La rupture en
l’homme et dans le
monde est revécue périodiquement à travers ce qu’Ernesto Demartino
nomme crise
de la présence qui se présente comme une immense dépression où tout
s’évanouit,
et dont on sort grâce à une sorte de création qui peut s’apparenter à
une
renaissance, et le tout à une maladie révélatrice.
Ce qui fut
occulté constitue le support
de la nostalgie, de ce qu’on n’atteint pas mais qui obsède. Nostalgie
de la
communauté et de la continuité entre hommes et femmes et avec la
nature. Mircea
Eliade parle d’Unité perdue alors que c’est l’union perdue. L’unité
évoque le
faire un, le devenir un, et donc l’exaltation du Un qui résulte en fait de
la
fusion (confusion) de l’Un (unité) et de la totalité, comme celle
ontosiquement
recherchée entre la mère, support de l’ensemble nature surnature, et
l’enfant
(l’homme, la femme en déréliction). Ce devenir de la perte a induit un
procès
de connaissance faisant intervenir la totalité (ou le Un), la
multiplicité et
l’unité, ce qui est une réduction. Dans un procès de connaissance qui
n’est
plus dominé par la séparation, la communauté (Gemeinwesen) englobe le
tout, permettant à la totalité, la multiplicité et l’unité de participer. Au
niveau
de l’espèce l’unité s'affirme désormais comme individualité-gemeinwesen.
En réalité il
faut comprendre comment
ce qui formait un tout, fut divisé et produisit des contraires, donc
comment
s’effectua un acquis qui se posa dés lors comme donnée naturelle. La
fondation
des sexes en est un exemple probant. L’élément unitaire fondamental de
l’espèce
est la dyade homme-femme, la séparation au sein des communautés va
introniser
la notion de sexe. L’homme et la femme sont séparés (substance du mot
sexe)
parce qu’ils différent du fait qu’ils n’ont pas un sexe identique. Nous
sommes
d’accord avec M. Eliade l’androgyne représente le fantasme de l’union
(et non de
l’unité) perdue. Il est une fusion de deux êtres et la fusion est
l’expression
de l’ontose, de la volonté de fuir la dépendance en s’annihilant dans
un tout.
Même dynamique pour toutes les contradictions. Sexe, est un mot
renfermant une
tautologie il désigne et entérine la séparation. Mais le mythe de
l’androgyne
exprime bien que la fonction du mythe n’est pas seulement de
réactualiser ce
qui fut in illo tempore comme le dit M. Eliade, mais d’intégrer tout
événement
ultérieur, comme le fit par
la suite tout récit
tel que l’histoire, qui
affecta fortement l’espèce comme ce fut le cas pour l’homosexualité se
manifestant d’une certaine façon comme une violation de l’interdit de
l’inceste, de la grande proximité, de même comme une sauvegarde de la
continuité, dés lors que l’individu ne peut plus accéder à l’"autre"
en tant que tel reconstituant artificiellement la dyade.
Le mythe,
réactualisation, grâce au
rite qui lui est constitutif, d’un événement in illo tempore, est
nécessaire
pour échapper à l’histoire comme les Guaranis utilisent la violence
pour
empêcher l’autonomisation du pouvoir. Cet échappement s’opère en
intégrant, en
absorbant le fait nouveau, en une sorte d’Aufhebung hégélienne, il y a
tentative d’enrayer, voire d’abolir l’histoire. Ce phénomène se
réactualise
même lorsque le mythe en tant que récit prédominant a disparu. En
définitive les
mythes à travers les rites réactualisent l’horreur initiale, le risque
d’extinction, et tendent à intégrer des conduites visant à échapper à
celle-ci.
Dés lors s’est imposée une grande contradiction et les rites ne purent
pas la
représenter. D’où leur évanescence puis leur disparition et la
transformation
du mythe en récit: fable, conte, épopées, poésie lyrique, romans, mais
aussi
histoire.
L’affirmation
d’un mythe appelle
irrésistiblement un rite qui l’actualise, au moins symboliquement,
provoquant
l’effectuation d’une contrainte imposant l’achèvement d’une gestalt.
Les récits
actuels, successeurs du
mythe, induisent en de vastes rejouements, des rites afin des les
concrétiser. Ainsi
au XVIII° siècle, moment d’une phase intense de séparation, le mythe de
la
nature induisit le "rite" du "retour" à celle-ci; celui du
bon sauvage le primitivisme. Il opéra également en tant que tentative
d’inclure
l’advenu ce qui cause l’ambiguïté de bien des récits prônant un retour
à la
nature, d’autant plus que très souvent celle-ci est un concept
permettant de
justifier l’advenue de la domination. De nos jours, le sport comme
l’art, sont
de tels "rites"devant mettre en évidence la nécessité du dépassement,
de la production d’un incrément, concrétisant le mythe du progrès,
mythe du
capital et de l’Homme capitalisé. La littérature, la philosophie
opèrent plutôt
en tant que récits mythes. Le théâtre comme le cinéma et la télévision
se
présentent comme intégration du récit et du rite et donc en tant que
mythes au
sens originel qui ne nous mettent plus en rapport avec une réalité
primordiale,
mais avec l’advenu qui tend à être transfiguré.
On peut dire
également que le désir
de l’union était celui de rétablir une continuité entre la réalité
actuelle et
celle irrémédiablement perdue, car devenue inaccessible. Ce désir
conduisit à
la mise en place de divers compromis se posant comme baumes à la
terrible
blessure de la coupure.
La confusion du
Un et du Tout fonde, en
réabsorbant les contraires, les contradictions surgies au cours de
l’errance, réalise
un tel compromis et opère comme un recouvrement qui escamote la
souffrance de
la coupure. Elle a opéré comme nous l’indique M. Eliade avec la
religion comme avec
la philosophie, l’art, mais elle se poursuit également grâce à la
science, de
même que persiste le mystère de la totalité, parfois aussi désignée
comme
réalité, alors qu’avec celle-ci, sous forme de cosmos, on est en
présence d’une
évidence, dés qu’on n’est plus dans la séparation,.
L’affirmation
selon laquelle le
"désir de recouvrer cette Unité-perdue", "contraint l'homme à concevoir
les opposés comme les aspects complémentaires d'une réalité unique",
escamote tout un devenir: c’est la séparation d’avec la nature, celle
au sein
de la communauté qui va fonder la dynamique de l’inimitié, et donc le
surgissement des contraires. Poser l’unité des contraires et donc
retrouver
l’union primordiale, l’unité perdue revient à escamoter toute la
dynamique du
conflit présente dans le devenir d’errance. L’ennemi est le support de
l’autre
et réciproquement. L’homme est à la recherche du "totalement
autre que lui-même" afin de pouvoir se confronter à
lui en une
dynamique que GWF. Hegel a décrite comme étant celle de la
reconnaissance. Pour
être reconnu il lui faut toujours trouver un ennemi puissant et s’il ne
le
trouve pas il l’invente. L’homme en tant que mâle a inventé la femme en
tant
qu’autre constitutif et constituant, et l’a posée en ennemie qu’on hait
et qu’on
aime (ce qui est le support de tout ennemi), lui permettant d’exalter
sa
virilité, propriété inventée, bien que fondée sur une donnée naturelle,
ce qui
conduisit, et cela persiste de nos jours, à l’exécution de toutes
sortes
d’horreurs. Or cette inimitié est pour ainsi dire une inimitié
recouvrante,
masquant celle fondamentale, tant que persiste la répression parentale,
vis-à-vis de la mère. Autrement dit la recherche d’un ennemi implique
souvent un
escamotage, un masquage et donc une mystification.
La nostalgie est
celle "d’un
état paradoxal"
en rapport à quelque chose qui a été
perdu mais aussi celle d’un topos support du paradis. D’où pendant une
longue
période, elle est en rapport avec la prépondérance de la
fonciarisation, donc
avec la terre, la nature. Elle persiste durant la période du
développement du
phénomène valeur en sa phase verticale, et la réalisation de l’unité
supérieure
peut apparaître comme la mystification de celle de l’unité perdue,
particulièrement en Chine. Au niveau de l’individu, la nostalgie
s’accompagne
de la mise en place, plus ou moins prononcée, d’un état hypnoïde.
Puis avec
l'essor du mouvement de la
valeur en sa phase horizontale, particulièrement avec l'argent en tant
que
monnaie universelle, commence à s’affirmer la recherche de l'utopie, où
la
fonciarisation à travers notion
de topos
est encore importante. Avec la phase de domination formelle du capital
dans le
procès de production immédiat c’est celle de la révolution qui inclut
le désir
d’un retour à un état antérieur et donc l’importance du passé mais
c’est le
futur qui est privilégié. Toutefois utopie et révolution sont lestées
de
nostalgie. On doit noter qu’ici on est en rapport non seulement avec la valeur, le capital,
mais avec le
travail et son anthropomorphose.
Lors de la
domination réelle du
capital dans le procès de production total, la séparation s'impose
encore plus.
La fonciarisation et donc la nature, disparaissent ainsi que le
travail; le
lien au passé tend à s'évanouir d'où la disparition de la nostalgie.
Elle peut
se réimposer comme lors de "crises" comme Juin 1848 ou Mai-68.
L'anthropomorphose
du capital est corrélative avec la prédominance du futur: la formation
d'une
nouvelle société ou la réalisation de la communauté humaine y sont
placées. On
peut dire qu’on a eu production d’une utopie, celle du capital comme
l’a
affirmé G. Cesarano[127]
En
revanche les dystopies comme 1984 de G. Orwell ou Nous
autres de
Zamiatine se présentent comme des conjurations de ce qui advient ou va
advenir.
Elles signalent que le topos de la réalisation est désormais connu,
notre
monde, comme c’est aussi le cas avec l’utopie capital. Dés lors
nostalgie et
utopie perdent un élément qu’elles avaient en commun,
l’insaisissabilité du
topos, corrélative à un certain ancrage de l’espèce en son errance,
désignant,
peut-être, par là, son point d’arrivée.
En dépit de
l'inflation dans
l'utilisation du terme, la révolution subit une éclipse totale et cède
la place
à l'innovation. La séparation est achevée. Ce qui compte c'est ce qui
se fait,
se réalise, s'innove. La dissociation des contraires est escamotée et
s’impose
un essai de fonder un devenir unilinéaire pour un développement
continu,
durable, grâce à une multitude de prothèses, avec une espèce hors
nature et
essayant ainsi de résoudre le problème de son insatiabilité sans
pouvoir y
mettre fin, de compenser, de recouvrir son complexe d'infériorité. En
ce sens
on a la fin de l'histoire non parce que quelque chose serait réalisé,
un objectif
atteint, mais à cause de la discontinuité avec le récit - sa forme et
son
contenu - tel qu'il s'est imposé jusqu'à présent. Or le récit provient
en
grande partie des opprimés[128]
chez qui l’insatisfaction est la plus apparente et affirmée; avec
l’innovation
ce sont plutôt les dominants - ceux qui ont le plus de moyens pour
recouvrir et
qui intègrent au mieux le devenir de séparation sur lequel ils fondent
– qui
élaborent le récit (le marketing).
Le tout est
possible du rêve utopique
s’impose grâce à la combinatoire et
l’innovation engendrant à la fois la multiplication des discontinuités réabsorbées
ensuite par
cette dernière, et l'effacement de celles-ci dans la mesure où elles font
obstacle
à la réalisation des possibles. D’où la multiplication des sexes et la
combinatoire sexuelle en même temps que l’effacement de leurs
différences. La
volonté de réaliser le désir de ne plus être dépendant conduit à
remettre en
cause un phénomène d’ordre paléonto-géologique: la reproduction sexuée incluant la
sexualité qui est un
phénomène d’union (à la base celle de deux noyaux) d’abord par une
fragmentation en posant la reproduction d’un côté et la jouissance
procurée par
la sexualité de l’autre, en fragmentant la sexualité en hétéro, homo et
transexualité tout en essayant de l’étendre (augmentation de l’ampleur
de la
combinatoire) à une sexualité transpécifique en levant la barrière
entre
espèces, à une cybersexualité, à une sexualité avec les machines. C’est
l’errance totale où l’espèce se perd, s’évanouit bien qu’elle pense
persister,
voire s’imposer dans le flux artificiel. Elle pense par exemple
utiliser les
machines pour pouvoir sortir de l’insatisfaction, alors que c’est elle
qui devient
le support à leur développement. On a l’impression qu’à l’aide
des
scientifiques l’espèce tend, en une manœuvre apotropaïque, à effacer
son
origine sexuée, support d’une menace.
On se trouve
désormais dans un
au-delà du phénomène de la révolution qui s’est imposé à partir de la
période
de domination formelle du capital dans le procès de production
immédiat. La
révolution fut en rapport avec le mouvement de ce dernier. Elle est
d’abord
politique avec un contenu social, puis technique lors de l’accès à la
domination réelle du capital et s’est maintes fois répétée. Le capital
a progressé
par révolutions. Le mouvement ouvrier a essayé de détourner la
révolution en la
transformant en révolution sociale, comme il essaya de détourner le
capital[129].
Cet au-delà s’est imposé à partir des revendications du mouvement de
Mai-Juin
1968 posant tout est possible et la nécessité de réaliser tous les
désirs.
Schématiquement on peut dire que le mouvement du capital prend au mot
les
revendications d’alors et, grâce à l’innovation, tend à réaliser la
Grande
résurrection d’Alamut, et la tentative similaire de rendre effectif le
paradis
sur terre des hérétiques chrétiens de la Bohème du XIV° siècle. C’est
le
complément au soi-disant alunissage de 1969 qui visait à récupérer
l’imagination.
Notre devenir
est en dehors de toute
révolution puisque nous n’avons pas d’ennemis et que nous opérons hors
nostalgie et utopie.
Si le mythe
visait à la
réconciliation des contraires il se réalise actuellement en une immense
logorrhée qui répète inlassablement la volonté de l’espèce de se
distinguer
alors même qu’elle s’évanouit, devient obsolète, inutile, extrêmement nuisible
Tout ce qui
était de l’Homme se perd.
En réaction on essaie de l’enseigner (à un âge le plus bas possible) et
de le simuler,
d’où inflation encore de la logorrhée. Le déracinement est total. Il ne
peut
plus y avoir d’utopie, plus de recherche d’un lieu où échapper à la
menace. Le
temps lui-même perd de sa consistance n’étant plus le support de
l’argent, et
l’uchronie s’évanouit. Ne restent que des informations qu’il est
loisible de
manipuler.
Homo sapiens dit
son obsolescence à
travers toutes ses productions matérielles comme immatérielles, et le
discours
autonomisé de l’économie donne forme, à toutes ces productions, ainsi
qu’au
rapport entre les hommes et les femmes et de celles-ci et de ceux-ci
avec les
restes de la nature. C’est le règne de la virtualisaton où une réalité
est
comme en suspension, cachée, et c’est grâce à diverses techniques qu’on
tend à
la tangibiliser, et où les supports deviennent de plus en plus
immatériels
tandis que la concrétude est engloutie sous la masse des médiations.
L’être
naturel de l’espèce comme de chacun des ses membres ne peut se
manifester qu’à
travers des actes violents ce qui est en contradiction avec sa réalité
et
entretient une immense confusion rejouement de celle originelle.
Certes cela est
un schème de ce qui
est advenu car en fait tout coexiste encore grâce à la combinatoire,
avec l’innovation
qui prime sur tout et oriente même celle-ci.
Mais le passé
est tenace et l’on peut
voir à quel point il s’impose toujours avec, par exemple, le mythe de
la dette
qui implique le rite du rachat ou de l’abolition, pour tout
recommencer. Elle a
impliqué aussi le rite du sacrifice. L’autodestruction de l’espèce peut
en
constituer un.
Les rejouements
qui l’affectent, de même
que ses composants, réimposent le passé. Il est donc possible de saisir
ce qui
s’est produit insidieusement au cours des millénaires en le condensant
en
quelque sorte pour lui donner forme et consistance afin de pouvoir s’en
libérer, plus exactement afin de se libérer de l’affectation qu’il a
engendrée
en nous. En aucun cas la sacralisation ne doit s’imposer d’autant plus que
le illo
tempore est chargé d’un interdit, celui de la remise en
cause. Chaque fois
qu’une croyance, par exemple, doit être soustraite aux doutes, son
fondement
est enraciné dans une origine donnée. Ainsi dans la religion
chrétienne, les
données du dogme et l’existence des miracles, sont mis en sécurité à
l’origine
et, maintenant, ces derniers n’ont plus lieu. En définitive la vie de
l’espèce
s’est déroulée entre la nostalgie expression d’un blocage et inductrice
de dépression,
et l’utopie expression d’une sortie de blocage et inductrice de manie,
de mégalomanie.
Désormais nostalgie et utopie sont dépassées et, grâce à l’innovation,
un immense
recouvrement s’impose escamotant la destruction de la nature et
l’obsolescence
de l’Homme et le fait que rien n’a été résolu. La question du que faire
est
également escamotée. L’espèce vit l’inertie d’un devenir dont elle n’a
aucune
maîtrise.
Telle est la
situation qui impose
l'inversion.
Maintenant il
est possible
d’esquisser comment se présente la dynamique d’inversion dévoilement[130]
-
qu’on peut désigner aussi inversion et émergence, celle-ci pouvant être
considérée comme le contenu du dévoilement - qui nécessite un
cheminement,
préparé par celui de quitter ce monde, qui doit nous permettre de nous
rendre
apte à saisir et à percevoir la naturalité et, au cours duquel, se
produira
l’émergence d’un nouvel être. Cette inversion, rappelons-le, s’impose à
la
suite d’un dévoilement consécutif à la perception profonde d’une
impasse, d’un
blocage, forçant l’individu à trouver une solution hors du champ de ce
qu’il a
vécu jusqu’alors et, à partir de là, divers dévoilements s’opèreront
lui révélant
les possibles masqués habituellement par le recouvrement et par la
réduction
qu’il subit enfant, ainsi que ceux des hommes et des femmes ses
contemporains
et contemporaines, l’amenant à accéder à la dimension
individualité-Gemeinwesen. Ceci est également vrai au niveau des
groupes, des
collectivités.
Cheminer hors de
ce monde n’est plus
suffisant car il convient d’opérer comme s’il n’existait plus du fait
même
qu’il a perdu sa signification, sa nécessité. On ne peut qu’indiquer
les
fondements du nouveau comportement que nécessite cet autre mode de
cheminer
dont le fondement essentiel est la cessation de toute forme de
répression,
parentale ou sociale.
Comment peut-on
envisager une
dynamique de vie où la répression ne s’impose plus dés lors qu’on a
perçu son
immense nocivité et ses fondements originels? Là est le point
déterminant car
la répression fonde notre psychisme et notre environnement, notre
milieu,
puisqu’il y a répression de la nature. Réprimé, nous évoluons dans un
monde
réprimé et une nature réprimée. Pour invertir notre comportement il
faut
invertir toutes les relations entre les hommes et les femmes et entre
l’espèce
et la nature. Le psychisme dans son sens le plus ample est ce qui nous
présentifie et permet de nous actualiser, de nous rendre effectifs à
tout
moment, en même temps que nous sommes aptes à enregistrer l’affectation
qu’imprime en nous le
milieu où nous
évoluons qui ne se limite pas à notre environnement immédiat.
L’inversion va
permettre le dévoilement de l’individualité-Gemeinwesen et celui de
Homo
Gemeinwesen et, dans l’immédiat, elle consiste dans la dynamique de se
déterminer par rapport à leur émergence et non par rapport à la
catastrophe, et
à l’extinction possible.
Cheminer en
affirmant son pouvoir de
vivre et son amour qui ne se limite pas à un ou quelques êtres
particuliers.
Dés lors ne se pose en aucune façon la question de la prise du pouvoir
et celle
de la séduction.
La dynamique
essentielle vise à
retrouver la continuité et de mettre fin à la séparation, résultant de
la
répression, qui opère actuellement à tous les niveaux à l’intérieur
comme à
l’extérieur des hommes et des femmes. Il ne s’agit pas d’une simple
inversion
par exemple réunir ce qui a été séparé et de faire le contraire de ce
qui est
advenu car il s’agit de révéler ce qui fut escamoté, scotomisé, laissé
en
sommeil. Elle se déploie en un immense dévoilement rayonnant.
La fin de la
répression s’opère quand
on accepte la naturalité et donc la spontanéité (avant tout celle de
l’enfant),
la concrétude et l’immédiateté. La mise en continuité devient possible
puisqu’elle implique de retrouver l’immédiateté, l’ouverture, et donc
l’acceptation de la spontanéité et d’éliminer la réflexivité dans les
domaines
où elle n’a pas lieu d’être et où elle s’est imposée à cause de la
répression.
On accède à la concrétude. Les supports nécessaires aux médiations
disparaissent permettant la participation qui implique l’absence de
contraintes,
avec la prise en compte des données "externes". On n’a pas besoin
d’isoler un élément, une chose, un être, pour opérer une investigation.
La
partie n’est pas séparée du tout même si elle en est distinguée
(repère); les
deux sont vécus simultanément.
Pas de supports
autres que la
naturalité en chacun, chacune de nous qu’il s’agit de retrouver,
révéler, et la
nature qu’il faut aider à se régénérer depuis que la séparation s’est
imposée.
En ce qui concerne la naturalité elle n’est plus apparente à cause des
traumatismes initiaux subis, de la répression et des divers
recouvrements et
des tentatives de lui échapper et de s’élaborer dans l’artificialité,
dans le
mécanique. Des chocs, remettant en cause la dynamique en place, peuvent
favoriser son émersion mais pour que cela soit efficace il est
nécessaire qu’un
minimum de positivité se révèle pour former un "environnement"
qui lui procure
assise et confirmation.
Tous les
phénomènes spécio-ontosiques
étant greffés sur des phénomènes naturels, une inversion de
comportement
implique l’ample dévoilement de ceux-ci qui furent détournés. Ce
faisant il
nous est possible de retrouver la dimension naturelle chez les hommes
et les
femmes du passé et par là une continuité en dessous de tous les
recouvrements
et de toutes les excroissances spécio-ontosiques, en arrière fond des
histoires, des récits, en tant que conjuration d’un traumatisme,
en
dépit de toutes les discontinuités qui se sont manifestées au cours des
millénaires, et que nous ne voulons absolument pas escamoter.
En conséquence
on ne vise pas un
démarrage à partir de zéro, ni une dynamique de faire table rase ni un
retour à
un état antérieur donné, mais on se défait de ce qui été produit pour
survivre
dans l’errance, la spéciose. On ne nie personne et, autre forme
d’expression de
la continuité, on affirme le rapport au phylum, celui qui se
caractérise par le
refus de la domestication, On opère à partir de ce qui est advenu et on
affirme
ce qu’on désire et, de là, notre action vise à atteindre le but: la
Gemeiwesen,
la communauté des hommes, des femmes avec tous les êtres vivants. On ne
prône
pas de retour à un état initial sinon on réinstaurerait l’irrationnel
qui
s’imposa alors. On ne crée rien ni n’innove, mais on s’attache à
dévoiler ce
qui fut escamoté, scotomisé, occulté: la naturalité. À partir de là
pourra
s’instaurer un autre monde, et une autre espèce évoluer. Ainsi on ne
recherche
pas de support dans la société-communauté actuelle pour atteindre notre
objectif, ce qui sembla possible aux marxistes pour qui le communisme
prenait
en quelque sorte naissance au sein de la société capitaliste.
Ne pas repartir
à zéro signifie qu’on
s’ouvre à tout le devenir d’errance, et qu’on ne nie pas toute la
positivité
qui s’est affirmée au sein même de celle-ci, et il est important de
relever
tout ce qu’on a acquis de connaissance de soi, de l’espèce, de la
nature, du
cosmos, qui se révèlera pleinement, d’ailleurs, au cours du cheminement
d’inversion.
La mise en
continuité n’est
réalisable que si nous retrouvons l’éternité comme cadre et substance
de la
vie, comme donnée immédiate. Réciproquement vivre en l’éternité c’est
vivre la
continuité, en continuité, accéder à l’évidence, à la plénitude, et à
la
certitude parce que l’éternité correspond à l’expression la plus
profonde de la
non séparation[131].
La dynamique de
séparation d’avec le
reste de la nature a conduit l’espèce à vivre et à concevoir selon le
séparé
et, pour cela à inventer le temps, outil à la fois d’investigation de
celui-ci
en même temps que de reconstitution d’une totalité[132].
C’est à travers son activité d’être se séparant qu‘en une lente
maturation le
temps fut produit surtout en tant que support des différents
déchirements liés
aux traumatismes subis, tous en rapport à la séparation. Ceci se
perçoit fort
bien chez Saint Augustin pour qui l’éternité est un éternel présent à
laquelle
on accède par la mort. Pour lui le temps exprime la dépendance. Il
provient du
futur et celui-ci résulte de l’attente, tandis que le passé, du temps
qui
s’accumule, on ne peut pas s’en séparer et il nous affecte constamment.
L’éternité, éternel présent, se révèle être l’état où il n’est pas menacé,
car il ne
peut pas être affecté et celui où il accède à la jouissance la plus
sublime, la
contemplation de dieu. Tout cela résulte de son revécu de blocage dont
on peut
dire qu’il en sort en
produisant le
temps, outil manipulable de la représentation, et en remplaçant
l’éternité
réelle[133],
où tout est devenir, par
une éternité représentée où tout est fixé. Grâce à cette substitution
il
échappe à la menace et accède à la sécurité car, j’y insiste, si
l’éternité
réelle se présente comme ce qui n’est pas affecté, elle est constituée
de
multiples affectations étant un perpétuel devenir
Grâce au temps
l’espèce a pu vivre
son errance en évitant de se perdre, parce qu’il fut le support pour la
mise en
place de divers repères[134].
Mais ce ne fut pas sans contrepartie mutilante, car le temps et
l’espace se
sont imposés comme formes a priori de l’enfermement. Le temps est un
outil
devenu autonome qui
pèse en tant
que contrainte sur les hommes et les femmes
Vivre l’éternité
permet non seulement
d’accéder à la certitude, à la participation, à la plénitude mais de
vivre
concrètement la continuité du fait de la disparition de la scission
pouvoir
amour. L’autonomisation du pouvoir permit une coupure qui infligea une
immense
blessure engendrant le besoin inextinguible de consolation, mais aussi
celui du
pardon. Elle opéra également une immense réduction dans la dynamique
d’affirmation de soi en rapport à la dépossession du pouvoir pour la
majorité
des hommes et des femmes.
La certitude,
l’adhérence au
continuum, à l’éternité, n’élimine pas le doute en tant que moment
d’investigation, comme une certitude suspendue, un détachement pour
mieux
appréhender, voir.
Le mode de vivre
l’éternité, la
continuité, c’est la participation qui implique l’évidence du vivre et
le non
enfermement, une réinstauration de l’émergence au sein du phénomène
vie. Vivre
c’est affirmer une présence, de même pour se positionner (rapport à
être en
situation). Être à même de rayonner une modalité d’être en s’affirmant
à partir
d’un potentiel, celui de la naturalité, même pervertie, détournée,
cherchant
périodiquement à s’imposer, telle est l’individualité qui vise à
s’affirmer en
tant que Gemeinwesen. Plus précisément l’individualité se manifeste
comme
aptitude à se poser en tant que moment d’émergence et qu’unité
perceptible du
phénomène vie[135].
En même temps qu’il y a
émergence s’effectue un enracinement, tant au lieu de naissance qu’en
des lieux
de plus en plus vastes au fur et à mesure du devenir. Métaphoriquement
l’homme
est un arbre ambulant. Ce n’est pas un logo mais une métaphore.
J’insiste sur
ce dernier mot car il nous signale, en fonction de son étymologie, le
possible
du porter ailleurs. La métaphore implique la continuité et la
participation.
Il s’agit bien
d’une émergence qui
n’implique aucune séparation. Elle s’accomplit en relation avec les
parents,
surtout la mère au début, mais également avec toutes les personnes
proches. De
telle sorte que l’enfant peut accéder à la perception de lui-même et de
tout ce
qui l’entoure, ce à quoi il participe. Aucune fusion, ni confusion,
n’intervient parce qu’il est accueilli, comme le dirait Lucien
Lévy-Bruhl, avec
ses participations. Dés lors il ne peut pas être question de limites
nécessaires au mode de perception de l’individu séparé, imposées par la
répression qui pour se réaliser a besoin d’une délimitation de son
objet.
La mère, en une
relation fusionnelle,
peut abstraïser l’enfant et
le poser
hors du milieu où il est né, le séparer de ses appartenances. Celui-ci
coupé,
séparé, survit en acceptant cette fusion qui le confond. Il va
privilégier la
continuité avec sa mère en se privant de celle avec le monde, la
nature. Il lui
sera difficile d’entrer en relation avec ce que Harold Searles nomme
l’environnement non humain. La fusion est une appropriation, une
affectation
totale de l’enfant. Il est tellement affecté qu’il ne peut plus être
lui-même. L’émergence
est enrayée et l’être sera en quelque sorte créé par la répression.
S’il advient une
coupure trop
douloureuse entre l’enfant et ses parents alors la nature ainsi que des
éléments inorganiques, inertes opèrent comme supports d’existence, de
fondements de sa réalité, lui permettant en même temps d’exprimer
perpétuellement ce qu’il a subi. Comme cela intervient dans la
schizophrénie
dont nous avons parlé à propos de l’objectalisation.
Si l’enfant est
considéré avec
indifférence à l’égal de tout élément entrant dans le procès de vie des
parents, il est renvoyé à un indifférencié qui provoque en lui une
insécurité
et une instabilité du moi. Sur quoi va-t-il s’appuyer pour être
reconnu? Là
s’origine la terrible dynamique de la reconnaissance dont nous a
entretenu
G.W.F. Hegel à laquelle je désire apporter un ajout. La reconnaissance
se
réalise par la domination (le maître) ou par la servitude (l’esclave)
car dans
les deux cas il n’y a pas d’indifférence et chacun, le maître, comme
l’esclave,
est signifié, et leur antagonisme donne "sens à leur existence".
L’instabilité du
moi, l’insécurité, provoque
par compensation le fanatisme, l’esprit partisan, le refus de l’autre,
la
reconnaissance par le refus.
«Mais la
conception que je voudrais
exposer va, je crois plus loin et n’a pas encore été formulée à ma
connaissance. Je pense que nous, les êtres humains, sommes habités par
l’angoisse – généralement inconsciente ou portée à la conscience par
des
circonstances exceptionnelles – non seulement de régresser
ontogénétiquement,
au stade infantile ou intra-utérin, par exemple, mais même plus loin, à
un
stade animal, végétal ou inorganique. Cette angoisse se fait
particulièrement
intense, si j’en crois mon expérience, dans la névrose
et dans la psychose et surtout dans cette
dernière»[136]
L’angoisse
surgit avec la coupure de
la continuité, traumatisme fondamental de l’émergence. H. Searles
ajoute à la
page suivante: «La thèse dont il s’agit maintenant pourrait se formuler
ainsi:
l’utilisation habituelle, face à l’angoisse récurrente ou chronique, de
ce
moyen de défense particulier du moi qui consiste en une
dé-différenciation, ou
une régression à un état de fusion subjective avec le monde non humain,
interfère plus que d’autres moyens de défense du moi, tels que
l’intellectualisation pour l’obsessionnel ou la dramatisation pour
l’hystérique,
avec le développement et l’entretien du sentiment d’appartenir à
l’humanité,
d’avoir une identité d’être humain»[137].
Cependant il ne s’agit pas seulement, comme il l’a d’ailleurs affirmé,
d’être
humain par rapport à d’autres êtres humains, mais d’être humain par
rapport au
non humain. Quoi qu’il en soit prévalent toujours une instabilité, une
incertitude,
tandis que la régression est recherche de supports de continuité afin
de
survivre. Elle peut inclure également une illusion, celle de repartir à
zéro.
Pour conclure
sur le phénomène de
régression, il convient de considérer que plus on va régresser et plus
on va
rencontrer l’Unheimlich, l’inquiétant familier. En effet, en régressant
on
accède à ce qui nous est familier, notre propre émergence, et l’on
constate
qu’elle est toujours affectée, à divers degrés, par des éléments
étrangers qui
peuvent constituer l’étranger en nous.
Dire que
l’angoisse est présente en
chaque être humain, évoque la remarque de G. Bateson: «Il semblerait
que les
phénomènes relevant de la pathologie soient en réalité
plus simples, plus généraux et plus
récurrents que ceux qui relèvent de la normalité et de la bonne santé».
Or
celui-ci a mis en évidence, dans le surgissement de la schizophrénie,
le rôle
du double-bind et du dilemme. L’enrayement de l’émergence crée le
dilemme être
humain ou ne pas l’être – exprimé par W. Shakespeare avec être
ou ne pas
être, ainsi que l’injonction paralysante (double-bind): sois
humain; il
amène la perte de l’évidence. Rappelons que pour sortir d’un dilemme,
posant
une dissociation cognitive, l’individu peut adopter une pratique
totalement en
rupture avec celle avec laquelle il opérait.
L’affirmation,
donnée immédiate et
concrète, excluant toute dépendance, n’est possible que si est enrayée
la
dynamique de l’inimitié découlant de l’empreinte de la menace. La dynamique de ne pas avoir d’ennemi
implique, en complémentarité, celle de ressentir pourquoi certaines personnes
peuvent nous fonder en tant que support d’inimitié. Celle-ci ne peut pas être
imputée uniquement à une malignité de leur part, ni simplement attribuée à la
dynamique inconsciente de tendre à poser l’autre en tant qu’ennemi. Nous
recélons, inconsciemment, dans notre comportement des éléments aptes à susciter
chez l'autre un malaise pouvant opérer en tant que support pour le poser de
l’ennemi. Et c’est là que s’impose le mécanisme infernal. Ainsi, par exemple,
une personne qui, dit brièvement, est dominée par le schéma de se sentir
menacée, va tendre à se manifester inaccessible, hors de toute atteinte, se
séparant d’autrui pour ne pas être affectée. Ce faisant, elle va en définitive
apparaître comme un tout autre, support, justement, pour être considérée comme
une ennemie permettant la réactivation
de l’empreinte de la menace.
Dés lors, avec l’abandon de cette
dynamique, se déploie la confiance expression de la mise en continuité,
l’ouverture et le non enfermement (absence de solipsisme). On n’a pas d’ennemi,
souvent nécessaire en tant que support de reconnaissance et parce qu’il y a une
absence, ou tout au moins, un manque de certitude de soi, fragilisant l’être se
sentant rapidement menacé. On n’a plus besoin d’ennemi ni de reconnaissance du
fait même de la disparition de son
substrat, de son support, le mouvement économique qui s’est développé à
partir de la pratique du don et du potlatch.
L’ouverture est
plus que l’inverse de
la répression, engendreuse de réduction
et de négation, ainsi que de la remise en question (une forme
d’interrogation),
et opèratrice contre l’ennemi extérieur et l’ennemi en nous, la
naturalité.
S’il n’y a plus d’ennemi, la création d’un monde artificiel afin de se
protéger,
devient inutile. Mais cela ne nie pas la nécessité de se protéger des
dangers
en rapport à d’autres êtres vivants, à des phénomènes naturels,
cosmiques. On
opère selon le non agir,c’est-à-dire que l’agir advient en
participation avec
la nature, le cosmos, de telle sorte que l’action n’apparaît pas comme
une
intervention intrusive lestée d’une charge d’inimitié. Evidemment cela
n’est
possible que si se vérifie simultanément une grande diminution de la
population
humaine en même temps que l’accroissement du domaine de la nature
sauvage
(Wilderness), hommes et femmes allant vivre dans des zones sûres, tant
du point
de vue biologique que géologique.
La mise en
continuité permet à la
sexualité de réaliser la dynamique d’union et de confiance et, de ce
fait, de
confirmation de la continuité. C’est là que s’impose et se réalise
pleinement
l’union amour pouvoir. Le risque de séparation des sexes, désignant les
hommes
et les femmes, est enrayé de même que celui de cladisation consistant
en la
formation d’espèces divergentes[138]
L’enfant
n’est plus un signe de pouvoir ni un instrument de rédemption (l’enfant
sauveur). Il est vécu en son immédiateté, sa spontanéité, son
originalité.
L’éducation est remplacée par un vivre participatif où chacun accomplit
son
procès de vie en fonction de son stade évolutif. C’est fondamentalement
un
cheminement participatif et un accompagnement où l’enfant est actif[139].
Les différentes
phases du procès de
vie ne sont pas des supports de discontinuités, et la forme de
l’individualité
consiste en le déploiement de son contenu, de sa substance, de sa
naturalité en
interaction avec les autres, avec la nature, avec le cosmos, avec
l’affirmation
d’une invariance: la jouissance de persister au sein du devenir.
S’affrontant à
une totalité non fragmentée en un procès lui-même non fragmenté, elle
échappe à
l’insatisfaction structurelle, en rapport à la perception d’un
inachèvement car
ce sont les différentes discontinuités, même de faible ampleur, qui
induisent cette
perception.
De même que pour
les supports, on ne
peut pas immédiatement se passer de prothèses dans quelque domaine que
ce soit.
C’est là que se pose le problème de la technique. Celle-ci n’est pas,
comme
beaucoup de théoriciens le posent, le mal, voire le mal absolu, car
c’est la
spéciose-ontose résultant de la dynamique de séparation induisant la
répression
qui fut et est maléfique. Car, dit globalement, c’est pour réaliser une
séparation et une protection, visées comme devant être définitives, que
l’homme
s’est adonné à un développement hypertélique de la technique. Celle-ci
est déjà
présente chez les animaux et leur permet de réaliser au mieux leur
procès de
vie en continuité avec le reste de la nature. Il doit en être de même
pour
l’espèce humaine.
Dans cette
perspective on peut
envisager un arrêt assez rapide de la domestication des animaux. En ce
qui
concerne les plantes cela dépend de la réduction du nombre de la
population et
de la potentialisation de la nature sauvage. La disparition de
l’agriculture
prendra probablement des siècles.
Par suite de la
mise en continuité le
procès de connaissance vise à la connaissance du mode d’émergence de
l’individu, de l’espèce au sein de la nature, du cosmos, à la
connaissance de
ceux-ci afin de pouvoir participer au mieux et s’emplir d’une ample
jouissance.
Et celle-ci découle d’une vaste réflexion en nous de tout le devenir,
comme une
jouissance d’un redoublement de continuité en nous, la concrétisation
profonde
de la présence au sein de l’espèce, de la nature, du cosmos. D’où
l’importance
de la contemplation qui n’est pas passivité mais qui est un acte
cognitif
dérivant de la participation et de l’empathie et qui est source d’une
intense
jouissance. La contemplation se vit comme une réactualisation cognitive
de
notre émergence dans le cosmos. Ainsi s’accroîtra notre puissance de
penser.
Or, c’est grâce à un immense effort de la pensée, que l’inversion
pourra être
réalisée.
La jouissance
dérivera aussi de la
perception du divers dans son surgissement en sa spontanéité. Ce sera
en même
temps le meilleur moyen de nous prémunir contre les dangers inhérents
au
devenir de la planète, du cosmos.
La langue en
tant qu’expression d’un
comportement privilégiera l’affirmation par rapport à la négation et à
l’interrogation trop souvent supports de la répression. La disparition
de
celle-ci et de l’enfermement modifiera son énoncé, sa grammaire, ainsi
que
l’importance des tropes et des contraires le plus souvent supports pour
les
contradictions et, donc en dernière analyse, de l’inimitié. Elle
conduira aussi
à ne plus se définir par la négation, une sorte d’apophatisme laïc et
généralisé. Or définir qui que ce soit par l’indication de ce qu’il
n’est pas
relève de l’impuissance à affirmer, ce qui advient à l’être ontosé. On
peut
extrapoler en concluant que réprimer c’est objectiver une impuissance.
Le phénomène
global de l’inversion s’impose
comme la sortie d’une immense stagnation, voire d’une régression[140]
pour vivre en fonction de nos données naturelles en continuité avec
tout le
phénomène vivant; comme la reprise d’un devenir - à la suite d’une
errance - à
la réflexivité, à l’épanouissement de la pensée, forme d’énergie
élaborée non
seulement à partir des hommes et des femmes, mais à partir de tous les
êtres
vivants. C’est un phénomène d’ampleur géologique qui ne nécessite pas
la
création d’une nouvelle ère.[141]
La
forme que nous prenons préexiste déjà, au moins au niveau du phylum,
c’est le
contenu qui lui correspond qui est enfin engendré. Désormais on
s'affirmera simultanément dans une forme et un contenu intimement
liés, car c'est de leur dissociation que se déploie
inexorablement la dynamique de la répression.
Au cours du
cheminement-dévoilement
la répression sera éliminée, ce faisant disparaîtra Homo sapiens pour
qui le
procès de connaissance servit à établir un logo, l’être qui se sépare
et qui
réprime. C’est l’espèce qui imposa la répression[142]
et
elle fut le support d’une totalité devenue unité supérieure l’État
(première
forme)[143].
Plus généralement tout
ce qui peut se poser comme un tout unitaire est opérateur fondamental
de
répression utilisant la dynamique du: c’est pour ton bien. Avec,
simultanément,
celle du sacrifice: l’individu doit se sacrifier pour le bien de la
totalité,
pour le bien de l’espèce. Et là s’origine contemporainement la
dynamique des
droits et des devoirs, avec prépondérance jusqu’au XVIII° siècle des
seconds
sur les premiers. Tel s’affirme le despotisme de la totalité qu’on
retrouve de
façon caricaturale et mystifiée dans la démocratie. La répression fut
une
donnée insaisissable du fait, à de rares exceptions prés, de la grande
difficulté de remettre en cause l’espèce, parfois présentée, surtout
ces
dernières années, comme renfermant un paradigme de comportement, comme
constituant
la garantie pour un développement harmonieux auquel ferait obstacle la
civilisation. Plus facile fut d’attribuer les maux à la nature et par
là en
définitive à accentuer le devenir de séparation: pour échapper à
ceux-ci on
devait s’élancer dans la négation de la naturalité. Donnée
insaisissable donc,
comme ce le fut en ce qui concerne la mère au niveau individuel.
Le changement
d’espèce s’impose comme
une émergence qui s’effectue à partir d’Homo sapiens et de ce qui reste
de la
nature, à travers un changement de comportement, de procès de
connaissance
consistant en une autre modalité de l’utilisation de la pensée par
rapport au
monde, à la nature, au cosmos, rendue possible à cause d’une grande
affectivité
participative qui retentit sur le tout de l’espèce émergeante, comme
sur
l’intégralité de chacun, de chacune de ses membres. C’est l’action de
tous les
hommes, de toutes les femmes qui aboutira grâce à leur émergence, à
celle de
l’espèce Homo Gemeiwesen. C’est d’ailleurs ainsi que cela s’est produit
au
cours du devenir paléontologique. Ils, elles, engendreront une autre
communauté
au sein de la nature, une communauté en harmonie avec elle et avec ses
membres
constituants. Ce faisant, j’y insiste, la répression en tant que mode
d’effectuation du vivre, sera éliminée.
Vivre l’émergence permet de vivre en harmonie théorie et pratique, le but étant inclus au sein du devenir de notre vie, l’effectuation pleinement ressentie de notre procès de vie, dans la certitude, la plénitude et la joie.
Jacques CAMATTE
Décembre 2012
[1] Surgissement
de l’ontose,
thèse 80, Invariance, série V, n° 4. Le thème de
l’inversion affleure
dans de nombreux articles, même anciens, mais je puis dire qu’il pointe
surtout
dans Dissolution et Émergence, dans la partie
finale de Épilogue au
Manifeste du parti communiste, 1848, dans Avertissement
et Dédicace,
et dans Données à intégrer, ainsi qu’Actualisation.
«La nécessité
d’une inversion de tendance, d’un renversement complet du comportement
des
hommes et des femmes, est effectivement nécessaire pour que puisse se
réaliser
la libération-émergence. Cependant en utilisant les concepts de
conscience,
d’inconscient, on demeure dans la dynamique traditionnelle, parce
qu’ils sont
les produits de la répression tant au niveau parental que social. Le
renversement du comportement (correspondant quelque peu à celui de la
praxis
théorisé par A. Bordiga) sera déterminé par un vaste effort de la
pensée tant
sur le plan individuel, que sur le plan de l’espèce. [Note de
2001]
À propos de dévoilement, ceci, qui date de 1997: "L’espèce doit se dévoiler à elle-même en s’immergeant dans la nature en accomplissant sa fonction inscrite dans le devenir de tout le phénomène vie". Forme, réalité – effectivité, virtualité, Invariance, série V, n°1, p.127.
[2] La répression a
surtout été étudiée
à travers l’esclavage, le servage ou le salariat. Dans ce dernier cas
en
particulier il fut postulé que la fin de l’exploitation de la force de
travail
par le capital signifierait la fin de la répression. Autrement dit on
eut
tendance à réduire la répression à l’exploitation. Derrière cette
réduction se
trouve l’idée que c’est l’exploitation qui déterminerait tout le
comportement
répressif, alors qu’on peut dire que l’exploitation est en quelque
sorte un
support, qui n’est pas le seul, pour la manifestation de la répression.
[3] Ce
monde qu’il faut quitter,
Invariance, série II, n° 5.
[4] Louis Dupeux: Stratégie
communiste et dynamique conservatrice – Essai sur les différents sens
de
l’expression "National-bolchevisme" en Allemagne,
sous la
république de Weimar, 1976.
[5] On pourrait
dire que la révolution
conservatrice ou la révolution innovatrice, ce n’est pas une
révolution. Il en
est de même de la révolution libérale qu’exalte F. Fukuyama. On peut
accepter
de parler de révolution bourgeoise ou de révolution prolétarienne si
cela vaut
pour le raccourci de: révolution faite par les bourgeois, révolution
faite par
les prolétaires.
[6] Dans une note
ajoutée en 2001 (note
3) dans la postface De la communauté humaine à Homo
Gemeinwesen, à
propos de l’interrogation "quel est notre véritable ennemi?"
j’indique: "J’ai abandonné cette thématique qui n’était pas cohérente
avec
la dynamique de quitter ce monde. En m’exprimant à la façon d’A.
Bordiga je
dirai: je n’ai pas d’ennemis".
[7] Toute
l’œuvre des années 60 du siècle dernier expose le refus de la
nouveauté,
proposée par le développement du capital, en un ample discours de type
conservateur (la conservation de la théorie invariante), voire
réactionnaire,
dans la mesure où il renferme une réaction à un devenir, ce qui
impliquait un
défaut d’affirmation et une dépendance.
[8] A. Bordiga a
affronté cette
question, à la réunion de Piombino de septembre 1958, en commentant un
passage
des Grundrisse. Le titre du compte-rendu est Trajectoire et
catastrophe de la
forme capitaliste dans la classique et
monolithique construction théorique du marxisme.
[9] C’est à partir
de cette époque que
la notion de climax, qu’on peut en première approximation définir comme
l’association végétale en équilibre avec le sol et les conditions
climatiques,
est remise en cause. Il ne pouvait pas en être autrement du fait même
que le
changement global des conditions de milieu imposait aux plantes (ainsi
qu’aux
animaux) une autre dynamique.
[10] En effet après
la fin de la seconde
guerre mondiale on a eu des phénomènes révolutionnaires de plus ou
moins grande
ampleur.
La partition
de la Corée fut perçue un peu comme le pendant de celle de l’Allemagne.
Cependant le devenir ne fut pas le même puisque dans le cas de cette
dernière
la partition a disparu (comme celle du Vietnam) tandis qu’elle persiste
en
Corée.
[11] En 1956 Gunther
Anders dans son
livre Obsolescence de l’homme – Sur l’âme à l’époque de la
deuxième
révolution industrielle, traduction de Christophe David, Ed.
de
l’Encyclopédie des Nuisances, ED. Ivrea, qu’on peut considérer comme un
traité
sur la déshumanisation a fait une analyse critique très pénétrante de
ce qui
fut appelé, ultérieurement, la vie quotidienne: l’envahissement de la
publicité,
l’idéologie de la consommation etc.
[12] Cf. à ce sujet
les travaux de G.
Anders qui fut hanté par la menace nucléaire. Il affirma: «La menace
n’aura
jamais de fin. Elle ne pourra être que repoussée». O.c p. 342. Il
semblerait
que la multiplication d’autres menaces ait comme banalisé celle-ci ou
bien,
comme dans le cas de certains dieux, elle a été occultée mais elle va
revenir.
[13] D’après
l’enregistrement de
l’intervention d’A. Bordiga à la réunion de Florence, 19-20 mars 1960.
[14] Dans le
chapitre sur le capital à
paraître dans la suite de Émergence de Homo Gemeinwesen
j’essaierai
d’éliminer les confusions concernant le surgissement de celui-ci dans
son
opposition à la propriété foncière, à la valeur (argent en tant que
monnaie
universelle), au travail représenté par le travailleur indépendant. Le
devenir
à la communauté humano-féminine fera l’objet du chapitre final de cette
étude.
[15] Cette ébauche
de la dimension
d’inversion dans l’œuvre de A.Bordiga n’est pas reconnue, mais
l’importance de
son oeuvre commence à l’être: «Plus le capitalisme se développe, plus
il
engendre (costruisce) la faim. De cela, Amadeo
Bordiga, premier et
méconnu père du communisme italien, en était certain. Dans une série
d’articles
sur la question agraire publiée entre 1953 et 1954, Bordiga soutient
avec une
clarté lapidaire une thèse simple bien que déconcertante: "Jamais la
marchandise n’ôtera la faim à l’homme." Cela semble presque paradoxal,
mais à
distance de soixante et dix ans, sa proverbiale rigidité idéologique
parle à notre
présent avec plus de clarté que beaucoup d’instruments théoriques
sophistiqués.» Daniele Balicco, Révolution macrobiotique,
dans le
journal il manifesto du 21 octobre 2012.
[16] C’est-à-dire à
partir de la scission
de 1952 qui permit à A. Bordiga de développer plus amplement sa
perspective,
dans un nouveau journal il programma comunista. Je
clos la phase en 1962
parce qu’à partir de cette date il n’y a plus production de données
fondatrices
d’inversion.
Sandro
Saggioro a publié un livre sur l’histoire du parti communiste
internationaliste, dont l’organe théorique fut Battaglia
comunista de
1942 à 1952: Ne con Truman, ne con Stalin, Ed
Colibri - Ni avec Truman,
ni avec Staline- titre d’un article de ce journal. Cette affirmation
dans la
négativité représente bien la position des camarades de la gauche
italienne au
cours de cette période. Sandro Saggioro ne pouvait pas trouver meilleur
titre
pour son ouvrage très intéressant et rempli de documents.
[17] Réunion de
Naples de Octobre1951, Capitalisme d'Etat et bureaucratie. Impérialisme USA, ennemi n° l.
[18]
«Le
parti est un organe dans le sens intégral qui est
appliqué aux êtres
vivants. C’est un complexe de cellules qui ne sont pas toutes
identiques ni
égales, qui n’ont ni la même fonction ni le même poids. L’énergétique,
et a
fortiori la vie de tout organisme, ne sont pas conditionnées
par toutes les
cellules, ni par tous les systèmes.» A. Bordiga, Structure
économique et
sociale de la Russie d’aujourd’hui, Ed. De L’Oubli, p. 332.
[19] Storia
della sinistra comunista,
p. 175, volume 1.
[20] Exposée à la
réunion de Rome, 1952.
[21] Programme
du communisme intégral
et théorie marxiste de la connaissance, juin 1962, dans le
recueil de
textes A. Bordiga Russie et révolution dans la théorie
marxiste, Ed.
Spartacus, 1975, p. 497.
[22] Il est souvent
fait mention de
l’ascendant comme d’une autorité naturelle et que de ce fait la
répression
aurait un fondement naturel, et serait donc nécessaire, inévitable.
[23] De façon
informelle il y eut à la
fin du XVIII° siècle et au tout début du siècle suivant une sorte
d’internationale des travailleurs, comme je l’ai exposé dans la note de
2009 à Bref
historique du mouvement de la classe prolétarienne dans l’aire
euro-nordaméricaine des origines à nos jours. Dans la persective de mieux cerner la dynamique passée de l'inversion, une étude historique ultérieure est nécessaire.
[24] Selon
Wikipedia: « Un SEL est une
structure associative déclarée ou libre qui permet aux adhérents de
pratiquer
des échanges multilatéraux valorisés en monnaie
fictive et autonome, souvent basée sur le temps passé, aux noms variés
(grain
de SEL, cacahuète, truffes, bouchons, noix de coco, clous, …), et des
échanges
libres de toute nature: services, biens ou savoirs. La monnaie
du SEL peut suivre des règles complexes et très différentes des règles
courantes (monnaie non capitalisable, etc.).
Cependant,
les libéraux font remarquer les points communs avec une économie
de marché: indépendance par rapport à
l'État, définition de leurs propres règles sociales sans référence à la
règle
commune, monnaie
privée, maintien de la propriété
privée, etc. Les SEL ne feraient que «réinventer le marché». Alain
Madelin
se félicitait par exemple du progrès des SEL en 1995 dans Quand
les
autruches relèveront la tête. Il y écrit ainsi à propos des
SEL: «Il s'agit tout simplement de
la réinvention de circuits
économiques de base. Produire, échanger, en marge des contraintes
administratives,
sans prélèvements obligatoires avec, pour couronner le tout, la
réinvention
d'une banque libre!»
J’ajouterai
qu’effectivement cela aboutit à rendre vénal même ce qui ne l’était
pas, car
destiné à être jeté et; corrélativement à cela, qu’il y a comme une
mise en
commun de la misère en la faisant circuler. Cependant il est indéniable
que
l’intention fondamentale est la recherche d’autres "rapports
sociaux".
[25]
«Les
AMAPs, Association de Maintien de l'Agriculture Paysanne, sont apparues
en
France il y a maintenant dix ans, en 2001. Ces associations proposent
de réunir
un groupe de consommateurs et un paysan qui s'engagent dans un échange
qui sert
d'appui à la défense et la promotion d'une agriculture vivrière, de
proximité,
et respectueuse de l'environnement. A la convergence de préoccupations
écologiques, sanitaires, politiques, économiques et sociales, voire
sociétales,
ces associations sont le fruit de paysans et de consommateurs qui ont
choisi de
passer outre les filières de distributions traditionnelles pour assurer
ensemble la réussite d'une agriculture et d'une consommation « saine
».
L'idée ? Un groupe de consommateurs s'engage à financer à
l'avance, selon
un prix fixe prédéterminé en début de saison, la récolte d'un paysan de
proximité qui produit des légumes, de la viande, ou tout autre denrée
alimentaire selon un mode de culture souvent biologique, mais pas
systématiquement, qui assure la qualité gustative, sanitaire et
environnementale des produits. En retour, le paysan distribuera entre
tous les
membres de 1'AMAP la récolte issue de cette culture tout au long de la
saison
pour laquelle ils se sont engagés à l'écouler. Cette définition
marchande de
l'AMAP cache cependant ce qui, pour beaucoup des membres de ces
associations,
en constitue le coeur : la solidarité et l'engagement qui lient les
partenaires
de l'échange qui rompent avec les intérêts particuliers qui divisent
consommateurs et producteurs sur le marché au profit de ceux,
réciproques, qui
les unissent pour maintenir et développer un modèle d'agriculture mis à
mal par
la filière agro-alimentaire. II ne s'agit plus en AMAP de se rencontrer
pour
opérer la meilleure transaction économique, comme le feraient les
figures du
consommateur et du producteur sur le marché classique, mais de
s'associer pour
assurer une qualité à la fois de la production et de la consommation.
L'objectif de l'AMAP ? Rompre la séparation entre les producteurs et
les
consommateurs en leur permettant de retrouver ensemble la maîtrise du
contenu
de leur assiette et de sa production. Cet objectif est assuré par
l'aménagement
d'un échange qui rompt lui aussi avec celui mis en place par les
opérateurs
classiques du marché, en premier lieu desquels la grande distribution.»
Gwendal
Dupont, La création et le maintien de l’accord sur l’échange
en AMAP – Mémoire
de Master 1 de sociologie, Université de Toulouse 2 le Mirail, 2010-2011
[26] Cf. par
exemple, Et si on
repensait tout dans le numéro spécial de Sciences
humaines de
janvier 2012.
[27] Emergence
de Homo Gemeinwesen, Invariance,
série IV, n° 5, p. 43, 9.1.10.1. Sur le site Internet: emergence5,
avant-dernier paragraphe de 9.1.10.1.
[28] Les deux
derniers paragraphes
constituent le début d’une étude sur Parménide, et une tentative
d’illustration
de ce que peut être un cheminement dans un monde hérissé de
discontinuités. À
partir de l’œuvre de ce philosophe j’y affirme: "Penser c'est cheminer
à
travers des pensées, dire (plus que parler) c'est cheminer à travers
des mots,
des phrases. Penser c'est marcher, marcher c'est penser".
[29] Ed. Champs
essais, 1992, p. 12.
[30] Idem, p. 16.
[31] Idem, p. 17.
Colère et fierté
sont des émotions profondément affectées par la spéciose. En ce qui
concerne la
honte c’est vraiment une émotion induite par celle-ci.
[32] Idem, p. 22. Ce
qui complète ce qui
est affirmé dans la citation précédente
[33] Idem, p. 21.
[34] Idem, p. 20.
«le désir de
reconnaissance – ou thymos», p. 19 Ce "concept" est
emprunté à
Platon et correspondrait à «esprit de vie», p. 17. Ceci me semble
relever d’une
confusion résultant d’un mélange de diverses notions
car, à la même page F. Fukuyama écrit: «Cette
propension à l’estime de soi naît de cette partie de l’être que Platon
appelait
thymos.» Pourrait-on penser que le désir de
reconnaissance révèle
l’esprit de la vie exprimé par une partie de l’être?
[35] Idem, p. 22.
[36] Idem, p. 23.
[37] Comme le
signale d’ailleurs F.
Fukuyama: «La propension à investir le moi d’une certaine valeur,
et à
exiger la
reconnaissance de cette valeur
correspond à ce que le langage courant actuel appellerait l’"estime de
soi"». p. 17
Dans La
fin de l’homme- Les conséquences de la révolution biotechnique,
Ed.
Gallimard, Folioactuel, il traite en fait du futur post-humain comme
l’indique le
titre anglais et se termine par un inévitable Que Faire?
Avec en conclusion
une distinction entre faux étendard de la liberté
et liberté
véritable. C’est une expression de l’impasse où se trouvent
les défenseurs
de l’ordre établi et de la répression nécessaire pour le développement
du
progrès. Son dernier livre Le début de l’histoire. Des
origines de la
politique à nos jours. qui est, selon ce qu’en rapporte Alain
Frachon dans
son article Francis Fukuyama après la fin de l’histoire, dans
Le
Monde du 19 octobre 2012, un autre plaidoyer pour la
démocratie. On peut se
demander si le passage de la fin au début n’est pas une forme de
conjuration de
l’inéluctable.
[38] G.W.F. Hegel La
phénoménologie de
l’esprit, traduction de Jean Hyppolite, Ed. Aubier Montaigne,
t, 1, p. 155.
[39] Selon l’exposé
d’Alexandre Kojève, Introduction
à la lecture de Hegel, Ed. tel Gallimard,
p. 21
[40] Il est
également traduit par
sublimation. Dans ce cas on est très proche de la dynamique de
recouvrement.
[42]
Elle ne pourra pas être
exhaustive, loin de là, parce que le thème est très vaste. Elle doit
être
abordée de diverses façons. En ce qui concerne la certitude sensible on
peut le
faire à la manière dont je l’ai exposée dans une lettre à un ami du
16.avril
2000. "Le livre de Jacques D’Hondt est très intéressant par suite des
documents qu’il fournit et me confirme bien la duplicité que dut
endosser
G.W.F. Hegel; Toutefois, à mon avis il n’a pas saisi ce dernier de
l’intérieur.
Il fait état de la certitude sensible pour mettre en doute son vécu.
“Il n’est
pas plus que d’autres parti d’un état premier de “certitude sensible”.
Celle-ci, dans la mesure où l’on peut l’identifier précisément,
représente
elle-même une étape ultérieure d’un développement réel commencé
auparavant”. p.
36 Plus loin il ajoute : “L’existence de la “certitude sensible” n’est
qu’une
supposition faite après coup par le philosophe pour essayer de rendre
compte
des débuts de l’esprit”. Je dis non. Ce que l’auteur de La
phénoménologie de l’Esprit, au moins au moment où il la
rédige
car c’est peut-être avant, désigne par “certitude sensible”, c’est un
état
qu’il a connu très tôt, probablement au cours de son premier mois de
vie, quand
il s’est trouvé devant la rupture de la continuité et qu’il lui est
resté une
seule chose pour survivre, cette certitude. Pour la sauver, la
confirmer, la
maintenir dans un devenir, il l’a transférée dans une entité, un
quelque chose
placé au-dessus de lui, une entité protectrice, salvatrice, etc.: ce
qu’il
désignera plus tard par esprit absolu. Tout le devenir de G.W.F. Hegel
c’est de
réaliser cet esprit absolu dont le germe est la certitude sensible. Je
sens
qu’il aurait pu dire aussi intime. En exposant la phénoménologie, qui
est celle
de la certitude, il expose comment il s’est construit théoriquement et
l’on
comprend bien que l’esprit absolu pleinement développé à la fin existe
déjà
dans la certitude sensible. Cet esprit c’est à la fois lui et pas lui.
Lui-même
en tant que certitude sensible et tout son devenir, et un autre dans la
mesure
où il a eu besoin de cet autre pour extérioriser et confirmer son être.
C’est
pourquoi doit-il s’extérioriser pour aller vers la confirmation et
retourner à
lui, bei sich, avec le risque de se perdre. Il indique bien comment,
enfant, il
a opéré pour pouvoir sauver son être originel." (Extrait d’une lettre à
un
ami du 16.avril 2000)
[43] La validité
d’une théorie
scientifique, sa scientificité, ne sont effectives que si elle est
réfutable.
Il faut que s’impose le risque de n’être pas (cf. K. Popper).
[44] Conférences
de 1805-1806,
citation faite par A. Kojève, o.c. p. 570.
[45] Ainsi se crée
pour l’enfant, selon
les théorisations récentes, une dette de vie, ce qu’on abordera
ultérieurement.
C’est aussi un support pour le sentiment de culpabilité.
[46] Conférences
de 1803-04, cité
par A. Kojève, o.c, p. 559
[47] Une
contribution visant à expliciter
cette affirmation se trouve dans Répression et psychose.
[48] La pérennité de
la réflexion
hégélienne peut se percevoir chez Ernst Jünger, L’État
universel – Organisme
et organisation, Ed. Gallimard, 1962.
[49] Cela n’empêche
pas les hommes de
recourir au meurtre des femmes et Françoise Héritier de constater que
tuer sa
femelle constituerait le "ce qui est propre à Homo sapiens"; on peut
ajouter son logo.
[50] Marx fut
préoccupé par le rejet du
déterminisme ainsi il préféra la thèse d’Epicure à celle de Démocrite
car
l’introduction du concept de clinamen réinsérait une dimension de
liberté.
[51] Obsolescence
de l’homme – Sur
l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle,
pages 37 et 38.
[52] Idem, p. 44.
Rappelons que J.P.
Sartre disait dans L’être et le néant: on a honte
de soi devant autrui.
G. Anders affirme ensuite que la honte engendre la honte, d’où la honte
de la
honte. Pour dissimuler la honte dont on a honte on est amené à recourir
au
recouvrement.
[53] Ainsi
parlait Zarathoustra, traduction
de Geneviève Blanquis,
Edition
bilingue Aubier-Flammarion, pp. 57-59 (pPrologue 3). F. Fukuyama a mis
cela en
exergue du chapitre L’engénierie génétique de son
livre La fin de
l’homme – Les conséquences de la révolution biotechnique.
Toutefois il
n’éprouve pas de honte vis-à-vis de l’homme génétiquement modifié dont
rêvent
certains qui, justement, la ressentent probablement et veulent, comme
l’indique
F. Nietzsche, aller au-delà (dépasser, surmonter) et, par là, fuir une
menace
et tenter de combler ce qui ne peut pas être assouvi. Cela nous évoque
la
dynamique du progrès telle que désormais elle s’impose à nous.
Enfin, objet
de dérision et honte douloureuse
signalent l’énorme souffrance de F.
Nietzsche car cette dernière est redoublée du fait de la dérision ou
reconnaissance négative et négatrice. Ce qui va l’enfermer dans la
folie qui
fut peut-être une résorption de sa schizophrénie paranoïde, la dérision
étant
fort importante chez les schizophrènes.
[54] À propos des
concepts d’Unheimlich
et d’Unheimlichkeit – l’inquiétant familier– je renvoie à Addendum
2010. J’ai
dernièrement fait un ajout à la note 49 de ce texte où j’explique qu’il
vaut
mieux traduire Unheimliche par inquiétant familier
plutôt que par
inquiétante étrangeté, comme on le fait habituellement. C’est cette
expression
que j’utiliserai dorénavant.
[55]
L’écho du temps, 1980.
[56]
Le
désespoir et la terreur de l'être non reconnu sont exprimés de façon
profondément
angoissante par Blaise Pascal: "Le silence éternel de ces espaces infinis
m'effraye".
[57]
Traduction de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Ed Leméac
/Actes
Sud, 2008. Le titre anglais de l’ouvrage, publié en 2007, The
Shock
Doctrine. The Rise of Disaster Capitalism correspond plus à
son contenu
parce qu’il s’agit effectivement d’une doctrine à partir de laquelle
une
stratégie fut mise en place, une thérapie.
[58] Ce thème fut
déjà abordé dans la
série d’articles Propriété et Capital parus dans
la revue Prmeteo, série
I, n° 10, 11,12,13, 14, série II, n° 1,4, entre 1950 et 1952. Voir en
particulier le chapitre 12, Tendance moderne à l’entreprise
sans propriété.
Adjudications et concessions.
[59] J’ai abordé
cela dans Gloses VIII,
dans la partie consacrée à un article de Clara Gallini.
Naomi Klein
parle du choc qu’elle présente ainsi: «Voici comment fonctionne la
stratégie du
choc; le désastre déclencheur – le coup d’État, l’attentat terroriste,
l’effondrement des marchés, la guerre, le tsunami, l’ouragan – plonge
la
population dans un état de choc collectif. Le sifflement des J
Jacques
bombes et
les
vents rugissants "assouplissent" les sociétés, un peu comme la
musique tonitruante et les coups dans les prisons où se pratique la
torture».
Page, 31 Notons
aussi ceci: «…
l’économie du désastre a peut-être sauvé les marchés mondiaux de la
menace de
récession complète qui pesait sur eux à la veille du 11 septembre
2001».
Je ne pense
pas déformer sa pensée en parlant de choc et effroi, Shock and Awe (et
j’emploierai souvent l’expression anglaise) dont elle fait d’ailleurs
état à la
page 16.
[60] Ralph Mc Gehee, l’un des agents principaux de la CIA en poste à l’époque du coup d’État, déclara qu’il s’était agi "d’une opération modèle […] Ce sont les grands événements sanglants orchestres depuis Washington qui ont permis l’arrivée au pouvoir de Suharto. Cette réussite signifie que l'expériece pourrait être répétée encore et enore." (p111)
[61] À la suite, selon A. Bordiga, de la seconde agression à l’Europe, la première ayant eu lieu lors de la guerre de 1914-1918. Notons que Naomi Klein affirme: «Le plan Marshall fut l’arme ultime déployée sur le front économique». (p. 387).
Notons
que la dynamique de semer l'effroi, de choquer est très ancienne.
Rappelons les agissements des mongoles ou ceux des troupes de
[62] Comme c’est le
cas de beaucoup de
psychothérapies, particulièrement celles fondées sur le comportement et
sur la
théorie cognitiviste, qui ont pour but d’éliminer les croyances, les
représentations des patients, des patientes.
[63] C’est ce que
cherchaient à réaliser
les pédagogues dont nous avons donné deux exemples avec J. Locke et I.
Kant
dans Addendum 2010.
Ce qu’il y a
d’impressionnant et presque d’hallucinant c’est que les patients et les
patientes, en subissant ces sévices, étaient dans le rejouement. Ainsi
Gail
Kastner rejoue les sévices psychologiques exercés sur elle par son
père. p. 48.
Voici ce que nous dit Naomi Klein à son sujet. «Gail mettait ses
défaillances
sur le compte d’une santé mentale vacillante. De vingt à quarante ans,
elle
s’est battue contre la dépression et la dépendance aux pilules. Parfois
elle
faisait de violentes crises et se retrouvait à l’hôpital, dans un état
comateux. Les siens ont fini par la renier. Elle s’est retrouvée à ce
point
seule et désespérée qu’elle devait faire les poubelles des supermarchés
pour
survivre».
«Certains
indices lui donnaient d’ailleurs à penser qu’elle avait subi, toute
jeune, des
traumatismes encore plus graves.» p. 45.
[64] C’est pourquoi,
selon moi, les
thérapies prônant une brutale élimination des défenses, des prothèses,
afin
d’accéder plus vite aux émotions profondes, me semblent grosses de
dangers.
Comme c’est d’ailleurs affirmé, sous une autre forme, dans la phrase en
exergue
de ce texte.
[65] Une traduction
de ce texte avec
diverses notes se trouve sur le site de la revue Invariance.
[66] La terreur,
comme la torture,
présente des vertus thérapeutiques. Naomi Klein nous indique, p. 174,
que: «De
nombreux tortionnaires se donnaient des airs de médecins et de
chirurgiens».
[67] Ceci nous fait
irrésistiblement
penser à la guerre utile, à la guerre humanitaire.
Naomi Klein a
exposé comment a opéré la stratégie du choc incluant la
thérapie de choc, outre au Chili et au Canada comme nous l’avons
mentionné,
dans les pays suivants: Bolivie, Argentine, Brésil, Pologne, Mexique
1994,
Russie 1998, USA (11 septembre 2001 et le cyclone Katrina), Ceylan et
Indonésie
en rapport au tsunami de 2004, Afrique du Sud, Asie du Sud-est
(Singapour,
Malaisie), Chine, Liban 2006. Nous pouvons ajouter qu’elle a opéré plus
récemment en Libye, en Grèce comme en Espagne et plus généralement
qu’elle est
enclenchée dans l’Union européenne et dans diverses autres zones.
Des phénomènes
aussi meurtriers en rapport à choc et effroi, mais avec
d’autres méthodes, eurent lieu en Chine par exemple avec le grand bon
en avant
ou la révolution culturelle.
[68] Page 122 de
l’édition Petite
bibliothèque Payot. La première édition originale de ce livre est de
1942.
[69] C’est Henri F.
Ellenberger qui, dans
Histoire de la découverte de l’inconscient, Ed.
Fayard, définit ainsi
les troubles psychiques tant chez les chamanes que chez diverses
personnes au
cours des âges, particulièrement à l‘époque romantique, comme chez des
personnages plus récents tels Th. Fechner, S. Freud, C.G. Jung. À
propos de la
médecine romantique, il cite Johann Christian August Heinroch qui
distinguait
diverses modalités de la conscience en particulier le Gewissen
(la
conscience morale) qu’il définissait "un étranger à l’intérieur de
notre
moi" (p. 243). Cela correspond au sur-moi de S.
Freud et dans une
certaine mesure, à l’Unheimlich, l’inquiétant
familier, qui provient de
la répression subie depuis toujours. J’ai fait cette incidente pour
signaler
que la recherche au sujet de l’inconscient se double nécessairement de
celle
concernant la conscience se posant comme le topos à partir duquel
s’effectue la
répression. Ceci dit, la maladie créatrice apparaît comme la
manifestation de
l’individu essayant d’échapper à celle-ci.
[70] Dans la
troisième édition, 1981, du Dictionnaire
économique et financier, de Y. Bernard et J.C. Colli, Ed. du
Seuil, 1975,
il n’est pas fait mention de ces agences de notation financière. En
fait
d’après Wikipédia leur origine remonte au milieu du XIX° siècle.
D’après ce qui
est rapporté dans cette encyclopédie on perçoit dans leur dynamique une
grande part
de spéculation et une difficulté de savoir exactement pour qui elles
travaillent et dans quelle mesure elles se sont autonomisées,
accaparant un
pouvoir énorme leur conférant une immense aptitude à la répression qui
est en
définitive nécessaire pour que l’organisme économico-social fonctionne
car il a
besoin d’un centre d’émission de la répression pour toujours la
réactualiser.
[71] On ressent un
flou en ce qui
concerne la nature de l’information. Elle est d’abord dite constituée
de 0 et
de1, puis on nous dit que sa nature est inconnue, enfin on se pose la
question
de savoir sous quelle forme elle est codée. En outre, est-ce qu’un
degré de
liberté correspond à un quantum d’information, et est-ce qu’être libre
implique
avoir beaucoup d’informations?
[72] Pour
la Science, n° 416, juin
2012.Les citations sont tirées successivement des pages 25, 28 (2°
colonne), 29
(1° colonne), 27 (2° colonne).
[73] Ce concept de
K. Marx est explicité
dans le chapitre 12 Le mouvement du Capital, en
cours de rédaction, de
l’étude Émergence de Homo Gemeinwesen. Il
contiendra en outre une
approche plus détaillée du phénomène de la dette et de la forme.
[74] Dans son livre Debt
– The first 5. 000 years – (La
dette –Les 5. 000
premières années),
Ed. Melville House Publishing, David Graeber expose les théories
concernant la
dette de vie, la dette primordiale, etc. Sa propre théorie concerne une
autre
approche de l’économie qui postule en dernier ressort l’existence quasi
originelle de la monnaie car celle-ci existe dans la mesure où elle est
support
de la confiance, ce qui fonde son antériorité. Son analyse est fort
intéressante, stimulante, par exemple en ce qui concerne le rapport
dette
obligation morale. Toutefois je ne peux pas accepter son extension dans
le
temps de la période axiale, mise en évidence par Karl Jaspers, la
faisant
débuter en 800 avant Jésus Christ et finir en 600 après, ce qui lui
permet
d’inclure la formation de toutes les religions dont le christianisme et
l’Islam. Pour moi c’est un escamotage de divers comportements vis-à-vis
de la
valeur. La période axiale est celle où s’impose l’argent en tant que
monnaie,
le mouvement de la valeur en sa dimension horizontale, tandis que le
christianisme, à une époque ultérieure, est en rapport avec un vaste
mouvement
de refus de la valeur, et l’Islam, encore plus tard, est un compromis
avec
celle-ci; la transcendance d’Allah compensant l’immanence de cette
dernière.
[75] «Se considérer
comme indispensable à
de jeunes êtres humains, sans défense, simplement parce qu’on les
nourrit, est
le plus atroce des paternalismes». Goliarda Sapienza, L’art
de la joie,
Ed. Pocket, p. 514. J’ajouterai simplement: et des maternalismes.
[76] Michel Cornu, La
dette et le don,
texte prélevé sur Internet: w.w.w.contrepointphilosophique.ch. L’auteur
indique
en note que la citation est extraite du livre de Nathalie
Sarthou-Lajus, L'éthique de la dette, p. 42, P.U.F., Paris, 1997 (Coll.
Questions).
[77] La
solution qu’il préconise est encore plus révélatrice de la dimension
spécio-ontosique. «Entre l'oubli de la dette - qui, dans
l'ingratitude,
abolit abstraitement le passé, rendant impossible la sortie du présent,
la
relation structurée avec l'autre - et le sentiment d'une dette
impayable,
enfermement dans le désespoir, il y a place
pour une conscience
de la dette qui ouvre l'avenir et structure la relation. C'est ce que
je vais
montrer maintenant. Ni indépendance, au sens où le sujet croit ne rien
devoir
qu'à lui-même, ni dépendance aliénante où le sujet est brisé dans son
besoin de
reconnaissance, mais interdépendance qui permet une éthique de la
finitude,
c'est-à-dire une éthique qui situe l'homme en sa réalité existentielle.»
Il
préconise
une voie du milieu qui se trouve en pleine cohérence avec la
revendication de
l’interdépendance, une compensation à la perte de continuité. La finitude,
réalité existentielle de l’homme c’est celle de l’individu,
de l’être
séparé, ne participant plus à la totalité. Pour ne pas se perdre il lui
faut
donc une éthique qui lui permette de se comporter dans le monde de
l’espèce
comme dans la nature.
[78] La question
sera reprise dans le
chapitre concernant le mouvement du capital de Émergence de
Homo
Gemeinwesen, en cours de rédaction
[79] Voir par
exemple, André Gide, Les
caves du Vatican.
Il peut y
avoir assimilation de la liberté à la gratuité, car qu’est-ce qui la
fonde? En
fait son support c’est la spontanéité et l’immédiateté de l’être
originel qui,
depuis longtemps, ont été occultées.
[80] Dans le
chapitre sur le mouvement du
capital on verra l’importance de la transsubstantiation dans son
devenir.
[82] Le fait
qu’Israël soit l’État où
l’industrie de la sécurité est la plus développée signale un profond
rejouement. Le peuple juif s‘est senti constamment menacé et eut besoin
d’un
dieu pour l’élire et le protéger.
[83] La guerre n’est
pas voulue mais elle
est nécessaire. C’est ce que nous indique B.H. Lévy avec le titre de
son livre:
La guerre …sans l’aimer, qui nous signale, grâce aux
points de
suspension, qu’il n’y est pour rien, que cela lui est imposé. On
pourrait aussi
se poser la question: à quoi la guerre est-elle donc suspendue?
[84]
On
pourrait développer ici le rapport étroit entre la dynamique
scientifique et
celle policière. En ce qui concerne la psychologie divers auteurs ont
souligné
les affinités entre Sherlok Holmes et S. Freud. De même l’innovation,
la
création, sont mobilisées pour assurer la police de la pensée, qui va
au-delà
de la censure, nécessaire pour assurer la sécurité, par exemple en
produisant
une novlangue (cf. note 110).
[85] Dans Le
Capital, Livre I,
t.1, chapitre La marchandise, aux éditions
sociales. J’ai déjà traité de
la question dans Forme, réalité-éffectivité, virtualité, dans
le n° 1 de
la série V d’Invariance.
[86]. Naomi Klein
rapporte ce que Brenda
Hilbrich lui a dit au cours d’un entretien.
[87] G. Anders
relève que ce
questionnement peut aboutir à une affirmation nihiliste: «La célèbre
question
que Lotze formula à la suite de Schelling et de Weisse: "À quoi cela
tient-il, comment est-il possible ou comment se fait-il qu’il y ait
quelque chose
plutôt que rien?", cette question est reprise par le nihiliste, qui
n’est
en fait qu’un moraliste ayant perdu toute illusion, sous la forme
suivante:
"Pourquoi devrait-il exister quelque chose plutôt que rien?"» L’obsolescence
de l’homme – Sur l’âme à l’époque de la deuxième
révolution industrielle,
ED. De l’Encyclopédie des nuisances, Ed. Ivrea, 2002, traduit par
Christophe
David, p. 334.
On
pourrait à partir de là faire une approche des problèmes du vide, du
zéro. Curieusement on pourrait également envisager celui de l’évidence
en
rapport à la dynamique de séparation car, à cause de celle-ci, des
faits, des
évènements accèdent à la délimitation, au possible d’être perçus, mais
perdent
leur évidence. Leur connaissance réclame alors une médiation, un procès
de
connaissance.
[88] «Le mot
branding est issu du mot
anglais"brand" (marque, construit lui-même à partir de la racine
germanique "brendt", qu donne en allemand brennen
et brûler en
français. La signification de "marque" correspond au "marquage
par le feu", par un "brandon", de bren (brûler et de dru (bois),
soit du bois "bruni" par le feu, puis par extension par le fer rouge
(tison) (marquage au fer rouge). Il s’agissait à l’époque médiévale de
marquer
un ovin ou un bovin afin de reconnaître le propriétaire. Aux USA, à
l’époque de
la conquête de l’Ouest, le branding correspondait au marquage des
troupeaux au
fer rouge, puis par extension à tout "marquage"de type commercial».
Wikipedia L’article signale ensuite que le branding «caractérise une
sorte de
pouvoir de la marque (…) il
regroupe
tous les aspects intervenant dans l’image de marque d’une entreprise
tel que
son territoire et son style de vie, la des_c_r_i_p_tion de la qualité de ses
produits , ses valeurs, ses signes de présence, donc finalement, son
logo et sa
charte graphique. Il permet d’attribuer à l‘entreprise une personnalité
et une
identité unique». L’article nous apprend aussi qu’il se développé à
partir des
années 50.
Ce qui est
fort remarquable c’est que le concept de branding contient la notion de
reconnaissance et que parmi les fonctions de celui-ci, on trouve celle
«de
faciliter l’acte d’achat en réduisant l’incertitude du consommateur
devant un
choix à prendre parmi plusieurs marques.». Et celle «de donner un sens
particulier à la consommation au-delà des produits consommés».
[89] De la
vie, dans le n°5, série
V, d’Invariance.
Dans son
œuvre sur l’obsolescence de l’homme, G. Anders nous expose le passage
de la
réification, la réduction de l’homme à une chose, à l’objectalisation
où
l’homme se comporte en objet, parce qu’il s’est identifié à lui.
[90] Harold Searles,
L’environnement
non humain, Ed. Gallimard, pp. 198-199. Cet ouvrage est
fondamental pour
une approche de la schizophrénie et plus généralement de la psychose,
«la thèse
qu’il soutient est qu’une des conditions de la santé psychique est de
vivre
avec un sentiment d’apparentement à la nature.» Victor Souffir, Harold
Searles, Ed. puf, p.55.
En ce qui
concerne l’objectalisation, voici ce qu’une schizophrène déclara à
Harold
Searles: «"On ne fait pas des choses pour moi" et
"on ne
pense pas à moi, on pense à mon sujet"». O.c. p. 194 Elle indique fort
bien comment on fait d’elle un objet.
[91] Idem, pp. 49-50.
[92] H.Searles
utilise un concept qui se
rapproche de celui de participation, l’apparentement: «Par là,
j’entends, d’une
part le correspondant psychique de cette parenté structurelle avec tant
d’éléments non humains (…) Mais d’autre part et simultanément, ce
sentiment
d’apparentement comporte le maintien de la conscience de son
individualité en
tant qu’être humain, et de l’impossibilité de se fondre dans le monde
non
humain, si étroitement que l’on soit lié à lui et à tant de niveaux.»
O.c, p.
108 La fusion est un désir ontosique pour compenser la séparation,
source de
trop de souffrances.
[93] Je préfère
utiliser le concept
d’imitation plutôt que celui de mimétisme car ce dernier implique une
immédiateté, voire une passivité absentes dans l’imitation. Or la
reconnaissance implique la volonté.
[94] Ce concept
s’impose de plus en plus
depuis que s’est opérée la destruction de la nature. Il désigne un
ensemble
d’éléments manipulables supports de spéculation, au sein desquels
peuvent
subsister quelques rudiments de nature nécessaires à la justification
du
"tout écologique" dans lequel on nous immerge.
[95] De
l’organisation, Invariance série
II n° 2, p. 53.
[96]
Beaucoup est à dire sur l’invisible. J’espère y revenir dans l’étude De
la
spéciose. En particulier il conviendra d’étudier le rapport
entre
l’invisible et l’évidence refusée. En une première approche on peut
dire que le
refus de quelqu’un peut induire sa non reconnaissance, et celle-ci le
rendre
invisible.
[97] Ce que nous
indique Daniel L.
Everett dans son livre Le monde ignoré des pirahas, Ed.
Flammarion. Les
pirahas ne connaissent pas la récursivité (possibilité d’inclure des
propositions à l’intérieur d’une phrase) ce qui remet en cause la
théorie de
Chomsky. L’auteur fait appel à un "principe d’immédiateté de
l’expérience" (PIE) et affirme: «Le PIE ne permet pas seulement de
mieux comprendre
la grammaire; il aide aussi à rendre compte d’autres vides dont nous
avons déjà
traité, comme l’absence de termes numériques et celles de mots
désignant les
couleurs ou encore la simplicité du système de parenté, etc.» Page 303.
Dans
cet etc. est probablement inclus le fait que les pirahas ne
s’orientent pas en
fonction de la droite et de la gauche, mais en fonction du fleuve,
auprès
duquel ils vivent. Ils se réfèrent par rapport au topos, ce qui signale
un
autre procès de connaissance, qui fut peut-être originel pour les
diverses ethnies.
[98] De la
visibilité avec pour
sous-titre excellence et singularité
en régime médiatique, Ed. Gallimard, p. 300.
En complément
je citerai ceci: «Pourquoi donc est-il si important de prendre au
sérieux cette
question apparemment triviale de la dissymétrie (dans la
reconnaissance,
n.d.r)? C’est qu’elle crée un différentiel de ressources entre gens
connus et
inconnus – ce que Chamford nommait un "avantage" lorsqu’il parlait
de "l’avantage
d’être connu".
Or ce différentiel peut s’assimiler à
un véritable capital.» p. 43
En effet tout ce qui est apte à produire un incrément, en quelque domaine que ce soit, constitue ce que K. Marx appela capital formel (voir note 53).mes remarques doivent être difficiles à prendre puisqu'elles impliquent peut-être de faire encore "un tour" de rédaction et qu'il y a déjà beaucoup de travail d'élaboration
J’ajoute que
la dissymétrie est le propre de la relation entre la créature et son
créateur,
entre l’individu et dieu. Et que, donc, le marketing permet de rejouer
de très
anciens comportements et par là de pérenniser la dynamique de la
répression
avec tout ce qui en découle.
[99]
Cf. Giorgio
Cesarano, Critica dell’utopia Capitale, Ed Colibri
[100] Idem, pp.
456-457. Les citations
reportées par l’auteur sont de Jean-Luc Marion, Ce que nous
montre l’idole.
Le regard
fait l’idole, ce n’est pas toujours le cas. Souvent l’être placé au
sommet de
la hiérarchie, le chef, ne devait pas être regardé. Dans certains cas
c’était
en relation avec le tabou alimentaire, il ne fallait pas le voir en
train de
manger.
[101] Ibid. pp.
556-557. Je rappelle que
ce livre contient un grand nombre d’analyses fort intéressantes et que
je n’ai
extrait que
quelques éléments
nécessaires à fonder mon approche théorique à cause d’une certaine
"convergence", mais je ne veux en rien limiter son importance.
[102] Ce devenir au
mouvement pour le
mouvement est déjà inclus dans la définition du capital en tant que
valeur en
procès. Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre Le
mouvement du
capital.
[103] Le concept
d’ionisation a été
utilisé par A. Bordiga pour indiquer qu’en période de reprise
révolutionnaire
les individus vont être orientés par le champ révolutionnaire, alors
qu’en
période de calme social, ils se comportent comme des particules neutres.
[104]
«La
Dikê, écrit Heidegger, désigne la fatalité qui dispose et enchaîne
essentiellement tout étant. En tant que tel, le savoir concernant la
Dikê ainsi
que les lois de la fatalité de l’Être de l’étant, constituent la
philosophie
même». Wikipedia
[105] Charles Handy, cité par Naomi Klein. in No Logo, p.412.
[106]
En reprenant la
thématique leibnizienne on peut dire: le monde, et même le cosmos,
conglomérats
de possibles, sont compatibles avec la fluidité, la dissolution de
l'espèce.
Ils forment des compossibles intégrant l’incertitude.
[107] Une certaine
analogie avec ce qui
advint à la fin du monde antique avec le triomphe du christianisme:
tout le
monde fut asservi à dieu. On comprend que F. Nietzsche ait pu affirmer
que le
christianisme est une religion
d’esclaves
[108].Obsolescence
de l’homme – Sur
l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, page
121.
[109]. Cf. Le
propre de l’homme qui
constitue le tome 2 de Aux origines de l’homme où
est affrontée la
question qu’on pourrait libeller: quel est le logo de l’espèce?
Avec le logo
il y a affirmation de l’unique et de sa propriété.
[110] Diverses
caractérisations de
l’espèce pourraient opérer comme logos de celle-ci. Ainsi: «L’Homme?
L’homme
est un collectionneur». répond la louve Flamme Noire à ses enfants. L’œil
du
loup de Daniel Pennac, Ed. Juniors-Pocket, p. 29. Et c’est
parfaitement
juste, comme son récit le prouve, en mettant à nu la réalité des divers
déracinements. Les animaux plus ou moins exterminés en Afrique sont
collectionnés au jardin zoologique de Londres où ils retrouvent
Afrique,
l’enfant interlocuteur de Loup Bleu, lui aussi en quelque sorte
collectionné,
ainsi que sa famille adoptive africaine chassée de son pays. Le
collectionnisme
concerne le passé, mais va affecter le futur. Il aboutit à une autre
forme
d’objectalisation.
L’avarice
peut être considérée comme une forme pathologique du collectionnisme.
Dans les
deux cas il y a enfermement de ce qui est collectionné et du sujet qui
collectionne.
On peut
considérer que le logo peut s’inscrire dans le corps, ainsi un pénis
circoncis
peut faire office de logo.
[111]
Font également partie du
récit les ragots, les potins, les cancans.
[112] Cela me fait
penser à la réflexion
d’une jeune enfant, à propos de son frère plus jeune (8 mois): papa, il
faudra
lui dire qu’il est un être humain.
[113] Ces citations
du numéro 169,
janvier/février 2012, de Sciences-Avenir: Qu’est-ce l’Homme?
100
scientifiques répondent, se trouvent aux pages 27, 32, 105
et 107.
[114] Obsolescence
de l’homme – Sur
l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle,
page, 344.
.
[115] Ce besoin de
libération est celui de
l’être naturel en tout individu comme l’expose aussi H.Searles: «Ainsi
limitée,
elle ne rend pas justice à l’effort incessant de l’être humain, que ce
soit aux
niveaux conscient ou inconscient, pour pousser plus avant sa croissance
psychique et sa maturation affective. L’individu n’abandonne jamais
vraiment un
tel effort, si profonde ou si durable que soit la maladie mentale qui
l’entrave». O.c. p. 229. En fait la maladie elle-même témoigne de cet
effort.
En s’inspirant de Henri F.Ellenberger on peut dire qu’elle opère, dans
une plus
ou moins grande mesure, comme maladie révélatrice.
La grande
difficulté à se libérer se trouve à la base des maux de l’espèce. Marie
Balmary. Affirme: «Qui donc ferait le mal s’il était pleinement
lui-même». L’homme
aux statues. Freud et la faute cachée du père, Ed. Grasset,
p. 291 On ne
peut être pleinement soi-même que si on arrive à s’atteindre,
c’est-à-dire à
atteindre sa naturalité.
[116]
«Une novlangue n’est pas faite
pour être
comprise, mais pour être acceptée
sans discussion: sa fonction est d’intimider
et d’assujettir. Plus
profondément, elle discrédite la langue que parlent encore les hommes,
et
accoutume chacun à pratiquer l’absence de sens. On finit insensiblement
par
penser comme on parle, parce qu’il y a une profonde intimité entre
parler et
penser». Bernard Tournoud, texte communiqué par sa femme.
Je cite
encore ce qui suit qui revêt une grande importance. «Pire encore:
l’institution
scolaire fait violence à l’enfant, en lui
imposant, dés l’école
primaire, de construire lui-même son savoir, par
ses seules ressources.
Par là, on pose l’enfant comme un individu qui
doit développer et
capitaliser, par ses moyens propres, les capacités dont il dispose».
«La violence
initiale infligée à l’enfant et confirmée ensuite par les méthodes que
l’on
emploie pour l’accompagner dans son parcours du combattant».
«Cette
violence faite à l’enfant tient encore en ceci que, dés le plus jeune
âge, il
est livré sans défense à l’autorité du groupe générationnel auquel il
appartient».
[117] Obsolescence
de l’homme – Sur
l’âme à l’époque de la deuxième
révolution industrielle, page 148. La présence quasi
obsessive de
l’obsolescence chez G. Anders m’amène à la question:a-t-il été hanté
par l’idée
de vivre en vain?
[118] Idem, p. 131.
[119] Tout ce que
nous expose A. Janov
dans son livre, extrêmement intéressant, Séxualité et
subconscient, Perversions
et déviances de la libido, Ed.du Rocher, 2006, met bien
évidence que la
sexualité, s’impose comme support pour exprimer toutes les affectations
induites par les traumatismes originels. Toutefois il ne parvient pas
nettement
et précisément à une telle conclusion
[120]
Celle-ci ne
s’exprime-t-elle pas dans la pratique du bodyart?
Le
désespoir et la terreur de l'être non reconnu nous est signalé de
façon profondément angoissante par Blaise Pascal: "Le silence de ces
espaces infinis m'effraye".
[121]. Le
fromage et les vers, Ed.
Aubier, traduit par Monique Aymard, p. 103 puis page 11.
Cette mise en
évidence d’une pensée en marge se retrouve dans un ouvrage antérieur. Les
batailles actuelles. Sorcellerie et rituels agraires au Frioul,
XVI°-XVII°, Verdier
Edit, Lagrasse, 1980 que nous lisons en italien: I
benandanti, stregoneria e
culti agrari tra
‘500 e ‘600, Ed.
Piccola Biblioteca Einnaudi, 1966.
L’ouvrage
fondamental de Edward P.Thompson La formation de la classe
ouvrière
anglaise, traduit de l’anglais par Gilles Dauvé, Mireille
Golaszewski et
Marie-Noëlle Thibault, Ed. Le Seuil, met aussi en évidence une culture
populaire intense et une aptitude à penser souvent déniée aux
travailleurs et
aux travailleuses, bien qu’il ne se limite pas à cela et expose une
multitude
de thèmes essentiels pour l’histoire du mouvement ouvrier. Cf. aussi note 23.
[122] A. Bordiga fut
très conscient de ce
phénomène et voulut l’enrayer en préconisant la formation d’un cordon
sanitaire
autour du parti.
Depuis quelques années j’essaie de mettre en évidence tout ce qui est inacceptable dans ce qui fut affirmé au sein du courant auquel j’ai appartenu. "C’est seulement en essayant de prendre conscience des phénomènes qui, à l’origine, l'ont conduite à sortir du reste de la nature, à rejeter la nature en elle, qu’il est possible d’entreprendre une autre dynamique de vie. Car c’est par là qu’on peut comprendre comment s’articule la négation de la nature et la répression qui doit être renouvelée à chaque génération afin qu’il y ait adaptation à la voie adoptée par l'espèce. Ce que Marx n’a pas réalisé et que nous sommes contraints à faire." Forme, Réalité –Effectivité, Virtualité, Invariance série V, n°1, p. 95, sur le site Internet.
[123] Phrase de «Constantin Tsiolkovski, l’un des précurseurs de l’école cosmique russe» qui «publia en 1903; L’exploration de l’espace cosmique par des engins à réaction», d’où elle est tirée. Cf. Un monde sans la City ni Wall Street, dans le journal Nouvelle solidarité qui porte en sous-titre une phrase de Lazare Carnot: "Élever à la dignité d’hommes tous les individus de l’espèce humaine", qui fait écho au désir de reconnaissance hégélien. L’auteur de l’article, Jacques Cheminade est partisan d’un accroissement continu de la population humaine, d’un développement accéléré de l’énergie nucléaire, de la colonisation de la lune qui servira de tremplin à la conquête de Mars, etc…
[124] Dans Capital et Gemeinwesen j’ai insisté sur le fait que d’entrée le capital recherche la fluidité. Actuellement ce concept est fortement utilisé par Zygmunt Bauman pour caractériser les rapports sociaux, les rapports entre hommes et femmes, etc. Cf. par exemple: La vie en miettes. Expérience postmoderne et moralité, L’amour liquide. De la fragilité des liens entre les hommes. De ce dernier ouvrage je citerai: «La troublante fragilité des liens entre les hommes, le sentiment d’insécurité qu’elle inspire, ainsi que les désirs contradictoires que ce sentiment provoque pour resserrer – mais pas trop – les liens, c’est ce que le présent ouvrage va tenter d’éclaircir, de raconter, de comprendre.» Ed. Pluriel, p. 05. Oui, mais l’insécurité n’est pas seule, il y a la peur de l’autre. D’où s’impose la possibilité de pouvoir s’échapper ce qui se réalise si l’on n’est pas attaché. À propos de la fluidité signalons aussi: Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, et La vie liquide, que je n’ai pas lus.
[125] L’obsolescence
de l’homme,
tome II, Sur la destruction de la vie à l’époque de la
troisième révolution
industrielle, Traduction de Christophe David, Ed. Fario.
2011. Les textes
de ce tome ont été écrits entre 1955 et 1979 et le tout fut édité en
1980.
Cette phrase, placée au début du livre, avant la préface, opère selon
moi comme
un avertissement aux lecteurs. Le mot obsolescence traduit l’allemand
Antiquiertheit qui indique l’accès en quelque sorte au statut de
l’antique, qui
n’a plus court. Toutefois dans son exposé l’auteur va plus loin et
pense à la
disparition même de l’espèce et, en prolongeant sa pensée, on peut
suggérer que,
dés lors, elle puisse accéder au rang de fossile, ce qui impliquerait
la mise
en place d’une vaste discontinuité dans notre devenir, ce qui n’est pas
impossible.
La onzième
thèse de K. Marx sur L. Feuerbach expose: «Les philosophes ont
interprété le
monde de diverses façons, il s’agit de le transformer». Elle indique la
nécessité de passer du récit à l’action.
On peut consulter aussi Fulvio Torretti, Le développement capitaliste comme autodestruction de l’espèce humaine, texte inclus dans le recueil Machines et utopie, présenté par Marco Melotti, Ed. Dedalo, Bari, 1986
[126] Il s’agit de Signification de la coincidentia oppositorum qui se trouve dans Méphistophélès et l’androgyne, Ed. Idées/Gallimard, pp. 176-178, que j’ai cité dans les Scolies de Surgissement de l’ontose, Invariance, série V, n°4. Sur Internet voir Scolies1.
[127] Giorgio
Cesarano, ouvrage cité.
[128] Problème de la
tradition, de la
culture des opprimés rapport à note 116.
[129] Cette
affirmation sera explicitée
dans le chapitre Le mouvement du capital.
[130] Ce qui suit ne peut être que l’amorce d’une étude, voire un simple énoncé, des diverses questions intervenant dans la dynamique d’inversion. Elles sont d’une très grande ampleur et nécessitent, pour être exposées substantiellement, une maturation au cours du cheminement. Leur exposition résultera d’une union geste parole, pratique théorie, activité, récit; tout au moins c’est ce qui sera recherché.
[131] La base du nihilisme c’est l’absence de continuité qui est rejouée en brisant, en annihilant.
[132] L’étude
conduite par Francis Kaplan
dans son livre L’irréalité de l’espace et du temps,
Les Éditions du
Cerf, 2004, nous confirme dans notre approche investigatrice au sujet
de
l’espace et du temps.
[133] Le malheur de l’espèce fut d’abandonner l’éternité en se séparant du reste de la nature, et en s’adonnant à son invention du temps qu’elle veut pourtant constamment abolir. "Je pourrais donner une autre définition de la folie: l'impossibilité de se positionner dans l'éternité". Invariance série V, n° 5, p. 56.
[134] Une étude du
temps et des
différentes conceptions de celui-ci sort des limites de notre exposé
car il
s’agirait de reprendre l’investigation au sujet des différentes
communautés
successives dans leurs rapports avec la nature, au cosmos. Il serait
intéressant
de mettre en évidence l’existence du temps, celui cyclique, au sein de
l’éternité représentée comme éternel retour, et le passage à
l’échappement de
celui-ci, le temps linéaire, celui en rapport à la valeur, au capital,
le temps
des scientifiques. La parenté entre ce temps et le capital se révèle à
travers
le phénomène d’échappement. Mais déjà il avait été dit le temps est de
l’argent.
Enfin il est
difficile de séparer le temps de l’espace et l’on comprend la
théorisation
actuelle de l’espace-temps. Pour parler du temps Saint Augustin faisait
appel à
l’étendue. L’étude de son œuvre comme de tant d’autres théoriciens nous
permettra de bien mettre en évidence non pas ce qu’est le temps, ce qui
est
secondaire, mais comment s’est structuré la spéciose nécessitant à la
fois des
données matérielles réelles –supports en quelque sorte des données
théorique -
et des faits psychiques réels mais immatériels. À ce propos, l’attente,
l’inchoation, la procrastination sont des phénomènes psychiques qui
interviennent dans la production du temps Ils deviennent des
concrétisations du
temps, du temps qui est une modalité souffrante du vivre
L’attente induit à s’abstraire de tout pour se placer dans la dynamique de l’obtention de quelque chose, placé dans le futur. Tout s’évanouit; ne reste que la linéarité entre ce moment et celui à venir. Tout se vide, ne reste que temps qui devient une prison. Toutefois l’attente peut être un moment de jouissance de ce qui va advenir, mais alors elle s’affirme surtout en tant qu’anticipation, elle-même reflet possible d’une impatience. Nous prenons surtout en compte sa transformation ontosique intervenant dans la genèse du temps.
[135]: "Individualité: Aptitude à se poser en tant que
moment d’émergence et
qu’unité perceptible du phénomène vie".
Pour tendre à éviter toute réduction, je parle d’individualité-gemeinwesen pour signifier qu’il n’y a pas séparation entre les deux, a fortiori d’opposition. L’individualité a la dimension gemeinwesen, du fait même de son émergence, non suivie d’une séparation, mais du maintien de la participation au phénomène vie». Glossaire.
[136] Harold Searles, o.c. p. 170 On peut à ce sujet évoquer la compulsion de répétition de S. Freud. Là le sujet est pour ainsi dire passif. Toutefois je pense qu’intervient un autre élément qui est en rapport avec le désir de vivre la totalité. Dans ce cas il n’y a pas régression mais une intégration phylogénétique ou même cosmique. L’interférence de ces données avec la régression dont parle H. Searles explique la complexité du phénomène.
[137] Cité par H. Searles, o.c, p. 40, en note. Il indique que c’est extrait de Communcation –The social matrix of Psychiatry.
[138] J’ai abordé cette question dans Émergence de Homo Gemeinwesen.
[139]
C’est un peu ce qui se passe chez les Piraha qui, d’autre
part,
n’emploient pas un langage bébé pour s’adresser aux jeunes enfants.
[140] Il est probable
que l’acquisition de
la station verticale ne soit pas pleinement réalisée. Celle-ci ne
pourra pas
s’effectuer à travers un procès de rigidification comme cela s’est
produit et
où l’érection a pu devenir support pour l’affirmation d’une domination.
La
station verticale totale et rigide serait cause de grandes difficultés
d’expression corporelle.
Je pense que la sortie de la stagnation s’accompagnera d’un allongement de la durée de vie particulièrement au niveau de l’enfance et de l’adolescence. Ces deux périodes de la vie sont actuellement escamotées en partie du fait d’une accélération liée à une "sexualisation outrancière" inhibant une maturation profonde, ce qui constitue un autre support pour la théorisation aberrante de l’accélération du temps. Adolescents et adolescentes ne peuvent pas vivre sans médiation sociale et parentale la métamorphose qu’engendre la montée de la libido. Ils, elles, subissent une autre forme de répression.
[141] En écrivant cela je n’occulte pas ce qu’affirma le père Teilhard de Chardin dans Le phénomène humain à propos de la formation d’une vaste nappe géologique correspondant à l’émergence de la conscience avec Homo sapiens, et son idée de la formation d’une noosphère. En ce qui concerne la création d'une nouvelle ère géologique, l’anthropozoïque ou l’anthropocœne, cela correspond encore, selon moi, à de l’anthropocentrisme. Certes la catastrophe anthropique est considérable, mais elle n’atteint pas, par exemple, celle de la fin du crétacé, qui fonde la nouvelle ère du tertiaire. À noter qu'on pourrait faire entrer dans cet anthropocoène la tendance à l'évacuation de la sexualité et " l'obsolescence de l'homme".
Jean Clottes affirme dans le numéro de Sciences et Avenir déjà cité: «Ce qui singularise l’homme moderne, c’est la spiritualité», Tel apparaît pour lui le logo de l’espèce. Par là il se rapproche de Teilhard de Chardin.
[142] J’ai abordé ce thème dans Données à intégrer de Emergence de Homo Gemeinwesen.